Émile Verhaeren (Léon Bazalgette)

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E. Sansot & Cie (Les Célébrités d’aujourd’hui).


LES CÉLÉBRITÉS D’AUJOURD’HUI






Émile Verhaeren



PAR



LÉON BAZALGETTE






PARIS
BIBLIOTHÈQUE INTERNATIONALE D’ÉDITION
E. SANSOT & Cie
7, RUE DE l’ÉPERON, 7



1907



ÉMILE VERHAEREN




Un monde s’est, par de brusques saccades ou d’invisibles métamorphoses, renouvelé des assises au faîte. Toutes les conditions de la vie ont changé. La conscience de l’homme s’est modifiée. À travers aujourd’hui, nous avons le sentiment de vivre un recommencement d’humanité.

Dédaigneux de notre âge et de ses travaux, des poètes ont persisté cependant à susurrer leurs lointaines petites chansons, satisfaits de prolonger sur leur chalumeau l’écho parfait des flûtes anciennes : cela, en face du monde énorme en renouveau, d’un pôle à l’autre agissant et frémissant, si colossalement beau de labeur et d’effort. Les électricités qui parcourent la planète ne les ont pas touchés. Ils n’ont pas rajeuni leurs thèmes. Aussi sont-ils demeuré étonnamment au-dessous des réalités qui de toute part les confrontent.

Si bien que le monde ne les comprend plus et serait tout disposé à légèrement en conclure que la poésie n’aura point de place dans la cité d’industrialisme, de machinisme et de démocratie qui s’élabore. Jusqu’au jour où de la cohorte dolente aux gestes anachroniques, et sans qu’on y prenne garde tout d’abord, un homme se détache qui s’efforce de traduire l’exaltation dont il est la proie en face d’un tel spectacle. C’est que celui-là a senti passer en lui le frisson d’une beauté nouvelle et qu’il s’est éprouvé une parcelle de ce tout monstrueux et splendide. D’exilé il s’affirme un conquérant. Alors un poète moderne a surgi, et, s’il est assez puissant pour s’égaler à son âge, il en deviendra réellement l’un des éclaireurs.

Ce fut longtemps une habitude de ne citer Émile Verhaeren que comme un nom dans une liste de noms. Il semblait qu’on eut alors tout dit et qu’il fut de ceux-là qui ne valent qu’en tas. Déplorablement cette manie, en des milieux, perdura. Et l’on croirait parfois, à écouter certains jugements, que le poète n’a pas une individualité assez nette pour qu’on puisse l’extraire d’un groupe fameux, — aujourd’hui dispersé et légendaire — et le considérer lui seul, sans souci des écoles et des confréries ! La nullité d’un tel point de vue est éclatante.

Qu’il se soit opéré, à telle époque, un rapprochement de volontés d’art en vue d’affirmer de nouvelles tendances, ceci regarde l’histoire littéraire et nous indiffère ici. Qu’il y ait, à l’heure présente, un Verhaeren, envisagé dans ses origines, son labeur, ses impulsions et surtout son tempérament, — complètement à part d’un mouvement avec lequel on s’obstine à le confondre — voilà ce qui seul nous importe. Et qu’on ne nous accuse pas pour cela d’un manque de considération et d’estime envers la génération qui reconnut pour chefs les Moréas, les de Régnier, les Vielé-Griffin et les Kahn, sous le consulat de Mallarmé. Elle a joué sa partie dans l’ensemble du travail poétique au XIXe siècle, ce pourquoi il lui sera rendu justice un jour exactement. Quoi qu’il en soit, l’un de ses mérites incontestables fut le catholicisme de ses admirations. Rappelant à cet égard les romantiques, elle n’a jamais eu peur d’affirmer ses sympathies ferventes, et même exclusives, pour des « exotiques », comme disait feu Sarcey. Nous devons toujours lui savoir gré amplement d’avoir, dans l’universel silence, accueilli, exalté un Verhaeren, et contribué pour une forte part à la popularité d’un Maeterlinck et d’un Ibsen. Cette clairvoyance et ce courage, personne ne songe à les lui contester. Mais lui appartiendrait-il, en échange, de retenir, d’accaparer, de monopoliser, de s’annexer une individualité qui dépasse, non seulement de la tête mais du torse entier, tous les groupes et qui se signale de loin par quelque chose d’intimement personnel et d’absolument unique, quelque chose d’immense que j’essaierai de suggérer et qui formera même l’invisible fond de cette étude ?

Un Verhaeren ne peut être jugé que d’après cet unique étalon : lui-même.

Verhaeren est avant tout une sensibilité en concordance avec son temps. Il s’est mesuré avec le monstre et il est sorti vainqueur de la rencontre. Ce trait seul suffirait à le distinguer des poètes contemporains dont aucun, je crois, n’a tenté l’aventure en grand. De plus, par ce qu’il a su faire entrer d’universel en son art — tout en laissant parler en lui sa race, à voix très haute — il déborde les limites d’une patrie ou de deux, comme il échappe aux formules et aux coteries. Dans son œuvre les horizons sont illimités. Individualité à tendances mondiales, le poète des Villes Tentaculaires ne s’est pas contenté pour lot d’un enclos. Vastes furent ses appétits, amples ses curiosités. Il a des accents qui, de New-York à Moscou, feront vibrer les mêmes fibres intra-humaines. Aussi son nom s’est-il imposé largement au dehors. Nul autre poète de langue française n’éveille, à l’heure présente, autant d’échos par à travers la grande conscience européenne ou occidentale. Si ses racines ont puisé leur nourriture première aux limons de l’Escaut, qui pourrait dire, après que l’arbre a tellement grandi, à quelle province plutôt qu’une autre appartiennent les rameaux touffus de son feuillage ?

Il est peut-être temps aujourd’hui de reconnaître la situation qu’occupe en réalité Verhaeren et de clairement l’affirmer.

C’est à ce point de vue surtout, — moderne, européen, universel, — que nous envisagerons son œuvre ici. C’est dire que nous accorderons plus d’attention à la seconde partie qu’à la première, au Verhaeren des dix années dernières qu’au Verhaeren antérieur, dont le nom se trouva mêlé pour le renier ou l’exalter, à tant de polémiques d’art, d’un intérêt maintenant contestable. Qu’on ne voie en ceci nul injuste dédain de sa période première, mais uniquement l’affirmation d’un point de vue.

Et si, également j’abandonne à de plus experts l’examen des questions de métrique et de prosodie, c’est pour m’occuper du Verhaeren essentiel qui, à travers la prose, le vers libre ou l’alexandrin, s’offre à nous avec ses fièvres, ses tortures, son exaltation, ses espoirs et ses conjectures, et la merveilleuse foi nouvelle qui dore les cimes de son œuvre. De ce Verhaeren-là il fut peut-être moins parlé jusqu’ici, mais c’est celui qui aura devant l’avenir l’importance d’un précurseur, d’un révélateur.


Le bourg de Saint-Amand, où Émile Verhaeren naquit le 21 mai 1855, se trouve situé à l’intersection de la Flandre orientale, de la province d’Anvers et du Brabant, au bord de l’Escaut, qui domine toute la contrée. À l’horizon des plaines vastes, balayées par les vents, s’érigent les clochers des villes et des villages, qui seuls en rompent l’uniformité. Dissimulés jusqu’au poitrail dans l’herbe grasse des prairies annuellement fécondées par le fleuve, errent des bestiaux. Et par delà les digues, ce sont de grandes voiles qui passent, dorées par le soleil ou rougeoyantes au crépuscule… Toute l’enfance du poète s’est écoulée en ce paysage âpre et magnifiquement triste, qui le façonna pour jamais. Verhaeren est un enfant de l’Escaut et les approches de la mer du Nord l’ont sacré.

Près d’un carrefour où passe la grand’route de Termonde à Anvers, la maison familiale dressait sa large façade. Par la rue d’en face qui aboutissait au fleuve, on pouvait, des fenêtres, voir passer les bateaux érigeant leur mâture. Un grand Christ, à un angle de la place, exposait ses plaies violacées ; et les jours de procession, on dressait là un reposoir autour duquel, parmi les angelots blonds porteurs de palmes, l’enfant défilait.

La maisonnée se composait, hormis le père du poète et sa mère, née Adèle Debock, du frère de celle-ci — dont l’usine crachait ses fumées non loin du logis, — et de sa sœur, Amélie Debock, une tante pour laquelle l’enfant éprouva une tendresse très vive. Ces Debock, qui étaient du pays et qui en étaient fiers — (leur mère venait d’Herenthals et avait nom Lepaige, nom sans doute révélateur d’une origine française) traitent amicalement « d’étranger » Gustave Verhaeren, le père d’Émile, qui était de Bruxelles où son père avait conquis une honnête aisance en vendant du drap dans une boutique de la rue de l’Écuyer. Il vivait à Saint-Amand en rentier de village. Les Verhaeren néanmoins venaient probablement de Hollande. Dans la famille, — exception curieuse — on ne parlait que le français et les bonnes étaient liégeoises : le flamand qu’il ne sut jamais, le poète ne s’y essaya qu’à sept ans, avec le maître d’école du village, M. Ch. Mertens.

Grâce au livre délicieux que Verhaeren a consacré à ses souvenirs d’enfance, nous savons quelle existence de liberté et de nature fut la sienne jusqu’aux heures noires et inévitables de l’internat. Derrière la maison s’enfonçait un grand jardin où le bambin passait le meilleur de son temps. Chacun des jardins de notre enfance est un univers. Il y avait dans celui-ci les massifs récéleurs d’ombre mystérieuse, les grands arbres au sommet balancé dans le vent, l’étang avec ses poissons : mais on y voyait surtout, se promenant sur les pelouses ou dans les allées, deux couples d’étranges volatiles, des paons et des demoiselles de Numidie, dont les lents mouvements et l’exotique plumage exerçaient une puissante fascination sur l’enfant. Ces oiseaux résumaient pour lui et le Paradis terrestre et les bêtes fantastiques qu’énumérait l’histoire sainte. Et le jardin, au reflet de leurs ailes, s’emplissait de féerie. Premières nostalgies, premiers rêves dardés ! Quand l’oncle Debock recevait ses amis d’Anvers, des armateurs, qui parlaient de leurs navires en route sur les mers lointaines, l’enfant les écoutait, immobile et fiévreux, et à travers sa songerie puérile s’exacerbaient des soifs de départ et d’aventure en des terres merveilleuses et indicibles.

Pour l’instant les seules aventures — et combien attrayantes déjà ! — c’était lorsqu’on partait en bande, entre cousins ou camarades, pour des expéditions en dehors du bourg, loin, très loin, vers les confins du monde… Dès qu’on avait dépassé les dernières maisons, on ôtait ses souliers et on courait pieds nus, comme des fous, vers les prés bordant l’Escaut, ou bien en maraude par les vergers pour s’emplir les poches de pommes conquises et pillées, bien plus savoureuses que celles qu’on entassait au logis dans la chambre aux fruits. Ah ! cette enfance de gamin de village, les folles équipées dont on se souvient toujours ! L’été c’était les baignades joyeuses en une crique de l’Escaut, sous le grand soleil, l’hiver le patinage.

Tels nos jeux s’exaltaient, libres et spontanés

On ne songeait à rien, sinon au flux de joie
Qui saisissait nos corps, comme des proies,
Et les marquait, superbement,

Pour la vie ample et violente


Le fils des bourgeois de Saint-Amand était l’ami des gens du village, entrait chez le maréchal ou le cordier, indispensables personnages, interrogeait le passeur d’eau, vivait en contact avec les hommes des petits métiers, dont il se souvint plus tard pour les exalter dans les Villages Illusoires, lui qui les avait connus, comme ses naturels compagnons, dès l’âge où ses pieds le portèrent.

