À travers la jungle politique et littéraire, 2e série/4

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Librairie Valois (2e sériep. 57-91).


Une rencontre
avec Bela Kun


I


L’ancien dictateur de Hongrie, qui vient d’être condamné à une peine, fort heureusement légère, et qui échappe aux rigueurs de l’extradition, va pouvoir reprendre bientôt sa carrière mouvementée d’agitateur[1]. Et cela me permet, jetant un coup d’œil en arrière, de vous silhouetter le fameux révolutionnaire, tel que j’ai pu l’observer et le croquer rapidement, à Berlin, en pleine période insurrectionnelle.

Il nous faut remonter en 1921, quelques mois après ce Congrès de Tours qui vit la rupture de l’unité socialiste sous l’œil vigilant de l’inoubliable Zalewsky, l’homme aux chèques, disparu depuis, et demeuré introuvable.

Le communisme, en ce temps, paraissait triompher en France. Ces pauvres S. F. I. O. n’avaient plus de troupes, plus de contact avec les foules. Ils perdaient, chaque jour, du terrain. L’Humanité, le journal de Jaurès, passé aux mains du bolchevisme, exerçait une influence profonde sur les masses.

On croyait, d’ailleurs, dur comme fer, que cette « prise du pouvoir », au sein du parti socialiste traditionnel, allait précéder l’autre, la grande. On ne rêvait que de révolution, de bouleversement social. Le Grand Soir s’annonçait. Pour tout dire, on marchait à fond. On n’avait pas eu encore le temps d’étudier les larbins à tout faire et les salariés de Moscou. On ne s’était pas encore aperçu que la propagande révolutionnaire offrait de confortables fromages aux plus vulgaires appétits.

Un soir, dans les bureaux de L’Humanité, Frossard, alors secrétaire général du parti, et Cachin, toujours solennel, comme un brigadier de gendarmerie constipé, me dirent, à brûle-pourpoint :

— Il faut que tu prennes le train, dès demain.

Je fis la grimace. J’ai pas mal voyagé, dans ma jeunesse vagabonde ; j’ai parcouru la France presque d’un bout à l’autre, en tournée de conférences ; mis les pieds en Espagne d’où la « guarda civica » m’a projeté sur la frontière ; en Suisse d’où l’on m’a expulsé gentiment ; en Belgique, où l’on m’a laissé paisiblement faire mes petites affaires… Mais, avec l’âge, j’ai pris l’horreur des voyages.

Je fis donc la grimace et je demandai :

— Le train… pour quoi faire ?… Et pour où ?

— Pour Berlin, dit Frossard. Il se prépare un grand mouvement révolutionnaire, un « putsch » formidable. Il est indispensable que le parti français soit représenté,

— Pas facile, ça !

— Arrange-toi… C’est un problème de débrouillage. Naturellement, pas de passeport…. Et les frontières gardées… Tu vois ça ?

Si je voyais ! Je me laissai tenter cependant. Je passai à la trésorerie du parti où l’on me remit une légère somme, et partis le lendemain pour Longwy.

Je débarquai à Longwy, à l’aube, passablement éreinté. Nulle instruction particulière. Il était simplement question de faire acte de présence, d’apporter aux révolutionnaires, allemands le salut de leurs frères de France, et d’observer… D’autre part, aucun papier d’identité. Il ne fallait pas que je fusse repéré. Mais des camarades avaient été alertés, avec mission de m’aider à passer la frontière. A Longwy, dans la matinée, je vis arriver dans une maison amie, où je m’étais rendu, un grand diable sec, très blond, les yeux rouges, l’air bon enfant, qui me dit :

— Nous prenons le tacot à midi et nous allons essayer d’entrer au Luxembourg.

Je dois dire que cette première partie du programme fut aisée à réaliser. Nous franchîmes la frontière sans le moindre heurt et nous filâmes à travers les bois jusqu’à Differdange, petite commune industrielle, hérissée d’usines, abritant de nombreux ouvriers. Une grève venait, justement, d’éclater, et les gendarmes français sillonnaient les rues, gardant les propriétés et les hautes cheminées pour la plupart éteintes.

Un camarade m’expliqua :

— Pendant la guerre, les Luxembourgeois faisaient des vœux pour la victoire de la France… Ils ne pouvaient supporter l’Allemand. Nous sommes allés au secours de Longwy, la cité voisine, la ville martyre. Nous avons recueilli les malheureux habitants, donné des sommes importantes pour aider à la reconstitution… Résultat : voyez… La France prend le parti de nos exploiteurs, emploie la force armée contre les travailleurs. Aussi a-t-elle perdu beaucoup de sympathies.

Il disait vrai. Gendarmes et soldats brutalisaient et terrorisaient cette paisible population, violant les domiciles sous prétexte de perquisition, arrêtant le pauvre bougre, au petit bonheur. La révolte grondait.

Je passai la nuit dans ce petit village et, le lendemain matin, je filai vers la capitale. Là, je devais trouver le secrétaire du parti communiste luxembourgeois, qui se rendait lui-même à Berlin et allait me faciliter le « travail ».

J’ai appris plus tard que ce secrétaire, un jeune homme de vingt-cinq ans, très intelligent, très actif, avait pour mission, précisément, de donner tout son concours aux camarades étrangers et qu’il était grassement rétribué pour cette fonction spéciale. Nous l’appellerons R…, si vous voulez. Il a quitté le parti depuis et a disparu de la circulation et, en raison des incidents que je vais conter, il est inutile de le désigner plus clairement.

Une nuit encore à Luxembourg. Charmante ville, ma foi, très animée, pleine de lumière. Mais n’insistons pas…

Je pris le train, la matinée suivante, pour Coblentz. Ça commençait à devenir dur. Il fallait passer par Trèves, occupé par les Français. À Coblentz, c’étaient les Américains. Plus loin, à Cologne, les Anglais. Les agents de la sûreté pullulaient dans les gares. Les passeports étaient exigés par des patrouilles qui circulaient dans les trains. Berlin me semblait de plus en plus loin.

J’étais en compagnie d’un jeune camarade qui, muni de passeports bien en règle, voyageait pour son agrément. R… devait me rejoindre dans la soirée à Coblentz. En face de nous, mines renfrognées, l’air de bêtes traquées, deux hommes, pauvrement vêtus, avec des barbes de plusieurs jours. Ils ne disaient pas un mot et regardaient à chaque instant vers la porte qui donnait sur le couloir, comme s’ils s’attendaient à voir apparaître quelque silhouette menaçante…

C’étaient des Français, deux libertaires, qui venaient de Belgique. Pendant la guerre, ils avaient fui les massacres, insoumis. Et, maintenant, ils allaient, ils essayaient d’aller vers la Russie, vers Moscou, au pays où les travailleurs étaient maîtres.

En attendant, sans papiers comme moi et, de plus, craignant d’être reconnus par les Français, ils roulaient dans l’anxiété.

On passa Trèves sans dommage et l’on débarqua à Coblentz.

Là, changement de train. Nous descendîmes et nous pénétrâmes dans une infâme gargote où l’on nous servit un vaste plat où la viande nageait dans un liquide épais mêlé à de la confiture et à des légumes secs, avec des morceaux de pain noir, à peu près tendres comme des cailloux. Joli début ! Enfin, sur le coup de quatre heures, R… fit son apparition. C’était le sauveur. Il connaissait le pays, parlait la langue allemande. Il nous conduisit vers le train de Cologne.

