Œuvres de Descartes/Édition Adam et Tannery/Tome 1/Texte entier

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René Descartes : Œuvres de Descartes, éd. Adam et Tannery, Tome 1




ŒUVRES

DE

DESCARTES



CORRESPONDANCE

I

Avril 1622 — Février 1638




ŒUVRES
DE
DESCARTES

PUBLIÉES
PAR
Charles ADAM & Paul TANNERY
SOUS LES AUSPICES
DU MINISTÈRE DE L’INSTRUCTION PUBLIQUE



CORRESPONDANCE
I
Avril 1622 — Février 1638



PARIS
LÉOPOLD CERF, IMPRIMEUR-ÉDITEUR
12, RUE SAINTE-ANNE, 12

1897




PRÉFACE


I.

Les Œuvres de Descartes furent plusieurs fois éditées au xviie siècle, du vivant du philosophe et après sa mort, mais séparément les unes des autres, comme on le verra à propos de chacune d’elles en particulier ; même l’édition de Blaeu en Hollande, qui d’ailleurs est en latin (9 vol., in-4o, 1682-1701), n’offre pas une véritable unité, et ce n’est qu’après coup, en 1692, qu’on y trouve un catalogue des neuf volumes réunis, comme si leur publication avait été conçue sur un plan méthodique. La Compagnie des Libraires à Paris donna, de 1723 à 1729, une petite édition, qui, si l’on en excepte le texte latin de quelques lettres dont on n’avait que la traduction, et quelques versions françaises de lettres latines, n’est qu’une réimpression ; seuls les six volumes de Lettres (1724-1725) offrent une tomaison suivie ; sept autres volumes, pour le reste des Œuvres, n’ont qu’une tomaison factice. C’est donc bien à Victor Cousin (comme il s’en glorifiait à juste titre) que la France doit une édition des Œuvres complètes de Descartes (11 vol. in-8, Paris, Levrault, 1824-1826). Mais d’abord elle est tout entière en français ; puis les exigences de la critique, ainsi que les progrès de l’érudition, firent bientôt reconnaître à l’éditeur lui-même (il en convenait de bonne grâce à la fin de sa vie), que son œuvre avait besoin d’être reprise à nouveau. Joseph Millet, auteur d’une Histoire de Descartes avant 1637 (Paris, Didier, 1867), et depuis 1637 (Paris, Dumoulin, 1870), se préparait consciencieusement à cette tâche, et publiait même en tête de son second ouvrage le prospectus d’un premier volume ; mais la guerre survint, puis la mort prématurée de l’auteur en octobre 1870, et son projet fut abandonné. Bientôt après, les études de M. Louis Liard sur la philosophie cartésienne, lorsqu’il était professeur à la Faculté des Lettres de Bordeaux (1874-1880), le convainquirent plus que personne de la nécessité d’une édition nouvelle, et de concert avec M. Paul Tannery, alors ingénieur à Bordeaux, il songeait à la donner : le Descartes, qu’il publia en 1882, subsiste comme un durable témoignage de ces premiers travaux. Mais à partir de 1884, la Direction de l’Enseignement supérieur au Ministère de l’Instruction publique imposa à M. Liard d’autres devoirs, et désormais il s’employa tout entier à faire aboutir la grande œuvre à laquelle il s’était voué, la reconstitution des Universités en France.

Cependant le troisième centenaire de la naissance de Descartes approchait ; on ne pouvait mieux le célébrer que par une édition de ses Œuvres. M. Émile Boutroux l’annonça dans la Revue de Métaphysique et de Morale, du 15 mai 1894 ; et le zélé Directeur de cette Revue, M. Xavier Léon, se fit aussitôt le promoteur de l’entreprise. M. Paul Tannery était de plus en plus le collaborateur désigné, surtout pour la partie proprement scientifique : la nouvelle édition des Œuvres de Fermat, à laquelle il venait d’attacher son nom, avec M. Charles Henry, l’avait notamment engagé dans des recherches approfondies relatives à la Correspondance de Descartes et à celle de Mersenne. M. Charles Adam, après plus de dix années d’études sur l’histoire de la philosophie en France dans la première moitié du xviie siècle, connaissait bien la partie philosophique des Œuvres de Descartes. Il employa une partie de l’année 1894 à faire des recherches, avec une mission officielle, dans les Bibliothèques de la Hollande et de Hanovre, et il revint avec de nombreuses et importantes trouvailles. Au mois de novembre, un Comité fut constitué au Ministère de l’Instruction publique en vue de l’édition nouvelle ; voici les noms des membres de ce Comité :

M. Xavier Charmes, de l’Académie des Sciences morales et politiques, Directeur du Secrétariat et de la Comptabilité au Ministère de l’Instruction publique, Président.
M. Charles Adam, Professeur de Philosophie et Doyen de la Faculté des Lettres de l’Université de Dijon.
M. Émile Boutroux, Professeur d’Histoire de la Philosophie moderne à la Faculté des Lettres de l’Université de Paris.
M. Victor Brochard, Professeur d’Histoire de la Philosophie ancienne à la Faculté des Lettres de l’Université de Paris.
M. Gaston Darboux, de l’Académie des Sciences, Professeur de Géométrie supérieure et Doyen de la Faculté des Sciences de l’Université de Paris.
M. Xavier Léon, Directeur de la Revue de Métaphysique et de Morale.
M. Louis Liard, de l’Académie des Sciences morales et politiques, Directeur de l’Enseignement supérieur au Ministère de l’Instruction publique.
M. Paul Tannery, Directeur des Manufactures de l’État, Professeur remplaçant de Philosophie grecque et latine au Collège de France.

Dès la première séance, M. Adam présenta un Projet d’édition, qui fut examiné, discuté et approuvé en principe. Dans les séances suivantes, espacées le long de l’année 1895, on régla diverses questions : orthographe à suivre, format des volumes, choix des caractères, etc., et finalement, en janvier 1896, un traité fut signé avec la maison Cerf et Cie à qui était confiée l’édition.

Le troisième centenaire de la naissance de Descartes fut célébré à la Sorbonne, le 31 mars 1896, entre philosophes et savants, sous la présidence de M. Liard. Après une allocution du président, la parole fut donnée aux deux collaborateurs : à M. Tannery, pour une lecture sur « Descartes physicien », à M. Adam, pour une conférence intitulée « À la recherche des papiers de Descartes ».

Des cérémonies du même genre furent célébrées à Rio-de-Janeiro, à Moscou, à Prague, etc.

Bientôt M. Léon eut réuni, grâce à la publicité de sa Revue, un nombre suffisant de signataires pour l’édition prochaine. Le Ministère souscrivit pour 200 exemplaires. Le 15 juillet 1896, la Revue de Métaphysique et de Morale donna, comme prime aux souscripteurs, un fascicule consacré tout entier à Descartes, et pour bien marquer le caractère international de la souscription, M. Léon avait convié des savants et des philosophes étrangers à collaborer à ce numéro exceptionnel : c’est ainsi que les noms de MM. Natorp et Schwartz, pour l’Allemagne, Gibson, pour l’Angleterre, Korteweg, pour la Hollande, Tocco, pour l’Italie, se trouvent associés à ceux de MM. Boutroux, Brochard, Lanson, Hannequin, Blondel, Berthet, Tannery et Adam, pour la France. Enfin un Comité qui ne comprenait pas moins de soixante-quatre noms, tous empruntés à la Philosophie et à la Science, patronnaient la souscription non seulement en France, mais dans toute l’Europe (Allemagne, Angleterre, Autriche-Hongrie, Belgique, Hollande, Italie, Russie, Suède, Suisse), et jusqu’en Amérique[1].

II.

La première partie de l’édition comprendra la Correspondance, et la seconde les Œuvres, Opuscules, Fragments, etc. Comme les Lettres de Descartes nous donnent l’histoire de ses Œuvres, et que l’intelligence de celles-ci exige de perpétuels renvois aux dernières années de la Correspondance aussi bien qu’aux premières, il faut que celle-ci soit entièrement publiée avant qu’on en vienne aux Œuvres, Opuscules, x Préface.

Fragments, etc. Par contre, rien n'est plus aisé que de ren- voyer par avance aux Œuvres de Descartes : on n'aura qu'à reproduire plus tard pour celles-ci la pagination de chaque édition princeps, qui est celle que donne Descartes lorsque dans ses Lettres il renvoie lui-même à ses propres livres. Les deux publications de la Correspondance et des Œuvres seront donc successives, et non pas simultanées.

L'ordre chronologique s'impose. Sans doute les lecteurs seraient bien aises de trouver réunies toutes les lettres échangées entre Descartes et tel de ses correspondants. Mais il importe davantage de rétablir l'unité de la correspondance entière, afin que la pensée du philosophe apparaisse dans son développement continu ; elle serait morcelée irrémédiablement, si l'on publiait à part chaque correspondance particu- lière. Quant aux relations de Descartes avec tel ou tel, il sera facile de les reconstituer à l'aide de tables particulières, qu'on donnera en aussi grand nombre qu'il y a de correspondants, outre la table générale de toutes les lettres au dernier volume. Cette Correspondance exige en outre, pour être intelligible,


xii Préface.

quantité de notes, qui envahiraient la place réservée au texte de Descartes tout d'abord. Cette nouvelle difficulté est résolue par une répartition des notes en plusieurs catégories de la façon suivante .

1° Pour les lettres qu'on a trouvées sans nom ni date, les renseignements que nécessitent ces deux points, sont placés en tête dans un Prolégomène.

2° Bon nombre de détails, au cours de chaque lettre, ont besoin d'éclaircissements : ce sont des faits mentionnés par Descartes, ou bien des réponses à des objections qu'il a fallu retrouver ailleurs. Les indications nécessaires sont rejetées à la fin de la lettre, chacune avec les deux numéros de la page et de la ligne en question ; et le lecteur qui parcourt le texte, est averti, par un astérisque, qu'il trouvera plus loin un éclaircissement.

3° Au bas des pages, à la place ordinaire des notes, on s'est contenté de mettre des notules (titre d'un ouvrage cité, nom d'un auteur dont on n'avait que l'initiale ou une désignation imparfaite, renvois à des lettres qui précèdent ou qui suivent, etc...). Mais surtout on a rangé sur deux colonnes les variantes du texte, lorsqu'il y en a : pour plusieurs lettres, en effet, nous avons deux textes, l'un et l'autre de Descartes, le texte de la minute conservée par lui et que Clerselier a imprimée, et le texte de l'original que donne un autographe retrouvé. — En haut de chaque page, deux numéros indiquent le tome et la page de l'édition Clerselier pour la lettre au-dessous : la pagination est la même pour toutes les éditions des volumes II et III ; pour le volume I, elle change de la première à la seconde : nous donnons celle de la seconde et de la troisième ; un trait vertical, dans le texte, indique le commencement de chaque page de Clerselier.

4° Restent les notices sur les correspondants de Descartes, et sur tant de noms propres cités dans ses lettres. Elles seraient parfois assez longues, ce qui surchargerait encore les annotations au bas des pages. En outre, comme les mêmes noms reviennent assez souvent, il faudrait donc chaque fois renvoyer à la notice placée au bas de la première lettre où le nom se rencontre. Que de renvois et quelle complication ! On s'est décidé à réunir tous ces noms propres en une sorte de Dictionnaire biographique, publié à part, où le lecteur trouvera sur chacun les renseignements qu'il désire.

Ainsi présentée, la Correspondance de Descartes sera d'une lecture commode, offrant tous les avantages d'une édition savante, sans que l'aspect général du texte perde rien pour cela de sa beauté. MM. Cerf et Cie, répondant en effet au désir du Ministère de l'Instruction publique, n'ont rien négligé ni épargné pour que la France puisse montrer, à l'Exposition universelle de 1900, une édition de son philosophe, digne d'elle et digne de lui.

Ch. ADAM.
Dijon, 31 décembre 1896.
INTRODUCTION


A LA CORRESPONDANCE DE DESCARTES



I. Édition Clerselier (1657-1659-1667).

II. Projet d'édition de Legrand et collection de La Hire (1675-1704). Classement de Poirier ou d'Arbogast (1793-1803).

III. Édition Victor Cousin (1824-1826).

IV. Autographes de Lettres et Copies manuscrites.



I.
ÉDITION CLERSELIER.


(1657-1659-1667.)


La première édition des Lettres de Descartes est celle de Clerselier, en trois volumes in-4, Paris, Charles Angot, 1657, 1659 et 1667. Quelques lettres cependant avaient été déjà imprimées à part, voici dans quelles circonstances.

En 1638, Plemp (Plempius), Professeur en Médecine à l'Université de Louvain, qui avait fait à deux reprises des objections à Descartes, résuma dans une première édition De Fundamentis Medicinœ (1638) les deux réponses du philosophe. Henry de Roy (Regius), de l'Université d'Utrecht, trouva le résumé inexact, et s'en plaignit dans des Thèses publiques en 1640 ; Plemp imprima donc le texte complet des deux lettres de Descartes dans une seconde édition des Fundamenta Medicinæ en 1644. La même année, un médecin de Dordrecht, Beverwick, demandait au philosophe ces deux mêmes réponses, et Descartes lui envoyait les minutes qu’il avait conservées : elles parurent dans les Quæstiones epistolicæ de Beverwick (Beverovicius), petit in-12 imprimé à Rotterdam en 1644. Clerselier ne se servira que de ce dernier ouvrage, où les deux lettres sont incomplètes et sans date.

En 1653, Pierre Borel, « Médecin du Roy », publiait dans son Compendium vitæ Renati Cartesii (petit in-12, de 55 pages seulement, imprimé à Castres), une traduction latine de quelques lettres ou fragments de lettres (en tout, onze numéros), dont on faisait circuler des copies : entre autres, deux lettres à la princesse Elisabeth, du 7 mai et du 28 juin 1643. Borel donne presque toujours la date précise des pièces qu’il publie ; mais Clerselier ou bien ignora cette publication, ou du moins n’en tint pas compte, comme il pouvait le faire, pour dater quelques pièces de la Correspondance de Descartes.

Enfin l’année 1656 parut à Amsterdam, sous le titre de Magni Cartesii Manes ab ipsomet defensi, sive N. V. Renati Des-Cartes Querela apologetica, la longue lettre apologétique du philosophe au Corps de Ville (Vroedschap) d’Utrecht. Descartes paraît avoir écrit lui-même cet opuscule en français et en latin. C’est le texte latin qui fut publié à Amsterdam, en 1656 ; Clerselier donnera le texte français au tome III de son édition, en 1667.

De quels matériaux disposait-il, lui-même le raconte dans la Préface de son premier volume. Il possédait les manuscrits de Descartes, c’est-à-dire, non pas les lettres envoyées par celui-ci, mais les minutes qu’il avait conservées pour un assez bon nombre d’entre elles. Ces minutes se trouvaient avec d’autres papiers, emportés de Hollande en Suède ; dans l’inventaire dressé le 14 février 1650, trois jours après la mort de Descartes, et dont une copie ms., de Clerselier lui-même, se trouve maintenant à la Bibliothèque Nationale (fr. 13262), outre celle de la Bibliothèque de l’Université de Leyde (collection Huygens), 7 articles sur 23 se rapportent à la correspondance :

A. Un assemblage de plussieurs cahiers liez ensemble, au nombre de dix, escritz d’autre main que de celle de Mons. Descartes, où sont transcrittes plussieurs lettres receues par Mons. Descartes, avec les responses qu’il a faites concernant des questions mathematiques, et quelques objections aux escrits de M. Descartes.

I. Une liasse de plussieurs lettres et objections à Mons. Descartes par diverses personnes.

L. Renati Descartes querela apologetica ad amplissimum Magistratum Ultrajectinum contra Voetium et Dematium.

O. Un escrit contenant neuf cahiers en forme de Lettres à Messieurs… contre le Sr Voetius.

T. Deux cent soixante-deux feuillets in-4o des Minutes des lettres escrittes par Mons. des Cartes à diverses personnes.

V. Quatorze feuillets in-4o et deux in-8o de minutes de lettres escrittes à Madame la Princesse Elisabeth de Bohême.

Z. Une liasse d’environ 25 feuillets detachez sans suitte, et quelques papiers volants contenant la réponse à quelques objections et autres matieres differentes.

Les héritiers laissèrent le tout à Chanut, ambassadeur de France en Suède, et grand ami du philosophe. On comptait sur lui pour publier ces manuscrits, et en 1653 Lipstorp (Lipstorpius), de Lübeck, le faisait espérer au public, p. 84 de ses Specimina Philosophiœ Cartesianœ : « Si Deus Illustrissimo Viro Dn. Petro Chanuto, Galliarum Regis Legato Extraordinario, vitam concesserit (quod speramus, et ardenter optamus), videbimus … Epistolas magno numero ab Authore ad Amicos scriptas, et ab iis receptas, rerum philosophicarum plenissimas. » Mais le diplomate, tout occupé d’importantes négociations en Suède et en Allemagne, à Lübeck même, s’en remit de ce soin à Clerselier, son beau-frère, également ami du philosophe. Le précieux dépôt fut donc envoyé en France, où il n’arriva qu’après bien des retards, en 1653. Là un dernier malheur l’attendait, qui faillit tout perdre irréparablement : le coffre qui contenait les manuscrits, venu par mer jusqu’à Rouen, fut ensuite confié à un bateau qui devait remonter la Seine jusqu’à Paris ; à l’approche de cette ville le bateau coula, et les manuscrits de Descartes restèrent trois jours au fond de l’eau, « au bout desquels Dieu permit qu’on les retrouvât à quelque distance de l’endroit du naufrage. Cet accident fit que l’on fut obligé d’étendre tous ces papiers dans diverses chambres pour les faire sécher. Ce qui ne put se faire sans beaucoup de confusion, surtout entre les mains de quelques domestiques qui n’avoient point l’intelligence de leur maître (Clerselier) pour en conserver la suite et l’arrangement. » Ces détails se trouvent dans la Vie de Mons. Des-Cartes, 1691, t. II, p. 428 : l’auteur, Adrien Baillet, devait être bien renseigné, car il composa son ouvrage en collaboration avec l’abbé Jean-Baptiste Legrand, à qui Clerselier avait légué ces papiers en 1684, non sans lui en avoir sans doute conté les mésaventures. Cependant Clerselier, dans sa Préface de 1657, ne dit mot du naufrage ni du sauvetage, et déclare seulement que ce qui lui a donné le plus de peine, « a esté que ces lettres n’estant écrites que sur des feuilles volantes, toutes détachées les vnes des autres, et souuent sans datte ny reclame, le desordre qui s’y estoit mis auoit fait qu’elles ne se suiuoient point, et qu’on n’y reconnoissoit ny commencement ny fin ; de sorte, » ajoute-t-il, « que i’ay esté obligé de les lire presque toutes, auant que de les pouuoir rejoindre les vnes aux autres, et de leur pouuoir donner aucune forme, pour les disposer par apres dans l’ordre et dans le rang qu’elles tiennent ».

Mais un examen attentif des trois volumes fait reconnaître que le désordre, dont se plaint l’éditeur, n’existait pas pour toutes les lettres, et qu’un assez bon nombre, sans doute rassemblées et peut-être même cousues en plusieurs liasses (les articles A, I, T, V, Z de l’inventaire le feraient croire), formaient des séries assez régulières, soit qu’elles fussent adressées à un même correspondant, soit qu’elles eussent été écrites la même année. En somme, les deux tiers et presque les trois quarts de chaque volume offrent un ordre facile à suivre, et Clerselier ne paraît avoir été embarrassé que pour un petit nombre de lettres qu’il a rejetées pêle-mêle à la fin de ses volumes, désespérant de retrouver pour chacune, non pas la date qui lui importait peu, mais le nom du destinataire. Encore ne s’en mettait-il guère en peine : l’essentiel pour lui était la substance même de chaque lettre, ou le sujet dont elle traite ; le reste ne lui paraissait qu’un accessoire qui pouvait s’ôter sans grande perte, petites nouvelles dont la lettre était parsemée, phrases de politesse au commencement et à la fin. « Pour ce qui est, » dit-il, « de l’ordre et de la suitte des lettres en général, comme souvent il importoit fort peu laquelle seroit mise devant, chacune presque traittant de questions differentes, et qui ne dépendent point les vnes des autres, je ne m’y suis pas beaucoup arresté ; mais quant à la disposition et à l’œconomie de chaque lettre en particulier, comme c’est un coup du maistre, on y verra le mesme ordre et la mesme distribution que dans tous ses autres écrits. » On comprendra mieux comment a procédé Clerselier et quels services peut encore rendre son édition, en étudiant l’un après l’autre les trois volumes.

Volume I.

Le premier volume parut sous ce titre : Lettres de Mr Descartes où sont traittées les plus belles questions de la Morale, Physique, Medecine et des Mathematiques. A Paris, chez Charles Angot, ruë Saint-Iacques, à la Ville de Leyden, 1657, (privilege du 21 décembre 1656, achevé d’imprimer pour la première fois le 30 Janvier 1657). Une nouvelle édition du tome premier, reueu et augmenté, fut publiée en 1663 (A Paris, chez Charles Angot, Libraire Iuré, ruë S. Iacques, au Lion d’Or, acheué d’imprimer pour la deuxième fois le 30 mars 1663) ; enfin parut en 1667 (achevé d’imprimer le 2 janvier), une troisième édition qui n’est qu’une réimpression de la seconde. Le titre a un peu changé : la première édition disait « où sont traittées les plus belles questions » ; la seconde dit seulement « plusieurs belles questions ». La première édition a 663 pages, la seconde 540 seulement, ce qui tient à la différence des caractères, 30 lignes à la page dans l’une, et 36 dans l’autre. Mais le nombre des pièces reste le même, 119 de part et d’autre. Voici les principales différences : la série des lettres à Regius (lettres LXXXI-XCIX) n’est pas disposée dans le même ordre ; la lettre C, sur Balzac, ne se trouve qu’en latin dans l’édition de 1657, tandis qu’en 1663, elle est suivie d’une version française, la lettre C bis ; enfin deux lettres, LV et LVI, entre Descartes et le P. Ciermans, ne sont aussi qu’en latin dans la première édition, tandis que dans la seconde le latin a disparu : on trouve à la place une version française, lettres LV et LVI également.

Les 119 lettres du premier volume se répartissent ainsi :

51 à la reine de Suède, à M. Chanut, et à la princesse Élisabeth, etc. (I-LI).
3 à un Seigneur (LII-LIV).
2 entre Descartes et un R. P. Jésuite des Pays-Bas (LV et LVI).
7 entre Descartes et Morin (LVII-LXIII).
9 entre Descartes et M. More, Gentilhomme anglois (LXIV-LXXII) ; les deux premières entre Clerselier et More.
2 à Mersenne, sur la question géostatique (LXXIII-LXXIV).
6 dont 2 entre Descartes et « M. de Berouic », suivies de 4 autres entre Descartes et « un Médecin de Louuain » (LXXV-LXXX).
19 à M. le Roy, Docteur en Médecine et Professeur (LXXXI-XCIX).
3 sur Balzac et à lui-même (C-CII).
8 à divers (CIII-CX), dont un seul est nommé, « M. de Zuytlichem » (CVI).
2 à Mersenne (CXI et CXII).
4 à un R. P. Jésuite (CXIII-CXVI).
3 à Clerselier (CXVII-CXIX).

Clerselier avait habilement choisi les lettres de ce volume : si les mathématiciens de profession n’y trouvèrent pas leur compte, comme l’écrivait Christian Huygens, le 2 mars 1657, en revanche le public qui s’intéresse davantage aux questions de morale, de physique même et de médecine, eut de quoi se satisfaire ; puis les noms de la reine Christine et de la princesse Élisabeth, l’une et l’autre encore vivantes, celui de Balzac, sans parler de ce gentilhomme anglais, M. More, et de ce seigneur dont on ne disait pas le nom, devaient attirer l’attention, et faire honneur au philosophe qui avait été en correspondance avec d’aussi grands personnages. Le succès du livre était assuré, et deux ans après, lorsque Clerselier publia son second volume, il constate, dans la Préface, que le premier est déjà « entièrement débité ».

Au xviie siècle, où l’on estimait surtout les idées d’un auteur, on pouvait se contenter de cette édition. Mais nous sommes devenus plus exigents ; nous demandons à une correspondance au moins deux choses : d’abord, qu’elle soit complète, c’est-à-dire en partie double, avec les lettres des correspondants et celles de l’auteur ; ensuite que le tout soit disposé dans l’ordre chronologique. Or ces deux choses manquent trop à l’édition Clerselier ; elles semblent même avoir été le moindre de ses soucis.

En France il obtint cependant de J.-B. Morin, Professeur au Collège Royal, communication de quelques lettres écrites à Descartes ainsi que des réponses. Encore, sur les sept pièces de cette correspondance, la première (LVII), bien antérieure aux autres, n’est point datée ; mais on trouve ensuite quelques dates, 22 février et 13 juillet 1638 pour LVIII, LIX et LX, 12 août de la même année pour LXI, rien pour LXII et LXIII.

Voici une autre correspondance que Clerselier pouvait aisément compléter et dater : il s’en est soucié encore moins. Chanut conservait un memento des lettres qu’il écrivait ou qu’il recevait ; Baillet et Legrand s’en serviront plus tard pour fixer plusieurs dates. Chanut avait aussi recouvré ses lettres, à la mort du philosophe, et Baillet en donnera de longs passages dans la Vie de Descartes. Mais Clerselier ne tira aucun parti de ces papiers de famille. Peut-être dut-il compter avec la modestie de son beau-frère, à laquelle il rend hommage dans la dédicace de son premier volume : Chanut n’avait même pas permis qu’on imprimât cette dédicace en 1657, et il fallut attendre sa mort, en 1662, pour la donner au public dans la seconde édition de 1663. Peut-être aussi les convenances s’opposaient-elles à la publication de lettres où un ambassadeur parlait librement de la reine auprès de qui il était accrédité, et lorsqu’elle était encore vivante (Christine ne mourut qu’en 1689). — Les mêmes raisons, auxquelles s’ajoute un sentiment de réserve bien naturel à une femme, expliquent pourquoi Clerselier ne put livrer à la curiosité publique les lettres de la princesse Élisabeth : celle-ci les avait aussitôt redemandées, à la mort de Descartes ; Chanut les lui renvoya, et la princesse, dit Baillet (t. II, p. 428), « ne voulut point permettre qu’on en imprimât aucune avec celles du philosophe ». Cependant elle en laissa prendre copie, et c’est ainsi qu’elles furent retrouvées plus tard et publiées en 1879 par Foucher de Careil.

Toujours par un semblable excès de modestie, Clerselier, qui imprimait à la fin du premier volume trois réponses qui lui avaient été faites, n’a point donné en même temps ses propres lettres auxquelles Descartes répondait. Et par la même négligence ou insouciance encore, il n’a point daté ces trois réponses.

Enfin les trois lettres à Balzac (C, CI et CII) n’ont point de date ; il était facile cependant de dater au moins les deux dernières, en intercalant entre elles une lettre à Descartes, du 25 avril 1631, imprimée dès 1636 dans la Seconde partie des Lettres de Mr de Balzac, et réimprimée en 1637, 1641, etc. On avait aussi, pour la première, une réponse, datée du 30 mars 1628 et imprimée en 1657, 1664, etc., dans des éditions particulières du Socrate chrestien par le Sr de Balzac et autres œuvres du mesme Autheur. Enfin on a retrouvé encore une lettre de Descartes à Balzac, ou plutôt la copie d’une lettre, du 14 juin 1637, parmi les papiers de Conrart, à la Bibliothèque de l’Arsenal. Mais en 1691, Baillet, à propos des lettres de Descartes à Balzac, mettra cette note en marge, t.  I.  p. 401 : « elles sont perdues la plupart. »

Cependant Clerselier avait écrit de Paris, le 12 décembre 1654, tout exprès « à M. More, gentilhomme anglois » (Henricus Morus), et celui-ci lui avait répondu de Cambridge, le 14 mai 1655. Ces deux lettres, LXIV et LXV, nous ont valu sans doute la date de celles qui suivent, LXVI et LXVII, 11 décembre 1648 et 5 février 1649, LXVIII et LXIX, 5 mars et 15 avril, (LXX n’est point datée), LXXI 21 octobre ; enfin LXXII n’est qu’une ébauche de lettre sans date non plus. Mais Morus avait changé quelque chose à ses lettres, avant de les envoyer à Clerselier ; ce n’est donc plus exactement ce qu’avait reçu Descartes. Voilà ce qu’on pouvait craindre, en s’adressant après coup aux correspondants du philosophe : donneraient-ils toujours le texte fidèle de ce qu’ils avaient écrit ? D’autre part la possession des minutes de Descartes assurait un avantage à Clerselier : il y trouvait, par exemple, la lettre LXXII, c’est-à-dire une dernière réplique qui n’avait pas été envoyée.

Mais puisque Clerselier écrivait en Angleterre, que ne s’informait-il de ce seigneur à qui Descartes avait adressé au moins trois lettres, LII, LIII et LIV ? C’était le marquis de Newcastle, frère d’un autre correspondant de Descartes, Charles Cavendish ; et si ce dernier était mort en 1652, son aîné vécut jusqu’en 1676.

Le premier volume contient aussi des lettres de Descartes et de correspondants des Pays-Bas. Ce sont d’abord les lettres LV et LVI, objections d’un R. P. Jésuite avec les réponses. Clerselier aurait pu savoir (Descartes le dit lui-même dans d’autres lettres), que ce Jésuite était le P. Ciermans, de l’Université de Louvain, mort d’ailleurs en 1648. Il pouvait savoir également, on l’a vu dès la première page de cette étude, que le Médecin de Louvain, qui fit des objections auxquelles Descartes répondit, lettres LXXVII-LXXX, était le Professeur Plemp (Plempius), de la même Université.

Aux Pays-Bas enfin vivait toujours Henry de Roy (Regius), Professeur à l’Université d’Utrecht, grand ami de Descartes entre 1638 et 1646, mais qui devint ensuite son ennemi. Clerselier avait entre les mains une copie des lettres de Regius ; cependant il ne les publia pas en 1657, bien que cela eût beaucoup aidé à comprendre les réponses de Descartes, fragments de réponses plutôt, où l’on ne trouve que trop de lacunes. Telles qu’elles étaient, elles déplurent à Regius, et l’un de ses amis se plaignit, dans un livre, que « ces réponses de Descartes étoient des choses controuvées et faites à plaisir ». Clerselier pensa alors, pour se justifier, à publier dans la seconde édition, en 1663, les lettres mêmes de Regius, auxquelles Descartes répondait. « Mais », dit-il (p. 8 de sa Préface au Traité de l’Homme, 1664), « en ayant écrit à M. de Roy, pour ne rien faire que de concert avec lui, il ne l’a pas voulu permettre ». La seconde édition parut donc sans lettres de Regius, et de nouveau avec les lettres de Descartes, tronquées et mutilées, comme s’en était plaint discrètement Clerselier dès 1657, à la fin de l’une d’elles (LXXXIV dans la première édit., LXXXVII dans la seconde) : « Deest reliquum. Et si candide et generosè D. Regius velit agere, illud supplebit. » C’était à la fois un appel direct à Regius, pour qu’il communiquât les originaux des lettres que Descartes lui avait écrites, et une allusion à la devise, candidè et generosè, que lui-même avait fait mettre à son portrait en tête des Fundamenta Physices (1646). Certes Clerselier ne pouvait faire mieux en cette circonstance.

Restent quelques lettres à Mersenne, LXXIII et LXXIV, CXI et CXII, ou à des jésuites, CXIII-CXVI, et huit lettres sans nom ni date, CIII-CX, sauf CVI à M. de Zuylichem. Sans doute, si Clerselier l’avait demandé à celui-ci (Constantin Huygens, le père), ou encore à M. de Pollot, avec qui d’ailleurs il était en correspondance, il aurait obtenu pour quelques-unes le nom du destinataire ainsi que la date : la lettre CVII, par exemple (lettre de consolation « sur la mort d’un frère »), est adressée à Alphonse de Pollot, dont le frère Jean-Baptiste était mort à La Haye, le 14 janvier 1641, etc. Si donc, grâce à Clerselier, les lettres de Descartes ont été sauvées d’une destruction entière, il n’a cependant pas rempli tout son devoir d’éditeur ; ou plutôt il l’entendait à la façon du xviie siècle, uniquement préoccupé des sujets traités dans cette correspondance, et indifférent aux questions accessoires de temps, de personnes ou de lieux.

Volume II.

Le second volume parut en 1659 avec ce titre : Lettres de Mr Descartes où sont expliquées plusieurs belles difficultez touchant ses autres Ouurages. Tome second : Paris, Charles Angot, ruë Saint-Iacques, à la ville de Leyden (achevé d’imprimer le 28 may 1659). Il fut réimprimé, sans aucun changement, en 1666 (achevé d’imprimer le 2 janvier). Une particularité remarquable de ce second volume, c’est qu’on n’y trouve plus de latin : toutes les lettres latines, au nombre de 22, y sont traduites en français. Les lecteurs s’étaient plaints de celles du premier volume ; Clerselier fit donc traduire les autres par son jeune fils, en manière d’exercice ; lui-même raconte le fait, en partie dans la Préface de ce second volume (1659) et tout au long dans celle du Traité de l’Homme (1664). Seulement il ne donna de ces lettres que la version française, sans le texte latin. En 1668, Daniel Elzevier publia à Amsterdam une édition latine des deux premiers volumes de Lettres. Le titre était : Renati Descartes Epistolœ, partim ab auctore latino sermone conscriptœ, partim ex gallico translatœ, etc. (2 vol. in-4). Elle avait été préparée, dit une Prœfatiuncula ad Lectorem, par les soins de Jean de Raei et de François de Schooten, deux anciens amis du philosophe. Or une question se pose au moins pour 22 lettres du second volume : le texte latin que donne l’édition hollandaise est-il l’original, ou seulement une version latine de ce qui n’était déjà dans Clerselier qu’une version française ? D’autant plus que cette édition hollandaise donne toutes les lettres en latin, sans dire lesquelles ne sont qu’une traduction, et lesquelles sont l’original.

Certains indices cependant permettent de résoudre le problème. La lettre IX, à Plempius, du 20 décembre 1637, donne dans le texte latin toute une phrase qui manque dans la version française ; où donc les éditeurs auraient-ils trouvé cette phrase, s’ils n’avaient eu l’original sous les yeux ? En outre on trouve dans l’édition hollandaise plusieurs dates qui manquent dans Clerselier, et ce sont des dates de lettres latines : ainsi pour les lettres LXXV et LXXVI du premier volume, le 10 juin et le 5 juillet 1643 ; pour la lettre de Mersenne à Voët, qui sert d’avant-propos au second volume, Idibus Decemb. 1642 ; pour la lettre IV, 4 Iunij 1648 ; pour les lettres VII et VIII, 5 nonas octobris 1637. Ajoutons que pour ces deux dernières, on a retrouvé à la Bibliothèque de l’Université de Leyde, collection Huygens, une copie manuscrite de l’original, et, sauf de rares exceptions, qui sont plutôt de simples variantes, le texte de cette copie est le même que le texte latin imprimé par Raei et Schooten. Ceux-ci ont donc pris la peine de rechercher les originaux de Descartes et de les publier, au moins pour les lettres latines. Enfin Clerselier, dans son premier volume de 1657, donnait deux lettres latines, LV et LVI, dont on ne trouve plus qu’une version française dans la seconde édition en 1663. Or, les éditeurs hollandais, qui semblent avoir suivi cette seconde édition, ou la troisième de 1666 (l’ordre des lettres LXXXI-XCIX à Regius est, en effet, celui de cette seconde édition, et non pas celui de la première), donnent de ces deux mêmes lettres LV et LVI un texte latin, qui est, mot pour mot, celui de Clerselier en 1657 ; ils se préoccupaient donc de reproduire, quand ils le pouvaient, les originaux de Descartes. Ces différentes preuves, que confirme pleinement la comparaison du texte latin et de la version française, tout à l’avantage du latin, comme brièveté et aussi comme vigueur et comme nuance d’expression, nous autorisent à suivre pour les 22 lettres latines du second volume l’édition de Raei et Schooten, imprimée par Elzevier en 1668 et réimprimée par Blaeu à partir de 1682.

Les lettres du second volume peuvent se répartir en quatre séries A, B, C, D.

A. I-XXIV. — B. XXV-LX. — C. LXI-XCVIII. — D. XCIX-CXXVIII inclus.

La série A comprend les lettres suivantes :

I. À un ami de Descartes pour Descartes. — II. Réponse.

III. À Descartes. — IV. Réponse. — V. Réplique. — VI. Seconde réponse, 29 juillet 1648.

VII et VIII. À Plempius et à Fromondus. — IX. À Plempius, 20 déc. 1637.

X. À Buitendiich. — XI. A*** — XII. A***, 17 oct. 1630.

XIII. Objections de Le Conte. — XIV. Réponse.

XV. À Descartes. — XVI. Réponse.

XVII. A***, Amsterdam, 22 août 1634.

XVIII. A***, février 1646.

XIX et XX. À Descartes, 20 mai 1647. — XXI et XXII. Réponses.

XXIII. A***. — XXIV. A***.

On chercherait en vain dans cette série A la moindre apparence d’ordre chronologique : les quelques lettres qu’elle donne avec leurs dates ne font que mieux ressortir le pêle-mêle de l’ensemble. Clerselier semble avoir voulu seulement rassembler un certain nombre d’objections avec les réponses de Descartes. La plupart de ces objections (c’est là peut-être la seule unité qu’on y trouve) venaient des Pays-Bas, sauf deux lettres d’Arnauld, III et V, et deux autres lettres envoyées de France : lettre XIII de M. Le Conte, à qui l’abbé Picot et Clerselier avaient répondu déjà, et lettre XV de cet inconnu qu’on a appelé l’hyperaspistès.

Mais la lettre I venait de quelqu’un de La Haye, au commencement de 1638. Les lettres VII, VIII et IX sont des réponses à deux Professeurs de l’Université de Louvain, Plemp et Froidmont, dont le premier avait envoyé à Descartes les objections de l’autre. À ce propos Clerselier aurait pu faire ce qui a été fait depuis lors, s’enquérir des copies, qui existaient en Hollande, de ces objections de Froidmont (Constantin Huygens en avait une), et les publier ; sachant d’abord ce qui était objecté à Descartes, on aurait mieux compris sa réponse.

Les lettres X, XI et XII ont ceci de commun qu’elles s’adressent toutes trois à des correspondants de Dordrecht : M. de Buitendijk, dont Clerselier donne le nom, et Isaac Beeckman qu’il ne nomme pas. Ce dernier, à qui sont adressées les lettres XI et XII, est également le destinataire de la XVIIe, si bien qu’ôtée la parenthèse de XIII et XIV, et de XV et XVI, la XVIIe se place naturellement à la suite de XI et XII. Clerselier ne pouvait guère le deviner et nous ne le savons nous-même, pour la lettre XVIIe, que par une autre lettre, du 14 août 1634, dont l’original donne en entier le nom de Beeckman, imprimé seulement B. dans la minute du t. II, lettre LXXVII. — Si Clerselier s’en était donné la peine, peut-être aurait-il découvert encore un autre correspondant de Descartes, Andreas Kolff ou Colvius, « Ministre de la parole de Dieu » à Dordrecht ; deux lettres de Colvius à Descartes, avec une réponse de celui-ci, ont été retrouvées dans la collection Huygens, et une autre encore de Descartes au même se trouve à la Bibliothèque royale de Munich.

La lettre XVIII offre une énigme, mais avec des données qui permettront de la résoudre (le titre d’un imprimé et la date de février 1646).

Les quatre suivantes XIX et XX, puis XXI et XXII, se rapportent aux démêlés de Descartes avec l’Université de Leyde et ici encore Clerselier aurait peut-être obtenu des Professeurs communication de tout le dossier, s’il l’avait demandé. Les deux lettres de Descartes, XXI et XXII, du 27 mai 1647, ne sont pas les seules qu’il ait écrites à cette occasion ; on en trouve une première, fort longue, du 4 mai 1647 dans le Registre des Curateurs de l’Université de Leyde, sans parler de la requête du philosophe à l’ambassadeur Abel Servien, que Baillet imprimera plus tard dans la Vie de Descartes (t. II, p. 318), et sans compter un billet à Heereboord, du 19 avril 1647, qui se trouve maintenant à Paris, Bibliothèque Victor Cousin.

Les deux lettres XXIII et XXIV, par lesquelles se termine la série A, restent jusqu’à présent des énigmes.

Les deux séries B et C, que nous avons distinguées ensuite, offrent un ordre beaucoup plus satisfaisant, surtout si on les transpose, la série C (LXI-XCVIII) étant mise avant la série B (XXV-LX). On obtient ainsi une suite ininterrompue de lettres, qui vont de 1630 à 1639, puis de 1639 à 1642, la plupart adressées au P. Mersenne, et quelques-unes à d’autres ; mais toujours ces dernières s’intercalent pour les dates entre les précédentes. Clerselier semble avoir eu là deux liasses de lettres classées suivant l’ordre chronologique, et qui n’auraient point souffert du naufrage dans la Seine ni du séjour au fond de l’eau. Seulement les minutes n’étant point datées, l’ordre n’apparaît que depuis qu’on a pu restituer, ou peu s’en faut, à chacune sa date, en les confrontant avec les originaux.

Voici d’abord un tableau de la série C, lettres LXI-XCVIII, de 1630 à 1639. Elle-même se partage en deux : lettres LXI-LXXVII, de novembre 1630 au 14 août 1634, et LXXVIIIXCVIII de juin 1637 à février 1639. Il existe, en effet, une lacune dans la correspondance de Descartes et de Mersenne, pendant les deux années 1635 et 1636 : en 1635, Mersenne était fort occupé par l’impression de ses ouvrages (il n’en publia pas moins de quatre, l’année suivante) ; et en 1636, Descartes, à son tour, préparait la publication de son Discours de la Méthode et des Essais de cette Méthode, pour 1637. D’ailleurs la plus ancienne liste des lettres de Descartes à Mersenne, celle de La Hire, qui a été dressée d’après les originaux n’indique rien pour 1635 et 1636 : ne nous étonnons donc pas si, pour ces deux années, Clerselier n’a rien trouvé non plus dans les minutes.

CLERS. DATES. LA HIRE.
LXI [4 novembre 1630]
LXII [2 décembre 1630
LXIII Id.
LXIV Id.
LXV [23 décembre 1630
LXVI [Janv. ou oct. 1631] 6
LXVII [10 mai 1632]
LXVIII [Oct.-nov. 1631]
LXIX [Janvier 1632]
LXX 2 février 1632
LXXI [5 avril 1632]
LXXII [3 mai 1632]
LXXIII [Juin 1632]
LXXIV [Nov. ou déc. 1632]
LXXV 22 juillet 1633 [Novembre 1633] 7
LXXVI [Avril 1634]
LXXVII 14 août 1634 9
LXXVIII [14 juin 1637]
LXXIX Id.
CLERS. DATES. LA HIRE.
LXXX [Février 1634] [25 mai 1637]
LXXXI [2 juillet 1634] [Décembre 1635]
LXXXII 5 octobre 1637
LXXXIII [Octobre 1637]
LXXXIV-V [25 janvier 1638]
LXXXVI 12 février 1638
LXXXVII [Mars 1638]
LXXXVIII [29 juin 1638]
LXXXIX 13 juillet 1638
XC [Septembre 1638]
XCI [11 octobre 1638] 18
XCII 15 novembre 1638 20
XCIII [Nov. ou déc. 1638]
XCIV [Décembre 1638]
XCV [9 janvier 1639]
XCVI 9 janvier 1639  21
XCVII 9 février 1639 22
XCVIII 20 février 1639

On voit tout ce que nous devons à Clerselier pour les 41 lettres de cette série (les lettres LXXV, LXXX et LXXXI comptant pour deux). Sans lui, c’est-à-dire sans les minutes qu’il a publiées, nous n’aurions que 7 lettres à Mersenne, LXVI, LXXV, LXXVII, XCI, XCII, XCVI et XCVII, et 4 lettres, LXX, LXXXI, LXXXII et LXXXVI à Golius, Renery, Huygens et Pollot. Nous avons en plus 18 minutes de lettres à Mersenne, et 12 minutes de lettres à divers, en tout 30 numéros.

Et l’ancienne édition nous donne ici non seulement des lettres que nous n’aurions pas, mais l’ordre dans lequel ces lettres se suivent chronologiquement. Prenons, en effet, comme points de repère les dates que nous connaissons aujourd’hui par les autographes : 2 février 1632, 22 juillet 1633, 14 août 1634 (lettres LXX, LXXV, LXXVII), et supposons que les lettres intercalées ont été écrites, en effet, dans les intervalles de ces dates : la supposition se vérifie à merveille. Par exemple, la lettre LXXV comprend deux minutes, l’une du 22 juillet 1633, comme l’atteste l’original, l’autre de la fin de novembre, comme nous l’apprend une lettre suivante ; et cette seconde minute est bien précieuse, car l’original s’était perdu en chemin (Descartes a toujours cru qu’on l’avait dérobé), et c’est justement la lettre où, alarmé par la condamnation de Galilée, qu’il vient seulement d’apprendre, il déclare que de longtemps il ne publiera rien. Quant à la lettre LXX, dont nous avons l’autographe à Golius, du 2 février 1632, elle est bien précieuse aussi, lorsqu’on la rapproche de la LXVIIe (qu’on peut sûrement dater d’octobre-novembre 1631, car elle annonce le départ de Renery pour Deventer, où il avait été nommé professeur le 4 octobre 1631 et où il inaugura son enseignement le 28 novembre). Ces deux lettres, en effet, donnent en même temps les dates approximatives de plusieurs autres qui précèdent ou qui suivent , Descartes s’étant empressé d’aller rejoindre son ami à Deventer, où il demeura jusqu’en décembre 1633.

Les lettres LXXVIII-XCVIII forment une série plus aisée encore à reconstituer, grâce aux dates fixes de six d’entre elles, 5 octobre 1637, 12 février, 13 juillet et 15 novembre 1638, 9 janvier et 9 février 1639. La simple lecture des autres persuade qu’elles ont bien été imprimées dans l’ordre chronologique. On peut donc, sans trop de témérité, laisser à leur place la XCe par exemple entre LXXXIX et XCI (13 juillet et 11 octobre 1638) et de même la XCIIIe entre XCII et XCIV (15 novembre et décembre 1638). Cependant on ne peut se fier absolument à l’ordre suivi par Clerselier pour cette série, série C : si les papiers de Descartes étaient parfaitement en ordre, la lettre LXVII devrait suivre immédiatement la LXXIIe ; d’autre part, sous chacun des deux numéros LXXX et LXXXI, Clerselier a réuni deux lettres de dates différentes, et dont ni l’une ni l’autre ne se trouve à sa place.

Mais si nous reprenons maintenant la série B XXV-LX, nous verrons que l’ordre chronologique y est plus fidèlement suivi. Elle fait suite immédiatement à celle que nous venons d’examiner, la dernière lettre de cette série C étant du 20 février 1639 et la première de la série B étant du 30 avril 1639. En voici d’ailleurs le tableau, avec les minutes identifiées aux numéros de La Hire qui donnent les dates prises sur les autographes :

CLERS. DATES. LA HIRE.
XXV 30 avril 1639
XXVI [Juin 1639]
XXVII [ Juin 1639]
XXVIII XXIX 19 juin 1639 24
XXX 27 août 1639 25
XXXI [Octobre 1639]
XXXII 16 octobre 1639 26


CLERS. DATES. LA HIRE.
XXXIII [Novembre 1639]
XXXIV 25 décembre 1639 27
XXXV 29 janvier 1640 28
XXXVI Id.
XXXVII 11 mars 1640 29
XXXVIII [Avril 1640]
XXXIX 11 juin 1640 30
XL 30 juillet 1640 31
CLERS. DATES. LA HIRE.
XLI 6 août 1640 32
XLII 15 septembre 1640 34
XLIII 30 septembre 1640 35
XLIV 28 octobre 1640 37
XLV 11 novembre 1640
XLVI Id.
XLVII  Id.
XLVIII [18 novembre 1640]
XLIX [Décembre 1640]
L [24 ou 31 déc. 1640]
LI [Déc. 1640 ou janv. 1641]
CLERS. DATES. LA HIRE.
LII [Janvier 1641]
LIII [Janv.-fév. 1641]
LIV [22 avril 1641] 16 juin 1641 42
LV [23 juin 1641]
LVI Id.
LVII [Août 1641]
LVIII  17 novembre 1641 44
LVIX 31 janvier 1642
LX [Mars 1642]

Sur ces 36 lettres (ou plutôt 35, XXVIII et XXIX ne comptant que pour une), 27 sont adressées à Mersenne. Sur ces 27, nous avons les autographes de 14, avec dates fixes ; Clerselier nous donne donc en outre 13 minutes, dont l’original a disparu, et par la place même qu’elles occupent, il nous donne à peu près aussi la date de chacune d’elles ; car il les a sans doute placées dans le volume comme il les trouvait dans les liasses de Descartes, et les minutes paraissent avoir été rangées ici les unes à la suite des autres au fur et à mesure que les lettres étaient envoyées, si l’on en juge par la concordance des deux séries de minutes XXXIX à XLIV et des numéros 30 à 37. En conséquence, la lettre XXXIe, par exemple, se trouvant imprimée entre deux lettres à Mersenne, dont la date est fixée, 27 août et 16 octobre 1639, on est autorisé, ce semble, à lui donner une date intermédiaire, septembre-octobre 1639. Voici une autre minute, la XXXIIIe à Mersenne, entre deux lettres du 16 octobre et du 25 décembre 1639, nos 26 et 27 de La Hire : il y a place, en effet, entre ces deux dates pour une autre lettre, écrite sans doute en novembre ; l’original en aura été perdu, et nous devons nous féliciter que Clerselier nous en ait au moins conservé la minute. De même pour la lettre XXXVIII, entre celles du 11 mars et du 11 juin 1640, nos 29 et 30 de La Hire ; et de même encore pour la lettre XXVIIe entre XXVI et XXVIII, toutes deux de juin 1639. On voit les services que peut rendre, non seulement pour le texte des lettres, mais pour les dates elles-mêmes, l’édition de Clerselier, lorsqu’on la suit avec prudence et qu’on en contrôle les données. Quatorze dates fixes que l’on connaît maintenant, grâce aux originaux, servent ici comme de jalons : en allant de l’un à l’autre, et ralliant tout ce qu’on rencontre en chemin, on donne une place à peu près certaine à vingt-et-une autres lettres.

Reste la série D (XCIX à CXVIII, plus trois fragments), où Clerselier a rejeté un peu pêle-mêle tout ce qui l’embarrassait. En voici le tableau, avec quelques-unes des indications qu’on peut maintenant y joindre.

CLERS. DATES. LA HIRE.
XCIX [Août 1638]
C ?
CI [Août 1638
CII 19 mai 1635
CIII [Automne 1635] [25 novembre 1630] [ Été 1632]
CIV 15 avril 1630 5
CV 18 décembre 1629 [Janvier 1630] 3
CVI 15 mai 1634 8
CVII 20 octobre 1642 46
CVIII 23 février 1643 51
30 mai 1643 55
CIX 7 décembre 1642 48
2 février 1643 50
CLERS. DATES. LA HIRE.
CX 25 février 1630 [4 et 18 mars 1630]
CXI [Mars 1636]
CXII 8 octobre 1629 7 septembre 1646 63
CXIII [5 octobre 1646
CXIV [27 mai 1647]
CXV [Février 1643] [Avril 1643]
CXVI 23 mars 1643 52
26 avril 1643 54
CXVII ?
CXVIII ?
Frag. 1
Frag. 2
Frag. 3 [12 novembre 1640]

La confusion est d’autant plus grande qu’à plusieurs reprises, jusqu’à huit fois (CIII, CV, CVIII, CIX, CX, CXII, CXV et CXVI) deux lettres se trouvent cousues l’une à l’autre, comme on a pu s’en assurer, pour la plupart, en les comparant aux originaux.

Pour débrouiller maintenant ce chaos, faisons d’abord deux parts, celle de Mersenne et celle des autres correspondants.

Les lettres à Mersenne se classent assez bien en deux petites séries, enchevêtrées d’ailleurs l’une dans l’autre, la première de 1629 à 1636, la seconde de 1642 à 1643. La seconde s’établit sans peine avec les numéros de La Hire.

CLERS. DATES.
CXII 8 octobre 1629
CV 18 décembre 1629 Janvier 1630
CX 25 février 1630 Mars 1630
CIV 15 avril 1630
CVI 15 mai 1634
CXI Mars 1636
LA HIRE. DATES. CLERS.
46 20 octobre 1642 CVII
48 7 décembre 1642 CIX
50 2 février 1643
51 23 février 1643 CVIII
52 23 mars 1643 CXVI
54 26 avril 1643
55 30 mai 1643 CVIII

Les numéros 47, 49 et 53, dont les minutes manquent ici, ne sont pas perdus pour cela : la minute du n° 47, qui est du 17 novembre 1642, forme la lettre CXIII du troisième volume ; quant aux numéros 49 et 53, du 4 janvier et du 26 avril 1643, Clerselier n’en a pas eu la minute ; mais l’original existe encore, et il a été récemment retrouvé et publié par M. Paul Tannery.

Il nous reste 10 lettres, plus 3 fragments, à d’autres que Mersenne (XCIX, C, CI, CIl, CIII, CXIII, CXIV, CXV, CXVII et CXVIII). Une d’elles, CII, est sûrement à Golius, du 9-19 mai 1635 ; l’autographe existe encore. Trois sont sûrement à Constantin Huygens (CI, CXIII et CXV) ; car ce sont trois réponses à des lettres de celui-ci que l’on connaît maintenant ; et peut-être en est-il de même des lettres C et CXIV, qui se trouvent si voisines des précédentes. Un des trois fragments, le dernier, est aussi une lettre à Huygens, du 12 novembre 1640, et peut-être avec lui les deux autres, ou au moins l’un des deux. La lettre XCIX paraît adressée à Plempius. Nous n’aurions donc que les lettres CIII (où il y en a probablement jusqu’à trois en une seule), CXVII et CXVIII, plus un fragment ou deux, sans date comme sans nom de destinataire.

Tel est le bilan de ce second volume, si précieux pour nous à cause des deux séries C et B du milieu, LXI-XCVIII et XXV-LX, qui forment ensemble un tout, non pas complet, sans doute, mais cependant compact et solide, dont les éléments se suivent bien et se tiennent. La série A, quoique moins bien ordonnée, se compose encore de parties dont on peut déterminer la destination et la date. Enfin quoique la série D soit la plus défectueuse des quatre, et n’offre d’abord que confusion et obscurité, nous avons vu qu’il n’était pas tout à fait impossible de s’y reconnaître.

Volume III.

Le troisième volume parut tard, en 1667, dix ans après le premier. Il se compose, pour la majeure partie, de questions scientifiques : Clerselier en prévient le lecteur avec ce titre explicite : Lettres de Mr Descartes, où il répond à pluſieurs difficultez qui luy ont eſté propoſées sur la Dioptrique, la Geometrie, & ſur plusieurs autres ſujets.

La Préface de ce troisième volume (écrite en 1666, puisque l’achevé d’imprimer est du 7 septembre 1666), est à rapprocher de celle que Clerselier avait déjà mise deux ans plus tôt en tête du Traité de l’Homme, 1664. Toutes deux sont nettement apologétiques. La philosophie de Descartes, sinon sa personne même, était attaquée : Clerselier les défend. En 1664, il proteste contre le reproche d’irréligion et publie la traduction de deux passages de St Augustin, les mêmes qu’Arnaud avait déjà allégués en 1658, pour montrer la conformité des doctrines du philosophe avec ce Père de l’Église. Clerselier était d’autant plus sensible au reproche, qu’il avait à cœur de témoigner lui-même, par sa conduite comme par ses écrits, qu’on peut être à la fois bon chrétien et bon cartésien ; c’est l’hommage qu’on lui rendit après sa mort, en 1684. Mais en 1666 Rome mit à l’index les livres de Descartes, et les Jésuites n’avaient pas été étrangers à cette condamnation ; déjà, le 7 septembre 1662, des thèses cartésiennes avaient été censurées par la Faculté de Théologie de Louvain, à l’instigation des Jésuites. Clerselier pensa donc qu’il ne devait plus garder les lettres échangées entre le philosophe et les RR. PP., et, pour mettre le public au fait, il imprima la dispute de Descartes et du P. Bourdin, laquelle est purement scientifique. Il jugeait habile de montrer que, du vivant de Descartes, ce n’était pas la Société de Jésus tout entière qui s’était déclarée contre lui, mais un Père seulement, et au sujet de sa Dioptrique, non de sa Philosophie ; encore cette petite querelle s’était terminée assez vite par la réconciliation des deux adversaires, et pouvait passer pour un simple malentendu.

Elle était du même ordre que celle qu’avait suscitée Fermat en 1637-1638, et qui fut reprise, après la mort de Descartes, par Fermat encore, Cureau de la Chambre et Clerselier lui-même, de 1657 à 1662. Clerselier avait évité dans ses deux premiers volumes de rien publier qui eût rapport à une autre querelle entre Descartes et Roberval : il espérait toujours que celui-ci consentirait enfin à lui communiquer les originaux des lettres de Descartes à Mersenne, dont il s’était emparé à la mort du bon religieux, en septembre 1648. Mais Roberval s’y refusait obstinément, et Clerselier dut se contenter, pour cette partie de la correspondance comme pour tout le reste, de publier simplement les minutes. Au moins il voulut dégager sa responsabilité d’éditeur, et dénonça au public toute la conduite de Roberval en cette affaire. Puis, comme Roberval continuait d’attaquer Descartes mort, et en triomphait trop aisément, en tournant les faits à son avantage, Clerselier devait à la mémoire de son ami de rétablir la vérité, et il le fit en imprimant avec les lettres des deux adversaires une lettre de lui, datée du 13 juillet 1658, qui, pensait-il, terminerait le débat.

Le troisième volume se divise donc en plusieurs séries :

I-XXVIII. Démêlés avec les Jésuites. — XXIX-XXXV. Démêlés avec Hobbes. — XXXVI-LXXIV. Démêlés avec Fermat, Roberval, etc. — LXXV-LXXXIV. Lettres à Carcavi, à Elisabeth, à Schooten, etc. — LXXXV-XCVII. Nouveaux démêlés avec Roberval. — XCVIII-CXXV. Lettres diverses.

La première série, I-XXVIII, comprend d’abord la longue lettre apologétique de Descartes au Corps de Ville d’Utrecht ; il y est déjà question du P. Bourdin, mais surtout de Voetius et de Regius. Viennent ensuite 22 lettres, formant 27 numéros, II-XXVIII, parce que Clerselier donne pour 5 d’entre elles à la fois le texte latin et une version française, qu’il numérote séparément. Elles se partagent d’abord en deux petites séries, l’une de 8 lettres sur la querelle de Descartes et du P. Bourdin (1640-1642), l’autre de 9 lettres concernant l’envoi des Principes, et quelques objections sur ce livre, en 1644-1645. Les voici toutes deux :

CLERS. DATES.
II 22 juillet 1640
III-IV Id.
X-XI 29 juillet 1640
VII 30 août 1640
VIII-IX Id.
XII-XIII 28 octobre 1640
XIV 3 décembre 1640
XV-XVI 7 septembre 1642
CLERS. CORRESPONDANTS. DATES.
XVII A ***
XVIII Au P. [Vatier] 1644
XIX Au P. [Charlet] Oct
XX Au P. [Dinet]
XXI Au P. [Bourdin] 1644
XXII Au P. Charlet Déc. 1644
XXIII Au P. [Dinet] ou
XXIV Au P. [Bourdin] Janv.1645
XXV Au P. Mesland

Clerselier pouvait-il mieux faire que d’imprimer les minutes de ces lettres ? Nous avons aujourd’hui l’original de l’une d’elles, du 29 juillet 1640, et il est beaucoup plus complet que la minute ; on l’a retrouvé par hasard dans un livre qui venait du collège Louis-le-Grand, ancien collège de Clermont, où le P. Bourdin avait été professeur. Mais Clerselier en eût-il obtenu communication ? Lui qui cite si volontiers St Augustin, comme faisait Arnaud lui-même, ne paraissait-il pas un peu janséniste pour être en fort bons termes avec les Pères de la Compagnie de Jésus ? Il les ménage cependant : il adoucit les paroles d’aigreur du philosophe à leur égard ; il prend soin d’imprimer toujours les RR. PP. Iesuites, ou au moins les PP. Iesuites, alors que dans les autographes de Descartes on trouve simplement les Iesuites.

Quant à la série XVII-XXV, le P. Bourdin, réconcilié avec le philosophe, s’était chargé de faire parvenir à leurs adresses quelques exemplaires des Principes, et Descartes lui envoie, en même temps que la lettre XXI pour lui-même, les XIXe et XXe pour les Pères Charlet et Dinet. Puis ces deux Pères ayant remercié leur ancien élève, Descartes leur écrit de nouveau (lettres XXII et XXIII), toujours par l’intermédiaire du P. Bourdin (lettre XXIV). — Quant aux deux premières lettres, XVII et XVIII, l’une est à un Jésuite inconnu, l’autre sans doute au P. Vatier. Enfin la dernière, lettre XXV, est au P. Mesland. Celle-ci ne devrait pas être seule : car Descartes avait écrit au moins deux autres lettres au même Père, et des copies en circulaient un peu partout (on en trouve plusieurs dans les Bibliothèques de Paris et de la province). Mais le philosophe y expliquait à sa manière la transsubstantiation dans le sacrement de l’Eucharistie, et Clerselier, pris de scrupule, avait consulté là-dessus l’archevêque de Paris, qui le dissuada de les publier ; quarante ans plus tard, en 1701, Bossuet s’opposa encore à la publication, et les deux lettres ne parurent qu’en 1811 par les soins d’un prêtre moins timoré, l’abbé Emery.

Outre ces deux petites séries de 8 et de 9 lettres, Clerselier donne, comme entre parenthèses, les lettres V et VI qui semblent adressées au P. Noël, et les lettres XXVI, XXVII et XXVIII indépendantes entre elles, la première, de l’année 1637, sans doute au P. Noël encore, la deuxième on ne sait à qui, et la troisième, du 22 décembre 1641, à Mersenne, toujours sur les Jésuites.

La série qui vient ensuite (démêlés de Descartes et de Hobbes) comprend 7 numéros, mais seulement 4 lettres, XXIX et XXX ne comptant que pour une, parce que le texte latin est suivi de la version française, et de même XXXI et XXXII, XXXIII et XXXIV. Ces 3 lettres se datent facilement, bien qu’il y manque les premières objections de Hobbes ; on a seulement la réponse de Descartes (XXIX et XXX), une réplique de Hobbes (XXXI et XXXII), datée de Paris, 7 février 1641, puis la seconde réponse de Descartes (XXXIII et XXXIV). Mais la série finit mal : le dernier numéro (XXXV) contient deux lettres dont l’une est une nouvelle riposte de Descartes à la réplique du 7 février, riposte incomplète d’ailleurs, par la faute de Roberval qui en avait une copie entière, et n’a pas voulu la communiquer. Vient ensuite, dans le même numéro XXXV, la version française (sans le texte latin) d’une dernière réponse de Descartes, que Clerselier aurait pu imprimer à part, avec une date approximative, s’il avait consulté le recueil des Lettres manuscrites à Mersenne, réunies en trois volumes par le P. Hilarion de Coste, (maintenant à la Bibliothèque nationale, fr. n. a., 6204-5-6). Clerselier aurait trouvé en tête du troisième volume les objections de Hobbes auxquelles Descartes répond dans cette dernière lettre, et elles sont datées de Paris, 30 mars 1641.

Les numéros XXXIV à LXXIV (en tout 39 lettres) se rapportent aux démêlés de Descartes avec les mathématiciens de France, Fermat et Roberval en particulier, sauf 12 numéros (XLIII à LIV) qui forment une parenthèse vers le milieu de la série, et qui sont d’une date postérieure, la querelle ayant été ranimée, après la mort de Descartes, entre Clerselier luimême, Rohault, Fermat et Cureau de la Chambre, les années 1657, 1658 et 1662. Cette parenthèse ôtée, on a 27 lettres des années 1637, 1638 et 1639, numéros XXXVI à XLII et LV à LXXIV, qui forment une série assez régulière. L’ordre chronologique se trouve bien interverti çà et là pour certaines lettres ; mais on peut le rétablir avec la liste de La Hire.

LA HIRE. DATES. CLERSELIER.
10 31 mars 1638 LXIX
11 [1638] LIX et LXXIV
12 3 mai 1638 LX
14 27 mai 1638 LXVIII
13 [29 juin 1638] LXII
16 27 juillet 1638 LXVI
19 23 août 1638 LXV et LXX

On voit que l’ordre des minutes est loin d’être celui des originaux, lequel est lui-même ici défectueux. On voit surtout qu’à deux reprises des minutes publiées par Clerselier séparément (LIX et LXXIV, LXV et LXX) appartiennent à une seule et même lettre, n° 11 et n° 19. Quant aux nos 15, 17 et 18, dont les minutes manquent ici, elles se retrouvent ailleurs, au premier volume (LXXIII et LXXIV) et au second (XCI). Par contre, que de minutes cette série nous donne dont nous n’aurions pas les originaux ! les lettres XXXVI, XXXVII, XXXVIII, XXXIX, XL, XLI, XLII, puis LV, LVI, LVII, LVIII, LXI, LXIII, LXIV, LXVII, LXXI, LXXII et LXXIII. On n’en compte pas moins de 18, relatives aux mêmes débats, sauf une ou deux, LXXI et LXXII, à Beaune et à Zuylichem (?) ; cette dernière annonce une autre querelle, cette fois en Hollande, entre les mathématiciens Stampioen et Waessenaer, celui-ci soutenu par Descartes.