Un petit être surgit de ces années, poussé dru comme une plante sauvage en plein terreau, volontaire et tendre, hardi et frémissant, avec des désirs fous, des angoisses soudaines, des fièvres de lointain et d’impossible. Quelque chose de cette jeune âme fervente se devine en un charmant portrait où le garçonnet, dont les yeux semblent déjà fixer un rêve, tient de sa main droite son beau chapeau à plumes des dimanches. Déjà le tressaillement des lourds camions sur la route de Termonde et le bruit sourd des pas qu’on entendait l’hiver, de la maison aux volets clos, pendant qu’on récitait les prières du soir, l’hallucinaient étrangement. Il avait une amie, elle s’appelait Céline de Cock et mourut tout enfant: tendresse première… Pendant des semaines de convalescence, il se souvenait d’avoir longuement regardé les gravures, d’après Rubens et Otho Vœnius, d’un Ancien Testament, légué par un de ses oncles chanoine qui habitait Saint-Amand et possédait une riche bibliothèque. Et l’enfant repassait déjà dans les livres à images les annales de sa race, apprenant les hauts faits du bon peuple héroïque des Flandres aux heures rouges et tumultueuses de son passé. Un petit Flamand grandissait tout près du cœur de la « terre des pères », comme dit Ulenspiegel. Plus tard, au temps de l’adolescence, les cabarets et les kermesses, prétextes à batailles entre gars amoureux et de sang trop riche, devaient mettre le sceau à son éducation de villageois des plaines de l’Escaut.

Le jeune Verhaeren fréquenta l’école communale de Saint-Amand jusqu’à sa première communion, qui eut lieu le 18 mars 1866, — date gravée sur le fermoir de son livre de communiant qu’il conserve comme une relique de son enfance. Il allait avoir onze ans et il était temps de songer à des études plus sérieuses. Alors c’est le départ pour Bruxelles et l’exil à l’Institut Saint-Louis, où il passa deux ans. Finie la belle vie de plein air et de vagabondage, réduite maintenant aux seuls mois de vacances que l’écolier venait passer sous le toit familial. Vers treize ou quatorze ans, il entre au collège Sainte-Barbe, à Gand, sur les bancs duquel viendront s’asseoir, quelques années après lui, Maeterlinck et Van Lerberghe. Leurs souvenirs à tous trois concordent absolument. Cet établissement de Jésuites avec son préau sinistre, ses couloirs sombres et étouffants aux aspects de pénitencier, et la science qu’y débitaient les « bons pères », leur a laissé les mêmes impressions lugubres excessivement.

De ces noires et banales années d’internat se lève pourtant un bon souvenir : l’amitié étroite qui unissait Émile Verhaeren à son condisciple Georges Rodenbach. Et ce fut sur les bancs du collège Sainte-Barbe, en troisième latine, que tous deux commencèrent à écrire des vers. Un professeur de seconde latine, le Père Volders, encourageait leurs essais, et les deux poètes de quinze ans passaient leurs vers à un de leurs camarades, leur aîné d’un an, — Edgar Patyn, plus tard écrivain flamand — qui s’instituait leur juge et critique. En ce milieu, Lacordaire, Chateaubriand et Lamartine étaient alors les dieux qui s’imposaient aux jeunes imaginations : Hugo demeurait encore, pour les Barbistes, marqué au front du signe des réprouvés et son nom, dans la bouche des plus hardis, avait une saveur de fruit défendu. Des élèves de seconde et de rhétorique avaient formé un club, l’ « Académie », qui, sous la tutelle des Pères, offrait des séances dominicales, au cours desquelles les jeunes humanistes présentaient des travaux de littérature ou d’histoire.

Qu’un enfant de sensibilité ardente et hanté de chimères n’ait pas souffert, peut-être même à son insu, entre les murs de cette noire jésuitière, cela n’est guère à présumer. En tous cas la discipline des Pères n’était pas toujours acceptée par lui sans sursauts de révolte, témoin le jour où, pour une injustice notoire et qui particulièrement l’exaspérait, ayant été mis au séquestre — cette cellule où l’on coffre les indisciplinés avec ordre de noircir des pages à l’infini — le doux collégien, pris d’un accès de fureur, ouvrit une fenêtre qui donnait sur le cabinet de chimie et s’armant des projectiles à sa portée, table, chaise, livres, encrier, les lança parmi les instruments de verre et fit un dégât effroyable. Pour cet exploit, il faillit être mis à la porte. Ses notes et ses succès scolaires plaidant en sa faveur, on le garda : le père n’eût qu’à payer la casse, une somme respectable.


Le désir s’était implanté chez les Verhaeren et les Debock de Saint-Amand de voir le petit Émile succéder un jour à son oncle, dans son huilerie. Elle était là, ronflant de toutes ses machines et offrant au jeune homme un avenir certain non moins qu’honorable. Le malheur était que l’adolescent, nullement alléché par la perspective d’une existence d’usinier en un bourg perdu, n’entrait pas dans ces vues. Il allait avoir vingt ans et il avait achevé ses humanités : un seul grand désir le poignait, comme tous les jeunes gens d’esprit généreux et de cœur ardent, celui de voir le monde, de vivre une existence plus large, de quitter les milieux où l’on se ratatinait pour la grande ville. Néanmoins il fallut provisoirement céder et, pendant un an, venir s’asseoir dans le bureau de l’oncle, pour s’initier aux arcanes de la comptabilité.

À force de lutter il obtint un jour gain de cause. Mais pour s’échapper, il fallait trouver une raison plausible. Ce fut celle-ci : l’usinier manqué irait faire son droit pour devenir avocat. Le but était lointain, tandis que l’immédiate réalité, c’était la fuite et la liberté. Son ami Rodenbach au sortir de Sainte-Barbe n’avait-il gagné l’Université de Gand (où Maeterlink devait entrer plus tard) pour se préparer également au barreau ? Verhaeren partit donc pour l’Université de Louvain qu’il ne quitta qu’en 1881, ayant acquis les preuves de sa véritable vocation.

Ces cinq années fécondes furent celles de son initiation à la vie intellectuelle et de son apprentissage poétique. Dans le milieu d’étudiants où il fréquenta, un petit groupe très uni se forma bientôt qui comprenait, outre Verhaeren, Paul Siret et Camille Desguin (disparus ceux-là) et Émile van Arenbergh (aujourd’hui juge de paix). Chaque semaine on se communiquait les uns aux autres ses vers et gravement on s’intitulait entre soi les « quatre plus grands poètes de l’époque ». Puis d’autres amitiés se joignirent à celles-ci : ce fut Deman, déjà passionné de bouquins, Gilkin et Giraud.

On lisait maintenant Hugo, Lamartine, Musset, Gautier ; vers la fin, Baudelaire. On s’intéressait à Leconte de Lisle, Coppée et Richepin. Et après des mois de fantaisiste et grasse existence estudiantine — discussions à perte de vue, rêve, nopces et beuveries — on potassait durant quelques semaines pour se présenter aux examens. L’Université de Louvain était une des places fortes du catholicisme le plus intransigeant, et Verhaeren, comme toute cette jeunesse ressentait la fierté d’affirmer ses tendances personnelles à l’ombre de l’orthodoxie et de rompre des lances pour « Christ ». On était les défenseurs de la foi contre les infâmes tendances modernes.

Un fait que nous devons retenir fut la fondation par Verhaeren et ses camarades, apprentis-poètes comme lui, d’un petit journal d’étudiants, la Semaine. Fondé en octobre 1879, la follicule vécut jusqu’en janvier 1881, — supprimée par une décision académique. C’est dans ses colonnes que notre poète, sous le pseudonyme de Rodolphe, publia ses premières chroniques. D’autres noms de guerre abritaient Edmond Deman, Gilkin, Van Dyck (le ténor). Van Arenbergh, Giraud, — d’autres encore. La Semaine conspuait hebdomadairement le « peeterman » (autre nom du philistin), la police, les « gueux » de Libéraux, ennemis de l’Église et propageait la littérature de ses rédacteurs. Un autre journal universitaire, le Type, dirigé par Max Waller, était la feuille adverse que l’on criblait des sarcasmes les plus amers. Et cette existence était toute fourmillante de germes, de fièvre, d’inquiétude littéraire. On jetait sa gourme, on bataillait, on affirmait, on remuait des idées, dans un bon parfum d’héroïsme et de sacristie. Mais surtout on était jeune et on le prouvait.

Les vers que publia Verhaeren à cette époque se maintenaient, il faut l’avouer, au niveau des élucubrations de l’espiègle petite feuille. Pour de pauvres vers, c’était à coup sûr de pauvres vers ; et, entre les moins insignifiants d’entre eux et la plus ancienne pièce du volume premier des Poèmes, — (Cantiques, 1882) — on chercherait vainement un lien. Pourtant la transition a dû s’effectuer quelque jour, sans que le poète nous en ait conservé les vestiges. Ces badinages rimés et ces chroniquettes de la Semaine, ainsi qu’une collaboration, étant encore étudiant, au Journal des Beaux-Arts que dirigeait le père de son ami Paul Siret, c’était les sentiers modestes par lesquels tout doucement Verhaeren s’acheminait vers la vie littéraire. Si ce ne sont pas là les débuts, c’est du moins le préambule : tout à l’heure il y fera son entrée, carrément.

En 1881, son dernier examen passé, l’étudiant en droit quitte Louvain et vient se faire inscrire au barreau de Bruxelles.

C’est vraiment de ce temps-là que date pour Verhaeren une nouvelle existence. La grande ville s’ouvrait pour lui, avec ses remous, ses op- positions et ses contacts. Son horizon allait toujours s’élargissant : Saint-Amand, Louvain, Bruxelles, plus tard Londres, Paris, le monde… Et il arrivait précisément à un moment d’effervescence et de germination. C’était la belle période de fièvre et de bataille qu’on a si souvent redite depuis lors et que, récemment, celui dont le nom la domine a magistralement dépeinte dans la Vie Belge.

Verhaeren tout de suite prend part au mouvement, noue des amitiés, se mêle à des groupes, travaillé des mêmes ardeurs que toute cette jeunesse impatiente de s’affirmer. Il est du nombre des premiers rédacteurs de la Jeune Belgique, que fonde Max Waller, l’ex-directeur du Type ; bientôt sa signature paraîtra dans l’Art Moderne et la Société Nouvelle — pour de là se multiplier et conquérir toutes les revues de son temps. On le voit à ces cordiales et fameuses agapes du vendredi où, conviés par un bon géant roux, l’aîné par l’âge et le succès, mais jeune entre les plus jeunes, les premiers apôtres des lettres belges rénovées viennent respirer une bonne atmosphère de camaraderie, d’art et de combat, tandis que le verbe sonnant et martelé de Camille Lemonnier, amphytrion débordant de vie et la communiquant à flots, domine la tablée joyeuse et tumultueuse. À quelque temps de là, c’est à l’hôtel princier d’Edmond Picard que toute cette jeunesse ardente chaque semaine se retrouve. La mode y fut un moment d’y exhiber des gilets improbables et truculents. Au fond d’un tiroir, Verhaeren conserve encore l’éblouissant plastron de soie jaune d’or qu’il y montra un soir, escorté de son ami Dario de Regoyos, aussi éblouissant que lui. Ces gilets, ils les avaient fait tailler dans une paire de rideaux que le peintre espagnol avait trouvés chez sa mère, à Saint-Sébastien.