À Cologne, repas confortable auprès de la gare. Cette fois, nous fûmes comblés. Excellente côtelette de porc. Délicieux petit vin limpide du Rhin. Le mark valait alors à peu près trois sous. Une aubaine. Et jusque-là, pas d’anicroches.

Mais, au dessert, une grande discussion s’établit entre nos deux compagnons. L’un était « végétarien », l’autre « végétaliste », ce qui ne les avait empêché nullement, par dérogation spéciale, de se régaler de leur côtelette de porc. Seulement, sur le terrain des théories, ils étaient inflexibles.

Le végétarien affirmait qu’on pouvait et qu’on devait manger des œufs ; le végétaliste ripostait que l’œuf était un principe de vie et qu’on n’avait pas le droit d’y toucher : La controverse s’envenima. Le petit vin blanc et or produisit son effet.

— Les végétariens sont des malfaiteurs, des incomplets…

— Le végétalisme n’est qu’un succédané du végétarisme, une pâle copie.

Tout doucement, je fis observer :

— J’ai connu autrefois, dans les milieux libertaires, ce qu’on appelait le « sauvagisme ». Les sauvagistes étaient beaucoup plus forts que vous. Ils enseignaient que l’herbe crue était la nourriture tout indiquée de l’homme. Ils ne touchaient ni à la viande, ni au poisson, ni aux œufs, ni même à certains fruits. Ils condamnaient la cuisine et la cuisson. De plus ils appartenaient à la grande famille des « naturiens » qui prétendent revenir aux pratiques purement naturelles. L’un d’eux, qui a fini par sombrer dans le catholicisme, après avoir tâté de la théosophie et du bouddhisme, marchait pieds nus sous prétexte que le cuir des chaussures était emprunté à nos frères inférieurs.

Cette petite digression les laissa rêveurs. Mais, bientôt, la discussion reprit de plus belle :

— Kropotkine a dit…

— On trouve dans Reclus…

Ils s’animaient de plus en plus, haussaient le ton, passaient à l’invective. Nous dûmes intervenir.

— Voyons, camarades… vous n’y songez plus… Si vous commencez à vous accrocher ainsi, vous n’arriverez jamais à Moscou.

Ils se calmèrent peu à peu. On sortit prendre l’air. Nous les quittâmes dans la soirée, à la gare. Ils poursuivirent leur route. Ils marchaient vers leur destinée. Je ne devais plus les revoir.

Cologne. Promenade le long du Rhin. Stations devant la cathédrale. Stations à la brasserie « Germania », immense, avec son orchestre monumental.

R… m’avait de nouveau abandonné, pour trois jours. Il devait venir me reprendre. J’errais dans les rues, un peu désemparé, sans autre ressource que de me rendre au siège social du parti où quelques militants s’exprimaient en un français convenable. Longues conversations. Ces communistes étaient, pour la plupart, d’anciens combattants, quelques-uns mutilés, qui avaient rapporté de leur séjour au front une haine farouche de la guerre et des guerriers. Ils m’expliquaient les dangers de l’occupation et comment les révolutionnaires en étaient les premières victimes.

— Pourquoi nous envoyer des soldats, toujours des soldats ? Nous voulons la paix et la justice. Qu’on nous laisse donc libres de régler nos histoires avec la bourgeoisie allemande au lieu d’intervenir.

— Nous avons beau prêcher la fraternité des peuples, nous efforcer d’éteindre les stupides haines nationales, vos soldats et les autres rendent nos efforts stériles.

Il y avait, dans cette amertume, un grain de patriotisme. Malgré leur haine du militarisme, ils supportaient difficilement le spectacle de ces soldats maîtres du pavé, chez eux.

Ils me confiaient encore :

— Nous n’en avons plus pour longtemps. Tout est prêt. Les pays rhénans vont se soulever. Toute la classe ouvrière suivra. Nous sommes à la veille de la révolution.

Ils me disaient les souffrances intolérables du peuple allemand. Les ouvriers étaient accablés de besogne, mal payés, mal logés, ne mangeaient pas toujours leur faim… Un matin, un jeune député communiste nous invita, R… et moi, à déjeuner. Il habitait au bout de la ville un tout modeste logement. Il nous servit de la viande bouillie et froide. Pas de vin ; pas de bière ; pas de café. Je n’étais pas tout à fait à la noce. Mais je n’ai pas gardé rancune à ce brave jeune homme, encore que, par la suite, il ait cru devoir me ranger au nombre des « renégats » et des « vendus ».


II


Mais je bavarde, je bavarde… Et je m’aperçois que je ne vous ai rien dit de mon « sujet » — un bien mauvais sujet, entre parenthèses. Je vous entends qui vous écriez :

— Et Bela Kun ?

— Bela Kun ? Patience ! Nous y voilà. Nous allons prendre le train pour Berlin.

Berlin. Ne vous attendez pas à ce que je vous promène à travers les rues et les monuments et que je vous serve des descriptions cent fois ressassées. Je note seulement qu’après un voyage de nuit parfaitement confortable, sans le moindre incident fâcheux, R… et moi débarquions dans une petite gare pavoisée et fleurie. On fêtait avec enthousiasme les électeurs retour de Silésie.

Nous filâmes vers Potsdam et après avoir retenu deux chambres dans les environs, nous nous rendîmes au siège du parti communiste qui occupait tout un immeuble avec de multiples bureaux et tout un régiment d’employés. Les nôtres, à Paris, auraient pu vraiment en prendre de la graine. En attendant la Cité future, on s’installait paisiblement dans la société moderne. Mais cette sécurité et ce calme n’étaient qu’apparents. La révolte, au-dessous, grondait et la catastrophe menaçait.

Le communisme allemand traversait alors une crise très grave. Le premier de ses leaders, Paul Lévy, devenu suspect aux yeux de Moscou, était mis hors du parti. On pratiquait déjà les méthodes d’épuration et d’exclusion automatique. La vieille militante, Clara Zetkin, la même qui fit, au Congrès de Tours, une solennelle apparition, avait eu le tort de défendre Paul Lévy, de se ranger à ses côtés. La méfiance l’entourait. On ne la supportait dans les réunions clandestines que par égard à son passé. Depuis, elle s’est rattrapée et elle sert Moscou avec une obstination que ne décourage aucune tergiversation, épousant tour à tour les lignes de conduite des camarades au pouvoir. On m’a affirmé que son fils comptait parmi les employés supérieurs des Soviets ; Ainsi tout s’explique.

Je revois Clara Zetkin à Cologne, dans une petite chambre des faubourgs ouvriers, hors la ville. Elle était venue pour prendre part à un grand meeting à l’occasion de l’anniversaire de notre Commune et, dès son arrivée, fidèle à ses habitudes, elle s’était jetée au lit. Petite vieille bonne femme, au visage poupin et sympathique qu’éclairaient deux grands yeux candides, elle parlait, écrivait, dictait de son lit. Durant deux heures, elle m’entretint de la situation, critiquant sans ménagements les directeurs du parti et les camarades russes. Elle s’exprimait en un français excellent. Je dois avouer que je l’écoutais avec infiniment de respect. Elle symbolisait, à mes yeux, tout un passé de luttes glorieuses, et j’évoquais, pendant qu’elle débitait ses doléances, la mort tragique de Liebknecht, la fin pitoyable et monstrueuse de Rosa Luxembourg, assommée à coups de crosse de fusil par une soldatesque ivre de fureur.

