À Henri Cazalis - 7 ? janvier 1864

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[7 ? janvier 1864]


Mon bon Henri,

Je joins à mes vers, et à la manière de s'en servir, un mot au sujet de ton étrange lettre, la dernière. Quant à l'autre, la charmante, j'attends une heure lumineuse, la semaine prochaine, pour y répondre.[1]

Si, nous sommes mariés. La preuve, c'est que l'enfant de chœur, qui avait six ans, a signé son nom sur un grand registre à la chapelle, ─ et que nous nous aimons.

Mais si. Parlons sérieusement. Le maire de Sens est un avocat, très-fort en droit. Mon grand père a pris conseil de beaucoup d'avoués, ces gens ont tous récité la même leçon. enfin le Consul français à Londres, qui se connaît en ces sortes d'affaires, a assuré que la cérémonie qu'on m'impose suffit. Tranquillise-toi donc, et pense que si jamais je mets un petit faune[2] au monde, il sera légitime.

Va, de suite, je t'en prie chez un traducteur. Je joins à cette lettre les cinq francs dont tu me parles. Tu adresseras le tout à Madame Mallarmé, aux Gaillons, à Sens.

─ Emmanuel, qui vient de m'écrire, me dit qu'il a passé plusieurs heures avec toi. Heureux Emmanuel ! ─ J'ai pu lire, dans son mystérieux grimoire qui m'aveuglera un jour, que tu lui avais lu des poèmes en prose merveilleux. J'ai trouvé l'épithète insolemment inférieur au sujet. Est-ce Sperata[3] ? son enthousiasme alors ne m'étonne ni ne me surprend. Est-ce une œuvre nouvelle ? Alors, je veux, entends-tu, je veux que tu te couches à deux heures du matin, demain, et qu'après demain tu me les aies tous copiés.

Marie dit que tu es un vilain de l'effrayer, car ta dernière lettre où tu parlais de notre mariage qui ne serait que chimérique, l'a épouvantée.

─ Adieu, mon Henri. Je t'embrasse de grand cœur, et Marie te bat.

Ton


STÉPHANE

─ Porte donc un poème en Prose à la Revue nouvelle, ta voisine, (14, rue Jacob) ils rentrent absolument dans son cadre. Elle concilie l'art et la poésie ─ même la plus rêveuse et extra-terrestre.

SM



  1. Cette lettre et la précédente en sont peut-être une seule, écrite en deux temps.
  2. Ce n'est qu'en juin 1865 que Mallarmé commencera « un intermède héroïque dont le héros est un faune ». Cette boutade semble suggérer que le projet en est bien antérieur.
  3. Sperata est le nom sous lequel Cazalis évoquera Ettie dans son œuvre.