On imagine bien que, participant à une telle effervescence, le souci d’une profession qu’il n’avait fait mine d’embrasser que pour complaire aux siens, ne dominait pas l’existence du jeune homme. En 1881 il faisait partie du Jeune Barreau et était entré comme stagiaire chez Me Picard… Mais il passait plus de temps à la Bibliothèque royale qu’à compulser des dossiers. Pourtant il dut plaider à l’occasion. Mais il n’avait pas grand cœur au métier. Edmond Picard, constatant ces médiocres dispositions, lui conseillait franchement de ne pas persévérer : et, après 1884, trois ans après son inscription au barreau, il s’abstint et laissa reposer la toge qui n’était pas faite à sa taille.


Un jour — c’était au début de 1883, l’année du banquet du Mâle pour lequel le jeune poète rima des vers en l’honneur de l’écrivain qu’avait renié les bureaucrates de son pays, — ou peu de temps auparavant — Émile Verhaeren, stagiaire chez Me Picard, était allé trouver celui-ci pour lui confier timidement qu’ « il faisait des vers, lui aussi » et qu’il en avait même écrit tout un volume. Puis, tirant son manuscrit de sa poche, il s’était mis à en lire des fragments. Le patron avait écouté et son hochement de tête ne pouvait être pris pour une approbation… Une autre fois il était allé frapper chez Lemonnier, qu’il ne connaissait pas encore et lui avait apporté son recueil. Et les Flamandes paraissaient en 1883, chez l’éditeur bruxellois Hochstein. L’œuvre était violente, d’une impudeur massive et d’une liberté d’exécution qui devaient provoquer le scandale ; aussi reçut-elle l’accueil qu’en un pareil milieu il était aisé de conjecturer. Des éreintements rurieux rappelèrent à la décence l’audacieux débutant. Un certain Dr Valentin avait trouvé cette formule jolie : « M. Verhaeren a percé comme un abcès. » Et ailleurs on accolait au nom du poète nouveau ce qualificatif ingénieux : « le Raphaël de la crotte. » La presse vigilante faisait son devoir, tous ses boueux à l’œuvre. D’autre part, dans les colonnes de l’Europe, où pour la première fois il avait publié Un Mâle, Lemonnier plaidait magnifiquement la cause de l’artiste conspué. Albert Giraud et Edmond Picard, tout en indiquant leurs réserves, saluaient également un tempérament.

On pourrait découvrir dans l’existence que menait alors Verhaeren certains aspects qui attesteraient combien proches l’un de l’autre étaient l’homme et le poète. Peu après son arrivée à Bruxelles, il s’était lié avec Théo van Rysselberghe et, un jour, les deux amis avaient décidé de vivre ensemble, en garçons. Et ce fut pendant des années une vraie vie de bohèmes et d’artistes, insouciante et folle. Si la bourse était vide souvent, la foi gonflait les poitrines ; les créanciers pouvaient venir, on savait les dépister. Deux autres peintres étaient de leurs intimes ; Dario de Regoyos — que nous retrouvons encore chaque année au Salon des Indépendants — et Willy Schlobach, dont les débuts aux XX avaient été très remarqués. Ô les bonnes années de camaraderie confiante et joyeuse ! L’été le quatuor se rendait à Knocke, que les baigneurs ignoraient encore, et s’installait à l’auberge du village tenue par Collete, dont la grande salle servait aux délibérations du conseil municipal. Alors, c’était pendant les beaux jours une invraisemblable existence de poulains lâchés. On était de francs lurons, aucune audace ne semblait assez forte et l’imagination n’était jamais à court d’inventions saugrenues. Les repas prenaient des allures pantagruéliques et lorsque l’enthousiasme des quatre amis était à son comble, on allait ouvrir les tiroirs où reposaient les registres municipaux et, comme des potaches, on se les lançait à la tête. Les nuits où le sommeil tardait à venir, Regoyos prenait sa guitare et parcourait les ruelles en la pinçant. À force d’équipées et de folies, Verhaeren, Théo et ses amis étaient devenus le scandale et la terreur des honnêtes villageois, qui menaçaient de leur faire un mauvais parti. Alors Théo, pour tenir ceux-ci en respect, parlait des armes qu’il avait rapportées du Maroc et de leur énorme pouvoir de destruction. Ah ! l’auberge Collete, si ses murs avaient eu des yeux et des oreilles et une voix, comme ils auraient redit volontiers ce que peuvent oser quatre garçons qui n’ont pas froid aux yeux ! … Une fois ils s’étaient promenés complètement nus de Knocke à Heyst en suivant la plage, pour prendre un bain complet de soleil et de brise ; quand ils apercevaient une silhouette ils se plongeaient dans l’eau. Et c’était là des mois de vie brutale et magnifique, tous les instincts débridés, avec l’exaltation de la mer et du grand air.

Par son étroite amitié avec Théo van Rysselberghe, Verhaeren s’était rapproché des peintres, qui allaient tenir une si belle place dans sa vie. C’était le début des Impressionnistes à Bruxelles : Signac était venu et il s’était lié avec lui. D’autres vinrent à leur tour ; et bientôt Verhaeren publiait deux études d’art : Joseph Heymans (1885) et Fernand Khnopff (1887).


Les Moines avait paru chez Lemerre, l’éditeur du Parnasse, en 1886. Ce recueil avait des origines lointaines et se rattachait à d’intimes impressions d’enfance. Il y avait à une lieue environ de Saint-Amand, à Bornhem, un cloître de Bernardins, où Gustave Verhaeren, très lié avec l’un des Supérieurs, avait coutume de se rendre chaque mois en pieux pèlerinage. Son fils l’accompagnait quand il était à la maison et l’on partait à quatre heures et demie du matin pour se confesser et communier. Ces matinales expéditions et les hautaines figures, si nobles dans les plis du froc, qu’il apercevait dans les couloirs du cloître avaient énormément frappé l’imagination de l’enfant ; et, pour longtemps, les solitaires de Bornhem lui demeurèrent une hantise. Ce sont eux qui ont posé pour les Moines. Et au temps où Verhaeren portait en lui les vers qu’il leur dédia, il s’en fut, pour essayer de revivre ses souvenirs, au monastère de Forges, près de Chimay, accomplir une retraite de vingt-et-un jours. C’était l’habitude des moines d’héberger, moyennant une modique redevance, ceux qui désiraient passer trois semaines parmi eux. Le poète leur avait été spécialement recommandé et, croyant deviner qu’il se préparait à revêtir le froc, ils lui permirent de suivre toutes les cérémonies et de participer à la vie du monastère dans ses détails les plus intimes. Un parent, l’avocat Michel van Mons, possédait une ferme à Chimay, dans une contrée admirable de désolation. Au sortir du cloître où la chère était maigre affreusement, Verhaeren gagna la ferme de l’oncle et, pour compenser les vingt-et-un jours d’abstinence et d’austérité, s’offrit des semaines de ripaille et de vie débridée. En dépit des Moines, les Flamandes survivaient en lui.

Alors c’est la trilogie fameuse des Soirs (1887), des Débacles (1888) et des Flambeaux Noirs (1990), la partie la plus souvent commentée de l’œuvre du poète. Ce sont là des pages « pleines de pleurs, pleines d’affres, pleines de mort », comme les « Mers Novembrales » qu’il a chantées et où il rôde souvent aux confins de la démence, celle d’un Van Gogh ou d’un Nietzsche.

À l’époque où il burinait ces strophes exaspérées, Verhaeren faisait à Londres des séjours fréquents et prolongés. Il y travaillait beaucoup et c’est de là que presque toute la trilogie est sortie. Les aspects sombres de fer et de bitume, les brouillards de poix, l’atmosphère fuligineuse de la ville où passe le trafic du monde, lui procuraient une volupté forte et amère. Entre son moi d’alors, tourmenté et malade, et le décor désolé des cités d’industrie et de charbon, des correspondances surgissaient, le grisant d’âpres délices. En ce Londres brutal et noir et si âprement vivant et si captivant dans sa laideur, Verhaeren venait se saturer de la tristesse ardente que suent les villes du Nord et leurs usines et leurs chantiers et leurs wharfs, exacerber son intime souffrance, exalter ses nostalgies et s’affadir le cœur. Il y venait aussi — sans peut-être s’en rendre compte — pour y découvrir une nouvelle beauté cachée au fond de ce que l’humanité courante nomme la laideur.

Ô mon âme du soir, ce Londres noir qui traîne en toi !


Seul avec son rêve parmi les foules, ses pas — combien de fois ! — le ramenaient, pour des journées d’errance songeuse autour des docks, des bassins et des gares, le long des quais, à travers les quartiers de misère et les rues bordées de bureaux et de banques, ou bien le soir devant les bars illuminés. Parfois il s’installait sans but dans le métropolitain, pour se laisser rouler pendant des heures et des heures au fond des tunnels encrassés de suie, empuantis du relent des houilles, ou entre la double haie des affiches monstrueuses. Ou bien il errait parmi les salles emplies d’idoles de pierre et d’or du British Museum, — dont ce poème évocatoire des Débacles, Au Loin, reflète l’influence. Liverpool et Glasgow, qu’il visita également, le captivèrent par leurs senteurs de suie et de goudron, leur horizon de vergues et de cheminées d’usines, par tout ce qui grondait en elles émané des enfers industriels. Et, il nous faut mentionner parmi les évocations de Londres qui parsèment la trilogie, ce magnifique poème des Flambeaux Noirs, les Villes, d’abord pour son incomparable puissance et sa large beauté, mais surtout pour ce qu’il annonce de l’œuvre — tout un cycle celle-là — que bientôt la ville lui inspirera. Oh ! ces mois de Londres, que de germes, ils contenaient encore insoupçonnés…

Il peut sembler banal à ceux qui ne reconnaissent pas l’importance d’un détail concret dans l’existence d’un artiste, de constater que la maladie de l’esprit qui enfanta cette trilogie avait pour origine une simple maladie d’estomac — la commune maladie d’estomac qui torture le mortel ordinaire, emplissant ses nuits de cauchemars, et qui, curieusement, tyrannisa une âme véhémente d’artiste jusqu’à modeler le contour de ses visions. Ces troubles de l’appareil digestif, des bâfres excessives auxquelles s’était livré l’auteur des Flamandes durant les premières et folles années de sa vie à Bruxelles, — et où « la belle, saine, odorante et saignante viande », comme il dit quelque part, tint peut-être une place excessive — les avaient mûris : puis vint le séjour à Forges chez les moines, dont les détestables ratas, aggravant le mal, déterminèrent la crise dont Verhaeren souffrit pendant des années.

Je ne puis m’empêcher de songer ici au grand Carlyle qui eut lui aussi à subir l'emprise de la dyspepsie et dont l'œuvre en porte si profondément les traces. Et ce n’est pas à ce seul point de vue pathologique qu’entre le grand Écossais (dont l’émouvant portrait par Whistler occupe une place de choix dans le studio de Verhaeren) et le grand Flamand, un parallèle pourrait être esquissé. Vastement dissemblables en tant qu’hommes et que penseurs, ils offrent, comme artistes, de frappantes analogies, dont la principale est leur commune tendance au paroxysme. Tous deux de grands Nordiques, hantés de visions d’apocalypses, violents, rugueux, démesurés, magnifiques, emplis de désolation et de ferveur, d’âme surabondante et brûlante, — tous deux escaladeurs de Sinaïs.

Après ces pages de douleur et d’orgueil exaspérés un apaisement est survenu, que traduisent les Apparus dans mes Chemins (1891) et les Campagnes Hallucinées (1893).