Les purs des purs qui brillaient alors au firmament communiste avaient noms : Brandler, Stocker, Thaleymer. Je vous les présente rapidement.

Brandler, un géant bossu, à tête carrée, suant l’audace et l’entêtement, une sorte de Titan foudroyé, comme dit Hugo de Quasimodo. C’était un ancien ouvrier syndicaliste qui avait participé plus d’un mouvement de grève, — l’allure d’un chef. Mais quel visage rébarbatif et fermé ! On sentait, en le voyant, qu’il n’était pas de ceux qui se dégonflent. Il devait, par la suite, pourtant, se dégonfler devant la justice.

Stocker. Un petit homme mince, blond, falot, les yeux toujours en mouvement, le corps raide. Détail particulier : il ne cessait de grignoter. Au cours de nos réunions et de nos conciliabules, il répétait toujours le même geste qui consistait à tirer des miettes de pain de sa poche pour les fourrer dans sa bouche. Il me faisait songer à un rat, — ou à un furet. Celui-là devait rêver de ronger la société bourgeoise lentement, morceau par morceau. Presque muet. Je ne l’ai pas entendu prononcer deux paroles.

Thaleymer, le rédacteur en chef de la Rothe Fane, organe des communistes, visage clair et sympathique, orné d’une petite moustache noire. Silencieux lui aussi, et méditatif. Et, ici, je note un détail curieux.

Nous nous retrouvions deux ou trois fois dans la journée, dans les quartiers les plus divers, au fond d’une salle de taverne, quelquefois dans une cave. Il fallait dépister la, police. On empruntait des chemins bizarres, on contournait des maisons, sans doute pour brouiller les pistes. Cela vous avait un petit air rocambolesque tout à fait réjouissant. Néanmoins, je me rasais copieusement.

Je me rasais, parce que, de tous ces bons camarades, aucun ne connaissait la langue française. J’étais obligé de recourir aux offices de R… quand j’avais une observation à formuler. Et puis, l’on ne dînait pas souvent. Ces bougres-là passaient des heures et des heures sans se soucier de leur estomac. Et je commençais à sentir la lassitude m’envahir à contempler la face têtue et close de Brandler, le mouvement de mâchoires de Stocker, la physionomie absente et rêveuse de Thaleymer. Il me prenait l’envie d’attraper des mouches pour leur coller une paille au derrière, comme au joyeux temps où, au lycée de Toulon, le professeur de cinquième nous expliquait les beautés des classiques. En vérité, c’était terrible. Pas le moindre échange d’idées. Impossible de placer un mot. Et nous étions, paraît-il, en pleine révolution.

Un soir, cependant, un gros homme, assis à ma droite et qui intervenait fréquemment dans les discussions, se tourna vers moi, avec un demi-sourire :

— Comment qué ça va, à Paris ?

Tout joyeux, je lançai aussitôt la réplique :

— Tiens, vous parlez le français… Quelle veine !

— Jé connaissais Paris… Jé habitai longtemps lé capitale française.

Il m’interrogea sur quelques-uns de nos militants, sur le fameux Comité de la Troisième Internationale, sur l’état des esprits. À chacune de mes réponses, il hochait la tête qu’il avait large et boursouflée, avec de petits yeux aux paupières plissées. Puis, soudainement, il me tourna le dos et ne s’occupa plus de moi.

Je poussai R… du coude.

— Qu’est-ce que ce type-là ?

R… me parut inquiet :

— Chut !… C’est le délégué spécial de Moscou.

Bigre ! Je venais d’être interrogé, sondé, analysé par un « œil » et des plus éminents. Je l’examinai, mon tour, avec attention, me demandant si ce n’était pas là le fameux Bela Kun. Il avait un petit ventre cossu, un menton satisfait ; il était vêtu avec une élégance sans défaut. À Paris, on l’aurait pris pour un directeur de théâtre de quartier. Mais ce n’était pas le dictateur hongrois. Rien de Bela Kun. Simplement un camarade très important dont le nom finissait en « sky » !

Mais voici où je veux en venir. Tous ces gens-là donc ne parlaient pas le français, ne disaient pas un mot de français, me laissaient morfondre dans mon ennui morne et ma solitude. Ça manquait de charme et d’imprévu. Eh bien ! un an après, lors d’une réunion du Comité directeur du parti, à Paris, j’eus la surprise de rencontrer Thaleymer que les « frères allemands » venaient de déléguer chez nous, je ne sais plus à quelle occasion. Toujours le même, Thaleymer, raide et muet. Vers les onze heures, alors qu’il n’avait pas plus bougé qu’une cariatide, on lui donna la parole. Il discourut trois quarts d’heure, en allemand, parmi les bâillements discrets et les mouvements d’impatience de Daniel Renoult.

Rien d’extraordinaire encore ? Attendez. Le lendemain dans la soirée, je me trouvais à « l’Oriental », café célèbre du Lion de Belfort, devant un demi de blonde. Tout à coup, j’entends une voix :

— Bonsoir, camarade !

Surprise. C’était Thaleymer. Il prit une chaise et nous commençâmes à bavarder.

Il maniait la langue française comme s’il était né aux bords de la Seine. Pas une hésitation. Toujours le mot propre. Et la discussion, cependant, était ardue. À cette époque, je commençais à sentir le roussi dans le parti communiste et je me préparais à tirer mon chapeau. Thaleymer s’efforçait de ramener la brebis égarée. Je ripostais. À un moment, il me dit avec un sourire :

— Vous abusez de la connaissance que vous avez de votre langue. Je suis en état d’infériorité.

Du coup, je bondis :

— Comment !… Mais vous n’ignorez rien des finesses de cette langue… Et à propos ?… C’est depuis l’année dernière que vous parlez si bien le français ?

Son sourire s’accentua :

— Oh ! il y a longtemps…

— Alors, voulez-vous m’expliquer pourquoi, à Berlin, pas une seule fois vous ne m’avez adressé la parole et pourquoi vous avez feint de ne pas me comprendre ?

Il se mit à rire franchement.

— C’est notre force de ne pas comprendre les langues étrangères chez nous, tout en les comprenant fort bien. Ça nous permet de voir ce que les camarades du dehors ont dans le ventre.

Très fort, en effet, le camarade. Je me rendis compte, un peu tard, qu’ils « m’avaient eu ». Mais mieux valait en rire. D’autant que tous ces braves types ont mal tourné. Brandler est devenu un traître et un renégat. Ce pauvre Thaleymer, qui s’efforçait de me chapitrer, est devenu un traître et un renégat. Les hommes qui les ont chassés, exclus du Parti, sont des traîtres et des renégats. Il n’y a que des renégats dans le communisme. Ceux d’hier, ceux d’aujourd’hui, ceux de demain. Un renégat après l’autre.

Bela Kun aussi m’a eu.

Encore un qui ne connaissait pas une syllabe de français.

