À valider

Éléments de la philosophie de Newton/Édition Garnier/Partie 3/Chapitre 5

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CHAPITRE V.
Démonstration des lois de la gravitation, tirée des règles de Kepler ; qu’une de ces lois de Kepler démontre le mouvement de la terre. — Grande règle de Kepler. Fausses raisons de cette loi admirable. Raison véritable de cette loi, trouvée par Newton. Récapitulation des preuves de la gravitation. Ces découvertes de Kepler et de Newton servent à démontrer que c’est la terre qui tourne autour du soleil. Démonstration du mouvement de la terre, tirée des mêmes lois.

Kepler trouva encore cette admirable règle, dont je vais donner un exemple avant que de donner la définition, pour rendre la chose plus sensible et plus aisée.

Jupiter a quatre satellites qui tournent autour de lui ; le plus proche est éloigné de 2 diamètres de Jupiter et 5 sixièmes, et il fait son tour en 42 heures; le dernier tourne autour de Jupiter en 402 heures ; je veux savoir à quelle distance ce dernier satellite est du centre de Jupiter. Pour y parvenir je fais cette règle : Comme le carré de 42 heures, révolution du premier satellite, est au carré de 402 heures, révolution du dernier, ainsi le cube de 2 diamètres et 5 sixièmes est à un quatrième terme. Ce quatrième terme étant trouvé, j’en extrais la racine cube ; cette racine cube se trouve 12 et 2 tiers ; ainsi je dis que le quatrième satellite est éloigné du centre de Jupiter de 12 diamètres de Jupiter et 2 tiers.

Je fais la même règle pour toutes les planètes qui tournent autour du soleil. Je dis : Vénus tourne en 224 jours, et la terre en 365 ; la terre est à 30 millions de lieues du soleil ; à combien de lieues sera Vénus? Je dis : Comme le carré de l’année de la terre est au carré de l’année de Vénus, ainsi le cube de la distance moyenne de la terre est à un quatrième terme dont la racine cubique sera environ 21 millions 700,000 lieues, qui font la distance moyenne de Vénus au soleil ; j’en dis autant de la terre et de Saturne, etc.

Cette loi est donc que le carré d’une révolution d’une planète est toujours au carré des révolutions des autres planètes comme le cube de sa distance est aux cubes des distances des autres au centre commun.

Kepler, qui trouva cette proportion, était bien loin d’en trouver la raison. Moins bon philosophe qu’astronome admirable, il dit (au IVe livre de son Epitome) que le soleil a une âme, non pas une âme intelligente, animum, mais une âme végétante, agissante, animam ; qu’en tournant sur lui-même il attire à soi les planètes ; mais que les planètes ne tombent pas dans le soleil, parce qu’elles font aussi une révolution sur leur axe. En faisant cette révolution, dit-il, elles présentent au soleil tantôt un côté ami, tantôt un côté ennemi : le côté ami est attiré, et le côté ennemi est repoussé ; ce qui produit le cours annuel des planètes dans des ellipses.

Il faut avouer, pour l’humiliation de la philosophie, que c’est de ce raisonnement, si peu philosophique, qu’il avait conclu que le soleil devait tourner sur son axe : l’erreur le conduisit par hasard à la vérité ; il devina la rotation du soleil sur lui-même plus de quinze ans avant que les yeux de Galilée la reconnussent à l’aide des télescopes.

Kepler ajoute, dans son même Epitome, page 495, que la masse du soleil, la masse de tout l’éther, et la masse des sphères des étoiles fixes, sont parfaitement égales, et que ce sont les trois symboles de la très-sainte Trinité.

Le lecteur qui, en lisant ces éléments, aura vu de si grandes rêveries à côté de si sublimes vérités, dans un aussi grand homme que Kepler, dans un aussi profond mathématicien que Kircher, ne doit point en être surpris ; on peut être un génie en fait de calcul et d’observations, et se servir mal quelquefois de sa raison pour le reste ; il y a tels esprits qui ont besoin de s’appuyer sur la géométrie, et qui tombent quand ils veulent marcher seuls. Il n’est donc pas étonnant que Kepler, en découvrant ces lois de l’astronomie, n’ait pas connu la raison de ces lois[1].

Cette raison est que la force centripète est précisément en proportion inverse du carré de la distance du centre de mouvement, vers lequel ces forces sont dirigées : c’est ce qu’il faut suivre attentivement. Il faut bien entendre qu’en un mot cette loi de la gravitation est telle que tout corps qui approche trois fois plus du centre de son mouvement gravite neuf fois davantage ; que, s’il s’éloigne trois fois plus, il gravitera neuf fois moins ; et que s’il s’éloigne cent fois plus, il gravitera dix mille fois moins.