Avant de retrouver une semblable série, qui forme un tout presque complet, nous rencontrons d’abord quatre lettres échangées entre Descartes et Carcavi (LXXV-LXXVIII), toutes quatre fixement datées (11 juin, 9 juillet, 17 août, 24 septembre 1649) ; il y manque au moins une réponse de Descartes, en date du 6 novembre, dont il n’avait sans doute pas conservé la minute. Puis viennent six lettres de mathématiques (LXXIX-LXXXIV). La première (LXXIX) paraît s’adresser à quelqu’un d’Utrecht. Quant aux deux suivantes (LXXX et LXXXI), adressées à Elisabeth, le sujet dont elles traitent (problème des quatre cercles) les a fait reléguer ici, parmi les lettres de mathématiques, loin des lettres de morale à cette princesse, qui se trouvent au premier volume. La LXXXIIe s’adresse à Schooten ; la LXXXIIIe, du 18 décembre 1648, à un mathématicien de France ; enfin la LXXXIVe, du 30 avril 1639, à Mersenne.

Mais les 13 lettres qui suivent (LXXXV-XCVII) nous donnent une série nouvelle : c’est encore une dispute entre Descartes et Roberval, avec Cavendish comme intermédiaire. À vrai dire, elle ne devrait comprendre que 12 lettres : la dernière (XCVII) a été supposée, après coup, par Clerselier lui-même, qui avertit le lecteur, et donne la vraie date, 13 juillet 1658. L’ordre chronologique est un peu troublé ; mais on le rétablit sans peine avec la liste de La Hire. Voici le tableau comparatif des minutes et des originaux :

LA HIRE. DATES. CLERSELIER.
56 2 mars 1646 LXXXV
57 30 mars 1646 LXXXVI
58 20 avril 1646 XCIII
59 20 avril 1646 XCIV
60 20 avril 1646 XCV
61 15 mai 1646 XC
62 15 juin 1646 LXXXVIII et XCIX fin
66 2 nov. 1646 XCVI

On n’a pas l’original de 56, 58, 60, 62 et 66. Mais nous avons, en outre, 3 originaux (nos 63, 64 et 65) de La Hire, dont Clerselier n’a pas eu les minutes : ce sont des lettres à Mersenne, du 7 septembre, 5 et 12 octobre ; de même pour trois autres numéros encore (67, 68 et 71), du 2 et du 23 novembre 1646, et du 26 avril 1647. Par contre, Clerselier nous donne plusieurs minutes dont les originaux manquaient déjà de son temps : ce sont les lettres LXXXVII, LXXXIX, XCI et XCII. Ainsi à quatre reprises la série des minutes complète celle des originaux ; et six fois le texte des originaux complète la série des minutes.

Les 28 lettres qui restent (XCVIII-CXXV inclus) sont dans un désordre à peu près inextricable, si l’on en excepte les 5 premières (XCVIII-CII), entre Descartes et Ferrier, dont 4 sont datées (18 juin, 8 et 26 octobre, 13 novembre 1629), la dernière (CII) étant de beaucoup postérieure. Mais à partir de la CIIIe jusqu’à la CXXVe (celle-ci, de Clerselier à La Forge, 4 décembre 1660, n’appartient pas à la correspondance de Descartes), on a bien de la peine à se reconnaître. Mettons d’abord à part une lettre à l’abbé Picot (CXV), du 17 février 1645, une lettre de Schooten (CXVI), 10 mars 1649, et la réponse de Descartes (CXVII), 9 avril ; nous avons encore 19 lettres, dont 8 adressées à Mersenne (ou plutôt 7, les numéros CXXI et CXXII n’en donnant qu’une, texte latin et version française), et les 11 autres à des correspondants divers.

Sur les 7 lettres à Mersenne, il y en a 4, dont nous avons les autographes : CIX, CXIII, CXIV (18 mars et 17 novembre 1641, 19 janvier 1642), et CXVIII. sans date (elle paraît être de 1648). Restent donc les minutes CV (de l’année 1642), CXXI et CXXII (objections, en latin et en français, envoyées à Mersenne pour Descartes, le 19 mai 1641), et CXXIII (réponse de Descartes).

Quant aux 11 lettres à des correspondants divers, 4 pour le moins sont adressées à Constantin Huygens ; car ce sont des questions ou des réponses à 4 lettres de celui-ci, dont on a la copie et la date. Ainsi une lettre de Huygens du 14 août est une réponse à la lettre CVII, et Descartes y répond lui-même par la lettre CVIII ; une autre lettre de Huygens, du 6 juin 1643, est une réponse à la lettre CXII ; enfin la lettre CXX est encore de Descartes à Huygens, sans doute du 13 octobre 1642.

Le numéro CXIX comprend une lettre à Le Leu de Wilhem (on en a l’autographe, daté du 15 juin 1646), plus un fragment d’une autre lettre à Cavendish (LXXXVIII), écrite le même jour, ce qui explique que les deux minutes se soient trouvées ensemble.

Une autre lettre, la CXIe, sans doute à Renery, est datée du 2 juin 1631.

On est à peu près sûr de la date des lettres CVI et CXXIV (8 avril 1642, avril 1648), bien qu’on ne sache pas au juste à qui elles sont adressées ; le doute subsiste pour CIII qui paraît comprendre deux lettres différentes.

Pour les deux lettres CIV et CX (peut-être à Huygens), l’énigme n’est pas encore résolue (la dernière paraît être de janvier ou février 1648).

Telle est l’ancienne édition de Clerselier, si précieuse à tant d’égards, malgré son insuffisance d’ailleurs assez excusable. D’abord Clerselier désirait, pour l’honneur de Descartes et la gloire de sa philosophie, que ces trois volumes de lettres fussent lus, et il les a composés en conséquence : n’oubliant aucune catégorie de lecteurs, il publia d’abord un premier volume à l’usage des personnes du monde, le seul qui eût bientôt une seconde édition ; puis un deuxième volume pour les curieux de physique et de métaphysique, enfin le troisième pour les savants et en particulier les mathématiciens. En outre il se contenta de publier ce qu’il possédait des papiers de Descartes ; bornant là toute sa tâche, assez laborieuse encore, il ne se mit pas en peine de rassembler ce qui était dispersé en Hollande, en Suède peut-être, en Angleterre, en France même. Et il pouvait en cela se croire assez fidèle à la pensée du philosophe : car enfin on ne retrouvait dans les papiers de celui-ci que ce qu’il avait jugé digne d’être conservé, et tout le reste, qui manquait, lettres reçues ou lettres envoyées, n’avait sans doute pas grande importance à ses yeux. Si d’ailleurs les lettres que Clerselier a publiées, sont elles-mêmes trop sobres d’indications sur les événements du jour ou de détails sur les personnes, ces vétilles ne figuraient pas sans doute dans les minutes : n’était-ce pas assez de les écrire une fois dans la lettre à envoyer ? Puis ces défauts, auxquels notre curiosité historique n’est aujourd’hui que trop sensible, passaient inaperçus au xviie siècle, où l’on était surtout curieux des idées d’un philosophe. La preuve en est que plus tard, lorsque Baillet donnera une copieuse histoire de Descartes, sans faire grâce aux lecteurs de tant de menus faits, racontés avec une abondance dont on ne se plaindrait plus aujourd’hui, il se trouva, en 1691, des critiques pour lui reprocher de s’être attardé et appesanti sur des choses sans intérêt, et d’avoir inutilement ainsi surchargé son gros livre. Mais ce souci minutieux du réel, qui caractérise Baillet, nous est un sûr garant que l’édition nouvelle des Œuvres de Descartes, que préparait son collaborateur Jean-Baptiste Legrand, aurait mieux répondu aux exigences non pas de son temps, mais du nôtre, ainsi qu’on va le voir en examinant ce qui en a subsisté.

II.

PROJET D’ÉDITION DE LEGRAND

ET

COLLECTION DE LA HIRE

(1675-1704)

CLASSEMENT DE POIRIER ET ARBOGAST

(1793-1803)

L’insuffisance de l’édition Clerselier se fit sentir à la mort de Roberval, en 1675. Le P. Mersenne, avant de mourir (1er septembre 1648), lui avait confié le soin de faire imprimer ses Traités de la Dioptrique et de la Catoptrique ; Roberval put ainsi, comme exécuteur testamentaire, pénétrer dans la cellule du religieux : il en profita pour faire main basse sur les lettres de Descartes à Mersenne, et refusa toujours d’en donner communication. Mais « après sa mort (nous dit Baillet, » p. xxxiii de sa Préface, en 1691), le paquet des lettres de M. Descartes s’est trouvé, par un retour de bonne fortune, entre les mains de M. de La Hire, Professeur royal des Mathématiques, qui a cru devoir en faire un présent à l’Académie des Sciences. » La Hire eut d’abord la pensée, qu’approuva toute l’Académie, de publier ces lettres à part ; il en avait une trentaine d’inédites, et pour beaucoup d’autres les originaux auraient donné un texte plus complet que celui des minutes. Mais le projet d’une publication partielle fut bientôt abandonné pour un autre beaucoup plus vaste, celui d’une édition nouvelle de toutes les œuvres du philosophe.

Le dépositaire des papiers de Descartes, Clerselier, mourut le 13 avril 1684, avant d’avoir tout publié : outre les trois volumes de Lettres (1657-1667), plus un autre volume, L’Homme de René Descartes et la formation du fœtus, publié une première fois en 1664, puis une seconde fois avec le Monde ou Traité de la Lumière en 1677, il lui restait encore de quoi donner un volume, annoncé dans la préface de 1664, mais attendu vainement. Avant de mourir, Clerselier voulut assurer la publication de ce volume, et en chargea l’abbé Jean-Baptiste Legrand, à qui même il léguait pour les frais une somme de 500 livres. Legrand, au lieu de s’en tenir à ce dernier volume seulement, forma le projet d’une édition complète et se mit sans retard à l’œuvre : on trouve la date de 1684, écrite de sa main, en marge d’une des lettres communiquées par La Hire (Bibl. Nat. fr. n. a., 5160, f. 23). Legrand avait aussi hérité des nombreux mémoires de Clerselier sur Descartes, et il paraît même avoir commencé à écrire la vie du philosophe ; mais, sans doute afin d’être tout entier à son édition, il céda cette partie de sa tâche à l’abbé Adrien Baillet, en lui remettant tous ses papiers.

Baillet, qui donne la plupart de ces détails dans sa Préface, nous apprend aussi comment Legrand et lui entendaient leurs devoirs de biographe et d’éditeur : c’était d’une tout autre façon que Clerselier, et beaucoup plus satisfaisante. Ce que celui-ci, pour bien des raisons, avait négligé de faire, Baillet et Legrand le firent aussitôt sans rien épargner. Baillet écrivit aux parents de Descartes en Bretagne : ses deux frères étaient morts, M. de Kerleau vers 1660 et M. de Chavagne en 1680 ; mais leurs fils aînés, tous deux Conseillers au Parlement de Rennes et neveux du philosophe, ainsi que sa nièce, Catherine Descartes, firent les réponses les plus obligeantes. On leur doit sans doute les quelques fragments de lettres de famille, qu’on trouve çà et là dans l’ouvrage de Baillet. Presque tous les amis de Descartes étaient morts aussi : Baillet s’adressa donc à leurs fils, et il en donne une longue nomenclature : M. l’abbé Chanut, fils de l’ambassadeur, M. Clerselier des Noyers, fils de l’éditeur des Lettres, M. le Vasseur, Conseiller à la Grand’Chambre, fils du seigneur d’Etioles, qui était le parent, l’ami et l’hôte de Descartes avant sa retraite en Hollande, M. l’abbé Mydorge, Chanoine du Saint-Sépulcre à Paris, également fils d’un ami, et M. Hardy, Conseiller au Parlement, dont la famille ne comptait pas moins de trois amis du philosophe : son père, ancien Maître des Comptes, un cousin de son père, M. Hardy, Conseiller au Châtelet, et l’abbé Picot, son oncle maternel, etc. — Baillet recueillit en outre le témoignage de MM. Piques et Belin, qui se trouvaient, tout jeunes encore, à Stockholm, dans la maison même de Chanut, lorsque Descartes y mourut. Enfin l’abbé Nicaise écrivit pour lui à Auzout et à Leibniz, tous deux alors à Rome, puis, en Hollande, à Bayle, Le Clerc, Beauval, Witte et Grevius. Rien ne fut négligé pour avoir le plus de renseignements possible, et obtenir communication de toutes les lettres qui restaient.

Legrand, de son côté, avait réussi à recouvrer, pour compléter la correspondance de Descartes, « les lettres manuscrites de M.  Regius, la plupart de celles de Descartes à M. l’abbé Picot, à M. Clerselier, au sieur Tobie d’André, et à d’autres ; … quelques-unes de celles de la Princesse Palatine Elisabeth de Bohême, de M. Chanut, Ambassadeur de France en Suède, et de divers particuliers. » Outre ce témoignage de Baillet (p. xxii de sa Préface), nous avons une lettre de Legrand lui-même à Chouet, de Genève, 10 avril 1690, où on lit : « Je vous diray pour votre consolation, Monsieur, que tous les manuscrits de Mr Descartes qui n’ont point encore été imprimez sont en ma possession, outre 120 lettres que j’ay recueillies de diverses personnes. »

L’édition de Legrand, s’il l’eût achevée, eût donc été beaucoup plus complète que celle de Clerselier. La Bibliothèque de l’Institut possède un exemplaire des trois volumes de Lettres imprimées de 1657 à 1667, lequel paraît avoir servi à préparer cette édition nouvelle : de nombreuses notes sont écrites à la plupart des marges, des pages entières sont insérées, qui restituent le commencement, le milieu ou la fin de certaines lettres, et, quand il ne s’agit que de quelques lignes, elles se trouvent sur des bandes de papier collées aux endroits convenables. L’auteur, ou plutôt les auteurs de ces additions et corrections (car on y distingue plusieurs mains, dont celle de Legrand à coup sûr), ont noté soigneusement toutes les dates qu’ils retrouvaient ; ils ont ajouté, autant que possible, tous les passages qui manquaient, fût-ce une simple phrase, fût-ce même un mot ; l’ordre chronologique aurait donc été suivi, et le texte authentique rétabli scrupuleusement. Ce travail, entrepris sans doute dès 1684, peut-être même plus tôt, dura longtemps ; car l’édition nouvelle n’était pas prête encore, lorsque Legrand mourut en 1704. Mais il confiait le soin d’achever son œuvre à un Professeur de Philosophie au Collège des Grassins, du nom de Marmion, en lui laissant pour cela les 500 livres de Clerselier. Marmion mourut au commencement de janvier 1705, et on remit de sa part à la mère de Legrand la somme d’argent et aussi les livres et papiers qui devaient servir à l’édition. Toute cette histoire se trouve racontée dans les Nouvelles de la République des Lettres, au mois de juin 1705. On ne sait ce que sont devenus depuis lors les papiers de Legrand, notamment deux cahiers que l’exemplaire de l’Institut désigne ainsi : « le gros cahier » et « le nouveau cahier », en y renvoyant pour la justification des dates.

Deux documents subsistent toutefois de ce travail auquel ont collaboré trois ou quatre érudits. Ce sont d’abord les deux volumes de la Vie de Descartes, que donna Baillet en 1691, avec tant de pièces originales publiées presque à chaque page ; et c’est ensuite l’exemplaire des trois volumes de Lettres, que, presque à chaque page également, Legrand, profitant de la collection La Hire, et sans doute aussi Baillet et Marmion, ont enrichi de leurs notes. Examinons ces deux documents.

Baillet nous dit que Legrand avait recouvré les lettres manuscrites de Regius. Ces lettres lui furent communiquées pour la Vie de Descartes : on les trouve mainte fois citées, avec leurs dates précises, et d’assez nombreux fragments en ont été traduits en français. On peut donc, grâce à ces indications, reconstituer la liste chronologique des lettres de Regius (elle comprend 37 numéros), ce qui permet de dater à peu près les réponses de Descartes ; on peut en outre rétablir le sens général de cette correspondance, ce qui permet de mieux entendre ces mêmes réponses.

Legrand avait aussi entre les mains les lettres à l’abbé Picot. Baillet les cite, en effet, donnant la date en marge et parfois un fragment du texte. En rassemblant ces nouvelles indications, on peut restituer, non pas, certes, toute la correspondance avec Picot, ni même une faible partie, mais au moins la liste chronologique (elle compte 39 numéros), si utile pour le classement des lettres de Descartes, dont maint passage se trouve en outre expliqué par les extraits de Baillet.

Legrand avait quelques-unes des lettres de la princesse Elisabeth. Nous avons mieux aujourd’hui : la publication de Foucher de Careil en 1879 nous donne presque toute la correspondance d’Elisabeth avec Descartes. Mais une chose que nous n’aurions pas sans Legrand, c’est la liste des lettres de Chanut à Descartes, et le texte entier de quelques-unes, que Baillet a heureusement inséré dans son gros ouvrage. De même pour quelques lettres ou fragments de lettres à Clerselier, et « au sieur Tobie d’André », Professeur à l’Université de Groningue. Tout cela sans doute est incomplet, et souvent Baillet n’en donne qu’une traduction, que nous ne pouvons contrôler, faute du texte latin ; nous sommes bien forcés cependant de nous en contenter. En outre Baillet nous a transmis çà et là des documents de premier ordre, comme la requête de Descartes à Servien, ambassadeur de France en Hollande, en mai 1647, pour qu’il intervienne en sa faveur auprès de l’Université de Leyde. Tout n’est donc pas perdu de l’énorme labeur de Legrand, et à défaut de l’édition complète qu’il n’a pu nous donner, de bons matériaux en subsistent, qui ne seront pas la partie la moins solide de l’édition nouvelle.

Quant à l’exemplaire des Lettres de Descartes, enrichi des notes de Legrand, de Baillet et sans doute de Marmion, il a d’abord appartenu à Montempuis, Recteur de l’Université de Paris (10 octobre 1715 — 10 octobre 1717), dont les livres, légués à la Bibliothèque de cette Université, en constituèrent le premier fond : les trois volumes portent encore le cachet en noir de « Montempuis, Université de Paris ». De là ils passèrent à la Bibliothèque de l’Institut, lors de la fondation ; ils en portent aussi le cachet en rouge, qui date de la première République, et c’est dans cette Bibliothèque qu’on peut encore les consulter aujourd’hui.

Or l’exemplaire de l’Institut nous apprend que M. de La Hire avait fait un classement des lettres de Descartes à Mersenne. Baillet rappelait seulement dans sa Préface, p. xxxiv-xxxv, « les bontez particulières de M. de La Hire, qui a eu la patience », dit-il, « de vouloir lire ces lettres avec nous, de nous faire remarquer leurs différences d’avec celles qui sont imprimées, et de nous communiquer celles qui n’avoient pas encore vû le jour. » Et dans son ouvrage il cite mainte fois les lettres de Descartes à Mersenne, avec leurs dates, sans autre indication. Mais dans l’exemplaire de l’Institut, on trouve, outre les mêmes dates écrites à la main, des numéros pour la plupart d’entre elles, et l’indication est uniformément celle-ci : « voyez la 21e (ou la 35e, ou la 50e, etc.) de M. de La Hire. » Celui-ci avait donc non seulement classé les lettres à Mersenne suivant l’ordre chronologique, il les avait aussi numérotées. Et même le numérotage est double : une première fois, il commence par les lettres les plus récentes et remonte en sens contraire de l’ordre chronologique ; la seconde fois, il suit cet ordre, et va en descendant, comme il convient, à partir de la lettre la plus ancienne. Les autographes assez nombreux, qui nous restent de cette collection, portent, au bas de la première page et à gauche, un numéro qui est souvent celui du classement à rebours. Ainsi la lettre XV du t. III, p. 100, édit. Clerselier, est indiquée dans l’exemplaire de l’Institut comme « la 82e lettre ms. de M. de La Hire », et l’autographe de cette même lettre, qui se trouve aussi maintenant à la Bibliothèque de l’Institut porte à l’endroit indiqué le numéro 2. Mais souvent l’exemplaire de l’Institut donne à la fois les deux numéros de la façon suivante : le premier a été écrit d’abord, puis barré, et au-dessus on a récrit le second. Ainsi au t. II, p. 209, on trouve : « voyez la 72 de M. de la Hire » ; mais le 7 était d’abord un 1, que l’on a facilement changé en 7 avec un trait ; et ce numéro primitif, 12, est bien celui qu’on lit encore au bas de la copie ms. à la Bibliothèque nationale (fr., n. a., 5160, f. 65). Ailleurs, au t. III, p. 157, le numéro 46, c’est-à-dire le numéro primitif, a été barré, et le numéro 38 récrit au-dessus ; or on retrouve sur l’autographe de la Bibl. Nat. ce numéro 46 (f. 23). Au t. III, p. 609, le numéro 39 a été barré, et 45 récrit à la place ; l’autographe du 19 janvier 1642, conservé à la Bibliothèque Victor Cousin, donne bien 39 c., etc. L’existence de ces deux listes, en sens inverse l’une de l’autre, permet de fixer le nombre des numéros : comme les deux numéros de chaque lettre donnent toujours, additionnés ensemble, le total 84, il s’ensuit que la collection comprenait 83 pièces.

Si maintenant on dresse parallèlement deux listes de 83 numéros, en sens inverse l’une de l’autre, les deux numéros qui correspondent sont précisément ceux que l’on trouve écrits tous deux, mais l’un des deux barré, sur l’exemplaire de l’Institut. Le fait peut se vérifier une trentaine de fois, soit sur l’exemplaire seul, lorsqu’il donne le double numérotage, soit en le confrontant avec les autographes qu’on possède encore. Cependant le numérotage à rebours ne paraît pas avoir été suivi d’un bout à l’autre de la série : on ne le trouve que pour la seconde moitié environ, plus exactement à partir du numéro 48 (chiffre primitif) remplacé par 36 suivant l’ordre naturel. Ajoutons enfin que sur les autographes, mais non dans l’exemplaire imprimé, le chiffre primitif, celui du classement à rebours, est ordinairement suivi de la lettre c : par exemple, 48c (Bibl. Victor Cousin, n° 17 ), 46 c (Bibl. Nat., fr. n. a., 5160, f. 23), 35 c (Bibl. de l’Institut, Ier dossier, lettre 3e). Il semble donc qu’on se soit arrêté au milieu de ce numérotage à rebours, assez étrange, en effet, et que pour la première moitié qui restait, on ait repris l’ordre naturel. Ainsi, dans l’exemplaire de l’Institut, jusqu’au numéro 36, on ne trouve qu’un numéro, qui est le bon, et non pas deux, dont l’un serait barré. Et, d’autre part, dans le cahier d’autographes et de copies manuscrites, maintenant rentré à notre Bibl. Nat., si on range les différentes pièces suivant l’ordre chronologique, on trouve d’abord une série de lettres qui portent sur la première page, en bas et à gauche, les numéros 2, 13, 15, 16, 19, 18 (f. 43, 2, 4, 10, 15, 21), lesquels appartiennent au classement naturel ; puis une autre série avec les chiffres 46, 41, 1, 31, 27, 21, 19, 17, 16, 13 (fol. 23, 27, 49, 29, 31, 37, 39, 40, 42, 44), lesquels appartiennent au classement à rebours ; et les mêmes chiffres 13, 16 et 19 se retrouvent dans les deux séries, mais sans avoir le même sens : dans la seconde série ils doivent correspondre aux numéros 71, 68 et 65 du classement naturel. Ces détails vont se confirmer et se compléter par un autre document encore.

Le travail de Legrand ne fut utilisé par personne au xviiie siècle. En 1724-1725, lorsqu’on réimprima la correspondance de Descartes, on se contenta de répartir en six volumes in-12 les trois in-4 de Clerselier ; mais les lettres furent publiées dans le même ordre, sans même qu’on y mît toujours les quelques dates données par le premier éditeur ; pour tout changement, on ajouta la version française des lettres latines qui n’avaient pas été traduites, et aussi le texte latin pour celles dont on n’avait imprimé que la traduction. Mais on ne prit pas la peine de consulter les autographes déposés par La Hire à l’Académie des Sciences. Encore bien moins songea-t-on à profiter des notes écrites sur le précieux exemplaire des Lettres, dont peut-être l’existence n’était même pas soupçonnée.

À la fin du xviiie siècle, ou au commencement du xixe, une autre liste des mêmes lettres de La Hire fut dressée, qui, au lieu de 83 numéros, n’en comprend que 77, les lettres manuscrites étant réparties cette fois en autant de liasses que d’années, sauf les lettres sans date et quelques pièces rejetées dans deux liasses à la fin. De qui était ce nouveau classement ? La Bibliothèque nationale (Ms. français, 20843, fol. 122 et 123) possède une minute qui le donne en entier, et la minute est écrite de la main de dom Poirier. M. Léopold Delisle l’a publiée, p. 169-172, au Catalogue des fonds Libri et Barrois (Paris, 1888). D’autre part, la Bibliothèque nationale encore (Ms. fr., n. a., 3280, fol. 92-94) possède un fragment de la même liste, pour les années 1638 et 1639 seulement, qui va du numéro 6 au numéro 21 inclus, et donne la concordance avec les numéros de La Hire, ainsi qu’avec les lettres publiées par Clerselier ; cette pièce est de la main d’Arbogast. M. Paul Tannery, qui a signalé ce document (La Correspondance de Descartes dans les inédits du fonds Libri, étudiée pour l’histoire des mathématiques, Paris, Gauthier-Villars, 1893, p. 6), pense que les numéros de cette seconde liste, qui figurent sur bon nombre d’autographes, sont aussi de la main d’Arbogast. Cette dernière raison serait peut-être décisive pour attribuer le second classement à Arbogast : c’est lui qui a eu les originaux entre les mains, puisqu’il a écrit, en haut et à droite de la première page, un nouveau numéro, toujours entre parenthèse, tandis que le numéro ancien, celui de La Hire, se trouve au bas et à gauche, sans parenthèse. D’ailleurs la nouvelle liste, qu’elle soit de Poirier ou qu’elle soit d’Arbogast, date du même temps : dom Poirier, bénédictin de Saint-Maur, mourut le 2 février 1803, après avoir été gardien des Archives de l’Abbaye de Saint-Denis, puis de l’Abbaye de Saint-Germain-des- Prés, dont il reconstitua, tant bien que mal, la Bibliothèque, détruite par un incendie en août 1794 ; et le mathématicien Arbogast mourut le 8 avril 1803, après avoir été membre de la Convention (c’est alors sans doute qu’il s’occupa des manuscrits conservés aux Archives de l’Académie des Sciences). Voici maintenant un tableau qui donne à la fois la liste de La Hire et celle de Poirier ou d’Arbogast, avec les dates, toujours concordantes, fournies par l’une et par l’autre, et le renvoi aux lettres de Clerselier et même aux manuscrits. Les numéros de ceux-ci, ainsi que les notes des Lettres dans l’exemplaire de l’Institut, serviront de vérification aux deux listes placées en regard.

LA HIRE POIRIER DATES CLERS. AUTOG. OU COPIES MS.
1629-1633
1
2 [13 nov. 1629] Bibl. Nat., 5160, f. 48
3 (1) 18 déc. 1629 II, cv, et I, cxi Bibl. Institut
4 fin.
5 (2) 15 avril 1630 II, civ Bibl. Institut
6 janv. ou oct. 1631 II, lxvi Bibl. Nat., 5160, f. 46 et 47
7 (3) 22 juillet 1633 II, lxxv
1634
8 (4) 15 mai II, cvi Bibl. Institut
9 (5) 14 août II, lxxvii Bibl. V. Cousin, n° 10
1638
9sec (13) [janvier] III, lvi Bibl. Nat., 5160, f. 53, copie
10 (6) 31 mars III, lxix Londres, collection Morrison
102e  id. id. Bibl. Nat. 5160, f. 52, copie
11 (14) [avril ou juin] III, lix-lxxiv Bibl. Institut, 1er dossier, 2
12 (7) 3 mai III, lx Bibl. V. Cousin, n° 2
13 [29 juin] III, lxii Bibl. Nat., 5160, f. 2 et 3
14 (8) 27 mai III, lxviii
15 (76) [13 juillet] I, lxxiii Bibl. Nat. 5160, f. 4
16 (9) 27 juillet III, lxvi Bibl. Nat. 5160, f. 10
17 (11) 12 septembre  I, lxxiv Bibl. Institut, 2e dossier, 3
18 [11 octobre] II, xci Bibl. Nat., 5160, f. 21
19 (10) 23 août III, lxv et lxx Bibl. Nat., 5160, f. 15
20 (12) 15 novembre II, xcii
LA HIRE POIRIER DATES CLERS. AUTOG. OU COPIES MS.
1639
21 (15) 9 janvier II, xcvi Bibl. V. Cousin, n° 11
22 (16) 9 février II, xcvii Bibl. V. Cousin, n°3
23 (17) 30 avril III, lxxxiv Rome, Boncompagni, copie
24 (18) 19 juin II, xxviii-ix Bibl. V. Cousin, n° 15
25 (19) 27 août II, xxx Bibl. Institut, 2° dossier, 2
26 (20) 16 octobre II, xxxii Bibl. V. Cousin, n° 4
27 (21) 25 décembre II, xxxiv Rome, Boncompagni, copie
1640
28 (22) 29 janvier II, xxxv Fac-simile, Isographie.
29 (23) 11 mars II, xxxvii
30 (24) 11 juin II, xxxix Bibl. Institut, 3° dossier, 2
31 (25) 30 juillet II, xl
32 (26) 6 août II, xli Bibl. V. Cousin, n° 18
33 (27) 30 août III, vii
34 (28) 15 septembre II, xlii Bibl. V. Cousin, n° 5
35 (29) 30 septembre II, xliii Bibl. Institut, 3e dossier, 1
36 (30) 28 octobre III, xii Bibl. V. Cousin, n° 17
37 (31) 28 octobre II, xliv
1641
38 (32) 4 mars III, xxxv Bibl. Nat., 5160, f. 23
39 (33) 18 mars III, cix Bibl. V. Cousin, n" 6
40 (34) 31 mars Bibl. Institut, 2e dossier, 4
41 (35) 27 mai
42 (36) 16 juin II, liv
43 (37) 23 juin Bibl. Nat., 5160, f. 27
44 (38) 17 novembre II, lviii Bibl. V. Cousin, n° 7
1642
45 (39) 19 janvier III, cxiv Bibl. V. Cousin, n° 13
46 (40) 20 octobre II, cvii Bibl. V. Cousin, n° 16
47 (41) 17 novembre III, cxiii Rome, Boncompagni, copie
48 (42) 7 décembre II, cix Rome, Boncompagni, copie
LA HIRE POIRIER DATES CLERS. AUTOG. OU COPIES MS.
1643
49 (43) 4 janvier Bibl. Institut, 1e dossier, 3
50 (44) 2 février II, cix, fin Rome, Boncompagni, copie
51 (45) 23 février II, cviii Rome, Boncompagni, copie
52 (46) 23 mars II, cxvi Bibl. Institut, 1e dossier, 4
53 (47) 26 avril Bibl. Nat., 5160, f. 29
54 (75) 4 et 26 avril II, cxvi Bibl. Nat., 5160, f. 61, copie
55 (48) 30 mai II, cviii, fin Rome, Boncompagni, copie
1646
56 (49) 2 mars III, lxxxv
57 (71) 30 mars III, lxxxvi Bibl. Nat., 5160, f. 31
58 (50) 20 avril III, xciii
59 (51) 20 avril III, xciv Bibl. Nat., 5160, f. 35, copie
60 (52) 20 avril II, xcv
61 (72) 15 mai III, xc Bibl. Institut
62 (73) 15 juin III, lxxxviii et cxix
63 (53) 7 septembre II, cxii, fin Bibl. Nat., 5160, f. 37
64 (54) 5 octobre Bibl. V. Cousin, n° 12
65 (55) 12 octobre Bibl. Nat., 5160, f. 39
66 (57) 2 novembre III, xcvi
67 (56) 2 novembre Bibl. Nat., 5160, f. 40
68 (58) 23 novembre Bibl. Nat., 5160, f. 42
69 (59) 14 décembre

Pour les numéros qui suivent, la concordance des deux listes La Hire et Poirier étant malaisée à établir, il convient de donner successivement deux tableaux, l’un qui s’appuie sur la liste Poirier, (60) à (77) inclus, et le second sur la liste La Hire, 70 à 83 inclus, avec toutes les identifications qui seront possibles :

POIRIER LA HIRE DATES CLERS. AUTOG. OU COPIES MS.
1647
(60) 71 26 avril Bibl. Nat., 5160, f. 44
(61) 13 décembre
1648
(62) 31 janvier Bibl. Ville de Nantes
(63) 7 février Bibl. V. Cousin, n° 9
(64) 74 4 avril Bibl. Institut, 1er dossier, 5
(65) 73 III, cxviii Bibl. Institut
1641-1642-1647
(66) [18 février 1641] III, xxxiii
(67) [21 janvier 1641] III, xxix Rome, Boncompagni, copie
(68) 82 [13 octobre 1642] III, xv Bibl. Institut, 1er dossier, 1
(69) 83 [22 déc. 1641] Bibl. Nat., 5160, f. 49
(70) 1647 (?)
1646 (à Cavendish) a
(71) 57 30 mars III, lxxxvi Bibl. Nat., 5160, f. 31
(72) 61 15 mai III, xc Bibl. Institut
(73) 62 15 juin III, lxxxviii
1638-1640-1643
(74) 1639-1640
(75) 54 [4 et 26 avril 1643] II, cxvi, fin Bibl. Nat., 5160, f. 61, copie
(76) 15 [13 juillet 1638] I, lxxiii Bibl. Nat., 5160, f. 4
(77) 72 29 janvier 1640 II, xxxvi Bibl. Nat., 5160, f. 65, copie

Nous avons donc les 77 numéros de la liste Poirier-Arbogast, soit comme imprimé, soit comme manuscrit, soit comme l’un et l’autre en même temps, sauf 5 numéros seulement :

(35) Lettre à Mersenne, 27 mai 1641.

(59) — — 14 déc. 1646.

      (61) Lettre à Mersenne, 13 déc. 1647.

      (70)                  s. d. 1647 (?)

      (74) Sujet d’une gageure, en 1639, entre deux mathématiciens de Hollande : Écriture de Descartes.

Voici la seconde liste, dressée en s’appuyant sur La Hire :

LA HIRE. POIRIER. DATES. CLERS. AUTOG. OU COPIES MS.
70
71 (60) 26 avril 1647 Bibl. Nat., 5160, f. 44
72 (77) 29 janvier 1640 II, xxxvi Bibl. Nat. 5160, f. 65, copie
73 (65) 1648 III, cxviii Bibl. Institut
74 (64) 4 avril 1648 Bibl. Institut, 1er dossier, 5
75
76
77
78 30 juillet 1640 II, xl, 240 Bibl. Institut, 1er dossier, 6
79
80
81
82 (68) [13 octobre 1642] III, xv Bibl. Institut, 1er dossier, 1
83 (69) [22 déc. 1641] Bibl. Nat., 5160, f. 49

En résumé, la liste de Poirier, avec ses 77 numéros, semble en avoir 6 de moins que la liste de La Hire, qui en compte 83 ; en réalité elle en a 8 de moins, La Hire comptant deux fois les numéros 9 et 10 (92e et 102e). Or les tableaux précédents nous donnent justement 8 numéros de La Hire, qui n'ont point été classés par Poirier : ce sont 1, 2, 4, 6, 102e, 13, 18 et 78. Donc tous les autres, sans exception, doivent correspondre aux 77 de Poirier ; et la correspondance est établie, en effet, pour 70 numéros. Il ne reste de la liste Poirier que 7 numéros (61), (62), (63), (66), (67), (70) et (74), qui ne soient point identifiés. Il en reste pareillement 7 de la liste La Hire, dont on ne peut dire qu’une chose, c’est qu’ils correspondent aux précédents, sans qu’on puisse identifier chacun d’eux en particulier. Or sur les 7 de Poirier, 4 nous sont connus, (62) et (63), dont nous avons les autographes, et (66) et (67) dont Clerselier donne le texte, avec cette note sur l’exemplaire de l’Institut, qu’ils faisaient partie de la collection La Hire. Il n’en reste donc que 3 : (61), (70) et (74), que nous ne connaissions point. Ajoutons-y (35) et (59), qui correspondent à 41 et 69 de La Hire ; ajoutons-y enfin 1 et 4 de La Hire, que Poirier n’a pas classés, et il ne nous manque, pour les deux listes réunies, que les 7 pièces suivantes :

LA HIRE. DATES. POIRIER.
1
4
41 27 mai 1641 (35)
69 14 décembre 1646 (59)
13 décembre 1647 (61)
1647 (?) (70)
(74)

Les 7 pièces ci-dessus nous manquent totalement, c’est-à-dire que nous n’en avons ni imprimé, ni autographe, ni copie manuscrite. Du moins il semble impossible d’en identifier aucune avec une des lettres imprimées. Mais, en outre, il y a 23 autres pièces, dont on ne peut pas dire qu’elles nous manquent tout à fait, puisque Clerselier nous en donne le texte imprimé d’après la minute, et pour 9 de ces pièces, nous possédons, soit un fac-simile, soit une copie ancienne ; toutefois l’autographe est à retrouver, et c’est pourquoi nous en donnons ici le signalement :

LA HIRE. POIRIER. DATES. CLERSELIER.
7 (3) 22 juillet 1633 II, lxxv
14 (8) 27 mai 1638 III, lxviii
20 (12) 15 novembre 1638 II, xcii
23 (17) 30 avril 1639 III, lxxxiv
27 (21) 25 décembre 1639 II, xxxiv
28 (22) 29 janvier 1640 II, xxxv
29 (23) 11 mars 1640 II, xxxvii
31 (25) 30 juillet 1640 II, xl
33 (27) 30 août 1640 III, vii
37 (31) 28 octobre 1640 II, xliv
42 (36) 16 juin 1641 II, liv
47 (41) 17 novembre 1642 III, cxiii
48 (42) 7 décembre 1642 II, cix
50 (44) 2 février 1643 II, cix, fin
51 (45) 23 février 1643 II, cviii
55 (48) 30 mai 1643 II, cviii, fin
56 (49) 2 mars 1646 III, lxxxv
58 (50) 20 avril 1646 III, xciii
60 (52) 20 avril 1646 III, xcv
62 (73) 15 juin 1646 III, lxxxviii
66 (57) 2 novembre 1646 III, xcvi


Ajoutons (66) et (67) de Poirier, vraisemblablement du 18 février et du 21 janvier 1641, (Clerselier, III, xxxiii et xxix).

Somme toute, sur les 85 pièces de La Hire, dont 77 concordent avec celles de Poirier, il y en a 7 dont nous n’avons rien, pas même la minute imprimée, et 23 dont nous n’avons pas les originaux ; 55 seulement ont été retrouvées depuis la dispersion qui a suivi le vol de Libri dès 1839.


III.

ÉDITION VICTOR COUSIN.

(1824-1826.)


De 1824 à 1826 parut en 11 volumes in-8o (Paris, F.-G. Levrault) une édition nouvelle des Œuvres de Descartes, par Victor Cousin. La correspondance est répartie en 5 volumes, VI, VII, VIII, IX et X. Plus tard, à la fin de sa vie, Cousin jugeait sévèrement son œuvre : « Elle n’est pas digne de Descartes », écrivait-il en 1866 ; « j’étais trop jeune lorsque je l’entrepris. » Il avait de trente-deux à trente-quatre ans, et surtout il s’occupait d’autres travaux encore : traduction française des Œuvres de Platon, édition des Œuvres de Proclus, etc. Et puis, c’était moins une œuvre d’érudition que de propagande. Il voulait avant tout mettre au plus vite Descartes entre les mains des travailleurs, pour ranimer l’esprit philosophique en France ; et de fait, pendant ces trois quarts de siècle, c’est par l’édition Cousin que Descartes a été connu en France et à l’étranger ; c’est l’édition Cousin que citent tous les ouvrages des philosophes et des érudits. Enfin, à cette date de 1824-1826, elle pouvait passer pour une édition savante ; et avec les notes dont Cousin l’enrichit, grâce à l’exemplaire de l’Institut, elle parut bien supérieure, comme elle l’est en effet, à tout ce qu’on avait vu jusque-là.

Victor Cousin s’est donc servi, (et ce fut la grande nouveauté de son édition), de l’exemplaire de l’Institut, pour les Lettres de Descartes ; mais il s’en est servi timidement, comme d’un document dont il n’était pas sûr, n’en connaissant pas la provenance. Nous avons vu que le texte était amélioré et complété par des annotations écrites en marge, ou sur de petites bandes de papier, parfois même sur des feuilles entières insérées dans les volumes. Cousin reproduit ces annotations, mais au bas des pages, en italiques, et n’ose les incorporer dans le texte ; si bien que ce qui provenait des originaux de Descartes se trouve relégué dans des notes, comme un accessoire, tandis que les minutes incomplètes continuent de figurer en bonne place, occupant la majeure partie de chaque page. Encore ne reproduit-il pas toutes les annotations : comme il n’y voit que des variantes, dont l’origine lui est inconnue, il fait un choix parmi elles, choix nécessairement arbitraire ; du moins il en avertit loyalement le lecteur.

Quant à l’ordre même de la correspondance, Cousin se propose de rétablir la chronologie, et il range, en effet, les lettres année par année. Mais là encore il n’ose pas suivre jusqu’au bout les indications de l’exemplaire de l’Institut. Par exemple, la lettre CIII, t. III, p. 584, est notée comme une juxtaposition de deux lettres, peut-être même trois : Cousin reproduit la note, mais donne quand même les trois morceaux tout d’une venue, sans les séparer, t. VI, p. 47-53. Il imprime de même, t. VI, p. 53, comme une seule lettre, la CXIIe de Clerselier, t. II, p. 529, bien qu’une note l’avertît qu’il y avait là deux morceaux différents, le second du 7 septembre 1646 : Cousin le laisse néanmoins avec le précédent, qui est du 8 octobre 1629. Ce n’est que demi-mal, lorsque les deux lettres réunies en une sont réellement consécutives, comme pour la CXIe de Clerselier, t. I, p. 498, que Cousin imprime au t. VI, p. 61 : la première partie est une lettre du 20 novembre 1629, et la seconde appartient à une lettre suivante, du 18 décembre 1629 ; encore vaudrait-il mieux qu’elles fussent séparées. Mais parfois dans la même année, 1634, par exemple, où l’on ne trouve que 6 lettres (février, avril, 15 mai, 14 et 22 août, septembre), Cousin, au lieu de les imprimer dans cet ordre, qu’il connaissait cependant, puisqu’il le donne en note, imprime celle du 14 août (t. VI, p. 247) avant celle du 15 mai (ib., p. 257), c’est-à-dire la 9e de La Hire avant la 8e ; de plus il maintient le fragment de février 1634 cousu à une lettre de mai 1637, bien qu’il reproduise la note qui signale la distinction de ces deux morceaux. Ailleurs la 24e de La Hire, du 19 juin 1639, imprimée par Clerselier comme deux lettres différentes (XXVIII et XXIX, t. II, p. 171 et 174), l’est de même encore par Cousin (t. VIII, p. 128 et 132), et, qui pis est, la seconde moitié avant la première, bien qu’il reproduise la note qui signale cette transposition ainsi que l’unité des deux morceaux en une seule et même lettre. Enfin, par une singulière inadvertance, une lettre imprimée par Clerselier, la CVIIe, t. II, p. 503, ne se trouve pas dans l’édition Cousin ; en revanche, la série des douze lettres entre Clerselier, Fermat, Cureau de la Chambre, etc., de 1658 à 1662, au t. III, p. 198-298, se trouve deux fois dans l’édition Cousin, t. VI, p. 410, et t. X, p. 389.

Cette édition a fait loi pendant près de trois quarts de siècle. On a eu plus de confiance en elle que Cousin n’en avait lui-même dans les notes manuscrites qu’il reproduisait ; il ne suivait qu’avec hésitation son guide inconnu, et il a été suivi aveuglément. Combien il lui eût été facile cependant de s’assurer de la provenance de ces notes, et que de peine il eût épargné ainsi aux éditeurs à venir ! En consultant l’exemplaire de l’Institut, au lieu de s’arrêter au cachet de la première page, où il lisait ces mots : Université de Paris, Montempuis, ce qui ne le faisait pas remonter plus haut que la première moitié du xviiie siècle (Montempuis ayant été Recteur, du 10 octobre 1715 au 10 octobre 1717), que ne s’attachait-il plutôt à ce nom de La Hire, qui revenait à tant de pages, et que ne lisait-il la Préface de Baillet en 1691, où il aurait retrouvé ce même nom de La Hire, joint à celui de l’abbé Legrand ? Là il aurait vu que tous deux, La Hire et Legrand, ont eu entre les mains les originaux des lettres à Mersenne, déposées à l’Académie des Sciences. Et sans doute il eût cherché aux Archives de l’Académie cette collection La Hire, qui s’y trouvait encore au complet. Cette fois Cousin les aurait publiées, les sauvant ainsi du vol qui quinze ans plus tard allait les disperser un peu partout, et en rendre la reconstitution si malaisée aujourd’hui.

Le fameux Libri, en effet, abusant de ses fonctions officielles qui lui donnaient accès dans toutes les Bibliothèques publiques, les pilla indignement, surtout de 1841 à 1847, et il réussit à vendre à lord Ashburnham, en Angleterre, un lot considérable de manuscrits, où se trouvaient vingt-trois pièces de l’ancienne collection La Hire. Mais bien d’autres pièces avaient été vendues isolément les années précédentes dans des ventes particulières. Victor Cousin en racheta le plus qu’il put, de 1840 jusqu’à sa mort en 1867. M. Etienne Charavay a conservé la liste des autographes vendus par sa maison : presque tous ceux de Descartes se retrouvent dans la Bibliothèque Victor Cousin à la Sorbonne. Cousin amateur d’autographes supplée ainsi en partie aux lacunes de Cousin éditeur de Descartes ; on lui devait déjà une édition, imparfaite sans doute, bien que des plus utiles ; on lui doit en outre une collection inappréciable (17 lettres de Descartes, plus 1 copie qui date du xviie siècle).

Depuis, d’autres efforts ont contribué à reconstituer en grande partie l’ancienne collection de lettres à Mersenne. D’une part, M. Ludovic Lalanne recevait à la Bibliothèque de l’Institut, et sans doute aussi sollicitait de donateurs généreux les autographes de Descartes que ceux-ci se trouvaient avoir : 13 pièces sont ainsi rentrées à la Bibliothèque de l’Institut, venant s’ajouter à trois autres qui y étaient restées. D’autre part, M. Léopold Delisle, grâce à des prodiges d’habileté et de ténacité, réussissait à recouvrer sur l’Angleterre une bonne partie des manuscrits vendus par Libri à lord Ashburnham, entre autres un dossier de 17 autographes de Descartes et 6 copies, lequeL, entré en 1888 à la Bibliothèque Nationale, y fut relié en un cahier. Sur ces pièces, 22 plus les 16 de la Bibliothèque de l’Institut, plus 15 sur les 18 de la Bibliothèque Victor Cousin, nous donnent à Paris un ensemble de 53 numéros, c’est-à-dire environ les deux tiers de l’ancienne collection La Hire ; nous en avons 2 numéros encore ailleurs (1 à Londres, 1 à Nantes). Mais ce ne sont pas là les seuls manuscrits qui nous restent de la Correspondance de Descartes ; et nous devons maintenant dresser l’inventaire de tous ceux qui sont actuellement connus.

IV.


AUTOGRAPHES ET COPIES MANUSCRITES.

Dans quelles conditions la Correspondance de Descartes peut-elle être publiée aujourd’hui ? Examinons d’abord les publications qui, pendant ce siècle, ont enrichi de lettres nouvelles cette correspondance.

En 1811, l’abbé Émery imprimait enfin les deux lettres de Descartes au P. Mesland, sur l’Eucharistie, dans un volume de Pensées de Descartes sur la religion et la morale. Les deux mêmes lettres furent imprimées encore, sur un texte meilleur, par M. Francisque Bouillier, dans son Histoire de la philosophie cartésienne (3° édit., t. I, p. 454).

En 1827, Domela Nieuwenhuis imprimait, d’après des copies manuscrites conservées dans la Collection Huygens à Leyde, deux lettres latines, de Plempius à Descartes et de Fromondus à Plempius pour Descartes, 15 et 13 septembre 1637, (Commentatio de R. Cartesii commercio cum philosophis belgicis, petit in-4, Lovanii, p. 95-102).

En 1838, Victor Cousin, dans la 3° édition de ses Fragments philosophiques, t. II, p. 142, publiait deux lettres de Descartes à Colvius, avec une réponse de Colvius entre les deux (23 avril, 9 juin, 5 juillet 1643) ; plus un billet du philosophe à son horloger (18 juillet 1643) ; plus une lettre à Mersenne (31 mars 1641). Il y ajouta, dans une édition suivante, une lettre à Balzac, du 14 juin 1637, trouvée dans les papiers de Conrart à la Bibliothèque de l’Arsenal.

En 1839, dans le Journal des Savants, p. 553-559, Libri rectifiait et complétait, d’après l’autographe, une lettre à Mersenne, du 23 mars 1643, déjà publiée par Clerselier, d’après une minute, t. II, lettre CXVI.

En 1860, au tome II des Œuvres inédites de Descartes, publiées par Foucher de Careil, se trouvaient douze lettres à Le Leu de Wilhem, plus une requête à M. de la Thuillière (sic, pour Thuillerie), trouvées en Hollande, à La Haye et à Leyde ; plus une lettre au R. P. Oslier (sic, pour Gibieuf), rapportée de Londres, British Museum ; et une à un inconnu (Golius), rapportée de la Bibliothèque Impériale de Vienne ; enfin deux lettres à Constantin Huygens, et encore deux à Wilhem.

En 1869, un Genevois, M. Eugène de Budé, publiait dix-sept lettres de Descartes, presque toutes à Pollot, d'après une copie trouvée dans sa collection particulière.

En 1879, Foucher de Careil encore donnait vingt-six lettres de la princesse Élisabeth à Descartes, d'après une copie qui se trouve chez le baron de Pallandt, au château de Rosendaal, près Arnhem.

En 1886, l’abbé Georges Monchamp, dans son Histoire du cartésianisme en Belgique, revenait sur la discussion de Fromondus et de Descartes, et complétait celle de Descartes et de Plempius, en attirant l’attention sur un texte complet de deux lettres de Descartes (15 février et 23 mars 1638), publié par Plempius dès la seconde édition de ses Fundamenta medicinœ (1644).

En 1887, Bierens de Haan étudiait, dans ses Bouwstoffen voor de Geschiedenis der Wis- en Natuurkundige Wetenschappen in de Nederlanden, la querelle de Stampioen et de Waessenaer, celui-ci soutenu par Descartes. Et l’année suivante, M. D.-J. Korteweg, dans les Archives néerlandaises, y ajoutait quelques documents, dont une lettre de Descartes, mi-française et mi-flamande, du Ier février 1640, dont l’autographe est au British Museum.

Le même M. Korteweg trouva à la Bibliothèque Royale de Munich une lettre de Descartes à Colvius, du 14 juin 1637 ; et l’abbé Monchamp la publia, en 1895, dans un opuscule sur Isaac Beeckman et Descartes.

En 1890, l’Archiv für Geschichte der Philosophie (t. III, p. 568) donnait une lettre de Descartes à un gentilhomme allemand, Dozem, du 25 mars 1642, que Ludwig Stein avait trouvée dans les papiers de Leibniz à la Bibliothèque Royale de Hanovre. En 1891 et 1892, M. Paul Tannery publiait successivement, dans le même recueil (t. IV, p. 442 et 529 ; t. V, p. 217 et 469), quatorze lettres inédites à Mersenne, triées soigneusement parmi les cinquante-sept pièces manuscrites que possèdent à elles trois la Bibliothèque Nationale, la Bibliothèque Victor Cousin et la Bibliothèque de l’Institut à Paris.

Enfin M. Korteweg avait signalé dans la Collection des Lettres de Constantin Huygens, à la Bibliothèque de l’Académie des Sciences d’Amsterdam, la copie de dix-sept lettres à Descartes ; elles ont été rapportées en France et publiées en juillet 1895, dans la Revue bourguignonne de l’Enseignement supérieur. La même Revue donnait, dans le numéro suivant de janvier 1896, le texte d’un Entretien de Descartes et de Burman, à la date du 14 avril 1648, conservé dans les manuscrits de la Bibliothèque de l’Université de Goettingen.

Mais, outre ces publications, on a dressé, dans ces deux dernières années, la liste de tous les autographes de Descartes, qui sont connus à l’heure présente, et on n’en compte pas moins de 93, répartis comme il suit dans les différentes bibliothèques publiques ou collections privées en France et à l’étranger :

FRANCE :

PARIS.

Bibliothèque Nationale 16 à Mersenne (FR, n. a., 5160).

1 à Cavendish ( — — ).

1 à Du Puy, 5 janv. 1645 (fonds du Puy, vol. 675, fol. 243).

Institut. 15 à Mersenne (Bibliothèque de l’Institut).
1 à Cavendish, 15 mai 1646 ( — ).
Sorbonne. 15 à Mersenne (Bibl. V. Cousin).
1 à Pierre des Cartes ( — ).
1 à Heereboord ( — ).
1 au P. Bourdin, 29 juillet 1640 (Bibliothèque de l’Université).
Foucher de Careil.
à Huygens, 1er nov. 1635
1 à — [déc. 1638]
(Collection privée)
A. d’Hunolstein.
2 à Brégy
18 déc. 1649
15 janv.1650
( — — ).
G. de Courcel.
1 à Huygens, 4 août 1645 ( — — ).

Ajoutons un fac-similé du commencement et de la fin d’un autographe de Descartes à Mersenne, du 29 janvier 1640, publié au t. II de l’Isographie des hommes célebres (Paris, A. Mesnier, 1828-1830).

Ajoutons enfin, pour la France, un autographe à Mersenne, du 31 janvier 1648, à la Bibliothèque de la Ville de Nantes.

HOLLANDE.
Leyde, Bibl. de l’Univ. 14 à Wilhem.
2 à Golius, 2 fév. 1632 et 9/19 mai 1635.
2 à Colvius (avec rép. de Colvius), 23 avril et 5 juillet 1643.
1 à Gerrit Brandt, 18 juillet 1643.

1 à Huygens, 5 octobre 1637 (Petit traité des mechaniques).

La Haye, Rijks-Archief. 1 à Golius, 6/16 avril 1635.
Amsterdam, Bibl. de l’Univ. 1 à ***, 30 août 1637.
ANGLETERRE.
Londres, British Museum. 1 à Gibieuf, 18 juillet 1629.
1 à Waessenaer, 1er fév. 1640.
1 à un avocat, 7/17 avril 1646.
1 à Wilhem, 24 mai 1647.
Londres, Collection Morrison. 1 à Wilhem, 23 mai 1632.
1 à Mersenne, 31 mars 1638.
1 à Huygens, 12 nov. 1640.
1 à Pollot, 17 oct. 1643.


PAYS DIVERS.
Munich, Bibl. Royale. 1 à Colvius, 14 juin 1637.
Vienne. Bibl. Imp. et Roy. 1 à Golius, 3 avril 1640.
Saint-Pétersbourg, Bibl. Impériale. 1 à ***, 31 mars [1636].
Philadelphie, Coll. F.-J. Dreer. 1 à Huygens, 31 janv. 1642.

Voici maintenant la liste de tous ces autographes suivant l’ordre chronologique ; on verra que l’on possède des spécimens de l’écriture de Descartes et de son orthographe presque à toutes les années de 1629 à 1650.

1622 3 avril, à Pierre des Cartes (Paris, Bibl. V. Cousin).
1629 18 juillet, à Gibieuf (Londres, British Museum).
[13 nov.], à Mersenne (Paris, Bibl. Nat.).
18 déc., — ( — Bibl. Institut).
1630 15 avril, — ( — — — ).
1631 janv. ou oct., — ( — Bibl. Nat.).
1632 2 fév., à Golius (Leyde, Bibl. de l’Univ.).
23 mai, à Wilhem (Londres, Coll. Morrison).
1633 7 fév., — (Leyde, Bibl. de l’Univ.).
12 déc, — ( — — ).
1634 15 mai, à Mersenne (Paris, Bibl. Institut).
14 août, — ( — Bibl. V. Cousin).
1635 6/16 avril, à Golius (La Haye, Rijks-Archief).
9/19 mai, à Golius (Leyde, Bibl. de l’Univ.).
1er nov., à Huygens (Paris, Coll. F. de Careil).
1636 31 mars, à *** (Saint-Pétersbourg, Bibl. Impériale).
1637 14 juin, à Colvius (Munich, Bibl. Royale).
30 août, à *** (Amsterdam, Bibl. de l’Univ.).
5 oct., à Huygens (Leyde, Bibl. de l’Univ.).
1638 31 mars, à Mersenne (Londres, Coll. Morrison).
[avril ?] — (Paris, Bibl. Institut).
3 mai, — ( — — V. Cousin).
29 juin, — ( — — Nat.).
13 juillet, — ( — — — ).
27 juillet, — ( — — — ).
23 août, — ( — — — ).
12 sept., — ( — — Institut).
[11 oct.], — ( — — Nat.).
déc, à Huygens (Paris, Coll. F. de Careil).
1639 9 janv., à Mersenne ( — — V. Cousin).
9 fév., — ( — — — ).
19 juin, — ( — — — ).
27 août, — ( — — Institut).
16 oct., — ( — — V. Cousin).
1640 29 janv., à Mersenne (fac-similé, Isographie).
Ier fév., à Waessenaer (Londres, British Museum).
3 avril, à Golius (Vienne, Bibl. Imp. et Roy.
11 juin, à Mersenne (Paris, Bibl. Institut).
[juin], à Wilhem (Leyde, Bibl. Univ.).
24 — — ( — — — ).
29 juillet, à Bourdin (Paris, Bibl. Univ.).
[30 — ] à Mersenne ( — — Institut).
6 août, — ( — — V. Cousin).
17 — à Wilhem (Leyde, Bibl. Univ.).
15 sept., à Mersenne (Paris, — V. Cousin).
30 — — ( — — Institut).
5 oct., à Wilhem (Leyde, — Univ.).
28 — à Mersenne (Paris, — V. Cousin).
12 nov., à Huygens (Londres, Coll. Morrison).
1641 4 mars, à Mersenne (Paris, Bibl. Nat.).
18 — — ( — — V. Cousin).
31 — — ( — — Institut).
23 juin, — ( — — Nat.).
17 nov., — ( — — V. Cousin).
[22 déc], — ( — — Nat.).
1642
19 janv., à Mersenne (Paris, Bibl. V. Cousin).
31 — à Huygens (Philadelphie, Coll. Dreer).
7 sept., à Bourdin (Paris, Bibl. Institut).
[13 oct.], à Mersenne ( - - - ).
20 — — ( — — V. Cousin).
1642

19 janv., à Mersenne (Paris, Bibl. V. Cousin).

31 — à Huygens (Philadelphie, Coll. Dreer).

7 sept., à Bourdin (Paris, Bibl. Institut).

[13 oct.], à Mersenne ( - - - ).

20 — — ( — — V. Cousin).

|1643

|1644

|1645

|1646

|1647

|1648


4 janv., à Mersenne

23 mars, —

23 avril, à Colvius

26 — à Mersenne

5 juillet, à Colvius

10 — à Wilhem

18 — à G. Brandt

17 oct., à Pollot

7 nov., à Wilhem

26 fév., à Wilhem

9 juillet, —

5 janv., à Du Puy

4 août, à Huygens

— à Wilhem

15 sept., —



��3o mars, à Cavendish

7/17 avril, à un avocat

i5 mai, à Cavendish

1 5 juin, à Wilhem

7 sept., à Mersenne

5 oct., —

12 — —

2 nov., —

23 — —

19 avril, a Heereboord

26 — à Mersenne

24 mai, à Wilhem

3i janv., à Mersenne 7 fév., -

4 avril, —

S. d., —

��(Paris, Bibl. Institut).

{ - - - )• (Leyde, Bibl. Univ.). (Paris, — Nat.). (Leyde, — Univ.).

(Londres, Coll. Morrison). (Leyde, Bibl. Univ.).

(Leyde, Bibl. Univ.).

( - - - )•

(Paris, Bibl. Nat.).

( — Coll. G. de Courcel).

(Leyde, Bibl. Univ.).

( - - - )•

(---)•

(Paris, Bibl. Nat.). (Londres, British Muséum). (Paris, Bibl. Institut). (Leyde, Bibl. Univ.). (Paris, Bibl. Nat.). ( — — V. Cousin). ( _ _ Nat.). ( - - - )• (---)•

(Paris, Bibl. V. Cousin). ( _ _ Nat.). (Londres, British Muséum).

(Nantes, Bibl. Ville). (Paris, Bibl. V. Cousin). ( — — Institut).

�� � a la Correspondance de Descartes. lxxhi

��1649 | 8/18 déc, à Brégy i65o 1 i5 janv., —

��(Paris, Coll. Hunolstein).

��A cette liste, déjà longue, d'autographes de Descartes, il convient d'ajouter une liste plus longue encore de copies ma- nuscrites, qui datent du xvn e siècle et tiennent lieu des origi- naux qui manquent. On y joindra aussi quelques autographes de correspondants de Descartes.

��FRANCE.

[janv. i638].

[i or mars — ].

6 à Mer- ) [3 r mars — ].

senne 1 [29 janv. 1640].

4 et 26 avril 1643

20 avril 1646. 1 à Morin [sept. i638]. 1 (à Gibieuf) [janv. 1642].

��Paris,

Bibliothèque Nationale.

��FR. n. a., 5 160.

��Ib., Ô2o5,p.go8. Ib., ib., p. 143.

��1 Hobbes à Mersenne, pour

Descartes, 3o mars

2 au P. Mesland [1645]

��FR. n. a., 111. FR. 17155.

��Bibl. de l'Arsenal. \ 1 à Balzac, 14 juin 1637.

��MS. Conrart,

��Bibl. V. Cousin. | 1 billet d'affaires, 3oaoût 1649.I Aut. Desc, n° 14. Coll. G. de Courcel. \ 1 à Picot, 3o août 1649.

��HOLLANDE.

��Amsterdam, i 17 Huygens à Descartes (i635- ) Lett. franc, de Bibl. Acad. des Se. ( 1645). \ Const. Huygens.

Amsterdam, Bibl. Univ.

��\ 1 Buysero à Descartes, 8 mars 1644.

��Groningue, Archives Pr ovine.

��1 Desc. à M. de la Thuillerie. ] Acta

1 M. de la Thuillerie aux Étais. ISenatus Academici

1 Descartes aux États. ) {1644-1645).

��Correspondance. I.

�� �

Leyde, Bibl. Univ.

1 Fromondus à Plempius (pour Descartes), 13 septembre 1637.

1 Plempius à Descartes, 15 septembre 1637.

2 Desc. à Plempius et à Fromondus, 3 oct. 1637

2 à Élisabeth, 21 mai et 28 juin 1643.

1 à Christine, 20 novembre 1647.

1 à Vorstius, 19 juin 1643.

Leyde, Curateurs de l’Univ.

1 aux Curateurs de l‘Univ. (4 maij 1647).

1 à Desc. (13 Kal. Iun. 1647).

1 aux Curateurs (6 Kal. Iun. 1647).

Resolutien van de HHn Curateuren en Burgermeesteren (1646-1653).

Rosendaal, (près Arnhem).

26 lettres de Descartes à Élisabeth (1643-1649).

Collection Baron Van Pallandt.

SUISSE, ITALIE, ALLEMAGNE.

Genève.

17 lettres de Descartes à Pollot, etc.

Collection Eug. de Budé.

Rome.

15 à Mersenne (dont 7 autog. connus ; restent 8).

Collection Boncontpagni.

Hambourg.

1 à Stampioen, déc. 1633. 1 à Renery, 2 juillet 1634.

Stadt-Bibl.

Hanovre.

1 à Dozem, 25 mars 1642.

Kœnigl. Bibl.

Goettingen.

Entretien de Descartes et de Burman (14 avril 1648).

Univ. Bibl.

Marburg.

7 à Élisabeth

21 juillet 1645.

4 août —

18 — —

1 sept. —

15 — —

6 oct. —

3 nov. —

Staats-Archiv.



Soit un total de 108 copies du temps (en ne comptant pas les de Rome, qui font double emploi), dont un certain nombre ont pas encore été publiées, et les autres fournissent généralement un texte plus exact et plus complet que celui que l’on connaissait.

Ces 108 copies, presque toutes datées, jointes aux 93 autographes, qui le sont aussi presque tous, nous fournissent un ensemble de 201 pièces, dont on connaît la date. Si on y ajoute les 23 lettres dont nous connaissons la date par la liste de dom Poirier, comme ces numéros ont été presque tous identifiés avec les minutes de l’édition Clerselier, on voit qu’il est possible de rétablir sûrement presque partout la chronologie.

En effet, les lettres datées donnent parfois aussi la date de celles qui ne le sont pas. Par exemple, les minutes que Clerselier a imprimées sans date, mais qui se trouvent être des réponses à Élisabeth ou à Huygens, peuvent se dater par approximation, maintenant que l’on connaît les lettres de Huygens et d’Élisabeth avec leurs dates ; et nous en daterons ainsi plus de cinquante. De même pour les lettres ou fragments de lettres à Regius, puisque l’on connaît au moins la date des lettres que celui-ci a écrites à Descartes.