Je fus mis en sa présence, son auguste présence, un matin vers les midi. Cela se passait dans un quartier ouvrier de Berlin. Depuis plusieurs jours, nous allions de réunions en réunions, dans des salles basses et grises, donnant des mots de passe, nous séparant brusquement à la moindre alerte… C’était R… qui m’avait dit, en se frottant les mains :

— Ça va chauffer !

Et il avait ajouté :

— Nous allons le voir !… IL est ici.

« Il », c’était le redoutable dictateur, l’homme qui représentait la Révolution russe, le grand chef. Une petite émotion me gagnait au fur et à mesure que nous approchions. J’avais hâte de contempler de près ce phénomène. Enfin, nous arrivâmes. Selon le rite, R… frappa à une porte d’une façon spéciale, prononça quelques mots et nous fûmes introduits dans un salon sommairement meublé.

Une demi-douzaine de personnes se trouvaient là. Je cherchais des yeux le dictateur. Il n’était point encore arrivé. Les autres bavardaient paisiblement. Par bonheur, je découvris un camarade hongrois qui répondait au patronyme de Révo (un renégat, celui-là aussi) et qui me servait d’interprète. Il me dit :

— Ça vient de commencer.

— Quoi ?

— La révolution…

Je dissimulai ma surprise. La ville m’avait paru bien tranquille, comme à l’ordinaire. Aucun émoi dans les rues. Pas de barricades. Pas de foules déchaînées. Pas de service d’ordre. Comment diable s’y prenaient-ils pour faire leur révolution ?

Comme j’en étais là de mes réflexions, IL fit son entrée tout souriant. « Il », lui, Bela Kun. Je le dévisageai avec stupéfaction. Imaginez un garçon boucher endimanché, moulé dans un complet impeccable, coiffé d’un chapeau melon. Une grosse tête, un gros cou, de grosses mains, tout rond, les yeux ronds, le regard rond, la bouche ronde… Physionomie quelconque où la jovialité se mêlait à la férocité. Je n’écrirai pas qu’il avait l’aspect d’une brute. Non. D’un lourdaud tout au plus, avec un pétillement de malice dans les paupières et une extrême agilité dans tout son corps massif. Et, avec ça, un sourire collé sur ses lèvres, un sourire qu’il ne devait quitter que pour se coucher.

Révo alla vers lui, lui dit quelques mots. Alors, il se tourna vers moi, cligna de l’œil, prononça :

— Bonchour, k’m’rade !

Et il me tendit sa large patte.

C’est ainsi que j’entrais en contact avec le grand homme.

III

Dans cette petite pièce où nous étions réunis ainsi que des conspirateurs, on n’attendait plus que lui, Bela Kun, le grand ordonnateur et metteur en scène. Très à son aise, il bavardait avec le sourire sur les lèvres, comme s’il se trouvait invité à une partie de plaisir, entre bons amis. Plusieurs fois, je le vis qui se frottait les mains, plein de joie, une lueur de satisfaction dans les yeux. Je me penchai vers Révo :

— Que se passe-t-il donc ?

— On vient de nous apporter des nouvelles de la Révolution. Tout va bien, pour commencer. En Rhénanie, les ouvriers sont tous debout… À Berlin, ça se dessine…

J’étais quelque peu abasourdi. Ainsi nous présidions à la révolution prolétarienne allemande. Demain, dans quelques jours, peut-être, les travailleurs, ayant conquis le pouvoir, seraient maîtres de leurs destinées. Le capitalisme allait se voir atteint, en plein cœur, en plein centre de l’Europe et un tel événement ne pouvait manquer d’entraîner des conséquences incalculables. Et nous étions là quelques-uns à écrire cette formidable page d’histoire.

Avouez que, quoique mon rôle fût bien modeste et effacé, il y avait de quoi en concevoir un juste orgueil.

Mais quelle étrange révolution ! Le matin, pas plus que la veille, je n’avais observé le moindre symptôme. La foule était calme, à son habitude. Pas un mouvement suspect, pas une parole, pas même un regard. La tranquillité la plus absolue. Et, tout à coup, le déclenchement… sur un signe mystérieux, sur un ordre jeté on ne savait d’où !… Jamais, à Paris, on ne concevrait une révolution semblable. Il y aurait, d’abord, du chahut, des rues enfiévrées, des chants, des cris, des menaces… Ici, rien. La révolution s’accomplissait automatiquement, à l’heure voulue, au lieu indiqué, réglée comme papier à musique. Et ce dictateur, grimaçant, hilare, se frottant les paumes ! Je n’en revenais pas.

Révo, d’instant en instant, me chuchotait à l’oreille :

— Du nouveau !… Une usine est en flammes. Il y a eu rencontre avec la troupe. Quinze blessés. Deux morts.

Je regardais Bela Kun. Son visage exprimait une intense jubilation. Il dodelinait du chef, se frottait les mains avec une ardeur nouvelle.

Un second émissaire, puis un troisième. D’autres détails. Dans un quartier de Berlin, bataille rangée entre les prolétaires et les soldats. De nombreux cadavres. Et Bela Kun, toujours hilare, toujours se frottant les pattes. Puis une explosion dans une fabrique. Puis, l’électricité coupée. Puis des rencontres sanglantes, encore des morts, des blessés, des victimes. Révo ne cessait de répéter :

— Ça va !… ça va !

Et Bela Kun ne cessait de rigoler. Un instant, il se tourna vers moi, clignant de l’œil, prononça :

— Bien… Très bien !… Ya !

La matinée s’écoula ainsi. L’heure du déjeuner s’envola. J’avais des crampes à l’estomac. Mais la Révolution était en marche.

Quand il eut fini de donner ses instructions détaillées à ses lieutenants, dont quelques-uns disparurent soudainement et mystérieusement — je ne jurerai pas qu’ils ne s’étaient enfoncés dans les murs — l’ex-dictateur hongrois daigna s’occuper de ma personne. Il fit signe à Révo et se mit à lui parler avec volubilité. L’autre me regardait de côté, secouait la tête, s’agitait. Enfin, il se tourna tout à fait vers moi :

— Voilà, fit-il, le camarade Bela Kun voudrait avoir une petite conversation avec vous. Mais il ne comprend pas le français. Alors je vais vous transmettre ses questions.

Les questions n’avaient pas grand intérêt. Bela Kun (qu’on peut traduire par Belle Lune) me demandait des nouvelles de tel ou tel camarade qu’il avait connu à Moscou. Il voulait avoir mon avis sur le fameux Comité de la Troisième Internationale que d’aucuns prétendaient supprimer, que d’autres entendaient conserver. Je répondis en quelques mots que Révo traduisit. Chose curieuse, en passant par la bouche de l’interprète ces quelques mots devenaient un véritable discours. Ça ne finissait plus. Je ne m’imaginais pas, vraiment, en avoir dit aussi long.

Enfin, le dictateur aborda un problème très grave. Révo, sur ses indications, me posa la question suivante :

— Que comptez-vous faire avec les soldats français de l’occupation ?

Je le devisageai avec effarement. Ce que je comptais faire ? Que le diable m’emporte si j’avais là-dessus la moindre idée. Je me souciais bien des soldats et de l’occupation. Et je répliquai que je ne comprenais pas très bien le sens de la question.

