Odes et Ballades/Épitaphe

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Odes et BalladesOllendorf24 (p. 224-225).


ODE QUATORZIÈME.

ÉPITAPHE.


Hic præteritos commemora dies, æternos meditare.


Jeune ou vieux, imprudent ou sage,
Toi qui, de cieux en cieux errant comme un nuage,
Suis l’instinct d’un plaisir ou l’appel d’un besoin,
Voyageur, où vas-tu si loin ? —
N’est-ce donc pas ici le but de ton voyage ?

La Mort, qui partout pose un pied victorieux,
À couvert mes splendeurs d’ombres expiatoires.
Mon nom même a subi son voile injurieux ;
Et le morne oubli cache à ton œil curieux
S’il est dans mon néant quelqu’une de tes gloires.

Passant, comme toi j’ai passé.
Le fleuve est revenu se perdre dans sa source.
Fais silence ; assieds-toi sur ce marbre brisé.
Pose un instant le poids qui fatigue ta course ;
J’eus de même un fardeau qu’ici j’ai déposé.

Si tu veux du repos, si tu cherches de l’ombre,
Ta couche est prête, accours ! loin du bruit on y dort.
Si ton fragile esquif lutte sur la mer sombre,
Viens, c’est ici l’écueil ; viens, c’est ici le port !

Ne sens-tu rien ici dont tressaille ton âme ?
Rien qui borne tes pas d’un cercle impérieux ?

Sur l’asile qui te réclame,
Ne lis-tu pas ton nom en mots mystérieux ?

Éphémère histrion qui sait son rôle à peine,
Chaque homme, ivre d’audace ou palpitant d’effroi,
Sous le sayon du pâtre ou la robe du roi,
Vient passer à son tour son heure sur la scène.

Ne foule pas les morts d’un pied indifférent ;
Comme moi, dans leur ville il te faudra descendre ;
L’homme de jour en jour s’en va pâle et mourant ;
Et tu ne sais quel vent doit emporter ta cendre.

Mais devant moi ton cœur à peine est agité !
Quoi donc ! pas un soupir ! pas même une prière !
Tout ton néant te parle, et n’est point écouté !

Tu passes ! — en effet, qu’importe cette pierre ?
Que peut cacher la tombe à ton œil attristé ?
Quelques os desséchés, un reste de poussière,
Rien peut-être, — et l’éternité !


1823.