Le recueil qui vint ensuite annonce clairement des préoccupations nouvelles. Il fait époque dans l’œuvre. Les Villages Illusoires (1894) renferme en effet les strophes les plus augurales que le poète ait jusque-là publiées, de même qu’il offre une signification d’art très à part des volumes antérieurs. L’intention que réalisa les Villages était celle-ci : choisir comme héros les gens des petits métiers, les pauvres artisans des bourgades qu’il avait connus à Saint-Amand» et les «  immensifier », par les vertus de l’art, jusqu’à en faire des types symboliques d’humanité. Par là Verhaeren se rattachait à la tradition de Millet et de Rembrandt, opposée à celle de Wagner et des Italiens, suivie par tel autre poète contemporain, Henri de Régnier par exemple. Il faisait sienne cette tendance si moderne et si féconde inoubliablement illustrée par Emerson, suivant laquelle l’héroïque, le sublime et le divin sont à chercher dans la vie quotidienne, et non dans les exploits des paladins, dressés sur leur palefroi avec des gestes traditionnels. Il magnifiait l’homme moyen, allait tirer de leur chaumière les gens du commun, pour les introniser. C’était adopter là un art idoine à la démocratie, l’art type de l’âge moderne.

Dans les Villages Illusoires, ces petites gens des métiers ont passé à l’état synthétique et abstrait par une volonté de les exprimer sous leur aspect d’éternité. Ce volume est le seul à propos duquel il serait permis d’appliquer à Émile Verhaeren l’épithète de « symboliste », dans le sens où ce vocable vague et fallacieux — et un instant chéri pour cela — correspond à une réalité.

Je ne crois pas que jusque-là Verhaeren ait composé d’aussi magnifiques pages que celles du Meunier, du Sonneur ou du Forgeron. Ce forgeron splendide forgeant l’avenir sur son enclume en psalmodiant son rêve, — du même geste que Siegfried, dans la caverne du Niebelung, battant l’épée de victoire, — c’est de loin l’annonciateur du sens nouveau d’humanité qui va ruisseler bientôt des strophes du poète. Mais à ce point de vue, aucun poème du recueil n’est aussi gonflé de significations que celui des Cordiers, qui, malgré, l’œuvre postérieure, demeurera l’une des plus pures merveilles qu’ait réalisées le visionnaire des campagnes flamandes.

Je suis celle des surprises fécondes

Qui vous conseille avec amour, d’aller
Vous-même enfin vous retrouver,

Là-bas, dans votre fuite au bout du monde.


Dans la vie et par conséquent dans l’œuvre de Verhaeren, les voyages, les libres balades à travers le monde, ont joué un grand rôle. Le goût est inné chez lui du changement et de l’aventure, il en a besoin pour satisfaire ses curiosités et ses nostalgies. Nous l’avons vu passant la Manche, à chaque désir qui le poignait de se griser de l’atmosphère de Londres. Un peu plus tard il avait couru l’Allemagne, du nord au sud, et poussé jusqu’à l’Espagne, comme ses compatriotes Claus et Meunier. Il faudrait, dans une étude moins brève que celle-ci, évoquer la silhouette de Verhaeren parcourant les villes, en pèlerin du rêve, musant au pied des statues et des cathédrales, le long des ports où s’érigent les mâtures, où flottent des relents de goudron et de poisson, où vous requiert l’invite grisante des coques puissamment armées pour le combat des flots, sur les quais d’une gare trépidante ou le long de trottoirs populeux, perdu dans l’océan des toujours nouveaux visages — et si humains toujours ; hantant les carrefours, les foules et les monuments, promenant partout ses inquiétudes de nomades, ses désirs et ses fièvres de coureur de monde, d’amoureux d’impressions fraîches, de pleinairiste, de flaneur ardent, et surtout son âme de solitaire et de visionnaire et son cœur d’enfant. Oh ! comme elles durent être fécondes ces courses désordonnées, et comme profondément l’œuvre en porte les traces ! Et comme d’avoir aimé, confronté des humanités diverses, le poète a su lui communiquer ce sens de l’universel qui est sa qualité maîtresse…

Vers Kœnigsberg, la vieille cité prussienne et féodale, la figure de Kant — dont la philosophie l’avait un moment dominé au temps de ses révoltes et de ses doutes — l’attira. Il y vint comme en pèlerinage. Berlin, Dantzig, Munich eurent également sa visite. Peu après la mort de Wagner, Bayreuth l’avait sollicité et il était parti saluer la tombe de l’homme prodigieux qui avait associé l’univers entier à son orchestre. Vers le temps des Flamandes, une troupe allemande était venue donner à Bruxelles une série de représentations du Ring. Plus tard Verhaeren et son ami Théo étaient allés vingt fois de suite entendre la Walküre ; et les deux compagnons regagnaient leur logis en chantant à tue-tête, dans le silence nocturne des rues, les motifs du drame héroïque.

En 1890, immédiatement après son mariage, le poète retournait en Allemagne. Cette fois il visita Hambourg, dont le port et l’énorme vie industrielle devaient puissamment l’émouvoir, Hanovre, et, tout près de là, Hildesheim, qui l’impressionna vivement comme en témoignent certains poèmes en prose publiés dans la Société Nouvelle.

En Espagne, où il alla deux ou trois fois, piloté par Dario de Regoyos, le tempérament d’une race primitive et colorée devait lui offrir maintes séductions. Il avait l’Espagne « dans le sang » : ceci, au figuré bien entendu, car la proportion de sang espagnol coulant aux veines flamandes est probablement fort minime, sinon presque nulle. Verhaeren eut en Espagne la sensation d’être « comme chez lui », dans la patrie de son art féroce et paroxyste. J’imagine que, s’il tentait aujourd’hui la même expérience, la sensation serait autre. En ce temps-là, Avila et Siguensa en Castille, Haro dans la province de Rioja, le frappèrent particulièrement. Et il connut surtout l’Espagne des petites villes et des bourgades, recherchant les lieux où il pouvait coudoyer les gens du peuple, les paysans, les toreros, les muletiers, c’est-à-dire les vrais autochtones.


L’artiste est parvenu à son époque plénière. Devant nous se dressent ces trois chefs-d’œuvre — les Villes Tentaculaires, les Visages de la Vie, les Forces Tumultueuses, — sans parallèles absolument dans la poésie environnante et dont le faisceau suffit à déterminer une ère dans la littérature d’un âge. Aussitôt Émile Verhaeren quitte les provinces poétiques ou nationales pour entrer hardiment dans la grande patrie universelle de l’art, où il inscrit son nom parmi ceux des initiateurs.

Définitivement le « siècle athée et noir » au-dessus duquel, en signe de mépris, le poète jadis dressait juvénilement l’image d’un gigantesque autrefois, s’est illuminé à ses yeux, qui depuis si longtemps le scrutaient, et à travers ses horreurs splendides et son labeur, il en a perçu la miraculeuse beauté vivante, supérieure à toutes les beautés ressuscitées. Il a compris le sens de son effort, il a senti, près du sien, les battements désordonnés de son cœur. Et désormais entre le poète et son âge, c’est une communion frémissante, d’où jaillissent des hymnes débordant de la joie qu’il éprouve à l’avoir enfin retrouvé et embrassé.

Les Villes Tentaculaires (1895), c’est toute l’agonie d’un monde et la naissance de celui qui aspire à le remplacer. L’étrange suggestion de ces vers ne communique-t-elle pas le sentiment du volume entier ?

Et les vitraux, grands de siècles agenouillés

Devant le Christ, avec leurs papes immobiles
Et leurs martyrs et leurs héros, semblent trembler

Au bruit d’un train lointain qui roule sur la ville


Au flanc des glèbes dont les Campagnes Hallucinées interprétait la désolation, la bêche inutile est restée plantée : réciproquement les Villes débute par l’évocation des plaines d’où les humanités, à flots pressés, s’acheminent vers les industries reines. C’est un dyptique où les champs abandonnés s’opposent aux cités bruissantes. À présent c’est en leurs rues noires et vertigineuses que rêve le poète, capté par les aspects tragiques du phénomène nouveau, frémissant, aux écoutes, tour à tour hagard, apitoyé, bondissant de joie ou frissonnant de tristesse, mais sachant l’inéluctable et ignorant les malédictions. Et c’est l’énorme et rougeoyante vision du music-hall dans les Spectacles, le mystère de l’or et de l’agio dans la Bourse — oui, un poète sans dédain pour cet immense phénomène du monde moderne, le troc des valeurs, et s’attardant près de la « corbeille », parmi les hurlements des vendeurs et des acheteurs, — la fièvre autour des comptoirs assiégés par la foule des grands magasins dans le Bazar, l’évocation de telle rue chaude de Marseille ou d’Anvers, l’Étal, — où l’art du formidable évocateur dresse une de ses plus rouges flambées, — des ruées de Commune et de foules en folie dans la Révolte, le savant exalté dans son ardeur d’investigation et le laboratoire magnifié dans la Recherche — le poème de la science par un artiste assez authentique pour ne pas redouter l’apparente banalité du thème, — et ce cantique inoubliable à la force, à la beauté, aux « lois », dans les Idées… Plus spécialement ici Verhaeren confesse sa foi, et atteint ces sommets où la méditation à la suprême poésie s’allie.

Et toutes ces visions passent, énormes et palpitantes, sillonnées d’éclairs illuminant les contrées nouvelles sur lesquelles le poète a planté le drapeau de l’art. Deux d’entre elles surtout m’apparaissent d’une telle splendeur conjecturale et prophétique que je voudrais les mettre à part : le poème des Usines et le morceau final du livre. Les Usines, c’est un hymne où, pour la première fois sur notre coin de terre, la beauté de l’ère industrielle et démocratique est triomphalement célébrée. Un artiste s’est offert qui, ayant assimilé son temps, en a crié le miracle. Oh ! les chevaliers de légendes, oh ! les princesses et les cygnes ! Comme vous apparaissez fantomatiques et nuls, lorsqu’un poète enfin soulève de ses poings brandis ces quartiers de beauté vivante ! Et qui ne reconnaîtrait l’immortalité dont tressaille ce morceau magnifique, Vers le Futur, où l’approche du monde nouveau est annoncé dans un transport pareil à celui du fidèle qui sent venir son dieu ? Une indicible sensation cosmique gonfle ces vers, qui seront classiques un jour :

Ô race humaine aux astres d’or nouée,

As-tu senti de quel travail formidable et battant,
Soudainement, depuis cent ans,

Ta force immense est secouée ?


Cet hymne ne pourrait-il devenir le cantique d’une humanité ?

Si les Villes Tentaculaires reflètent avant tout Londres, la tant parcourue et la tant aimée, elles évoquent aussi bien, par tout l’universel qu’elles traduisent, Hambourg, Paris ou New-York. On peut conjecturer ce que les neuves et prodigieuses cités américaines pourraient inspirer à un tel interprète : et il est permis d’affirmer que, sans les avoir connues, il est également leur poète. Devant certaines pages des Villes, — par exemple le Port, d’une si extraordinaire suggestion — je vois se dresser les bâtiments hauts comme des tours et troués comme des ruches, les wharfs fourmillants, les architectures de fer, les grues immenses, les quais bordés de transatlantiques, de docks et d’usines, l’étrange et féerique horizon de New-York : et il me semble à ces moments-là que Verhaeren, si large et si intense, est né pour le Nouveau-Monde. Mais pourquoi blâmer les destins, si le sien fut précisément d’exprimer notre coin de la planète sous son double aspect de putrescence et de germination, de s’affirmer essentiellement un poète européen ?