Ou bien encore deux lettres sont manifestement du même jour, ou à peu de jours d’intervalle, et si l’une des deux seulement a sa date, l’autre se trouve aussi datée du même coup. Ainsi on avait déjà remarqué qu’une lettre à Mersenne était du même jour qu’une lettre à M. de Beaune, quoiqu’elles fussent imprimées dans deux volumes différents (Clers., II, xcviii et III, lxxi) ; par bonheur la seconde était datée du 20 février 1639 : voilà donc aussi la date de la première.

Plus tard, dans un autographe à Mersenne, du 5 octobre 1646, Descartes parle de trois ouvrages : De pluvià purpureà, de Wendelin ; Fundamenta Physices, de Regius ; plus un opuscule, imprimé à Paris, d’un certain Jacques Bourgeois, Sur la taille des verres de lunette. Or, dans une autre lettre, sans date et sans nom de destinataire (Clers., II, cxiii), Descartes parle de ces trois mêmes ouvrages qu’il vient de recevoir, et en remercie son correspondant. C’était Constantin Huygens qui recevait les paquets de livres à l’adresse de Descartes et les lui faisait tenir ; la lettre en question a donc été écrite à Huygens, aux environs du 5 octobre 1646, sinon ce même jour, comme la lettre à Mersenne.

Autre exemple : une lettre à Mersenne (Clers., II, lxxvii) se trouve maintenant datée, Amsterdam, 14 août 1634, grâce à l’autographe, qui complète ainsi l’une des premières phrases : « Le sieur Beecman vint icy samedy au soir et me presta le liure de Galilée ; mais il l’a remporté a Dort ce matin. » Or nous trouvons une autre lettre de Descartes (Clers., II, xvii), imprimée cette fois avec une date, le 22 août 1634, et le nom du lieu, Amsterdam, sans nom de destinataire. Mais c’est quelqu’un avec qui il venait d’avoir une discussion de vive voix, deux jours de suite : or Beecman arrivé de Dort à Amsterdam le samedi soir en était reparti le 14 août, c’est-à-dire le lundi, deux jours après. En outre, la lettre de Descartes était écrite en latin, comme les deux autres de lui que nous avons à Beecman. C’est donc bien vraisemblablement une troisième lettre au même personnage, et en 1634, preuve que Descartes et lui s’étaient réconciliés après leur grosse querelle de 1630.

Ainsi le moindre détail devient un renseignement précieux, qui fixe non seulement la date d’une lettre, mais celle de plusieurs autres qui précèdent ou qui suivent. Dans une lettre (Clers., II, lxviii) que l’on croyait, sans preuve sérieuse, de septembre 1632, se trouve cette petite phrase : « M. Renery est allé demeurer a Deuenter depuis cinq ou six iours, et il est maintenant la professeur en philosophie. » Or vérification faite sur les registres du Gymnasium Illustre, conservés aux Archives de Deventer, Reneri a été nommé professeur le 4 octobre 1631, et il a lu sa leçon d’ouverture le 28 novembre 1631. La lettre de Descartes a donc été écrite entre ces deux dates, c’est-à-dire un an plus tôt qu’on ne pensait, et plusieurs autres se trouvent avancées d’autant : les deux suivantes (Clers., II, lxix et lxx) étant de janvier 1632 et du 2 février 1632, celles qui viennent ensuite (Clers., II, lxxi et lxxii) seraient aussi de Pâques 1632, et d’avril ou mai 1632, et non pas, comme on croyait, de 1633.

Enfin, comme dernière ressource, il nous reste parfois la place même où Clerselier a mis telle lettre sans date ; si elle se trouve entre deux lettres datées, et si, non seulement ces deux lettres, mais bon nombre avant et après sont aussi datées et se suivent les unes les autres, on a bien une série dans l’ordre chronologique. On peut, en ce cas, laisser la lettre sans date entre les deux autres ; c’est là vraisemblablement sa place, en effet, et toutes ses voisines dûment datées garantissent la date qu’elle doit avoir elle-même.

Si l’on osait parfois pousser l’approximation à l’extrême (et pourquoi ne l’oserait-on pas ?), Descartes nous en fournit les moyens. Il avait son jour de correspondance, qui était le jour du courrier. Celui-ci partait de Leyde le lundi, d’Amsterdam le lundi encore ; c’est Descartes lui-même qui nous l’apprend, et comme le même courrier qui emportait ses lettres le soir, lui apportait le matin celles de ses correspondants, il attendait d’ordinaire son arrivée pour expédier le jour même au moins les réponses les plus urgentes ; les autres étaient remises à huitaine, et parfois écrites le dimanche, c’est-à-dire la veille du courrier, pour avoir plus de temps. En marquant donc sur un calendrier tous les lundis de chaque année, entre 1629 et 1650, on trouve que bien des dates, connues maintenant par les autographes, sont en effet des lundis ou des dimanches, et lorsqu’on est à peu près sûr qu’une lettre sans date a été écrite entre deux autres bien datées, il y a des chances pour qu’elle soit d’un lundi intermédiaire, et parfois il n’y en a qu’un.

Telle est l’édition nouvelle des Lettres de Descartes que l’on se propose de donner. Elle ne sera point parfaite, la perfection n’étant plus possible, à cause de la dispersion et de la destruction de tant de papiers du philosophe. Il s’y trouvera sans doute, non seulement des lacunes, mais des erreurs. On aura cependant mis à profit tous les efforts antérieurs, le travail de Clerselier d’abord, puis le travail de Baillet et de Legrand, et les nombreuses contributions apportées en ce siècle à l’œuvre qui se prépare, et la bonne volonté rencontrée partout pour faciliter la tâche. Toutefois l’édition demeure exposée au hasard de découvertes nouvelles, qu’on n’ose espérer, mais qui ne sont pas impossibles. Du moins, parmi les lettres que l’on pourra découvrir, toutes ne seront pas entièrement inconnues : beaucoup auront comme leurs places d’attente marquées dans cette édition, à des dates connues déjà, et elles viendront, non pas remplir des pages laissées pour elles en blanc, mais compléter des fragments, donner un corps à une étiquette placée là en attendant. C’est ainsi que, grâce à l’ordre chronologique, l’ensemble de la correspondance, en recevant dans ses cadres préparés d’avance toutes les recrues nouvelles, n’en subsistera pas moins lui-même, solide et inébranlable.

C. A.                    

P. S. — Depuis l’impression des pages qui précèdent, M. Paul Tannery a retrouvé, dans le MS. de la Bibliothèque Nationale fr., 20843, un memento du « citoyen Poirier », relatif à ses fonctions de membre de la Commission temporaire des Arts, adjointe, sous la Révolution, au Comité d’Instruction publique de la Convention. Ce memento porte, sous la date du 20 floréal an II (29 avril 1794) la mention : « Rapport sur les Lettres de Descartes à l’Académie des Sciences. Vicq d’Azir et Poirier. »

M. Paul Tannery exposera, dans un Avertissement, en tête du second volume, le résultat complet de ses recherches à ce sujet, pour faire suite aux conjectures de la page LIV de ce premier volume.

REMARQUES

SUR

L’ORTHOGRAPHE DE DESCARTES

Descartes, si l’on s’en rapporte à ce qu’il dit lui-même en plusieurs endroits, se souciait médiocrement de l’orthographe. En mars 1636, comme il pensait à envoyer à Mersenne une copie de ses manuscrits, il l’avertit d’avance : « Seulement y a-t-il en cela de la difficulté que ma copie n’est pas mieux écrite que cette lettre, que l’ortographe ny les virgules n’y sont pas mieux observées… » Plus tard, comme on lui faisait des reproches sur l’orthographe de la Méthode et des Essais, publiés en 1637, il répond ainsi : « Pour l’ortographe c’est à l’imprimeur à la deffendre ; car ie n’ay en cela désiré de luy autre chose, sinon qu’il suiuist l’vsage. » Et dans la même lettre il ajoute, quelques lignes plus bas : « Au reste ie n’ay point dessein de reformer l’ortographe françoise… ; mais s’il faut icy que i’en die mon opinion, ie croy que si on suiuoit exactement la prononciation, cela apporteroit beaucoup plus de commodité aux estrangers pour apprendre nostre langue… » Et encore : « C’est en parlant qu’on compose les langues, plutost qu’en escriuant. »[2]

Cependant, le 15 novembre 1638, il écrivait à Mersenne : « le vous remercie de ce qu’il vous plaist en corriger les fautes (il s’agit de la Dioptrique), et si vous prenez la peine de les marquer toutes en vostre exemplaire, afin de nous l’enuoyer, en cas qu’on en face vne seconde impression, vous m’obligerez ; car en ce qui est de la langue et de l’ortographe, ie ne désire rien tant que de suiure l’vsage ; mais il y a si long tems que ie suis hors France, que ie l’ignore en beaucoup de choses. » Enfin après avoir déjà, à propos de la Méthode et des Essais, dit qu’il ne voudrait conseiller à personne d’apprendre l’orthographe française « dans un liure imprimé à Leyde », il répète encore à Mersenne, le 9 février 1639 : Vous m’obligez de la peine que vous prenez de corriger les fautes de l’ortographe, en quoy ie ne désire rien tant que de suiure

» l’vsage ; et il y a long tems que le Maire (son imprimeur à Leyde) auoit enuie que ie vous en priasse, mais ie n’eusse osé vous le mander, si cela n’estoit venu de vostre mouuement. » Tous ces passages se trouvent au t. II des Lettres de M. Descartes, édit. Clerselier, p. 527, 14, 420 et 446.

Descartes n’est donc pas aussi indifférent qu’il le paraît d’abord à l’orthographe de ses ouvrages imprimés ; il désire que le public leur fasse bon accueil, et ne soit point rebuté par des singularités trop fortes, ni surtout par des façons d’écrire un peu surannées, comme ne pouvait manquer d’en avoir un Français qui conserve à l’étranger les habitudes qu’il avait en quittant son pays et ne peut suivre les changements qui s’y font en son absence. Ne pouvant pas deviner ces changements, nous allons le voir qui, là comme ailleurs, se fraye lui-même sa voie, et s’efforce d’écrire « clairement et distinctement », comme il pensait et comme il exprimait sa pensée.

Nous avons à Paris trois recueils d’autographes de Descartes, qui permettent d’étudier sa façon d’écrire les différents mots :

1° La Bibliothèque Victor Cousin, à la Sorbonne, possède, réunies en un cahier, dix-sept pièces manuscrites de Descartes (sans compter une copie).

2° La Bibliothèque de l’Institut en possède seize.

3° Enfin la Bibliothèque Nationale possède un assez gros cahier relié, qui contient dix-sept lettres de Descanes lui-même, plus six copies (fr. n. a. 5160).

Ce dernier recueil est de beaucoup le plus considérable : plusieurs des lettres qu’il contient sont de véritables traités, et il comprend en tout, de la propre main de Descartes, 83 pages, dont quelques-unes ont jusqu’à 50 lignes, et les autres 35 en moyenne. Outre cela, les dix-sept autographes qu’on y trouve sont de dates assez différentes :

Deux lettres, les plus anciennes de ce recueil, sont de novembre 1629 et de janvier ou octobre 1631 (f. 48, f. 46 et 47).

Cinq autres ont été écrites de juin à octobre 1638, et remplissent 21 feuillets, ou 42 pages (f. 2 à 23).

Les dix qui restent se répartissent ainsi :

Trois de 1641, le 4 mars, le 23 juin, le 22 décembre (f. 23, 27 et 49).

Une seulement de 1643, le 26 avril (f. 29).

Cinq de 1646, le 30 mars, 7 septembre, 12 octobre, 2 et 23 novembre (f. 31, 37, 39, 40 et 42).

Une enfin de 1647, le 26 avril (f. 44).

Ce recueil a donc le double avantage de permettre la comparaison de l’orthographe de Descartes avec celle de son temps, grâce aux six copies d’autres mains qui s’y trouvent jointes, et aussi la comparaison de Descartes avec lui-même, son orthographe ayant changé de 1629 à 1650, comme l’a signalé le premier M. Paul Tannery en 1891 (Archiv für Geschichte der Philosophie, IV, 529). Nous renverrons donc le plus souvent aux autographes de la Bibliothèque Nationale, sans nous interdire cependant de renvoyer aussi, surtout pour les plus anciens, à la Bibliothèque V. Cousin (3 avril 1622, 14 août 1634), à la Bibliothèque de l’Institut (18 décembre 1629, 15 avril 1630, 15 mai 1634), ainsi qu’aux autographes de Leyde, la Haye et Londres.

Nous suivrons dans cette étude l’ordre qui semble indiqué par le sujet lui-même :

I. Voyelles (u et v, i et y ; y dans ay et oy).

II. Diphtongues (ai, ei, oi, ou, eu, an, en).

III et IV. La consonne s, avec ses deux principales fonctions, soit après une autre consonne, soit après une voyelle ou une diphtongue.

V. Autres consonnes simples.

VI. Consonnes doubles.

I. — VOYELLES.

u et v. — On sait que le xviie siècle ne faisait pas la même distinction que nous entre les lettres u et v, ou, comme on disait, entre l’u voyelle et l’u consonne, qui est devenu notre v. Conformément au bon usage de son temps, Descartes les distinguait, mais comme signes d’écriture, et selon la place que la même lettre occupait, soit en tête, soit dans le corps d’un mot. En tête, il écrit toujours v, non seulement pour les mots que nous écrivons ainsi, comme verité, viuant, vouloir, mais même pour ceux qui commencent aujourd’hui par un u, comme vn, vnité, vniforme, vsage, vtile, etc. Par contre, dans le corps des mots, Descartes écrit toujours u, qu’il s’agisse, en effet, de l’u ou de notre v ; il écrit donc nouueau, mouuement, s’entreouure, etc. (signalons en passant un curieux exemple : il écrit neuſiesme, f. 38, recto, I. 3, 4, 7, au lieu de neuvième, comme aujourd’hui, et au lieu de neuuiesme comme on aurait pu s’y attendre ; mais neuſiesme se forme si naturellement de neuf !) Les lettres u et v sont donc bien distinctes pour Descartes, au moins quant à leur emploi, et c’est la même distinction que, par exemple, entre ϐ et β, dans l’écriture grecque : u dans le corps des mots, v au commencement. Ajoutons que, suivant cette règle, il n’y avait alors qu’une forme majuscule, le V : par exemple Vtrecht[3].

i et y. — On sait aussi que le xviie siècle commençait à peine à distinguer l’i voyelle de l’i consonne, qui est devenu notre j. Descartes ne les distingue pas encore dans son écriture ; partout il écrit i, où nous mettons aujourd’hui j. Au lieu de je, j’ai, déjà, jamais, joint, majeur, etc., on trouve dans les autographes ie, i’ay, desia, iamais, ioint, maieur, etc.

Par contre, dans bien des cas où nous mettons aujourd’hui un i simple, Descartes mettait souvent un y. C’est d’abord à la fin des pronoms cecy, celuy, des adverbes voycy, ainsy, aussy, icy, ny répété, etc. Pourtant ici la règle n’est pas absolue, et on trouve de nombreux exemples de l’i simple, souvent dans la même page et à quelques lignes d’intervalle : ainsi (f. 17 recto, l. 30 et 33), ainsy (l. 35 et 36) ; ny plan ni solide (f. 17 recto, l. 17), etc. Les adjectifs et participes en i sont écrits des deux façons : marry et marri, demi et demy (plus souvent demi), vny et vni, failly, etc. On trouve fini et infini (f. 21 verso, l. 20 et 21). Dans les noms l’orthographe est variable : Descartes écrit hyuer ; mais il écrit stile, plutôt que style, et toujours pais au lieu de pays. Un mot latin, consyderare est écrit avec un y (f. 48 verso, l. 18, novembre 1629) ; c’était un usage fréquent chez les humanistes d’alors, pour lesquels l’y, surtout en Hollande, valait simplement l’i double ou long[4].

Y dans ay et oy. — Descartes écrit le plus souvent ay, et non pas ai, à la fin des mots. Les exceptions sont nombreuses pour vray, gay, vraye, gays ; on trouve fort bien aussi vrai, vraie et vrais. Mais la première personne de l’indicatif présent du verbe avoir est toujours i’ay, et de même, par conséquent, les premières personnes du futur et du passé indéfini dans tous les verbes, ie m’arestray (f. 18 recto, l. 8), i’adioutay (f. 17 verso, l. 20 et 23), ie manday, etc. Au subjonctif, on trouve également qu’ils ayent, et même une fois qu’il ayt (f. 12 verso, l. 24), l’y récrit sur un i (à moins que ce ne soit un i récrit sur un y). — Dans le corps des mots, Descartes emploie volontiers aussi l’y : aymant, aymer, ayder, aysé, aygu, etc. ; toutefois, dans une même lettre, la plus ancienne du recueil, novembre 1629, on trouve aygu (f. 48 verso, l. 39), et à la ligne suivante aigu (l. 40), et dans une même lettre encore, du 27 juillet 1638, aise (f. 14 v., l. 30), et ayse (l. 40). On trouve enfin raion pour rayon. Descartes écrit de même oy, et non pas oi, à la fin des substantifs d’abord, foy, roy, etc., à la fin des pronoms, moy, soy, quoy, et de l’adverbe pourquoy, mais surtout à la fin de la première personne de l’indicatif présent des verbes en oir et oire, ie voy, ie croy, ie conçoy[5]. On trouve un exemple de ie dois, écrit d’abord ainsi, et récrit ie doy (f. 37 verso, l. 20, du 7 septembre 1646, etc.). En 1647, Vaugelas posera la question s’il faut écrire ie crois ou ie croy, en ôtant l’s et en changeant l’i en y : « Il est certain que la raison le voudroit, dit-il, pour oster toute equiuoque, et pour la richesse et la beauté de la langue ; mais on pratique le contraire. » Descartes ne faisait donc que maintenir la distinction entre la première et la deuxième personne du singulier, en écrivant ie croy et tu crois. — La forme oy se retrouve dans le corps des mots. Descartes écrit qu’ils soyent (bien que l’on trouve aussi qu’ils soient)[6], et employer, ennuyer, tournoyer, etc., avec leurs différents modes, loysir, voysines (f. 13 verso, l. 13) ; mais il écrit moyen et moien.

II. — DIPHTONGUES.

1° Citons seulement comme des particularités sans grande importance, a mis pour ai dans infallible, qui est peut-être une faute (f. 31 verso, l. 8), et geometrie abstracte (f. 13 recto, l. 25) ; — ai mis pour a dans gaigner, montaigne, campaigne ; — ai mis pour ei dans faignant, participe de feindre (f. 20, recto, l. 8) ; — ai mis pour e dans effait et effaits (f. 48, recto, l. 13 et 28, et verso, l. 21, novembre 1629), forme que Descartes abandonnera pour effet et aussi effect ; mais il conservera toujours aissieu pour essieu. On trouve enfin une première fois Phœnomene (f. 48, recto, l. 1, 6, 7, novembre 1629), et plus tard Phainomene (f. 13, recto, l. 28, du 27 juillet 1638).

Citons aussi pour mémoire pleinement (f. 2, verso, l. 6) et plenement (l. 8), la nege, les venes, et au contraire seicher. Citons deux cas assez curieux : se roller pour se rouler (5 octobre 1637), et un peu plus loin, dans le même autographe, roulleau ; de même norri aux lettres, pour nourri (f. 2, verso, l. 15, juin 1638).

Mais les diphtongues les plus importantes sont oi, eu, et surtout an et en.

2° Comme tout le xviie siècle et une bonne partie du xviiie, Descartes écrit oi où nous écrivons aujourd’hui ai, par exemple dans tous les verbes à l’imparfait de l’indicatif, i’auois, il pouuoit, il vouloit, etc., et dans les mots comme foiblesse, françois, etc. C’est là une règle absolue.

Mais il n’écrit pas toujours eu ; il le remplace souvent par û avec un accent circonflexe, ou même par un u tout simple, sans accent, si bien qu’on rencontre les trois formes équivalentes eu, û, u, bien que la plus fréquente soit la première. Le plus ancien autographe donne déjà (f. 48, recto, l. 2, novembre 1629). On trouve vû que et pouruû que, aussi bien que vu que et pouruu que (5 octobre 1637). Ailleurs on lit dans la même ligne i’ay vu ce qu’il vous a pleu (f. 2 recto, l. 1), et ailleurs, dans la même page, et pu (f. 18, recto, l. 9 et 18), ny vû ny connû (f. 20, verso, l. 6) ; ailleurs encore creu, sceu, leu, teu, receu, aperceu, sont des formes courantes. Ou bien ce sont des substantifs cheute, relieure, pour chûte et reliure. Mais point de règle fixe à ce sujet. L’accent circonflexe ne semble qu’une abréviation d’écriture, dont on peut ou non se servir[7].

3° L’emploi de an ou de en est beaucoup plus curieux, parce que là-dessus Descartes a changé. On trouve, en effet, dans les deux plus anciens autographes du recueil (novembre 1629 et janvier 1631), argumant (f. 48, recto, l. 6), fondemant (l. 29), elemans (l. 19), mouuemans (l. 23 et 31), seulemant (l. 6), perpetuellemant (l. 32), empeschemant (f. 48, verso, l. 22), commencemant (l. 34), generalemant (l. 26), etc. ; on trouve aussi, mais une seule fois, aysement (l.35). Descartes employait donc presque toujours la forme an dans les substantifs, les adjectifs et participes, les adverbes. Plus tard, il paraît avoir réservé cette forme an aux participes présents des verbes et aux adjectifs verbaux, bruslant, pliant, pesant, etc. (sauf certains cas, comme enfant et grand, etc.); ailleurs, c’est-à-dire dans les substantifs et les adverbes, an est remplacé par en, et Descartes écrit element, mouuement, etc., seulement, generalement, etc. Et on trouve ceci de bonne heure, dans une lettre du 2 février 1632. Mais son ancienne orthographe reparaît de temps à autre dans des cas isolés, comme souuant (f. 10, recto, l. 9), bras panchez (5 octobre 1637) ; par contre, l’habitude nouvelle lui fait écrire une fois ou deux maintenent, au lieu de maintenant. Ou bien il oscille entre les deux formes et va de l’une à l’autre : resistence et resistance se trouvent dans la même page à dix lignes d’intervalle (f. 33 verso, l. 1 et 11, du 31 mars 1646), ou même à deux lignes d’intervalle (f. 29 recto, l. 18 et 20, du 26 avril 1643). On trouve inaduertence (9/19 mai 1635), et à la fois condamné et condemnation (17 août 1640). Ce serait là des fautes, si l’on ne songeait au changement que, de parti pris, Descartes a fait subir à son orthographe, et qui parfois l’entraîne lui-même

Un mot bien commun, le temps, a été aussi changé par lui. On trouve écrit le tans dans l’autographe de novembre 1629, et aussi dans une lettre plus ancienne encore, du 18 juillet 1629, au P. Gibieuf. Mais déjà dans une lettre du 7 février 1633, Descartes écrivait le tems, qui fut désormais son orthographe définitive. Nous retrouverons plus loin ce mot, qui donne lieu à d’autres observations à cause du p intercalé entre m et s (le temps).

III. — CONSONNE S. (Première fonction.)

De toutes les consonnes la plus intéressante pour l’orthographe est certainement la consonne s : tantôt simplement muette, elle vient se placer à la fin des mots, comme marque du pluriel ; tantôt jointe aux voyelles ou aux diphtongues, elle leur donne un son nouveau, qui n’a d’autre signe aujourd’hui qu’un accent (circonflexe, aigu ou grave) sur ces mêmes voyelles ou diphtongues ployées sans s. Examinons d’abord la première de ces deux fonctions de la lettre s.

1° Dans les plus anciens autographes du recueil, ceux de novembre 1629 et de janvier 1631, la même lettre s sert à Descartes pour trois sortes de cas où nous employons aujourd’hui s, ou x, ou z. Puis, il fut amené peu à peu à substituer, comme nous, à cette s, tantôt x, tantôt z.

Par exemple on lit (f. 48, 46 et 47), non pas ceux, deux, mieux nebuleux, rationaux (pour rationnels), ie veux, etc., mais deus, mieus, nebuleus, rationaus, ie veus ; et cela se retrouve dans deux lettres à Wilhem, du 7 février (hureus, etc., pour heureux) et du 12 décembre 1633 (auantageus, etc.), dans une autre, à Mersenne, du 14 août 1634, et une à Golius, du 9/19 mai 1635 (yeus, lumineus, etc.) Mais voici que dans des textes postérieurs, ceux de 1638, par exemple, et tous les suivants, on trouve écrit comme de nos jours, ceux, deux, mieux, ie veux, etc., nouveau changement considérable que Descartes a adopté dans son orthographe. Ses manuscrits conservent cependant çà et là, quelques traces de l’habitude ancienne : chois pour choix (5 octobre 1637), et ausquels pour auxquels ; cette forme ausquels est même la seule qu’il emploie jamais. Par contre, l’x l’emporte quelquefois sur l’s d’une façon bien singulière : en voici deux exemples, les defaux pour les defauts (f. 40 recto, l. 21, du 2 novembre 1646), et deux foix pour deux fois (f. 42 verso, l. 19, du 23 novembre 1646) ; il est vrai que dans ce dernier cas on peut aussi bien lire fois que foix, les deux lettres s et x étant écrites l’une sur l’autre. Enfin un curieux exemple : du flus et reflux (f. 29 recto, l. 24-25, du 26 avril 1643)[8].

La même lettre s, avons-nous dit, était encore employée par Descartes là où nous mettons aujourd’hui z, notamment à la deuxième personne du pluriel des verbes : vous pensiés, vous auiés, vous pourrés, vous demandés, vous parlés, vous proposés, etc. (f. 48 recto et verso, f, 46 et 47). Mais on ne trouve cette forme que dans les lettres de novembre 1629 et janvier 1631, puis dans un autographe du 2 février 1632, et dans ceux qu’on a cités plus haut, du 7 février et du 12 décembre 1633, du 14 août 1634, du 9/19 mai 1635. Ensuite Descartes substitua z (comme tout à l’heure x) à l’s, dans les cas précédents ; et les autographes de 1637 et 1638, etc., nous donnent fort bien vous voulez, vous mandez, etc. En réalité, ce n’est pas seulement la lettre z substituée à s ; c’est plutôt ez mis pour és[9]. Et Descartes ne borne pas cette réforme (car c’en est encore une véritable) aux secondes personnes du pluriel des verbes : il l’étend au pluriel des participes passés, ils se sont exercez, accoustumez, enuoyez, panchez, etc. (5 octobre 1637), non pas toujours, il est vrai, mais dans des cas nombreux ; il l’étend même assez fréquemment au pluriel des substantifs en ou , comme difficultez, authoritez, impietez, veritez, procedez, etc. Enfin, l’habitude nouvelle va jusqu’à lui faire écrire quelquefois ilz, desquelz, et même filz, pour ils, desquels et fils.

2° Cette adjonction de l’s comme marque du pluriel, fait ordinairement tomber le t qui termine au singulier les substantifs et les participes en ent et ant. On trouve sans doute que, sur trois consonnes de suite, nts, c’est trop d’une, et que deux suffisent, ns au pluriel comme nt au singulier. Descartes écrit donc au pluriel, comme ses contemporains, elemens, empechemens, enfans, pesans, bruslans, etc. Ce n’est pas qu’on ne trouve aussi une fois, à la même page, pliants et pesans (f. 8 recto, l. 3 et 33). Dans l’autographe du 5 octobre 1637, il écrit à deux reprises les dents ; mais à la page précédente on lit des dens, et à la même page, deux cens, precedens, etc.

Les terminaisons ant et ent ne sont pas les seules qui perdent leur t au pluriel. Descartes écrit les poins plus souvent que les points, bien qu’on trouve l’un et l’autre (f. 48 recto, l. 20 et 21) ; on a même un exemple de ioins, mis pour ioints. Il a écrit une fois les plus sains (f. 13 recto, l. 11), là où nous aurions mis, ne fût-ce que pour éviter l’équivoque, les plus saints. Il a laissé ailleurs cette faute, si c’en est une, provenant toujours de la même règle, les plus cours (f. 22., verso, l. 21), bien qu’il écrive aussi les plus courts (5 octobre 1637) ; une fois même on trouve les pars pour parts, et aussi les desers (12 décembre 1633) pour déserts, et offers (5 octobre 1640). Enfin, dans la publication de la Méthode et des Essais, il n’avait pas corrigé les espris, mis pour esprits, comme s’en plaint un de ses lecteurs. (Lettres, édit. Clerselier, II, 4 et 14). Et ce t inutile lui déplaisait si fort, qu’il l’avait supprimé dans un mot que l’on a longtemps imprimé neantmoins : Descartes écrit d’ordinaire neanmoins.

Ce n’est pas non plus seulement la lettre t que l’adjonction de l’s fait ainsi disparaître à la fin des mots : dans des cas analogues la lettre d disparait de même, et sans doute pour la même raison, afin de ne pas écrire trois consonnes de suite, nds, dont la seconde est inutile. Descartes a écrit une fois les plus grans ; mais on trouve aussi, et dans le même autographe du 5 octobre 1637, les plus grands. La règle est mieux observée, on peut même dire qu’elle l’est toujours, à la première personne du singulier de l’indicatif présent des verbes en endre ou ondre : Descartes écrit i’apprens, ie descens, ie respons, etc. Et la raison en parait bien être celle que nous avons dite, éviter trois consonnes de suite ; car, dans d’autres cas de d suivi d’un s, où les consonnes ne sont que deux, Descartes maintient le d. Il écrit pieds au pluriel, comme pied au singulier, et il écrit poids, bien que dans les éditions du temps, entre autres dans celle de ses Lettres, on trouve pié, piés et pois. On peut comparer à ce sujet le texte imprimé et le texte manuscrit de l’Examen de la question géostatique, où ces mots pieds et poids reviennent si souvent. (Edit. Clerselier, lettre 73, t. I, p. 327-347 ; et Bibl. Nat., fr., n. a., 5160, f. 4-10).

Ajoutons aux consonnes t et d qui disparaissent ainsi devant l’s à la fin des mots, la consonne p. Descartes la supprime dans le mot temps, qu’il a commencé par écrire tans, et qu’il a bientôt écrit tems. Il la supprime aussi dans le mot corps, non pas toujours cependant ; mais un lecteur s’étant plaint, après la publication de 1637, de l’orthographe cors qui prêtait à l’ambiguïté (était-ce le mot corps ou cornets ?), Descartes paraît avoir hésité ensuite entre les deux formes, bien que celle de cors reste longtemps la plus fréquente. Ainsi, dans l’Examen de la question géostatique (13 juillet 1638), on trouve, à la première page, deux fois corps, dont une fois dans le titre même, et cinq fois cors (f. 4 recto, l. 2 et 30, etc.) ; plus loin corps reparaît une troisième fois dans un titre (f. 7 verso, l. 17), puis une quatrième (f. 8 recto, l. 21). Dans les deux derniers autographes du même recueil, assez courts l’un et l’autre, il est vrai, on ne trouve plus que corps (f. 42 recto, l. 21, du 23 novembre 1646 ; et f. 44 recto, l. 15, verso, l. 3 et 11, du 26 avril 1647) ; faut-il en conclure que l’orthographe corps l’avait à la longue emporté sur cors ? — Un cas, en revanche, où Descartes n’a jamais écrit ni le p, ni l’m qui le précède, c’est celui de conte et conter, mesconte et mesconter, que nous écrivons aujourd’hui, sans être choqués des trois consonnes de suite, compte et compter, mécompte et mécompter.

3° Pour en finir avec cette question de la lettre s à la fin des mots, disons que Descartes tantôt la maintient, tantôt la supprime dans certains adverbes, assez raisonnablement ce semble. C’est ainsi qu’il écrit constamment tousiours et desia : en effet, n’ayant pas le j à sa disposition, comment aurait-il écrit autrement ? Il écrit toutesfois et toutefois (f. 48 recto, l. 3 et 19) ; mais le premier est rare, et il préfère le second, contrairement aux imprimeurs de son temps. Il écrit plutost, qu’on imprimait plustost ; et quand il conserve l’s, c’est qu’il écrit les deux mots séparés, comme la plus part. Enfin, on trouve encores et encore (f. 48 recto, l. 3 et 19, novembre 1629) ; mais le second l’emporte bientôt.

IV. — CONSONNE S.


(Seconde fonction.)

La consonne s, jointe aux voyelles ou diphtongues a, ai, e, i, o, oi, u, ou, leur donnait un son particulier, que nous marquons aujourd’hui par un accent, en supprimant l’s. Examinons successivement les cas qui correspondent à l’accent circonflexe, à l’accent aigu, à l’accent grave., et nous serons ainsi amenés à parler de l’accentuation de Descartes.

1° Aujourd’hui nous remplaçons d’abord par un accent circonflexe l’s après les voyelles a, i, u, au passé défini (première et deuxième personne du pluriel) et à l’imparfait du subjonctif de tous les verbes. Descartes écrivait donc, ainsi qu’on devait s’y attendre, vous me mandastes, vous m’enuoyastes (f. 17 verso, l. 28 et 39), qu’il proposast, etc.

Ensuite Descartes écrit as, où nous écrivons â, dans les mots comme haste et haster, tasche et tascher, blasme, bastons, tastons, etc. Il y a même des cas où nous avons supprimé tout accent sur l’a, bien que cette voyelle se retrouve chez lui allongée d’une s, comme dans voyasge, chasque, chascun, etc. Il écrit aage pour âge.

Il écrit es, où nous mettons aujourd’hui ê, dans les mots prest, arest, mesme, honneste, estre, empescher, mesler, etc. (et meslange, où nous écrivons é).

Pour la voyelle i, la question est complexe, cette lettre se retrouvant dans les diphtongues ai et oi. Descartes écrit maistre et s’il vous plaist ; il écrit paroistre et il paroist, connoistre, etc. Il écrivait d’abord viste et vistesse (f. 48 verso, l. 31 et 41, novembre 1629) : on trouve ensuite vite et vitesse ; cependant viste reparaît encore à plusieurs reprises (f. 24 verso, 4 mars 1641). On trouve agist quatre fois dans un même texte du 5 octobre 1637, et même il reduist, ce qui est sans doute une faute, Descartes écrivant ailleurs il deduit, etc.[10]

Il écrit os, où nous mettons aujourd’hui ô, dans nostre, vostre, tost, plutost, coste, oster ; et ous dans des mots que nous écrivons , comme goust. Parfois même nous avons supprimé tout accent, là où il écrivait coustume, adiouster, etc. ; lui-même écrit aussi, bien que rarement, i’adioutay, et une fois i’aioutay (f. 13 verso, l. 20 et 23). Il écrit volontiers soutenir et soutenu, bien qu’on trouve également soustenir et soustenu : ainsi, dans l’espace de huit lignes seulement (f. 5 verso, l. 25-33), on trouve ils soutienent une fois, soutenir deux fois, soustenu une fois, soustenir deux fois ; et plus loin, à quatre lignes d’intervalle (f. 6 verso, et f. 7 recto), soustenu deux fois, et soutenu une fois.

Descartes enfin écrit us, où nous mettons aujourd’hui û : exemple, brusler, etc. Notons toutefois que notre û et même l’u sans accent correspondent aussi souvent à l’ancienne forme eu qu’à us, et que Descartes l’emploie déjà ainsi, comme nous l’avons remarqué dans vû que, pouruû que, pû, connû, etc. Parfois les deux formes anciennes se trouvent ensemble : qu’il deuſt, vous-leuſtes (f. 20 verso, l. 29). Nous avons conservé l’une des deux dans qu’il eût, écrit autrefois qu’il euſt.

2° Notre accent aigu sur l’e (é) correspond à l’ancienne forme es (conservée, par exemple, dans correspondre, mais non pas dans répondre). Descartes emploie d’ordinaire es, non pas toujours cependant, car on trouve aussi pour le même mot les trois formes

es, é, e (comme tout à l’heure eu, û, u). Voici d’abord les cas les plus fréquents : i’estois, esté, escrire, tesmoigner, s’estonner, esclaircir, etc., estat, estude, etc. Mais on trouve aussi il repont, il medit ; on trouve très souvent decrit et decrite (f. 1i5 recto, l. 4, 7, 9, et verso). Dans une lettre du 23 août 1638, on trouve avec une s récrite au-dessus, ils mesprisent, que Descartes avait d’abord écrit meprisent (f. 20 recto, l. 30). Dans cette même lettre, on trouve ie m’estois meconté (f. 17 verso, l. 27), et plus loin ie me suis mesconté (f. 20 verso, l. 44), avec une s récrite au-dessus, Descartes ayant écrit d’abord meconté. Enfin, voici deux derniers cas où son orthographe oscille entre es, é, et même e, sans accent : on trouve dans la même page et à quelques lignes d’intervalle, esloigné, éloigné et eloigné (f. 4, 5 ; notamment f. 7 verso, l. 31 et 37), et encore dans la lettre suivante, du 27 juillet 1638 (f. 11 recto, l. 6, 28, 31, 32, 36) ; de même, à quatre lignes d’intervalle (f. 4 verso, l. 7 et 3 avant la dernière), esloignement et éloignement. L’autre cas est celui du mot égal, et de ses dérivés : on trouve esgal, égal et egal, c’est-à-dire encore les trois formes es, é et e. Dans la longue lettre du 27 juillet 1638, cependant (f. 10 à 15, en tout dix pages), égal qui revient si souvent est écrit sans s. Il semble que les mots qui revenaient à chaque instant sous la plume de Descartes, comme égal, éloigné, dans les démonstrations géométriques, comme décrire, répondre, etc., sont aussi ceux où es devient plus aisément é ou e, comme si la lettre s’usait à force d’être écrite, et qu’on la supprimât pour abréger. — C’est d’ailleurs une question de savoir si le signe qu’on trouve au-dessus de cet é initial est bien un accent aigu, ou plutôt une abréviation de l’s qu’on évitait ainsi d’écrire dans le corps du mot : égal, au lieu de esgal[11]. Toutefois Descartes l’omet entièrement, nous l’avons vu, dans repont, medit, decrit, etc.

L’adjectif démonstratif cet présente un cas particulier : on l’écrivait cest, et cette lettre s, lorsqu’elle disparaîtra, sera remplacée par un accent aigu sur l’é ; dans l’édition Clerselier (1657-1667), on trouve souvent imprimé cét. Descartes cependant n’écrit ni cest, ni cét, mais simplement cet.

3° Reste notre accent grave. Tantôt il correspond aussi à une s disparu, comme dans quatrième, etc., théorème, que Descartes écrivait quatriesme, theoresme. Tantôt c’est un signe qui ne correspond à rien dans l’ancienne orthographe française : ainsi Descartes écrit toujours pere, i’espere, ie considere, diametre, etc. Il connaît cependant l’accent grave, bien qu’il en use très peu ; on compte les exemples de a préposition avec un accent, à, (d’ordinaire c’est devant la lettre a, employée comme signe algébrique, et pour l’en distinguer) ; mais le plus souvent il l’écrit comme a verbe, sans accent. Une page est particulièrement remarquable à cet égard (f. 11 recto) ; on y trouve six fois à avec accent, ce qui est déjà rare, et plus de vingt fois peut-être le même a préposition sans accent. Descartes n’accentuait pas non plus ou adverbe de lieu (), et le laissait comme ou conjonction : une fois ou deux seulement on trouve d’où il suit. — Remarquons que, dans l’édition Clerselier (1657-1667), on trouve un accent aigu, où nous mettons aujourd’hui un accent grave : troisiéme, quatriéme, etc. Et plus tard dans la Vie de Mons. Des-Cartes (1691), les syllabes des mots pere, espere, etc., qui n’étaient pas encore accentuées dans Clerselier, le sont enfin, mais avec un accent aigu : pére, espére, etc.

4° Nous pouvons maintenant parler de l’accentuation de Descartes.

L’accent aigu est employé sur e (é) à la fin des mots comme verité, extremité, ieté, etc. Encore cet accent disparaît-il au pluriel, lorsque la forme és est remplacée par ez, difficultez, procedez, etc. Il disparaît même quelquefois au singulier, lorsqu’un second e vient s’ajouter au premier pour marquer le féminin : donnee, nommee, tiree (f. 48 rect, l. 15, 27).

L’accent aigu est encore employé au commencement des mots, lorsque la première syllabe es est remplacée par un e tout court : égal, éloigné, etc. Et même en ce cas il n’apparaît pas toujours : on trouve souvent, egal, eloigné, repondre, medire, etc.

Mais cet accent aigu, qu’on trouve sur l’é première lettre et sur l’é dernière lettre des mots, manque toujours, lorsque l’e est dans le corps des mots, verité, procedé, etc. (sauf quelques cas où es est remplacé par é).

L’accent circonflexe n’est employé sur aucune des voyelles, a, e, i, o (Descartes écrit as, es, is, os), mais seulement sur la voyelle û, lorsque c’est une contraction de eu, comme dans vû, pû, connû.

L’accent grave n’est pas employé du tout, sinon à des très rares exceptions, dans à préposition et adverbe de lieu : encore trouve-t-on le plus souvent cet a et cet ou sans accent.

Mais Descartes met quelquefois un tréma (¨) sur l’e des mots rouë, lieuë, receuë. Encore trouve-t-on, dans la même lettre du 5 octobre 1637, aussi bien roue que rouë ; on y trouve aussi à deux reprises une escrouë. Dans les plus anciens autographes, ce tréma est placé sur la dernière lettre ou sur la pénultième indifféremment (rouë et roüe) ; ensuite on le trouve plutôt sur la dernière[12].

Quant à la cédille[13], Descartes la met très irrégulièrement : on trouve dans ses autographes façon et facon ; ie conçoy et ie concoy. Toujours il écrit receu, et toujours aussi scauoir, ie scauois, etc.

Lorsqu’il élide l’a ou l’e de l’article, d’un pronom ou d’une conjonction, tantôt il met l’apostrophe, tantôt il oublie de la mettre, mais ne sépare pas alors l’article ou l’adjectif du mot qui suit. En ce dernier cas, si le mot commence par un u, cet u n’étant plus lettre initiale, ne s’écrit pas v : exemple, l’vn et lun, quelqu’un et quelquun, etc.

La ponctuation laisse à désirer, beaucoup moins toutefois dans les manuscrits que dans les anciennes éditions, comme il est aisé de le voir pour les lettres, lorsqu’on peut comparer le texte imprimé avec un autographe ; et ceci nous autorise à prendre quelques libertés au moins avec les lettres publiées par Clerselier. Au reste, Descartes lui-même s’exprime nettement à ce sujet, dans une lettre du 23 juin 1641 : « le vous prie », écrit-il à Mersenne, « de suiure ma copie, excepté que ie puis auoir omis plusieurs points et virgules, que ie seray bien ayse qu’on y adiouste ; mais les imprimeurs ont des gens qui sont accoustumez a les metre, sans qu’il soit besoin que vous en preniez la peine. » Disons enfin que, dans les trois volumes de Clerselier, les majuscules n’ont pas uniquement la même fonction qu’aujourd’hui. Ainsi on mettait souvent une majuscule aux mots Car, Mais, etc., après un point-et-virgule, comme après un point ; et dans le cours d’une phrase très souvent des substantifs, comme Corps, Animaux, Astres, Sels, etc., et même des adjectifs, Geometrique, Philosophique, etc., ont une majuscule, ce qui était une façon d’attirer le regard du lecteur sur tel ou tel mot en particulier. Fait significatif : dans l’exemplaire de l’Institut, lorsque par hasard les mots Ame et Esprit n’ont point de majuscules, un des annotateurs ne manque pas d’en rétablir une en marge, par déférence sans doute, comme on dit que, dans la conversation, Newton ne prononçait jamais le saint nom de Dieu, sans se découvrir en signe de respect. Rien de pareil d’ailleurs, sauf de rares exceptions, dans les autographes de Descartes.


V. — AUTRES CONSONNES SIMPLES.


1° À la fin des mots, les consonnes d et t sont parfois employées l’une pour l’autre ; notamment à la troisième personne du singulier de l’indicatif présent, Descartes écrit il void, il conclud. Cependant on trouve aussi dans la même page, on prent et on entent (f. 2 recto), il prend et il apprent (f. 17 recto, l. 3 et 35); à dix lignes d’intervalle, on trouve il apprent et il depend (f. 16 verso, l. 26 et 36) ; ailleurs il répont et il répond. On trouve aussi galand, avec le pluriel galans, et, curieux exemple, au lieu de chaud, une fois chault (f. 48 vers, l. 24, novembre 1629), et une autre fois, longtemps après, chaut (f. 44 verso, l. 26, du 26 avril 1647).

2° Ce dernier exemple nous montre l’emploi très rare d’un l, en souvenir du latin. On trouve aussi poulce, hault, il fault, mais seulement dans les plus anciens autographes, ceux de novembre 1629 et janvier 1631 (f. 48 verso, l. 27, et f. 46 et 47) ; encore y trouve-t-on à la fois hault et hautes. Mais Descartes ne tarda pas à rejeter cet l inutile ; dans l’écrit du 5 octobre 1637, on trouve pouce, haut, il faut.

3° Les souvenirs du latin sont moins apparents chez lui qu’on ne serait porté à le croire : il n’écrit pas, comme on écrivait et imprimait de son temps, doubte, debuoir, escript, etc., mais sans b ni p, doute, deuoir, escrit, etc. Il écrit cependant presque toujours adiouster, sauf une ou deux exceptions (f. 17 verso, l. 23 et 38), i’aioutay et aiousté. Mais, au lieu de cognoistre, cognoissance, cogneu, il écrit connoistre, connoissance et même connû, sans g. — Une remarque, en passant, à propos de la consonne g : Descartes lui conserve devant eu le même son que devant a, o, u, et il écrit longeur, aussi bien que longueur.

4} La lettre h se trouve non seulement dans methode et philosophie, theoresme, these, epithete, mathematique, etc., mais dans mechanique, autheur et authorité, cholere, chorde, eschole et escholier. Une fois pourtant on trouve corde (f. 24 verso, l. 28, du 4 mars 1641), avec chordes, cinq lignes plus bas (l. 33), et une autre fois escolier (f. 18 verso, l. 31) ; mais ces deux mots sans h sont rares. On trouve aussi galimathias (f. 20 recto, l. 34). Plusieurs fois, cependant, Descartes écrit biblioteque, sans h ; dans une lettre très ancienne de janvier 1631, l’h écrit d’abord à la fin de Sainte Elisabeth est visiblement barré ; mais plus tard il reparaît dans Mme la princesse Elisabeth. Trouverait-on aussi Boëme sans h, comme il est réellement dans la copie d’une lettre de Descartes à Pollot, ou bien est-ce le copiste qui n’aura pas pris la peine ici d’écrire la lettre h ? Toujours est-il que Descartes la supprime une fois encore dans isocrone (f. 33 recto, l. 12), une fois même dans parelies (9/19 mai 1635), et dans le mot latin allucinatus (28 octobre 1640)[14].

5° La consonne c est encore employée dans mocquer et pac'quet, et dans les locutions en effect, a cet effect. Descartes écrit fort bien cependant vn effet et les effets (qu’il écrivait d’abord effait et effaits). Il écrit toujours aussi obiet et suiet (parfois même suget), et non pas obiect et subiect, comme on faisait de son temps. Il n’abuse pas non plus du c en souvenir de l’étymologie latine, pour écrire faict, dict, conduict, etc. Une fois pourtant on trouve écrit les poincts, ce qui est doublement contraire aux habitudes du philosophe, et ailleurs (16 octobre 1639) l’instinc et les instincs.

Ailleurs, là où nous mettons c, Descartes met qu, dans chiquanerie, quarrer et quarré. Ailleurs, au contraire, le c est mis pour s, par exemple dans les deux noms propres Claircellier et Mercenne, et une fois dans ils offencent (f. 2 recto, l. 7)[15]. Il est même mis pour deux s dans le subjonctif, qu’on face, que vous faciez. Il est joint à l’s, dans scauoir et toutes ses formes, ie scay, ie scauois, sceu, etc., et une fois dans isoscele (p. 33 recto, l 4), qui est la vraie orthographe.

6° Enfin la consonne s alterne avec z dans deux ou trois cas singuliers. Le mot base (la base d’un triangle) se trouve écrit par Descartes dans la même page (f. 15 verso), quatre fois baze, douze fois base, et trois fois avec s et z, dont l’une est récrite sur l’autre. Dans une même lettre encore, on trouve ordinairement il pese : une fois cependant Descartes écrit peze (f. 7 verso, l. 2), et un peu plus loin une seconde fois, mais avec une s récrite sur le z (I. 30), et à la page suivante, une troisième fois peze, sans rature (f. 8 recto, l. 5). Déjà dans une lettre du 2 février 1632, on trouvait une fois vase et deux fois vaze.

VI. — CONSONNES DOUBLES.


Mais un des traits caractéristiques de l’orthographe de Descartes est la suppression ou le maintien des consonnes doubles, selon les cas et surtout selon les lettres. Reprenons à ce point de vue la liste des consonnes.

1° Les cas où b se redouble sont assez rares : une fois cependant Descartes écrit M. l’abé de Launay (f. 27 verso, l. 2, du 23 juin 1641).

Par contre il écrit accord et accorder, et même le plus souvent deffendre, et presque toujours affin que. Il écrit toujours aggregat, et une fois même il exaggeroit.

2° II redouble aussi, non pas toujours cependant, la lettre l. On trouve roulleau et roller (5 octobre 1637), et plus tard encore poulle dans la même lettre avec poulet (f. 41 recto, l. 7, et verso, 1. 10). Il écrit Claircellier (f. 37 verso, l. 26}, et non Clerselier. Il signe vostre fidelle seruiteur (f. 38 recto et f. 43 recto). Une fois même il écrit immobille. Mais on trouve dans la même page il falloit et il faloit (f. 27 recto, l. 22 et 29). Dans la plus ancienne lettre on trouve on appele (f. 48 recto, l. 16, novembre 1629) pour appelle, et ailleurs les deux substantifs bale (f. 12 verso, l. 8 et 14 ; et f. 19 verso, l. 7), et sale (f. 19 verso, l. 9), pour balle et salle, puis interuale et valée.

Est-ce une faute ? est-ce écrit avec intention ? on lit une ou deux fois euidenment avec nm au lieu de deux m (f. 22 verso, l. 10). Il écrit enflamé, et d’ordinaire on trouve un seul m, mais par abréviation, cet m étant surmonté d’un tiret qui indique l’autre m absent, coment, homme, comode, comun, etc.

3° Mais dans bien des cas où nous redoublons la lettre n, Descartes se contente de l’n simple. Par exemple, au lieu d’écrire mienne et tienne, il met simplement miene et tiene, comme si c’était assez pour le féminin d’ajouter un e muet au masculin mien et tien, sans redoubler la consonne n. Aux troisièmes personnes du singulier et du pluriel de certains verbes, il écrit qu’il viene et qu’ils vienent, tiene et tienent, prene et prenent, etc. ; ainsi pour tous leurs dérivés. Il écrit de même Sorbone avec un seul n (f. 25 recto, l. 14 et 26), et, bien qu’on trouve le plus souvent Mercenne, on ne devra pas s’étonner si l’on rencontre aussi Mercene.

4° Le p, comme l, est tantôt redoublé, tantôt ne l’est pas ; ajoutons que le plus souvent il l’est. Dans l’Examen de la Question géostatique (13 juillet 1638), on trouve i’apprens, nous supposerons, il s’approche, rapporter, ce qui est d’autant plus remarquable que les mêmes mots sont imprimés, au t. I des Lettres, avec un seul p. Descartes cependant écrit, plus d’une fois, raport et raporter. Il écrit de même il suplie, frape, eschapé, aproche, etc., surtout dans les autographes plus récents. En revanche, on trouve il couppe ; et la conjonction après que est parfois écrite, bien que plus rarement, apprés que.

5° La lettre r, qui est redoublée ailleurs, ne l’est jamais dans le mot arest et arester. On trouve aussi embaras (f. 18 recto, l. 10), et embarassé (f. 20 recto, l. 37). — Enfin on trouve resentiment (16 janvier 1645), resemblance et resembler, resouuenir, resortir.

6° Mais le cas le plus remarquable est celui de la lettre t. Dans les premiers autographes (de novembre 1629 et janvier 1631), cette lettre est redoublée, ce semble, plus que de raison : prattique, droitte, suitte, ietté ; ce sera encore l’orthographe courante des annotateurs de l’exemplaire des Lettres, qui est conservé à l’Institut, entre 1684 et 1704. Mais Descartes ne tarde pas à écrire tous ces mêmes mots avec un seul t. Chose curieuse, la roulette, qu’il avait commencé par écrire avec deux t (lettre du 27 juillet 1638, où on lit presque toujours roulette, et une fois seulement roulete), se trouve au contraire, dans la lettre suivante du 23 août, écrite presque partout avec un seul t. De même Descartes écrit lunete, et non pas lunette (f. 31 recto, l. 8, du 30 mars 1646) ; il écrit trompete, bluete, gazete, vne date, brique cuite, et non datte et cuitte, comme on imprimait alors. Le mot lettre, qui revient si souvent, est écrit d’abord avec deux t ; puis les formes lettre et letre sont employées tour à tour ; dans une longue lettre du 23 août 1638 (f. 15 à 21), lettre se trouve partout avec deux t, sauf une fois à la fin avec un seul, letre (f. 20 verso, l. 27) ; plus tard, le 4 mars 1641, on lit dans la même page lettre une fois (f. 23 recto, l. 6), et trois fois letre (l. 1, 7, 10) ; plus tard encore, c’est letre seulement (f. 30 recto, l. 27, du 26 avril 1643 ; f. 37 recto, l. 4 et 6, du 7 septembre 1646 ; f. 40 verso, l. 8, 14, 22, du 2 novembre 1646, etc.). — Le verbe mettre est d’abord écrit avec deux t, mais on trouve ses dérivés, soumetre et permetre avec un seul (f. 27 verso, le 6 et 13 ; f. 31 recto, l. 8), et une fois même Descartes écrit metre (f. 27 verso, l. 16). Dans l’autographe du 5 octobre 1637, on trouve rabatre et qu’on rabatte, mais plus souvent un t que deux. Descartes écrit flater (f. 24 verso, l. 16), et s’acquiter (f. 13 verso, l. 15 et 16). Enfin le verbe traiter et le substantif traité, que l’on imprimait volontiers jusqu’à la fin du xviie siècle traitter et traitté (et parfois même traicter et traicté), se trouvent toujours, dans les autographes de Descartes, non seulement sans c, mais avec un seul t. — Terminons par un petit mot sur lequel Descartes ne varie jamais : cete, féminin de l’adjectif démonstratif cet ; l’adjonction d’un e muet suffit pour marquer le féminin, sans qu’il soit utile de redoubler la consonne t qui précède et d’écrire cette. D’ailleurs l’ancienne forme cest donnait au féminin ceste, et comme Descartes écrivait cet au masculin en supprimant l’s, il devait aussi écrire au féminin cete, pour ceste.


CONCLUSION.


Résumons toutes ces remarques, et traçons les règles de l’orthographe de Descartes. Voici les principales :

Équivalence des lettres u et v, chacune des deux ayant sa place marquée, le v en tête et l’u dans le corps des mots.

Emploi fréquent de l’y pour l’i, soit à la fin des mots (moy, soy, ie voy, ie croy, vny, marry, etc.), soit à l’intérieur ayder, aymer, aysé, aygu, etc.), et toujours un i là où on met aujourd’hui un j.

La diphtongue oi pour ai à l’imparfait des verbes, et dans certains noms et adjectifs.

La diphtongue an, seule employée d’abord dans les terminaisons, est bientôt réservée aux participes présents (pliant, bruslant, etc.) et à certains noms et adjectifs (enfant, grand, etc.) ; elle est remplacée par en dans la plupart des substantifs et des adverbes (moment, clairement, etc.).

La consonne s, lorsqu’elle vient s’ajouter à la fin des mots, fait généralement tomber le t qui précède (momens, enfans), souvent aussi le d (i’apprens) et le t (les poins), parfois même le p (tems).

La même lettre s enfin, jointe aux voyelles ou diphtongues dans le corps des mots, désigne ce qui a été remplacé plus tard par un accent (grave, aigu ou circonflexe).

L’usage des autres consonnes est généralement réduit au strict nécessaire, sauf deux ou trois cas, comme i’obmets, adiouster, scauoir, etc.

Enfin tandis qu’on redoublait volontiers les consonnes au féminin et ailleurs, Descartes préfère la lettre simple, au moins pour le t et pour l’n, et déjà aussi pour l’l et le p, quoique non pas encore pour f, c, g.

En somme, malgré bien des incertitudes et des oscillations, l’orthographe de Descartes est le plus souvent conforme au génie même de la langue française et au génie de l’auteur. Tantôt il abandonne une uniformité excessive qui donnait lieu à la confusion (ant partout, comme terminaison des noms, adjectifs et adverbes ; la lettre s seule et unique marque du pluriel dans tous les cas), et il introduit dans les formes des mots une variété favorable à la « clarté » et à la « distinction »[16]. Tantôt il recherche la simplicité, qui rend aussi les formes plus claires et plus distinctes, soit en supprimant des consonnes superflues, comme t, d, p, devant l’s qui s’y joint, soit en évitant de redoubler un t et un n, et parfois aussi un l et un p, que rien n’exige, ni le besoin de marquer le féminin, ni la prononciation. Quant à l’étymologie latine, on ne trouve chez Descartes aucune affectation pédantesque de la faire ressortir, en ajoutant des lettres inutiles aux mots français ; que de fois au contraire il supprime un b, un g, un s, que maintenaient ses contemporains ! Cependant il a renoncé de bonne heure à la forme tans, pour écrire tems, mais sans y intercaler le p de tempus, bien qu’il ait une tendance marquée à incorporer le p de corpus dans corps ; quant à un autre mot, l’aer (qu’on trouve dans ses plus anciens autographes, f. 48 verso, l. 22 et 28, novembre 1629), il y a vite renoncé pour écrire l’air.

L’orthographe de Descartes vaut donc la peine d’être exactement reproduite dans une édition nouvelle de ses œuvres, non pas seulement pour la plus grande joie des amateurs de vieux langage, et pour la satisfaction bien légitime des philologues, mais parce qu’on retrouve jusque dans les formes des mots la marque personnelle du philosophe. Puis ce langage tout émaillé de vieilles expressions, comme derechef, sonuenance et ressouuenir, ouyr, etc., avec de vieilles tournures, comme les pour ce que et les encore que, dont il ne craint pas d’abuser, pour bien montrer la solide charpente des phrases et en faire saillir les jointures, tout cela a besoin aussi, ce semble, d’une vieille orthographe, surtout si on imprime avec des caractères anciens et dans l’ancien format : nos façons d’écrire, toutes modernes, feraient avec un pareil texte le plus choquant disparate. On donnera donc scrupuleusement l’orthographe de Descartes, sans omettre la moindre particularité (ni même la moindre faute), toutes les fois que la chose sera possible, c’est-à-dire lorsqu’on aura le texte écrit de sa main.

Pour tout le reste, on suivra les plus anciennes éditions, celles qui ont paru de son vivant et dont lui-même a corrigé le texte, lorsqu’on l’imprimait.

Pour l’édition posthume des Lettres (1657-1667), on reproduira le texte tel qu’il a été donné par Charles Angot, l’imprimeur des trois volumes, en prenant quelques libertés toutefois, comme certainement il en a pris lui-même, pour la ponctuation et les majuscules. Une difficulté se présentait cependant : le premier volume a eu successivement trois éditions (1657, 1663 et 1667)  ; or l’orthographe varie de 1657 à 1663, et elle n’est pas non plus la même de 1663 à 1667. La question deviendrait délicate, si ces changements constituaient un progrès ; mais ils paraissent dûs simplement à ce que l’imprimeur avait changé d’ouvriers typographes. Ainsi la 2e édition a donné grans (p. 34, l. 24), et la 3e grands, ce qui est peut-être plus régulier ; mais ailleurs, la 2e donne jusques (p. 34, l. 20), j’espere (p. 92, l. 12), j’ay dit (p. 36, l. 24), toû-jours (p. 46, 54, 128, 191, etc.), et la 3e, aux mêmes pages, iusques, i’espere, i’ay dit, tousiours, etc. Il est curieux aussi de constater sur l’exemplaire de l’Institut les changements que les annotateurs de 1684 à 1704 auraient apportés au texte imprimé en 1667 : parce que substitué presque partout à pource que, et dans à en (ex., dans l’esprit, dans ses lettres, etc.), si bien que plus d’une correction de leurs mains, qu’on serait tenté de prendre pour une variante, n’est pas le moins du monde un retour à l’ancien texte de Descartes, mais un simple rajeunissement de style. Nous nons en tiendrons donc pour les Lettres, en l’absence d’un autographe ou d’une copie manuscrite, au texte de Clerselier tel qu’il a été imprimé par Charles Angot en 1667 pour le premier volume (troisième édition) et pour le troisième, et en 1666 pour le second (deuxième édition).

Ainsi l’on aura partout, ou bien l’orthographe de Descartes lui-même, ou tout au moins celle de son temps. Et comme c’est là une partie, si petite qu’on voudra, de ses habitudes et de sa physionomie d’écrivain, on ne se permettra pas d’y rien changer, non plus qu’on ne ferait à son costume et aux moindres traits de son visage, dans une gravure où on voudrait le représenter au naturel.

C. A.      






CORRESPONDANCE



CORRESPONDANCE


I.

Descartes a son Frère aîné.

3 avril 1622.

Autographe N° I, Bibliothèque Victor Cousin.

Ie sousigné m’oblige a Monsieur Me Pierre Descartes, Conseiller du Roy au Parlemant de Bretaigne, mon frere, de ne vendre point les biens compris en la procuration qu’il m’a donnée ce iourd’huyn a moindre 5 pris que la somme de huit mil escus, scauoir, dix mil liures la maison & iardin de la ville de Poictiers, & quatorze mil liures les terres sises a Auaille, si ce n’est par son consetemant ; et au cas que ie vende les d(ites) choses, de rapporter la d(ite) somme, ou plus 10 grande, si ie la pouuois receuoir de la vendition des d(its) biens, au total des successions de defuntes Damoyselles Iehanne Sain mon ayeulle, I. Brochard ma mere, & I. Brochard Dame d’Archangé ma tante, venans a partage. Fait a Rennes, ce troisiesme Iour 15 d’Auril mil six cens vingt deus.

RENE DESCARTES.

Cette pièce, dont Baillet a eu connaissance (voir la Lettre II ci-après), porte aujourd’hui la mention suivante :

« Autographe de mon grand-oncle l’illustre René Descartes. Je suis en ce moment l’unique descendant de Pierre, son frère aîné ; la mère de mon père, Silvie Descartes, était la dernière de la souche de Pierre. 17 juillet 1834. F. de Châteaugiron. »

Quand Descartes contracta cette obligation, il venait de rentrer en France, d’où il était absent depuis mai 1617. Il arriva à Rennes vers le milieu de mars 1622, ayant renoncé à suivre la carrière des armes. Il « avoit alors vingt-six ans achevez, et M. son père prit occasion de sa majorité pour le mettre en possession du bien de sa mère, dont il avoit déjà donné deux tiers à ses aînez : l’un à M. de la Bretaillière son frère, et l’autre à Madame du Crevis sa sœur ». (Baillet, La Vie de Monsieur Des-Cartes, t. I, p. 106) Sur la part de Descartes, voir la lettre suivante.


II.
Descartes à son Père.
22 mai 1622.
[A. Baillet,] La Vie de Monsieur Des-Cartes, 1691, t. II, p. 460.

[En marge] « V. les Contrats divers passez entre M. Descartes et ses cohéritiers. — Item la lettr. de M. Desc. à son père du 22 May 1622, et son obligation à son frère du 3 d’Avril 1622.

[Texte] Son père luy avoit donné d’abord, sur le bien de sa mère, le fief modique mais noble du Perron, avec une maison assez considérable dans la ville de Poitiers ; et sur les acquisitions de la communauté de son premier mariage, il l’avoit encore gratifié de trois fermes ou métairies dans le voisinage de Châtelleraut, et dans la paroisse d’Availles, dont l’une s’appeloit la Bobinière, l’autre la Grand-Maison, et la troisième le Marchais. Il vendit les deux dernières pour onze milles livres tournois, par un contract du 5 de Juin 1623 à un marchand nommé Pierre dieu-le-fils, ou dieullefit ; et le fief du Perron avec les droits seigneuriaux, et la terre de la Bobinière à M. de Châtillon gentil-homme Poitevin pour trois mille livres seulement, par contract du 8 de Juillet de la même année. Sa maison de Poitiers fut venduë quelque tems après pour la somme de dix à onze mille livres. » (cf. t. I, p. 116-7).

Baillet (t. II, p. 460) ajoute, probablement par confusion : « Outre cela il avoit encore (en marge : Au commencement de l’an 1622) reçu de son père au tems de sa majorité des terres labourables, et des vignes au territoire d’Availles, pour la valeur de quatorze à quinze mille livres. » Son père lui continua aussi une pension. — La lettre doit avoir été datée du Poitou et adressée à Rennes. « Comme tout ce bien étoit situé en Poitou, il fut curieux de l’aller reconnoître, afin de voir l’usage qu’il en pourroit faire. Il partit au mois de May pour se rendre dans cette province, et il songea dès lors à chercher des traitans pour le vendre, afin de trouver de quoy acheter une charge qui pût luy convenir. Il passa la plus grande partie de l’été tant à Châtelleraut qu’à Poitiers, et il retourna auprès de M. son père. » (Baillet, t. I, p. 106).


III.
Descartes à son Frère aîné.
21 mars 1623.
[A. Baillet,] La vie de Monsieur Des-Cartes, 1691, t. I, p. 118.

[En marge] Lettre MS. de M. Descart. à son frère du 21 mars 1623.