— Voilà, dit Révo, le parti communiste de France vous a délégué en Allemagne pour aider à la Révolution. Le seul moyen de nous être utile, c’est d’organiser la propagande dans l’armée et de prêcher la fraternisation… Vous saisissez ? Déjà, vous avez agi et mis votre signature sur des affiches et des proclamations…

C’était vrai. Au cours de nos réunions précédentes, après avoir essuyé des harangues interminables et incompréhensibles, j’avais signé au nom du parti français, tout ce qu’on avait voulu : appels à l’émeute, appels aux soldats, placards antimilitaristes. Tout. Et je n’avais rien lu de cette prose subversive. Je pensais, d’ailleurs, que ça n’avait qu’une importance relative, attendu que ça se passait en Allemagne. Mais, en face de Bela Kun et de la révolution, je commençais à songer que le jeu était peut-être dangereux.

Bela Kun, cependant, s’expliquait, par l’organe de Révo :

— Il faut absolument toucher les soldats. Pour cela, il est indispensable qu’on envoie des équipes de Paris, des jeunes gens armés de tracts et de brochures.

Du coup, je sursautai :

— Des équipes d’agitateurs… ici… en Allemagne… en territoire occupé. Pas possible.

— Pourquoi ? demandèrent sévèrement Révo-Bela Kun.

— Parce que, ma foi, cette propagande antimilitariste accomplie, en territoire ennemi, sous les yeux de l’ennemi, serait par trop périlleuse. Ce serait envoyer directement ces jeunes gens au conseil de guerre, peut-être même au poteau, étant donné qu’on les accuserait de trahison…

Bela Kun, au fur et à mesure, que je m’expliquais, non sans quelque véhémence, ne cessait de m’observer. J’ai su, depuis, qu’il entendait parfaitement le français. Il crut nécessaire, toutefois, de se faire traduire mes observations. Et pendant que Révo parlait, traduisait — interminablement — le dictateur secouait la tête, l’air mécontent. À une table, à côté, deux « camarades » prenaient des notes.

Bela Kun parut réfléchir un instant et me fit dire par Révo :

— Un révolutionnaire doit braver les dangers et risquer sa vie.

— Sans doute, ripostai-je, mais avec quelque utilité… Or, les jeunes gens que l’on expédierait en Rhénanie ne pourraient même pas commencer leur besogne. Ils seraient immédiatement signalés, repérés. Ils ne pourraient franchir les frontières sans passeports, s’installer paisiblement dans une ville sans éveiller l’attention… Le résultat serait extrêmement négatif… Pas la peine de risquer la fusillade pour rien…

Un petit silence, puis :

— On pourrait peut-être les faire accompagner et conduire par des députés. Les élus ont certaines facilités et nul n’oserait les inquiéter.

Cette fois, je me mis à rire. Ça devenait vraiment comique. Une compagnie de jeunes agitateurs guidée par le député Berthon, par Marcel Cachin ou par Vaillant-Couturier !… Ce Bela Kun en avait de drôles. Mais je crus nécessaire, tout en riant, de rétorquer :

— Les députés ?… Marcheront pas… Même s’ils marchaient d’ailleurs, ils se feraient pincer comme les autres car l’autorité militaire ne manquerait pas de se demander ce que ces messieurs viennent faire là… Mais je suis tranquille.. ils ne bougeront pas…

Je m’aperçus alors que Bela Kun rigolait lui aussi. Il se rapprocha de moi et me dit :

— Dépoutés… là-bas !… Pfft. !… fousillés !…

Il se mit à rigoler de plus belle et ajouta :

— Lafont !… Ernest Lafont !… fousillé !… fousillé !

Et il se frottait les mains, tout comme si on venait de lui annoncer qu’une usine flambait et sautait.

Mais, ici, il faut que je m’explique. À cette joyeuse époque, le député communiste Ernest Lafont n’était pas en odeur de sainteté parmi les bolchevistes. En voyage à travers la Pologne et à Moscou, il avait fait des blagues. On le tenait pour suspect. On le considérait comme un traître et un agent de la bourgeoisie. Ses amis étaient également des traîtres et des « petits bourgeois ». Il y avait, pour tout dire, un « cas » Lafont et il était fortement question de l’exclusion de cet indésirable.

Aussi l’exclamation de Bela Kun m’apparut très claire. Ernest Lafont, expédié en Allemagne, conduisant la propagande antimilitariste, prêchant la révolte et la désertion ; puis, pincé, traduit devant la justice militaire et condamné. Quelle bonne petite plaisanterie, hein !

— Fousillé !… fousillé !

Sacré Belle Lune de Bela Kun. Je ne le verrai jamais autrement que je l’ai vu ce jour-là, avec sa face épaisse, ses lèvres épaisses, son rire épais et le mouvement de ses grosses pattes frottées l’une contre l’autre :

— Fousillé !… fousillé !

Et la Révolution allemande ?

Hélas ! Quelques jours après, c’était fini. Les ouvriers se firent massacrer. Le putsch échouait lamentablement.

Et Bela Kun disparaissait… Il allait, sans doute, ailleurs, recommencer l’expérience.

Mais je n’en avais pas terminé avec lui. De retour à Paris, j’appris que le dictateur m’avait mis en accusation devant le parti communiste pour crime de patriotisme et pour m’être indigné véhémentement contre ce que je qualifiais de besogne de trahison.

C’était le dictateur qui arrangeait ainsi les choses. Tout de même, je ne pouvais pas demander à nos amis de Paris qu’on envoyât Ernest Lafont se faire fusiller. Cachin lui-même, dont la spécialité, cependant, est de lâcher ses meilleurs camarades, aurait refusé. « Fousillé ! » C’est vite dit. Mais plutôt difficile en France. Il n’en reste pas moins que pour n’avoir pas voulu faire fusiller Lafont — qui ne m’a même pas dit merci — je suis devenu prématurément une sorte d’individu suspect, capable de toutes les trahisons. Patriote et militariste par surcroît. Horreur !

Mais j’anticipe. Pour l’instant, je suis encore à Berlin, en pleine agitation, en pleine bagarre. Il va falloir penser au retour. Vous allez voir que ce retour ne fut pas précisément un petit voyage d’agrément.


IV.


Tout en « faisant la Révolution » à Berlin, avec une remarquable conscience, il m’arrivait, dans la journée, de lâcher les bons camarades pour aller me promener, ainsi qu’un simple bourgeois, dans la ville du kaiser.

Mais si je lâchais les camarades, eux ne me lâchaient pas. Il est difficile d’imaginer avec quelle méthode scientifique sont organisés là-bas l’espionnage et le mouchardage officiels. Je n’ai pas une minute été inquiété par la police allemande, mais j’ai dû subir le mouchardage soviétique qui sévit et s’exerce à tout instant du jour, monstrueusement.

Dès que vous êtes arrivé à Berlin, vous voilà signalé. Vous louez une chambre d’hôtel ; elle ne vous appartient pas. Un « camarade » vient s’installer dans la journée, vous réveille le matin, vous accompagne le soir.

Vous déambulez dans la cité ? Un camarade, discrètement, s’attache à vos pas.

Vous allez au restaurant seul ? Le camarade flaire un mystère. C’est tout juste si l’on ne vient pas vous épier dans le petit coin où « de rêver en paix on a la liberté ».

La police révolutionnaire internationale est admirablement organisée.