Oh ! la poésie de l’ère des machines et des foules, d’un âge de splendide « laideur », combien peu la sentent encore et combien peu surtout ont la force de l’exprimer ! Un jour viendra cependant où les poètes, — les vrais — nous diront, après avoir dégagé l’émotion qui nous saisit devant la locomotive ou le steamer en marche, l’étrange beauté nouvelle incluse en la linotype ou tel autre outil merveilleux. La gloire d’un Verhaeren est d’avoir fait passer dans l’art la vitalité énorme dont tressaille à cette heure la planète, fumante de tous les cratères usiniers dont elle se hérisse, d’avoir su interpréter, au moyen d’un art adéquat, le tourment et l’élan gigantesque d’une humanité en proie au renouveau et bâtissant les assises d’un habitat plus vaste et plus aéré pour l’individu prochain. De ce labeur cyclopéen, c’est lui le chantre en notre langue : ses crises, ses assauts, ses effrois et ses espoirs ont pris voix en lui. Son art est parcouru des mêmes électricités qui, d’un bout à l’autre de la terre, fleurissent en « miracles nouveaux ». Il n’a pas menti à son âge. Et à l’humanité qui se lève il a proposé un art digne d’elle.

Je suggère à tous ceux-là qui reprochent au poète sa brutalité et ses bizarreries, de venir s’enivrer à la source vive qu’est cette œuvre : et s’il n’en sort pas pour eux une émotion comme en communiquent seuls les chefs-d’œuvre, ils ne devront s’en prendre qu’à la nature qui les fit sourds et aveugles à la beauté, celle de toujours et de toutes les races, et non cette beauté factice qui, en dehors de quelques siècles et d’une douzaine de provinces, n’est comprise par personne.

Ce fut à l’horizon de ces Villes que se levèrent, deux ans plus tard les Aubes, qui empruntaient la forme du drame lyrique pour proposer une sorte de conclusion au phénomène d’humanité que, jointes aux Campagnes, elles suggéraient. Et cette œuvre signifie clairement quelles préoccupations hantent désormais ce pur artiste, trop grand et trop vrai pour maladivement craindre qu’en sortant de sa maison afin de porter son art parmi les foules, le souffle de celles-ci n’en ternit le pur miroir.

Entre les Villes et les Aubes, le délicieux poème des Heures Claires (1896) marquait une heure de repos sur la route, une heure dont la divine translucidité d’amour et de bonté ne s’oublie pas. Ses strophes ailées, printanières, traduisent un moment unique dans la vie du grand tourmenté, celui où, auprès de la compagne au front clair et aux mains tendres qui versa sur ses lassitudes tant de réconfort, le poète s’est senti une âme pascale, est redevenu un petit enfant, ébloui des choses, de lui-même et de son bonheur, et qui se laisse bercer en murmurant des mots d’adoration… Ô la tendresse des violents ! Quel prodige de douceur lumineuse quand elle éclate soudain !

C’était à qui ploierait les deux genoux

Pour recueillir le merveilleux bonheur

Qui, mutuel, nous débordait du cœur.


Après l’orgie de foules et de spectacles et de clameurs qu’il venait de célébrer, en artiste fastueux, un Verhaeren imprévu, aussi vrai que l’autre, offrait une œuvre de pure intimité, monochrome et sans autre geste que celui de deux êtres qui se serrent l’un contre l’autre. Dans l’orchestre formidable de son vers, ce sont les harpes seules que l’on entend en ce moment et les violons parfois.

En présence d’une œuvre comme les Villes Tentaculaires, qui si génialement attestait, en les exaltant, les puissances poétiques, si longtemps endormies, d’un peuple, la Belgique artistique s’émut et résolut d’offrir publiquement à Émile Verhaeren son hommage — où l’affection et l’admiration demeuraient inséparables.

Une vaillante petite revue, l’Art Jeune, prit l’initiative d’un banquet qui eut lieu à Bruxelles, le 24 février 1896. Une foule était venue. L’heure fut émouvante, fraternelle et mémorable. On fêtait l’homme admirable de bonté, de droiture et d’indépendance autant que le poète.


Les Visages de la Vie (1899) et un peu plus tard les Forces Tumultueuses (1902), dans cette neuve voie moderne et universelle que suit désormais Émile Verhaeren, représentent une autre étape. Moins âpres et tourmentés que les Villes, ces deux recueils offrent les indices d’une sérénité d’autant plus émouvante et large que le poète dut longtemps errer et peiner avant de la conquérir. Et cette sérénité lui vient d’avoir prêté l’oreille à certains accents merveilleux, prélude d’une révélation qui illuminera la dernière partie de son œuvre et lui donnera son sens final. Le poète est désormais en proie à une grande Idée.

Les merveilleux livres, si gros de germes, si gonflés d’essor, si dignes de leurs titres évocatoires ! Ils semblent avoir été mis tous deux sous l’invocation de la mer et demeurent environnés de ses flots recéleurs de vie, de métamorphoses et d’émerveillements : le liquide élément déferle sur la première page et c’est sur une vision d’océan qu’ils se terminent. Et de la proximité des houles naît ce sentiment de vastitude et d’ensemble cosmique que de page en page, les deux recueils communiquent.

Désormais la grande force désorbitée qu’il était naguère, de plus en plus s’oriente vers de suprêmes lois. Partout il les rencontre face à face. Au sein de la Forêt le « passant fiévreux » a frémi au passage, à travers lui, de la même force qu’il perçoit en éternel voyage sous les écorces :

Mêle aux sèves innombrables dont les forêts,

Infiniment, sont traversées,

Le sang même de tes pensées…


En tel soir étoilé des campagnes de l’Escaut, où l’âme se fond en adoration — ô que loin nous voici des Soirs anciens ! — c’est « un sens nouveau du monde » qui tombe des cieux sur elles, comme une divine semence, et parmi la Foule — l’un des morceaux culminants du livre — c’est la même sensation communiale qu’il éprouve.

Je sens grandir et s’exalter en moi
Et fermenter, soudain, mon cœur multiplié.


L’isolé hagard de jadis qui cheminait chargé de son rêve douloureux et comme accablé sous le poids des malédictions, le voici maintenant qui se plonge,

Comme une vague en des fleuves perdue,
Comme une aile effacée, au fond de l’étendue,


au cœur même de ces villes qui le captivent. Dans l’exaltation de l’Amour — le merveilleux morceau de couleur et de force ! — ce qu’il magnifie c’est le

•  •  •  •  •  •  •  •  •    rythme haletant

Qui fait volter et fermenter le sang

Par à travers l’éternité de la nature !


et devant le Mont

S’élabore la vie énorme et minuscule
Des atomes et des poussières


il a rêvé qu’il s’introduisait, par le couloir des roches, au cœur du monstre.

J’étais le carrefour où tout se rencontrait ;

Le sol, le roc, le feu, la nuit et la forêt
Semblaient les substances mêmes de ma pensée…
•  •  •  •  •  •  •  •  •   Je me transformais
Moi-même et je me confondais, avec un être immense

Qui ne voit plus quand tout finit, quand tout commence.


Jusque dans l’Ivresse — étonnant poème bachique — le sens des métamorphoses et des concordances, accéléré par l’exaltation passagère que la force du vin, qui l’a reçue du soleil et du sol, communique au cerveau, aboutit à une illimitation de l’être entier épandu dans le paysage…

Jamais poète ou penseur n’a dardé vers le futur un appel aussi passionné que celui qui est inclus dans l’ardente méditation de ces deux pièces : l’Action et l’Attente. Lorsqu’il invoque le « tranquille rebelle » qui découvrira la « très simple loi profonde » que notre monde en fièvre attend. Verhaeren apparaît vraiment comme l’un des prophètes d’aujourd’hui agenouillé au pied du Thabor, attendant la révélation. Dans l’Action, explose une ivresse à travers laquelle on croit apercevoir, par d’immenses percées, les géants labeurs du présent, l’Europe en fièvre, le titanesque effort des Amériques et le prodige fumant des Cap-au-Caire et des Transsibérien, et les innombrables steamers chargeant et déchargeant leurs ballots et leurs passagers, et les tributs d’émigrants en marche, et les trocs et les expéditions et les luttes et les découvertes… La vie totale d’aujourd’hui passe dans ces vers, la vie qui court « les grands, chemins du monde » et qui prépare « l’élan des géantes métamorphoses. » Interprète d’un âge, plus beau que tous les âges, ce poème seul suffirait à sacrer tel celui qui l’osa.

Mais la suprême sensation des Visages de la Vie est peut-être contenue dans la pièce finale : Vers la Mer, Verhaeren a trouvé, pour traduire la mer joyeuse et ses enchantements et son infini, des accents d’une beauté telle que les yeux croient subir l’éblouissement d’un jour de soleil sur les flots, d’un de ces jours où « il fait dimanche sur la mer ». N’y a-t-il pas dans ces trois vers toute la suggestion d’immensité et de lumière d’une marine de Manet ?

Comme des objets frêles,

Les vaisseaux d’or semblent posés

Sur la mer éternelle.


Et ceci n’est que le prélude du cantique grandiose — d’une indicible émotion — où, dressant la somme de sa vie et témoignant devant le monde de l’homme qu’il fut, le poète joyeusement se voue aux dissolutions prochaines au sein de l’onde éternelle, d’où il rejaillira un jour, « moment nouveau de conscience »…

J’avoue une particulière tendresse pour ce livre de lumière et d’essor, si tranquille, si large, si profond, où le poète semble se livrer plus intime- ment qu’en des morceaux plus éclatants et plus connus. J’ai idée que devant l’avenir son importance grandira, tellement il recèle de germes. Verhaeren, quoi qu’il fasse, ne dépassera jamais, en souveraine émotion, certaines pages des Visages de la Vie, qui comptent parmi ce que l’âme humaine peut incarner de plus beau sous l’enveloppe verbale.

Et cependant il y a les Forces Tumultueuses, avec leur torrent de vitalité ! Des senteurs d’océan nous pénètrent dès la première strophe et nous partons avec le poète comme sur un navire gonflé d’espoir qui détache ses amarres quelque splendide matin pour accomplir un périple. De larges visions panoramiques passent, puis des îles, des continents surgissent, où nous faisons escale. Au cœur du voyage nous réapparaissent des Villes ; puis nous assistons à l’épique et frénétique échange des produits de la terre dans la Conquête, où l’œuvre simple et sublime du vaisseau marchand est chantée comme on célébrait autrefois les gestes des guerriers. (Comme ce poète a le sens profond des activités mondiales, comme il s’atteste né pour célébrer l’universel et solidaire labeur qui relie les continents et les océans pour des fins d’humanité !) La Science, c’est la mort des doutes solennellement promulguée et la justification du grand espoir dont le monde a tressailli en face des découvertes ; c’est toutes les grandes forces prosaïques d’aujourd’hui introduites dans l’art et l’imprégnant de leur sève. Puis c’est la fierté humaine qu’érige les Cultes, la fierté que ressentira, en sa conscience libérée, l’individu futur :

L’homme respire et sur la terre il marche seul.

Il vit pour s’exalter du monde et de lui-même…

Et s’il lui faut des Dieux encore qu’il les soit !


Nous voici en vue de l’île d’Utopie, devant laquelle, accoudé aux bastingages de son navire, le poète passe en revue les conjectures et rêve. Lorsque se dessinent à l’horizon les Bagnes, un chant héroïque s’élève en l’honneur de l’outlaw, jailli de la poitrine d’un de leurs frères qui si furieusement darda son individualisme dans l’art au mépris des lois. L’accent en toute cette partie s’est empreint d’une gravité particulière et semble traduire le souci prédominant du poète prophète, d’arracher à l’avenir des lambeaux de vérité pour éclairer les hommes d’aujourd’hui. Dans les Cris de ma Vie, l’émotion se précise et s’intensifie. Toute l’exaspération et l’outrance que manifestait naguère Verhaeren dans l’expression de sa souffrance, voici qu’il les transporte dans l’allégresse dont son cœur, en présence des merveilles qu’il devine, aujourd’hui se gonfle : et nous entendons d’admirables clameurs, quelques-unes immortelles. C’est d’abord l’hymne de la race blanche, dont les strophes rapides et cadencées ont un élan de marche et de victoire, — de la race d’Occident dont le poète est fils et dont il s’instaure le chantre.