[Texte] « et il devoit partir en poste le 22 du même mois, après avoir mandé à ses parens qu’un voyage au delà des alpes luy seroit d’une grande utilité pour s’instruire des affaires, acquérir quelque expérience du monde, et former des habitudes qu’il n’avoit pas encore ; ajoutant que s’il n’en revenoit plus riche, au moins en reviendroit-il plus capable. »

« La pensée d’exécuter le dessein de ce voyage (en Italie) luy étoit venuë dès le mois de Mars, sur la nouvelle qu’il avoit reçeuë de la mort de M. Sain ou Seign son parent (en marge : Mari de sa Maraine), qui de Controlleur des Tailles à Châtelleraut, étoit devenu Commissaire général des vivres pour l’armée du côté des Alpes. Le prétexte étoit d’aller mettre ordre aux affaires de ce parent, et de prendre cette occasion pour se faire donner, s’il étoit possible, la charge d’Intendant de l’armée. Il s’étoit pourvû de toutes les procurations nécessaires pour réüssir dans cette affaire. »

D’après Baillet (t. I, p. 106 et 116), cette lettre serait datée de Paris, où Descartes se rendit vers la fin de février 1623, et d’où il ne revint qu’au commencement de mai, ayant, pour vendre ses biens, différé son voyage en Italie jusqu’au mois de septembre.


IV.
Descartes à son Père.
Poitiers, 24 juin 1625.
[A. Baillet,] La Vie de Monsieur Des-Cartes, 1691, t. I, p. 129.

« M. Descartes vint en poste de Lyon en Poictou pour sçavoir l’état du bien qu’il y avoit laissé sans l’avoir pû vendre avant son départ, et pour rendre conte à Madame Sain sa marraine, de ce qu’il avoit fait pour les affaires de feu son mary dans l’armée d’Italie. (En marge : Lettr. de M. Desc. à son père, du 24 Juin 1625). Etant à Châtelleraut il fut sollicité de traitter de la charge du Lieutenant Général du lieu, qui se trouvoit pressé de s’en deffaire pour en acheter une autre à son fils ; et on lui fit entendre qu’il l’auroit pour seize mille écus ou 50000 livres. Il rejetta d’abord ces propositions sous prétexte qu’il ne pouvoit mettre de son argent plus de dix mille écus contans en une charge de judicature. Mais n’ayant pû résister aux instances de quelques amis (en marge : Le sieur de Masparault), qui lui offrirent de l’argent sans intérêt, il promit d’en écrire à Monsieur son Père dès qu’il seroit à Poictiers. C’est ce qu’il fit le 24 jour de Juin, pour le prier de l’assister de son conseil, et de le déterminer sur son choix. Il avoit sujet de craindre que son Père, qui étoit pour lors à Paris, ne le jugeât incapable de remplir une charge de cette espèce, parce que n’ayant fait autre exercice jusques là que de porter l’épée, il paroîtroit (en marge : À 29 ans) être venu trop tard pour entrer dans la profession de la robe. C’est sur quoi il voulut le prévenir en lui marquant la disposition où il seroit d’aller se mettre chez un Procureur du Châtelet, jusqu’à ce qu’il eût appris assez de pratique pour pouvoir exercer cette charge. Son dessein étoit d’aller voir M. son Père à Paris, dès qu’il auroit reçû de ses nouvelles. »

Baillet continue (t. I, p. 129. « Mais l’appréhension de ne plus le retrouver en cette ville fit que sans attendre sa réponse, il partit en poste et arriva au commencement du mois de Juillet. Néantmoins il n’eut point la satisfaction d’y voir M. son Père qui étoit retourné en Bretagne depuis peu de jours ; ce qui, joint avec les sollicitations des amis qui le vouloient voir étable à Paris, ne contribua pas peu à faire échouer son affaire de Châtelleraut et à le dégoûter de la Province. » Descartes ne retourna en Bretagne et en Poitou qu’au commencement de 1626, avec Levasseur d’Étiolles.


V.
Descarte à son frère aîné.
Paris, 16 juillet 1626.
[A. Baillet,] La Vie de Monsieur Des-Cartes, t. I, p. 136.

[En marge] « Lettre MS. de Desc. à son frère du 16 Juillet 1626. »

[Texte] « Étant revenu à Paris vers le mois de Juin, il se logea au fauxbourg Saint-Germain, dans la ruë du Four au trois Chappelets. Mais il ne luy fut plus aussi facile qu’auparavant de joüir de son loisir. Sans anciens amis, et particulièrement M. Mydorge et le P. Mersenne, avoient tellement étendu sa réputation, qu’il se trouva en peu de tems accablé de visites, et que le lieu de sa retraite se vit changé en un rendez-vous de conférences. »


VI.
Descartes à ***.
[1628.]
Texte de Clerselier, tome I, lettre 100, p. 462-466.

Cette pièce est une apologie des Lettres du Sieur de Balzac (Paris, Toussainct du Bray, 1624, in-8, privilège du 3 mai). Elle est probablement adressée à un ami commun de Descartes et de Balzac, peut-être Jean-Silhon (Voir Baillet, t. I, p. 144) qui présenta lui-même ces Lettres dans une préface au cardinal de Richelieu.

Clerselier ne donne aucune date. Mais D. Nisard, dans son Histoire de la littérature française (Paris, Didot, 1844, t. II, p. 6, note conservée dans les éditions suivantesà, mentionne une lettre de Balzac du 30 mars 1628, remerciant Descartes de son apologie. Nous n’avons pu retrouver d’autres traces de ce remercîment.*

Les Lettres su Sieur de Balzac avaient de fait, dès leur apparition suscité de nombreuses critiques, comme : La Vraye Histoire comique de Francion, de Charles Sorel (Paris, Billaine, 1624, in-8, privilège du 5 août) ; Response du sieur Hydaspe au Sieur de Balzac, par le P. Garasse, 1624 ; Lettre de Théophile contre Balzac à Eudoxe, 1624 : Lettre de M. de Croisilles à M. le comte de Cramail (Paris, 1625, in-8), etc.

Elles furent défendues par François Ogier (Apologie pour M. de Balzac, Paris, Cl. Morlot, 1627, in-4, privilège du 26 mars ; rééditée, t. II, 2e partie, p. 105-159 des Œuvres de M. de Balzac, 1665), lequel ajouta, comme pièce justificative, une Conformité de l’Éloquence de M. de Balzac avec celle des plus grands hommes du temps passé et du présent, par frère André de St-Denys. Descartes, en plusieurs endroits qui seront signalés ci-après, semble s’être inspiré de l’Apologie d’Ogier, dont il resta l’ami. La bibliothèque de Carcassonne conserve un exemplaire des Principia Philosophiæ, envoyé le 18 septembre 1644 avec ces mots sur la première page : « F° Ogier acris iudicii senatori censenda proponit Des Cartes. »

Mais la lettre de Descartes paraît répondre particulièrement à une nouvelle attaque dirigée contre Balzac par le Père Goulu (Dom Jean de St-François, général des Feuillants, mort le 5 janvier 1629) : Lettres de Phyllarque à Ariste, où il est traicté de l’éloquence françoise, première partie (Paris, Nicolas Buon, 1627, in-8, privilège du 18 septembre). Voir Emile Roy, De Joan. Lud. Guezio Balzacio contra Dom. Joan. Gulionum, thèse, Paris, Hachette, 1892.

D’après Borel (Voir Baillet, t. I, p. 139 et suiv.) Descartes aurait, dès 1625, défendu Balzac contre le Père Goulu devant le cardinal-légat Barberini, dont il avait fait la connaissance à Rome. Cependant l’indication donnée par Nisard semble mieux se rapporter à la date probable de la lettre de Descartes. Celui-ci se trouvait en Bretagne l’hiver de 1628, (où il fut, le 22 janvier, parrain à Elven d’un fils de son frère aîné), puis, l’automne de la même année, au camp devant La Rochelle. Entre temps, il vint sans doute à Paris.

Clarissimo Viro Domino *****.
Censura quarumdam Epistolarum
Domini Balzacij.


Clarissime Domine,


Quocunque animo legam has Epistolas, siue vt feriò
examinem, siue magis vt oblecter, tantoperè mihi
satisfaciunt, vt non modò nihil inueniam quod debeat
reprehendi, sed ne quidem etiam in rebus tam bonis
5 facilè iudicem quid præcipuè sit laudandum. Est enim
in illis puritas elocutionis, tanquam in humano corpore
valetudo, quæ scilicet ex eo maximè credenda est
optima, quòd nullum relinquat suî sensum. Est insuper
elegantia & venustas, tanquam in perfectè formosâ
10 muliere pulchritudo, nempè quæ non in hâc aut
illâ re, sed in omnium tali consensu & temperamento
consistit, vt nulla designari possit eius pars inter cæteras
eminentior, ne simul aliarum malè seruato proportio
imperfectionis arguatur*. Sed veluti singulæ
15 pulchritudinis partes, inter næuos & defectus formarum
quas videre consuenimus, facilè distinguuntur,
atque harum nonnullæ interdum tantâ laude dignæ
sunt, vt hinc optimè, quantò maiora essent formæ omnibus
numeris absolutæ merita, si quæ talis reperiretur,
20 æstimemus ; non dispari ratione, si ad aliorum
scripta mentem conuerto, plurimas sæpè in illis virtutes
orationis enumero, nempè quorumdam vitiorum
mixturâ distinctas. Et quoniam illæ etiam ibi suis laudibus
non carent, hinc maximè percipio, quantò pluris 8 Correspondance. i. 463-464.

ris hîc faciendae fint, vbi purae exiftunt. Apud alios enim ficubi verba leétiffima, curiofo ordine difpofita, & liberali ftilo profufa, non parum auribus fortafsè fatisfaciant, ibidem vt plurimùm fenfus humilis, et in vaftâ oratione difperfus, attenta ingénia fruftratur. Si 5 contrà fignificantiffimae di&iones, nobilium cogitatio- num abundantiâ , mentes capaciores interdum oblec- tent, eafdem preffo & fubobfcuro ftilo faepiùs fati- gant. Si qui verô inter haec extrema médium tenentes, verum fermonis inftitutum in puris rébus exprimendis 10 rigidiùs obferuent, tam aufteri funt, vt à delicatis non amentur. Si qui denique in falibus & iocis teneriores mufas exerceant, illi ferè omnes vel in vocum exole- tarum fidâ maieftate, vel inperegrinarum ftrepitu, vel in nouarum mollitie*, vel in ridiculis aequiuocis, vel i5 in cogitationibus poëticis , falfifque rationibus & pue- rilibus argutijs malè collocant orationis venuftatem; atque a hae nugae feuerioris notae hominibus non aliter placere poffunt, quàm hiftrionum ineptiae, aut gefti- culationes fimiarum. In his autem Epiftolis, & elegan- *o tiffimae orationis vbertas, quae fola implendis ledo- rum animis poffet fufficere, vires argumentorum non diflipat, nec obruit; et fententiarum dignitas, quae fe proprio pondère facile fuftineret, nullâ premitur ino- piâ didionum ; fed cogitationes altiffimi fpiritûs, atque *5 à plèbe femotse, verbis in ore hominum frequentibus, & longo vfu emendatis, accuratiffimè exprimuntur : atque ex tam fœlici rerum cum fermone concordiâ faciles qusedam gratiae exur|gunt*, ab afcititijs illis, quibus vulgus decipi folet, non minus diuerfae, quàm 3o

a. Lire : atqui (?).

�� � 1,464. VI. IÔ28. 9

formofiffimae puellae color ingenuus à minio & ce- rufsâ prurientium vetularum.

Et haec quidem de elocutione diéta fint, quae fola ferè in hoc fcribendi génère effet fpeétanda, nifi hae 5 litterse aliquid altius faperent, quàm quae vulgo mit- tuntur ad familiares. Quia verô faepiùs non minora traélant argumenta, quàm ipfse conciones quae ab an- tiquis oratoribus publiée habebantur*, quaedam di- cenda funt de eximiâ illâ perfuadendi fcientiâ, quae

10 requiri folet ad eloquentise complementum. Haec verô apud alios habuit etiam fuas virtutes & fua vitia. Nam primis & incultis temporibus, antequam vlla fuiffent adhuc in mundo diffidia, & cùm lingua can- didat mentis affe&us non inuita fequebatur, erat

i5 quidem in maioribus ingenijs diuina quaedam elo- quentiae vis, quse ex zelo veritatis & fenfûs abundantiâ profluens, rudes homines ex fyluis eduxit, leges im- pofuit, vrbes condidit, eademque habuit perfuadendi poteftatem ûmul & regnandi*. Sed paulô poft illam

20 apud Graecos & Romanos fori contentio & concio- num frequentia corrupit, dum nimis exercuit. Tranf- mifit enim ad vulgares homines , qui , cùm aperto Marte, & folius veritatis copijs, auditorum animos vincere defperarent, confugiebant ad fophifmata, &

25 inanes verborum infidias, quibus etfi non rarô incau- tos fallerent, non meliori tamen iure cum prioribus de oratoriâ laude contendebant, quàm proditores de verâ fortitudine cum animofis militibus. Et quamvis fucatas fuas rationes aliquando etiam ad veritatis

3o patrocinium adhiberent, cùm tamen praecipuam artis gloriam ponerent in deterioribus caufis fuftinendis,

Correspondance. I. 2

�� � io Correspondance. i, 464-465.

in hoc illos fuiffe miferrimos puto, quod optimi ora- tores effe non potuerint, quin mali homines videren- tur*. Hic verô Balzacius quaecumque dicenda fufci- pit, tam validis rationibus explicat, & tam grandibus exemplis illuftrat, vt maxime admirer quandam in 5 eius ftilo vehementiam, & naturœ impetum, curiofâ arte non frangi, fed inter elegantias & ornatum |setatis vltimae, prioris eloquentia? vires & maieflatem reti- nere. Neque enim abutitur ille fimplicitate ledoris, fed ijs vti folet argumentis, quse licet tam perfpicua io fint, vt apud vulgus facile inueniant fidem, funt nihilo- minùs tam folida & vera, vt quô maiori quifque inge- nio efl, eô certiùs ab illo conuincatur, idque potifli- mùm quoties non alia probat, quàm quse fibi priùs ipfe perfuafit. i5

Quamuis enim paradoxa veris interdum rationibus adornari poffe non ignoret, periculofafque veritates aliquibus in locis prudentiffimâ arte declinet, eft ta- men in eius fcriptis generofa quœdam libertas, quae fatis indicat iilum nihil œgriùs fuflinere, quàm men- 20 tiri*. Hinc, û quando vitia nobilium defcribenda fuf- cipiat, non feruili potentise metu, û virtutes, nullâ animi malignitate à vero dicendo prohibetur. Si verô de feipfo fermonem inftituat, nec corporis morbos & naturas imbecillitatem exponendo, contemptum, nec s5 méritas ingenij fui laudes non diffimuïando, inui- diam reformidat. Quod non ignoro à multis primo intuitu in deteriorem partem fumi poffe; vitia enim tam frequentia funt hoc faeculo, & virtutes tam rarae, vt quotiefcunque idem effeéhis poteft ad ho- 3o neftam vel turpem caufam referri , de illo non dubi-

�� � 1,465-466. VI. IÔ28. II

tent mortales, iuxta id quod faepiùs accidit, iudicare. Quifquis autem animaduertet eundem Balzacium, non bona tantum, fed mala etiam, tum fua tum aliéna, in fcriptis fuis libère declarare, nunquam pro- 5 feétô rebitur, adeô diuerfos in eodem homine mo- res exiftere, vt modo dedecora aliorum per malignam temeritatem, modo reftè fada per timidam adulatio- nem diuulget, modo etiam infirmitates fuas per quan- dam animi vilitatem, modo egregias dotes per cupi-

10 dinem inanis glorise defcribat ; fed potiùs illum haec omnia , tantùm quia talia effe fentit , ex amore veri- tatis, & per infitam quandam generofitatem diffimu- lare non poffe. Atque hune candorem & antiquos mores, ingenij fupra vulgus pofiti, rebitur aequa pofte-

i5 ritas, etiamfi nunc in homine viuo liuidi mortales tam fublime virtutis genus | reculent admittere. Tanta eft enim deprauatio gentis humanae, vt quemadmodum in cœtu corruptse iuuentutis caftum effe vel fobrium, ita ferè apud omnes vitio vertatur ingenuum effe & ve-

îo racem, multôque auidiùs falfa crimina, quàm verae laudes audiantur; idque potiffimùm, fi quando viri egregij de fe ipfis loqui velint; nam tune maxime Veri- tas fuperbiae, diffimulatio verô & mendacium modera- tioni tribuuntur. Vnde famofi in Balzacium libelli

25 tam fpeciofam criminandi materiam habuere, vt quaf- cunque alias, quantumlibet iniuftas vel ridiculas ac- eufationes, capitali iiti coniungerent , fimul tamen omnes, tanquam huius fauore commendatas, imperi- tum vulgus admitteret : et certè hoc in loco calami-

3o tofum mihi videtur, tam multos, ex ijs qui se Aliquos putant, Vulgi appellatione comprehendi *.

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Page 7, l. 14. — Cf. Ogier, Apologie, p. 150.

Page 8, l. 15. — Cf. ib., p. 125. « Artifice et dexterité de M. de B…, qui sans se departir des termes qui sont dans la bouche de toute la Cour, et n’en recevant aucun que l’usage ne luy donne, sçait representer le bien et le mal en son extremité : ce qui est presque impossible à faire si nous n’avons recours à nos peres, ou à nos voisins, et ne parlons par consequent un langage ou trop vieux ou trop nouveau. »

Page 8, l. 29. — Cf. ib., p. 133 : « Car soit que l’on considere les richesses de l’elocution, soit qu’on ait esgard à la nouveauté des inventions, ou à la force des pensées, soit qu’on cherche cette Grace, et cette Venus qu’Apelles inspiroit en ses tableaux, et que les Italiens nomment le je ne scay quoy, qui est l’aveugle qui ne remarque tout cela dans la plus courte de nos periodes ? »

Page 9, l. 8. — Cf. ib., p. 151-154, sur « les Lettres » qui comme genre valent des Harangues et des Livres ».

Page 9, l. 19. — Cf. ib., p. 122-123 : Nestor, Ménélas et Ulysse dans Homère sont cités comme représentant les trois principaux genres d’éloquence.

Page 10, l. 3. — Cf. ib., p. 127 et 128 : Ogier cite Isocrate, Dion Chrysostome, Philostrate, Maxime de Tyr, Libanius.

Page 10, l. 21. — Cf. ib., p. 156-158 : « Pour moy, ie ne sçaurois m’imaginer que nous soyons obligez ni de loüer le vice, quand il est en autruy, ni de ne loüer pas la vertu, si elle est en nous… Vn des prîncipaux effets de la magnanimité consiste en vne genereuse et libre declaration de ce que nous sommes. »

Page 11, l. 31. — Balzac dédia à Monsieur des Cartes, vers la même époque (1627-1629), trois pièces qui font partie des Dissertations chrestiennes et morales (t. II, p. 308-319 des Œuvres de Balzac, 1665) sous les titres : V. Le Sophiste Chicaneur. VI. Le Chicaneur convaincu de faux. VII. La dernière objection du Chicaneur refutée. Ce chicaneur est le P. Goulu. — La lettre de Descartes fut communiquée par Balzac à Chapelain, le 22 avril 1637 : « Je vous envoye un jugement qu’il fit de mes premieres lettres, stilo, ut aiebat, Petroniano. » (Œuvres de Balzac, t. 1, p. 745). Chapelain répond le 31 mai 1637 : « J’ay leu avec un extreme plaisir l’éloge latin qu’il a fait de vos premieres lettres, et quoy que son stile en cette langue ne soit pas le nostre, je croy, pour le peu que je m’y connois, qu’on ne le sçauroit blasmer de barbarie, et qu’il y a beaucoup de gens qui se passeront d’une aussi bonne expression que la sienne : surtout il me paroit candide et judicieux, et, outre la raison du bien qui y est dit de vous, qui ne peut que me plaire extremement, je vous avoue que j’y trouve encore dans la façon de le dire assez de grace pour l’estimer fort, quand ce ne seroit pas de vous qu’il parleroit… P. S. Je garderay soigneusement le jugement latin de M. Descartes et ne vous le renvoyeray que quand vous l’ordonnerés et qu’après en avoir fait tenir une copie. » (Lettres de Jean Chapelain, Paris, Impr. Nat., 1880, t. I, p. 153-154). — La version française, donnée par Clerselier (lettre C bis du t. I) n’est certainement pas de Descartes. Si d’ailleurs celui-ci avait choisi la langue latine, c’était sans doute pour se conformer à l’usage, dans le cas où Balzac aurait désiré mettre cette défense en tête d’une réédition de ses Lettres, comme il fit, par exemple (8e édition), pour une autre apologie demandée à son vieux maître, Nicolas Bourbon. Ce fut, au reste, pour ce dernier une source d’ennuis, et Descartes dut, au moins, ne pas insister pour l’impression de sa lettre. (Voir Émile Roy, thèse latine p. 39-40.)

VII.
Descartes à Ferrier.
18 juin 1629.
Texte de Clerselier, tome III, lettre 98, p. 551-553.

Cette lettre datée, dans Clerselier, « à Monsieur Ferrier, d’Amsterdam, le 18 juin 1626 (sic) », doit avoir été écrite en réalité de Franeker, en Frise, où l’album des étudiants de l’Université porte le nom de Descartes inscrit sous la date du 16 avril 1629. D’après Baillet (t. I, p. 205), après être disparu pendant l’hiver de 1628-1629, Descartes, en arrivant en Hollande au printemps, étoit allé droit à Dordrecht [ou Dort] voir le sieur Beeckman comme un ancien amy. » Mais il cachait encore soigneusement sa résidence.

        Monſieur,

Depuis que ie vous ay quitté, iay beaucoup appris touchant nos verres, en ſorte qu’il y a moyen de faire quelque choſe qui paſſe ce qui a iamais eſté veu ; et le tout ſemble ſi facile à executer, & eſt ſi certain, 5 que ie ne doute quaſi plus de ce qui depend de la main, comme ie faiſois auparauant. Mais c’eſt vne choſe que ie ne ſçaurois écrire ; car il arriue mille rencontres en trauaillant qui ne ſe peuuent preuoir ſur le papier, & qui ſe corrigent ſouuent d’vne parole lors qu’on eſt preſent ; c’eſt pourquoy il ſeroit neceſſaire que nous fuſſions enſemble. Ie n’oſe pourtant vous prier de | venir icy ; mais ie vous diray bien que ſi i’euſſe penſé à cela, lors que i’eſtois à Paris, i’aurois 5 taſché de vous amener ; et ſi vous eſtiez aſſez braue homme pour faire le voyage, & venir paſſer quelque temps auec moy dans le deſert, vous auriez tout loiſir de vous exercer, perſonne ne vous diuertiroit, vous ſeriez éloigné des objets qui vous peuuent donner de 10 l’inquietude ; bref vous ne ſeriez en rien plus mal que moy, & nous viurions comme freres ; car ie m’oblige de vous défrayer de tout auſſi long-temps qu’il vous plaira de demeurer auec moy, & de vous remettre dans Paris lors que vous aurez enuie d’y retourner. Si vous 15 auez maintenant quelque bonne fortune, ie ſerois marry de vous débaucher ; mais ſi vous n’eſtes pas mieux que lors que ie vous ay quitté, ie vous diray franchement que ie vous conſeille de venir. Le voyage n’eſt pas de la moitié ſi long que pour aller en voſtre 20 païs ; nous ſommes en eſté, & la mer eſt maintenant fort aſſurée. Il faudroit apporter les outils dont vous pourriez auoir beſoin, ils ne coûteroient à apporter que iuſqu’à Calais ; car c’eſt le chemin qu’il vous faudroit prendre. De Calais vous pourriez paſſer par mer 25 en vn iour ou deux, iuſqu’à Dort, ou Roterdan, c’eſt à dire icy ; car de là on peut venir plus ſeurement iuſques icy, qu’on ne fait à Paris depuis le logis iuſqu’à l’egliſe. Et meſme eſtant à Dort, vous pourriez voir Monſieur Beecman qui eſt Recteur du College, & luy monſtrer 30 ma lettre, il vous enſeignera le chemin pour venir icy ; et ſi vous auiez beſoin d’argent, ou de quoy que ce ſoit, il vous en fourniroit, en ſorte que vous ne deuez conter pour la difficulté du voyage que iuſqu’à Calais. Si vous auez aufïi quelques meubles qu’il vous falluft 5 laiſſer à Paris, il vaudroit mieux les apporter, au moins les plus vtiles ; car ſi vous venez, ie prendray vn logis entier pour vous & pour moy, où nous pourrons viure à noſtre mode & à noſtre aiſe. N’eſtoit que ie ne vous ſçaurois faire donner d’argent à Paris, ſans 10 mander où ie ſuis (ce que ie ne deſire pas), ie vous prierois auſſi de m’apporter vn petit lit de camp ; car les lits d’icy font fort incommodes, & il n’y a point de mate|las. Mais ſi vous eſtes en doute de venir, venez pluſtoſt tout nud que d’y manquer. Ie ſerois pourtant bien-aiſe 15 d’apprendre que ce fuſt l’abondance & la commodité qui vous en empeſchaſt ; mais ſi c’eſtoit la neceſſité, ie croyrois que vous auriez manque de courage, car il n’y a rien qui vous y doiue ſi-toſt faire reſoudre ; et meſme vne mediocre fortune, ou bien de légères 20 eſperances ne vous doiuent pas retarder, ſi vous auez l’ambition de faire quelque choſe qui paſſe le commun : car toutes mes regles sont fauſſes, ou bien, ſi vous venez, ie vous donneray moyen d’executer de plus grandes choſes que vous n’eſperez. En tout cas, ie 25 vous prie de m’écrire ſi-toſt que vous aurez receu celle-cy. Au reſte, ie vous prie que perſonne ne ſçache que ie vous ay écrit, non pas meſme Monſieur Mydorge, encore que ie ſois bien fort ſon ſeruiteur ; mais ie ſuis en lieu où ie ne luy ſçaurois rendre aucun ſeruice. Et 30 meſme ſi vous venez, vous deuez ſouhaitter que perſonne n’en ſçache rien ; car ſi vous faites quelque choſe de bon, il en ſera meilleur lors qu’on ne l’aura point attendu, & le retardement ne degouſtera perſonne. Pour moy ie me trouue ſi bien icy, que ie ne penſe pas en partir de long-temps. Ie vous prie de m’aimer, comme ie croy que vous faites, & de me croire comme 5 ie ſuis…


VIII.
Descartes au P. Gibieuf.
18 juillet 1629.
Autographe, Londres, British Museum, MS. Egerton, 19, f. 25.

Lettre probablement écrite de Franeker, sur papier vergé, grand format, portant un cachet de cire rouge, brisé, aux initiales R. C. — Elle a été publiée (Œuvres inédites de Descartes, t. II, 1860, p. 1-3) par Foucher de Careil qui a lu Oslier comme nom du destinataire ; sa conjecture « Bérulle » (p. 239) n’est pas plus heureuse.

        Monſieur & Reuerend Pere,

L’honneur que vous me faites de vous ſouuenir de moy m’oblige beaucoup plus, que ne vault tout le ſeruice que i’aurois pû rendre a Monſieur le Reuerend Pere de Sancy, ſi i’auois eſté aſſés hureus pour ſcauoir pluſtoſt qu’il auoit vn’affaire au Parlemant de Rennes. 5 Mais ſans doute elle ſera terminee auant que vous receuiés celle cy, puiſqu’il y eſt allé ſi fort en diligence, car voicy la fin du ſemeſtre. Toutefois ſi par hazard il eſtoit remis au ſuiuant, ie vous enuoye vne lettre pour mon Pere ; i’en penſois eſcrire encore a 10 quelques autres, mais ie crains de perdre l’heure du Meſſager, & ie ſuis aſſuré, que s’il en eſt beſoin ce ſera encore aſſés toſt au prochain voyaſge ; car ilz ne feront preſque rien de deus ou trois mois. 5 Mr Ferrier m’en mandera des nouuelles, et ie n’attens pas que vous en preniés la peine ; ie me reſerue a vous importuner lorſque i’auray achevé vn petit traité que ie commance, duquel ie ne vous aurois rien mandé qu’il ne fuſt fait, ſi ie n’auois peur que la longeur du tans 10 vous fiſt oublier la promeſſe que vous m’aués faite de le corriger & y adiouſter la derniere main ; car ie n’eſpere pas en venir a bout de deus ou trois ans, & peut eſtre apprés cela me reſoudrai-ie de le bruſler, ou du moins il n’eſchappera pas d’entre mes mains & celles 15 de mes amis ſans eſtre bien conſideré ; car ſi ie ne ſuis aſſés habile pour faire quelque choſe de bon, ie taſcheray au moins d’eſtre aſſés ſage pour ne pas publier mes imperfections. Ie ſuis,

Monſieur & Reuerend Pere,
Voſtre tres humble &
tres obeiſſant ſeruiteur,
r. descartes.

     De Hollande, ce 18 Iuillet 1629.

A Monſieur
Monſieur le Reuerend Pere
Gibieu ſuperieur en la
congregation de l’Oratoire de
Iesus, proche du Louure
A Paris.
IX.
Descartes a ***.
[Septembre 1629 ?]

L = Variantes manuscrites de l’exemplaire de l’Institut données ici non comme l’original de Descartes, mais comme exemple des rajeunissements de style qu’on aurait imposés au texte à la fin du xviie siècle. La date et le destinataire de ce fragment sont inconnus. L’exemplaire de l’Institut ne donne en marge que des conjectures tirées du texte : « A un des amys de Paris de Mr D., peut-être à Mr Mydorge : elle est écrite le 20 octobre 1639. V. en les raisons dans le nouveau cahier. » Mais Mydorge est exclu, parce que Descartes n’avait pas à lui recommander particulièrement Ferrier, et parce que, d’autre part, il ressort clairement de la lettre XIX ci-après (Clerselier, t. II, p. 520) que, le 4 mars 1630, Descartes n’avait pas encore écrit à Mydorge et que ce dernier ignorait toujours son adresse en Hollande, &. J’estime que la lettre, publiée par Clerselier sur une minute qui ne portait pas d’en-tête (il aura ajouté « Monsieur »), est la première que Descartes ait écrite de Hollande à Mersenne. Celui-ci, ayant eu l’adresse de Descartes par Ferrier, lui aura posé, semble-t-il, une question tout à fait analogue à celle qu’il avait faite à Beeckman un peu auparavant (Voir ci-après lettre X) ; il aura appuyé Ferrier pour lui faire obtenir un logement au Louvre (Voir lettre XI). Le Minime ne semble pas, au reste, avoir conservé cette première lettre de Descartes ; mais peut-être en a-t-il gardé une suite, que Descartes au contraire n’avait pas écrite en minute. La collection Lahire comprenait en effet, sous le n° 1, un fragment non daté antérieur à la lettre XIV ci-après (du 13 novembre 1629), et l’on ne voit pas ce que ce fragment perdu pouvait renfermer, si ce n’est une demande de renseignements sur les parhélies observés à Rome (Voir lettre X). La présente lettre, dans cette hypothèse, serait au plus tard partie d’Amsterdam le 25 septembre 1629, mais elle peut être antérieure d’une ou plusieurs semaines. On ignore d’ailleurs si, à la fin de septembre, Descartes avait déjà quitté Franeker ; Baillet indique, mais sans preuves précises, le mois d’octobre comme celui où il s’établit à Amsterdam — (P. T.).

On peut, tout au contraire, admettre que la lettre n’a été écrite qu’en 1638 ou 1639, et qu’elle est adressée à Constantin Huygens, dont l’intérêt pour les questions de musique est bien connu (Correspondance et œuvre musicale de Constantin Huygens, par W. J. A. Jonckbloet et J. P. N. Land, Leyde, 1882), et qui eut à s’occuper de Ferrier, lorsque cet artisan alla en Hollande, ainsi que cela est bien établi par les lettres de la Correspondance de Christiaan Huygens (no 960, Thevenot à Chr. Huygens, de janvier 1662, t. IV, p. 18 ; no 32 et 33, Rivet à Const. Huygens, 27 février et 3 avril 1647, t. I, p. 66 et 68). Il le recommanda notamment aux magistrats de Leyde (Lettre de Descartes à Constantin Huygens, de juillet 1640, Clers., t. III, p. 592, où le « Tourneur » dont il est parlé serait précisément Ferrier) — (C. A.).

Monſieur,

Ie vous ay tant d’obligation du ſouuenir qu’il vous plaiſt auoir de moy, & de l’affection que vous me témoignez, que i’ay regret de ne la pouuoir aſſez meriter. Excuſez & mon peu d’eſprit, & les diuertiſſemens 5 qui me portent à d’autres penſées, ſi ie ne puis ſatisfaire à voſtre queſtion, ſçauoir, pourquoy il eſt plus permis de paſſer de la dixième mineure à la ſexte majeure, que des tierces à l’odaue. Sur quoy ie vous diray neantmoins, qu’il me ſemble que ce qui rend le paſſage 10 d’vne conſonance à l’autre agreable, n’eſt pas ſeulement que les relations ſoient auſſi conſonantes, car cela ne ſe peut ; meſme quand il ſe pourroit, il ne ſeroit pas agreable, d’autant que cela oſteroit toute la diuerſité de la Muſique. Et d’ailleurs touchant les mauuaiſes 15 relations, il ne faut preſque conſiderer que la fauſſe quinte & le triton ; car les ſeptiéme & neuuiéme ſe rencontrent preſque touſiours, lors qu’vne partie va par degrez conjoints. Mais ce qui empeſche qu’on ne peut aller de la tierce à l’octaue, eſt à cauſe que l’octaue eſt vne des conſonances parfaites, lesquelles ſont attenduës de l’oreille, lors qu’elle entend les imparfaites ; 5 mais lors qu’elle entend les tierces, elle attend la conſonance qui leur eſt la plus proche, à ſçauoir, la quinte ou l’vniſon ; de ſorte que ſi l’octaue ſuruient au lieu, cela la trompe, & ne la ſatisfait pas. Mais il eſt bien permis de paſſer des tierces à vne autre imparſaite ; car 10 encore que l’oreille n’y trouue pas ce qu’elle attend, pour y arreſter ſon attention, elle y trouue cependant quelqu’autre varieté qui la recrée, ce qu’elle ne trouueroit pas en vne conſonance parfaite, comme eſt l’octaue. 15

| I’ay appris de Monſieur Ferrier combien vous m’auiez obligé en ſa perſonne ; et encore qu’il y ait beaucoup plus de choses en luy, qui vous peuuent conuier à procurer ſon auancement, que ie n’en reconnois en moy pour meriter l’honneur de vos bonnes 20 graces, ie n’eus pas laiſſé de reconnoiſtre que c’eſt moy qui vous ſuis redeuable des faueurs qu’il a receuës, non ſeulement à cauſe que ie l’aime aſſez pour prendre part au bien qui luy arriue, mais auſſi pour ce que mon inclination me porte ſi fort à vous honorer 25 & ſeruir, que ie ne crains pas de deuoir à voſtre courtoiſie, ce que i’auois voüé à vos meérites. Et de plus, ie ſuis bien-aiſe de me flater, en me perſuadant que i’ay l’honneur d’eſtre en voſtre ſouuenir, & que vous dai- gnez faire quelque choſe en ma conſideration ; ce qui me fait auoir meilleure opinion de moy, & me donne tant de vanité, que i’oſe entreprendre de vous recommander plus particulierement le meſme ſieur Ferrier, 5 en vous aſſurant qu’outre qu’il eſt très honneſte homme, & extremement reconnoiſſant, ie ne ſçache perſonne au monde, qui ſoit ſi capable, que luy de ce à quoy il s’employe. Il y a vne partie dans les Mathematiques, que ie nomme la ſcience des miracles, pour 10 ce qu’elle enſeigne à ſe ſeruir ſi à propos de l’air et de la lumiere, qu’on peut faire voir par ſon moyen toutes les meſmes illuſions, qu’on dit que les Magiciens font paroiſtre par l’aide des Demons. Cette ſcience n’a iamais encore eſté pratiquée, que ie ſçache, 15 & ie ne connois perſonne que luy qui en ſoit capable ; mais ie tiens qu’il y pourroit faire de telles choſes, qu’encore que ie mépriſe fort de ſemblables niaiſeries, ie ne vous cèleray pas toutesfois, que ſi ie l’auois pu tirer de Paris, ie l’aurois tenu icy exprés pour l’y 20 faire trauailler, & employer auec luy les heures que

ie perdrois dans le jeu, ou dans les conuerſations inutiles.
X.
Descartes a Mersenne.
8 octobre 1629.
Texte de l’exemplaire de l’Institut, t. II, lettre 112, p. 529-533.

Variantes d’après le texte de Clerselier. — La date n’est donnée que sur l’exemplaire de l’Institut, avec la note marginale. « I’ay la lettre manuscrite ». Cet original de Descartes, de même que nombre d’autres lettres de lui à Mersenne, n’a d’ailleurs jamais fait partie de la collection Lahire. Il a probablement été écrit à Amsterdam, comme l’affirme Baillet (t. I, p. 191).

Mon Reuerend Pere,

Ie ne penſe pas auoir eſté ſi inciuil, que de vous prier de ne me propoſer aucunes queſtions ; c’eſt trop d’honneur que vous me faites, lors qu’il vous plaiſt d’en prendre la peine, & i’apprens plus par ce moyen, que par aucune autre ſorte d’étude. Mais bien ſans 5 doute vous auray ie ſupplié de ne trouuer pas mauuais, ſi ie ne m’efforce pas d’y répondre ſi exactement, que ie tâcherois de faire, ſi ie n’étois tout à fait occupé en d’autres penſées : car ie n’ay point l’eſprit aſſez fort, pour l’employer en meſme temps à 10 pluſieurs choſes differentes ; et comme ie ne trouue iamais rien, que par vne longue traiſnée de diuerſes conſiderations, | il faut que ie me donne tout à vne matiere, lors que i’en veux examiner quelque partie.

2 car aj. av. c’eſt. — 7 exactement] preciſement. Ce que i’ay éprouué depuis peu, en cherchant la cauſe de ce Phainomene* duquel vous m’écriuez ; car il y a plus de deux mois* qu’vn de mes amis m’en a fait voir icy vne deſcription aſſez ample, & m’en ayant 5 demandé mon auis, il m’a fallu interrompre ce que i’auois en main*, pour examiner par ordre tous les Meteores, auparauant que ie m’y ſois pû ſatisfaire. Mais ie penſe maintenant en pouuoir rendre quelque raiſon, & ſuis reſolu d’en faire vn petit Traitté* qui 10 contiendra la raiſon des couleurs de l’Arc-en-Ciel, leſquelles m’ont donné plus de peine que tout le reſte, & generalement de tous les Phainomenes ſublunaires. C’eſt ce qui m’auoit donné occaſion de vous demander particulierement la deſcription que vous auiez du 15 Phainomene de Rome, pour ſçauoir ſi elle s’accordoit auec celle que i’ay veuë, & i’y trouue cette difference, que vous dites qu’il a eſté veu à Tiuoli*, & l’autre dit à Freſcati, qu’il nomme Tuſculum en latin. Ie vous prie de me mander ſi vous ſçauez aſſurément qu’il ait 20 paru à Tiuoli, & comment ce lieu là ſe dit en latin ; i’auray bien loiſir d’attendre vos lettres, car ie n’ay pas encore commencé à eſcrire, & ie ne me haſte pas. Au reſte ie vous prie de n’en parler à perſonne du monde ; car i’ay reſolu de l’expoſer en public, comme 25 vn échantillon de ma Philoſophie, & d’eſtre caché derriere le tableau pour écouter ce qu’on en dira. C’eſt


1 en cherchant] pour trouuer. 3 deux] trois. — 10 la raiſon] l’explication. — 14 auiez du] auez de ce. — 15 de Rome omis. — 16 i’ay] i’auois. — 17 et] ce que. — dit] ne dit pas,

  • mais bien. — 20 lieu] nom — latin], car ie ne le ſçay pas ; mais aj. — 22 eſcrire] l’écrire. — et ie ne me haſte pas omis. — 25-26 d’eſtre… écouter] latere post tabellam, afin de voir. vne des plus belles matieres que ie ſçaurois choiſir, &

ie taſcheray de l’expliquer en ſorte que tous ceux qui ſeulement entendront le latin*, puiſſent prendre plaiſir à le lire. I’aimerois mieux qu’il fuſt imprimé à Paris qu’icy ; & ſi c’eſtoit choſe qui ne vous fuſt point 5 du tout importune, ie vous l’envoyerois lors qu’il ſeroit fait, tant pour le corriger, que pour le mettre entre les mains d’vn libraire.

Vous m’auez extremement obligé de m’aduertir de l’ingratitude de mon amy* ; c’eſt, ie croy, l’honneur 10 que vous luy auez fait de luy eſcrire, qui l’a ébloüy, & il a crû que vous auriez encore meilleure opinion de luy, s’il vous écriuoit qu’il a eſté| mon maiſtre il y a dix ans. Mais il ſe trompe fort ; car quelle gloire y a-t-il d’auoir inſtruit vn homme qui ne ſçait 24-15, & qui le confeſſe librement comme ie fais ? Ie ne luy en manderay rien, puis que vous ne le voulez pas, encore que i’euſſe bien de quoy luy faire honte, principalement ſi i’auois ſa lettre toute entiere. 20

Si vous pouuiez trouuer quelqu’autre lieu où mettre M. Ferrier mieux qu’il n’eſt, ie croy que vous l’obligeriez. Sur tout ie vous le recommande ; ie ſuis aſſuré de l’execution des verres, s’il y trauaille ſeul, & eſtant en repos ; & c’eſt choſe de plus grande importance 25

3 ſeulement… latin] entendront ſeulement le françois. — 6 du tout importune] à charge. — 9 extremement omis. — 10 ingratitude] impertinence — c’eſt, ie croy, omis. — 11 qui l’a] luy a ſans doûte tant donné de vanité qu’il s’eſt. — 12 encore omis. — 14-15 quelle… a-t-il] il n’y a pas de gloire. — 15-16 que très peu de chose] rien. — 16-17 librement… fais] partout librement. — 22 M. Ferrier] M. N.

que l’on ne s’imagine. Il y a tant de gens à Paris qui
perdent de l’argent à faire ſouffler des Charlatans ; n’y
en auroit-il point quelqu’vn qui en vouluſt employer
vtilement à le faire trauailler ſix mois, ou vn an, ſans
5qu’il fiſt autre choſe du tout que cela ? car il ne luy
faudroit pas moins de temps pour preparer tous ſes
outils ; et c’eſt comme à l’Imprimerie, où la premiere
feuille eſt plus longue à faire que mille autres.
Pour la Raréfaction, ie ſuis d’accord auec ce Mede-
10cin*, & ay maintenant pris party touchant tous les
fondemens de la Philoſophie ; mais peut-eſtre que ie
n’explique pas l’Æther comme luy.
Pour ce liure de Camoyeux & de Taliſmans*, ie iuge
par le titre qu’il ne doit contenir que des chimeres.
15De meſme, la teſte qui parle, couure ſans doute
quelque impoſture : car de dire qu’il y euſt des reſſorts
& tuyaux, pour exprimer tout le Pater noſter, comme
le chant du coq en l’horloge de Strasbourg, i’ay bien
de la peine à le croire.
20De diuiſer les cercles en 27 & 29, ie le croy, me-
chaniquement, mais non pas en Geometrie. Il eſt
vray qu’il ſe peut en 27 par le moyen d’vn cylindre,
encore que peu de gens en puiſſent trouuer le moyen ;

  • 3-4 en… trauailler] le voudroit tenir. — 4-5 ſans qu’il fit] à ne faire. — 5 ne omis. — 6 pas moins de] du. — tous omis. — 10 maintenant omis. — touchant] là deſſus, comme sur preſque. — 11 Philoſophie] Phyſique. — 12 luy] Lorſque i’auray l’honneur de vous voir, nous aurons moyen de nous
  • en entretenir plus particulierement, aj. — 14 par le] du. — 17-18 tuyaux… Strasbourg] des tuyaux, comme au coq de l’horloge de Strasbourg, pour exprimer tout le Pater noſter. — 20-21 ie le croy… geometrie] cela ſe peut mechaniquement, mais non point geometriquement.
mais non pas en 29, ny en tous autres, & ſi on m’en
veut enuoyer la pratique, i’oſe vous promettre de
faire voir qu’elle n’eſt pas exacte[17].
Si ie peux recouurer les liures que vous deſirés, ie
vous les enuoyeray ; mais ie ne l’eſpere pas, car i’ay5
icy fort peu de connoiſſance, & point du tout auec
ceux qui les pourroient auoir.
Pour voſtre queſtion de Muſique *, | ie ne trouue que
des conjectures à y répondre, & doute preſque ſi les
praticiens ont raiſon en cela ; ſeulement puis-ie dire10
que lors qu’on va ainſy de l’Vniſſon à la Tierce mi-
neure, ce n’eſt iamais pour finir, mais pour reueiller
l’attention & ſuſpendre l’oreille au milieu d’vn chant,
à quoy la varieté eſt principalement requiſe. Or cette
varieté ſe remarque en diuerſes choſes ; et premie-15
rement, lors que les parties vont par mouuemens con-
traires, ce qui n’eſt pas icy ; en apres donc, lorſ-
qu’elles montent ou deſcendent au moins par mouue-
mens inégaux : ce qui paroiſt bien au premier, où le

  • 1 ny en tous autres omis. — 2 pratique] demonſtration. — 3 qu’elle… exact.] que cela n’eſt pas exact. — 4-7 Si… avoir alinéa omis. — 8 Musique] touchant le paſſage (P. 532) de l’Vniſſon à la Tierce mineure aj. — 9 preſque] en cela aj. (et supprimé l. 10 après raiſon). — 11 ainſy omis. — 11-12 mineure omis. — 12 iamais] pas. — 12-13 reveiller l’attention et omis. — 13 surprendre p. e.
  • mieux. — 15 en diverſes] principalement en deux. — 15-16 et premierement] 1. — 16 les] deux aj. — par] des aj. — 17 pas] point. — en apres donc] car elles montent ou deſcendent toutes deux ; 2. — 18 montent... par] procedent par des. — 19 paroiſt bien] est fort ſenſible. — où] car vne partie montant d’vne Quinte et l’autre d’vne Tierce, on remarque grande difference, en ce que.
Deſſus, qui a accouſtumé d’aller par degrez conjoints, fait tout d’vn coup vn ſault iuſques à la Quinte, & la Baſſe, qui a de coûtume d’aller par de

plus grands interuales, montant ſeulement d’une 5 Tierce, ne va qu’à ſon ordinaire ; mais au dernier, il ſemble que les deux parties deſcendent également ; car le ſault d’vne Quinte à la Baſſe n’eſt gueres plus que celuy d’vne Tierce au Superius ; ainſi il n’y a pas grande varieté en ce dernier, ce qui le 10 rend triſte & mal plaiſant. Ajoutez que, les choſes étant égales, lors que les parties montent, elles réueillent bien plus l’attention, que lors qu’elles deſcendent. C’eſt tout ce qui m’en vient ſous la plume.

15 Pour l’autre queſtion*, il faudroit bien du temps pour y penſer, car il y a pluſieurs forces differentes à confiderer : premierement ſi le poids eſtoit en vn eſpace vuide, où l’air ne fiſt aucun empeſchement, et qu’on ſupoſe qu’il ne luy faut que la moitié 20 d’autant de temps pour faire le meſme chemin, lors qu’il eſt pouſſé par vne force deux fois plus grande, i’ay autresfois fait ce calcul : ſi la corde eſt longue d’vn pied, & qu’il faille au poids vn moment pour paſſer depuis C iuſques à B, la corde eſtant longue


  • Modèle:Refa27-2 vn] ſi grand aj. — 2-3 juſques à la Quinte omis. — 3 &] au contraire aj. — 3-5 qui… Tierce] montant d’vne Tierce. — 7 le ſault] l’interuale. — 8 plus] ſenſible aj. — 9 dernier] paſſage. — 10 mal plaiſant] déplaiſant. — 10-13 Ajoutez… deſcendent.] De plus, lors que le deſſus monte, il réveille bien plus l’attention que lors qu’il descend. — 13 m’en] me. — 15-16 il faudroit… penſer] il y faudroit penſer. — 19 ſupoſe] ſupoſaſt. — faut] falluſt. — 22 fait… ce calcul] demonſtré qu’il fuiuoit cette proportion.

| nombre = 2 }} 28

��Correspondance.

��II, 53a-533.

���de 2 pieds , il luy faudra \ de moment ; fi elle eft de 4 pieds, ■— de moment; fi de 8 pieds, |*-; fi de 16 pieds, •^ 7 - j qui n'eft guère plus de j momens; et ainfi des autres. le ne vous dis pas pour cela combien la corde doit eftre longue, pour que le poids emploie deux momens iuftement à aller de C à B ; car il ne vien- drait pas de | nombre fi facile, & le calcul m'en feroit mal aifé à faire ; mais vous voyez à proportion des autres qu'elle de- uroit eftre plus de $ fois plus longue, fi bien que ce qu'elle a de moins, vient de l'empefchement de l'air, auquel il faut confiderer deux chofes : fçauoir, com- bien il empefche au commencement du mouuement, & combien par après; or il faut comparer l'vn & 1 autre à l'augmentation de la viteffe du mouuement qui fe feroit en vn efpace vuide, ce qui eft très difficile, & beaucoup plus en vn mouuement circulaire que fi vous fefiez defcendre le poids en ligne droite.

Quod attinet ad motus et reditus ponderis a C ad

��i moment] feulement aj. — elle] la corde. — 3-4 qui... au- tres] et ainfiàl'infiny. — 4-ioZ.a figure manque. — 6-9 pour... faire] pour répondre à deux mo- mens ; car elle ne fe peut expli- quer par (P. 533) nombre, au moins que ie croy. — 1 1 fi bien que] et. — i3 confiderer] efti- mer. — chofes] différentes aj. — 14 du mouvement omis. — 1 5 p»r après] lors qu'il est défia commencé à .émouuoir. — or il] ce qu'il — faut] encore aj.

��— l'un et l'autre omis. — 16-17 qui fe feroit en vn espace vuide omis. — 17-18 et beaucoup plus omis. — 18-19 que... droite] comme cettuy-cy. Il ne le feroit pas du tout tant, si vous fup- pofiez que le poids descendift tout droit de haut en bas. — 20- p. 29, 6 Clerselier donne une version française de cet alinéa latin. Il omet la fin de la lettre et continue par un fragment d'une autre : « le ne me fouuiens plus ... » (p. 533).

��10

��iS

��20

�� � h. su. X. — 8 Octobre 1629. 29

D, non ij minuuntur nifi a folo aère. In vacuo enim, fi quid moueretur, perpetuo & eodem plane modo moueretur. Sed non idem eft dicendum de corda tenfâ in teftudine*, quse digito adducta redit vi fibi interna ad priorem fitum, quem etiam fortaffe citius in vacuo recuperaret quam in aère.

Il ne me relie plus de papier que pour vous affurer que ie fuis,

Monfieur & Reuerend Père, Voftre très obeiffant & très affectionné & obligé feruiteur

DESCARTES.

��Page 23, 1. 2. — Phénomène des Parhélies ou faux soleils, observé à Frascati le 20 mars 1629 par le P. Scheiner, jésuite ; le cardinal Barberin en avait aussitôt envoyé une description à Peiresc. Celui-ci en tira plusieurs copies qu’il distribua aux savants. Gassend, qui voyageait alors en Hollande avec son ami Luillier, en reçut une. Il avait fait connaissance à Amsterdam avec deux amis de Descartes, un médecin, Waessenaer (dont nous retrouverons le fils en 1640 engagé dans une querelle de mathématiques), et Henry Reneri qui s’occupait surtout de philosophie. Il leur promit à tous deux, en partant pour Utrecht, le 10 juillet, une description du phénomène avec le discours envoyé de Rome, et son explication à lui. Waessenaer et Reneri reçurent la description d’abord, et Reneri l’envoya aussitôt à Descartes, en lui demandant aussi son explication, afin de la comparer à celle qu’il recevrait de Gassend. Celle-ci fut envoyée de La Haye, le 14 juillet [Gassendi opéra, Lyon, Laurent Anisson, i658, t. III, p. 65 1). Descartes mit plus de temps à donner la sienne (Baillet, Vie de M’ Des-Cartes, t. I, p. 188). La première rédaction de Gassend fut d’abord imprimée sous ce titre : Phœnomenon rarum Romœ obseruatum 20 Martij et eius causarum explicatio (Amstelod., Henrici Guerardi, 1629, in-4) ; puis l’année suivante, avec additions et corrections, sous ce second titre : Parhelia seu Soles IV spurij qui circa verum apparuerunt Romœ die 20 Martij 162g et de eisdem epistola ad Henricum Renerium (Parisiis, Vitré, i63o, in-4).

Page 23, 1. 3. — La leçon nouvelle s’accorde mieux avec les deux dates du 14 juillet (où Gassend envoya sa description) et du 8 octobre 1629 (date de cette lettre).

Page 23, l. 6.. — L’ouvrage dont il parlait au P. Gibieuf, lettre du 18 juillet 1629, et qui fut plus tard les Meditationes de prima philosophia (lettre à Mersenne, 15 avril 1630 ; cf. Baillet, t. I, p. 190).

Page 23, l. 9.. — Ce sera plus tard le traité des Météores, imprimé en 1637, comme un des Essais de la Méthode de Descartes. Il comprend dix discours ; le 8e a pour titre De l’arc-en-ciel, et le 10e De l’apparition de plusieurs soleils.

Page 23, l. 17.. — « Il se pouvoit faire que le bon Père Mersenne eût pris par inadvertance le mot de Tusculi, qui étoit dans l’original envoyé de Rome par le Cardinal Barberin, pour la ville de Tivoli. » (Baillet, t. I, p. 191). « Ou peut-être Tiburi pour Tusculi. » (Ib.).

Page 24, l. 3.. — Nouvelle leçon importante : Descartes, à cette date, écrivait plutôt en latin, surtout les choses philosophiques et scientifiques, comme en témoignent les Meditationes au moins ébauchées cette même année 1629.

Page 24, l. 10.. — Isaac Beeckman. Mersenne semble être entré en relations épistolaires avec lui vers le mois de juillet 1629 en lui posant sur la musique la même question qu’il adressa un peu plus tard à Descartes (voir lettre IX). Beeckman lui répondit, par une lettre perdue, aussi vaguement, semble-t-il, que le fit Descartes, mais en faisant déjà allusion à ce dernier en des termes que laisse deviner la lettre suivante de Beeckman à Mersenne (Bibl. Nat. fr. n. a. 6206, f° 43), écrite vers le mois d’août et répondant à de nouvelles questions. Voici le début de cette lettre, que Mersenne devait déjà avoir entre les mains quand il écrivit à Descartes au sujet de Beeckman : « Non miror, vir doctissime, virum doctum et studiis promouendis deditum vndique, etiam vbi nulla sunt, subsidia conquirere. Ipsissimus est D. des Chartes, quem dixeram : cuius ingenium vere laudas, quemque in Opticis tuis nobilem mathematicum a te vocari ex multis circumstantiis certissime colligo. Ipsus, inquam, is est cui ante decem annos ea quæ de causis dulcedinis consonantiarum scripseram communicaui, quemque tibi quæstionis huius occasiones dedisse putabam. Is nuper hue a vobis transiuit, ac rursus (vt est peregrinandi cupidus) hinc ad vos discessit. » Cette dernière phrase semble indiquer que Descartes avait laissé croire à Beeckman qu’il retournait en France.

Mersenne avait sans doute déjà aussi reçu la lettre suivante de Beeckman (même ms., f° 69) qui se termine comme suit :

« Salutaui tuis verbis per litteras D. des Chartes ; eodem enim die quo tuas accepi, illius etiam litteræ mihi sunt redditæ. Vivit, valet, tibique est amicissimus. »

Page 25, 1. 10. — Peut-être déjà Villiers, médecin de Sens, dont nous avons 44 lettres mss. à Mersenne ; quelques-unes (mais beaucoup plus tard, en 1640) ont été communiquées à Descàrtes. (Bibl. Nat. fr. n. a. 6205, fol. 365-43 7 et 3o8-356).

Page 25, l. 13. — Curiositez inouyes, sur la sculpture talismanique des Persans, horoscope des Patriarches et lecture des Estoilles, par M. J. Gaffarel (Paris, Herué du Mesnil, in-12, 1629, privilège du 24 mars). Livre où il est, en effet, question de camaieux artificiels et naturels, de sculptures et engravures talismaniques, etc. Mersenne l’enverra aussi à J.-B. de Helmont, qui lui répondra de Bruxelles par une longue critique, 26 septembre 1630 (Bibl. Nat. fr. n. a. 6205, fol. 218). Cf. Gassend à Peiresc, 11 sept. 1629 (Lettres de Peiresc, t. IV, 1893, p. 216).

Page 26, l. 8. — Mersenne avait posé à Beeckman une question analogue (passage de l’unisson à la tierce majeure, au lieu de la mineure). Dans une lettre du 1er octobre 1629 (Bibl. Nat. fr. n. a. 6206, f° 34), Beeckman renvoie Mersenne à ses propres écrits, et en même temps il cite textuellement tout un passage du Compendium Musicæ de Descartes, dont il avait le manuscrit depuis 1619, mais qui ne fut imprimé qu’en 1650 :

« De transitu in contrapuncto ab vnisono ad tertiam maiorem et contra, ipse tu tibi libro I, theor. 21 de Musicâ satisfecisse videris. Qui enim ab vnisono ad tertiam maiorem transit, per tua præcepta contra 8am duntaxat regulam peccat ; qui verò transit ab eâ tertiâ ad vnisonum, peccat contra 8am et 7am regulas simul. D. des Chartes (en interligne : amicus noster) in libello suo quam de Musicâ conscriptum ad me misit de hac re ita scribit :

» Ratio quare id potius seruetur in motu a consonantiis imperfectis ad perfectas, quàm in motu perfectarum ad imperfectas, est quia, dum audimus imperfectam, aures perfectiorem expetunt, in quâ magis quiescant, atque ad id feruntur impetu naturali : vnde fit vt magis vicina debeat poni, cùm scilicet illa sit quam desiderant : contra vero, dum auditur perfecta, imperfectiorem nullam expectamus, ideoque non refert vtra sit quæ ponatur. »

Page 27, 1. i5. — Cette question avait sans doute été posée aussi par Mersenne à Beeckman. Celui-ci répond, dans la plus ancienne lettre qu’on ait de lui : « Sententiam verô nunc rogatus, video in eâ re summam » difficultatem. Nam pendulum pondus tuum non mouetur in vacuo, sed » in aère ; ideoque aliter globosum, aliter pyramidale, aliter magnum, » aliter paruum, aliter ligneum, aliter plumbeum mouetur, quorum » omnium occursus varius cum aère esset supponendus. » (Bibl. Nat. fr. n. a. 6206, fol. 43}.

Page 29, 1. 4. — Cette autre question des vibrations d’une corde de luth avait aussi été posée par Mersenne à Beeckman, qui la traite dans la lettre qui précède celle du i OT octobre 1629. La figure de Beeckman (fig. 1) fait bien comprendre celle qui est ajoutée à la main sur l’exemplaire de l’Institut (fig. 2).

a c (fig. 1), ainsi que ab ex a’b’(fig. 2), représentent des cordes au repos ; en les pinçant au milieu on les amène de d en b (fig. 1), ou de B en A et

�� � de D en C (fig. 2). Il y a d’une part deux cordes a b et a’ b’(fig. 2), et de l’autre une corde a c et une demi-corde d c (fig. 1). — En outre, le principe allégué sans doute par Mersenne, et que Descartes admet, bien qu’il refuse d’en faire ici l’application, se retrouve, mot pour mot, dans la même lettre de Beeckmann : « Nec alaa est ratio cur hæc pergant moueri, quàm quia nihil impedit. In vacuo enim quod semel mouetur, perpetuo eodem modo mouetur ; quâ ratione nihil vnquam certius in mentem mihi venit, nec viginti annis quicquam legi, audiui, aut meditatus sum quod minimam erroris suspicionem mihi hic mouere potuerit. » (Bibl. Nat. fr. n. a. 6206, p. 70.)


XI.
Descartes a Ferrier.
Amsterdam, 8 octobre 1629.
Texte de Clerselier, tome III, lettre 99, p. 553-557.
Monſieur,

Ie ſouhaitterois que la fortune vous fuſt plus fauorable ; ie croy pourtant que vous ne deuez pas deſeſperer de vous loger au Louure, encore que le Pere Condren* ſoit abſent. | S’il vacque quelque place auant ſon retour, vous deuez aller trouuer le Pere Gibieuf, 5 ou le Pere de Sancy, & les importuner de vous garantir ce qu’vn des leurs vous a fait auoir. Sur tout ie vous conſeille d’employer le temps preſent, ſans vous attendre à l’aduenir ; car ſi vous differez touſiours de trois mois en trois mois, iuſqu’à ce que vous ſoyez mieux 5 que vous n’eſtes, ſçachez que vous n’auancerez iamais rien. Ie voudrois bien que vous fuſſiez icy ; mais ſelon que ie voy vos affaires, ie ne l’oſerois eſperer ; et puis nous ſommes en vne ſaiſon qui vous ſeroit incommode, il faudroit attendre l’eſté, & entre cy & là il ſe peut 10 preſenter mille autres occaſions. Sur tout, puiſque vous me faites la faueur de vouloir entendre mon aduis, ie vous conſeille d’employer le temps preſent à quelque prix que ce ſoit. Acheuez l’inſtrument de Monſieur Morin* ; le temps que vous n’y pouuez trauailler, 15 employez-le à faire des choſes qui vous donnent du profit preſent ; et ſi vous pouuez auoir du temps de reſte pour trauailler ſur l’eſperance d’vn plus grand profit à l’auenir, ie vous conſeille de l’employer aux verres. Mais afin que vous iugiez, auparauant que de vous y 20 employer, ſi c’eſt choſe qui puiſſe reüſſir, ie vous décriray icy vne partie de ce que i’en ay penſé, & vous en enuoyeray des modeles au prochain voyage, ſi vous le deſirez, ſans qu’il vous manque aucune choſe de ce qui dépendra de moy, non plus que fi i’eſtois à Paris.

25 Premierement, ie croy que vous vous ſouuenez de la machine que ie vous décriuis auant que de partir*, qui conſiſtoit en trois pieces principales : ſçauoir, l’axe A B qui tournoit en rond, la pièce C D qui ſe mouuoit au trauers de l’axe A B, & le cylindre E F qui 30 couloit entre les deux planches G H & I K, & tailloit le verre auec l’vne de ſes extremitez E ou F. Maintenant ie deſire que cette machine vous ſerue ſeulement pour tailler les lames de fer ou d’acier de la figure qu’eſt P N O M, c’eſt à dire comme le fer d’vn rabot de menuiſier, en forte que P N O, qui eſt la partie tranchante, ſoit la ligne que nous deſirons. Ie retiens donc 5 de la machine precedente l’axe A B & la pièce C D, mais qui doit eſtre ferme auec l’axe A B, en ſorte qu’il n’y ait que le ſeul mouuement circulaire en toute la 10 machine ; & ie ne me ſers plus du cylindre E F, d’autant que lors qu’on tourne l’axe A B, la partie de C D qui ſe rencontre entre les 15 deux planches, à ſçavoir L, y décrit exactement noſtre ligne. I’applique la lame N M ferme entre les deux planches contre la partie L 20 de la piece C D, laquelle partie ie voudrois eſtre taillée en forme de lime, afin qu’en tournant elle puſt limer la lame N M ſelon la ligne P N O, ainſi que nous le deſirons ; et apres l’auoir ainſi limée, ie voudrois qu’on changeaſt la piece C D, ou ſa partie L, & qu’on 25 en miſt vne autre en ſa place, non plus taillée en lime, mais polie, & de matiere propre pour aiguiſer & adoucir le plus qu’il ſe pourroit le tranchant de la lame NM. Ie deſire auſſi qu’on faſſe pluſieurs lames d’acier bien trempé parfaitement ſemblables, afin que l’vne s’vſant, 30 on puiſſe ſe ſeruir d’vne autre, & pour cela, il faut que leur tranchant P N O ſoit exactement taillé ſelon noſtre ligne. Ie voudrois auſſi que vous choiſiſſiez quelque matiere douce qui fuſt propre à manger peu à peu & polir le verre ; à cela il me ſemble que ces pierres 5 ſemblables à de l’ardoiſe, auec leſquelles on aiguiſe les inſtrumens dont le tranchant doit eſtre fort delicat, ſeroient aſſez propres ; mais ie vous en laiſſe le choix, lequel vous pouuez mieux faire que moy. Ie voudrois donc que vous fiſſiez la roue Q d’vne de ces pierres, ou 10 de ſemblable matiere, qui fuſt comme les roües des émouleurs de couteaux, & qu’appliquant, contre, vne ou pluſtoſt plu|ſieurs lames N M, vous luy donnaſſiez exactement 15 tout autour ſelon ſon épaiſſeur la figure de la ligne P N O, en tournant la roüe Q ſur ſon centre, ainſi que 20 vous voyez en cette figure, que i’ay tournée en deux ſens, afin que vous l’entendiez mieux. Or cette roüe Q eſtant ainſi taillée, ie voudrois que vous l’appliquaſſiez contre le verre R, mis ſur vôtre tour S, ainſi qu’eſtoit le premier 25 verre que ie vous ay veu tailler, & qu’il tournaſt là ſur ſon centre, pendant qu’en meſme temps la roüe Q tourneroit auſſi ſur le ſien, & caueroit ce verre ſelon la ligne PNO tres-exactement, par le moyen de ces deux mouuemens differens ; car elle mangeroit 30 le centre du verre auſſi bien que les extremitez. Et afin que cette roüe eſtant de matiere douce ne perdiſt rien de ſon exacte figure, ie voudrois qu’au meſme temps qu’elle tourneroit pour tailler le verre, vous appliquaſſiez, touſiours contre, vne ou pluſieurs lames N M, pour l’entretenir en ſa figure. Tout ce qu’il y a icy à obſeruer, c’eſt que le diametre de la roüe Q ne 5 doit pas exceder certaine meſure, laquelle ie vous enuoyeray quand vous en aurez affaire ; mais encore qu’il ſoit plus petit, cela n’importe. Il faut auſſi obſeruer que la ligne N M, qui eſt le milieu de la lame P N O M, doit eſtre exactement parallele à l’axe A B de 10 la premiere machine, & que la ligne perpendiculaire qui tomberoit de l’axe A B ſur les planches G H & I K, tombe iuſtement ſur cette ligne N M. De plus, aux dernieres figures, il faut que la meſme ligne N M, prolongée, paſſe iuſtement par le centre de la roüe Q, & 15 ſe rencontre faire vne ligne droite auec l’axe R S, ſur lequel tourne le verre. En voila aſſez pour|ce coup. Si vous vous en voulez ſeruir, ie vous prie de me mander ſi vous l’entendez bien ; car il ſe pourra faire que vous croyrez l’entendre, & que vous oublierez neantmoins 20 quelque circonſtance neceſſaire. C’eſt pourquoy ie vous prie, ſi vous y voulez trauailler, de m’en faire vous-meſme toute la deſcription (ſelon que vous l’entendez) dans vos premieres lettres, comme ſi vous me le vouliez apprendre tout de 25 nouueau ; ie connoiſtray aiſément par là ſi vous l’entendez bien, et ie ſerois marry que vous y employaſſîez voſtre temps inutilement. Or ſi vous iugez que cecy ſe puiſſe exécuter, i’oſe vous promettre que l’effet en fera tres grand ; mais il faudroit preparer 30 toutes les machines à loiſir, & par après ie croy que chaque verre ſe pourroit tailler en vn quart d’heure.