Ce que j’ai pu en sentir des espions sur mes talons ! Au début, j’en riais. À la fin, ça m’agaçait. L’un d’eux, surtout, que j’avais quelque peu frôlé à Paris et qui avait conquis une haute fonction dans l’armée soviétique, ne cessait de se dresser sur mon passage. Je le rencontrais, « comme par hasard », à la brasserie, dans les « Konditori » où je dévorais chocolat et pâtisserie… Tenez, un jour, dans l’après-midi, je me risquai dans un grand magasin, quelque chose comme nos « Galeries », et je me perdis à travers les rayons (qui n’étaient point communistes). Ce que j’allais faire là ? Simplement chercher une poupée, une de ces énormes poupées de Nuremberg dont la face cireuse aux yeux de faïence évoque le visage lunaire de Vaillant-Couturier.

Cette poupée, je comptais l’emporter, pour la plus grande joie de ma fillette, à Paris. Comme on voit, je ne doutais de rien et de tels soucis futiles ne témoignaient point d’une grande ardeur révolutionnaire.

R…, mon guide luxembourgeois, m’avait laissé tomber. « Rendez-vous important, me dit-il, avec le délégué spécial de Moscou. Question de fonds pour la propagande. » J’errais donc dans le kolossal magasin, m’efforçant de me faire comprendre des vendeuses. Soudain, j’eus l’impression que quelqu’un était derrière moi, sur mes pas.

Je poursuivis ma promenade.

À l’aide d’une glace, d’un coup d’œil prompt, j’identifiai mon espion. C’était le redoutable camarade dont j’ai parlé, un type terrible à faconde dangereuse, qu’on voyait toujours souriant et qui faisait profession d’aimer beaucoup les « petites fâmes de Pariss ».

Avant reconnu mon persécuteur, je résolus de le semer. Je filai dans un rayon à droite, tournai à gauche, fis demi-tour, m’enfonçai dans un passage ; Vains efforts. Je le sentais toujours derrière moi. Alors, furieux, je me retournai brusquement et lui fis face.

— Tiens, dit-il, avec son sourire stéréotypé sur les lèvres, qu’est-ce que vous faites donc ici ?

— Et vous ? répliquai-je, brutalement.

Il mit un doigt sur ses lèvres :

— Service particulier. Les magasins favorisent les rencontres et les complots.

Du coup, j’éclatai de rire au nez du camarade un peu interloqué. L’animal s’imaginait que j’étais venu là pour y trouver quelqu’un, un complice, et que je me lançais dans quelque obscure conspiration… Quand ma crise d’hilarité fut calmée, j’expliquai :

— Voyez-vous, je cherche seulement une poupée….

— Une poupée !

— Oui… pour ma gamine qui a dix ans… Vous allez m’aider.

Aimablement, il se mit à ma disposition, me conduisit au rayon des jouets où je fis emplette. Puis il m’amena à la brasserie où d’autres camarades attendaient. Il avait l’air assez déconfit.

Ce même soir, R… me disait :

— Je ne comprends pas du tout ce qui a pu pousser les camarades russes à précipiter ainsi les événements ? Pourquoi ce coup de main révolutionnaire ? Le moment était mal choisi. Rien ne pouvait réussir..

Il ajoutait :

— À moins que…

— Que veux-tu dire ?

— Voilà. Ça marche très mal à Moscou. On se plaint. La Révolution mondiale se fait attendre. Alors, pour redonner du courage et de l’enthousiasme aux fidèles, un petit mouvement révolutionnaire était tout indiqué.

— Et c’est pour ça qu’ils ont envoyé Bela Kun ?

— C’est pour ça. Bela Kun est un des techniciens de la Révolution. Il opère un peu partout. Il connaît le travail. Avec ça, têtu et d’une résistance formidable. En Hongrie, les soldats l’avaient jeté à terre, dans sa cellule, et, à coups de crosse de fusil, cognaient sur sa tête… Il en a réchappé. Il a le crâne extraordinairement solide.

— Tout de même, faire massacrer de pauvres diables d’ouvriers pour une manœuvre politique…

À ces mots, R… regarda autour de lui avec inquiétude.

— Chut !… Pas si haut… Et, surtout, oublie ce que je t’ai dit. Ils n’auraient qu’à savoir.

Mais je n’ai rien oublié. J’ai même eu l’occasion de méditer là-dessus. Incontestablement, ce mouvement révolutionnaire qu’on savait devoir n’être qu’un fiasco sanglant aura été voulu, organisé, lancé par les dirigeants soviétiques, pour servir de diversion. Il y avait des cadavres, du sang, des catastrophes. Mais est-ce que ça compte !

Je résolus de quitter Berlin. Cela faisait trois semaines d’absence. J’en avais assez de leur putsch, de leurs espions, de leurs combinaisons. Et puis, pécuniairement, j’étais à bout de mon rouleau.

D’accord avec R…, nous prîmes le train pour Cologne. J’adressai à Frossard, Paris, une carte postale, sur laquelle j’écrivis ce simple mot : « Ouf ! »

De Cologne où nous passâmes deux journées, un autre train devait nous conduire au Luxembourg. Après, ça irait tout seul. Mais, muni, en tout et pour tout d’une vieille carte électorale, j’étais un peu inquiet. R… me rassura.

— Bah !… Rien de plus facile à la frontière. Tu verras, il n’y aura qu’à glisser un billet de dix francs au gabelou et il te donnera un droit d’entrée.

En attendant, le bon camarade m’avait pris à part dans le train et m’avait expliqué, non sans quelque embarras :

— Voilà. Je viens de toucher de l’argent pour le journal et pour la propagande… des liasses de marks… Mais l’on me connaît trop au Luxembourg. Ces gens-là sont capables de vouloir me fouiller… Alors, tu comprends ?…

— Que faire ?

— Tu devrais prendre quelques liasses sur toi… Ce sera autant de moins que j’aurai. Tu me les rendras lorsque nous serons arrivés.

Sans réfléchir, j’acquiesçai. Je pris des poignées de marks. J’en fourrai dans les poches de mon veston, dedans, dehors, dans mon gilet, dans ma chemise. J’étais tapissé de papier-monnaie. De plus je portais, dans une petite valise, une boîte de cigares excellents et je tenais de l’autre main la poupée, la fameuse poupée de Nuremberg.

Le train s’ébroua à la gare-frontière. Tout le monde descend ! Nous pénétrâmes dans un petit bureau. Je tendis mon coupon de dix francs à un employé, avec ma vieille carte d’électeur. Sans le moindre étonnement, il griffonna je ne sais quoi sur ma carte et me la rendit. Le tour était joué. Il n’y avait plus qu’à prendre le tacot qui conduisait au Luxembourg.

Ces fonctionnaires du Grand-Duché me paraissaient délicieux.

À ce moment, un monsieur à casquette et à galons s’approcha de moi :

— Montrez vos papiers.

Hein ! Je tendis, un peu anxieux, ma carte.

— Vous n’avez pas autre chose ?

— Non… Mais, en France, c’est notre pièce d’identité.

— Possible… Ici, ça ne suffit pas… Voyons, pas de photographies, rien ?

Je dus avouer, penaud :

— Rien.

— Alors, désolé. Vous n’entrerez pas…

— Mais j’ai payé !