Je suis le fils de cette race

Dont les desseins ont prévalu
Dans les luttes profondes

De monde à monde…


L’orgueil immense d’un Kipling chantant la grande communauté des peuples parlant anglais se transmue ici en un plus ample sentiment, celui du patriotisme européen : et quoi plus que cet hymne continental affirmerait l’universalité du poète, cette qualité complémentaire que possédait Hugo et dont Verhaeren est aujourd’hui le plus haut représentant, cette qualité qui fait que le cœur du monde bat dans ses vers, et que toutes les provinces de ce monde peuvent, avec des droits égaux, le revendiquer comme leur ?

Et comme les Visages, les Forces Tumultueuses s’achèvent par une vision océanique où Verhaeren me paraît avoir réalisé le prodige d’art auquel un autre grand barde déclarait n’avoir jamais pu atteindre complètement en poésie : la beauté presque surhumaine d’un navire voguant toutes voiles dehors sur la mer ensoleillée. C’est la pièce inoubliable où passe la nef de l’humanité :

Larges voiles au vent, ainsi que des louanges

La proue ardente et fière et les haubans vermeils,
Le haut navire apparaissait, comme un archange

Vibrant d’ailes qui marcherait, dans le soleil.


Livres prophétiques, livres-phares que ces deux recueils, monuments de pensée et d’art fondus au creuset d’une âme brûlante, trop beaux peut-être — je veux dire trop forts et trop inondés de clartés — pour l’humanité trouble d’aujourd’hui. Ce sont surtout des livres futurs. Et ils représentent pour moi le Verhaeren suprême, celui dont la voix jamais ne se perdra.


Beaucoup de curiosité et de sympathie ont accueilli l’effort dramatique que, par trois fois, a tenté Verhaeren. Au point de vue scénique pur, nous ne pouvons nous dissimuler la faiblesse des Aubes (1897), malgré l’heureuse innovation qui résulte de l'alternance shakespearienne de la prose et du vers. Le dialogue malhabile, le contact périlleux de l’énorme et du terre-à-terre parviennent à des effets absolument inadéquats. Le drame avorté, reste le poème qui est admirable. Pourtant les Aubes furent représentées à la Section d’Art de la Maison du Peuple de Bruxelles, que, quelques années auparavant, Verhaeren avait fondée avec Eekhoud et Vandervelde.

Le Cloître (1900), témoignage d’une remontée en lui du thème ancien des Moines, réalisait en tant que drame, un progrès certain. L’œuvre est intense et vit scéniquement. Et si sa représentation sur la scène de l’Œuvre a laissé à certains le souvenir de moments plutôt pénibles, je crois qu’il faut attribuer cette impression défavorable à la mauvaise qualité de l’interprétation. Avec Philippe II (1901), nous nous découvrons en plein romantisme. En évoquant la tragique histoire de don Carlos, Verhaeren s’est senti inquiété à son tour, par la spectrale figure de Philippe II, qu’avant lui, son grand ancêtre, Charles de Coster avait inoubliablement dessinée aux pages de son Ulenspiegel. Tout ce drame, c’est, à travers l’Escurial funèbre un grand cri de vie et de révolte qui s’étouffe dans le sang. J’imagine que cette tragédie, sobrement et intelligemment interprétée, produirait au théâtre un certain effet. Pourtant elle n’est pas à la hauteur du Verhaeren que nous aimons et même — chose incroyable chez un tel artiste — le vers parfois, de prose coupé, s’y banalise.

Infiniment plus doué se témoigne l’écrivain d’art qu’a été Verhaeren tout le long de sa vie. Là nous le retrouvons magnifiquement lui, avec ses ardeurs, ses fièvres et ses enthousiasmes, — souverainement à l’aise devant les grandes pages de la peinture, qui ont joué dans son existence un rôle considérable.

Ce que Rubens fut pour Lemonnier, Rembrandt l’a été pour Verhaeren. Et dans la monographie consacrée par celui-ci au maître (1905), c’est avec une admiration totale, émue et magnifique qu’il a célébré son dieu. Ce Rembrandt-là a passé à travers le tempérament de Verhaeren. Du peintre au poète il y avait trop de correspondances intimes pour qu’un tel sujet n’ait pas éveillé toute la fièvre d’exaltation dont brûle ce dernier. Et cette étude, dont on pourrait également relever la sûreté et la clairvoyance, est une preuve nouvelle que toujours le plus sûr jugement appartient à celui qui aime le plus.

Verhaeren est essentiellement un Barbare que le destin voua à dépeindre ses visions à l’aide d’une langue plutôt faite pour traduire les sensations délicates et raffinées de l’extrême civilisation. Il faut comprendre cela avant de le juger. Il est hors de doute d’ailleurs qu’à l’égard de la « mesure » de la « tradition » et du « goût », ce triple idéal périodiquement invoqué par ceux-là qui estiment qu’un écrivain comme Musset, par exemple, représente tout le génie, toute la beauté et tout le sublime, l’attitude poétique de Verhaeren est celle d’un iconoclaste.

On a essayé de montrer en lui un artiste ataviquement dominé par les fièvres d’or et de torture du catholicisme espagnol. Je trouve qu’il est, de toutes ses forces de poète, un homme du Nord, tout autant qu’un Carlyle ou qu’un William Blake. Sa tragique vision de la nature et de l’humanité, sa richesse d’âme, ses inquiétudes spirituelles, son farouche individualisme révèlent absolument un septentrional.

Son art a la rudesse qui distingue les hommes sortis de leur terre de ceux que forma la seule école, — cette rudesse que réprouve le goût formé exclusivement d’après les modèles latins. Il est vrai que pour justifier, s’il en était besoin, ce qu’il y a fait entrer d’informe et de chaotique, le poète peut invoquer l’exemple de toutes les grandes œuvres dont l’humanité se nourrit, la Bible, Homère, Shakespeare, Rabelais, et montrer qu’ils en débordent. Il n’a rien de doucereux ni de plaisant, rien qui le recommande à l’admiration des salons. Il est abrupt, sans « harmonie », il est brutal, il est grand, il est lui. Il ne sourit pas avec discrétion, il ne marivaude pas, il n’épithalamise pas. Il crie sa torture, son effroi ou sa joie, extrait de la vie ce qu’elle peut donner de plus intense et de plus pathétique : cela avec des accents qui font mal, qui font peur ou qui vous transportent. Mais ne lui demandez pas ce qu’il ne peut donner, l’émotion moyenne, l’eurythmique et parfaite vision. Ne lui parlez pas règles, il vous répondrait individu. Et vous ne pourriez parvenir à vous entendre. Car on ne concilie que par des sophismes Racine et Shakespeare c’est-à-dire l’art selon la formule — d’un groupe humain pendant un siècle ou deux — et l’art tout court, immensément libre et « désordonné ». Verhaeren, parmi les charmeurs et les musiciens, n’a guère qu’une ressource, — assez peu commune, n’est-il pas vrai ? — dont il use à tout instant, sans craindre de l’épuiser, car il en est gonflé : c’est la force. Un fleuve de force s’épand d’entre les blocs de son art. Car il bâtit à blocs tirés à moitié bruts de la carrière, non à l’aide de cailloutis ou de briques uniformes : ce qui donne à son poème une insolite apparence de monument pélasgique, égaré parmi des temples gréco-romains.

Le poète des Forces Tumultueuses s’affirme un grand gothique, de la lignée des prodigieux anonymes qui sculptèrent aux flancs des cathédrales les chimères, les gargouilles et les lémures et toute la flore des torsions humaines.

C’est un tourmenté, dont l’art suggère des impressions volcaniques ou cycloniques. Des grondements le secouent qui paraissent sortir des profondeurs de la terre orageusement. Une strophe de lui est une décharge d’électricité humaine. Son art est le plus subjectif qui se puisse concevoir. Il est empli d’infini et se distingue par un sentiment exalté et surhumain. Comme celui de Rembrandt il est fait de matière et de féerie broyés ensemble. Il représente l’engloutissement de « l’universelle humanité dans l’abime d’un cœur », la fusion du mystère et de la vie, tordus « en un même éclair ». Verhaeren a le don d’évocation et de puissance à un degré inconnu chez nous depuis le chantre de la Légende des Siècles.

Non seulement le chantre des Villes Tentaculaires a su transposer l’atmosphère même de l’industrialisme moderne, mais il y a dans son vers comme une machine qui tournoie, et qui bat et qui vibre. Le secret de son art m’est révélé, lorsque je me trouve parmi les grondements, les fulgurations, les martèlements, les sifflements, les ahanements et les senteurs d’une chambre des machines, ou lorsque j’écoute le halètement prodigieux d’une locomotive au terme de sa course, ou quand la sirène d’un transatlantique déchire l’air de sa plainte hurlée. Cette frénésie dans la puissance, cette ivresse de force, qui secouent certaines de ses strophes, ne se retrouvent que dans les machines et leur orgueil d’être si formidables et si précises. Ce n’est pas dans le silence et la solitude comme l’exigent d’autres poètes, mais là où se concentrent les activités et les foules que je m’éprouve près de Verhaeren.

Verhaeren ne procède de personne. Il n’est pas sorti comme les chefs de sa génération poétique, de Laforgue, de Villiers, de Mallarmé ou de Verlaine. Il n’a subi que les influences générales de son temps.

Il n’en est point d’autres aujourd’hui pour faire entendre ce large accent religieux qui appartient aux seuls grands bardes.

La fréquence à travers toute son œuvre de telle interjection, « Dites !… » lui communique je ne sais quoi de communial et de fervent. Sa rêverie a l’intensité et l’ardeur d’une oraison : en présence des nouveaux dieux, le poète a conservé la piété brûlante du fidèle…

Et je songe, comme on prie…




De quelle émotion ce volume des Tendresses Premières (1904), jailli du cœur du poète au lendemain d’une crise nouvelle qu’il eut à subir aux approches périlleuses de la cinquantaine, apparaît chargé, lorsqu’on évolue le chemin parcouru jusque-là et le sentiment dont il est né ! Le voici, après le voyage et les épreuves, revenu au village où s’écoula son enfance et parcourant tous les lieux familiers qui modelèrent sa petite âme de gamin tendre et volontaire… Le délicieux bain de nature et de jeunesse ! Une exquise fraîcheur d’aube parfume ce recueil où Verhaeren a enfermé ses vingt premières années de Saint-Amand, et qu’il a dédié à sa sœur Maria. On le respire comme une touffe de fleurs sauvages.

Réchauffé, invigoré par ces bons souvenirs, le poète a repris la route et nous donne bientôt ses Heures d’Après-midi (1905) qui sont le plus délicieux bréviaire de la convalescence qu’un artiste ait su tirer du plus intime de sa vie.

Étudier une œuvre aussi chargée d’individualisme sans évoquer l’homme lui-même dont elle a jailli comme un cri, ce serait négliger un des moyens de la comprendre. Car l’artiste s’est donné tout entier dans son art, âme et tempérament.

De taille plutôt petite, les épaules arquées, Verhaeren offre dans sa personne on ne sait quoi de noueux et de cassé tout à la fois. Le visage est maigre, le front et les joues labourés de rides profondes. Un mouvement ordinaire du cou projette la tête en avant. D’immenses et paradoxales moustaches blondes, où se mêlent quelques fils argentés, barrent la face et la pavoisent d’un double panache flottant et retombant. Derrière le pince-nez immuable des yeux très clairs, gris verts —

•  •  •  •  •  •  •  •  •   •   •    la mer
Et sa couleur est dans mes yeux. —


reflètent de la tendresse, de la tristesse et des nostalgies. L’homme tout entier trahit une pesante fatigue coupée de force soudaine et volontaire. On se l’imaginerait courbé par des labours. Malgré le visage qui révèle la nervosité de l’artiste, on retrouve dans sa démarche sans élégance, ses gestes en saccades, sa façon brusque de s’avancer vers vous, quelque chose du paysan. La parole très nette, aux intonations claires, s’élève par sursauts. Et l’ensemble exprime de la rudesse et de la douceur.