Maintenant pour reuenir à vos affaires, ſi vous pouuez changer de demeure, ie vous le conſeille, & 5 de ſouffrir pluſtoſt ailleurs toutes fortes d’incommoditez, pourueu que vous puiſſiez auoir du temps pour trauailler à cecy. Mais ſi vous ne pouuez déloger d’où vous eſtes, ie vous conſeille, pluſtoſt que de differer de trauailler, de dire ouuertement à Monſieur Mydorge 10 tout voſtre deſſein, à ſçauoir que vous auez reconnu par experience qu’il eſtoit impoſſible de faire reüſſir les verres ſelon la façon commencée ; que ie vous conſeillay, auant que de partir de Paris, d’y trauailler d’vne autre façon ; et meſme, ſi voulez, que 15 ie vous en ay encore écrit depuis, car il ne m’importe pas que vous luy diſiez de moy tout ce que vous voudrez ; et ainſi que vous ne laiſſiez pas d’y trauailler en ſa preſence. Ie ſçay bien qu’il vous fait mal au cœur qu’on ſe donne de la vanité en vne choſe où l’on n’a 20 rien contribué ; mais au fonds cela n’importe pas tant, que vous deuiez à cela prés manquer de trauailler ; et la verité ſe découure touſiours bien.

Page 32, l. 4. — Le Père Charles de Condren (Clerselier imprime : Gondran), de l’Oratoire, était alors à Nancy. Le 30 octobre, toujours absent, il fut élu général de la congrégation, en remplacement du cardinal de Bérulle, mort à Paris le 2 octobre. Ferrier ne devait annoncer cette mort à Descartes que dans sa lettre du 26 octobre (ci-après XII) : il s’agissait en tout cas pour lui d’obtenir un logement au Louvre, faveur au reste accordée à nombre d’artistes, etc. Descartes (ou Mersenne au nom de Descartes) l’avait probablement recommandé au P. de Condren, qui avait accès à la Cour, comme confesseur de Monsieur. Gaston d’Orléans s’intéressait d’ailleurs lui-même à toutes sortes de curiosités scientifiques.

Page 33, l. 14. — Le 25 octobre 1634, Jacques de Valois, trésorier de France en Dauphiné, s’adresse encore à Morin pour traiter d’un travail avec Ferrier : « Si Monsieur Ferrier trauaille après les instrument mathematiques, et qu’il vueille prendre la peine de m’en faire, ie les luy payeray conuenablement. Vous en serez le iuge. » Morin répond le 22 novembre : « I’ay parlé à Monsieur Ferrier pour vous faire des instrumens, qui m’a dit qu’il y trauaillera, et que seulement vous preniez la peine de mander quel instrument vous desirez, et de quelle grandeur, et on en fera le marché. » (Lettres escrites au Sr Morin par les plus celebres astronomes de France, approuuans son inuention des longitudes, etc. Paris, 1635, p. 28 et 43).

Page 33, l. 26. — Cf. La Dioptrique, Discours dixiesme, p. 142 et suiv. de l’édition de 1637. — La ligne CD, entraînée par le mouvement de l’axe AB, décrit une portion de surface conique de révolution autour de cet axe. La ligne EF (1° figure), liée à CD, reste parallèle à AB et dans le plan perpendiculaire à celui de la figure. Chacun de ses points décrit donc un arc d’hyperbole. Dans cette première figure, la ligne CD est supposée glisser sur elle-même (la pièce qu’elle représente traversant l’axe entaillé en C) ; dans la seconde figure au contraire, CD est invariablement fixée à AB, mais le lieu du point L, où CD rencontre le plan perpendiculaire suivant MN à celui de la figure, est toujours un arc d’hyperbole.


XII.
Ferrier a Descartes.
Paris, 26 octobre 1629.
Texte de Clerselier, tome III, lettre 100, p. 558-569.
Monſieur,

Parmy tant de rencontres que ma mauuaiſe fortune oppoſe à toute heure à mes deſſeins, ie ne ſçaurois receuoir vne plus grande conſolation que les témoignages que vous me donnez de la continuation de voſtre bien-veillance, que ie cheris au delà de tout ce 5 qui ſe peut dire. Ie feray tout mon poſſible pour m’en ſeruir vtilement, & taſcheray de me tirer d’où ie ſuis, s’il m’eſt poſſible, pour pouuoir vacquer plus commo- dément à preparer ce qui eſt neceſſaire pour le trauail des verres, ſuiuant vos bonnes inſtructions, que ie penſe entendre aſſez bien.

Et puisqu’il vous plaiſt m’ordonner de vous en 5 écrire, comme ſi i’eſtois en eſtat de vous inſtruire de nouueau, ie vous diray donc qu’il me ſouuient tres-bien de la conſtruction de la machine que vous m’auez cy-deuant décrite, laquelle 10 conſiſte en trois pieces principales : ſçauoir l’axe A B, qui tournoit en rond ; la piece C D, qui ſe mouuoit au trauers de l’axe A B ; et 15 le cylindre E F, qui couloit entre les deux planches G H & I K, & deuoit tailler le verre auec l’vne de ses extremitez E ou F. A preſent 20 vous deſirez que cette machine ferue ſeulement pour tailler des lames d’acier de la figure qu’eſt P N O M, pour ſeruir comme le fer d’vn rabot, en ſorte que P N O, qui doit eſtre la partie tranchante, ſoit taillée ſelon la ligne qu’on deſire. Vous 25 voulez qu’on retienne de la machine precedente l’axe A B & la piece| C D, & que cette piece demeure ferme auec l’axe A B, en ſorte qu’il n’y ait que le mouuement circulaire en toute la machine, & qu’on ne ſe ſerue plus du cylindre E F ; d’autant que lors qu’on tourne 30 l’axe A B, la partie de C D qui ſe rencontre entre les deux planches, à ſçauoir L, y décrit exactement voſtre ligne ; et appliquant la lame NM ferme entre les deux planches, contre la partie L de la pièce C D, elle prend la figure que cette partie L luy donne ; c’eſt pourquoy cette partie L doit auoir la forme, & doit eftre de matiere propre pour limer & vſer la lame P N O de la 5 figure qu’on deſire ; et quand cette lame eſt ainſi limée & vſée, il faut appliquer vn autre bout à l’endroit L, qui puiſſe en adoucir & aiguiſer vniment le tranchant.

Il me ſemble que ces lames peuuent eſtre taillées par les deux bouts, pour ſeruir aux 10 deux lignes neceſſaires ; mais ie croy qu’il faut deux differentes machines en grandeur, & que le coſté M de la premiere lame peut ſeruir à tailler les roües pour faire le concaue des 15 verres, & le coſté P N O le conuexe.

Ie trouue vne difficulté en cét endroit, ſur ce que vous deſirez que la piece C D demeure ferme à l’axe A B, & qu’il n’y ait que le mouuement circulaire en toute la machine, & que vous dites en fuitte, que la partie de 20 la pièce C D, qui ſe rencontre entre les deux planches G H et I K, à l’endroit L, donnera la figure hyperbolique requiſe à la lame N M, eſtant appliquée fermement entre les deux planches. Car vous ne dites pas qu’il ſoit beſoin que 25 la pièce C D ſoit prolongée vers a D[18], & qu’elle paſſe au delà de l’épaiſſeur des deux planches, qui pour cét effet doiuent eſtre refenduës plus que de l’épaiſſeur de la piece C D, & à peu prés de la 30 gran- deur de la | ligne qui ſe trace ſur la lame P N O, ainſi qu’il eſt marqué dans cette figure. Car ſi la piece C D n’a le mouuement libre au trauers de l’axe A B, il ne ſe peut faire qu’en tournant l’axe A B, cette piece ne 5 hauſſe & ne baiſſe, comme le cylindre de la premiere machine la contraignoit de faire ; et tournant ainſi circulairement, eſtant attachée fermement à l’axe A B, elle ne ſçauroit toucher ſur le plan des planches qu’en vn point au milieu, à l’endroit de l’axe de la ligne 10 requiſe, au point N, à moins qu’on ne hauſſaſt la lame N M pardeſſus les planches & le point L. Mais ſi vne b fois toutes choſes ſont bien diſpoſées pour pouuoir tailler les lames N M ſuiuant la ligne hyperbolique concaue PNO, ainſi qu’il eſt repreſenté dans la ſeconde 15 lame, en ſorte qu’elles puiſſent ſeruir à faire prendre à la roüe Q la meſme ligne hyperbolique conuexe, ie ne doute point qu’en changeant ſeulement la diſpoſition de la pièce C D, & la faiſant pancher, par exemple, de droite à gauche, au lieu qu’elle eſtoit auparauant panchée de gauche à droite, ie ne doute point, dis-ie, qu’en faiſant mouuoir la machine comme auparauant, on ne puiſſe tailler, à l’autre extrémité des lames N M, d’autres lignes hyperboliques conuexes, ſemblables à la ligne hyperbolique concaue P N O, qui pourront 25 ſeruir à donner à d’autres roües Q la forme hyperbolique concaue. Car entre les lignes P N O, qui ſe peuuent faire ſur les lames d’acier N M, à l’oppoſite l’vne de l’autre, celles qui ſont propres à tailler le concaue des roües Q, n’ont en ſoy que la ligne du 30 conuexe ; et celles qui peuuent tailler le conuexe des roües, n’ont en ſoy que la ligne du concaue. Ie remar- que encore, que ſuiuant voſtre inſtruction les roües qui ſeruent à tailler les verres concaues doiuent eſtre plus petites que les autres ; mais il me ſemble que cela ſeroit inutile à voſtre deſſein, & qu’il faudroit differentes machines, ſelon les differentes grandeurs, 5 pour tracer les deux lignes neceſſaires.

c Il me ſemble auſſi qu’il n’eſt pas neceſſaire de faire deux planches ; il ſera plus facile d’ajuſter à vne seule les lames |N M, ſuiuant la ligne VX, que ſi elles eſtoient couuertes d’vne autre planche ; et ces lames ſe peuuent 10 plus aiſément affermir par des vis, ou autres inuentions qui me font aſſez communes à inuenter, que par des planches.

Ie remarque encore, touchant les deux figures de la roüe Q que vous 15 m’auez enuoyées, qu’il ne faut pas dans la premiere figure que la lame N M ſoit repreſentée couchée comme 20 elle eſt ſur le plat ; car vous auez repreſenté cette roüe dans cette premiere figure pour eſtre veuë en ſa largeur, & non pas en ſon épaiſſeur ; c’eſt pourquoy il faut ſeulement 25 preſenter à la veuë l’épaiſſeur de la lame N M, & non pas le plat ou ſa largeur. Mais dans la ſeconde figure il eſt neceſſaire de faire paroiſtre la largeur de la lame, parce que la roue y paroiſt en ſon épaiſſeur.

d Ie trouue en ſuitte vne autre difficulté, ſçauoir, que 30 pour donner vn tranchant vny à la lame N M, vous voulez qu’on faſſe d’autres pieces ſemblables à C D en longueur & épaiſſeur, mais taillées diuerſement, pour ébaucher & acheuer la ligne neceſſaire. Ie trouue tres-difficile de les pouuoir faire tellement ſemblables 5 qu’elles puiſſent conuenir l’vne à la place de l’autre, pour les attacher à l’axe A B, ſans prendre vne nouuelle inclination, ſi l’on ne trouue moyen de le pouuoir faire, & de rectifier ce qui pourroit l’empeſcher : et meſme par la friction qui ſe fait de ces choſes, où le 10 dur frotte contre le moins dur, il ſe fait voye entre deux par la limaille qui en ſort, ce qui empeſche que l’inclination requiſe ſe puiſſe conſeruer, ſi l’on n’approche ſans ceſſe ces choſes|l’vne contre l’autre, à proportion de la reſiſtance du fort contre le foible.

15 D’ailleurs au lieu des petites limes d’acier qu’il faut appliquer au point L de la piece C D, il eſt neceſſaire d’y appliquer des pierres à éguiſer pour donner le dernier tranchant aux lames N M. Or ces pierres doiuent eſtre douces, & partant elles diminuent facilement, 20 & s’vſent à l’ouurage, en rencontrant des choſes plus dures qu’elles, comme ſont ces lames N M. Car bien que ces lames doiuent eſtre trempées après auoir receu leur premiere figure par ces petites limes, elles ne ſont pas neantmoins en eſtat de coupper ; car apres 25 la trempe, le feu ayant émouſſé le vif-arreſte du tranchant, il eſt neceſſaire de leur en donner vn nouueau par le moyen des pierres à éguiſer.

Ie vous ſupplie, Monſieur, de me donner voſtre auis ſur ce qui ſe peut faire pour rectifier les inconueniens 30 que i’apprehende en ces applications.

Apres, vous ſouhaitteriez que l’on choiſiſt quelque matiere douce qui fuſt propre à manger & polir le verre, comme ſont certaines pierres ſemblables à de l’ardoize, dont on ſe ſert à faire vn tranchant fort delicat, & vous voudriez qu’on en fiſt la roüe Q, comme les roües des émouleurs de couteaux, et qu’appliquant 5, contre, vne ou pluſieurs lames d’acier ſemblables à N M, on luy donnaſt tout autour exactement ſelon ſon épaiſſeur la figure de la ligne P N O, en tournant la roüe Q ſur fon centre, comme il eſt marqué dans vos deux figures, 10 qui les font voir de deux diuers ens. Et cette roüe ainſi taillée, vous voudriez qu’on appliquaſt contre le 15 verre R mis fur le tour ordinaire S, & qu’il tournait ſur ſon centre, pendant qu’en meſme temps la roüe Q tourneroit auſſi ſur le ſien ; et cela eſtant, cette roüe caueroit le 20 verre ſelon la ligne P N O tres-exactement, par le moyen de ces deux mouuemens differens, & mangeroit le centre du verre auſſi bien que les extremitez.

Et afin que cette roüe, qui doit eſtre de matiere douce, | puſt conſeruer son exacte figure, vous voudriez 25 auſſi qu’en meſme temps qu’elle tourneroit pour tailler le verre, la lame N M (vne ou pluſieurs) demeurſt touſiours ferme contre elle, pour l’entretenir dans ſa figure. Vous dites auſſi que le diametre de la roüe Q ne doit point exceder certaine proportion (laquelle 30 vous me faites eſperer), mais qu’encore qu’il ſoit plus petit, il n’importe. Enfin vous dites qu’il faut auſſi obſeruer que la ligne N M, qui fait le milieu de la lame P N O M, doit eſtre exactement parallele à l’axe A B de la première machine, & que la ligne perpendiculaire 5 qui tomberoit de l’axe A B ſur les planches G H & I K, tombe iuſtement ſur cette ligne M N. De plus, aux e dernieres figures, il faut que la meſme ligne N M prolongée paſſe iuſtement par le centre de la roüe Q & ſe rencontre faire vne ligne droite auec l’axe R S, ſur 10 lequel tourne le verre.

Or, Monſieur, puiſque vous me donnez la liberté de vous propoſer mes difficultez pour bien entendre voſtre deſſein, & pour m’inſtruire, vous me permettrez de vous dire mon opinion ſur tout ce que deſſus, 15 afin que vous iugiez ſi ie le comprens ; ie vous prie meſme de m’excuſer, ſi ie ne m’explique pas aſſez nettement, le dis donc que i’eſtime auoir clairement compris l’inuention de vos machines, comme auſſi celle de la roüe Q, & la differente façon dont ſe 20 meuuent la roüe & le verre qui eſt attaché au tour R S, pour empeſcher qu’il n’arriue le défaut ordinaire du point en relief, qui ſe fait dans le centre des verres, en tournant l’axe du modele ſur l’axe du verre, à cauſe que ſur ce centre il n’y a point de mouuement qui 25 puiſſe agir, & qui le puiſſe manger | & vſer, comme ſe mangent & s’vſent les autres parties qui s’en éloignent. Toutes ces inuentions que vous me donnez ne peuuent venir que de vous. Ie dis ſeulement qu’il y a telle matere que vous auez crû pouuoir ſeruir à vos 30 ouurages, qui n’eſt pas propre à vſer & manger parfaitement le verre.

Premierement, pour la matiere de la roüe Q, il n’y a aucune ſorte de pierre, quand ce ſeroit meſme du diaman, qui puiſſe manger le verre, ſans mettre entr’elle & le verre vne matiere qui mange & qui ſe broye entre deux, comme le grez ou l’aimery, leſquelles choſes 5 mangeroient bien plus de la roüe que du verre, comme eſtant plus tendre, & à chaque verre l’on vſeroit vne roüe entiere ; et quelque dureté que la trempe euſt donnée aux lames N M qui ſeroient appliquées contre la roüe, elles s’vſeroient encore dauantage, 10 puiſque le verre eſt plus dur que tout cela. Et de plus, ces lames N M ne ſçauroient frayer tant ſoit peu contre aucune ſorte de pierre à éguiſer, ſi douce qu’elle fuſt, que cette pierre par ſon mouuement ne mange prompttement le tranchant de la figure qui luy auroit eſté 15 donnée, & ainſi ce ſeroit la roüe qui donneroit la figure au fer, au lieu qu’il faut tout le contraire.

Ie me perſuade auſſi que la roüe Q, diminuant en ſa circonference à meſure qu’elle s’vſeroit (bien qu’elle puiſſe conſeruer la figure neceſſaire en ſon épaiſſeur) 20 creuſeroit diuerfement les verres, les ſeconds plus que les premiers, & ainſi de fuitte, puiſque les cercles prés de leurs centres ſont moindres & plus voûtez f que ceux qui en ſont plus éloignez. Ie ne ſçay pas ſi en cela il pourroit y auoir du défaut pour l’effet des 25 verres, puiſque vous m’auez dit qu’il n’importe pas pour la petiteſſe de la roüe ; mais pour la grandeur il y doit auoir, dites-vous, vne proportion que vous me faites eſperer de me donner.

Nonobſtant tout cela, il me ſemble qu’on peut reparer 30 vne partie de ces difficultez par les moyens dont ie voudrois me ſeruir, que ie ſoûmets à voſtre cenſure. Ie dis donc en premier lieu, que la maniere de ſe ſeruir de la ſeconde machine, pour donner la ligne qu’on deſire aux lames N M, eſt | tres-excellemment inuentée, 5 pourueu qu’on trouue moyen de rectifier ce qui deperit de la matiere par la friction du mouuement, ſoit qu’on s’en ſerue pour tailler les lames, ou pour tailler la roüe Q, que ie voudrois faire de laton ou de fer, afin qu’elle puſt conſeruer plus long-temps la figure que la 10 lame N M luy auroit donnée ; et quand ſa figure ſeroit gaſtée, on la pourroit reparer auec la meſme lame ou vne autre ſemblable. Mais cette roüe Q, de laton ou de fer, doit eſtre poſée & auoir ſon mouuement au deſſus du verre, lequel doit auoir le ſien par deſſous ; et ie 15 le donneray auſſi facilement de cette ſorte, que s’il eſtoit de coſté, par vne façon que i’ay penſé ſe pouuoir executer, & faire que la roue & le verre tourneront diuerſement & également à la fois par le mouuement du pied, ſans qu’il ſoit 20 beſoin d’aucune roüe dentelée, ny de g pignon, qui font vn mouuement tremblant, à cauſe des dents de la roüe qui s’engrennent dans celles du pignon. Or il eſt neceſſaire que le verre ſoit 25 ainſi poſé, afin que les matieres qu’on met entre deux pour l’vſer, & que l’on arrouſe d’eau ou d’huile, ne ſoient pas ſi-toſt emportées par le mouuement de la roüe, & ſe conſeruent plus longuement dans le creux du verre, que s’il eſtoit poſé de coſté contre la roüe Q.

30 De plus, ie preparerois les verres par quelqu’autre voye commune pour leur donner à peu prés la ligne qu’ils doiuent auoir, ſans me ſeruir de la roue ny du tour que pour leur donner la derniere & exade figure. Car ie trouue aſſez d’affaires à bien tailler les lames N M, qui ſe peuuent dejetter ou courber à la trempe ; outre que ie croy eſtre tres-neceſſaire de faire que le 5 plan P N O ſoit bien droit ſur le tranchant, autrement il arriueroit des fautes dans la ligne.

Il me ſouuient auſſi que vous ne m’auez iamais dit qu’il fuſt neceſſaire de faire de grands concaues, mais pluſtoſt qu’il les faut petits. Cela eſtant, ie ne trouue 10 point de diffi culté à faire la roüe (pour petite qu’elle ſoit) auec ſon axe tout d’vne pièce, pour luy donner vn mouuement aſſuré. Ce qui ne ſe pourroit faire ſi la roüe eſtoit de pierre, à cauſe que la roüe & l’axe ne pourroient eſtre que de deux pieces. 15

Ie n’ay pas compris que les figures des roües Q, quoy que diſpoſées de deux diuers ſens, fuſſent faites pour tailler les verres conuexes ; car ie croy que pour cela elles doiuent eſtre taillées & creuſées en forme de poulie, comme eſt la figure cy-jointe. Et les lames 20 N M, qui les doiuent creuſer, doiuent eſtre preſentées à la lime L D du coſté de H I, pour receuoir d’elle leur ligne ou leur figure ; et la lime L D doit eſtre panchée de G vers I. Et cette forte 25 de roüe ne ſçauroit vſer le verre conuexe en meſme temps que l’autre vſe le concaue ; car il ne fraye contre, que comme vne ligne trauerſante le diametre du verre ſeulement. Neantmoins elle mangera 30 touſiours mieux le point qui ſe fait au milieu, en tour- nant l’axe du verre contre celuy du modele concaue, comme i’ay dit cy-deuant, ce qui ſeruira à diſpoſer le verre à reparer le défaut de la roüe. Mais il ſe peut h faire, ſi le verre conuexe eſt d’vne grande eſtenduë, que l’vſage de la roüe ſera inutile ; car comme le frayement eſt plus grand vers ce qui eſt loin du centre, que 10 vers ce qui en eſt prés, la matiere que l’on met entre deux pour vſer, eſt traiſnée plus long-temps par le cercle a a que par b b, & mange par conſequent plus en faiſant vn grand tour qu’en faiſant vn petit, & ainſi le verre & le modele ſe 15 mangent, & perdent leur figure n’eſtant pas en vn meſme tour vſez également. Il eſt encore à remarquer, que la matiere qu’on met entre deux pour vſer le verre, eſt em|portée incontinent par le mouuement de la roue, & y demeure moins qu’en l’autre roue.

20 Ie vous propoſe toutes mes difficultez, afin de me pouuoir inſtruire, & qu’il vous plaiſe m’en éclaircir & me mander par meſme moyen, ſi les i verres eſtant faits, & mis dans des eſſais, il eſt neceſſaire que toutes leurs 25 parties demeurent découuertes, ſans amoindrir leur figure par vne carte miſe au deuant, auec vn trou moindre que le diametre des verres ; parce que m’étant voulu ſeruir des petits verres conuexes que vous auez veus, 30 pour mettre à vne lunette à puce, i’ay trouué qu’elle fait mieux n’y laiſſant qu’vn petit eſpace découuert au milieu, & que les objets ſe voyent plus diſtinctement.

Toutes ces difficultez ne m’eſtonnent pas beaucoup, car auec voſtre aſſiſtance i’eſpere les ſurmonter, & faire voir que ie ſçauray mieux faire que dire. 5

Il me reſte encore vn doute que ie ne ſçaurois laiſſer en arriere, touchant la manière requiſe pour trouuer la ligne neceſſaire par les triangles & mon cadran, k qui eſt de ſçauoir ſi deux triangles de verre d’vn meſme diaphane eſtant differens, & faiſant par conſequent 10 differentes refractions ſur la ligne diuiſée qui arreſte le rayon audit cadran, on traçoit deux modeles conformes aux différentes lignes des refractions, ſçauoir, dis-ie, ſi l’effet des deux verres peut eſtre ſemblable, comme pour brûler en vn point déterminé ſuiuant 15 vos regles.

Vous m’auez enſeigné que les triangles peuuent eſtre conſtruits de tel angle que Ton veut à diſcretion ; ie ne ſçaurois en faire l’épreuue, car les triangles que i’ay à preſent font tous ſemblables ; ie vous ſupplie de 20 me reſoudre ce point. Ie ſçay bien auſſi que vous m’auez dit que tous les petits verres concaues peuuent ſeruir à tout grand verre conuexe. I’ay perdu vn morceau de papier ſur lequel vous|m’auiez tracé la façon de décrire la ligne requiſe auec le compas ordinaire, 25 en cherchant pluſieurs points par où elle doit paſſer.

Monſieur Mydorge propofe vn moyen qu’il a de tracer la ligne neceſſaire pour brûler à vn point qu’il determinera à tout verre donné, ſans rien perdre de ſon diametre ny de ſon épaiſſeur au milieu, & dit que 30 luy ſeul en a trouué l’inuention. Ie ſçay que ce ſecret ne vous eſt pas inconnu, & que ledit ſieur n’en ſçait que ce que vous luy en auez appris. Si vous iugiez que ie peuſſe le comprendre, vous m’obligeriez grandement de me le communiquer à voſtre commodité. 5 Mais il adjoûte qu’on luy fourniſſe vn homme qui ſçache tailler le verre exactement. I’eſtime cette derniere condition autant difficile que tout le reſte, s’il ne fait forger de nouueaux ouuriers faits exprés & de commande, n’eſtimant pas qu’il en trouue à ſa mode 10 pour le preſent. Il m’eſtime ſi peu, qu’il ne croit pas que i’aye aſſez d’eſprit pour entendre & entreprendre de moindres choſes, puis qu’il le dit en ma preſence. I’auoüe mon inſuffiſance, qui doit eſtre excuſée, n’ayant iamais elle inſtruit en quoy que ce ſoit que 15 par vous, Monſieur, à qui ie veux deuoir toutes choſes. Ce mépris neantmoins ne ſçauroit tellement me rebuter, que ie ne ſente aſſez d’inclination en moy pour goûter & comprendre les veritables connoiſſances des ſciences qui me pourroient eſtre communiquées 20 par des perſonnes de voſtre merite, tant i’ay d’ambition de me faire connoiſtre par quelque choſe au delà du commun ; ce qui me donne quelque ſorte de courage pour chercher les moyens de ſurmonter beaucoup de difficultez qui ſe rencontrent dans les operations 25 des ouurages exquis. Ne faites pas, s’il vous plaiſt, pareil iugement de moy qu’en fait Monſieur Mydorge ; i’eſpere tant de voſtre affection, que vous voudrez bien auoir le contentement de ſçauoir que vous m’aurez donné tout ce que ie poſſederay ; et ſi ma 30 mauuaiſe fortune m’oſte les moyens d’en vſer vtile-

3-4 grandement] beaucoup Inst.

ment, elle ne m’oſtera pas l’affection que i’ay de reconnoiſtre par mes tres humbles ſeruices les | infinies obligations que ie vous ay, & d’auoüer par tout cette verité. Ie ſuis…

L’exemplaire de l’Institut porte en marge l’annotation finale : « Il faut insérer a la fin de cette lettre un grand fragment que j’ay écrit dans la page 203 de mes collections. » Baillet (t. I, p. 185) dit également : « Voyez la seconde partie de cette lettre [du 26 octobre] que M. Clerselier n’a pas fait imprimer, et qui est restée manuscrite » en marge du texte suivant : « Il luy [Ferrier à Descartes] témoigna vouloir incessamment se mettre en état de travailler sur ses instructions tant pour les modèles et les machines qu’il luy avoit décrites, que pour la taille des verres dont il luy avoit prescrit la manière. »

Plus loin (t. I, p. 193) Baillet, parlant de la mort du cardinal de Bérulle ajoute encore : « Voiez la lettre MS. de Ferrier à Descartes du 26 octobre 1629 » en regard de son récit : « Ce saint homme tomba saisi du mal à l’autel disant la messe le 2 jour d’Octobre 1629 dans l’hôtel du Bouchage, et fut porté sur un lit dressé à la hâte, où il expira sur l’heure âgé seulement de 55 ans. » Après avoir rappelé, entre autres choses, les efforts de Bérulle pour rétablir l’union entre la Reine-mère Marie de Médicis et le Roi Louis XIII, Baillet continue (t. I, p. 194) : « Cet empressèment qu’il avoit fait paroître pour la paix de la famille royale n’avoit pas été fort agréable au Cardinal de Richelieu, qui pour le lui faire connoître avoit trouvé moien de lui procurer quelque petit chagrin à la Cour. En effet, le Cardinal de Bérulle (selon le récit que le sieur Ferrier en fit à Descartes),

« étant à Fontainebleau deux ou trois jours avant 5 ſa mort, & ayant remarqué que le Roy ne l’avoit pas vû de bon œil, s’en étoit revenu sur l’heure à Paris avec un ſaiſiſſement, auquel on attribua l’accident de sa mort. »

 » Ce qui donna lieu à certains plaisans du nombre de ceux qui vivoient à la mode du siècle de dire que M. le Cardinal de Bérulle ne seroit pas canonisé, parce qu’il n’étoit pas mort en grace. »

Inutile d’ajouter que Baillet s’élève avec vivacité contre ces bruits.

XIII.
Descartes a Ferrier.
Amsterdam, 13 novembre 1629.
Texte de Clerselier, tome III, lettre 101, p. 569-582.
Monſieur,

Vous m’auez fait plaiſir de me déduire tout au long vos difficultez ſur ce que ie vous auois mandé, & ie taſcheray d’y répondre ſuiuant le meſme ordre que 5 vous les propoſez. I’ay marqué auec des lettres A, B, C, les points auſquels ie répons, afin que vous les puiſſiez reuoir dans la lettre que vous m’auiez écrite.

Ie ſuppoſois ce que vous dites, que la ligne C D a paſſoit au trauers des deux planches ; et pour cela 10 i’auois mis le point D beaucoup plus bas que L, qui eſt celuy que ie faiſois rencontrer entre les deux planches.

Tout ce que ie vous auois écrit n’eftoit que pour le b verre concaue, afin de ne vous pas broüiller du 15 commencement ; mais ie ſuis bien aiſe que vous l’ayiez rapporté au conuexe, pour lequel toutesfois il faudra de beaucoup plus grandes machines.

Il eſt vray qu’il n’y faut point deux planches, s’il c vous eſt plus commode autrement, et ie ne les auois 20 laiſſées, que pour vous mieux faire entendre ma penſée. Toutesfois vous deuez remarquer que le tranchant P N O doit eſtre en vne ſuperficie parfaitement platte, autrement il ne prendroit pas la figure requiſe. Et pour ce que ce tranchant ſe fait non pas contre la planche V X, lorsque la lame N M eſt appliquée|deſſus, mais au deſſus vers l’axe A B, & que la piece C D, en limant la ligne P N O, pourroit courber la ſuperficie 5 platte P N O M, ie ſuis d’aduis que vous appliquiez donc encore au deſſus de la lame N M quelqu’autre piece platte de cuiure ou autre matiere, qui meſme ſe 10 lime auec la ligne P N O, ou bien qui en ait deſia la figure, afin d’empeſcher que la lame ne ſe courbe ; ou ſi vous l’aimez mieux, il faut appliquer les lames N M au deſſous de la planche V X, & non pas au deſſus. (Cecy eſt pour le verre concaue ſeulement ; car au 15 conuexe, le tranchant de la ligne P N O eſt contre la planche V X, & deſſus.) Il faut auſſi remarquer icy que la lame N M, en quelque façon que vous l’affermiſſiez ſur la ligne V X, n’y doit pas eſtre tout à fait immobile, mais qu’il faut que quelque poids ou reſſort la preſſe 20 continuellement contre la lime L D ; car ſi elle eſtoit immobile, & que L D ne s’auançaſt point auſſi vers elle, comme elle ne le doit pas, elle ne pourroit eſtre taillée.

d Toute l’importance eſt de bien acheuer la lame 25 N M. Toutesfois ie croy que ſi elle n’a eſté bien taillée auant la trempe, il ſeroit preſque impoſſible de la racommoder par apeès ; c’eſt pourquoy ie vous conſeille d’ébaucher meſme les lames N M, auec cette machine. Et ie ne trouue pas qu’il y ait tant de 30 difficulté à changer la piece C D, et en mettre vne autre qui garde la meſme inclination, par le moyen d’vn petit modele de cuiure Z ou Z Z, qui ſoit taillé ſelon l’angle de l’inclination, comme Z, ou bien ſelon ſon complement, comme Z Z. Car vous deuez remarquer 5 qu’il n’eſt pas neceſſaire que toute la ligne C D garde cette inclination. Ie vous auois tracé les lignes A B & C D toutes nuës, comme des lignes mathematiques, pour vous faire mieux comprendre les fondemens de la machine ; mais vous les pouuez faire tout 10 d’vne piece, ou comme vous voudrez, pourueu ſeulement que la partie qui doit eſtre taillée en | lime, à ſçauoir L D, garde l’inclination requiſe. Encore que ie ſois fort mauuais peintre, vous entendrez peut-eſtre bien mes figures.

15 La premiere eſt pour le verre concaue, où la piece C L Y D tourne ſur les deux poles A & B ; la ligne V X marque la planche que vous auez tracée dans voſtre lettre, laquelle doit eſtre parallele à l’axe A B, & percée en ſorte que Y D paſſe par deſſous ; la ligne 20 L D eſt ce qui doit eſtre taillé en lime, pour tailler les lames N M ; et cette ligne L D doit eſtre affermie aux points L & D, ainſi qu’il vous ſera plus commode, ou par des vis, ou autrement. Au reſte vous donnerez à L D l’inclination requiſe par le moyen de voſtre 25 triangle Z Z, vn coſté duquel vous appliquerez ſur | la ligne V X, au lieu où eſt N M, en forte que l’autre ſe rapporte iuſtement contre L D. Vous ferez le meſme auec le triangle Z pour le verre conuexe, où il n’y a de difference que pour la grandeur de la machine, 30 laquelle ſe meſure par la diſtance qui eſt entre les lignes A B & V X. Laquelle machine, pour le petit verre, c’eſt à dire pour le verre concaue, ne doit pas eſtre de plus de deux ou trois pouces, ny par conſequent le demy-diametre de la roüe Q, ainſi que ie diray cv-apres[19] ; et les poles A & B peuuent eſtre ſoûtenus ſur des pieces qui deſcendent vers la planche V X. 5 Mais pour le verre conuexe, il faut que depuis A B iuſques à V X il y ait huit ou dix pieds de diſtance, au moins pour les plus rares effets. C’eſt pourquoy les poles A & B doiuent eſtre appuyez au plancher de la chambre où vous trauaillerez, à quelque poutre qui ſoit bien ferme ; ie dis bien ferme, car le moindre trem- 10 blement oſteroit toute la iuſteſſe de la ligne. Vous pouuez, au lieu d’attacher cette ſeconde machine au plancher de la chambre, la coucher tout du long ſur vne table, ou fur quelqu’autre choſe, & ie croy que 5 ſon mouuement ſera plus aſſuré en cette ſorte ; & il faut que la piece C L Y D ſoit de telle groſſeur et de telle matiere qu’elle ne plie en aucune façon. Il n’y a rien à conſiderer en ces machines que les trois lignes A B, L D & V X, ou pluſtoſt la lame N M poſée ſur V X, 10 dont la ſuperficie doit eſtre exactement platte du coſté qu’elle doit trancher. Pour tout le reſte de la machine, faites-le gros ou petit, droit ou courbé, il n’importe. Or, ſi vous trouuez encore de la difficulté à mettre les pièces L D ſelon l’inclination requife, i’ay à 15 vous dire pour vous conſoler, & afin que vous ne laiſſiez pas d’ébaucher les lames N M auec ces machines, qu’encore meſme que l’inclination n’y fuſt pas exactement obſeruée, toutesfois là ligne que vous traceriez ſeroit ſans comparaiſon plus propre à tailler les 20 verres, que toutes celles que vous ſçauriez faire autrement ; et meſme il ſeroit par après beaucoup plus aiſé de luy donner la vraye figure, que ſi vous l’auiez ébauchée autrement.

|Ce qu’il y a de plus icy à remarquer, c’eſt que 25 la piece L D taillée en lime ou autrement, laquelle ie vous ay fait iuſques icy conſiderer comme vne ligne 30 ſimplement, peut eſtre aſſez grotte, & taillée en rond comme vn cylindre pour le petit verre ; mais pour le conuexe, elle doit auoir vne ligne droite au milieu, comme vne areſte, plus releuée que le reſte, & ſes deux coſtez doiuent eſtre vn peu creuſez en rond, afin qu’en ſe mouuant, les coſtés ne défaſſent pas la figure qui doit eſtre donnée ſeulement par la ligne du milieu, 5 laquelle doit croiſer iuſtement la ligne V X, lors que la machine n’eſt point remuée. Et pour ne point faillir, vous deuez imaginer que Taxe indiuiſible A B, ſur lequel tourne la machine, la ligne V X ou N M, & cette ligne qui eſt la plus auancée ſur la 10 lime L D, doiuent toutes ſe rencontrer en vn meſme plan, lequel vous imaginerez tomber à plomb & à angles droits ſur la planche H G K I. 15

e Ie m’eſtonne que vous n’ayez point trouué de difficulté à faire que les lames N M puiſſent tailler la roüe Q, eſtant poſées toutes droites ſur cette roüe, car de cette ſorte elles ne peuuent faire que racler, & non point coupper, comme font les rabots des menuiſiers, 20 le fer deſquels eſt couché de biais, & ſans cela ils ne s’en pourroient ſeruir. Mais il y a moyen de faire auſſi des lames N M, leſquelles eſtant couchées, ainſi que le fer des rabots, auront le meſme effet que les precedentes qui ſeroient toutes droites. Il faut ſeulement 25 changer en vos machines l’angle de l’inclination pour la ligne L D, ſelon la proportion que ie vous écriray à la fin de cette lettre, ſi i’en ay le loiſir.

f Vous deuez ſçauoir que la roüe qui taille le verre concaue | ne le doit toucher que d’vne ſeule ligne, non 30 plus que celle qui taille le conuexe, laquelle vous auez fort bien compriſe, ſans que ie vous en euſſe rien écrit. Or c’eſt pour cette raiſon que la roüe Q ne doit pas exceder certaine grandeur ; car vous ſçauez que la circonference 5 des petits cercles eſt plus courbe que celle des grands, comme vous voyez au point F ; et ſi la circonference eſtoit moins courbe que la ligne P N O, ce ſeroit elle qui donneroit la 10 figure au verre, & non pas P N O ; et ainſi le verre ſeroit ſpherique ; mais il faut quelle ſoit plus courbe que P N O, ſans qu’il importe de combien. Seulement faut-il obſeruer pour ſa plus iuſte grandeur, que le demy-diametre de la roüe Q n’excède pas la hauteur 15 qu’il y a en la premiere machine, depuis la planche V X iuſques à l’axe A B, c’eſt à dire deux ou trois pouces, & qu’il ſoit pluſtoſt vn peu moindre. Pour le conuexe, faites la roüe grande ou petite, il n’importe pas.

20 I’approuue bien que la roüe Q ſoit de telle matiere g que vous iugez à propos, & que le tour ſoit tourné ainſi que vous le trouuez plus commode. Mais il faut remarquer que les mouuemens 25 du tour & de la roüe Q ne doiuent point eſtre égaux ; car, au contraire, c’eſt ce que i’eſtime vn des principaux ſecrets de tout l’artifice, qu’en rendant l’vn plus viſte & l’autre plus lent, ſelon que 30 vous iugerez eſtre de beſoin, vous pourrez perfectionner les figures autant qu’il eſt poſſible par la main d’vn homme. Mais la proportion de ces mouuemens ne ſe peut auoir que par l’vſage, c’eſt à dire, que fuſſiez-vous vn ange, vous ne ſçauriez ſi bien faire la premiere année que la ſeconde. Seulement puis-ie dire en general, que pour les verres concaues | la roüe 5 doit tourner fort viſte, & le tour fort lentement, & au contraire pour les conuexes. Il faut auſſi remarquer que la roüe Q ne puiſſe varier ny çà ny là en tournant, & toutesfois qu’elle ſoit libre de deſcendre à meſure que le verre ſe taille, & qu’elle le preſſe touſiours ; car 10 autrement elle ne le tailleroit pas. Si vous ne trouuez inuention pour cela, i’en trouueray aſſez.

H La ligne des verres conuexes ſera d’vne ſi grande eſtenduë qu’elle ſemblera à l’œil eſtre toute droite. C’eſt pourquoy vous ne deuez rien craindre pour les 15 difficultez que vous y propoſés ; car il n’eſt quaſi pas queſtion de tailler le verre, mais ſeulement de le polir, à quoy toutesfois ie ne iuge pas l’vſage de la roüe moins neceſſaire que pour les concaues. Ie veux dire qu’apres même que le verre eſt tout taillé, comme ie 20 vous l’ay veu polir auec vn morceau de cuir ou de bois, ie voudrois que ce cuir meſme, ou ce bois, ou quoy que ce fuſt, fuſt vne roüe qui eût la figure requiſe : car la iuſteſſe de cette figure doit eſtre ſi preciſe, que ie ne doute point qu’encore que le verre 25 euſt la figure auant que d’eſtre poly, toutesfois le poliſſant apres ſans machine, vous la luy pourriez oſter. D’où vient que ſi vous penſiez ſeulement appliquei contre le verre vne des lames N M, ou pluſtoſt vn modele taillé par ſon moyen, tous les défauts qui ſeroient 30 en la lame N M (car vous ne deuez pas eſperer qu’il n’y en ait point) ſeroient vn cercle de fautes, tant au modele qu’au verre ; où au contraire, ce qui eſt principalement à eftimer en la roüe, c’eſt qu’elle eſt compoſée tout autour d’vne infinité de lignes P N O toutes 5 diuerſes, en ſorte que ce qu’il peut y auoir de défaut en chacune ne touche le verre qu’en vn point ; et incontinent il ſuccede vne autre ligne qui racommode ce que la precedente a pû gaſter. Et pourueu qu’en toute la ſuperficie de la roue, il y ait plus de points 10 qui correſpondent à la vraye figure, qu’il n’y en aura d’autres, elle donnera la figure exacte au verre, ſans luy communiquer aucun de ſes défauts ; au lieu que tous les défauts qui ſont aux modeles ſe communiquent au verre. C’eſt auſſi la raiſon pourquoy|i’auois marqué 15 qu’il faut auoir pluſieurs lames N M toutes ſemblables, & ne ſe contenterpas d’vne ſeule pour tailler la roüe Q, afin que ſi l’vne manque en quelques points, l’autre ſupplée au défaut. Et il eſt probable que, ſe ſeruant ainſi de pluſieurs lames tout à la fois, on pourra faire 20 la roüe Q en ſorte qu’elle approchera fort de la vraye figure, & le verre en approchera encore dauantage. Ce que ie vous mande, afin que vous ſçachiez en quoy conſiſte l’artifice & l’vtilité de tous ces mouuemens, qui eſt, qu’encore qu’il y ait quelque choſe à redire 25 en tous vos modeles, c’eſt à dire aux lames N M & à la roüe Q, vous ne laiſſerez pas de pouuoir tailler le verre exactement.

Il eſt tres-certain que la viſion eſt touſiours plus i diſtincte, lors qu’on regarde par vn petit trou, que 30 lorsqu’on regarde par vn plus grand ; mais il n’importe pas tant que le trou ſoit grand, quand la figure eſt exacte, que quand elle ne l’eſt pas. Et il ne vous faut pas perſuader que les verres, taillez pour les grandes lunettes, ſoient bons pour les lunettes à puce. Il y a bien de la difference ; car pour celles-cy ils doiuent eſtre taillez des deux coſtez. Ie vous manderay vne 5 autre fois toutes les figures & applications des verres pour toutes fortes de lunettes ; faites-m’en ſouuenir.

k Encore que les triangles de verre d’vn meſme diaphane ſoient differens, & par conſequent qu’ils ayent differentes refractions, toutesfois, ſuiuant la methode 10 que ie vous auois donnée, ils vous donneront tous la meſme ligne, pour tailler les verres brûlans. Mais pour ce que ie voy bien que vous auez oublié vne partie de ce que ie vous en auois dit à Paris, il faut que ie me frotte vn peu le front & que ie m’efforce de vous en 15 écrire tout au long vne bonne fois.

Soit la ligne de voſtre quadran A E, le triangle de verre apliqué deſſus F G H, de quelque grandeur qu’il puiſſe eſtre, pourueu que la ligne G H d’iceluy tombe à angles droits ſur A E, afin que le rayon du soleil 20 paſſant par la pinnule I, aille tout droit iuſques à D, ſans faire de refraction en entrant dans le verre, mais ſeulement lors qu’il en fort, à | ſçauoir au point D. Remarquez donc la ligne G D F, qui repreſente l’inclination du verre, dans laquelle ſe fait la refraction, & le 25 point D, auquel elle eſt couppée par le rayon du soleil, & le point A, auquel le rayon du soleil I D A couppe la ligne de voſtre quadran. Vous auez donc l’angle A D F. Maintenant, du point D, tirez vne autre ligne D C, en ſorte que l’angle F D C ſoit égal à l’angle A D F, et par 30 conſequent que tout l’angle A D C ſoit double de l’angle A D F ; et remarquez en quel point cette ligne D C couppera voſtre quadran, ſçauoir au point C, lequel eſtant trouué, prenez la ligne C K égale à C D, et la ligne A L égale A D. Cherchez après le milieu entre 5 les points K & L, à ſçauoir B. Et ayant les trois points A B C, qui vous donnent la proportion qui eſt entre les lignes A B & B C, vous n’auez plus que faire de tout le reſte. Or cette proportion viendra touſiours ſemblable, quelque triangle de verre que vous preniez, pourueu qu’ils ſoient tous d’vn meſme diaphane.

Ayant les points A B C, vous pourrez décrire la ligne pour brûler en cette ſorte : mettez la pointe du compas au centre B, & l’ayant 15 ouuert ſi peu que vous voudrez, marquez ſur la ligne A C les deux points 20 N & O, également diſtans de B ; | après, rapportant vn pied du compas en A, & l’autre en O, tirez vne portion 25 de cercle T O V ; et tournant derechef le compas, vn pied en C, & l’autre en N, tirez vne autre portion de cercle qui couppe la precedente aux points T & V, par leſquels doit paſſer voſtre ligne, comme auſſi par le point B. Vous pouuez ainſi trouuer vne infinité de points : car mettant derechef vn pied du 5 compas en B, & l’ouurant vn peu plus que la premiere fois, vous prenez deux autres points également diſtans de B, à ſçauoir P & Q ; puis du centre A tirant le cercle X Q Y, & du centre C le cercle X P Y, l’interſection de ces deux cercles vous donne derechef les 10 deux points X & Y, et ainſi à l’infiny. Et ie croy que que c’eſt là toute la façon dont ſe ſert M. Mydorge. Vous pouuez pratiquer cela ſans mettre qu’vne fois le pied du compas en chacun des points A, B & C, à ſçauoir, ſi ayant le pied du compas en B, vous prenez 15 les points N O & P Q, et infinis autres ; puis ayant le pied du compas en A, vous tirez les cercles T O V, X Q.Y, & ſemblables ; et apres, mettant le compas en C, vous tracez les autres cercles T N V, X P Y ; cecy eſt le plus court, mais il ne ſe faut pas méprendre, & 20 marquer l’interſection d’vn cercle au lieu de l’autre Or la ligne ainſi décrite brûlera à la diſtance qui eſt depuis A iuſques à B.

Que ſi vous en voulez tracer vne qui brûle à vne plus grande ou moindre diſtance, par exemple, à la 25 diſtance de D E, cherchez E F, qui soit à D E comme B C eſt à A B, & l’ayant trouuée, ſeruez-vous des points D E F pour tracer voſtre ligne, comme vous auez fait des points A B C, c’eſt à dire que ſi vous auez vne fois la proportion qui eſt entre les lignes A B & B C, 30 par le moyen de voſtre quadran, elle vous ſeruira pour tous les verres d’vn meſme diaphane, à quelque diſtance que vous les veüilliez faire brûler. Poſons le cas que la ligne A B ſoit ſix fois auſſi grande que B C, & vous voulez tailler vn verre qui brûle à ſix pouces de 5 diſtance ; faites D E de ſix pouces & E F d’vn pouce, & décriuez voſtre ligne ſur les trois points D | E F. Si vous en voulez tailler vn qui brûle à ſix pieds, faites D E de ſix pieds & E F d’vn pied, & ainſi à quelque diſtance qu’il vous plaira.

10 Que ſi vous auez vn morceau de verre lequel vous veüillez tailler pour brûler, ſans rien perdre de ſon épaiſſeur du milieu, ny de son diametre, faites ainſi. Seruez-vous de quelque ligne pour brûler que vous ayez deſia toute tracée, par exemple de la ligne 15 hyperbolique E M, & ſur la ligne E F marquez E G, qui ſoit l’épaiſſeur du milieu de voſtre verre, & tirez à angles droits G H, qui ſoit le demy-diametre du meſme verre donné ; puis tirez vne ligne qui paſſe par les points E & H, laquelle couppera la ligne brûlante en quelque endroit, à ſçauoir en M ; tirez donc du point M vne perpendiculaire M L ; puis cherchez vne ligne qui ſoit à D E comme G H eſt à M L, & encore vne autre 5 qui ſoit à E F comme G H eſt à M L, & ſeruez-vous de ces deux lignes, au lieu des lignes D E & E F, pour tracer la ligne requiſe. Par exemple, D E eſt de ſix pouces, & G H eſt double de M L ; il faut donc prendre vne ligne | de douze pouces, à ſçauoir K L ; puis E F eſt 10 d’vn pouce, prenez donc L M de deux pouces ; et auec les trois points K L M vous tracerez la ligne requiſe pour ne rien perdre de voſtre verre, & faire qu’il brûle à la diſtance de la ligne K L. Vous m’auez fait rire de nommer cela vn ſecret ; ce n’eſt rien que vous n’euſſiez 15 fort aiſément trouué de vous-meſme, ſi vous euſſiez bien entendu ce qui precede ; et ſi vous en parlez, ie ſeray bien-aiſe que vous difſez que vous l’auez trouué de vous-meſme, ſur ce que ie vous auois dit generalement la façon de tracer la ligne ; et 20 vous pourrez dire que ce n’eſt rien qu’vne regle de trois : car vous dites, ſi la ligne M L me donne D E & E F, que me donnera G H ? et ainſi vous trouuerez K L & L M.

Mais c’eſt vn plus grand ſecret, ayant les trois 25 points A B C ou D E F, ou autres ſemblables, de trouuer par leur moyen l’angle de l’inclination que doit auoir voſtre machine ; et ie ne ſçay ſi quelqu’autre vous le pourroit dire, encore que la pratique n’en ſoit pas difficile. Elle eſt telle : cherchez le milieu entre les 30 points A & C, à ſçauoir G, & d’iceluy tirez vn cercle qui paſſe par les points A & C, | à ſçauoir A H C ; puis de B éleuez vne perpendiculaire B H, qui couppe le cercle au point H, duquel vous tirerez la ligne H G, & l’angle H G B eſt celuy que vous cherchez, ſelon lequel 5 il faudra tailler vn modele de cuiure Z, pour ajuſter l’inclination de voſtre machine ; et ſon complement eſt H G A, ſuiuant lequel vous taillerez le triangle Z Z, comme i’ay deſia dit[20].

Or tout ce que ie viens de vous dire ne ſert que pour 10 tailler les lames N M de telle ſorte qu’elles doiuent eſtre poſées toutes droites ſur la roüe Q. Mais pour ce qu’en cette façon elles ne ſeroient que racler, & que ie me perſuade que vous vous pourrez beaucoup mieux ſeruir de celles qui ſeroient couchées comme 15 le fer des rabots, conſiderez la ligne N M appliquée toute droite ſur la roüe Q ; & du point N tirez vne autre ligne N 2, autant couchée que vous deſirez que ſoit le fer de voſtre rabot ; puis du point M tirez la ligne M 2, en ſorte que l’angle N M 2 ſoit droit. Cela fait, prenez G 3 égal à N M, & G 5 égal à N 2 ; puis tirez à angles droits 3 4, qui touche la ligne G H au point 4. Apres, tirez la ligne 5 6, auſſi à angles droits, égale & 5 parallele à la ligne 3 4. Cela fait, tirez la ligne 6 G ; et l’angle 6 G 5 eſt celuy ſelon lequel vous deuez tailler le triangle Z, & 6 G A ſon complement ſeruira pour ZZ. En forte que ſi vous vous ſeruez de cette nouuelle inclination en voſtre machine, au lieu de la precedente 10 H G C, pour tracer la ligne P N O la lame N M, cette ligne P N O ſera beaucoup plus courbe que l’autre, & la lame eſtant couchée ſur la roüe comme le fer d’vn rabot, elle taillera la meſme figure. Et cecy n’eſt pas vne des moindres parties de l’inuention ; car quand ie 15 vous auray vne fois bien fait entendre le rapport que ces diuerſes inclinations ont les vnes aux autres, vous ne pourrez quaſi faillir, pourueu que vous vous ſeruiez de ces machines, encore | meſme que vous trouuiez des verres qui ayent plus grande refraction les 20 vns que les autres ; mais il eſt impoſſible d’écrire tout dans vne lettre. Vous pourrez faire véritablement vn rabot de ces lames ainſi couchées, lequel ſera taillé en rond par deſſous, ſelon la groſſeur de la roüe Q.

S’il y a quelque choſe en tout cecy que vous n’entendiez 25 point, mandez-le moy, & ie n’épargneray point le papier pour vous répondre. Au reſte, n’eſperez pas auec toutes ces machines de faire des merueilles du premier coup ; ie vous en aduertis, afin que vous ne vous fondiez pas fur de fauſſes eſperances, & que 30 vous ne vous engagiez point à trauailler que vous ne ſoyez reſolu d’y employer beaucoup de temps ; mais ſi vous auiez vn an ou deux à vous ajuſter de tout ce qui eſt neceſſaire, i’oſerois eſperer que nous verrions, par voſtre moyen, s’il y a des animaux dans la 5 Lune.

La lettre est incomplète, comme il est noté sur l’exemplaire de l’Institut : « M. Clerselier en a retranché tout ce qui ne regardoit pas les sciences. M. Desc. y avoit inséré plusieurs petites commissions qui lui importaient et auxquelles M. Ferrier negligea de satisfaire. » — La promesse finale de Descartes est citée dans deux lettres de Chapelain à Chr. Huygens, du 21 août 1656 et du 15 octobre 1639. « J’ai veu » dit Chapelain dans la première, « la lettre ou estoient ces paroles entre les mains d’un nommé Ferrier qui estoit son amy et son ouuricr ». (Correspondance de Huygens, t. I, p. 483).


XIV.
Descartes a Mersenne.
[Amsterdam, 13 novembre 1629.]
Autographe, Bibliothèque Nationale, M S., fr. n. a, 5160, fol. 48.

Lettre 2 de la collection Lahire, non comprise dans le classement de dom Poirier. Elle est, en effet, incomplète et non datée, le second feuillet ayant été enlevé. — La date peut néanmoins être restituée assez sûrement ; car la lettre précédente, écrite « il y a vn mois (p. 70, l. 7) », est évidemment celle du 8 octobre 1629 (ci-avant X). D’autre part, d’après la lettre XX ci-après, en même temps que Descartes écrivait à Ferrier celle du 13 novembre (XIII) il en envoyait dans le même paquet une pour Mersenne, et il n’y en a point d’autre, en dehors de la présente, à laquelle on puisse assigner cette date du 13 novembre.

Monſieur & Rend Pere,

Ie ſuis bien marry de la peine que ie vous ay don- nee de m’enuoyer ce Phaenomene[21], car il eſt tout ſemblable a celuy que i’auois vû. Ie ne laiſſe pas de vous en auoir tres grande obligation, & encores plus de l’offre que vous me faites de faire imprimer ce petit traité que i’ay deſſein d’eſcrire ; mais ie vous diray 5 qu’il ne ſera pas preſt de plus d’vn an. Car depuis le tans que ie vous auois eſcrit il y a vn mois, ie n’ay rien fait du tout qu’en tracer l’argumant, et au lieu d’expliquer vn Phaenomene ſeulemant, ie me ſuis reſolu d’expliquer tous les Phaenomenes de la nature, 10 c’eſt a dire toute la Phyſique. Et le deſſein que i’ay me contente plus qu’aucun autre que i’aye iamais eû, car ie penſe auoir trouué vn moyen pour expoſer toutes mes penſees en ſorte qu’elles ſatisferont a quelques vns & que les autres n’auront pas occaſion d’y 15 contredire.

L’inuention de Mr Gaudey[22] eſt tres bonne & tres exacte en prattique ; toutesfois affin que vous ne penſiés pas que ie me fuſſe meſpris de vous mander que cela ne pouuoit eſtre Geometrique, ie vous diray que 20 ce n’eſt pas le cylindre qui eſt cauſe de l’effait, comme vous m’auiés fait entendre, et qu’il n’y fait pas plus que le cercle ou la ligne droitte, mais que le tout depend de la ligne hélice que vous ne m’auiés point nommée & qui n’eſt pas vne ligne plus receue en 25 Geometrie que celle qu’on appele quadraticem, pource qu’elle ſert a quarrer le cercle & meſme a diuiſer l’angle en toutes ſortes de parties eſgales auſſy bien que celle cy & a beaucoup d’autres vſages que vous pourrés voir dans les elemans d’Euclide commantés par Clauius[23]. Car encore qu’on puiſſe trouuer vne infinité de points par ou paſſe l’helice & la quadratice, toutefois on ne peut trouuer Geometriquemant 5 aucun des poins qui ſont neceſſaires pour les effaits deſirés tant de l’vne que de l’autre ; et on ne les peut tracer toutes entieres que par la rencontre de deus mouucmans qui ne dépendent point l’vn de l’autre, ou bien l’helice par le moyen d’vn filet, car tournant 10 vn filet de biais autour du cylindre, il decrit iuſtemant cete ligne la ; mais on peut auec le meſme filet quarrer le cercle, ſi bien que cela ne nous donne rien de nouueau en Geométrie. Ie ne laiſſe pas d’eſtimer bien fort l’inuention de Mr Gaudey, & ne croy 15 pas qu’il s’en puiſſe trouuer de meilleure pour le meſme effait.

Pour ce que vous me demandés ſur quel fondemant i’ay pris le calcul du tans que le poids employe a deſcendre eſtant attaché a vne chorde de 2, 4, 8 & 20 16 pieds[24], encore que ie le doiue mettre en ma Phyſique, ie ne veus pas vous faire attendre iusques la & ie tafcheray de l’expliquer. Premierement ie ſuppoſe que le mouuemant qui eſt vne fois imprimé en quelque cors y demeure perpetuellemant, s’il n’en eſt oſté par 25 quelque autre cauſe, c’eſt a dire que quod in vacuo ſemel incoepit moueri, ſemper & æquali celeritate mouetur. Supponas ergo pondus in A exiſtens impelli a ſua grauitate verſus C. Dico ſtatim atque coepit moueri, ſi deſereret illum[25] ipſius grauitas, nihilominus pergeret in eodem motu donec perueniret ad C ; 5 ſed tune non tardius nec celerius deſcenderet ab A ad B quam a B ad C. Quia vero non ita fit, fed adeſt illi grauitas quæ premit illum[25] deorſum & addit ſingulis momentis nouas vires ad deſcendendum, hinc fit vt multo 10 celerius abſoluat ſpatium B C quam A B, quia in eo percurrendo retinet omnem impetum quo mouebatur per ſpatium A B & inſuper 15 nouus ei accreſcit propter grauitatem quæ de nouo vrget ſingulis momentis. Qua autem proportione augeatur iſta celeritas, demonſtratur in triangulo 20 A B C D E : nempe prima linea denotat vim celeritatis impreſſam 1° momento, 2[25] linea vim impreſſam 2° momento, 3[25] 3° vim j° inditam, & ſic conſequenter. Vnde fit triangulus A C D qui repræſentat augmentum celeritatis motus in deſcenſu ponderis ab A uſque 25 ad C, & A B E qui repræſentat augmentum celeritatis in priori media parte ſpatii quod pondus percurrit, & trapezium B C D E quod repræſentat augmentum celeritatis in poſteriori media parte ſpatii quod pondus percurrit, nempe B C. Et cum trapezium B C D E ſit triplo maius triangulo A B E, vt patet, inde ſequitur pondus triplo celerius deſcenſurum a B ad C quam ab A ad B : id eſt ſi tribus momentis deſcendit ab A ad B, vnico momento deſcendet a B ad C ; id eſt 5 quattuor momentis duplo plus itineris conficiet quam tribus, & per conſequens 12 momentis duplo plus quam 9, & 16 momentis quadruplo plus quam 9, & ſic conſequenter.

Quod autem de deſcenſu ponderis per lineam 10 rectam demonſtratum eſt, idem ſequitur de motu ponderis ad funem appenſi[26], quippe in cuius motu quantum ſpectat ad vim per quam mouetur, non oportet conſyderare arcum G H quem percurrit, ſed finum K H ratione cuius 15 deſcendit ; ac proinde idem eſt ac ſi recta deſcenderet a K ad H, quantum ſcilicet attinet ad motum propter grauitatem. Si vero conſyderes aeris impedimentum, multo magis 20 & aliter impedit in motu obliquo a G ad H quam in recto a K ad H. Or pour cet empeſchemant de l’aer duquel vous me demandés la iuſteſſe, ie tiens qu’il eſt impoſſible d’y reſpondre et ſub ſcientiam non cadit ; car s’il eſt chault, s’il est 25 froid, s’il eſt ſec, s’il eſt humide, s’il eſt clair, s’il eſt nebuleus, & milles autres circonſtances peuuent changer l’empeſchemant de l’aer ; et outre cela, ſi le poids eſt de plonb, de fer ou de bois, s’il eſt rond, s’il eſt quarré ou d’autre figure & milles autres choſes 30 peuuent changer cete proportion, ce qui ce peut dire generalemant de toutes les queſtions ou vous parlés de l’empeſchemant de l’aer.

Pour les tours & retours d’vne chorde tirée d’vn poulce hors de ſa ligne droitte[27], ie dis qu’in vacuo ilz diminuent en proportion Geometrique : c’eſt a dire ſi 5 C D eſt 4 la premiere fois & au retour 2, au troiſieſme il ne ſera qu’vn ; s’il eſt 9 la premiere fois & 6 au ſecond coup, il ſera 4 au troiſieſme, et ainſy 10 de ſuitte. Or en ſuitte de cela la viſteſſe de ſon mouuemant diminuera touſiours a meſme proportion, ſi bien qu’il luy faudra autant de tans pour chaſcune des dernieres allees & venues que pour les premieres. Ie dis in vacuo, mais in aere ie croy qu’elles ſeront vn peu 15 plus tardiues a la fin qu’au commencemant, pour ce que, le mouuemant ayant moins de force, il ne ſurmonte pas l’empeſchemant de l’aer ſi ayſemant. Toutefois de cecy ie n’en ſuis pas aſſuré, et peut eſtre auſſy que l’aer au contraire luy ayde a la fin, pour ce 20 que le mouuemant eſt circulaire. Mais vous le pouués experimenter auec l’oreille, en examinant ſi le ſon d’vne chorde ainſy tiree eſt plus aygu ou plus graue a la fin qu’au commencemant ; car s’il eſt plus graue, c’eſt a dire que l’aer le retarde ; s’il eſt plus aigu, c’eſt 25 que l’aer le fait mouuoir plus viſte.