Un corps se mouvant circulairement autour d’un centre pèse donc en raison inverse du carré de sa distance actuelle au centre, comme aussi en raison directe de sa masse ; or, il est démontré que c’est la gravitation qui le fait tourner autour de ce centre, puisque, sans cette gravitation, il s’en éloignerait en décrivant une tangente. Cette gravitation agira donc plus fortement sur un mobile qui tournera plus vite autour de ce centre ; et plus ce mobile sera éloigné, plus il tournera lentement, car alors il pèsera bien moins.

Voilà donc cette loi de la gravitation, en raison du carré des distances, démontrée :

1° Par l’orbite que décrit la lune, et par son éloignement de la terre, son centre ;

2° Par le chemin de chaque planète autour du soleil dans une ellipse ;

3° Par la comparaison des distances et des révolutions de toutes les planètes autour de leur centre commun.

Il ne sera pas inutile de remarquer que cette même règle de Kepler, qui sert à confirmer la découverte de Newton touchant la gravitation, confirme aussi le système de Copernic sur le mouvement de la terre. On peut dire que Kepler, par cette seule règle, a démontré ce qu’on avait trouvé avant lui, et a ouvert le chemin aux vérités qu’on devait découvrir un jour. Car, d’un côté, il est démontré que si la loi des forces centripètes n’avait pas lieu, la règle de Kepler serait impossible ; de l’autre, il est démontré que, suivant cette même règle, si le soleil tournait autour de la terre, il faudrait dire : Comme la révolution de la lune autour de la terre en un mois est à la révolution prétendue du soleil autour de la terre en un an, ainsi la racine carrée du cube de la distance de la lune à la terre est à la racine carrée du cube de la distance du soleil à la terre. Par ce calcul, on trouve que le soleil n’est qu’à 510,000 lieues de nous ; mais il est prouvé qu’il en est au moins à environ 30 millions de lieues ; ainsi donc le mouvement de la terre a été démontré en rigueur par Kepler. Voici encore une démonstration bien simple, tirée des mêmes théorèmes.

Si la terre était le centre du mouvement du soleil, comme elle l’est du mouvement de la lune, la révolution du soleil serait de 475 ans, au lieu d’une année : car l’éloignement moyen où le soleil est de la terre est à l’éloignement moyen où la lune est de la terre, comme 337 est à 1. Or, le cube de la distance de la lune est 1 ; le cube de la distance du soleil 38,272,753 : achevez la règle, et dites : Comme le cube 1 est à ce nombre cube 38,272,753, ainsi le carré de 28, qui est la révolution périodique de la lune, est à un quatrième nombre ; vous trouverez que le soleil mettrait 475 ans, au lieu d’une année, à tourner autour de la terre : il est donc démontré que c’est la terre qui tourne.

Il semble d’autant plus à propos de placer ici ces démonstrations qu’il y a encore des hommes destinés à instruire les autres en Italie, en Espagne, et même en France, qui doutent, ou qui affectent de douter du mouvement de la terre.

Il est donc prouvé, par la loi de Kepler et par celle de Newton, que chaque planète gravite vers le soleil, centre de l’orbite qu’elles décrivent : ces lois s’accomplissent dans les satellites de Jupiter par rapport à Jupiter, leur centre ; dans les lunes de Saturne, par rapport à Saturne ; dans la nôtre, par rapport à nous : toutes ces planètes secondaires, qui roulent autour de leur planète centrale, gravitent aussi avec leur planète centrale vers le soleil ; ainsi la lune, entraînée autour de la terre par la force centripète, est en même temps attirée par le soleil, autour duquel elle fait aussi sa révolution. Il n’y a aucune variété dans le cours de la lune, dans ses distances de la terre, dans la figure de son orbite, tantôt approchante de l’ellipse, tantôt du cercle, etc., qui ne soit une suite de la gravitation en raison des changements de sa distance à la terre, et de sa distance au soleil.

Si elle ne parcourt pas exactement dans son orbite des aires égales en temps égaux. M. Newton a calculé tous les cas où cette inégalité se trouve : tous dépendent de l’attraction du soleil ; il attire ces deux globes en raison directe de leurs masses, et en raison inverse du carré de leurs distances. Nous allons voir que la moindre variation de la lune est un effet nécessaire de ces pouvoirs combinés.


  1. On n’avait aucune idée, du temps de Kepler, des méthodes de calculer le mouvement dans les lignes courbes. Il supposa que les planètes décrivaient des ellipses autour du soleil, parce qu’étant attirées par cet astre, elles avaient un mouvement de progression. Il l’appela mouvement animal, parce qu’il ne savait pas qu’un corps qui ne rencontre point d’obstacle continue de se mouvoir indéfiniment en ligne droite ; il croyait que, dans ce cas, il fallait de temps en temps une force nouvelle, et il supposait cette force résidente dans les planètes mêmes. Cette seconde hypothèse n’est pas ridicule comme celle des côtés amis et ennemis. (K.)