Dans cette vie de poète, pas une parcelle mangée par la convention : tout est demeuré libre et selon la vie. Il n’y a pas eu place non plus pour les compromissions et les calculs. Jamais il n’a su faire le simple geste qui, pour une minute de volontaire transigeance, eut pu lui dispenser des avantages idéals ou matériels, À ce point de vue, il semble à peine de notre monde où, dans, l’universelle concurrence, sombrent si facilement la dignité et la probité d’un artiste. Il a maintenu son indépendance avec une invraisemblable ténacité.

Existerait-il quelque relation entre cette intransigeance et la situation littéraire de Verhaeren, qui n’est pas sans présenter certaines singularités ? Elle s’offre, en effet, sous un double aspect selon qu’on envisage le poète, comme reconnu, ou méconnu.

À l’étranger, sa position est claire. En ces dernières années, toutes les revues les plus significatives, tous les organes de l’opinion artiste et avancée en Europe l’établissent et la proclament. On le traduit, on le discute, on lui rend hommage. En Angleterre, Arthur Symons a propagé son nom en de nombreux articles et traduit les Aubes. Alma Strettel a publié un choix de poèmes et Osman Edwards prépare une version du Cloître. Il y a quatre ou cinq ans, le Taylorian Institute l’invitait à venir faire, à Oxford, une conférence en français sur la Poésie contemporaine. Des critiques comme Edmond Gosse ou George Brandes lui consacrent des pages. Mais c’est en Allemagne surtout que son nom n’a cessé de grandir depuis peu. Récemment deux hommages éclatants lui sont venus de ce côté : un choix de poèmes merveilleusement traduits, ou plutôt recréés, par Stefan Zweig, et présentant comme une synthèse de l’œuvre entière de Verhaeren sous son triple aspect d’interprète de sa terre, de lui-même et du monde, puis une monographie due au romancier, poète et critique Johannes Schlaf, nature congéniale dont la chaude et véhémente appréciation est le plus beau témoignage dont un écrivain puisse se vanter. Et, chaque mois, des articles, dont l’énumération remplirait plus que cette page, propagent son nom avec une insistance dont nul autre poète français vivant n’est l’objet. C’est peut-être en Allemagne — soit dit en passant — que Verhaeren est envisagé sous son jour le plus vrai, non plus comme un poète belge ou français, mais comme un Weltempfinder, un artiste qui œuvre avec le sentiment du monde. En Suède, Ellen Key lui a consacré de ferventes pages ; en Russie, Valère Brussov et d’autres le traduisent et l’étudient méthodiquement. Maryi Markowskiej traduit les Aubes en polonais, et la jeune Espagne le connaît et l’honore. Verhaeren est en un mot l’un de ces hommes représentatifs dont le nom tend de plus en plus à s’épandre et qui désormais est accepté par l’élite européenne, comme le sont depuis longtemps un Ibsen, un Gorki, un Hauptmann. Sur ce point pas l’ombre d’un doute.

En regard de cette large acceptation au dehors, quelle est donc la situation du poète en France ?

À part un demi-millier de poètes, d’artistes et d’amateurs d’art qui l’aiment — et de quelle ferveur ! — un tel homme demeure presque ignoré. Son nom même, aux rauques sonorités, cause des étonnements, lorsqu’on le prononce en certains milieux « lettrés ». Et malgré les chefs-d’œuvre qu’il lui donnait, le public est demeuré en France, sa patrie d’adoption, comme un bloc d’indifférence, autant qu’en Belgique, son pays d’origine.

N’est-il donc personne pour relever ce fait étonnant qu’à l’heure où je trace ces lignes, ce sont deux Belges, rejetons de cette race inexistante littérairement il n’y a guère plus d’un quart de siècle, qui sont à travers le monde, les deux suprêmes représentants de notre littérature ? Si, Zola disparu, nul prosateur français ne jouit du renom universel d’un Maeterlinck, aucun de nos poètes depuis Verlaine ne possède le prestige international d’un Émile Verhaeren. C’est là un fait qu’avec un peu de curiosité et de sincérité chacun peut reconnaître. Opinion d’ailleurs qui s’est trouvée curieusement confirmée par le plébiscite qu’organisait il y a deux ans une revue provinciale, le Beffroi, et dont le résultat fut de voir apparaître le nom de Verhaeren en tête de liste. À cette occasion une élite française venait énoncer à voix haute le vote muet de l’élite européenne.

Je me demande si cette divergence que marque l’accueil offert à un Maeterlinck comme à un Verhaeren, ne prouverait pas que tout ce qu’ils ont mêlé d’universel à leur art est mieux compris au dehors que chez nous, s’adresse plus directement au cœur de la grande patrie européenne qu’à celle dont ils écrivent la langue et partagent la vie ?

Saluant l’ample famille à laquelle il appartient et pour laquelle il chante, ce dernier n’a-t-il pas dit :

Je suis le fils de cette race

Dont les cerveaux plus que les dents
Sont solides et sont ardents

Et sont voraces.


Et la race n’a pas renié ce fils. Elle le reconnaît présentement.


Interrogé dernièrement sur les tendances dominantes de la poésie actuelle, Verhaeren concluait par cette nette déclaration dont le sens m’apparaît éclatant, tant au point de vue de son œuvre à lui que de l’orientation des idées contemporaines :

« La poésie me semble devoir aboutir prochainement à un très clair panthéisme. De plus en plus les esprits droits et sains admettent l’unité du monde. Les anciennes divisions entre l’âme et le corps, entre Dieu et l’univers, s’effacent. L’homme est un fragment de l’architecture mondiale. Il a la conscience et l’intelligence de l’ensemble dont il fait partie… Il se sent enveloppé et dominé et en même temps il enveloppe et il domine… Il devient en quelque sorte, à force de prodiges, ce Dieu personnel auquel ses ancêtres croyaient. Or, je le demande, est-il possible que l’exaltation lyrique reste longtemps indifférente à un tel déchaînement de puissance humaine et tarde à célébrer un aussi vaste spectacle de grandeur. Le poète n’a qu’à se laisser envahir, à cette heure, par ce qu’il voit, entend, imagine, devine, pour que les œuvres jeunes, frémissantes, nouvelles, sortent de son cœur et de son cerveau… »

Cet aveu d’un poète, parvenu au sommet de son œuvre et embrassant le monde d’un regard, me parait, dans sa hardiesse et sa franchise, la plus précieuse des indications.

On suppose bien que Verhaeren n’entend pas désigner ici de ce qu’on nomme panthéisme dans les manuels de philosophie, — simple doctrine pour gens d’école. Ce que le poète préconise et annonce, c’est une refonte totale, un élargissement merveilleux de la conscience de l’homme, — de l’homme quotidien, non du métaphysicien — sous l’influence d’un sentiment nouveau de l’univers, perçu comme un ensemble où tout est lié, où la plus infime parcelle de matière contient toute la divinité qu’on adorait autrefois en quelques manifestations isolées.

Combien significatif pour nous de voir un pareil poète joindre sa voix aux quelques puissantes voix qui ont entonné déjà les premiers versets du nouveau cantique ! Comme son adhésion à une telle conjecture que d’autres grands poètes, des philosophes et des critiques ont instaurée, doit nous gonfler d’espoir, bien plus, confirmer notre certitude que l’humanité est grosse d’une idée nouvelle qui déterminera une ère de sa course !

Nous disions que l’œuvre du poète, depuis les Villages Illusoires, était un acheminement par étapes vers la conception que proclament les lignes plus haut citées : il peut même être considéré en bloc comme une préparation en vue de cette révélation. D’abord subconscient, le panthéisme de Verhaeren n’a cessé de s’élargir. Telles pièces des Visages et des Forces en sont imprégnées. Aujourd’hui l’heure a sonné de la parfaite conscience, de l’enthousiaste certitude. Et voici venir l’instant où nous allons connaître de quelle immense ferveur panthéiste l’être entier du poète a vibré. Par les fragments déjà connus de son recueil nouveau, la Multiple Splendeur, nous pouvons pressentir sur quelles cimes sacrées il nous emportera. Je crois pouvoir, sans me tromper, saluer d’avance en ce vaste chant religieux, où la voix du poète semble s’unir aux accents du grand orgue sous les voûtes de la cathédrale prochaine, le grand livre que nous attendions, le livre où chante une époque et qui marque une génération indécise.

Au matin de sa vie, le poète, évoquant du fond du passé, telle éclatante vision, concluait, à la façon d’un Rodenbach :

Mon rêve, enfermons-nous dans ces choses lointaines
Comme en de tragiques tombeaux…


Et voici le même homme qui, après avoir exalté sa race, tourné jusqu’aux confins de la démence dans les cercles abysmiques de son moi, erré par les villes et les campagnes en halluciné, couru librement le monde, vécu l’amour, sondé l’art et goûté les fortes joies de la camaraderie, après avoir souffert, rêvé et appris, est parvenu aux fixes clartés de l’heure présente et proclame sa croyance sous l’inspiration du dieu nouveau qu’il a reconnu identique en lui-même et dans l’être de chaque vivant, — voici le chantre ancien de la détresse et du désespoir, devenu, avec la même entièreté d’exaltation, le barde de la joie totale…

Je suis ivre du monde et je me multiplie

Si fort en tout ce qui rayonne et m’éblouit

Que mon cœur en défaille, et se délivre en cris.








OPINIONS





De Camille Lemonnier :

(BRUXELLES).


Dans le cirque, en proie aux mimes et aux histrions, parmi nos mièvres langues de rhéteurs, Verhaeren est le barbare plein de mépris pour les esthétiques byzantines et qui pousse une clameur d’art sauvage… Instinctif, spontané, touffu, tourmenté, irréductible, le poète se propose le violateur du temple, le briseur des vases sacrés. Il apparaît, dans le tourbillon de ses images, un grand ingénu violent.

(La Vie Belge, Fasquelle, 1905).




De Francis Vielé-Griffin :

(PARIS).


L’œuvre de Verhaeren, large et haute d’une noblesse native, est faite de cette ubiquité idéale sans quoi il n’y a pas de génie ; mais elle ne laisse pas de fleurer bon le terroir des aïeux ; au contraire de ces spécialistes provinciaux qui crurent fortifier leur plus chétif génie d’un scrupule, sans doute respectable, d’ethnologie géographique, Verhaeren élargit de son souffle l’horizon de la petite patrie, et, comme le fit Balzac de son ingrate et douce Touraine, il annexe aux plaines flamandes le beau royaume humain de son idéal et de son art.

(Note biographique pour A. Mockel, Émile Verhaeren,
Mercure de France, 1895).





De Stefan Zweig :

(VIENNE).


Émile Verhaeren est, depuis Victor Hugo, — peut-être depuis toujours, — le premier poète lyrique de grand style qu’ait eu la France. Il a rempli la poésie française de sentiments si intenses et si bouillonnants que le moule du Parnasse dont il se servit se brisa en mille morceaux entre ses mains. Mais avec les débris, il se créa pour lui-même une nouvelle forme,— comme tous les forts l’avaient fait avant lui…

(Préface, É. Verhaeren Ausgewählte Gedichte.
Schuster et Loeffler, 1904).