Et en ſuitte les queſtions que vous me propoſés, combien vne chorde doit eſtre plus longue & de quel poids elle doit eſtre tendue affin que ces tours & retours ſoyent deus… 30

Le fragment mathématique latin contenu dans cette lettre doit être d’une rédaction bien antérieure et remonter à l’époque du premier séjour de Descartes en Hollande (de 1617 à juillet 1619) ; c’est, en effet, Beeckman qui lui a posé la question de la loi mathématique de la chute des graves dans le vide (cf. lettre à Mersenne du 18 décembre 1629 Clers.t. II, p. 483, et les Cogitationes privatæ, Foucher de Careil, t. I, p. 16). A cette époque, Galilée était déjà en possession de cette loi depuis une quinzaine d’années au moins, mais il ne devait la publier que dans les Massimi Sistemi de 1632.

Dans cette recherche a priori, Descartes procède comme parait l’avoir fait aussi Galilée, en partant du principe de la conservation du mouvement antérieurement acquis (que Beeckman, au reste, admettait déjà), et en employant un procédé tout à fait analogue à celui de la méthode des indivisibles (ainsi bien avant Cavalieri). Mais il commet une faute de raisonnement singulière. Sur sa figure, la coordonnée ABC devrait représenter les temps, tandis qu’il s’en sert également pour représenter les espaces parcourus. La marche, très ingénieuse au reste, qu’il suit, l’empêche d’apercevoir immédiatement les contradictions auxquelles cette confusion sur la figure aurait dû le conduire ; il aboutit donc à une relation essentiellement différente de celle de Galilée, puisqu’elle reviendrait à considérer l’espace parcouru comme proportionnel, non pas au carré du temps, mais à une puissance du temps dont l’exposant est le rapport de log. 2 à log. 4/3, c’est-à-dire environ 2, 4.

Ayant depuis longtemps rejeté l’hypothèse de la possibilité du vide, Descartes ne revint jamais sérieusement sur ce tentamen, et par suite ne reconnut pas son erreur. Il semble même avoir cru de bonne foi que la loi de Galilée ne différait pas de celle qu’il avait lui-même donnée à Beeckman dès 1619. Il est, au contraire, possible que Clerselier, constatant le vice du raisonnement développé dans la présente lettre à Mersenne, en ait volontairement laissé de côté la minute (T).

XV.
Descartes à Mersenne.
Amsterdam, 20 novembre 1629.
Texte de Clerselier, tome I, lettre 111, p. 498-502.

Sans date dans Clerselier, mais avec la note suivante sur l’exemplaire de l’Institut : « datée fixement d’Amsterdam, le 20 nov. 1629. J’en avois l’original, mais je l’ai perdu, ou on me l’a pris », puis au bas de la page 502 : « fin de la lettre ». Ce qui suit, p. 503, appartient, en effet, à la lettre du 18 décembre 1629. L’original n’a jamais fait partie de la collection Lahire.

Le projet d’une langue universelle, que Descartes examine dans cette lettre, avait sans doute été lancé dans un placard-annonce (rédigé en latin et contenant six propositions). Mersenne aura communiqué cette pièce à Descartes, mais il ne semble pas qu’il en ait su davantage.

Mon Reuerend Pere,

Cette propoſition d’vne nouvelle langue ſemble plus admirable à l’abord, que ie ne la trouve en y regardant de prés ; car il n’y a que deux choſes à apprendre en toutes les langues, à ſçauoir la ſignification 5 des mots, & la grammaire. Pour la ſignification des mots, il n’y promet rien de particulier ; car il dit en la quatriéme propoſition : linguam illam interpretari ex dictionario, qui eſt ce qu’vn homme vn peu verſé aux langues peut faire ſans luy en toutes les langues 10communes. Et ie m’aſſure, que vous donniez à Monſieur Hardy vn bon dictionnaire en Chinois, ou en quelqu’autre langue que ce ſoit, & vn liyre écrit en la meſme langue, qu’il entreprendra d’en tirer le ſens. Ce qui em|peſche que tout le monde ne le pourroit pas faire, c’eſt la difficulté de la grammaire ; et ie deuine que c’eſt tout le ſecret de voſtre homme. Mais ce 5 n’est rien qui ne ſoit tres-aiſé ; car faiſant vne langue, où il n’y ait qu’vne façon de conjuguer, de decliner, & de conſtruire les mots, qu’il n’y en ait point de defectifs ny d’irreguliers, qui ſont toutes choſes venuës de la corruption de l’vſage, & meſme que l’inflexion 10 des noms ou des verbes & la conſtruction ſe faſſent par affixes, ou deuant ou apres les mots primitifs, leſquelles affixes ſoient toutes ſpecifiées dans le dictionnaire, ce ne ſera pas merueille que les eſprits vulgaires apprennent en moins de ſix heures à compoſer en 15 cette langue avec l’aide du dictionnaire, qui eſt le ſujet de la premiere propoſition.

Pour la ſeconde, à ſçauoir : cognitâ hac linguâ cæteras omnes, vt eius dialectos, cognoſcere, ce n’eſt que pour faire valoir la drogue ; car il ne met point en 20 combien de temps on les pourroit connoiſtre, mais ſeulement qu’on les conſidereroit comme des dialectes de celle-cy ; c’eſt à dire que n’y ayant point en celle-cy d’irregularitez de grammaire comme aux autres, il la prend pour leur primitiue. Et de plus il eſt à noter 25 qu’il peut en son dictionnaire, pour les mots primitifs, ſe ſeruir de ceux qui ſont en vſage en toutes les langues, comme de ſynonimes. Comme par exemple, pour ſignifier l’amour, il prendra aymer, amare, φιλεῖν, etc. Et vn François en ajoutant l’affixe, qui marque le 30 nom ſubſtantif, à aymer, fera l’amour ; vn Grec ajoutera le meſme à φιλεῖν, & ainſi des autres.

En ſuite de quoy la ſixiéme propoſition eſt fort aiſée à entendre : ſcripturam inuenire etc. ; car mettant en ſon dictionnaire vn ſeul chifre, qui ſe raporte à aymer, amare, φιλεῖν, & tous les ſynonimes, le liure qui ſera écrit auec ces caracteres pourra eſtre interprété par 5 tous ceux qui auront ce dictionnaire.

La cinquiéme propoſition n’eſt auſſi, ce ſemble, que pour loüer ſa marchandiſe, & ſi-toſt que ie voy ſeulement le mot d’arcanum en quelque propoſition, ie commence à en auoir mauuaiſe opinion ; mais ie croy 10 qu’il | ne veut dire autre choſe, ſinon que pource qu’il a fort philoſophé ſur les grammaires de toutes ces langues qu’il nomme, pour abreger la ſienne, il pourroit plus facilement les enſeigner que les maiſtres ordinaires. 15

Il reſte la troiſiéme propoſition, qui m’eſt tout à fait vn arcanum ; car de dire qu’il expliquera les penſées des anciens par les mots deſquels ils ſe ſont ſeruis, en prenant chaque mot pour la vraye definition de la choſe, c’eſt proprement dire qu’il 20 expliquera les penſées des anciens en prenant leurs paroles en autre ſens qu’ils ne les ont iamais priſes, ce qui répugne ; mais il l’entend peut-eſtre autrement.

Or cette penſée de reformer la grammaire, ou plutoſt d’en faire vne nouuelle qui ſe puiſſe aprendre en 25 cinq ou ſix heures, & laquelle on puiſſe rendre commune pour toutes les langues, ne laiſſeroit pas d’eſtre vne inuention vtile au public, ſi tous les hommes ſe vouloient accorder à la mettre en vſage, ſans deux inconueniens que ie preuoy. Le premier eſt pour la 30 mauuaiſe rencontre des lettres, qui feroient ſouuent des ſons deſagreables & inſuportables à l’oüye : car toute la difference des inflexions des mots ne s’eſt faite par l’vſage que pour éuiter ce defaut, & il eſt impoſſible que voſtre autheur ait pû remédier à cet 5 inconuenient, faiſant ſa grammaire vniuerſelle pour toutes ſortes de nations ; car ce qui eſt facile & agreable à noſtre langue, eſt rude & inſuportable aux Allemans, & ainſi des autres. Si bien que tout ce qui ſe peut, c’eſt d’auoir éuité cette mauuaiſe rencontre des 10 ſyllabes en vne ou deux langues ; et ainſi ſa langue vniuerſelle ne ſeroit que pour vn pays. Mais nous n’auons que faire d’aprendre vne nouuelle langue, pour parler ſeulement auec les François. Le ſecond inconuenient eſt pour la difficulté d’aprendre les mots de 15 cette langue. Car ſi pour les mots primitifs chacun ſe ſert de ceux de ſa langue, il eſt vray qu’il n’aura pas tant de peine, mais il ne ſera auſſi entendu que par ceux de ſon pays, ſinon par écrit, lors que celuy qui le voudra entendre prendra la peine de chercher 20 tous les mots dans le | dictionnaire, ce qui eſt trop ennuyeux pour eſperer qu’il paſſe en vſage. Que ſi il veut qu’on aprenne des mots primitifs, communs pour toutes les langues, il ne trouuera iamais perſonne qui veuille prendre cette peine ; et il ſeroit plus aiſé de 25 faire que tous les hommes s’acordaſſent à aprendre la latine ou quelqu’autre de celles qui ſont en vſage, que non pas celle-cy, en laquelle il n’y a point encore de liures écrits, par le moyen deſquels on ſe puiſſe exercer, ny d’hommes qui la ſçachent, auec qui l’on 30 puiſſe acquerir l’vſage de la parler. Toute l’vtilité donc que ie voy qui peut reüſſir de cette inuention, c’eſt pour l’écriture : à ſçauoir, qu’il fiſt imprimer vn gros dictionnaire en toutes les langues auſquelles il voudroit eſtre entendu, & miſt des caracteres communs pour chaque mot primitif, qui répondiſſent au ſens, & non pas aux ſyllabes, comme vn meſme 5 caractere pour aymer, amare, & φιλεῖν ; et ceux qui auroient ce dictionnaire, et ſçauroient ſa grammaire, pourroient en cherchant tous ces caracteres l’vn apres l’autre interpreter en leur langue ce qui ſeroit écrit. Mais cela ne ſeroit bon que pour lire des myſteres & 10 des reuelations ; car pour d’autres choſes, il faudroit n’auoir guéres à faire, pour prendre la peine de chercher tous les mots dans vn dictionnaire, & ainſi ie ne voy pas cecy de grand vſage. Mais peut-eſtre que ie me trompe ; ſeulement vous ay-je voulu écrire tout ce 15 que ie pouuois conjecturer ſur ces ſix proportions que vous m’auez enuoyées, afin que lors que vous aurez vu l’inuention, vous puiſſiez dire ſi ie l’auray bien déchifrée.

Au reſte, ie trouue qu’on pourroit adjouter à cecy 20 vne inuention, tant pour compoſer les mots primitifs de cette langue, que pour leurs caracteres ; en ſorte qu’elle pourroit eſtre enſeignée en fort peu de tems, & ce par le moyen de l’ordre, c’eſt à dire, établiſſant vn ordre entre toutes les penſées qui peuuent entrer 25 en l’eſprit humain, de meſme qu’il y en a vn naturellement étably entre les nombres ; et comme on peut aprendre en vn iour à nommer tous les nombres iuſ|ques à l’infiny, & à les écrire en vne langue inconnuë, qui ſont toutesfois vne infinité de mots differens, qu’on 30 puſt faire le meſme de tous les autres mots neceſſaires pour exprimer toutes les autres choſes qui tombent en l’eſprit des hommes. Și cela eſtoit trouué, ie ne doute point que cette langue n’euſt bien-toſt cours parmy le monde ; car il y a force gens qui 5 employeroient volontiers cinq ou ſix iours de temps pour ſe pouuoir faire entendre par tous les hommes. Mais ie ne croy pas que voſtre autheur ait penſé à cela, tant pource qu’il n’y a rien en toutes ſes propoſitions qui le témoigne, que pource que l’inuention de cette 10 langue depend de la vraye Philoſophie ; car il eſt impoſſible autrement de denombrer toutes les penſées des hommes, & de les mettre par ordre, ny ſeulement de les diſtinguer en forte qu’elles ſoient claires & ſimples, qui eſt à mon aduis le plus grand ſecret 15 qu’on puiſſe auoir pour acquerir la bonne ſcience. Et ſi quelqu’vn auoit bien expliqué quelles ſont les idées ſimples qui ſont en l’imagination des hommes, deſquelles ſe compoſe tout ce qu’ils penſent, & que cėla fuſt receu par tout le monde, i’oſerois eſperer enſuite 20vne langue vniuerselle fort aiſée à aprendre, à prononcer & à écrire, & ce qui eſt le principal, qui aideroit au iugement, luy repreſentant ſi diſtinctement toutes choſes, qu’il luy ſeroit preſque impoſſible de ſe tromper ; au lieu que tout au rebours, les mots que 25 nous auons n’ont quaſi que des ſignifications confuſes, auſquelles l’eſprit des hommes s’eſtant accoutumé de longue main, cela eſt cauſe qu’il n’entend preſque rien parfaitement. Or ie tiens que cette langue eſt poſſible, & qu’on peut trouuer la ſcience de qui elle dépend, 30 par le moyen de laquelle les paysans pourroient mieux iuger de la verité des choſes, que ne font maintenant les philoſophes. Mais n’eſperez pas de la voir iamais en vſage ; cela preſupoſe de grans changemens en l’ordre des choſes, & il faudroit que tout le monde ne fuſt qu’vn paradis terreſtre, ce qui n’eſt bon à propoſer que dans le pays des romans. 5

2. de trop grans Inst.

On n’a, sur le projet critiqué par Descartes, aucune indication en dehors de cette lettre, et il ne semble pas qu’on puisse y rapporter ce que Charles Sorel (De la perfection de l’homme, Paris, Robert de Nain, 1655, p. 346) dit des tentatives plus ou moins analogues « d’un certain des Vallées » et du « sieur Le Maire ». Quant aux idées émises par Descartes, elles furent, dit Baillet (t. II, p. 475, d’après une relation manuscrite de Poisson), reprises par Christophe Wren, qui donna « un essay de cette langue universelle », et par quelques savants de France qui conçurent « de semblables desseins ». On peut, à cet égard, mentionner le P. Bernier (La réunion des langues ou l’art de les apprendre toutes par une seule, 1674, in-4). Vérification faite, Wren fut seulement chargé par la Société Royale de Londres, le 18 mai 1668, de faire un rapport sur l’ouvrage d’un Dr John Wilkins : An Essay towards a Real Character and a Philosophical Language ; Wilkins lui-même s’était inspiré d’un Écossais, George Dalgarno, d’Aberdeen, auteur d’un Ars signorum, vulgo Character universalis et Lingua philosophica, in-8°, London, 1661, lequel est conçu dans un esprit tout cartésien.

XVI.

Descartès a Mersenne.

Amsterdam, 18 décembre 1629. Autographe, Bibliothèque de l’Institut.

Variantes d’après le texte de Clerselier, t. II, lettre 10S, p. 4804gi, et t. I, fin de la lettre 1 1 1, p. S03-S04. — L’autographe est numéroté ( 1) dans le haut et 3 C au bas à gauche ; c’est donc bien la 3 e lettre de la collection Lahire, la 1" du classement de dom Poirier. II, 4 3o.

��XVI. — 18 Décembre 1629.

��8?

��10

��13

��Monfieur & Reuerend Père,

Vous m'eftonnés de dire que vous aués vu fi fou- uant vne couronne autour de la chandelle, & ferible a voir comme vous la defcriués, que vous ayiéz vne inuention pour la voir quand il vous plaift. le me fuis frotté & tourné les yeus en milles fortes pour tafcher a voir quelque chofe de femblable, mais il m'eft impof- fible*. le veus bien croyre toutefois que la caufe en doit eftre rapportée aus humeurs de l'œil, ce que vous pouués ayfemant iuftifier, fi tout le monde ne les voit pas a mefme tans, & ie ferois bien ayfe de fçauoir quand vous les voyés : fi c'eft la nuit, lorfque vos yeus font fort chargés des vapeurs du fommeil, ou bien apprés auoir beaucoup lu ou veillé ou ieufné ; fi c'eft en tans clair ou pluuieus, fi dans vne chambre ou bien dehors en vn aer plus libre, etc. Et cela pofé, ie penfe en pouuoir rendre raifon ; mais ce qui paroift autour du foleil eft chofe toute différente, ce qui ce prouue par cela mefme que vous me mandés, a fçauoir

��o Monfieur et] Mon. — 1-2 fi fouuant] tant de fois. — 2 et il femble. — 3-4 vne inuention pour] moyen de. — 5 milles fortes] toutes façons. — 6 a voir] d'apperceuoir. — m'eft] m'a efté.

— 7 veus. . . toutefois] fuis tou- tesfois bien d'accord auec vous.

— en] de cela. — 8-10 ce... tans om. — 10 et ie] Et pour cette raifon ie. — 11 quand. . . voyés om. — 11- 12 si c'eft en vous leuant la nuit et lorfque voftre veuë eft encore chargée. — i3-

��i5 fi... etc.] que vous les voyez.

— i5 Et... pofé] Et la chofe fup- pofée. — 16-17 rendre... diffé- rente] affez diftinctement rendre la raifon. le croy auffi qu'elle peut encore paroiftre autrement parle moyen desvapeurs de l'air, mefme autour de la chandelle; mais c'eft chofe toute différente de ce qui paroift autour du fo- leil. — 17-18 ce... mefme] et vous mefme le témoignez, en ce.

— 18 à fçauoir om.

�� � 8 4

��Correspondance.

��ii, 480-481.

��que l'ordre des couleurs eft différent. le ne veus pas mettre en doute ce qu'allure M r . Gaffendi, & veus bien croyre qu'il ait obferué pluûeurs fois le diamètre de la couronne de 4$ degrés; mais ie conjecture qu'il y a des couronnes de toute forte de grandeurs au deffous de celle la, & que celles qui ne paroiffent que comme vn cercle blanc ou rouffaftre, font plus petites. Que fi l'expérience ne s'y accorde, i'auoue que ie ne fçay pas encore la raifon des couronnes.

le vous prie me mander quel autheur rapporte que Hollandi nauigando viderunt 3 foies 6 iridum dif- cerniculo ab inuicem abiunctos. Car la chofe eft belle & régulière, ayant vn pareil fondemant que le phéno- mène de Rome.

le vous remercie des autres remarques que vous i5 m'efcriués, & vous m'obligerés s'il vous plaift de con- tinuer a m'enuoyer celles que vous iugerés plus dignes d'eftre expliquées touchant quoy que ce foit de la na-

��IC

��1 quel'ordre. . . différent] qu'ils ont differens ordres de cou- leurs. — 2 mettre... Gaffendi] contredire à l'authorité de M. Gas. — 3-4 plusieurs. . . degrés] la couronne de quarante-cinq degrez de diamètre. — 5-7 a. . . petites.] en a de plusieurs gran- deurs, et que lors qu'elleparoift feulement, comme un Cercle blanc, ou rougeaftre, qu'elle eft plus petite. Mais lors qu'elle fe diuerlifie de couleurs, ie veux bien croire qu'elle arriue iuf- ques à cette grandeur, et que l'ordre des couleurs ett ainfi

��que vous me le mandez. — 8 s'y accorde] répond à ce que i'en dis, et que les moins par- faites foient auffi de quarante- cinq degrez. — 8-9 ne fçay. . . couronnes] n'en fçaurois rendre raifon. — 10 prie de me. — au- theur] eft l'autheur qui. — 1 1-12 nauigando... abiunctos] in Na- uigatione, etc. — i3 vn... fonde- mant] la mefme cause. — 16 elcriués] touchant les Couronnes aj. — s'il vous plaift om. — 17 enuoyer celles] écrire ce. — 17-18 plus... expliquées] de plus remarquable.

�� � II, 4SI-

��XVJ. — 18 Décembre 1629.

��8*

��10

��i5

��20

��ture, mais principalemant de ce qui eft vniuerfel & que tout le monde peut expérimenter, de quoy i'ay en- trepris de traiter feulemant. Car pour les expériences particulières, qui dépendent de la foy de quelques vns, ie n'aurois iamais fait, & fuis refolu de n'en point parler du tout.

le vous remercie auffy du foin que vous voulés prendre du petit traité que i'entreprens, & encore que i'aye honte de vous donner tant de peine, toutefois, puis qu'il vous plaift de m'obliger tant, fi Dieu me fait la grâce d'en venir a bout, ie vous l'enuoyeray, non pas àffin qu'il foit imprimé de long tans apprés ; car encore que i'aye refolu de n'y point mettre mon nom, ie ne defire pas toutefois qu'il efchappe fans auoir elle diligenmant examiné & de vous — le iuge- mant duquel me fuffiroit, fi ie n'auois peur que voftre affe&ion me le rendift trop fauorable — & de quelques autres des plus habiles, que vous & moy pourrons trouuer, qui en veuillent prendre la peine ; ce que ie defire principalemant a caufe de la Théologie, laquelle on a tellemant affuiettie a Ariftote, qu'il eft prefque im- pofiible d'expliquer vne autre Philofophie, fans qu'elle

��1 de . . . vniuerfel] des remar- ques vniuerfelles. — a de quoy] qui font celles dont. — 3 feule- mant om. — 5-6 ie... tout] ie n'en parleray en façon du monde. — 7 du foin] de la peine. — 8 du... entreprens] pour faire imprimer ce que ie fais. — 9 donner. . . peine] tant importuner. — 10 de m'obliger tant om. — 1 1 d'en.. . bout] de l'acheuer. — 12 affin...

��imprimé] pour le faire impri- mer. — 1 3 i'aye] ie fois. — 14-15 auoir efté] eftre vu et. — i5 et om. — i5-i61e... duquel] de qui le iugement. — 1 7 ne me. — 1 7- 19 quelques... veuillent] tous les plus habiles hommes que nous pourrons çhoifir, qui en vou- dront. — 19-20 ce. . . defire om. — 21 à l'Ariftote. — prefque om. — 22 fans qu'elle] qu'il ne.

�� � 86

��Correspondance.

��11,481-483,1,50:*.

��femble d abbord contre la foy. Et a propos de cecy, ie vuus prie me mander s'il n'y a rien de déter- miné en la religion, touchant l'eftendue des chofes créées . fçauoir fi elle eft finie ou plutoft infinie, et qu'en tous ces pais qu'on appelé les efpaces imagi- naires il y ait | des cors créés & véritables ; car encore que ie n'euffe pas enuie de toucher cete queftion, ie croy toutefois que ie feray contraint de la prouuer.

Maintenant pour venir a vos queflions, ie repren- dray celles qui font en voftre lettre du 4 Nou., ou pre- mieremant vous me demandés pourquoy i'auois dit que le fault de la quinte n'eft pas plus pour la Baffe qu'au deffus celuy de la tierce : ce qui |eft, ce me fem- ble, fort ayfé a iuger, fur ce que la balîe va naturelle- ment par plus grands interualles que le deffus; de mefme que, pour ce qu'vn homme va naturellemant a plus grans pas qv'un enfant de j ans, on peut dire qu'vn fault de 1 5 femelles fera moindre pour luy que celuy de dix pour vn enfant de j ans.

��1 d'abbord] qu'elle (bit aj. — 2 de me. — 3 religion] Foy. — 3-4 des chofes créées] du Monde. — 4 fi elle] s'il. — finy. — infiny. 5 — qu'en. . . pais] fi tout ce. — les om. — 6 il y ait] foient. — 7 toucher] mouuoir. — 8 que... prouuer] qu'il faudra malgré moy que ie la prouue. — 9 ve- nir], répondre. — 10 voftre... Nou.] la lettre que i'ay receue il y a trois femaines. — 11 i'a- uois dit] ie dis Clers., II. Le fragment Clers., I, p. 5o3, com- mence au contraire : Maintenant

��pour vos queftions de Mulique, ce que i'auois dit. — 12- 1 3 n'eft ...tierce] enlabalfe n'eft pas plus que celuy de la tierce au deffus. — i3 ce qui... vous a mandé, ce qui (p. 88, 1. 22)] et à cela i'ay défia répondu et mefme ce qui refte à y répondre Clers., II. — ce qui om. Clers., I. — i5 par de. — i5-i6 de mefme... qu'vn] carde mefme qu'vn. — 16 va na- turellement] qui marche. — 17 quatre ans. — 18 que le fault. — 19 pour. . . ans] à vn enfant de trois ou quatre ans.

��10

��i5

�� �

Vous demandés en ſuitte pour quoy les choſes eſgales reſueillent plus l’attention en montant qu’en deſcendant : ie ne me ſouuiens plus de ce que ie vous en auois eſcrit, toutefois ie vous diray que ce n’eſt 5 point pour ce qu’elles ſont eſgales ou ineſgales, mais generalemant pour ce que le ſon qui eſt plus aygu que celuy qui le precede (comme il eſt lorſque les parties montent), reueille & frappe plus l’oreille que celuy qui eſt plus graue ; et en vn concert de muſique, ſi les 10 vois vont preſque touſiours eſgalemant ou qu’elles s’abbaiſſent & alentiſſent peu a peu, cela endormira les auditeurs ; mais ſi au contraire on rehauſſe la vois tout d’vn coup, ce ſera le moyen de les reueiller.

Selon diuerſes conſiderations, on peut dire que le 15 ſon graue eſt plus ſon que l’aigu, car il ſe fait par des corps de plus grande eſtendue, il ſe peut entendre de plus loing, etc. Mais il eſt dit fondemant de la muſique principalemant pour ce qu’il a ſes mouuemans plus lents & par conſequent qui peuuent eſtre diuiſés en 20 plus de parties ; car on nomme fondemant ce qui eſt comme le plus ample & le moins diuerſifié & qui peut ſeruir de ſuget ſur lequel on batiſt le reſte : comme les premiers traits d’vn crayon peuuent eſtre dits le fondemant d’vn portrait, encore qu’ils ſemblent moins 25 paroiſtre que ce qu’on y adiouſte par apprés auec les couleurs viues.

4 en om. — 6 pour ce que om. — 6-9 qui eſt… graue] plus aigu qui ſe fait en montant, frape plus l’oreille que le graue. — 10 preſque om. — 15 plus ou moins. — 15-16 il… eſtendue, il] il conſiſte en plus d’étenduë. — 22 on baſtit] on peut baſtir. — 22-26 comme… viues om.

88 Correspondance. 1,503-504,11,482.

Pour voftre façon d'examiner la bonté des confo- nances, vous m'aués appris ce que i'en deuois dire : qu'elle eil trop fubtile, au moins fi i'en ofe iuger, pour eftre diftinguee par l'oreille, fans laquelle il eft impoffible de iuger de la bonté d'aucune confonance, 5 & lorfque nous en iugeons par raifon, cete raifon doit toufiours fuppofer la capacité de l'oreille. Pour le paffage de la tierce maieur a fvnifon, ie me tiens a ce qu'en difent les pratticiens.

le penfe auoir refpondu a ce que vous propofés des 10 tours & retours d'vne chorde. De igné ex filicibus ex- cujjo, il eft de mefme nature que tout autre feu , mais il faudroit vn long difcours pour l'expliquer, ce que ie tafcheray de faire en mon petit traité.

Il n'y a point de doute, en quelle façon que vous <5 mettiés vn foliueau ou colonne, qu'elle pezera tou- fiours ou tirera contre bas, & noftre tefte peze fur nos efpaules, & noftre corps fur nos iambes, en- core que nous n'y prenions pas garde.

Il ne refte plus que quelque chofe touchant la vi- 20 teffe| du mouuemant que vous dite que le S r . Becman vous a mandé, ce qui | viendra mieus en refpondant a voftre dernière, in qua i° petis quare dicam* céleri-

3 au moins... iuger ont. — — 18 et tout noftre. — 21 leS r .]

4 par] de. — 4-7 fans... l'o- Monfieur. — 22 ce qui] mais

reille] qui eft feule iuge de cela. cela]. — 23 dernière] Clers. I

Et. — 8-9 ce... les] la raifon continue par la première rédac-

dcs. — 10-14 Alinéa omis. — tion suivante : Pour la propor-

i5 quelle façon] quelque fens. tion de viteffe félon laquelle

— 16 peze.— 17 ou] et. — tire. del'cendent les pois, ie vou' en

a. Voir plus haut page 72, li^ne 21.

�� � tatem imprimi vt vnum primo momento a grauitate et vt duo 2° momento etc. Reſpondeo, ſalua pace, me non ita intellexiſſe, ſed celeritatem imprimi vt vnum primo momento a grauitate, et rurſus vt vnum 2° momento 5 ab eadem grauitate etc. Vnum autem 1i momenti et vnum 2i faciunt duo, et vnum 3ii faciunt tria, atque ita creſcit in Arithmetica proportione. Hoc autem ſufficienter probari putabam ex eo quod grauitas perpetuo comitetur corpus in quo eſt : neque enim poteſt grauitas corpus 10 comitari niſi id aſſidué pellat deorſum. Nam ſi ſupponeremus, exempli cauſa, plumbi maſſam deorſum delabentem vi grauitatis et, poſtquam per primum momentum labi cæpit, Deum tollere omnem grauitatem ex plumbo, adco vt poſtea maſſa plumbi non ſit magis grauis quam ſi eſſet 15 aer aut pluma, perget nihilominus deſcendere iſta maſſa, ſaltem in vacuo, quoniam et cæpit moueri, et nulla poteſt

ay écrit ce que i’en ſçauois en la precedente, ſaltem in vacuo, ſed in aëre ce que vous a mandé Monſieur Beecman eſt veritable, pouruù que vous ſupoſiez que plus le pois deſcend viſte, plus l’air luy reſiſte ; car ſi cela eſt, de quoy ie ne ſuis pas encore du tout aſſuré, enfin il arriuera que l’air empeſchera iuſtement autant que la peſanteur adjouteroit de viteſſe au mouuement in vacuo, et cela eſtant, le mouuement demeurera touſiours égal ; mais cela ne ſe peut determiner que de la penſée ; car en pratique il ne le faut pas eſperer. Et pour vos experiences, qu’vn pois, deſcendant de cinquante pieds, employe autant de temps à parcourir les vingt-cinq derniers que les premiers, ſaluâ pace, ie ne me ſçaurois perſuader qu’elles ſoient iuſtes : car in vacuo, ie trouue qu’il ne mettra que le tiers du temps à parcourir les vingt-cinq derniers, et ie ne puis croire que l’empeſchement de l’air ſoit ſi notable qu’il rende cette difference-là imperceptible. Ie ſuis, etc. Fin du fragment Clerselier, tome I, page 504. — Clerselier, tome II, page 482-483, donne, au contraire, tout d’abord une traduction en français du passage latin (jusqu’à dicere licet, p. 90, l. 7).

afferi ratio cur deſinat[28], ſed non augebitur eius celeritas. Atqui ſi poſt aliquod tempus reſtituat Deus grauitatem iſti plumbo ad momentum temporis tantum, | quo elapſo rurſus eandem ſubtrahat, nunquid ſecundo iſto momento vis grauitatis tantundem impellet plumbum quantum 5 fecerat 1° momento, ac proinde duplicabitur celeritas motus ? Idem de reliquis momentis dicere licet. D’où il ſuit

certainemant que, ſi vous laiſſiés tomber vne boule in ſpatio plane vacuo de 50 pieds de hault, que de quelle matiere qu’elle puſt eſtre, elle employeroit touſiours 10 iuſtemant trois fois autant de tans aus 25 premiers pieds qu’elle feroit aus 25 derniers. Mais dedans l’aer c’eſt tout autre choſe, & pour reuenir au Sr Beecman, encore que ce qu’il vous a mandé ſoit fauls*, a ſçauoir qu’il y ait vn lieu auquel vn poids qui deſcend 15 eſtant paruenu, pourſuit par apprés touſiours d’eſgale viteſſe, toutefois il eſt vray qu’apprés certain eſpace cete viteſſe s’augmente de ſi peu qu’elle peut eſtre iugee inſenſible, & ie m’en vois vous expliquer ce qu’il veult dire, car nous en auons autrefois parlé enſemble. 20

8-9 in… vacuo] dans vne eſpace tout à fait vuide. — 9 de quelque. — 10 puſt] puiſſe. — 11-12 aus… aus] à deſcendre les vingt-cinq premiers pieds que les. — 12 dedans] dans. — 13 Beecman] N. — 15 vn poids] vne pierre. — 16 paruenuë. — pourſuit] elle deſcendra. — touſiours om. — 17-18 qu’apprés… ſi peu] que cette augmentation de viteſſe eſt ſi petite aprés certain eſpace. — 18 iugee] eſtimée. — 20 veult] faut. — enſemble] et ie vous diray aprés en quoy il ſe méprend aj.

11,483-484. XVI. — 18 Décembre 1629. 91

Supponit, vt ego, id quodfemel moueri cœpit, pergere fua fponîe, nifi ab aliqua vi externa impediatur , ac proinde in vacuo femper moueri, in aère vero ab aeris re- Jijîentia paulatim impediri. Supponit prœterea vint gra- 5 uiîatis in corpore exijîentem Jingulis momentis imagina- bilibus de nouo tmpellere corpus vt defcendat, ac proinde in vacuo femper augeri celeritatem motus ea proportione quam Jupra dixi, et quam eo proponente ante vndecim annos quaejiui habeoque adhuc inter mea aduerfaria illius

10 temporis annotatam a . Addit autem de fuo quae fequuntur, nempe quo celerius defcendit aliquod corpus, tanto magis aerem eius motui refiflere : quod fane haéîenus mihi du- bium erat, nunc autem, \re diligenter examinata, verum effe cognofco. Hinc autem fie concludit : cum vis celeritatem

1 5 faciens crefeat femper aequaliter, nempe fing ulis momentis

vnitate, refiftentia vero aeris celeritatem impediens femper

inaequaliter, nempe i° momento fit quidem minor vnitate,

fed aliquantulum augeatur fecundo momento et fequen-

tibus, neceffario, inquit, eo vfque perueniet vt ifla refifien-

20 tia fit aequalis impulfui grauitatis, tantumque detrahat ex celeritate quantum vis grauitatis adiungit. Eo autem momento quo id contingit, certum efl, inquit, pondus cele- rius non defeendere quam momento proxime praecedenti ; fed neque fequentibus momentis celeritas augebitur velmi-

2 5 nuetur, quia deinceps aeris refifîentia manet aequalis — eius enim inaequalitas veniebat ab inaequalitate celeritatis quae fublata eft, — vis autem grauitatis femper aequaliter pellit.

1-27. Supponit. . . pellit] passage traduit en français.

a. En 1618. Voir Œuvres inédites de Descartes, I, 18. L'Isaac de Mid- delbourg, vir ingeniosissimus, dont il y est parié, est en effet Beeckman.

�� � 02

��Correspondance.

��h, 484.

��Il y a grande apparence en cete raifon, & il la pour- roit perfuader a ceus qui ne fçauroint pas l'Arith- métique, mais il ne fault que fçauoir compter pour trouuer qu'elle eft faulfe. Car fi la refiftance de l'aer s'accroift a mefure que la force de la viteffe s'accroift, elle ne ce peut donc accroiftre plus que cete viteffe s'accroiftra, c'eft a dire que fuiuant la mefme proportion. Faifons donc qu'au commence- mant du mouuemant la viteffe feroit vn, fi l'aer n'empefchoit point, mais qu'elle n'eft qu'vn demi ; c'eft donc a dire que la refiftence de l'aer eft auffy 4-. Or, au fécond momant que la pefanteur adioufte encore vne vnité a la viteffe, elle feroit de —, fi l'aer n'empefchoit derechef; mais de combien em- pefchera-t-il ? On peut bien dire que ce ne fera pas tant a proportion que la première fois, a caufe qu'il eft défia efmeu, & en ce cas la propofition dud(it) S r fera d'autant moins véritable. Mais on ne peut pas

��10

��i5

��6 elle ne ce] ce ne. — 6-8 ac- croiftre... donc qu'] eftre tout au plus qu'en proportion géomé- trique, c'eft-à-dire fi]. — 9 fe- roit] eft. — 9-10 fi... point] l'air n'empefchant point. — 10 mais... qu'vn] et qu'elle foit feule- ment un. — 11 c'eft. . . dire] à caufe que l'air empefche , on dira. — 11-12 auffy -£ . Or] la moitié dautant que la viteffe. Et. — 12-1 3 la... encore] la viteffe accroift d'. — 13 a la viteffe, elle] et par confequent. — i3-i5 fi. . . empeichera-t-il?] fans le fécond empefchement de l'air lequel. —

��i5 — p. 93, 1. 8 dire... injinitum, ou] fuppofer n'eftre pas fi grand à proportion que le premier, mais non pas eftre plus que la moitié de la viteffe, et lequel fera maintenant -f. Si on dit qu'il foit moindre, il arriuera dautant moins à ce qu'on cherche. D'ef- tre plus grand que la moitié de la viteffe, il eft impoffible d'en imaginer de raifon. Pofons donc qu'il foit égal, c'eft-à-dire de J- au fécond moment, au troi- fiefme par confequent il fera de -J-, et au quatrième de -fît etc., et ainfi à l'infiny.

�� � II, 484-4S5.

��XVI.

��18 Décembre 1629.

��9}

��10

��dire qu'il empefche plus qu'a mefme proportion que la première fois; c'eft a dire qu'il diminuera la moi- tié de la vitefle , qui de 4" ne fera q ue 4» & au tr °i~ ûefme momant la pefanteur y adiouftera encore vne vnité a la vitefle, qui feroit -£- fans que l'aer en ofle la moitié & reftey. Et ainfy de fuitte aus autres momans l'empefchemant de l'aer fera g, & g, g-, -g , et fie \ in infinitum, ou vous voyés que ces nombres croiflent touf- iours & toutefois font toufiours moindres que l'vnité. Ac proinde nunquam tanium detrahiîur de celeritate per

��10-p. 94, 1. 7 Ac proinde. . . falfum] Passage traduit en fran- çais, mais contenant après def- cenderet (p. 94, 1. 5) la longue addition suivante :

Et mefme il n'y a perfonne qui ne fçache qu'vne quantité peut eftre accrue à l'infiny fans qu'elle puilTe iamais deuenir égale à vne autre, qui toutesfois ne s'augmentera point. Par exem- ple fi vous adjouftez à l'vnité vn demy, et puis j-, et puis-J-, et ainfi toufiours la moitié de ce que vous y auiez adjoûté la dernière fois, vous pourrez aug- menter cette vnité à l'infiny, fans toutesfois qu'elle foit iamais égale au nombre de deux. Or il faut neceffairement qu'il auouë que c'eft en cette proportion que l'air refifte, à fçauoir en pro- portion géométrique auec la vitefle du mouuement. Car fi c'eft cette vitefle qui eft caufe de cette augmentation de refif- tance de l'air, il faut neceffaire-

��ment qu'à proportion que la vitefle croiftra, la refiftance de l'air croifle aufli, et non pas ny plus ny moins. Pofons donc qu'vne boule defeende dans l'air, et que la force de la pefanteur la pouffe au premier moment comme vn , la vitefle feroit aufli alors comme vn dans le vuide; mais pofons que la re- fiftance de l'air ofte toufiours, comme ie viens de dire, la moi- tié de la vitefle, il s'enfuit que la vitefle de la defeente ne fera que comme vn demy au premier moment; mais au fécond mo- ment la pefanteur pouffe dere- chef le corps graue comme vn, et partant au fécond moment la vitefle feroit comme j ou|, fi l'air n'aportoit point de refif- tance. Mais pource que la refif- tance qu'il apporte en ofte en- core la moitié, la vitefle ne fera que de î [P. 486] au fécond mo- ment, et au troifiefme de ■£, au quatriefme de il, et ainfi à l'in-

�� � 94

��Correspondance.

��h, 485-486.

��reftjîentiam aeris quantum ei accrefcit per grauitatem, quae nempe Jingulis momentis illam auget vnitate. Hocfiet eodem modo Ji dicas aeris rejîjîentiam tollere 4- vel — cele- ritatis etc. Non autem potes dicere eam i° momento tollere vnitatem celeritatis; ita enim pondus non defcenderet. | Ac proinde Mathematicé demonjlratur illud quod Becmannus fcripferat cjje falfum. Et fi vous luy efcriués, ie ne feray pas marry que vous luy mandiés, affin qu'il apprene a ne fe glorifier pas mal a propos des plumes d'autruy.

Mais pour reuenir au poids qui defcent, on peut yoir par ce calcul que l'inefgalité de la viterTe eft très grande au commancemant du mouuemant, mais qu'elle eft prefque inlenfible par apprés., & de plus qu'elle fe rend plus toit infenfible en vn poids de matière légère , qu'elle ne fait en vn de matière pezante, ce qui peut faire trouuer vos deus expé- riences véritables quoad fenfum. Car fuiuant ce calcul, & prenant vn fort petit efpace pour vn mo- mant, on pourra trouuer qu'vne boule qui defcend de $0 pieds, va prefque trois fois auffy vifte au 2 (d)

��10

��i5

��20

��finy. Et partant la viteffe fera toufiôurs augmentée; et iamais comme i'ay dit, la refiftance de l'air ne diminuera d'autant la viteffe, qu'elle reçoit d'accroif- fement par la pefanteur; à caufe que ce qui eft ainfi ofté n'éga- lera iamais l'vnité que la pe- fanteur luy donne à tous les mo- mens. — 8 pas] point. — man- diés] cela a/. — 1 1 Mais] L'alinéa commence par la plirase : I'ay

��retiré l'original du petit traitté de Mufique que i'auois donné à M. N. eftant à Breda (voir ci- après, p. 100, 1. 10). — 12 calcul] de la refiftance de l'air aj. — i5fe rend... infenfible] eft moins fen- fible. — 16 ne fait] n'eft. — vn poids. — 17 fort pefante. — 18 quoad] ad. — fuiuant] par. — 19-20 et prenant... trouuer] il fe peut faire. — 21 pieds] de haut aj. — trois fois om.

�� � IO

��20

��11,486-487. XVI. — 18 Décembre 1629. 9$

poulce qu'elle fàifoit au premier, & toutefois qu'au ^esme pi ec j e \\ e ne va p as fenfiblemant plus vifte qu'au fécond, & qu'elle ne mettra pas plus de tans a def- cendre les 25 premiers pieds que les 25 derniers, finon de ce qu'il en fault pour defcendre 2 ou } poulces, ce qui fera du tout infenfible. Or cela arri- uera principalemant fi le poids eft de matière légère, mais fi c'eft fer ou plomb, l'inégalité du mouuemant ne fera pas fi tofl infenfible; toutefois en vne grande hauteur on ne la pourra gueres mieus apperceuoir, pour ce que le mouuemant durera moins que d'vne matière légère.

Or ce n'eft pas de mefme du poids A fufpendu en B, lequel va en C ; car fa def- cente ne ce doit compter que depuis D iufques a C, qui n'eft qu'vn poulce ou deus, & vous fuppofiés vn poids de matière A pefante. Sans faire d'expé- rience a la tour de Strasbourg, ou ie n'ay point d'habitudes, i'oze affurer qu'vn | poids de matière pefante defcend plus vifte qu'vn de plus

���1 poulce] qu'elle defcend aj. — 2 va] defcendra. — 3 et] et ainfi des autres, en forte. — 3-5 a... finon] aux vingt-cinq premiers pieds qu'aux vingt- cinq derniers, que. — 5 : 2 ou 3] cinq ou fix. — 6 fera du tout] eft. — 6-7 arriue. — 7 le poids... légère] ce qui defcend eft léger. — 8 du fer ou du

��plomb. — 8-10 du mouuement.. . on ne la] fera plus grande, mais on ne le. — 1 1-12 que.. .

légère] qu'il defcendra plus vifte. — i3 ce n'eft] il n'en eft. — i5 ce] fe. — 18 fuppofez. — 19 pefante] auquel par confe- quent l'air empefche moins; Et. aj. — 21 d'habitudes] de connoiflance. — 22 defcendra.

�� � 96 Correspondance. », 487-

légère, & que, de deus poids de mefme figure & ma- tière, le plus gros defcendra le plus vifte.

Pour expliquer qu'vne chorde de luth diminue fes retours en proportion Géométrique, il faudroit dire ce que c'eft que la reflexion, ce qui eft trop long pour vne lettre ; mais feulemant puis ie dire que cete force qui fait retourner la chorde eft d'autant plus grande que la chorde eft plus tirée hors de fa ligne droite, & qu'eftant inefgale, elle rend auffy la diminution

des retours inefgale, ce qui eft la proportion Géométrique. Mais c'eft tout autre chofe des retours de la chorde A B , qui eft meue par le . poids B ; car la pefanteur de ce poids demeure toufiours efgale & ainfy ne caufe point d'inégalité en la diminution des retours, lefquelz pour cete caufe ne fe rencontrent pas io-o/povot comme les autres.

���10

��i5

��1 et ont. — 1-2 matière et fi- gure. — 2 le (après defcen- dra) om. — vifte] Bref, que de deux poids de mefme ma- tière et grofleur, mais de dif- férentes figures, celuy duquel la figure approchera le plus du cercle defcendra plus vifte aj. — 3 Pour expliquer qu'] Vous demandez après pour- quoy. — luth] tirée hors de fa ligne aj. — 4 géométrique] pour l'expliquer aj. — 7 chorde] vers fa ligne aj. — 8 droite om. — t)-i2 et qu'eftant... chofe des]

��et que cette force fe diminuant à mefure que la corde approche de fa ligne fait neceffairement la proportion géométrique aux mouuemens, au lieu que les. — 14-18 car la. . . comme] ne vont pas en mefme proportion; car la force de la pefanteur demeure toufiours égale dans le poids B, et ne fe diminue pas comme la force de la reflexion d'vne corde de luth. De forte que vous ne deuez pas trouuer étrange, fi les retours de la corde de luth font !T«/aovoi, et non pos.

�� � 11,487-488. XVI. — 18 Décembre 1629. 97

Pour vos expériences, ie trouue le fer certainemant plus pefant que le cuiure, mais c'eft de fi peu que rien plus, & pour ce que i'y ay trouué vn peu de rouille deffus, crainte que ce ne foit cela qui l'aye ap- 5 pefanti, ie le laifle rouiller encore dauantage, pour voir par apprés s'il en fera encore plus pefant.

Pour les autres expériences des balances & de la chandelle au foleil, ie ne trouue pas eftrange qu'elles n'ayent point reufly, & n'eft pas befoin d'y penfer 10 dauantage.

|I'ouure maintenant la troifiefme de vos lettres, que ie receu hier, ou ie trouue derechef le foin que vous prenés des expériences dont ie vous auois efcrit & vous en remercie ; mais il n'eft pas befoin de vous en i5 mettre plus en peine : encore que la chambre fuft percée tout au trauers, le rayon ne laifferoit pas d'en illuminer les coftés.

Ce que vous mandés auoir ouy dire des couronnes, que le milieu en foit verd ou bleu, vne des extrémités 20 rouge & l'autre iaune, eft fans fondemant & aper- temant fauls. le croy bien mieus l'expérience de M r . GafTendi 8 , car ie fçay par efpreuue & par raifon qu'en tous les cercles ou iris qui peuuent eftre, il n'y

1 ie... fer] le fer eft. — 2-3 que des balances au foleil, ou à la

rien plus] qu'il ne fe peut efti- chandelle, ie croy bien qu'elles

mer. — 4 crainte] de peur. — n'auront pas reilffi, et il n'eft.

l'ait. — 5 encore om. — 6 par — 11 la] vne. — i5 plus ont.

apprés om. — en fera] deuien- — 18 mandés] dites. — 19 et

dra. — pefant] mais ie croy que l'vne. — 20-21 apertemant] cer-

non aj. — 7-9 les... n'eft] celles tainement. — 21 Et ie.

a. Voir plus haut, page 84, 1. 2.

Correspondance. I. i3

�� � 98 Correspondance. ii, 488.

a point d'autre ordre entre les couleurs que cetuy-cy : 1 rouge noir, 2 incarnat, j orangé, 4iaune, 5 verd, 6 bleu, 7 gris de lin. Or on diftingue plus ou moins de fes couleurs félon que l'iris eft plus ou moins par- fait, & en certains iris le rouge commence au concaue 5 du cercle, & en d'autres au conuexe. Ce qui l'a fans doute trompé, ce font vos couronnes de la chandelle auquel il aura vu, ainfy que vous, vn cercle verd entre deus, l'vn rouge, l'autre iaune ou orangé ; mais il arriue ainfy a la chandelle, pource que ce n'eft pas 10 vne couronne feule, mais deus différentes, defquelles l'extérieure & plus grande eft rouge en fon conuexe & verte en fon concaue ; l'intérieure, moins parfaite, eft feulemant roufle ou orangée en fon conuexe, & pource qu'elle fe termine contre la chandelle mefme, elle i5 ne peut dégénérer en aucune couleur moins teinte que la flame, comme font le verd, bleu & gris de lin, mais feulemant en iaune ou couleur de flame. le m'éman- cipe beaucoup de parler d'vne chofe que ie n'ay point veue, deuant ceus qui en ont l'expérience, mais vous 20

1 entre] pour. — 2-3 : 1... infailliblement. — ce n'eft] ce

2... 3... 4... 5... 6... 7] qui paroift autour de la chan-

la première eft rouge-pourprin, délie n'eft. — 1 1-12 defquelles...

et l'autre... le troifiefme . . . grande] chacune defquels. —

la quatriefme. . . la cinquiefme i3 et verte] et l'extérieure eft

verte, la fixiefme bleue', la fep- verte. — i3-i5 l'intérieure...

tiefme. — 3 on diftingue] il pa- mefme, elle] mais l'intérieure fe

roift. — 4 fes] ces. — 5-6 corn- terminante la chandelle. — 17

mence. . . conuexe] eft au cercle flamme mefme. — font] feroient

conuexe, et le bleu ou gris de — le bleu ou gris. — 17-18

lin au concaue, et aux autres mais... flame] c'eft pourquoy

c'eft tout le contraire. — 8 aux- elle demeure iaune iufques à la

quelles. — 9 deux autres. — chandelle. — 20 en ont l'expe-

10 il... chandelle] cecy arriue rience] l'ont veuë plufieurs fois.

�� � II, 488-489.

��XVI. — 18 Décembre iÔ2<

��10

��i5

��20

��99

��m'obligerés de me mander û ie me trompe, & vous pourrés voir fi ce font deus couronnes différentes, en vous efloignant | peu a peu de la chandelle, car a rae- fure qu'elles croiftront, ie croy que vous les verres feparer l'vne de l'autre. Vous le pourrés auify con- noiftre en couurant du doigt la moitié de la flame de la chandelle : car, fi ie dis vray, vous verres" a mefme tans que les deus cercles rouges, ou l'vn rouge & l'autre que vous nommés iaune orangé, s'obfcurciront d'vn mefme cofté , le relie demeurant en fon entier ; & le contraire arriuera de l'autre cofté, que le refte s'obfcurcira, le rouge & orangé demeu- rans. Et ie vous prie me mander de quel cofté le rouge s'obfcurcira, fi ce fera du mefme que vous au- rés couuert la moitié de la chandelle , ou du con- traire. Mais peut eftre que rien de tout cecy ne fe pourra diftinguer. Mandés moy auïïy fi ces cercles ne font point plus larges au hault qu'aus coftés, pource que la flame eft plus longue que large.

Aus empefchemans de l'aer pour les mouuemans, il ne fault point confyderer celuy qui fuit & celuy qui précède, mais feulemant l'vn des deus. Pour le quan-

��2 voir] iuger. — 3 peu a peu] vn peu. — 4 s'accroiftront. — 4-5 que... feparer] qu'elles fe fepare- ront. — 5-6 reconnaiftre. — 6 cou- urant] tout contre aj. — 8 a] en. — 11- 19 et le... large] Et au con- traire de l'autre, que le verd et le iaune en couleur de flammes s'obfcurciront, fans que les rou- ges fe changent; Mais peut eftre

��que cela ne fe pourra diftinguer. Et fi vous faites cette expérience, ie vous prie d'obferuer, fi cou- urant la moitié de la chandelle du cofté droit, ce fera les rouges du mefme cofté qui s'obfcurci- ront, ou bien ceux de l'autre cofté, qui eft ce que ie iuge par mes raifons. — 20 pour les mouuemans om. — 22 et pour.

�� � IOO

��Correspondance.

��h, 489.

��tum, ie l'ignore, & encore qu'il ce pûft faire milles ex- périences pour le trouuer a plus prés, toutes fois, pour ce qu'elles ne fe peuuent iuftifier par raifon, au moins que ie puiffe encore atteindre, ie ne croy pas qu'on doiue prendre la peine de les faire.

Il eft certain que les retours de deus chordes qui font la douziefme & font l'vne a l'autre comme 1 a trois, fe rencontrent enfemble deux fois auffi fouuant que celles qui font la quinte & font l'vne a l'autre comme 2 a ). I'ay retiré depuis vn mois l'original du petit traité ou ie l'explique, duquel vous aués vu vn extrait ; il a demeuré vnze ans entre les mains du S r . Becman 3 , & fi ce tans la fuffift pour la prefcrip- tion, il a droit de fe l'attribuer. Or cela des confo- nances s'explique ainfy :

Soynt les chordes A a B comme 3 a vn, & A a C comme j a 2 ; que A employé vn momant de tans a faire chafque tour ou retour, & par confequent B 4-

��10

��15

��1 ce]fe. — mille. — 2 plus] peu. — 7-8 font... trois] font l'vne à l'autre comme vn à trois, et qui par confequent font la 12. — 9- 10 font. . . 3] font comme 2 à 3 et qui font la quinte. — io-i5 I'ay... ainfy] Et c'eft par cela mefmeque ie prouuois autrefois que la douzième eftoit plus par- faitequela quinte, etla 19. majeur que la 10. majeur, et celle-cy que la tierce majeur, dans vn petit Traitté duquel vous auez veu

��l'extrait, et duquel i'ay retiré l'original depuis vn mois d'en- tre les mains du S. N, où il ef- toit depuis onze ans, et ainfi le pouuoit-il appellerfien, au moins fi dix ans fuffifent pour la pref- cription. Or cela fe prouue ainfi. — 16-p. ioi,l. 1 A... C f] A et B à la douzième, et A et C à la quinte, c'eft-à-dire que fi pen- dant vn moment A fait vn re- tour, B en fait trois et G en fait vn et demy.

��a. Il s'agit du Compendium Musicœ de Descartes, donné à Beeckman pour ses étrennes de 1619.

�� � ÎO

��iS

��20

��11.490-

��XVI. — 1.8 Décembre 1629.

��101

��|&C -j; que donc A & B commencent enfemble a fe

mouuoir ; pendant que A fera vn tour, B en fera trois

A iuftemant, & lorfque A commencera

fon fécond tour, B commencera fon

��quatriefme ; quand A commancera fon

c j (e ', B fon 7 (e) . Et ainfy a tous les mo-

mans, ils recommanceront enfemble, au lieu que, fi A & C commencent enfemble a fe mouuoir, lorfque A aura acheué fon premier tour, C fera a la moitié de fon fécond, & ainfy ne fera pas preft de recommancer auec A au 2 (d) momant, mais feulemant au troifiefme, car pendant que A aura fait 2 tours, C en aura fait j iufte- mant. Ainfy donc ilz ne recommencent enfemble que de 2 momans en 2 momans, au lieu que les precedens recommancent enfemble a tous les momans, ce qui fait que les fons fe méfient mieus & font vne plus douce harmonie.

Pour la Mufique des anciens, ie croy qu'elle a eu quelque chofe de plus puiffant que la noftre, non pas pource qu'ilz eftoint plus fçauans, mais pource qu'ilz l'eftoint moins : d'où vient que ceus qui auoint

��2-3 A... et] A paracheuera fon tour, B acheuera ces trois tours, à fçauoir chacun en vn tiers de moment. Et ainfi au fécond moment. — 4 retour.

— 5-6 quand. . . 7'] Et au troi- fiéme retour d'A, B fera fon septième. — 6 a] au commence- ment de. — 7 commenceront enfemble à fe mouuoir. — 9 re- tour. — 10 ainfi il. — 11 A] luy.

— car] pource que. — «2 re-

��tours. — i2-i3 iuftemant om.

— i3 recommenceront enfem- ble à fe mouuoir. — 14 de om. — les precedens] tous les autres. — 16-17 mieus... harmonie] plus doucement en- femble. — 20-21 mais... moins] mais au contraire, pource qu'ils eftoient plus ignorans.

— 21 d'où vient] ce qui eftoit caufe.

�� � 102

��Correspondance.

��II, 49°-49«'

��vn grand naturel pour la mufique, n'eftantpas afiuietis dans les reigles de noflre diatonique, faifoint plus par la feule force de l'imagination que ne peuuent faire ceus qui ont corrompu cete force par la con- noiffance de la théorie. De plus, les oreilles des au- diteurs n'eftant pas accouflumees a vne mufique fi ré- glée, comme les noflres, eftoint beaucoup plus ayfees a furprendre. Si vous voulés prendre la peine de faire vn petit receuil de tout ce que vous aués remarqué touchant la prattique d'auiourd'huy, quels paflages ilz approuuent ou defapprouuent, ie feray bien ayfe d'employer j ou 4 chappitres de mon traité pour en dire ce que ie fçauray, & n'y defauoueray pas ce que ie tiendray de vous. Mais ie ne voudrois point que vous priffiés la peine de me l'enuoyer de 8 ou 10 mois, car ie | ne feray pas fi toft la, & cependant ie ne me pour- rois empefcher de le voir & i'ay trop d'autres diuertif- femans : ie veus commancer a eftudier l'anatomie.

Si les mouuemans des taches du foleil ont efté plus diligenmant obferués de nouueau, item ceus des 4 planètes de Iupiter & des 2 de Saturne % ie feray

��1 vn.. . pour] vne grande incli- nation naturelle à. — affuietis] contraints. — 2 faifoint plus] fe laiffoient beaucoup mieux con- duire à leur génie et faifoient.

— 3-5 que. . . théorie] mieux que toute la fcience qu'ils igno- roientet qui fe fçait maintenant, ne peut enfeigner. — 5 De] Et de

— 8 vouliez. — 1 1 ferois. — 1 2-

��1 3 pour. . . fçauray] à expliquer tout ce que i'en fçay. — i3 de- fauouerois. — 14 tiendrois. —

16 feray. . . la] fçaurois plus toft en arriuer là. — 16-17 le - ■ • vo ' r et] cela me débaucheroit. —

17 trop] affez. — 18 veus] m'en va. — l'anatomie] en Médecine et ie n'écris prefque rien. — 19-p. io3, 1. 3 omis.

��10

��i5

��20

��a. Les saillies apparentes de l'anneau de Saturne étaient alors prises pour des satellites.

�� � ii,49'- XVI. — 18 Décembre 1629. 10?

bien ayfe de les voir, ie veus dire de fçauoir fi quel- qu'vn en a efcrit de nouueau, affin feulemant que i'en puifTe achepter les liures.

Pour les di&ions qui fignifient naturellemant , ie 5 trouue la raifon bonne pour ce qui frappe tellemant nos fens que cela nous oblige a ietter quelque vois : comme, fi on nous frappe, cela nous oblige a crier; fi on fait quelque chofe de plaifant, a rire; et les vois qu'on iette, criant ou riant, font femblables en toutes

10 langues. Mais lorfque ie voy le ciel ou la terre, cela ne m'oblige point a les nommer pluftoft d'vne façon- que d'vne autre, & ie croy que ce feroit le mefme, encore que nous euffions la iuftice originelle.

Repaflant vos lettres & la mienne, ie trouue auoir

1 5 oublié de refpondre a vne de vos queftions touchant les fons , qui font certainemant, comme vous dites, vn battemant qui ce fait par plufieurs tours & retours, fans que le fon d'vne baie de moufquet y face de dif- ficulté. Car les retours font feulemant requis en l'aer

20 qui frappe l'oreille, & non point en ce qui engendre le fon : que fi ilz fe rencontrent aus chordes, vous voyés le vent qui fort de noftre bouche en fifïlant, ou

��4 ie] i'en. — 5 ce qui frappe] les chofes qui frappent. — 6 oblige a ietter] excite à rendre. — 7 l'on. — 8 a] cela nous fait.

— 9 qu'on iette] que l'on rend en. — 11 point] pas plus. — 11-12 pluftoft. . . autre] Ciel ou Terre, qu'en toute autre forte.

— 14 Repaffant... mienne] Re(n)uoyant vos Lettres. — i5 de vos queftions] objection.

��— 16 comme] ainfi que. — 17 ce] fe. — par] à. — 18-19 le fon... difficulté] ce que vous ob- jectez du fon d'vne baie de mouf- quet empefche, ou conuainque du contraire. — 19 les] ces. — 20 en ce] au Corps. — 21 que fi ilz] Et encore qu'ils]. — 22 -p. 104, 1. 2 le vent... pas plus] toutefois qu'au vent auec lequel on fait fon- ner les fluftes, il n'y a non plus.

�� � 104 Correspondance. 11,491.

bien celuy qui paffe dans les fluftes, aller tout droit & ne faire pas plus de retours qu'vn boulet de canon. Mais ilz ne laiffent pas de faire ondoyer l'aer qui va frapper l'oreille, de mefme qu'vne pierre entrant dans l'eau ne laifTe pas d'y faire plufieurs cercles qui fe 5 fuiuent les vns les autres , encore qu'elle defcende toute droitte.

le croy que vous ferés fi las de lire cete lettre, que vous ne me voudrés plus propofer de queflions, crainte que ie ne vous ennuyé encore autant vne 10 autre fois en y refpondant mal. Mais excufés, car ie ne vous efcriray auffy bien de l'année , i'entens de celle qui finira dans 1 $ iours. le ne feray pas auffy fytoft refponfe a M r . Ferrier, fi ie reçoy de fes lettres & qu'il n'y ait rien de preffé, car i'ay enuie de me mettre vn «5 mois ou deus a trauailler tout de bon : ie n'ay pas encore tant efcrit de mon traité qu'il y a d'efcriture en la moitié de cete lettre, & i'en ay grand honte.

le vous prie me continuer l'honneur de vos bonnes grâces ; ie me recommande a M r . Ferrier, & mandés 20 moy, ie vous prie, commant fe porte M r . Montais. Iefuis, Monûeur & Reu d Père,

Voftre très obeiffant & très affectionné feruiteur,

DESCARTES. D'Amftredam, ce 18 Dec. 1629.

2 qu'vn] qu'à vn. — 3 ilz. . . droitte omis. La lettre 10S

faire] cela n'empefche pas qu'il de Clerselier continue : le fuis

nefaffe. — 4 entrant] tout droit marry de voftre Erefypele,

aj. (rayé dans l'original). — c'est-à-dire par la lettre sui-

5 d'y] de. — 6-7 encore. . . vante.

�� � n,49« XVII. — Janvier 1630. 105

(Adrejfe) A Monfieur

Monfieur le Reu nd Père Marin Mercenne a Paris.

Page 83, 1. 7. — Descartes ne parait avoir vu ces couronnes qu'en 1 635 ; voir sa lettre à Golius du 9/19 mai 1 635.

Page 90, 1. 18. — Cette opinion de Beeckman se trouve soutenue dans les trois premières lettres que nous possédons de lui à Mersenne (Bibl. Nat. fr. n. a. 6206, f° 43, p. 75 — f» 40 v», p. 70 — f* 33 v°, p. 56), et dont la dernière est du i w octobre 1629. Il la maintient toujours dans ses lettres postérieures (3o avril i63o, ibid. f* 37, p. 63 — 3o mai i633, ibid. f°42 v°, p. 73). Il l'avait déjà enseignée à Gassend, lors du voyage de celui-ci avec Luillier dans les Pays-Bas (de la fin de 1628 au 8 août 1629), ainsi qu'il ressort de l'ouvrage posthume publié par le frère de Beeckman [Mathematico-Physicarum Meditationum, Quœstionum, Solutionum Cen- turia, 1644, p. 45). « Tune docui punctum squalitatis in cadendo inves- tigare. »

XVII.

Descartes a Mersenne.

Amsterdam, Janvier i63o. Texte de Clerselier, tome II, lettre io5 fin, p. 491-497.

L'exemplaire de l'Institut marque cette seconde partie de la lettre II, io5 de Clerselier comme formant une lettre à part datée d'Ams- terdam le zS janvier 16S0. « V. p. 7 du nouveau cahier », ajoute la note manuscrite. Il n'est pas douteux, en effet, quelle ne soit intermédiaire entre les lettres du 18 décembre 162g et du 2S février 16S0, et il ne semble point qu'il y en ait eu d'autres à Mersenne pendant cette période de dix semaines, dont le milieu tombeau lundi 21 janvier i63o.

Je fuis marry de voftre erefypele, & du mal de M. M. a ; ie vous prie de vous conferuer, au moins iuf-

a. « Montais » d'après la fin de la lettre XVI, p. 104, 1. 21.

Correspondance. I. 14

�� � qu’à ce que ie ſçache s’il y a moyen de trouuer vne Medecine qui ſoit fondée en demonſtrations infaillibles, qui eſt ce que ie cherche maintenant.

Pour ce qui ſe voit ordinairement autour de la chandelle, cela n’a rien de commun auec les 5 couronnes qui paroiſſent autour des aſtres ; car il n’y a point de ſeparation entre cela & la chandelle, & ce n’eſt autre choſe que lumen | ſecundarium quod emergit ex radijs directis per foramen vueæ tranſmiſſis, de meſme que le rayon du Soleil entrant par vn petit 10 trou dans vne chambre en illumine auſſi les coſtez. Mais pour voir des couleurs plus apparentes, prenez la peine de regarder de ſept ou huit pas vne chandelle au trauers de l’aiſle d’vne plume à écrire, ou bien ſeulement au trauers d’vn ſeul cheueu, qui 15 deſcende de haut en bas par le milieu de voſtre œil, & mettez ce cheueu tout contre l’œil, & alors vous aperceurez vne grande variété de belles couleurs. le pourſuis aprés cela voſtre lettre de poinct en poinct.