— Qu’à cela ne tienne… On va vous rendre votre argent. Et vous reprendrez le train qui vous reconduira à Trèves.

J’eus beau parlementer, m’efforcer de fléchir ce haut fonctionnaire. Rien à faire. Furieux, je menaçai. Alors, le galonné, entêté, me fit jeter dans une salle et plaça deux factionnaires à la porte. J’étais pris.

Je me mis à songer, soudain, à mes liasses de marks.

Pourvu qu’on ne s’avisât point de me fouiller. Je serais propre.

Au bout de quelques heures, le haut fonctionnaire m’envoya chercher.

— C’est à vous cette boîte de cigares… Et cette poupée ?

— C’est à moi… Je l’apporte de Berlin.

— Bon… On vous renverra votre poupée… Nous gardons les cigares !… Et en route !… Vous avez de la veine d’avoir affaire à nous !… Vous vous en tirez à bon compte.

Il me poussa dans un wagon. R… prit place à côté de moi. Il ne voulait pas, disait-il, m’abandonner. En réalité, il pensait à ses marks.

À Trèves, dans la soirée, R…, très sombre, l’air préoccupé, me conduisit chez un camarade allemand, un fort bon garçon, ancien combattant qui habitait, avec sa jeune femme, un logement très propre d’ouvrier. R… expliqua l’aventure. Le camarade décida que nous resterions la nuit chez lui et que, le lendemain, nous aviserions.

Je passai une nuit assez pénible. Je commençais à comprendre qu’il était peut-être plus facile d’entrer en Allemagne que d’en sortir. D’autant qu’après le mouvement révolutionnaire qui venait d’avorter, on devait surveiller la frontière. Et moi qui, sans la moindre hésitation, avais signé des appels furieux, des manifestes incendiaires. Si jamais les autorités militaires mettaient la main sur moi, ça allait faire du joli !

Après le déjeuner, on tint une sorte de conseil de guerre auquel assistait un deuxième camarade, celui-là chauffeur de taxi. Il fut décidé que je demeurerais caché toute la journée et que, le soir venu, on agirait. R… m’expliqua son plan.

— Nous allons nous rendre dans un petit village, à quelques kilomètres d’ici, sur la Moselle… Nous louerons une barque et, vers les minuit, nous traverserons la rivière.

— Il n’y a pas de danger ?

— Je ne pense pas… Les nuits sont noires. Les douaniers sont occupés ailleurs… Avec un peu de chance !… Et puis, pas moyen de faire autrement.

La journée s’étira lentement, lentement. Enfin, vers les huit heures du soir, le camarade chauffeur vint nous chercher. Nous grimpâmes dans le taxi, et en avant, vers l’aventure.

Et je vous assure que ce qui suit n’est pas du roman-feuilleton.


V.


Minuit sonnait au beffroi de ce petit village qui faisait face à la rivière.

Minuit. L’heure des crimes, des escapades amoureuses et de la sortie des théâtres. Nous étions là, assis devant une table boiteuse, absorbant des petits verres d’alcool pour nous donner du mordant. Le camarade allemand parlementait avec un batelier qui louchait, de temps en temps, vers moi, hochait la tête sans que je pusse discerner s’il approuvait ou non son interlocuteur.

Enfin l’homme poussa la porte, passa au dehors. Le camarade allemand, tout souriant, expliqua l’affaire à R… qui me dit :

— Ça y est… Il marche.

Nous attendîmes un long instant encore. Le chauffeur vidait silencieusement ses petits verres. Et ça commençait vraiment à me paraître monotone. Imaginez une salle basse, au plafond enfumé, quelques tables et quelques chaises, une rouge commère au comptoir poisseux. Dehors, le silence, inquiétant, trop solennel. Je songeais à Paris, aux boulevards… je me voyais, hélant un taxi :

— Hep !…. Place Denfert !…

Malheur ! nous nous trouvions dans un infâme petit cabaret de village, rongés par l’anxiété.

La porte s’ouvrit soudain et le batelier apparut. Il fit un signe. Nous nous précipitâmes sur la route.

Le ciel était chargé d’épais nuages par où filtrait timidement un peu de lune glauque. La nuit était tiède et des grillons chantaient. Décor romantique. Nous commencions le premier chapitre du feuilleton.

Le batelier prit la tête, pendant que le chauffeur remontait sur sa bagnole en compagnie de R… et s’engageait sur le pont, en aval. La voiture devait nous reprendre sur l’autre rive, en terre luxembourgeoise. En attendant, il nous fallait, le camarade allemand et moi, enjamber un mur derrière notre guide, et nous orienter, tant bien que mal, sur la berge inclinée qui filait vers le fleuve par paliers. Le ciel, comme par une sorte de complicité, était devenu comme de l’encre.

Tout à coup, un bruit de chute, un cri étouffé. Et voici que moi-même je perds pied, et me sens tomber dans un trou parmi de la verdure. Je me relève avec quelques égratignures aux mains, complètement ahuri. Mais, à mes genoux, une plainte. Je me penche vers le camarade allemand qui geint sourdement. N… de D… ! Est-ce que, par hasard, il se serait cassé une jambe ?

Je l’aide, tant bien que mal, à se remettre debout. Il s’appuyait lourdement contre mon épaule, avançait lentement… Pauvre type ! Nous formions, dans la nuit, un couple symbolique et attendrissant. Dire que la veille, le camarade nous avait conté avoir fait la guerre, tout un hiver, à Berry-au-Bac, juste en face du coin où je me trouvais. Et nous étions là, tous deux, moi le Français et lui, l’Allemand, réconciliés, fraternels, l’un soutenant l’autre !…

Le batelier nous appela d’une voix rauque et, avec un effort, le camarade se hissa dans la barque. Je pris place à ses côtés. Nous voilà, filant silencieusement, lugubrement sur l’eau. Une coulée de lumière pâle nous désignait la rive sombre, en face. C’était sinistre et délicieux Je pensais à Venise, à des gondoles sans chimères. Joyeuse promenade nocturne sous la lune capricieuse qui jouait à cache-cache !

La barque glissait toujours sans bruit. La rive venait vers nous, massive et fantômale. Encore quelques secondes. Nous y voici. Nous sautons légèrement sur le sol et nous aidons le blessé à se hisser hors de la barque.

Un talus à grimper et nous sommes sur la route. Sauvé, mon Dieu ! Soudain, deux grands spectres, immenses, tout noirs dans le noir ! Ils se dressent devant nous comme deux statues de pierre. Et j’entends une voix menaçante :

— Passeports !…

Ah ! tonnerre !… Les douaniers ! Ils nous ont repérés. Ils nous ont attendus là, tranquillement, pour nous cueillir.

Zut ! Je n’en sortirai décidément jamais de cette sotte aventure. Et je ne sais que répondre. Le batelier a disparu, sans un mot (j’ai soupçonné depuis cet animal d’être allé prévenir l’ennemi, après avoir empoché notre galette). Le camarade sort ses papiers de sa poche, s’explique longuement avec les autorités. Puis, l’un des deux spectres s’adresse à moi :

— Vous n’avez pas de passeport ?

Je réplique, rageur :

— Non.

— Et vous vouliez passer le fleuve… dans quel but ?

— C’est mon affaire.

