Émile Nelligan et son œuvre/Pastels et Porcelaines/Le Soulier de la morte

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LE SOULIER DE LA MORTE




Ce frêle soulier gris et or,
Aux boucles de soie embaumée,
Tel un mystérieux camée,
Entre mes mains, ce soir, il dort.

Tout à l’heure je le trouvai
Gisant au fond d’une commode…
Petit soulier d’ancienne mode,
Soulier du souvenir… Ave ! —

Depuis qu’elle s’en est allée,
Menée aux marches de Chopin,
Dormir pour jamais sous ce pin
Dans la froide et funèbre allée,


Je suis resté toute l’année
Broyé sous un fardeau de fer,
À vivre ainsi qu’en un enfer,
Comme une pauvre âme damnée.

Et maintenant, cœur plein de noir,
Cette vigile de décembre,
Je le trouve au fond de ma chambre,
Soulier que son pied laissa choir.

Celui-là seul me fut laissé,
L’autre est sans doute chez les anges…
..............
Et moi je cours pieds nus la fange…
Mon âme est un soulier percé.