Premierement, en diſant que le ſon graue eſt plus 20 legitimement dit fondement de la Muſique que l’aigu[29], ie ne nie pas pour cela qu’en quelqu’autre ſens l’aigu ne ſoit plus veritablement ſon que le graue ; & ſi ie ne me trompe, i’ay dit expreſſément que ſelon diuerſes conſiderations, l’vn pouuoit eſtre eſtimé plus ou moins 25 ſon que l’autre, c’eſt à dire le graue plus pour vne conſideration, & moins pour vne autre. Pour ce que i’ay dit auſſi que le graue ſe pouuoit entendre de plus loin, ce n’eſt que cæteris paribus, & en ſuitte de ce qu’il conſiſte en vn plus grand corps, toutes choſes eſtant 30 11,492-493- XVII. — Janvier 1650. 107

égales. Car il eft certain qu'vne mefme corde plus elle fera tendue, plus elle aura le fon aigu, & toute- fois fera entendue de plus loin. Mais pour faire tout égal, prenez deux cloches de mefme figure & métal, 5 la plus grande aura le fon plus graue, & s'entendra de plus loin. Pour déterminer à quelle diftance chaque fon fe peut entendre, il eft impoffible ; car l'vn a meil- leure oreille que l'autre, & le moindre mouuement de l'air change tout. Ce que vous dites que le fon aigu

10 s'étend plus vifte que le graue, eft vray en tout fens; car il eft plus vifte porté par l'air, à caufe que fon mouuement eft plus prompt ; & il eft plus vifte dis- cerné par l'oreille , pour ce que fes retours fe font aufli plus vifte. Car il faut remarquer que fi le fon ne

l5 frappe l'oreille qu'vne feule fois, il eft bien entendu comme bruit, mais non pas diftingué comme fon qui foit graue ou aigu; il faut pour cela qu'il frappe l'oreille au moins deux ou trois fois, afin que par l'interuale qui eft entre les deux | battemens, on ef-

20 time combien il eft graue ou aigu ; ce qui paroift en ce que fi vous mettez le doigt fur vne corde, fi-toft après que vous l'auez touchée, auant qu'elle ait le temps de faire plufieurs retours, on entendra bien quelque bruit, mais on ne pourra iuger s'il eft graue

25 ou aigu.

En fécond lieu, pour le réjailliflement des balons, il eft vray qu'il eft excité en partie parce que l'air, non pas celuy de dehors, mais celuy qui eft enfermé dedans, réjaillit comme vn reflbrt, & les repoufle

îo en haut ; mais il y a encore vne autre caufe, qui eft la continuation du mouuement.

�� � 108 Correspondance. 11,493-494-

Troifiémement, fi vous prenez garde au calcul que ie faifois des retours des fons pour faire des confo- nances, vous trouuerez que les fons qui font la quarte, recommencent enfemble, non pas duodecimo quoque iélu, comme vous écriuez *, mais quarto quoque 5 iélu du fon plus aigu, & tertio quoque iélu du plus graue. De mefme que pour la quinte ils reuiennent enfemble, tertio quoque iélu du plus aigu, & fecundo quoque iélu du plus graue ; au lieu que pour la dou- zième, ils reuiennent auffi tertio quoque iélu du plus 10 aigu, mais Jingulis iélibus du plus graue, ce qui fait que la douzième eft plus fimple que la quinte. le dis plus fimple, non pas plus agréable ; car il faut remar- quer que tout ce calcul fert feulement pour monftrer quelles confonances font les plus fimples, ou fi vous i5 voulez, les plus douces & parfaites, mais non pas pour cela les plus agréables ; et fi vous lifez bien ma lettre, vous ne trouuerez point que i'aye dit que cela fift vne confonance plus agréable que l'autre, car à ce compte l'vnifibn feroit le plus agréable de tous. Mais 20 pour déterminer ce qui eft plus agréable, il faut fup- pofer la capacité de l'auditeur, laquelle change comme le gouft, félon les perfonnes; ainfi les vns aimeront mieux entendre vne feule voix, les autres vn concert, &c. ; de mefme que l'vn aime mieux ce 25 qui eft doux, & l'autre ce qui eft vn peu aigre ou amer, &c.

Pour ce que vous demandez pourquoy l'interuale de 1 à 7 n'eft pas receu en la Mufique, la raifon en eft claire ; pource qu'en fuite de cetuy-là, il en faudroit 3» receuoir vne | infinité d'autres, qui furpafient la capa-

�� � ii,494- XVII. — Janvier i6jo. 109

cité de nos oreilles. Ne penfez pas pouuoir entendre la quinte , fans que la corde aiguë ait au moins frappé trois fois voftre oreille; ny la quarte, quelle ne Tait frappée quatre fois, & ainfi des autres; ny feule- 5 ment juger qu'vn feul fon foit graue ou aigu, s'il n'a au moins frappé deux fois voftre oreille, comme i'ay dit cy-deffus.

4. De dire que la mefme partie d'air in indiuiduo, qui fort de la bouche de celuy qui parle, va fraper

10 toutes les oreilles, cela eft ridicule *.

5 . La plufpart des petits corps regardez auec des lunettes paroiflent tranfparens, pour ce qu'ils le font en effet; mais plufieurs de ces petits corps mis en- femble ne font plus tranfparens , pour ce qu'ils ne

i5 font pas joints enfemble également, & le feul arren- gement des parties, eftant inégal, fuffit pour rendre opaque ce qui eftoit tranfparent, comme vous voyez que du verre ou du fucre candy, eftant pilez, ne font plus tranfparens, encore que chaque partie d'iceux

20 ne laiffe pas de l'eftre.

6. le vous remercie des qualitez que vous auez tirées d'Ariftote; i'en auois défia fait vne autre plus grande lifte, partie tirée de Verulamio 3 , partie de ma tefte, & c'eft vne des premières chofes que ie tâche-

25 ray d'expliquer, & cela ne fera pas fi difficile qu'on pourroit croire ; car les fondemens eftant pofez , elles fuiuent d'elles-mefmes.

7. Il eft impofîible de faire vn miroir qui brûle à vne lieuë loin, quoy qu'on ait écrit d'Archimede,

3o s'il n'eft d'vne grandeur exceffiue; la raifon eft que

a. François Bacon.

�� � i io Correspondance. ii, 494-495.

les rayons du Soleil ne font pas tous parallèles, comme on les imagine. Et quand vn Ange auroit fait vn miroir pour brûler, s'il n'auoit plus de fix toifes de diamètre, ie ne croy pas qu'il pûft auoir allez de force pour brûler à vne lieuë de diftance, quelque 5 figure qu'il luy donnait.

8. On ne peut donner d'autre raifon, pourquoy la Mufique ne s'étend qu'aux confonances qui naiffent de la première & féconde diuifion de l'o&aue , finon pour ce que l'oreille n'eft pas afTez fubtile pour dif- 10 tinguer les proportions qui feroient | entre les termes qui viendroient de la troifiéme diuifion, à fçauoir ces tons cy, les feptiéme, neufiéme, fextes & tierces im- parfaites, diaifes, comma, &c. Car admettant vn feul

de tout cela, il faut admettre le refte parneceffité. i5

9. Pour ce que vous demandez , comment les Vertus Chreftiennes s'accordent auec les Naturelles, ie ne fçaurois dire autre chofe , finon que de mefme que pour rendre droit vn ballon qui eft courbé, on

ne le dreffe pas feulement, mais on le plie de l'autre 20 cofté ; de mefme, pour ce que noftre nature eft trop portée à la vangeance, Dieu ne nous commande pas feulement de pardonner à nos ennemis, mais encore de leur faire du bien, & ainfi des autres.

10. Pour le latin que vous me demandez en voftre 25 féconde lettre, s'il vient de moy, il n'eft affeurément point de mon ftile, & mefme ie ne l'entens pas*. Pour

du refte ie m'en tais, car i'ay honte de parler de moy- me'fme. Mais ie vous jure que du temps que ce per- fonnage fe vante d'auoir écrit de fi belles chofes fur 3o la Mufique, il n'en fçauoit que ce qu'il auoit appris

�� � 11,495-496. XVII. — Janvier i6jo. ni

dans Faber Stapulenfis, & tenoit pour vn grand fecret de fçauoir que la quinte eftoit comme de 2 à 5, & la quarte de 4 à j , & n'auoit iamais paffé plus outre, & trouuoit cela fi beau, qu'encore qu'il fuft tout à 5 fait hors de propos, il l'auoit inféré en des Thefes de Médecine qu'il auoit foûtenuës peu de temps aupa- rauant. Ce que ie n'aurois daigné écrire, finon afin que vous fçachiez que ce n'eft pas fans raifon, que ie blâme fon peu de reconnoiflance, laquelle i'ay dé-

10 couuert en beaucoup d'autres chofes qu'en ce que vous m'auez mandé ; aufli n'ay-ie plus de commerce auec luy.

11. le n'entens point quîd fit ifia protuberantia in campanis*\ car il eft bien vray que toute la cloche

i5 tremble eflant frapée, mais c'efl vn mouuement qui eft égal par toute la cloche, au moins en tant qu'il en- gendre vn feul fon. Car s'il s'y trouue de l'inégalité, cela diuife le fon en plufieurs differens, & l'empefche pluftoft que de l'engendrer, comme on voit aux

20 cloches qui font fellées. Vous demandez fi vne groffe |cloche, frapée feulement auec vne épingle, branlera toute; ie répons que oùy, fi elle rend vn fon de mefme nature que celuy qu'elle rend ordinairement ; mais fi elle ne branle pas toute, elle rendra feule-

25 ment vn petit fon fourd, qui feroit femblable, en vn morceau de la cloche eftant caffée, qu'il eft la cloche eftant entière. De fçauoir quelle doit eftre la figure d'vne cloche, pour eftre la plus parfaite, c'eft à quoy ie n'ay encore iamais penfé.

3o 12. le n'entens point aufli ce latin : Pori prope ex- tréma funt dup lices ad poros in medio chordœ*, & il ne

�� � ii2 Correspondance. 11,496-497.

peut fignifier quVne faufle imagination. Car il eft cer- tain qu'vne corde bandée fur vn monocorde, eft éga- lement bandée en toutes fes parties ; & fi vous tour- nez la cheuille fort lentement pour monter la corde, ie croy qu'elle fe rompra aufii-toft au milieu qu'aux 5 extremitez. Mais fi vous la tournez vn peu vifte, elle le rompra plûtoft aux extremitez qu'au milieu, pour ce que le mouuement commençant par les bouts, elle n'y a pas tant de loifir pour s'étendre, qu'elle a au milieu, & ainfi elle s'y rompt pluftoft. Car il faut re- «o marquer que non extendiîur in inflanti; & vous ferez aller vne corde beaucoup plus haut fans la rompre, fi vous la montez peu à peu, que fi vous la montiez tout d'vn coup.

Pour l'homme des langues, ne trouuez pas eftrange i5 s'il explique du Perfan ou d'autres femblables lan- gues, principalement puis qu'il n'entreprend pas cela fur le champ, mais en deux ou trois iours de temps. - Car en ayant apris plufieurs, il peut bien déchiffrer quelque chofe de toutes les autres qui font en vfage, 20 au moins s'il a de l'efprit. Mais il eft ridicule de dire que les Romains ont tiré le nom de Dieu d'vn mot Hébreu & les Allemans d'vn Arabe : comme fi le peuple qui a compofé les langues s'eftoit voulu afiu- jettir à fuiure fes réueries ; cela eft fi puérile, que ie 25 m'eftonne de ce qu'on prend feulement la peine de l'écouter.

le vous remercie de ce que vous m'offrez de m'en- uoyer les obferuations de Monfieur GafTendy; ie ne voudrois pas vous donner tant de peine, puis quelles 3o ne font point imprimées. le ferois feulement bien aife

�� � ",497- XVII. — Janvier i6jo. iij

de fçauoir généralement s'il a pu voir plufieurs taches au Soleil, & combien il en a vu en mefme temps; fi elles vont toutes de mefme viteffe , et fi leur figure paroift toufiours ronde*. le voudrois bien aufli fçauoir 5 s'il a obferué certainement que la réfraction <fe l'air fift paroiftre les Aftres plus haut éleuez, lors qu'ils font prés de l'horifon, qu'ils ne font en effet ; et fuppofé qu'il l'ait obferué, fçauoir fi cette réfraction a lieu aufli en la Lune; comme aufli fi cette refra&ion eft

io plus grande ou plus petite aux Aftres qui font proches de l'horifon vers le Septentrion, qu'en ceux qui font vers le Midy*. Mais ces choies là requièrent des inftru- mens fi iuftes, & des fupputations fi exades, que ie n'ofe efperer que perfonne du monde ait encore pu

1 5 déterminer cela affurément ; et s'il y a quelqu'vn qui le puiflé, ie n'en connois point en qui i'aye tant d'ef- perance qu'en luy.

Il me femble vous auoir oûy dire autrefois que vous auiez examiné iuftement la pefanteur de tous les

20 métaux & que vous en auiez fait vne table; fi cela eft, & que ce ne vous foit point trop de peine de me l'enuoyer, vous m'obligerez extrêmement.

le voudrois bien aufli fçauoir fi vous n'auez point expérimenté, fi vne pierre iettée auec vne fronde, ou

a5 la baie d'vn moufquet, ou vn trait d'arbalefte, vont plus vifte, & ont plus de force au milieu de leur mou- uement, qu'ils n'ont dés le commencement, & s'ils font plus d'effet. Car c'eft la créance vulgaire, auec laquelle toutesfois mes raifons ne s'accordent pas ; et

3o ie trouue que les chofes qui font pouffées, & qui ne

28 auec omis, a Inst.

Correspondance. I. >5

�� � 1 14 Correspondance. n, 497 .

fe meuuent pas d'elles-mefmes, doiuent auoir plus de force au commencement, qu'elles n'ont incontinent après*. le fuis,

Mon R. P. Voflre tres-humble, et très- obéi ffant ferai teur,

DESCARTES.

Page 108, 1. 5. — Mersenne semble avoir mal reproduit, en écrivant à Descartes, ce que Beeckman lui avait dit dans sa lettre du i er octobre 1629 (Bibl. Nat. fr. n. a. 6206, f° 32 v°). « Dices sextam minorem a tertia ma- » jore et tertiam minorem idem pati a sexta majore ; verùm non tanta » bonitatis ditferentia : 12' enim ictu quarto, ter unitur, quinta qua- » ter, etc. »

Page 109, l.io. — Beeckman (ibid. f» 33 v°) avait écrit à Mersenne: « Causa vocis auditae est idem ille numéro aer qui erat in ore loquentis, » non, vt vulgo putatur, vicissitudo sphœralis motûs in aère quem cir- » culis ex proiecto in aquam lapide factis assimulant. » Il avait également soutenu la même opinion devant Gassend, lorsque celui-ci le visita à Dordrecht, pendant l'été de 1629. Voir p. 45 des Mathematico-Physica- rum Meditationum, Qucestionum, Solutionum Centuria d'Isaac Beeckman, Utrecht, 1644.

Page 10, i- 27. — Comme Beeckman, dans une lettre antérieure à Mer- senne, avait cité un passage du Compendium musicce de Descartes, le Minime se demandait sans doute si ce que le recteur du collège de Dor- drecht lui avait écrit le i er octobre 1629 sur la Musique provenait égale- ment de la même source. Descartes proteste : il s'agit probablement des phrases de Beeckman indiquées ci-après.

Page m, 1. 14. — Beeckman à Mersenne, lettre précitée du 1" octobre 1629 (f° 33) : « Rogas an existimem etiam in campanis, tubis, etc., » recursus esse. Respondeo nullum sonum absque iis fieri posse, ideoque » campanas, dum sonant, non tremere totas, qui tremor sonitum nullum » aut exiguum saltem edit, sed partes campanas vicissim introrsum et » extrorsum extuberare, ac sonum durare quamdiu particulae ita » mouentur. »

Page iii,1. 3i. — (Tbid.) « Chordam nimis tensam frangi semper circa >» alterutrum extremum, mihi non videtur mirum; iis enim locis quibus » affigitur altéra tantum parte fit extensio, in medio vero hiatus vtrinque » compensatur; cumque vis vbique sit cequalis, sequitur hiatum aut » poros prope extrema esse duplices ad poros in medio chordœ. »

Page 113,1.4. — La découverte des taches du Soleil et de leur mouve- ment avait été successivement publiée : vers l'automne de 161 1, par Jean

�� � ii, 5i6. XVIII. — 25 Février 1650. 11 j

Fabricius : De Maculis in Sole observatis , etc. (Wittemberg , Laurent Seuberlich); le 5 janvier 1612, par le jésuite Christoph Scheiner : Très epistolœ de Maculis Solaribus scriptce ad Marcum Velserum (Augsbourg, sous le pseudonyme Apelles latens post tabulant); en mai 161 2, par Galilée : Discorso. . . intorno aile cose che stanno in su l’acqua, à che in quella se muovono (Florence, Cosimo Giunti). L’opuscule de Fabricius n’attira guère l’attention ; mais Galilée, dont les observations, remontant à 16 10, avaient certainement été connues de Scheiner, réclama vivement la priorité : Istoria e dimostra\ioni intorno aile Macchie Solari, etc. (Rome, Giacomo Mascardi, 161 3). — Dès cette publication, la question préoccupe en France Peiresc (voir l’écrit de Gassend : De vitâ Peireskii, i65i, p. 2o5). Bientôt après Jean Tarde, chanoine théologal de Sarlat, dans ses Borbonia Sydera (Paris, Gosselin, 1620; traduction française en i623), soutint que ces taches apparentes étaient des planètes. Le grand ouvrage de Scheiner sur les taches du Soleil, sa Rosa Ursina (Bracciano), ne fut achevé d’imprimer que le i3 juin i63o; quelques exemplaires portent cependant la date du 2 5 octobre 1629.

Page n 3, 1. 12. — Cf. l’opuscule de Gassend : Epistolce IV de apparente magnitudine Solis humilis atque sublimis (Paris, Hacqueville, 1642).

Page 114, 1. 3. — Il est remarquable que sur ce dernier point, dont Mersenne ne semble pas avoir parlé à Descartes, Beeckman avait écrit au Minime dans le même sens, tant dans sa lettre du 1" octobre 1629 que déjà dans une lettre antérieure (Bibl. Nat. fr. n. a. f°4o v°).

XVIII.

Descartes a Mersenne.

25 Février 1630.

Texte de l’exemplaire de l’Institut, tome II, lettre 110, p. 5i6-526.

Variantes d’après le texte de Clerselier. — La date n’est donnée que par l’exemplaire de l’Institut, où elle est suivie de la note : « J’ay la lettre écrit (sic). »

Mon Reuerend Père, Vous m’interrogez comme fi ie deuois tout fçauoir, & femblez auoir oublié ce que vous m’auiez promis

2 m’auiez] m’auez. u6 Correspondance. 11,516-517.

en l'vne de vos premières lettres, fur ce que ie m'ex- cufois de repondre à vos queftions, a fçauoir, que vous vous contenteriez de ce qui me viendroit fous la plume, fans m'obliger à y penfer plus curieufement. Ce n'eft pas toutesfois que ie ne le fiffe tres-volon- 5 tiers, fi i'efperois en pouuoir venir à bout; mais la plufpart de ce que vous me propofez en voftre der- nière, me femble tout à fait impoflible.

Comme premièrement de déterminer à quelle dif- tance le fon peut eftre entendu. Car cela ne fuit pas 10 les raifons des confonances ; mais il dépend de quatre ou cinq chofes différentes, lefquelles eftant toutes fup- pofées, il ne relie plus rien à déterminer par la raifon.

Secondement c'eft tout de mefme de vouloir déter- miner combien le fifflement d'vn boulet, ou d'vne i5 | corde, portée par l'air, fera graue ou aigu. De quoy ie ne fçaurois auoir que de foibles conieétures, & ie fuis bien aife de ne rien écrire que ie ne fçache. Pour ce que i'auois dit 8 , que le ton ne peut eftre iugé graue ou aigu que la corde n'ait fait au moins deux tours, 20 le fifflement d'vn boulet n'y répugne point; car s'il vous en fouuient, i'auois défia dit en quelque autre

1 de vos premières lettres] de véritablement il eft impoflible

vos dernières. — 5 ne le fiffe] d'auoir autre choie que des

n'y penfaffe. — 10 le fon] vn imaginations. — 19 dit] écrit,

fon. — 11 les raifons des con- — ne. . . iugé] ne fe peut iuger. fonances] les proportions de ' — graue ou aigu omis. —

Mufique. — i3 par] pour. — 20 tours] retours. — 21-22 s'il...

i5 d'vn boulet] de canon aj. fouuient] fi vous vous en fou-

— 16 portée] porté. — 16-17 de uenez. — 22 en quelque autre]

quoy... coniectures] de quoy en quelques autres.

a. Voir Lettre XVII, p. 109, 1. 5.

�� � ii, 5i 7 . XVIII. — 25 Février 1630. 117

de mes lettres, qu'il n'eft pas neceffaire que ces tours & retours fe faffent au cors d'où procède le fon, mais feulement en l'air, qui frape l'oreille 8 ; ainfi ie dis que le fon d'vn boulet ou d'vne flufte ne peut eftre iugé, 5 qu'il n'ait frapé au moins deux fois l'oreille.

Troisièmement pour le rejaillifiement des balons, ie n'ay pas dit que toute la caufe en deuil eftre attribuée à l'air enfermé dedans, mais principalement à la con- tinuation du mouuement b , ce qui a lieu en tous les

10 corps qui rebondiffent, c'eft à dire ex hoc ipfo quod vna res cœpit moueri, ideo pergit moueri, quamdiu poteji; atqueji non pojflit recta pergere,potius in contrarias partes reflectitur quàm quiefcat. Il faut pourtant auffi remar- quer, que comme l'air enfermé dans vn balon fert de

1 5 reffort pour aider à le repouffer , auffi fait la matière de prefque tous les autres cors, tant de ceux qui rebon- diffent, que de ceux contre lefquels ils rebondiffent, comme les nerfs d'vne raquette, la muraille d'vn jeu de paume, la dureté de la baie, &c. Pour l'air qui fuit

20 ou qui précède, c'eft vne imagination de l'Ecole, qui, à mon iugement, n'y fait rien du tout c .

1-2 ces tours et retours] ces tum poteft. — 12 atque] et. —

retours. — 7-10 en deuft. .. ex i3 quàm quiefcat omis. — auffi

hoc ipso] en deuoit eftre attri- pourtant. — 16-17 ceux... rebon-

buée au repouffement de l'air, diffent] ceux qui les font rebon-

mais auffi à la continuation du dir. — 19-21 Pour l'air... rien

mouuement, c'eft à dire que ex du tout] et ie n'en fçache point

eo. — ii quamdiu poteji] quart- d'autre que ces deux raifons.

a. Lettre XVI, p. io3, 1. 19.

b. Lettre XVII, p. 107, 1. 3i.

c. Sur ce point, l'École suivait fidèlement Aristote [De Cœlo, III, 2, 3oi b, etc.).

�� � n8

��Correspondance.

��II, 5i 7 -5i8.

��4. I'ay dit que l'oreille n'efloit pas allez prompte, pour iuger des interuales qui naiffent de la troifiéme & quatrième biffeélion 3 , où quand ie dis iuger, c'eft à dire les comprendre fi facilement qu'elle en reçoiue du plaifir, de quelle forte ie n'auouë pas qu'elle puifle iuger du ton, ny de la feptiéme ou triton, etc., comme vous dites. Au relie tous ces interuales naif- fent immédiatement de la troifiéme biffeétion, en forte que s'il en falloit receuoir quelqu'vn de plus que les ordinaires, ce feroient ceux cy qui viendroient les premiers ; mais on ne fçauroit admettre aucun d'entre eux, qu'on ne receuft aufly tous les autres ; ce qui monftre affez clairement, ce me femble, pourquoy on n'en reçoit aucun.

1 5. Ce que vous voyez fortir des Eolipiles*, eft fem- blable à ce que vous voyez dans les vapeurs ou fumées qui fortent de l'eau ellant mife auprès du feu. Pour le vent, ce n'ell autre chofe que l'émotion de cette vapeur. Et quand voftre expérience euft reùiTi, vous n'auriez pas encore trouué la proportion de l'air auec l'eau ; car le vent peut élire quelquefois d'vn air fort

��10

��i5

��20

��1 l'oreille] l'imagination. — 2 des interuales] de la propor- tion des interuales. — 4 les] le. — 5 de quelle sorte] en cette façon. — 6 ou triton] ou du triton. — etc., omis. — 9- 12 quelqu'vn... autres] quelque autre, après ceux qui font défia receus, ce feroit ceux cy immé- diatement, et on n'en fçauroit

��receuoir vn, qu'on ne receuft tous les autres. — 14 aucun] d'eux aj. — i5 des Eolipiles] par le trou d'vne Eolipile. — 16-17 dans ' es vapeurs... du feu] aux vapeurs que la cha- leur éleue deffus l'eau. — 18-

19 que... vapeur] que l'air, ou cette vapeur émeuë. —

20 trouué omis. — auec] à.

��a. Lettre XVII, p. 108,1.28.

�� � épais, & quelquefois d’vn autre beaucoup plus rare.

Pour ce qui fait que l’air, enfermé dans vn canon, peut reſiſter à la force de pluſieurs hommes, ce n’eſt pas à cauſe qu’il eſt plus denſe que l’eau, mais pour 5 ce qu’il eſt compoſé de parties qui ne peuuent penetrer au trauers du canon, & par conſequent il ne ſe peut condenſer ; car il eſt certain que lors que quelque choſe ſe condenſe, il en ſort quelques parties, & les plus groſſieres demeurent : comme ſi vous preſſez 10 vne éponge pleine d’eau, l’eau en ſortira[30]. Que ſi vous enfermiez de l’air, le plus rare que vous puiſſiez imaginer, en vn lieu où vous ſuppoſiés qu’il n’y ait point de pores, par où aucune partie de cet air puiſſe ſortir, ie dis que toutes les forces du monde ne 15 pourront condenſer cet air en aucune façon. Mais il faut ſçauoir qu’il y a des parties, & dans l’air, & dans tous les cors qui ſe condenſent, ſi ſubtiles qu’elles paſſent par les pores qui ſont & dans l’or* & dans les diamans, & dans tout autre cors, quelque ſolide qu’il 20 puiſſe eſtre. Au reſte cecy m’eſt échapé, & ie n’écris pas volontiers ſemblables choſes, pource qu’elles ſemblent paradoxes, & ie n’en ſçaurois mettre les rai-

1 d’vn… rare] d’vn plus rare. — 2 enfermé] renfermé. — 5-6 penetrer… canon] ſortir de là. — 7 condenſer] dauantage aj. — 12 en vn lieu… ſuppoſiés] dans vne veſſie ou choſe ſemblable, mais en laquelle vous ſupoſiez. — 13-14 aucune partie… ſortir] les plus ſubtiles parties de l’air puiſſent paſſer. — 16 ſçauoir] que vous ſçachiez. — 16-18 dans tous les corps… qu’elles paſſent] dans les autres corps, qui peuuent penetrer. — 20 cecy m’eſt échappé et omis. — 21 ſemblables choſes] ces choſes.

ſons dans vne lettre, encore que ie les penſe ſçauoir

par demonſtration, & c’eſt l’endroit de mon Traité où ie ſuis maintenant[31].

6. Pour les miroirs, ie n’y ſçay rien que ce que vous y ſçauez mieux que moy[32], ce qui eſt cauſe que ie 5 n’y auois pas répondu à l’autre fois. Car vous ſçauez bien qu’vn miroir concaue fait paroiſtre l’image en l’air, & qu’encore qu’il ſoit en lieu obſcur où 10 il ne puiſſe eſtre vu, pouruû que l’obiet ſoit en lieu illuminé, il ne le repreſentera pas moins ; & en|fin que l’œil peut 15 voir l’image ſans voir l’obiet ny le miroir, pouruû toutefois qu’il ſoit vis à vis du miroir : comme ſoit l’œil d, l’image e, le miroir b en vn lieu obſcur, & l’objet a en lieu clair hors la chambre, & duquel les rayons, paſſans par vn petit trou en c, tombent 20 dans le miroir, leſquels n’illumineront pas le miroir

2-3 et c’eſt… maintenant omis. — 5 y omis. — 7-14 image en l’air… illuminé] l’image hors de luy, et que pourueu que l’objet ſoit en lieu illuminé, encore que le miroir ſoit en lieu fort obſcur et où il ne puiſſe eſtre veu. — 16-p. 121, 1. 3 l’obiet… Pour la figure] l’obiet ; comme le miroir b peut eftre en vn lieu obſcur ; l’œil d, l’image e, et l’objet a, en lieu clair, dehors la chambre, et duquel les rayons paſſans par c, donnent en b. Pour la figure.

pour cela, ſi tout eſt bien diſpoſé, mais leur lumiere

ne ſeruira que pour faire voir l’obiet en e. Pour la figure du miroir, elle varie en vne infinité de façons, ſelon le lieu où l’on veut s’en ſeruir ; mais ie n’en ay 5 iamais calculé aucune definitiuement. Au reſte ie ne tiens point cecy pour ſecret, mais pourtant ie ne ſerois pas bien aiſe qu’il fuſt imprimé, pour certaines raiſons, & ie n’en parleray point du tout en mon Traitté[33].

10 Pour ce que vous propoſés en tout le reſte de voſtre lettre, ſi vous prenés la peine de relire ma precedente, il me ſemble que i’y auois répondu, au moins autant que i’en ſuis capable. Car pour les miroirs a bruſler, on fera encore moins auec deux paraboliques 15 qu’auec vn ſeul fait par la main d’vn Ange, comme ie diſois[34].

I’auouë qu’vne cloche ne peut ſonner ſans changer de place ; que ce n’eſt pas la colliſion du marteau qui fait le ſon ; que ſi on entend pluſieurs ſons enſemble, 20 c’eſt qu’vne partie de la cloche ſe remuë autrement que le reſte, &c. Mais ie n’auouë pas qu’vne corde ſoit moins tenduë au milieu qu’aux extremitez[35], & le contraire eſt tres certain ; mais ce qui la fait ſembler

4 le lieu] la ſituation du lieu. — 7-8 pour certaine raison. — 10-16 Omis par Clers., qui met ici l’alinéa : Ie vous remercie de vos obſeruations des metaux (p. 122, l. 21 — 123, l. 10). — 18 que] et. — marteau] præcise aj. — 20 de la cloche] ou de la corde aj. — 21 le reſte] — l’autre. — ie… pas] non pas.

plus laſche, lors qu’on la touche du doigt, au milieu qu’aux extremitez, c’eſt qu’encore que toutes ſes parties cedent egalement en l’vne qu’en l’autre façon,

toutefois le doit a bien plus d’eſpace à aller au milieu qu’il n’a pas vers 5 les bouts. Car poſons que toute la corde a b, touchée en c iuſques à e, toutes ſes parties l’allongent d’vne ligne, en ſorte que la toute a e b ſoit plus 10 longue d’vne ligne que a b. Apres touchons la en d iuſques à ce qu’elle ſoit auſſi allongée d’vne ligne, a ſçauoir a f b, la Geometrie nous monſtre que c e eſt beaucoup plus grand que d f, ce qui rend la corde plus molle au toucher. Et on y peut encore ajouter 15 vne autre raiſon ; mais celle cy ſuffira.

Vous m’eſtonnés de dire que mon Docteur ait donné ſes Theſes à Mr. Gaſſendi : ie n’euſſe pas crû qu’il les euſt gardées ſi longtems, & c’eſt bien à dire qu’il n’a rien fait depuis qui ſoit meilleur[36]. 20

Ie vous remercie de vos obſeruations des metaux[37] ;

1 lors qu’on la touche] en la touchant. — 1-2 au milieu qu’aux extremitez omis. — 2-16 c’eſt qu’encore que… suffira] c’eſt que lors que vous la touchez au milieu, toutes les parties cedent chacune également, et ſi vous la touchez au bout, il n’y a pas tant de parties qui puiſſent ceder ; touchez-là en c, chaque partie cedant également, elle ira iuſques à e ; touchez-là aprés en d de meſme force, elle n’ira qu’à f, vn peu plus, pource que de l’autre coſté les (P. 520) parties entre a et f cederont vn peu plus que celles d’entre f et b. — 17-20 Alinéa omis. mais ie n’en ſçaurois tirer aucune conſequence, ſinon qu’il eſt tres malaiſé de faire des experiences exactes en choſe ſemblable. Car ſi vos cloches eſtoient toutes de meſme groſſeur, elles deuoient donner meſme 5 difference de l’air à l’eau, et toutefois ie n’en trouue point deux qui s’accordent. De plus, vous faites l’or plus leger que le plomb, & ie trouue euidemment le contraire. Vous faites l’argent pur auſſi peſant en l’eau qu’en l’air, & l’airain plus peſant, ce qui eſt 10 impoſſible : mais c’eft peut-eflre lapſus calami.

| Pour les couronnes, ce que voit voſtre garçon, & que, ie m’aſſure, vous aurez vu depuis, eſt tout ce que ie voulois dire. Car ce qu’il nomme cinq chandelles, c’eſt ſeulement vne chandelle, & les quatre 15 autres ſont des parties de couronnes, qui paroiſtroient entieres, ſi le tiſſu de la plume eſtoit diſpoſé en rond, au lieu qu’il l’eſt en long ; vous en verrez encore moins en vn cheueu, auſſi eſt-il plus petit. Mais c’eſtoit ſeulement pour vous dire, que ces 20 couleurs ſont bien plus viues & diſtinctes, que celles dont vous parliez[38].

Mandés-moy, ie vous prie, que fait M. Ferrier, &

1 aucune conſequence] aucun fondement. — 2 tres malaiſé] impoſſible. — 3 en ſemblable choſe. — 4 deuroient toutes donner. — 9-10 ce qui… calami] ce que ie croy plutoſt eſtre lapſus calami, que fautes à l’experience. — 13-14 chandelles] au lieu d’vne aj. — 15-16 paraiſtroient] paroiſſent. — 17 qu’il l’eſt] qu’il eſt diſpoſé. — 17-18 vous… cheueu] dans vn cheueu vous en verrez encore moins. — 18 eſt-il plus petit] le ſujet n’eſt-il pas grand. — 20 et plus diſtinctes. — 22 Toute la fin de la lettre manque.

s’il a acheué l’infiniment de Mr. Morin ; car ie n’ay

point eu de ſes nouuelles il y a long tems.

Ie vous prie de me tenir en vos bonnes graces.

Voſtre très humble  desc.

Ce 12e iour de careſme 160. 5

Page 118, l. 15. — L’éolipyle, connu des anciens et décrit dans les Pneumatiques de Héron d’Alexandrie, donne un vent qui était considéré comme conséquence d’une transformation d’eau en air. Dans son célèbre ouvrage : Les Raisons des forces mouvantes, avec diverses machines tant utiles que plaisantes (Francfort, 1615 ; Paris, 1624), Salomon de Caus avait bien montré que le vent en question était un jet de vapeur d’eau. Mais Mersenne semble partager encore l’opinion des anciens, et les idées de Descartes lui-même à ce sujet ne paraissent nullement précises.

XIX.
Descartes a Mersenne.
[4 mars 1630.]
Texte de Clerselier, tome II, lettre 110 milieu, p. 520-521.

La fin de la lettre précédente est nettement marquée sur l’exemplaire de l’Institut ( « Icy finit la lettre manuscrite que j’ay » ), tandis que le texte de Clerselier continue pendant sept pages (520-526). La formule au bas de la page 521 indique la fin d’une lettre (le présent fragment) ; et la suite, le début d’une autre (ci-après lettre XX), dont, comme on le verra, la date semble pouvoir être fixée avec précision au 18 mars 1630, tandis que ce même début indique clairement que Descartes avait écrit à Mersenne quinze jours auparavant, soit le 4 mars. Le présent fragment doit représenter cette dernière lettre, et il est possible qu’il n’y manque qu’un début contenant des remercîments pour l’envoi des observations de Gassend sur les taches du soleil, début que Descartes n’aura pas écrit en minute. La brièveté de la lettre s’explique par cette circonstance qu’une solution de problèmes proposés par Mydorge y était jointe (c’était probablement la pièce 4 de la collection Lahire), et que, d’un autre côté, Descartes répondait (évidemment à la hâte) à une lettre reçue le jour même. (Voir le commencement de la lettre XX.)

Vous ne me dites pas de quel coſté ſont les poles de cette bande, où ſe remarquent les taches du Soleil[39], encore que ie ne doute point qu’ils ne correſpondent aucunement à ceux du monde, & leur 5 ecliptique à la noſtre.

Pour les Problemes de M. Myd(orge), ie vous en enuoye la ſolution, que i’ay ſeparée de cette lettre, afin que vous la puiſſiez monſtrer comme elle eſt. Mais ie voudrois bien que vous vouluſſiez prendre la 10 peine de luy demander auparauant, s’il croit que ie ne les puiſſe ſoudre ; & s’il témoigne en douter, ou qu’il diſe que non, alors ie ſeray bien aiſe que vous luy monſtriez ce billet comme l’ayant receu de ces quartiers, dans la lettre de quelqu’vn de vos amis, & 15 que vous iugez qu’il eſt de mon écriture : car ie ne me ſoucie pas tant qu’on ſoupçonne où ie ſuis, pouruû qu’on ne ſçache point l’endroit aſſeurément ; & peut-eſtre dans vn mois ou deux quitteray-ie tout à fait ce païs[40]. Mais fi M. Mydorge témoigne qu’il ne 20 doute point que ie ne puiſſe ſoudre ſes Problémes, ie vous prie de ne luy point monſtrer ce que i’en ay écrit, ny à aucun autre.

Des enfans, eſtans nourris enſemble, n’apprendront point à parler tous ſeuls, ſinon peut-eſtre quelques mots qu’ils inuenteront, mais qui ne ſeront ny meilleurs ny plus propres que les noſtres ; au contraire, les noſtres, ayant eſté ainſi inuentez au commencement, ont eſté depuis & ſont tous les | iours corrigez & adoucis par l’vſage, qui fait plus en ſemblables 5 choſes, que ne ſçauroit faire l’entendement d’vn bon eſprit.

2. Ce qui fait que vous voyez deux chandelles eſtant couché, c’eſt que les axes viſuels ne s’aſſemblent pas où eſt la chandelle. Si vous en voyez 10 dauantage, c’eſt éblouïſſement de la veuë.

3. Ie vous auois deſia écrit[41] que c’eſt autre choſe, de dire qu’vne conſonance eſt plus douce qu’vne autre, & autre choſe de dire qu’elle eſt plus agreable. Car tout le monde ſçait que le miel eſt plus doux que 15 les oliues, & toutesfois force gens aimeront mieux manger des oliues que du miel. Ainſi tout le monde ſçait que la quinte eſt plus douce que la quarte, celle-cy que la tierce majeure, & la tierce majeure que la mineure ; & toutesfois il y a des endroits où la 20 tierce mineure plaira plus que la quinte, meſme où vne diſſonance ſe trouuera plus agreable qu’vne conſonance.

4. Ie ne connois point de qualitez aux conſonances qui répondent aux paſſions. 25

5. Vous m’empeſchez autant de me demander de combien vne conſonance eſt plus agreable qu’vne autre, que ſi vous me demandiez de combien les fruits me fſnt plus agreables à manger que les poiſſons. 30

6. Pour les compoſitions des raiſons, nommez-les comme il vous plaira, mais vous voyez clairement ſur voſtre monocorde, comment vne dixiéme[42] majeure ſe peut diuiſer en vne octaue[43] & vne tierce 5 majeure.

Pour les neiges, il a vn peu neigé icy au meſme temps que vous marquez, & fait vn peu froid quatre ou cinq iours, mais non pas beaucoup. Mais tout le reſte de cet hyuer, il a fait ſi chaud en ce païs, qu’on 10 n’y a vû ny glace ny neige, & i’auois deſia penſé vous l’écrire, pour me plaindre de ce que ie n’y auois ſceu faire aucune remarque, touchant mes Meteores. Au reſte, ſi M. Gaſſendy a quelques autres remarques touchant la neige, que ce que i’ay vu dans Kepler, 15 & remarqué encore cét hyuer, de Niue ſexangula & Grandine acuminata[44], ie ſeray bien-aiſe de l’apprendre ; car ie veux expliquer les Meteores le plus exactement que ie pourray. Ie vous prie de me conſeruer en vos bonnes graces.

Mersenne avait sans doute signalé à Descartes l’observation par laquelle Gassend termine son Examen Philosophiæ Roberti Fluddi, adressé au Minime, de Charleville, le 4 février 1629. « Scilicet cùm iam nobis Cœlum suas illas aureas stellas inuideat, aer ipse niualeis suas adeo copiose elargitur, vt etiam supersint, quas ipse accipias. Sexangulam seu, vt sic loquar, sexradialem intelligo niuem, quæ vt nuper nobis apparuit, sic depingenda tibi iam est. Cum diuerteremus Sedani, die Ianuarii 29, ea cœpit sub horam à meridie tertiam affatim decidere. Forma erat stellæ cum sex radiis… Absolvebam Karopoli ad Mosam in itinere pridie nonas Februarias, Anno Christianæ eræ vulgaris M.DC.XXIX » (Gassendi Opera, Lyon, i658, t. III, p. 266 ; cf. t. IV, p. 102-103).

128 Correspondance. h, sji-s»».

��XX.

Descartes a Mersenne.

[18 mars i63o.] Texte de Clenelier, tome II, lettre no fin, p. 5ai-5i6.

Sur l'exemplaire de l'Institut, le début d'une nouvelle lettre n'est indiqué qu'au second alinéa, ce qui est une erreur évidente. La date assignée est celle de mars i63o, ce qui est bien d'accord avec ce que dit Descartes qu'il y a cinq ou six mois [depuis le î6 octobre 162g] qu'il n'a reçu des nouvelles de Ferrier, et avec le rappel de cette lettre « écrite en mars dernier » et concernant ledit Ferrier, rappel qu'il fait en décembre i63o (Gers., /. II, p. 32 /). Mais il est possible de préciser davantage. En effet, dans la lettre suivante, du iS avril i63o, Descartes dit qu'il n'y avait que huit jours qu'il avait écrit à Mersenne, lorsqu'il reçut, dix ou dou^e jours après l'envoi, une lettre du Minime du 14 mars. On peut dès lors fixer la présente au 18 mars, lundi jour du courrier, ainsi que le marque le premier alinéa et que le confirment les dates fixes des lettres de Descartes en cette année.

I'ay répondu à vos précédentes dés le iour mefme que | ie les ay receuës ; mais vous ne pouuiez pas en- core auoir ma lettre, lors que vous auez écrit vos dernières; car il faut toufiours du moins trois fe- maines pour auoir réponfe, & le Meflager n'arriue icy que le Samedy au foir, ou le Dimanche félon le vent, & s'en retourne le Lundy au foir, & quelques-fois aux voyages que ie n'attens point de vos lettres, il eft preft de s'en retourner auant qu'on me les ap- porte.

Au refte vous ne m'eftonnez pas moins de me

��10

�� � mander que le bon Mr. Ferrier[45] ſe diſpoſe maintenant pour venir icy, que de ce qu’il a quitté l’inſtrument de Mr. Morin[45] ſans l’acheuer ; car il ne m’en a rien mandé, & il y a cinq ou ſix mois que ie n’ay receu de 5 ſes nouuelles. Et meſme aprés luy auoir écrit deux grandes lettres[46] qui ſembloient pluſtoſt à des volumes, où i’auois taſché de luy expliquer la plus grande partie de ce que i’ay penſé touchant la conſtruction des lunettes, il ne m’a pas fait de réponſe, 10 & n’aurois point ſceu qu’il les euſt receuës, ſinon qu’il y en auoit pour vous au meſme paquet qui vous ont eſté renduës[47]. Ce qui me faiſoit pluſtoſt iuger qu’il eſtoit occupé à d’autres choſes, que non pas qu’il penſaſt à venir icy ; veu principalement que l’année 15 paſſée, lors que ie l’y auois conuié, il m’en auoit oſté toute eſperance. Alors i’eſtois à Franeker[48], logé dans vn petit Chaſteau, qui eſt ſeparé auec vn foſſé du reſte de la Ville, où l’on diſoit la Meſſe en ſeureté ; & s’il fuſt venu, ie voulois acheter des meubles, & 20 prendre vne partie du logis, pour faire noſtre ménage à part. I’auois deſia fait prouiſion d’vn garçon qui ſceuſt faire la cuiſine à la mode de France, & me reſoluois de n’en changer de trois ans, & pendant ce temps-là, qu’il auroit tout loiſir d’executer le deſſein 25 des verres, & de s’y ſtiler, en ſorte qu’il en pourroit par aprés tirer de l’honneur & du profit. Mais ſi-toſt que ie ſceus qu’il ne venoit point, ie diſpoſay mes 120 Correspondance. 11,522-523.

affaires en autre forte ; & maintenant ie me prépare pour pafler en Angleterre dans cinq ou fix femaines, comme ie penfois défia vous auoir écrit 3 . Au relie, quand bien mefme ie demeurerois icy, ie ne le pour- rois pas auoir fans incommodité. Et, entre nous, 5 quand bien mefme ie | pourrois, ce que vous me man- dez, qu'il n'a point acheué l'inftrument de Monfieur Morin b m'en olteroit l'enuie : car il me mandoit Tan- née paffée, que Monfieur Frère du Roy luy auoit commandé de l'acheuer, & qu'on lui auoit fait venir 10 exprés des eftoffes d'Allemagne. Apres cela, ie ne voy pas quelle excufe il peut auoir, & fi en trois ans tantoft qu'il eil après, il n'en a fceu venir à bout, ie ne dois pas efperer qu'il exécute les verres, pour lef- quels il luy faudroit préparer des machines, que ie i5 tiens plus difficiles que cet infiniment. Et i'aurois grande honte, fi après l'auoir gardé deux ou trois ans, il ne venoit à bout de rien qui furpaflaft le com- mun ; on m'en pourroit imputer la faute, ou pour le moins celle de l'auoir fait venir icy pour néant. Il 20 n'eft point de befoin, s'il vous plaift, de luy parler de cecy, ni mefme que ie ne fuis plus en defifein de le receuoir, finon que vous vifîiez tout à bon qu'il s'y pré- parait, auquel cas vous luy direz, s'il vous plaift, que ie vous ay mandé que ie m'en allois hors de ce pais, & 25 que peut-eftre il ne m'y trouueroit plus. Que s'il pen- foit venir, encore que ie n'y fuffe pas, penfant y élire mieux qu'à Paris (car ceux qui n'ont pas voyagé ont quelquesfois de telles imaginations), vous le pourrez

a. Voir la Lettre précédente, page 1 25, note b.

b. Monfieur N. Clers.

�� � n, 5«3-5*4. XX. — 18 Mars i6jo. iji

aflurer qu'il y fait plus cher viure qu'à Paris, & qu'il trouueroit icy moins de perfonnes curieufes des chofes qu'il peut faire, qu'il n'y en a en la plus petite ville de France. Ce qui fait que ie vous prie de ne

5 luy point dire mon intention là deffus, fi cela ne luy eft neceffaire, c'eft que ie ne croy pas, veu ce qu'il m'auoit mandé auparauant touchant l'eftat de fes affaires, qu'il puft venir, encore mefme que ie l'en priaffe 3 ; & croy affurément que ce qu'il en dit, n'eft

10 que par ie ne fçay quelle humeur, pour s'excufer foy- mefme de ce qu'il ne fait pas autre chofe. Mais s'il fçauoit que ie ne fuffe plus en volonté de l'auoir auec moy, peut-eftre que ce feroit alors qu'il le defire- roit le plus, & qu'il diroit qu'il s'y feroit attendu, &

i5 que ie luy aurois fait perdre beaucoup d'autres bonnes occafions. Car il y en a qui font de telle hu- meur, qu'ils ne défirent les chofes que lors que le temps en eft paffé, &|qui inuentent des fujets pour fe plaindre de leurs amis, penfant ainfi excufer leur

20 mauuaife fortune. Ce n'eft pas que ie ne l'ayme b , & que ie ne le tienne pour vn homme tout plein d'honneur & de bonté ; mais pour ce que ie ne con- nois que deux perfonnes, auec qui il ait iamais eu quelque chofe à démener, qui font M T M(ydorge) &

25 M r M(orin), & qu'il fe plaint de tous les deux, ie ne fçaurois que ie ne iuge qu'il tient quelque chofe de cette humeur, où il faut dire qu'il eft bien malheu- reux. Enfin, s'il eft vray qu'il ait fait fon conte de venir icy, ie dois iuger par là qu'il met fort mauuais

a. le ne l'en priaffe Clers.

b. Que ie ne l'ame Clers.

�� � ij2 Correspondance. h, 5j 4 .

ordre à fes affaires, vu qu'il ne m'en a rien mandé du tout, & qu'il a efté fi long-temps fans m'écrire, encore qu'il euft receu des lettres, aufquelles tout autre que moy auroit trouué mauuais de ce qu'il n'a point fait de réponfe : car outre que ie luy expliquois beaucoup 5 de chofes qu'il auoit defirées, ie le priois de m'écrire tout plein de petites particularitez , à quoy, ce me femble , au moins il deuoit répondre a . le me fou- uiens feulement de deux, qui font de me mander fi M r . de Balzac ou M r . Seillon 6 feroient cet hyuer à 10 Paris. I'ay crû cela trop peu de chofe pour vous don- ner la peine de me l'écrire ; mais fi vous le fçauez, ie feray bien aife de l'apprendre. Après tout, ie plains fort M r . Ferrier c & voudrois bien pouuoir, fans trop d'incommodité, foulager fa mauuaife fortune; car il ,5 la mérite meilleure , & ie ne connois en luy de def- faut, finon qu'il ne fait iamais fon conte fur le pié des chofes prefentes, mais feulement de celles qu'il ef- pere ou qui font paflées, & qu'il a vne certaine irre- folution qui l'empefche d'exécuter ce qu'il entre- 2Q prend. le luy ay rebattu prefque la mefme chofe en toutes les lettres que ie luy ai écrittes; mais vous auez plus de prudence que moy, pour fçauoir ce qu'il faut dire & confeiller.

Pour voftre queftion, fçauoir fi on peut eflablir la 2 5 raifon du beau, c'eft tout de mefme que ce que vous demandiez auparauant, pourquoy vn fon eft plus agréable que l'autre, finon que le mot de beau femble

a. Voir, page 69, la note qui suit la lettre XIII.

b. Jean de Silhon. Descartes avait probablement Jcrit Scillon.

c. M. N. Clers.

�� � n, 524-525. XX. — 18 Mars i6}0. 13 )

plus particulièrement fe rapporter au fens de la veuë. Mais généralement ny le j beau, ny l'agréable, ne figni- fie rien qu'vn rapport de noftre iugement à l'objet; & pource que les iugemens des hommes font fi diffe- 5 rens, on ne peut dire que le beau, ny l'agréable, ayent aucune mefure déterminée. Et ie ne le fçau- rois mieux expliquer, que i'ay fait autresfois en ma Mufique 3 ; ie mettray icy les mefmes mots, pource que i'ay le Liure entre mes mains : Inter obieéla fen-

10 fus, illud non animo gratiffunum efl, quoi facillimè fenfu percipitur, neque eîiam quod difficillimè ; fed quod non tant facile, vt naturale defiderium, quo fenfus feruntur in obieéla, plané non impleat, neque etiam tant difficulter, vifenfumfatiget h . I'expliquois, id quod facile, vel diffi-

i5 culter fenfu percipitur h , comme par exemple, les com- partimens d'vn parterre, qui ne confifteront qu'en vne ou deux fortes de figures, arrengées toufiours de mefme façon, fe comprendront bien plus aifément que s'il y en auoit dix ou douze, & arrengées diuer-

20 fement ; mais ce n'eft pas à dire qu'on puiffe nommer abfolument l'vn plus beau que l'autre, mais félon la fantaifie des vns, celuy de trois fortes de figures fera le plus beau, félon celle des autres celuy de quatre, ou de cinq, &c. Mais ce qui plaira à plus de gens,

2 5 pourra eftre nommé Amplement le plus beau, ce qui ne fçauroit eftre déterminé.

Secondement, la mefme chofe qui fait enuie de danfer à quelques-vns, peut donner enuie de pleurer aux autres. Car cela ne vient, que de ce que les idées

a. Le Compendium Musicce, dont Descartes va citer la fin de l'art. 2.

b. Clerselier ajoute ici la traduction du texte latin.

�� � i}4 Correspondance. h, i> 25-5*6.

qui font en noftre mémoire font excitées : comme, ceux qui ont pris autrefois plaifir à danfer lors qu'on joùoit vn certain air, fi-toft qu'ils en entendent de femblable, lenuie de danfer leur re|uient ; au contraire, fi quel- qu'vn n'auoit iamais oùy jouer des gaillardes, qu'au 5 mefme temps il ne luy fuft arriué quelque affli&ion, il s'attrifteroit infailliblement, lors qu'il en oiroit vne autre fois. Ce qui eft fi certain, que ie iuge que fi on auoit bien fouetté vn chien cinq ou fix fois, au fon du violon, fi-toft qu'il oiroit vne autre fois cette mufique, 10 il commenceroit à crier & à s'enfuir.

Le fon des fluftes 3 s'engendre & fe modifie en telle

��B

��forte. Soit la flufte A B C D ; le souffle qui eft paffé par A, eflant arriué à B, fe diuife, & vne partie fort par le trou B, l'autre paffe tout le long de la flufte iufques à '5 D. Or il faut remarquer que le vent qui fort par B, fe diffipe aifément en l'air libre, mais celuy qui veut paffer par le long du tuyau, lors qu'il eft encore t en B, ne fçauroit aller plus outre, qu'il ne chafTe l'air qui luy eft tout proche, & que celuy-cy ne pouffe au mefme 20 inftant le fuiuant, & ainfi iufques à D ; & c'eft ce qui fait que le fon fe forme en mefme temps en toute la concauité de la flufte; comme ie tafcheray d'expliquer plus diftindement en mon Traitté. C'eft auffi cela mefme qui le modifie ; car plus la flufte eft longue, & 25

a. Voir Lettre XVIII, p. 117,1.4.

�� � h, 526. XXI. — 15 Avril 16 jo. ijj

plus l'air qui efl compris en icelle, refifte au vent qui fort de la bouche, & par confequent eft chafle plus lentement : d'où vient que le fon eft plus graue. Or cecy fe fait à petites fecouffes, lefquelles correfpon- 5 dent aux tours & retours des cordes.

le n'ay plus rien à dire, finon que fi par hazard vous rencontrez quelqu'vn qui parle de moy, & qui fe fouuienne encore que ie fuis au monde, ie feray bien-aife de fçauoir ce qu'on en dit, & ce qu'on penfe ïo que ie fafle, & où ie fuis, Mon R. P. Voftre tres-humble, & tres-obeïffant

feruiteur, descartes.

��XXI.

Descartes a Mersenne.

Amsterdam, i5 avril i63o.

Autographe, Bibliothèque de l'Institut.

Variantes du texte de Clerselier, tome II, lettre 104, p. 47 2-480. — L'original est le n" 5 de la collection Lahire, et le n° 2 du clas- sement de dom Poirier, comme l'indiquent les chiffres qu'il porte.

Monfieur & Reu d Père,

■ 5 Voftre lettre dattee du 14 Mars, qui eft celle, ie croy, dont vous eftes en peine, me fut rendue dix ou douze iours apprés ; mais pource que vous m'en fai-

14 Mon Reuerend Père. — i5 quatorzième.

�� � i}6 Correspondance. h, 47>-47î.

fiés efperer d'autres au voyafge fuiuant, & qu'il n'y auoit que huit iours que ie vous auois efcrit, ie diffe- ray a vous faire refponfe, iufques a maintenant que i'ay receu vos dernières dattees du 4 Auril. le vous fupplie de croyre que ie me reffens infinimant obligé 5 de tous les bons offices que vous me faites, lefquels font en trop grand nombre pour que ie vous puiffe remercier de chafcun en particulier, mais ie vous affure que ie fatisferay en reuanche a tout ce que vous defirerés de moy, autant qu'il fera en mon pou- io uoir ; & ie ne manqueray de vous faire toufiours fça- uoir les lieus ou ie feray, pourueu, s'il vous plaift, que vous n'en parliés point, & mefme ie vous prie d'ofter plutoft l'opinion a ceus qui la pouroint auoir, que i'aye deffein d'efcrire, que de l'augmenter ; car ie vous i5 iure que fi ie n'auois par cy-deuant tefmoigné auoir" ce deffein, & qu'on pourroit dire que ie n'en ay fceu venir a bout, ie ne m'y refoudrois iamais. le ne fuis pas fi fauuage que ie ne fois bien ayfe, fi on penfe en moy, qu'on en ait bonne opinion; mais i'aymerois 20 bien mieus qu'on n'y penfaft point du tout. le crains plus la réputation que ie ne la defire, eftimant qu'elle diminue toufiours en quelque façon la liberté & le loyfir de ceus qui l'acquerent, lefquelles deus chofes ie poffede fi parfaitemant, & les eftime de telle forte, 2 5 qu'il n'y a point de monarque au monde qui fuft affés riche pour les achepter de moy. Cela | ne m'empef- chera pas d'acheuer le petit traité que i'ay commencé;

2-3 i'ay différé. — 4 qua- uoir. — 11 -12 faire fçauoir triefme. — 6 faites] rendez. — toufiours 7 que ie vous puiffe] vous pou-

�� � H.473- XXI. — i$ Avril i6jo. îjy

mais ie ne délire pas qu'on le fçache, affin d'auoir toufiours la liberté de le defauouer; & i'y trauaille fort lentemant, pource que ie prens beaucoup plus de plaifir a m'inftruire moy-mefme, que non pas a

5 mettre par efcrit le peu que ie fçay. I'eftudie mainte- nant en chymie & en anatomie tout enfemble, & apprens tous les iours quelque chofe que ie ne trouue pas dedans les liures. le voudrois bien eftre défia paruenu iufques a la recherche des maladies & des

io remèdes, affin d'en trouuer quelqu'vn pour voftre ere- fipele, duquel ie fuis marry que vous eftes fi longtans affligé. Au refte ie paife fi doucemant le tans en m'inf- truifant moy-mefme, que ie ne me mets iamais a efcrire en mon traité que par contrainte, & pour m'acquiter

i5 de la refolution que i'ai prife qui eft, fi ie ne meurs, de le mettre en eftat de vous l'enuoyer au commence- mant de l'année i6jj. le vous détermine le tans pour m'y obliger dauantage, & affin que vous m'en puiffiés faire reproche fi i'y manque. Au refte vous vous efton-

io nerés que ie prene vn fi long terme pour efcrire vn difcours qui fera fi court, que ie m'imagine qu'on le pourra lire en vne apprés-difnee ; mais c'eft que i'ay plus de foing & croy qu'il eft plus important que i'ap- prene ce qui m'eft neceflaire pour la conduite de ma

25 vie, que non pas que ie m'amufe a publier le peu que i'ay appris. Que fi vous trouués eftrange de ce que i'auois commencé quelques autres traités eftant a Paris, lefquels ie n'ay pas continués, ie vous en diray la raifon : c'eft que pendant que i'y trauaillois, i'ac-

6 en l'anatomie. — 8 de- — eftes] foyez. — 19 Au refte] dans] dans. — 11 de laquelle. Sans doute.

Correspondance. I. 18

�� � V

��i}8 • Correspondance. 11,473-474.

querois vn peu plus de connoiflance que ie n'en auois eu en commençant, félon laquelle me voulant accom- moder, i'eftois contraint de faire vn nouueau proiet, vn peu plus grand que le premier, ainfi que fy quel- qu'vn ayant commencé vn baftimant pour fa demeure, 5 acqueroit cependant des richeffes qu'il n'auroit pas efperees & changeoit de condition, en forte que fon baftimant commencé fuft trop petit pour luy, on ne le blafmeroit pas fi on luy en voyoit recommancer vn autre | plus conuenable a fa fortune. Mais ce qui m'af- 10 fure que ie ne changeray plus de defTein, c'eft que ce- luy que i'ay maintenant eft tel que, quoy que i'apprene de nouueau, il m'y pourra feruir, & encore que ie n'ap- prene rien plus, ie ne laifferay pas d'en venir a bout.

le m'eftonne de ce que vous me mandés de Ferrier, 1 5 qu'il fonde fes efperances fur l'inuention des verres, vu qu'il néglige de m'efcrire : car ie ne penfe pas, encore que ie luy aye defcrit fort particulieremant les machines neceffaires pour la conftruétion d'iceus, qu'il fe puiffe encore paffer de moy, & qu'il n'y 20 trouue quelque difficulté qui l'areftera ou le trom- pera. Mais il y a des gens qui penfent fçauoir parfai- temant vne chofe, fitoft qu'ils y voyent la moindre lumière. le vous fupplie, & pour caufe, de me mander s'il ne vous a point dit ce que contenoint les der- 25 nieres lettres que ie luy ay efcrites ; & s'il ne vous en a point parlé, ie vous prie de luy demander expref- femant. Vous en pourrés prendre occafion en luy difant que ie vous ay mandé que ie trouuois eftrange

6 auoit. — ib Ferrier] Monûeur N. — 18 encore] bien — defcrit] écrit.

�� � ii,474-475- XXI. — i$ Avril i6jo. 139

qu'il ne m'auoit point fait refponfe a mes dernières lettres, vu que ie penfois qu'elles en valuffent bien la peine, & luy demander la defîus de quoy parloint donc ces lettres-la a . 5 Pour des Problefmes, ie vous en enuoyeray vn milion pour propofer aus autres, li vous le defirés ; mais ie fuis fi las des Mathématiques, & en fais main- tenant fi peu d'eflat, que ie ne fçaurois plus prendre la peine de les foudre moy-mefme. l'en mettray icy 10 trois que i'ay autrefois trouués fans aide que de la Géométrie fimple, c'eft a dire auec la reigle & le compas.

Inuenire diametrum sphœrœ tangentis alias quatuor magnitudine & pofitione datas.

1 5 Inuenire axem parabolœ tangentis très lineas reélas po- fitione datas & indejinitas, cuius etiam axisfecet ad angulos reclos aliam reclam etiam pofitione datam & indefinitam. Inuenire flilum horoîogij in data mundi parte de/cri-

20 bendi, ita vt vmbrœ extremitas, data die anni, tran-

feat per tria data puncla, faltem quando ifiud fieri potefi.

| l'en trouuerois bien de plus difficiles li i'y voulois penfer, mais ie ne croy pas qu'il en foit de befoin. 2 5 Pour vos queflions : 1. Ces petits cors qui entrent lors qu'vne chofe fe raréfie, & qui fortent lors qu'elle

1 n'auoit — fait de réponfe. — 14 pofitione et magnitudine. — 5 enuoyerois. — 6 defiriez. — 25 Premièrement.

a. Voir Lettre XIII, p. 63, note finale.

�� � 140 Correspondance. h, 47*-

fe condenfe, & qui paflent au trauers les chofes les plus dures a , font de mefme fubftance que ceus qui fe voyent & qui fe touchent ; mais il ne les fault pas imaginer comme des atomes, ny comme s'ils auoint quelque dureté, mais comme vne fubftance extrememant fluide 5 & fubtile, qui remplir! les pores des autres cors. Car vous ne me nierés pas que dans l'or & dans les diamans, il n'y ait certains pores, encore qu'ils foyent extre- memant petits ; que fi vous m'auoués auec cela qu'il n'y a point de vuide, comme ie croy pouuoir demonf- 10 trer, vous ferés contraint d'auouer que ces pores font pleins de quelque matière qui pénètre facilemant par tout. Or la chaleur & la rarefa&ion ne font autre chofe que le meflange de cete matière. Mais pour per- fuader cecy, il faudroit faire vn plus long difcours que «5 ne permet l'eftendue d'vne lettre. le vous ay défia dit le femblable de beaucoup d'autres chofes que vous m'aués propofees; mais ie vous fupplie de croyre que ce n'a iamais efté pour me feruir d'excufe, & ne pas defcouurir ce que ie propofe d'efcrire en ma phy- 20 fique : car ie vous affure que ie ne fçay rien que ie tiene fecret pour qui que ce foit : a plus forte raifon pour vous que i'honore & eftime, & a qui i'ay vne infi- nité d'obligations. Mais toutes les difficultés de phy- fique touchant lefquelles ie vous ay mandé que i'auois 2 5 pris parti, font tellemant enchaifnees, & dépendent fi fort les vnes des autres, qu'il me leroit impolfible d'en demonftrer vne, fans les demonftrer toutes enfemble ;

20 ie me propofe.

a. Voir Lettre XVIII, p. 119, 1. 2 et suiv.

�� � ii,475-476- XXI. — i$ Avril i6}0. 141

ce que ie ne fçaurois faire pluftoft ny plus fuccinde- mant que dans le traité que ie prépare.