L’homme fait un geste comme pour désigner je ne sais quel objet vers le pont et il articule :

— Cette voiture ?… C’était pour vous ?

Je ne réponds rien. Stupide, je cède à la fatalité, L’un des douaniers m’a saisi le bras et m’entraîne. Je le suis sans résistance. Et voici que s’avancent à notre rencontre le chauffeur et R… Nouvelles explications en langue allemande, auxquelles je ne comprends goutte. Tentative de corruption. R… a sorti son portefeuille, Il offre des cigares. Mais le douanier luxembourgeois est, paraît-il, un homme de devoir. Il secoue la tête et me pousse en avant.

Nous sommes sur le pont. On m’a jeté dans une salle étroite que décorent deux chaises et un lit de camp. Je suis prisonnier. Autour de moi, les autres s’agitent. Désarroi complet. R… me dit :

— Ils ont avisé le poste plus loin… On est allé chercher le lieutenant.

Je me laisse tomber sur un escabeau. Me voilà dans de jolis draps.

Brusquement, en tâtant mes poches, je me souviens que je suis tapissé de marks presque des pieds à la tête. Un tremblement monte le long de mon échine. S’ils s’avisent d’explorer mes poches ! Je subodore d’ici le scandale : « Un agitateur communiste arrêté à la frontière !… Le camarade Méric transportait de l’argent boche !… Grand complot… L’or bolcheviste !… », Cette fois, je suis fichu, déshonoré..

Et comment me tirer de là ?… J’ai presque envie de me précipiter sur les deux fonctionnaires impassibles, de les rudoyer, de m’esquiver à toutes jambes sur le pont. Avec un peu de promptitude et de décision !… Après tout, nous sommes quatre hommes résolus et la voiture peut nous mener loin…

Trop tard !… Le lieutenant vient d’apparaître avec une escorte d’agents en bourgeois. Il est furieux, le lieutenant. On l’a tiré de son lit, en plein sommeil.

Immédiatement, il m’interroge :

— Qu’est-ce que cette histoire ?… D’où venez-vous ? Que voulez-vous ?

Je le contemple, un peu amusé, en dépit de la situation. Il est burlesque à souhait, ce brave lieutenant. Une moustache hérissée, des yeux rieurs, l’air d’un Croque-mitaine bon enfant, il me rappelle les héros de la Grande Duchesse. J’ai, au bout des lèvres, un refrain :


Voici le sabre… le sabre !…
Voici le sabre de ton père !…


Il faut répondre, cependant. Je dis au lieutenant qui s’exprime très correctement en français :

— Voici… Je viens de me promener en Allemagne… J’ai perdu mes papiers dans une chambre d’hôtel.

À la fois souriant et rébarbatif, Croque-mitaine secoue la tête :

— Mauvais… très mauvais… Pourquoi n’avoir pas pris le train ?

— On m’a arrêté à la gare… On m’a obligé à revenir sur mes pas.

Il tire sur ses moustaches, très soucieux. Il est visible que cette affaire l’embête profondément. On n’aime pas beaucoup les histoires dans le grand-duché. Là-dessus R… l’entreprend. Il parle, il parle, en allemand, avec une extraordinaire volubilité. Le lieutenant écoute, l’air de plus en plus perplexe. Un des agents en bourgeois me demande :

— Vous n’avez pas d’armes ?

Je sursaute. Celui-là est capable de me fouiller. Dans quel guêpier suis-je tombé ?

Mais sur un geste de dénégation, l’agent se tient coi. Le lieutenant tire toujours sur ses moustaches. Plus un mot. Nous sommes, les uns et les autres, dans une situation absolument ridicule. Je bâille. Ils bâillent tous. Et le temps qui s’émiette. L’aube qui pointe. À la fin, j’en ai assez… j’en ai même trop. Je m’adresse au lieutenant qui roule des yeux effarés.

— Vous voulez savoir qui je suis ?

— Qui êtes-vous donc ?

— Un communiste français… parfaitement… rédacteur à L’Humanité.

Il a comme un soupir de soulagement.

— Communiste… vous êtes communiste… Alors c’est de la politique, ça !… Ça ne nous regarde pas, ça !…

Et, brutalement :

— Allez-vous-en… Vite !… Filez !… Que je ne vous voie plus !

Il ne le répète pas deux fois. Nous sommes déjà dans la voiture. Au revoir, mon lieutenant !

Comment, j’ai pu passer tout de même la frontière ? Avec la plus grande simplicité, en plein jour, sans anicroches. D’abord, après échange de vue, nous avions décidé de reprendre la bagnole, d’emprunter un autre pont et, au cas où l’on s’opposerait à notre passage, d’user du browning. C’est comme je vous le dis. Nous étions prêts à tout. Un rien et nous allions peut-être — mais non, nous n’en avons pas la moindre envie — jouer les Bonnot et les Garnier.

Nous n’avons pas fait usage de nos revolvers. Nous n’avons pas gâché nos balles. Seulement, une poignée de marks. Le douanier nous a salués respectueusement.

Enfin ! Nous y voilà dans ce sacré Luxembourg. Les camarades allemands nous quittent avec force démonstrations d’amitié et, munis de passeports, s’en retournent chez eux. R… et moi, nous montons dans un tacot qui nous conduit chez le père du communiste luxembourgeois, un brave type de gentleman fermier, grand chasseur et grand mangeur devant l’Éternel. Repas plantureux, gibier, vins de Bourgogne.

J’ai rendu ses liasses de marks à R… Je l’ai vu qui, discrètement, refilait le paquet à son brave homme de père, lequel le plaçait délicatement, soigneusement, dans un tiroir fermé à triple clef. La propagande n’y perdra rien. Mais j’aime autant avoir les poches vides.

Le soir, dans la capitale du grand-duché, je prends le train qui me conduit à Differdange où je dois passer la nuit. Le lendemain, c’est la fête de Longwy. Les jours de fête, on circule à travers la frontière, sans papiers, sans explications. Une vraie chance !

Et, de nouveau, je foule le pavé de Paris. Me voilà loin de Bela Kun et de ses « kuneries », comme disait irrespectueusement Lénine. Me voilà loin des révolutionnaires en chambre, des fonctionnaires d’opéra-bouffe, libre d’aller, de venir, chez moi : chez Moi !

Conclusion. J’ai revu R… quelques mois après, à Paris. Il venait se plaindre au Comité directeur. L’Exécutif de Moscou avait décidé de rattacher le parti luxembourgeois au parti français. Mais le parti français ne donnait aucun subside. Rien n’allait plus. Pas d’argent, pas de Suisses… ni de Luxembourgeois. Du coup, le communisme a disparu du grand-duché.

Et cet excellent R… lui, a disparu de la circulation communiste.

Mais les voyages forment l’âge mûr. En somme, qu’ai-je rapporté de cette équipée ? Premièrement, la certitude que le terrible Bela Kun était un grotesque et que les révolutions ne se déroulaient pas du tout comme dans les livres. Secondement, que le communisme pouvait bien n’être qu’une vaste fumisterie.

Et j’ai laissé pas mal d’illusions. Plus, à la gare frontière de Luxembourg, une superbe poupée, une innocente poupée de Nuremberg.



  1. Ces lignes étaient écrites à l’heure où Bela Kun était emprisonné, en juillet 1928.