De Virginia M. Crawford :

(LONDRES).


…Il est quelque chose de plus qu’un poète ; il est aussi un penseur. Il s’adresse à la fois à l’intellect et à l’imagination ; ses poèmes portent l’empreinte de souffrances et de connaissances personnelles ; et ils sont remplis d’idées suggestives sur les problèmes éternels qui captivent l’attention de l’humanité. En un mot, Émile Verhaeren est intensément humain, dans ses joies comme dans ses douleurs, dans ses espérances comme dans son désespoir, et c’est ce proche sentiment de camaraderie qui éveille, chez le lecteur une forte sympathie personnelle pour l’homme, en plus de l’hommage qui lui est dû comme poète.

(Studies in Foreign Literature, Duckworth, 1899).





De Johannes Schlaf :

(WEIMAR).


…Si vous évaluez une grande individualité comme Verhaeren à l’aide de mesures esthétiques, si vous vous bornez à le considérer seulement comme un poète, vous ne l’avez compris qu’à moitié. Ce n’est pas le juger d’une manière essentielle et c’est rester en-dessous de sa vraie signification. Il est indispensable de bien comprendre et de bien pénétrer ceci : non seulement pour apprécier son importance à lui, mais aussi pour nous permettre de parvenir au rétablissement d’une humanité, qu’auront libérée et harmonisée tout à la fois des hommes comme lui.

(Émile Verhaeren, Schuster et Loeffler, 1905).





De Christian Rimestad :

(COPENHAGUE).


Il a réalisé tout ce que la dernière génération, en France, a tenté seulement, et il est un point de concentration pour toutes les tendances de la production lyrique en ces dernières vingt-cinq années… Naturaliste, il a su donner à la réalité un agrandissement tel qu’on le rencontre seulement dans les meilleures œuvres de Zola. Les vers de sa période « décadente » ont une substance plus forte, une base plus solide que la plupart des vers français similaires, parce qu’ils renferment un poids de réalité.

(Fransk Poesi, Det Schubotheske Forlag, 1906.
— Traduction résumée de P.-G. La Chesnais).








BIBLIOGRAPHIE







LES LIVRES



Les Flamandes poèmes. Bruxelles, Lucien Hochsteyn, 1883, in-18[1].
Les Contes de Minuit prose. Bruxelles, (Collection de la Jeune Belgique), Franck, 1885, in-18.
Joseph Heymans peintre critique. Bruxelles, « Société Nouvelle », 1885, in-8o.
Les Moines poèmes. Paris, Lemerre, 1886, in-18 (2 ex. sur Japon).
Fernand Khnopff critique. Bruxelles, « Société Nouvelle », 1887, in-8o.
Les Soirs poèmes. Bruxelles, Ed. Deman, 1887, in-8o.
Les Débâcles poèmes. Bruxelles. Ed. Deman, 1888,in-8°.
Les Flambeaux noirs poèmes. Bruxelles. Ed. Deman, 1890, in-8o[2].
Au Bord de la Route poèmes. Liège (Extrait de La Wallonie). Bruxelles, Vaillant-Carmanne, 1891, petit in-8o.
Les Apparus dans mes chemins poèmes, Bruxelles. P. Lacomblez, 1891, in-8o.
Les Campagnes
hallucinées
poèmes, couverture et ornementation de Théo van Rysselberghe. Bruxelles, Ed. Deman, 1893, in-8o.
Almanach poèmes, illustré par Théo van Rysselberghe. Bruxelles, Dietrich, 1895, in-8o.
Les Villages illusoires poèmes, illustrés de quatre dessins de Georges Minne. Bruxelles, Deman, 1895, in-8o.


Poèmes, (Les Bords de la route, Les Flamandes, Les Moines, augmentés de plusieurs poèmes) Paris, Soc. du Mercure de France, 1895,in-18. (Réimpr. augmentée de plusieurs poèmes. Paris, Soc. du Mercure de France, 1900, in-18).
Les Villes Tentaculaires poèmes, couverture et ornementation de Théo van Rysselberghe. Bruxelles, Ed. Deman, in-8o.
Poèmes, Nouvelle série
(Les Soirs, Les Débâcles, Les Flambeaux noirs)
Paris, Soc. du Mercure de France, in-18.
Les Heures Claires poèmes, couverture et ornementation de Théo van Rysselberghe. Bruxelles, Deman, 1896. in-8o.
Émile Verhaeren,
1883-1896
(anthologie) portrait par Théo van Rysselberghe. Sans lieu ni date « Pour les amis du Poète », (Bruxelles, Ed. Deman), 1897, in-18.
Les Aubes drame lyrique en quatre actes, couverture et ornementation de Théo van Rysselberghe. Bruxelles, Ed. Deman. 1898, in-8o.
Les Visages de la Vie poèmes, couverture et ornementation de Théo van Rysselberghe. Bruxelles, Ed. Deman, 1899, in-8o.
Poèmes, IIIe série
(Les Visages Illusoires, Les Apparus dans mes chemins, Les Vignes de ma muraille)
Paris. Soc. du Mercure de France, sans date (1899), in-18.
Le Cloître drame en quatre actes, en prose et en vers (représenté à Bruxelles, au Théâtre

du Parc, le 20 février 1900, et à Paris sur la scène du Théâtre de « l’Œuvre », le 8 mai 1900), couverture et ornementation de Théo van Rysselberghe. Bruxelles, Ed. Deman. 1900, in-8o.

Petites Légendes poèmes, couverture et ornementation de Théo van Rysselberghe. Bruxelles, Ed. Deman, 1900, in-8o.
Philippe II tragédie en trois actes (représentée sur la scène du Théâtre du Parc, à Bruxelles.) Paris, Soc. du Mercure de France, 1901. in-8o.
Les Forces Tumultueuses poèmes. Paris, Soc. du Mercure de France, 1902, in-18.
Les Villes tentaculaires précédées des campagnes hallucinées poèmes. Paris, Soc. du Mercure de France, 1904, in-18.
Toute la Flandre. Les tendresses premières couverture et ornementation de Théo van Rysselberghe, poèmes. Bruxelles, Ed. Deman, 1904. in-8o.
Les Heures d’après-midi poèmes, couverture et ornementation de Théo van Rysselberghe. Bruxelles, Ed. Deman, 1905 in-8o.
Rembrandt, (Les Grands Artistes. Leur Vie, leur Œuvre) biographie critique illustrée de 24 reproductions hors texte. Paris, H. Laurens, 1905. in-8o.
La Multiple splendeur poèmes,. Paris Soc. du Mercure de France, 1906. in-18.



On trouve en outre des poèmes d’Émile Verhaeren dans les ouvrages suivants :

Pol de Mont :
Poètes belges d’expression française
Almelo, W. Hilarius, 1899, in-18.
Ad. van Bever et Paul Léautaud :
Poètes d’aujourd’hui, 1880-1900
Paris, Société du Mercure de France, 1900, in-18.
Almanach des poètes Paris, Édition du Mercure de France, années 1896 et 1897, in-12
Les Péchés capitaux,
album d’eaux-fortes d’
Henry Detouche
Paris, Boudet, 1900, in 8°.
La Nation Belge, 1830-1905, conférences faites à l’Exposition Universelle et internationale de Liège en 1905 (pages 240-260) Liège, Ch. Desoer et Bruxelles, P. Weissenbruch, s. d. (1906), in-8o.
etc…





PRÉFACES



Exposition Henri-Edmond Cross Lettre-Préfaces, Paris, galerie E. Druet, 114, faubourg Saint-Honoré, 21 mar. — 8 avril [1905], in-12. Couverture illustrée servant de titre
Max Stevens : l’Écrou (Préface). Bruxelles, Larcier. 1906, in-12.





PÉRIODIQUES



M. Émile Verhaeren a collaboré à de nombreuses publications, savoir : La Semaine, Journal universitaire (Louvain),
L’Artiste (Bruxelles),
Les Écrits pour l’Art,
Le Scapin,
La Vogue,
Le Journal des Beaux-Arts,
La Plage,
Le Réveil de Gand,
La Jeune Belgique,
La Société Nouvelle,
L’Art Jeune (Bruxelles),
Le Coq Rouge (Bruxelles),
L’Art Moderne,
L’ Humanité Nouvelle,
La Revue-Journal,
Nouvelle Revue,
L’Ermitage,
Les Entretiens Politiques et littéraires,
L’Image,
Mercure de France,
La Revue Blanche,
Durendal,
Le Thyrse,
Le Monde Moderne,
Revue Encyclopédique,
Fortnightly Review,
Magazine of Art,
Les Arts de la Vie,
Antée,
La Belgique artistique et littéraire,
etc, etc…



À CONSULTER



André Beaunier : La Poésie nouvelle : Paris, Société du Mercure de France, 1902, in-18.
Ad van Bever et Paul Léautaud : Poètes d’aujourd’hui, 1880-1900. Paris, Société du Mercure de France 1900, in-18.
J. Boubée : La littérature Belge. Bruxelles, Dewit, 1906, in-18.
Georg Brandes : Émile Verhaeren, Politiken (Danemark), 8 juin 1903. Julius de Boër : Toute la Flandre. De Kroniek Algemein Weekblad (Amsterdam), 30 juillet 1904.
Arthur Daxhelet : Une Crise littéraire. Revue de Belgique, 15 mars 1904.
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Stefan Zweig : Ausgewählte Gedichte in Nachdichtung. Berlin et Leipzig, Schuster et Loeffler, 1903, in-8o.


Voir en outre :

Virgile Rossel : Les Poètes belges contemporains, Semaine littéraire, (Genève), 1894.
Rudolf Komadina : Emile Verhaeren, Die Gesellchaft, 1900.
René Arot : Émile Verhaeren, Mouvement Socialiste, 1901.
Paul Stephan : Emile Verhaeren, Tagesbote, 1905.
Paul Gabillard : Un Poète symboliste, Chronique des Livres, 1904.
Franz Carl Pinzkey : Emile Verhaeren ; Prazer Tagespost, 1905.
Fr. von Oppeln Bronikowski : Verhaeren der Weltempfinder, Münchener Allgemeine Zeitung, 1906.
Ellen Key : Zwei Bücher und Zwei Menschen, Aus fremden Zungen, 1906.
Georg. Brandes : Verhaeren als Dramatiker, Die Schaubühne, 1906
etc…
Numéro consacré à la Belgique (articles d’Albert Mockel et Camille Mauclair). Revue Encyclopédique, 24 juillet 1897.



TRADUCTION



Émile Verhaeren : The Dawn, (Les Aubes) trad. par Arthur Symons. Londres, Duckworth, 1898.
Poems by Emile Verhaeren, selected and rendered into English by Alma Strettel, London, John Lane, 1899.
Espana Negra, pages « originales » d’Émile Verhaeren, traduites, commentées et illustrées par Dario de Regoyos, Barcelone, 1899.
Les Aubes, trad. par M. Markowskiej. Cracovie, 1904.
Poèmes choisis (Ausgewählte Gedichte etc.) tr. par Stefan Zweig. Berlin, Schuster et Loeffler, 1904.
[Choix de vers contemporains, de Verhaeren] tr. par Valère Brussov. Moscou, éd. du « Scorpion » 1906, etc…

Ad. B.






  1. Un des 25 exemplaires, sur papier de Hollande, appartenant à l’auteur, avec illustrations hors texte et têtes de chapitre à l’encre de chine, par Guillaume Delsaux.
  2. Ces trois derniers volumes (Les Soirs, Les Débâcles, Les Flambeaux noirs) ont été tirés à 100 ex. sur Hollande, dont 50 illustrés par Odilon Redon.
  3. Cet ouvrage est en langue russe. Nous avons cru utile d’en traduire ici le titre.