2. Pour les metaus, i'en ay fait moy-mefme des expériences affes exactes, & vous en remercie. 5 j . Pour déterminer de combien vn fon peut eftre entendu plus loing quo l'autre, cela ne fuit pas a pro- portion de ce qu'il eft graue ou aygu fimplemant ; mais il fault fçauoir quelle eft la denlité de l'aer, quel eft le moindre mouuemant qui | peut fuffire pour eftre

10 nommé /on; commant laer eftant meu en vn endroit, comme en A, ce mouuemant fe communique aus lieus proches comme en B, C, D, & a quelle proportion il diminue en s'ef- loignant : or cete proportion varie

i5 félon que le cors qui fait ce mou- uemant eft grand ou petit, félon la figure qu'il a, félon qu'il eft dur ou mol, & qu'il fe remue vifle ou len- temant. Toutes ces chofes doiuent

20 eftre déterminées auant qu'on puifle refoudre voftre queftion.

Le fifflemant d'vn boulet de canon n'eft pas, au moins a mon auis, plus graue ou aygu, fimplemant a caufe de la groffeur ou vitefle du boulet ; mais il fault

25 fçauoir de plus quel rapport a cete vitefle auec certaine qualité qui eft en l'aer, qui peut eftre nommée vifco- fitas ou glutino/ïtas, & ceft ce que ie ne fçaurois déter- miner.

Pour expliquer pourquoy l'oreille ne fe plaift pas a

3g toute forte d'interualles, il fault que ie me férue d'vne 3-4 Pour les metaus. . . remercie, omis. — 3o toutes fortes.

��� � 14 2 Correspondance. 11,476.

comparaifon. le croy que vous m'auouerés bien qu'il y a vn peu plus de peine a connoiftre la proportion qui fait la quinte qu'a connoiftre celle qui fait l'vni- fon, & vn peu plus a connoiftre celle qui fait la tierce que la quinte; de mefme qu'il y a vn peu plus de 5 peine a leuer vn pois de 2 liures, qu'a en leuer vn d'vne liure, & plus a vn de } &c. Or fi vous me deman- diés combien de liures pefant vn homme feul peut efleuer de terre, ie vous dirois que cela ne ce peut dé- terminer, & qu'il varie félon que les hommes font plus 10 ou moins forts. Mais fi vous me propofiés feulemant trois cors, l'vn d'vne liure pefant, l'autre de $0 liure, l'autre de 1000, & que vous me demandantes com- bien vn homme peut leuer de ces trois cors, ie vous dirois abfolumant qu'il n'en fçauroit leuer que les 15 deus qui font 5 1 liure pefant. Que fi vous me deman- dés fi c'eft que la nature ait borné les forces de l'homme a $1 11., ie vous dirois que | non, mais que c'eft a caufe qu'il ne fçauroit leuer plus de $1 11., s'il ne leuoit encore le poids de 1000 11. tout en- 2 o tier, ce qui paffe la force ordinaire des hommes. De mefme, fi vous demandiés fimplemant combien il y a d'interualles en la mufique defquels l'oreille puiiTe iuger, ie vous dirois que cela varie félon que l'vn a l'ouie plus fubtile que l'autre; comme de fait ie ns 2 5 fçaurois diftinguer la quinte de l'odaue, & il y en a qui diftinguent le demi-ton maieur du mineur; & y en pourroit auoir qui feroint capables de connoiftre les interualles de 6 a 7 & 10 a 11 &c. Mais quand

3 et 5 quinte] 5 Desc. — 7 et 1 3 et l'autre de mille liures. — plus à en leuer vn. — 9 ce] fe. — 2G la 5 de 1*8 Desc. — 27 et il y.

�� � n > 477- XXI. — 15 Avril 16^0. 142

vous me demandés combien il y a d'interuales qui puiffent eflre iugés de l'oreille, lorfqu'ils font mis dedans vn concert de mufique, vous me propofés alors tous les interualles qui naiffent de la première, 5 féconde, & troiûefme biffe&ion, liés en trois cors feulemant, comme les pois de 1 11., 50 11., & 1000 11. Et ie répons ablolumant qu'il n'y a que ceus qui naiffent de la première & féconde biffedion, qui puif- fent eflre admis en vn concert ; pour ce que fi vous y 10 en admettiés quelqu'vn de plus, il faudrôit admettre tous ceus qui naiffent de la troifiefme bifîection, lefquels tous enfemble excédent la capacité des meil- leures oreilles.

��La chorde A B in quiète eft efgalemant tendue par- i5 tout; mais in motu, quia exienjio non fit in inflanti,Ji quidem extremitates chordœ trahantur, vtfieri folet, tune Me impetus prius fentitur in ipjis extremis quam in me- dio, & ideirco ibi frangitur. Que fi l'extenfion fe faifoit fans mouuemant local de quelqu'vne des ex- 20 tremités, comme lorfque les chordes d'vn luth s'en- flent par l'humidité de l'aer, & fe caffent d'elles- mefme, ie m'affure qu'elles fe romproint plufloft au milieu qu'ailleurs ; vous en pourrés faire expérience, & me le mander, car ie ne l'ay iamais faite a . 25 Pour voftre queftion de Théologie, encore qu'elle paffe la capacité de mon efprit, elle ne me femble

14 A — B. — 23 faire l'expérience, a. Voir Lettre XVII, p. 1 1 1, 1. 3o et suiv.

�� � 144 Correspondance. ii, 477-478.

pas toutefois hors de ma profeffion, pource qu'elle ne touche point a ce qui dcpent de la reuelation, ce que ie nomme propremant | Théologie ; mais elle eft pluftoft metaphyfique &fe doit examiner par la raifon humaine. Or i'eftime que tous ceus a qui Dieu a donné l'vfage de cete raifon, lont obligés de l'em ployer principalemant pour tafcher a le connoiftre, & a fe connoiftre eus-mefme. C'eft par la que i'ay tafché de commencer mes eftudes ; et ie vous diray que ie n'euffe fceu trouuer les fondemans de la Phyfique, 10 fi ie ne les eufîe cherchés par cete voye. Mais c'eft la matière que i'ay le plus eftudiee de toutes, & en la- quelle, grâces a Dieu, ie me luis aucunemant fatis- fait; au moins penfe-ie auoir trouué commant on peut demonftrer les vérités metaphyfiques, d'vne i5 façon qui eft plus euidente que les demonftrations de Géométrie ; ie dis cecy félon mon iugemant, car ie ne fçay pas fi ie le pourray perfuader aus autres. Les q premiers mois que i'ay elle en ce pais, ie n'ay tra- uaillé a autre chofe a , & ie croy que vous m'auiés 20 défia ouy parler auparauant que i'auois fait deffein d'en mettre quelque chofe par efcrit ; mais ie ne iuge pas a propos de le faire, que ie n'aye vu prerrieremant commant la phyfique fera receue. Si toutefois le liure dont vous parlés b eftoit quelque chofe de fort bien 25

9-10 ie n'euffe iamais fceu. — i4penfay-ie.

a. Voir Lettre VIII du 18 juillet 1629. Pour un traité, commencé en 1628 à Paris, sur la Divinité, cf. Baillet, I, 170-171.

b. Ouvrage inconnu, sur lequel Descartes revient plusieurs fois dans sa correspondance avec Mersenne. Il n'aurait été tiré qu'à trente exemplaires (Clers., II, 325), sans doute en cachette, et le Minime semble n'en avoir eu d'abord qu'une copie manuscrite (Clers., II, 469).

�� � ii,478-479- XXI. — ij Avril i6jo. 145

fait, et qu'il tombait entre mes mains, il traite des matières fi dangereufes & que i'eftime fi fauffes, fi le rapport qu'on vous en a fait eft véritable, que ie me fentirois peut-eftre obligé d'y refpondre fur le cham.

5 Mais ie ne laifferay pas de toucher en ma Phyfique plufieurs queftions metaphyfiques, & particulieremant celle-cy : Que les vérités mathématiques, lefquelles vous nommés éternelles, ont elle eftablies de Dieu & en dépendent entieremant, auffy bien que tout le relie

10 des créatures. C'eft en effait parler de Dieu comme d'vn Iuppiter ou Saturne, & l'afluiettir au Stix & aus deftinees, que de dire que ces vérités font indépen- dantes de luy. Ne craignes point, ie vous prie, d'affu- rer & de publier par tout, que c'eft Dieu qui a eftabli

i5 ces lois en la nature, ainfy qu'vn Roy eftablift des lois en fon Royaufme. Or il n'y en a aucune en particulier que nous ne puiflions comprendre fi noftre efprit fe porte a la confyderer, & elles font toutes men\tibus nof- tris ingenitœ, ainfy qu'vn Roy imprimeroit fes lois dans

20 le cœur de tous fes fugets, s'il en auoit auffy bien le pouuoir. Au contraire nous ne pouuons comprendre la grandeur de Dieu, encore que nous la connoiffions. Mais cela mefme que nous la iugeons incomprehen- fible nous la fait eftimer dauantage ; ainfy qu'vn Roy

25 a plus de maiefté lors qu'il eft moins familieremant connu de fes fugets, pourueu toutefois qu'ils ne pen- fent pas pour cela eftre fans Roy, & qu'ils le con- noiffent affés pour n'en point douter. On vous dira que fi Dieu auoit eftabli ces vérités, il les pourroit

3o changer comme vn Roy fait fes lois ; a quoy il faut 1 1 ou d'vn Saturne. — 27 pour cela omis,

CORRESPONDANCE! I. 19

�� � 146 Correspondance. h, 479-480.

refpondre qu'ouy, fi fa volonté peut changer. — Mais ie les comprens comme éternelles & immuables. — Et moy ie iuge le mefme de Dieu. — Mais fa volonté eft libre. — Ouy, mais fa puiffance eft incompre- henfible ; & generalemant nous pouuons bien affurer 5 que Dieu peut faire tout ce que nous pouuons com- prendre, mais non pas qu'il ne peuft faire ce que nous ne pouuons pas comprendre ; car ce feroit témérité de penfer que noftre imagination a autant d'eftendue que fa puiffance. I'efpere efcrire cecy, mefme auant qu'il 10 foit 15 iours, dans ma phyfique; mais ie ne vous prie point pour cela de le tenir fecret; au contraire ie vous conuie de le dire auffy fouuant que l'occafion s'en prefentera, pouruû que ce foit fans me nommer ; car ie feray bien ayfe de fçauoir les obieâions qu'on «5 pourra faire contre, & auffy que le monde s'accouf- tume a entendre parler de Dieu plus dignemant, ce me femble, que n'en parle le vulgaire, qui l'imagine prefque toufiours ainfy qu'vne chofe finie.

Mais a propos de l'infini , vous m'en propofiés vne 20 queflion en voflre lettre du 14 Mars, qui eft tout ce que i'y trouue de plus qu'en la dernière. Vous difiés que s'il y auoit vne ligne infinie, elle auroit vn nombre infini de pieds & de toifes, & par confequent que le nombre infini des pieds feroit 6 fois plus grand 25 que le nombre des toifes. — Concedo totum. — Donques ce dernier n'efl pas infini. — Nego confe- quentiam. — Mais vn infini ne peut eflre plus grand que | l'autre. — Pourquoy non ? Quid abfurdi? princi- palemant s'il eft feulemant plus grand in rationejinita, 3o

21 quatorziefme.

�� � vt hic vbi mulliplicatio per 6 ejl ratio finita, quœ nihil atîinet ad infiniîum. Et de plus, quelle raifon auonsnous de iuger fi vn infini peut eflre plus grand que l’autre, ou non ? vu qu’il cefferoit d’eftre infini, fi 5 nous le pouuions comprendre. Conferués-moy l’honneur de vos bonnes grâces. le fuis

Voftre très humble & très

affectionné feruiteur, descartes.

D’Amftredam ce 1$ Auril \6jo.

10 le ne partiray pas encore d’icy de plus d’vn mois.

A Monjieur

Monjîeur le Reue nd Père Marin

Mercenne de l’ordre des

Minimes, a leur couuant

’5 de la place Roy aile,

A Paris.

Le voyage annoncé en post-scriptum est celui d’Angleterre que Descartes projetait dès le 4 mars (voir plus haut p. 125, 1. 19) et qu’il différa successivement (cf. p. i3o, 1. 2). Il finit probablement par y renoncer pour ne pas se trouver absent lors du voyage que Mersenne fit lui-même dans les Pays-Bas pendant l’été de i63o.

6 Ie fuis] derniers mots du texte de Clerselier.

XXII.
Descartes a Mersenne.
[Amsterdam, 6 mai 1630.]
Texte de Clerselier, tome I, lettre 112, p. 504-506.

L’exemplaire de l’Institut porte la note « Cette lettre, jusqu’au troisième alinéa, est de M. Descartes écrite au P. Mersenne. Je la date du 10 mai 1630, d’Amsterdam. » Mais comme la lettre écrite au « voyage » précédent est celle du 15 avril, et que le « voyage » du courrier, aller et retour, compté pour trois semaines (voir Lettre XX, p. 128, l. 4-5), la date doit plutôt être fixée au lundi 6 mai. — Après le second alinéa, l’exemplaire de l’Institut ajoute les mots « Je suis, etc. » avec la note marginale « Icy finit la lettre ». Le troisième alinéa (Clers., t. I, p. 506-509) est en effet postérieur aux Méditations, tandis que les deux derniers (p. 509-511) se rapportent à la publication du Discours de la Méthode.

Mon Reuerend Pere,

Ie vous remercie de l’obſeruation de la couronne qui a eſté faite par Monſieur Gaſſendi[49]. Pour le meſchant liure[50], ie ne vous prie plus de me l’enuoyer ; car ie me ſuis maintenant propoſé d’autres occupations ; 5 & ie croy qu’il ſeroit trop tard pour executer le deſſein qui m’auoit obligé de vous mander à l’autre voyage, que ſi c’eſtoit vn liure bien | fait, & qu’il tombaſt entre mes mains, ie taſcherois d’y faire ſur le champ quelque réponſe. C’eſt que ie penſois qu’encore qu’il n’y euſt 10 que trente-cinq exemplaires de ce liure, toutesfois s’il eſtoit bien fait, qu’on en ſeroit vne ſeconde impreſſion, & qu’il auroit grand cours entre les curieux, quelques deffenſes qui en puſſent eſtre faites. Or ie m’eſtois imaginé vn remede pour empeſcher cela, qui 15 me ſembloit plus fort que toutes les deffenſes de la iuſtice ; qui eſtoit, auant qu’il ſe fiſt vne autre impreſſion de ce liure en cachette, d’en faire faire vne auec permiſſion, & adjouter après chaque periode, ou chaque chapitre, des raiſons qui prouuaſſent tout le 20 contraire des ſiennes, & qui en découuriſſent les fauſſetez. Car ie penſois que s’il ſe vendoit ainſi tout entier publiquement auec ſa réponſe, on ne daigneroit pas le vendre en cachette ſans réponſe, & ainſi que perſonne n’en aprendroit la fauſſe doctrine, qui n’en fuſt 5 deſabufé au meſme temps ; au lieu que les réponſes ſeparées qu’on fait à ſemblables liures ſont d’ordinaire de peu de fruit, pource que chacun ne liſant que les liures qui plaiſent à ſon humeur, ce ne ſont pas les meſmes qui ont lû les mauuais liures, qui s’amuſent à 10 examiner les réponſes. Vous me direz, ie m’aſſure, que c’eſt à ſçauoir ſi i’euſſe pu répondre aux raiſons de cét Autheur. A quoy ie n’ay rien à dire, ſinon que i’y euſſe au moins fait tout mon poſſible, & qu’ayant pluſieurs raiſons qui me perſuadent & qui m’aſſurent le 15 contraire de ce que vous m’auez mandé eſtre en ce liure, j’oſois eſperer qu’elles le pourroient auſſi perſuader à quelques autres, & que la vérité, expliquée par vn eſprit méeiocre, deuoit eſtre plus forte que le menſonge, fuſt-il maintenu par les plus habiles gens 20 qui fuſſent au monde.

Pour les veritez eternelles[51], ie dis derechef que ſunt iantum veræ aut poſſibiles, quia Deus illas veras aui poſſibiles cognoſcit, non autem contra veras à Deo cognoſci quaſi independenter ab illo ſint veræ. Et ſi les hommes 25 entendoient bien le ſens de leurs paroles, ils ne pourroient iamais dire ſans | blaſpheme, que la vérité de quelque choſe precede la connoiſſance que Dieu en a, car en Dieu ce n’eſt qu’vn de vouloir & de connoiſtre ; de ſorte que ex hoc ipſo quod aliquid velit, ideò cognoſcit, 30 & ideò tantum talis res eſt vera. Il ne faut donc pas dire que ſi Deus non eſſet, nihilominus iſtæ veritates eſſent veræ ; car l’exiſtence de Dieu eſt la premiere & la plus eternelle de toutes les veritez qui peuuent eſtre, & la ſeule d’où procedent toutes les autres. Mais ce qui fait qu’il eſt aiſé en cecy de ſe méprendre, c’eſt que la 5 pluspart des hommes ne conſiderent pas Dieu comme vn eſtre infini & incomprehenſible, & qui eſt le ſeul Autheur duquel toutes choſes dependent ; mais ils s’arreſtent aux ſyllabes de ſon nom, & penſent que c’eſt aſſez le connoître, ſi on ſçait que Dieu veut dire le meſme que 10 ce qui s’apelle Deus en latin, & qui eſt adoré par les hommes. Ceux qui n’ont point de plus hautes penſées que cela, peuuent aiſément deuenir Athées ; et pour ce qu’ils comprennent parfaitement les veritez mathematiques, & non pas celle de l’exiſtence de Dieu, ce 15 n’eſt pas merueille s’ils ne croyent pas qu’elles en dependent. Mais ils deuroient iuger au contraire, que puiſque Dieu eſt vne cauſe dont la puiſſance ſurpaſſe les bornes de l’entendement humain, & que la neceſſité de ces veritez n’excede point noſtre connoiſſance, 20 qu elles ſont quelque choſe de moindre, & de ſujet à cette puiſſance incomprehenſible. Ce que vous dites de la production du Verbe ne repugne point, ce me ſemble, à ce que ie dis ; mais ie ne veux pas me meſler de la Theologie, i’ay peur meſme que vous ne iugiez 25 que ma Philoſophie s’emancipe trop, d’oſer dire ſon

auis touchant des matieres ſi releuées.
XXII bis.
Descartes [a Mersenne ?]
[Amsterdam, 27 mai 1630 ?]
Texte de Clerselier, tome I, lettre 110 milieu, p. 494-496.

Fragment inséré par Clerselier entre deux autres, tous deux de 1637, pour former une lettre « A Monsieur *** ». Mais Descartes y parle d’un ouvrage du P. Gibieuf, qu’il n’a pas encore vu, et qui semble bien être le traité De libertate Dei et Creaturæ libri duo, auctore P. Gullielmo Gibieuf (Paris, 1630, achevé d’imprimer le 30 janvier). Nous sommes ainsi ramenés à une date où ce fragment apparaît comme continuant la discussion commencée dans les lettres XXI et XXII. Mersenne semble avoir précisé la question en termes d’école, probablement après avoir reçu la seconde de ces lettres (du 6 mai) ; le fragment serait donc au plus tôt du lundi 27 mai.

Si Descartes dit qu’il tâchera de faire venir de Paris l’ouvrage du P. Gibieuf et s’il ne le demande pas simplement à Mersenne, c’est sans doute parce que celui-ci lui avait annoncé son prochain départ pour la Belgique et les Pays-Bas, et qu’en conséquence la lettre n’était peut-être pas même adressée à Paris, comme l’ont été les précédentes. En tous cas nous voyons, immédiatement après cette date, la correspondance entre Descartes et Mersenne subir une longue interruption, évidemment par suite du voyage du Minime. C’est donc certainement à tort que Baillet (t. I, p. 202 suiv.), par une fausse interprétation d’une lettre de Gassend à Beeckman (Gassendi Opera, t. VI, p. 26), a admis que Mersenne était déjà à Gorcum le 15 septembre 1629. Les lettres inédites de Beeckman à Mersenne (Bibl. Nat. fr. n. a. 6206) et la correspondance de Descartes ne permettent pas de supposer que le Minime ait quitté Paris avant le milieu de mai 1630. En juin au contraire, on a une lettre de Helmont à Mersenne, adressée à Bruxelles. (Bibl. Nat. fr. n. a. 6205, f° 217).

Vous me demandez in quo genere cauſæ Deus diſpoſuit æternas veritates. Ie vous repons que c’eſt in eodem genere cauſæ qu’il a créé toutes choſes, c’eſt à dire vt efficiens & totalis cauſa. Car il eſt certain qu’il eſt auſſi bien Autheur de l’eſſence comme de l’exiſtence des creatures : or cette eſſence n’eſt autre choſe que ces veritez eternelles, leſquelles ie ne conçoy 5 point émaner de Dieu, comme les rayons du Soleil ; mais ie ſçay que Dieu eſt Autheur de | toutes choſes, & que ces veritez ſont quelque choſe, & par conſequent qu’il en eſt Autheur. Ie dis que ie le ſçay, & non pas que ie le conçoy ny que ie le comprens ; car on peut 10 ſçauoir que Dieu eſt infiny & tout-puiſſant, encore que noſtre ame eſtant finie ne le puiſſe comprendre ny conceuoir ; de meſme que nous pouuons bien toucher auec les mains vne montagne, mais non pas l’embraſſer comme nous ferions vn arbre, ou 15 quelqu’autre choſe que ce ſoit, qui n’excedaſt point la grandeur de nos bras : car comprendre, c’eſt embraſſer de la penſée ; mais pour ſçauoir vne choſe, il ſuffit de la toucher de la penſée[52]. Vous demandez auſſi qui a neceſſité Dieu à creer ces veritez ; et ie dis qu’il 20 a eſté auſſi libre de faire qu’il ne ſuſt pas vray que toutes les lignes tirées du centre à la circonference fuſſent égales, comme de ne pas creer le monde. Et il eſt certain que ces veritez ne font pas plus neceſſairement conjointes à ſon eſſence, que les autres 25 creatures. Vous demandez ce que Dieu a fait pour les produire. Ie dis que ex hoc ipſo quod illas ab æterno eſſe voluerit & intellexerit, illas creauit, ou bien (ſi vous n’attribuez le mot de creauit qu’à l’exiſtence des choſes) illas diſpoſuit & fecit. Car c’eſt en Dieu vne meſme choſe de vouloir, d’entendre, & de creer, ſans que l’vn precede l’autre, ne quidem ratione.

2. Pour la queſtion an Dei bonitati ſit conueniens 5 homines in æternum damnare, cela eſt de Theologie : c’eſt pourquoy abſolument vous me permettrez, s’il vous plaiſt, de n’en rien dire ; non pas que les raiſons des libertins en cecy ayent quelque force, car elles me ſemblent friuoles & ridicules ; mais pour ce que ie 10 tiens que c’eſt faire tort aux veritez qui dépendent de la foy, & qui ne peuuent eſtre prouuées par demonſtration naturelle, que de les vouloir affermir par des raiſons humaines, & probables ſeulement.

3. Pour ce qui touche la liberté de Dieu, ie ſuis 15 tout à fait de l’opinion que vous me mandez auoir eſté expliquée par le P. Gibbieu. Ie n’auois point ſceu qu’il euſt fait imprimer quelque choſe, mais ie taſcheray | de faire venir ſon traitté de Paris à la premiere commodité, afin de le voir, & ie ſuis grandement aiſe 20 que mes opinions ſuiuent les ſiennes ; car cela m’aſſure au moins qu’elles ne ſont pas ſi extrauagantes, qu’il n’y ait de tres-habiles hommes qui les ſoutiennent.

Les 4. 5. 6. 8. 9. & derniers points de voſtre lettre 25 ſont tous de Theologie, c’eſt pourquoy ie m’en tairay, s’il vous plaiſt*.

Pour le ſeptiéme point, touchant les marques qui s’impriment aux enfans par l’imagination de la mere &c., i’auouë bien que c’eſt vne choſe digne d’eſtre 30 examinée, mais ie ne m’y ſuis pas encore ſatisfait.

Pour le dixiéme point, où ayant ſupoſé que Dieu mené tout à ſa perfection, & que rien ne s’aneantit, vous demandez enſuite, quelle eſt donc la perfection des beſtes brutes, & que deuiennent leurs ames apres la mort, il n’eſt pas hors de mon ſujet, & i’y répons que Dieu mene tout à ſa perfection, c’eſt à dire : tout collectiuè, non pas chaque choſe en particulier ; car cela meſme, que les choſes particulieres periſſent, & que d’autres renaiſſent en leur place, c’eſt vne des principales perfections de l’vniuers. Pour leurs ames, & les autres formes & qualitez, ne vous mettez pas 10 en peine de ce qu’elles deuiendront, ie ſuis apres à l’expliquer en mon traité, & i’eſpere de le faire entendre ſi clairement, que perſonne n’en pourra douter.

Page 153, l. 26. — Une lettre de Beeckman à Mersenne, fixement datée pridie Kal. Maij [30 avril] 1630, peut nous renseigner sur ces questions de Mersenne à Descartes : … « Alteræ tuæ litteræ, ut et ipse iudicas, quæstiones captum humanum ferè superantes continent. De mundi sustemate, de loco infinito, de æternitate, de astrorum incolis, de vacuo inter stellas, de maculis solis multi multa satis probabiliter scripsere : at de tribus in divinâ naturâ personis, deque libertate hominum cum Dei prædestinatione conciliandà, quis unquam non fatuus cogitavit ? (Bibl. Nat. fr. n. a. 6206, fol. 38, p. 65).

XXIII.
Descartes [a Beeckman].
[Amsterdam, sept. ou oct. 1630.]
Texte de l’édition latine, tome II, Epist. XI, p. 35-36.

Clerselier ne donne de cette lettre qu’une version française (t. II, p. 55-57, Lettre XI), faite par sonjils. Le latin de l’éditeur hollandais Blaeu est-il l’original de Descartes, ou seulement une traduction

�� � h, 55-56. XXIII. — Sept, ou Oct. i6}o. ic<

latine de cette version française ? Le sens est exactement le même des deux côtés, et, lorsqu'il y a quelque différence, elle est tout à l'avan- tage du latin, comme concision d'abord, la version française étant un peu traînante, et parfois même comme nuance d'expression. Les éditeurs hollandais, Blaeu et Raei (surtout celui-ci qui avait bien connu Descartes), ont pu, en effet, se procurer une copie fidèle des lettres latines, si même ils ne l'ont pas fait venir tout exprès de Paris, en la demandant à Clerselier, qui n'était pas homme à la re- fuser. Aussi plus tard la nouvelle édition donnée à Paris, in-12, en ij25, « où l'on a joint le latin de plusieurs lettres qui n'avoient été imprimées qu'en françois », publie d'abord comme original le texte latin de Blaeu (Epist. XI, /. ///, p. i38), et seulement ensuite la version française de Clerselier (p. 140). Le nom du destinataire manque dans Clerselier et dans l'édition latine.

��Vir Clariffime,

Cundabar ad ea quae nuper fcripferas refpondere, quia nihil habebam, quod tibi valde gratum fore ar- bitrarer : iam verô quia me inuitat Conredor tuus a , 5 libenter aperiam fenfum meum; nam fi verum amas, & fincerus es, libertas orationis meae tibi gratiorerit, quàm filentium fuifîet.

Mujicam à te meam fuperiori anno repetij b , non quod indigerem, fed quia mihi didum erat, te de illâ

io loqui, tanquam ex te didiciffem. Nolui tamen hoc ipfum ftatim ad te fcribere, ne viderer ex fola alterius relatione de amici fide nimis dubitafle. Nunc cum per alia multa mihi confirmatum fit, te inanem iadationem amicitise & veritati praeferre, paucis monebo, fi di-

i5 cas te aliquid alium docuiffe, quamuis verum diceres, tamen effe odiofum ; cum verô falfum eft, multo efle

a. Abraham van Elderen, Conrector du Collège de Dordrecht (1622- i63 7 ).

b. Voir Lettre XVI, p. 100, 1. 10.

�� � i jô Correspondance. h, s6-s 7 -

odiofius; fi denique hoc ipfum ab illo didiceris, efie odiofiftimum. Sed te procul dubio Gallici ftyli fefellit vrbanitas, cumque inter loquendum fcribendumue tibi faepe teftatus fim , me multa ex te didiciffe, mul- tumque adhuc adiumenti ex tuis obferuationibus 5 expedare, mihi nullam iniuriam facere putafti, fi quod ipfe prse me ferrem, tu quoque confirmares. Quod ad me attinet, ifta parum euro ; fed pro veteri amicitia te monitum volo, cum aliquid taie coram Mis qui me norunt gloriaris, hoc multum nocere 10 famse tuae; neque enim his di&is adhibent fidem, fed potius irrident vanitatem. Nec efl quod ex ijs, quas a me habes literis , teftimonia illis oftendas ; fciunt enim me a formicis & vermibus etiam doceri confue- uifle, nec alio pado me a te aliquid didiciffe putabunt. i5 Si haec vt debes in bonam partem accipis, quod prae- teritum eft errorem vocabo, non culpam, nec impe- diet quin vt an te fim tuus etc.

��XXIV.

Descartes [a Beeckman].

[Amsterdam,] 17 octobre i63o. Texte de l'édition latine, tome II, Epiit. XII, p. 36-43.

Clerselier ne donne aussi qu'une version française de cette lettre. Voici sa seconde phrase : « Mais afin que ie ne sois point obligé de » remettre vne autrefois la main à la plume pour vn semblable » sujet, et que l'excuse que i'ay à vous faire pour luy, deuienne » générale pour tous les autres que vous en pourriez pareillement » accuser, ie désire que vous sçachiez vne fois pour toutes, que ce

�� � h.57-58. XXIV. — ij Octobre i6}o. 157

» n'est ny de luy ny de personne, mais de vos lettres mesmes, que » i'ay appris ce que je trouue à reprendre en vous » (t. II, p. b-], Lettre XII). « Cette traduction n'est pas bonne », note l'exemplaire de l'Institut, avec renvoi à Descartes lui-même, qui, dans la lettre XXV ci-apr'es (p. 171-2), reproduit les six premières lignes de son épître latine, jusqu'à « cognouisse ». Or, ce commencement est identique à celui que donne l'édition de Blaeu. On peut en conclure que la suite est aussi le texte original; nous le donnons donc ici, comme pour la lettre précédente, de préférence à la version française de Clerselier. Le nom du destinataire manque dans les deux anciennes éditions, mais se trouve déjà rétabli dans l'exemplaire de l'Institut. De même le nom propre Mersenno (l. 3-4), lorsqu'il y a seulement l'ini- tiale M.

Vir Clarifîime,

Multum aberras à vero, & maligne iudicas de reli- giofiffimi viri humanitate, fi quid mihi de te à P. Mer- fenno renunciatum fuiïïe fufpiceris; fed ne plures

5 alios cogar exeufare, feire debes me non ex illo, nec ex vllo alio, fed ex mis ipfis ad me literis, quae in te reprehendo, cognouiiïe. Nam cum nuper, poftquam per annum integrum vterque filuiffemus, feriberss vt, fi ftudijs meis confulere vellem, ad te reuerterer, & me

10 non tantum alibi quantum apud te pofle proficere, & pleraque eiufmodi, quae familiariter & amice ad ali- quem ex pueris tuis feribere videbaris; quid aliud mihi venire debuit in mentem, quàm te taies literas exaraffe, vt priufquam ad me mitteres, eas alijs le-

i5 gendo, iact.ares me faepius à te doceri confueuifle? qua in re cum malitiofum artificium fubetTe videre- tur, reprehenfione dignum iudicaui. Nam quod te tantus teneret ftupor tantaque tui ipfius ignoratio, vt me reuera crederes aliquid à te aliter quàm vt foleo à

20 rébus omnibus quae funt in natura, quàm vt foleo,

�� � 1^8 Correspondance. ii, 58-59.

inquam, à formicis ipfis & vermibus, vel vnquam didi- ciffe vel difcere poffe, plane fufpicari non poteram. Nunquid meminifti , cum ijs ftudijs incumberem*, quorum te capacem non effe fatebaris, aliaque a me audire cuperes, quse dudum vt exercitia iuuentutis di- 5 mifi, quanto fueris mihi impedimento ? tantum aberat vt iuuares, tantumque nunc abeft vt gratias agam a . Atqui manifefte cognofco ex literis tuis vltimis, te non ex malitia peccaffe, fed ex morbo; quapropter dein- ceps miferebor potius quàm obiurgem , & propter 10 veterem amicitiam, quibus te fanari poffe putem re- medijs, hîc monebo.

Cogita imprimis qualia fint, quae aliquis alium po- teft docere : nempe linguse, hiftoriae, expérimenta, item demonftrationes certœ & manifeftae, quseque in- i5 telle&um conuincunt, quales funt Geometrarum, pof- funt doceri. Placita autem & opiniones, quales funt Philofophorum , non docentur protinus, ex eo quod dicantur. Vnum dicit Plato, aliud Arifloteles, aliud Epicurus, Telefius, Campanella, Brunus, Baffo, Vani- 20 nus, Nouatores omnes, quifque aliud dicunt; quis ex illis docet, non dico me, fed quemcunque fapientiae ftudiofum ? primus fcilicet qui cum fuis rationibus vel faltem audoritate perfuadet. Si quis vero nullius auftoritate nec rationibus adduclus aliquid crédit, 25 quamuis hoc ipfum à plerifque audiuerit, non tamen ab illis didiciffe putandus eft. Imo poteft fieri vtfciat, quia propter veras rationes ad credendum adducitur; alij autem, quamuis prius idem fenferint, non tamen fciuerint, quoniam ex falfis principes deduxerunt. 3o

a. Agas (Édition latine).

�� � », 59-6o. XXIV. — ij Octobre i6}o. 1^9

Quae fi diligenter animaduertis, facile percipies me nihil vnquam ex tua ilia, quam fomnias, Mathematico- Phyjica * magis quàm ex Batrachomyomachia * didi- ciffe; fcilicet enim tua me mouit audoritas ? aut 5 tuae rationes perfuaferunt ? Aft nonnulla dixifti, quae ftatim atque intellexi, credidi & approbaui *. Puta igitur, quia ftatim credidi, me non didiciffe ex te, fed cum iam ante idem fentirem, probauiffe. Nec verô foueas tuum morbum ex hoc ipfo quod fatear me

10 interdum ea quse dixifti probauiffe; tam raro enim contigit, vt nemo poffit tam imperite de Philofophia differere, quin seque multa cafu dicat, quae cum veri- tate conïentiant. Pofîunt verô plures idem fcire, quamuis nullus ab altero didicerit, & ridiculum eft

i5 tam accurate, vt facis, in icientiarum, tanquam in agrorum vel pecuniae, poffeffione inter tuum alienum- que diftinguere. Si quid fcis, omnino tuum eft, quan- tumuis ab altero didiceris. At quo iure, vel quo morbo potius, id ipfum fi alij fciunt, illorum etiam

20 effe non pateris ? Non eft amplius quod tuî miferear; beatum te fecit morbus, & non minores habes diuitias, quàm ille alter, qui naues omnes ad portum fuse ciui- tatis appellentes, fuas crédebat *., Sed pace tua dixe- - rim, paulo nimis infolenter vteris ifta fortuna; vide

25 enim quàm iniuftus es*; vis folus poffidere, prohibes- que ne alij fibi arrogent, non modo ea quse fciunt & nunquam à te didicerunt, fed etiam ea ipfa quse tu fateris ab illis didiciffe. Scribis enim Algebram, quam tibi dedi *, meam amplius non effe ; idem de Mufica

3o aliàs quoque fcripfifti. Vis igitur, opinor, vt iftae fcien- tise ex memoria mea deleantur, quia iam funt tuée :

�� � i6o Correspondance. 11,60-61.

cur enim autographa peteres (cum exemplaria habeas apud te, ego verô nulla habeam), nifi vt eorum, quae in ijs continentur & quibus iam non incumbo, lapfu temporis poffem obliuifci , tuque folus poffideres ? Sed proculdubio fcripfifti ifta per iocum, noui enim 5 quàm fis elegans & facetus : non autem feriô vis credi quidquam tuum eUe, nifi cuius inuentor primus exti- tifti ; apponis idcirco tempus in tuo manufcripto quo vnumquodque cogitafti *, ne quis forte fit tam impu- dens vt fibi velit arrogare, quod tota vna noéte tar- 10 dius quàm tu fomniarit. Qua tam en in re non iudico te fatis prudenter cauere tuis rébus ; quid enim fi de iftius manufcripti fide dubitatur ? nunquid tutius effet teftes adhibere vel tabulis publicis confirmare ? Sed profe&o, vt verum loquar, iftse diuitise, quae fures i5 timent & tanta cum follicitudine debent afferuari, miferum te reddunt potius quàm beatum; nec, fi mihi credis, te pigebit illas amittere fimul cum morbo.

Confidera, qusefo, apud te, vtrum in tota vita quid- 20 quam inueneris, quod vera laude dignum fit. Tria gê- nera inuentorum tibi proponam. Primo, fi quid habes alicuius momenti, quod folius ingenij vi & rationis duétu poteris excogitare, fateor te laudandum ; fed nego idcirco tibi fures effe metuendos. Aqua eft 25 aquae fimillima, fed aliter femper fapit, cum ex ipfo fonte bibitur, quàm cum ex vrna vel ex riuo*. Quid- quid ex loco in quo natum eft, in alium transfertur, emendatur aliquando, corrumpitur faepius; at nun- quam ita retinet omnes natiuas notas, quin facile fit 3o agnofcere, fuiffe aliunde tranflatum. Scribis te à me

�� � H.6I-6J. XXIV. — \j Octobre 162.0. 161

multa didiciffe, nego equidem ; fi quae enim fcio, funt perpauca, non multa; fed qualiacunque fint, fi potes, vtere, tibi arroga, per me licet. Nullis tabulis inf- cripfi*, tempus quo inuenta funt non appofui; neque 5 tamen dubito, fi quando velim vt homines fciant qua- lis fit fundulus ingenij mei, quin facile cognituri fint, iftos ex eo frudus, & non ex illo alio, fuiffe decerptos. — Eft aliud genus inuentorum, quod non ab ingenio venit, fed a fortuna, quodque fateor cuftodiri opor-

jo tere, vt à furibus fit tutum : fi quid enim cafu repe- reris, & alius à te cafu audiat, pari iure, quo tu, pofïi- debit, fibique non minus poterit arrogare : fed nego veram laudem talibus inuentis vllam deberi. Quia tamen eft vulgi imperitia, vt illos laudent in quibus

i5 aliqua eminent dona fortunae, Deamque iftam non adeo caecam putent, vt plane immeritis' largiatur ; fi quid forte tibi largita eft, quod paulo magis emineat, non nulla te laude dignum iudicabo : fed quod paulo magis emineat; fi quis enim mendicus, ex eo quod pau-

20 cos aliquot nummos oftiatim quaerendo collegiffet, magnum honorem fibi deberi crederet, ab omnibus rideretur. Vide autem, quaefo, diligenter euolue ma- nufcriptum ; enumera omnia, vel admodum fallor, vel nihil in eo tuum inuenies, quod fit pretiofius eius inte-

25 gumento. — Tertium genus eorum eft quae, cum nul- lius aut perexigui fint valons, ab inuentoribus tamen fuis tanquam magna? res aeftimantur ; hsec tantum abeft vt aliqua laude digna fint, quin potius, quo plu- ris fiunt à pofTefîbribus fuis, quo diligentius afTer-

3o uantur, eo magis aliorum rifui vel commiferationi illos exponunt. Propono tibi ob oculos aliquem c«-

CORRESPOND.VNCE. I. 21

�� � 162 Correspondance.

��ii, 62-64.

��cum, qui fie ex auaritiâ infaniret, vt totos dies inter alienarum aedium purgamenta quœreret gemmas, & quotiefeunque glareola aliqua veî vitri fragmentum fub manus eius incideret, protinus aeftimaret elle la- pidem valde pretiofum ; cumque tandem talia multa 5 inueniffet, capfulamque ijs repleuiffet, ditiflimum fe gloriaretur, capfulam oftentaret, alias* contemneret; nunquid prima fronte diceres, laetum illi dementise genus contigiffe ? Verum fi poftea videres eum cap- fulse incumbere, fures timere & miferè angi, ne diui- 10 tias iftas, quibus vti non poflet, amitteret. nunquid rifu depofito commiferatione dignum iudicares ? Nolo equidem manuferiptum tuum capfulse ifti comparare ; fed vix quidquam in eo puto folidius effe pofle, quàm funt glareolae & vitri fragmenta. i5

Videamus enim quanti ea fint momenti, quse prae- cipue oftentas : nempe iéîus chordarum * & hyperbo- /am;plura enim non noui. Primo quod iflus iftos atti- net, û quid paulo altius quàm primas litteras pueros tuos docuiiïes , inueniffes apud Ariftotelem illud 20 ipfum (nempe fonum oriri ex repetitis chordarum aliorumue corporum aëri alliforum idtibus) quod tuum appellas, quodque me tibi cum elogio non ad- fcripfiffe conquereris. Fur eft Ariftoteles, voca in iu- dicium , reflituat tibi tuam cogitationem. Ego verô 25 quid feci? de mufica feribens, cum aliquid explicuif- fem, quod ab accuratacognitione foni non pendebat, addidi, iftud eodem modo concipi poffe, fiue quis di- cat fonum aures ferire multis idibus, fme &c*. An furatus fum illud quod mihi non affumpfi ? An debui 3o laudare, quod verum elfe non affirmaui ? An tibi tri-

�� � ii, e 4 -65. XXIV. — 17 Octobre 162,0. 16}

buere debui, quod omnes Ludimagiftri, prseter te, ab Ariftotele didicerunt ? Nunquid alij meritô ignoran- tiam meam derififfent ? — At magnam laudem me- reris ex hyperbola*, quam me docuifti. Certe niû con- 5 dolerem tuo morbo , rifum tenere non poffem ; cum ne quidem intelligeres quid effet hyperbola, nifi forte tanquam Grammaticulus. Dixi quandam eius pro- prietatem ad radios infleftendos, cuius mihi demonf- tratio memoriâ exciderat, atque vt fit interdum in

10 rébus facillimis, ex tempore non occurrebat; fed eius conuerfam in ellipfi tibi demonftraui, explicuique nonnulla theoremata, ex quibus tam facile poterat deduci, vt neminem, qui tantillum attenderet, poffet effugere. Quamobrem te hortatus fum, vt in illa quae-

i5 renda ingenium exerceres; quod fane non feciffem, cum te in conicis plane nihil fcire fatereris, nifi facil- limam effe iudicaflem. Tu vero quœfiuifti, inuenifti, oftendifti mihi ; lœtatus fum, dixique me illa vfurum demonftratione, fi vnquam de ifta re effem fcripturus.

20 Die mihi : fanufne es, cum ideo exprobras, me non fatis honoris & reuerentiae tibi dodori meo exhibere ? Si vni ex pueris tuis, qui nullum adhuc carmen vn- quam feciffet, aliquod epigramma componendum de- difles; eique fenfum eius ita dictaffes, vt vno tantum

25 aut altero verbo tranfpofito verfus omnes conflarent, nunquid lœtareris eius caufa, fi féliciter ifta verba tranfponeret ? Nunquid forte etiam adderes, vt ipfum incitares ad poëticam, te non alijs verfibus effe vfu- rum , fi quando de eadem re feribere velles epi-

3o gramma ? Quid verô fi propter exiguam iftam lauda- tionem ita inflaretur, vt fe magnum poëtam efi'e

�� � 164 Correspondance. h, 65-66.

putaret, nunquid rideres vt puerum ? Quid tandem fi te idcirco crederet fibi inuidere, feque doftorem tuum appellans ferio diceret : turpe ejl doélori &c. (non enim alium fenfum fub iflo &c. latere poffe intelligo), nunquid meritô iudicares illum non amplius ex fola 5 fimplicitate falli vt puerum, fed mentem habere ali- quo modo turbatam ? fcias autem faluberrimum re- medium fore ad purgandam bilem, quœ te vexât, fi diligenter attendis, quàm apte tibi conueniat iftud exemplum. lo

Sed quia conatus fum hadenus tollere caufam tui morbi, deinceps dolorem lenire aggrediar. Doles praecipue quod à te interdum laudatus non te quoque l'audarim. Sed vt fcias, non amice fecifti, fi me lauda- ueris. Nunquid multoties rogaui ne faceres, nec de «5 me omnino loquereris? nunquid mea omnis antea&a vita fatis oftendit,me reuera fugere iftas laudationes? non quod fit mihi cornea fibra* , fed quia vitse tranquil- litatem & honeftum otium, maius bonum effe puto quàm famam : vixque mihi perfuadeo, vt funt homi- 20 num mores, poffe vtrumque fimul pofïideri. Sed aperte déclarant tuse literae qualem habueris laudandi mei caufam : fcribis enim te folere, poftquam me laudafli, Mathematico-Phyficam tuam meis conieduris prœferre, idque amicis noftris fignificare. Quid, * 5 quafo, hoc fibi vult, nifi à te idcirco me extolli, vt maiorem ex comparatione ifia gloriam quseras? nempe altius ponis fubfellium, quod vis calcare, vt tanto magis emineat vanitatis tuae thronus ? Leniter tra&abo tuum morbum, nec afperioribus remedijs 3o vtar : nam fi ea qua poïîum, & meritus es, te onerare

�� � ii,66-6 7 . XXIV. — iy Octobre 1630. 165

vellem infamia, vereor ne te potius ad Lycambi la- queum* quàm ad fanitatem perducerem. Itaque con- tentus ero te monere, vt fi laudem quaeras, facias laudanda, & quae vel inuiti probare cogantur inimici ;

5 nunquam verô ex tuis de te ipfo vel affedatis amico- rum teflimonijs illam expe&es; nec te alios illa, quse nondum fcis, docuiffe glorieris, nec te alijs antepo- nas. Pudet de me ipfo afferre exemplum; fed quia tu te mihi tam faepe comparas, videtur neceffe. Mené

10 vnquam audiuifti gloriari, quod quicquam alium docuiffem ? Mené vnquam vlli, non dicam prsetuli, fed contuli? Nam quod, vt conuiciaris, me in quibuf- dam Angelo œquem, nondum puto tuam mentem eo ufque efle abalienatam, vt credas ; quia tamen agnofco

i5 permagnam efle pofle vim morbi, quid tibi conuicij iftius occafionem dederit, explicabo. Mos eft Philofo- phis, ipfifque Theologis, quoties volunt oftendere re- pugnare rationi, vt aliquid fiât, dicere illud ne quidem à Deo fieri pofTe; quem loquendi modum, pro captu

20 ingenij mei, paulo nimis audacem videri, non inficior ; eamque ob caufam, vt modeftius loquar, fi quid fimile mihi occurrat (poteft autem faepius in Mathe- maticis quàm in Philofophicis rébus occurrere), illud quod alij dicerent à Deo, ego tantum ab Angelo dico

25 fieri non poffe. Quod fi me idcirco Angelo aequem, pari ratione fe Deo square dicendi funt fapien- tiflimi orbis terrarum ; fumque admodum infelix, fi vanitatis fufpicionem effugere non potui, in eo ipfo in quo peculiarem modeftiam affedabam.

3o Caeterum multo plura pofTem fcribere ; fed nifi haec iuuent, plura non iuuarent. Iamque puto me abunde

�� � 166 Correspondance. n f 6 7 -6s.

amicitise noftrœ fatisfeciffe. Quippe ferio debes putare, me hanc epiftolam non ex aliqua ira, vel mala erga te voluntate, fed ex vera amieitia fcripfiffe. Nam primo cur tibi iratus effem ? An quia te mihi prœtulifti ? Tan- quam fcilicet iflud curem, ego qui me confueui mini- 5 mis quibufque poftponere. Sed etfi curarem quam maxime, certe non vereor ne tu ipfe te mihi, fed ne alij praeferrent; quinimo û quse inter nos ea de re contentio effe poffet, gauderem hoc ipfum à te dici, quia tanto minus ab alijs crederetur. Quod vero non 10 maie erga te fim affe&us, fatis apparet ex eo, quod illa ad te mittam, quœ maxime vtilia effe fcio; nam profeÉto nihil vtilius eft, quàm errorum fuorum libère admoneri. Et quamuis interdum moneamur etiam ab inimicis, modo tamen adhuc aliqua tibi re- i5 manferit fcintilla bonœ mentis, facile cognofces, per- magnum effe difcrimen inter illorum admonitiones & meas. Illi conantur tantum ei dilplicere quem obiur- gant; ego te reprehenfione modefta ad fanitatem re- ducere. Illi abftinerent à maledido, fi praeuiderent 20 illud ei, in quem loquuntur, profuturum; ego tibi haec profutura & fpero & cupio, nec aliam ob caufam laborem tam longae epiflolae fcribendse fufcipio. Illi denique in alterius vitia fie inuehuntur, vt non minus ab alijs, quàm ab ïllo ipfo cupiant audiri; ego contra 25 tibi foli tua retego, & coram alijs hactenus, quantum in me fuit, diffimulaui, diffimulaboque femperin pof- terum, vt tanto facilior tibi reditus pateat ad fanita- tem, modo tamen aliqua fuperfit eius fpes. Nam fi perfeueras in morbo,ne forte mihi vitio vertatur quod 3o amicitiam aliquando contraxerim cum homine fie

�� � îi.es. XXIV. — ij Octobre 1650. 167

affecr.o, & parum iudicij in deligendis amicis adhi- beam, cogar te deferere, meque apud omnes excufare ; narrando quo pado non ex deledu, fed cafu olim inciderim in tuam familiaritatem, cum in vrbe mili-

5 tari, in qua verfabar*, te vnum inuenirem, qui latine loqueretur. Dicam autem tum mihi non innotuiffe tuum morbum; fme quia tantus non erat, fiue quia, cum fcirem vnde natus effes & quomodo educatus*, quicquid me praefente peccabas, rufticitati potius

10 atque infcitiae quàm tali morbo tribuebam. Addam denique quo pado, poftquam illum cognoui, faluta- ribus remedijs à te depellere fim conatus. Atqui longe malim, vt te fanari patiaris; quod fi facis, neque me pudebit tibi effe amicum, neque te hanc epiftolam

«5 accepiffe pœnitebit. Vale.

Page i58, 1. 3. — Version française. « lorsqu 'estant à D. occupé. . . » (Clerselier, t. II, p. 58). Etant à £>., c'est-à-dire à Dordrecht, doit être une addition du traducteur. En tout cas, il s'agit ici du séjour que fit Descartes auprès de Beeckman pendant le printemps de 1629 (voir le prolégomène de la Lettre VII, p. i3).

Page 1 59, 1. 2-3. — Titre que portera le livre posthume d'Isaac Beeck- man publié par son frère Abraham : Mathematico-Physicarum Meditatio- num, Quœstionum, Solutionum Centuria (Utrecht, 1644).

Page 159, 1. 3. — Version française : « de la Batrachomyomachie d'Homère, ou des Contes de la Cigogne. » (Clerselier, II, 59). Double glose significative. Car , d'abord , Descartes n'avait pas à apprendre au Recteur du collège de Dordrecht que l'auteur réputé de la Batrachomyo~ tnachie est Homère; c'est là un renseignement donné sans doute, au cours de la traduction, par Clerselier à son fils, et que celui-ci aura inséré dans son texie français. Puis Descartes n'aurait pas cité non plus à un Hollan- dais (pe\i familiarisé avec la littérature française, puisque leur correspon- dance est en latin), un livre populaire comme les Contes de la Cigogne; c'est encore là, sans doute, un mot de r 'erselier, pour faire comprendre au jeune garçon dans quelle catégorie d'ouvrages pouvait rentrer la Ba- trachomyomachie. Pour cette double raison, le texte latin où manquent ces deux renseignements, paraît bien être l'original de Descartes; car si

�� � 168 Correspondance.

c'était une traduction de la version française, pourquoi le traducteur aurait-il omis ces quelques mots pourtant si curieux?

Page i 59, 1. 6. — Version française : « Mais vous me dire\ peut-estre » que vous aue\ dit certaines choses, lesquelles ie n'ay pas plutost en- » tendues que ie les ay crues et approuuées. » (Clerselier, 11,59). Le mot entendre, dans le français du xvn e siècle, traduisait aussi bien intelligere que audire. Baillet (I, 207), qui sans doute n'a pas consulté le texte latin, a compris dans le sens de audire : « M. Descartes pouvoit avoir approuvé » des choses qu'il avoit entendues de Beeckman, comme il arrive souvent » dans la conversation. » Mais Descartes ne croyait pas si vite tout ce qu'il entendait dire; il voulait auparavant comprendre : intellexi est donc plus vraisemblable.

Page 159, 1. 23. — Voir jElien, Varia* Historiœ, IV, xxv.

Page 159, 1. 25. — Vide quant iniustus es : Un traducteur aurait mis sis, comme on trouve douze lignes plus loin : noui enim quant sis elegans et facetus. L'indicatif es parait une faute de grammaire, commise avec intention, pour mieux affirmer le fait.

Page 1 59, 1. 29. — Descartes à Mersenne, 1 638 (Clerselier, II, 370-1) : « le ne ferois nulle difficulté de lui enuoyer (à M. Mydorge) ma vieille » Algèbre, sinon que c'est un écrit qui ne me semble pas mériter d'estre • vu ; et pour ce qu'il n'y a personne que ie scache qui en ait de copie, » ie seray bien aise qu'il ne sorte plus d'entre mes mains. » En marge (Batllet, I, 32o) : « M. de la Barre et d'autres en ont eu depuis. » M. de la Barre, président du Bureau des finances de Tours, avait fait des re- cherches en Touraine et en Poitou pour la Vie de Descartes (Baillet, I, xxm-xxiv). Cette Algèbre, qui datait de 1618-1619, n'a pas été retrouvée. L'inventaire des papiers trouvés dans les coffres de Descartes, après sa mort, mentionne à l'article D : « Un petit registre en octavo, contenans » cent cinquante cinq pages, où il semble avoir escrit pour son usage, » une introduction contenans les fondemens de son Algèbre. »

Page 160, 1. 9. — Un certain nombre de dates (seulement huit en tout) se trouvent, en effet, dans l'imprimé de 1644, avec cet avertissement du frère de Beeckman, dans la Préface : « Centuriam hanc ex multis ejus » meditationibus compegi, et eo quidem, quo ille meditatus fuerat , » ordine volui exhiber e , subinde etiam addito tempore, quo hac ei oc- » currerant, ne quis compilasse existimaret aliorum Philosophorum » scrinia. » Cf. plus bas, Lettre XXV, p. 171, 1. 22.

Page 160, 1. 27. — Version française, Clerselier (II, 6t) : « L'eau est » tousiows semblable à Veau, mais elle a un tout autre goust lorsqu'elle » est puisée à sa source, que lorsqu'on la puise dans une cruche ou à » son ruisseau. » Baillet corrigeait déjà (I, 208) : « Que lorsqu'on la » prend dans une cruche ou dans un ruisseau. » Le texte latin est infi- niment préférable.

�� � XXIV. — \j Octobre i6jo. 169

Page 161, 1. 4. — Est-ce bien vrai? Cf. Descartes lui-même (plus haut, page 91,1. 9-10). Voir aussi les notes de Descartes retrouvées à Hanovre, dans les papiers de Leibniz et publiées par Foucher de Careil. Aussi Leibniz, qui pouvait parler en connaissance de cause, a fait cette remarque sur le récit, un peu partial, de la querelle entre Descartes et Beeckman, par Baillet (I, 202-212) : « // me semble qu'on fait tort à M. Isaac Beeck- » man. . . M. Descartes donnoit un étrange tour aux choses quand il » e'toit piqué contre quelqu'un » (Edit. Gerhardt, IV, 3 16). D'autre part, Gassend, énumérant tous les hommes remarquables qu'il a vus dans son voyage des Pays-Bas, en 1629, appelle le sieur Beeckman le meilleur philosophe qu'il ait encore rencontré. (Lettres de Peiresc, IV, 201).

Page 162, 1. 7. — Alias : on corrigerait volontiers alios. Mais toutes les éditions latines donnent le féminin. Vers, franc. : « . . . fist parade de cette cassette, et méprisast toutes les autres » (Clers., II, 63).

Page 162,1. 17. — Cf. Beeckman, Mathematico-Physicarum Médita- tionum Centuria, p. 37, n» 65 : Chordarum musicarum trepidatio — Aristote, De anima, lib. II, cap. vin, 3 : tù-t^^ yi? ^ ffTtv *) itoioùre

[i|d<pov], . . .

Page 162, 1. 29. — Voir un texte semblable, Compendium Musicaf, § 14.

Page 1 63, 1. 4. — Sur l'ellipse et l'hyperbole, voir la Dioptrique, de Desc, Disc. VIII e : Des figures que doiuent auoir les cors transparent pour détourner les rayons par refraction en toutes les façons qui seruent a la veuë. Cf. Beeckman, Math.-Phys., etc., p. 53, n» 86 : Luminis per corpus diaphanum refrac tio quo modo fiât, 4 Nouemb. [1627].

Page 164, 1. 18. — Version française : a non que ie sois insensible ». (Clerselier, II, 65) : Cornea fibra est une expression de Perse (I, 47), que Descartes aura sans doute retenue de ses exercices de vers latins à La Flèche, chez les Jésuites. Justement il vient de parler de vers latins à retourner (p. i63, 1. 22).

Page i65, 1. 2. — Version française : « i'aurois plutost peur de vous désespérer, que de vous donner la santé » (Clerselier, II, 66) : Vous désespérer, traduction libre de ad Lycambi laqueum perducere. Lycambe était un Thébain, qui se pendit de désespoir, tant il avait été malmené dans une satire d'Archiloque. Encore une de ces élégances de latiniste, comme cornea fibra. Cf. Horace, Epist., I, xix, 25.

Page 167, 1. 5. — C'est-à-dire Bréda (1617-1619). Cf. Baillet, I, 43- 44, et Lipstorp, Specimina Philosophie Cartesianœ, 76-77.

Page 167, 1. 8. — Allusion blessante au pays d'origine de Beeckman. Un de ses compatriotes, Paul de Middelbourg, prédécesseur de Galilée à l'Université de Padoue, disait : « Gratias Deo agemus, quod Middel- » burgo oriundi et glacialis Oceani barbara Zelandiœ insula, et si fas sit » dicere, vervecum in patria, aut cerdonum regione nati, in qua ebrietas Correspondance. I. as

�� � sola ut virtus summa laudatur, uberrime id Dei benignitate consecuti sumus, ut Externi et Itali plura nobis sponte offerenda donarent, quant cives nostri a nobis auferre et usurpare potuerunt. » (Cité par Paquot, Mém. pour servir à l’Hist. des Pays-Bas, 1765, in-12, V, 2). Mais ce texte est déjà de 1588 au plus tard, et au temps de Descartes et de Beeckman, il y avait au moins un savant, outre celui-ci, en Zélande : « ayant passé par Middelbourg en Zélande, écrit Gassend (le 21 juillet 1629), je ne me souvins jamais que ce fust là la demeure du sieur Lantsbergius ; ainsi à mon grand regret je ne l’ay point veu. » (Lettres de Peiresc, IV, 201). L’astronome Philip van Lansberge, de Gand, résida en effet à Middelbourg de 1615 à 1632, date de sa mort. — Descartes, dans ses papiers de jeunesse, publiés par Foucher de Careil, nomme plusieurs fois un « Isaac de Middelbourg » ; on désignait donc ainsi Isaac Beeckman.

XXV.
Descartes a Mersenne.
[Amsterdam, 4 novembre 1630.]
Texte de Clerselier, tome II, lettre 61, p. 311-315.

Sans date dans Clerselier. Celle que nous indiquons est la limite inférieure, car la Lettre suivante (voir le cinquième alinéa) est postérieure d’au moins trois semaines, et la date, du 25 novembre, en est à peu près certaine. Quant à la limite supérieure, c’est évidemment le 21 octobre 1630, premier lundi après le 17, date de la lettre précédente à Beeckman, dont le début est reproduit dans celle-ci. Mais Descartes n’entre sans doute dans les détails de sa querelle avec le recteur de Dordrecht que parce que Mersenne le lui a demandé, et Mersenne lui-même n’a dû être informé de cette querelle que par Descartes lui-même, dans une lettre (perdue) écrite après la réception de la seconde lettre de Beeckman, citée ci-après, c’est-à-dire probablement le 14 octobre. La date du 4 novembre, pour la présente lettre XXV, semble plus probable pour ce motif. Les noms propres de cette lettre ont été souvent remplacés, dans le texte de Clerselier, par une N. ; nous les avons restitués entre parenthèses.

Mon Reuerend Pere,

Ie ne reçois iamais de vos lettres, que ce ne ſoient de nouuelles obligations que ie vous ay, & que ie n’y reconnoiſſe de plus en plus le bien que vous me voulez. Ie ſuis ſeulement marri de n’auoir pas tant 5 d’occaſions de vous ſeruir icy où ie ſuis, comme vous en auez de m’obliger là où vous eſtes. Ie regrette les quinze iours que vous auez elle trop toſt à Liege* ; nous euſſions bien pû nous promener durant ce temps-là. Pour voſtre fortune d’Anuers, ie ne la trouue pas 10 tant à plaindre, & ie croy qu’il eſt mieux que la choſe ſe ſoit paſſée ainſi, que ſi on euſt ſceu, long-temps apres, | que vous eſtiez venu en ces quartiers, comme il eſtoit malaiſé qu’on ne le ſceuſt*.

Pour M. (Beecman), ie ne ſçay s’il ne vous veut 15 point vn peu de mal à mon occaſion, auſſi bien que fait le ſieur (Ferrier), quoy que ce ſoit ſans que ie luy en aye donné aucun ſujet. Mais il m’a fait reprimande en celle que ie vous ay mandé qu’il m’auoit écrite, où entre autres choſes il met ces mots : Cumque 20 Merſennus tuus totas dies in Libro meo manuſcripto verſaretur, atque in eo pleraque, quæ tua eſſe exiſtimabat, videret, & ex tempore illis addito, de illorum Authore meritò dubitaret, id quod res erat, illi liberius fortaſſis, quàm tibi aut illi placuit, aperui[53]. Ce mot ſeul a eſté cauſe 25 que ie luy ay fait réponſe, car ſans cela ie n’en euſſe pas pris la peine, & ie l’ay commencé en ces termes : Multum aberras à vero, & malignè iudicas de religioſiſſimi viri humanitate, ſi quid mihi de te à P. M. 172 Correspondance. h, 312-313.

rcnuntiatum fui/Je fufpiceris. Sed ne plures alios cogar excufare, fcire debes, me non ex Mo, nec ex vllo alio, fed ex tuis ipjis ad me Litteris, quœ in te reprehendo cognouijfe, &c. a . En fuite ie luy fais vn long difcours, où ie ne parle d'autre chofe que des impertinences 5 qui font dans les dernières qu'il m'a écrites, lefquelles ie garde auec les fécondes réponfes que i'y ay faites : car fi i'écriuois iamais de la Morale, & que ie vou- luffe expliquer combien la fotte gloire d'vn Pedan eft ridicule, ie ne la fçaurois mieux reprefenter, qu'en y 10 mettant ces quatre lettres.

Pour la diftin&ion du retour de la corde, in princi- pium, médium, & finem ou quietem, l'expérience que vous me mandez de l'ayman fuffit pour monftrer que nulla talis ejî quies : car fi elle monftre, comme vous i5 concluez fort bien, que ce n'eft pas l'agitation de l'air qui eft caufe du mouuement, il fuit de là neceffaire- ment que la puiffance de fe mouuoir eft dans la chofe mefme, & par confequent qu'il eft impoffible qu'elle fe repofe, pendant que cette puiffance dure. Mais fi la 20 corde fe repofoit après le premier tour, elle ne pour- roit plus retourner d'elle-mefme comme elle fait; car il faudroit que la puiffance qu'elle a de fe mouuoir euft ceffé pendant ce repos.

|Pour (Ferrier), il a bien tort de fe plaindre des 2 5 cartes b que ie luy enuoyois; ce feroit à moy à m'en plaindre, à qui elles ont coufté de l'argent, & non pas à luy, à qui elles n'ont rien coufté, & qui peut-eftre a feint ne les auoir pas receuës, de peur de m'en auoir obli-

a. Voir page 157, 1. 2-7.

b. Probablement des tracés d'hyperboles, pour la taille des verres.

�� � h, 3i3. XXV. — 4 Novembre 1630. iyj

gation ; car on m'a affuré quelles auoient elle bien addreffées. Mais ie ne feray pas marry qu'on fçache que ie vous ay témoigné que c'eftoit vn homme de qui ie fais fort peu d'eftat, d'autant que i'ay reconnu qu'il 5 n'effe&uë iamais aucune chofe de ce qu'il entreprend, & outre cela qu'il a l'ame peu genereufe. Il n'eft pas befoin qu'on fçache plus particulièrement en quoy i'ay fujet de le blâmer, pource qu'il ne me femble pas feulement digne que ie me fâche contre luy. Toutes-

10 fois fi quelqu'vn penfoit que i'euffe tort, luy ayant autrefois témoigné de l'affe6tion, de l'abandonner maintenant du tout, ie vous écriuis vne lettre 3 , lors que vous eftiez, ie croy, à Anuers, par laquelle vous me pourrez iuftifier, s'il vous plaift. I'ay receu vne

1 5 lettre du mefme (Ferrier) il y a huit iours, par laquelle il me conuie, comme de la part de M. de Marcheuille, à faire le voyage de Conftantinople. le me fuis moc- qué de cela; car outre que ie fuis maintenant fort éloigné du deffein de voyager, i'ay pluftoft crû que

20 c'eftoit vne feinte de mon homme, pour m'obliger à luy répondre, que non pas que M. de Marcheuille, de qui ie n'ay point du tout l'honneur d'eftre connu, luy en euft donné charge, comme il me mande. Toutes- fois, fi par hazard cela eftoit vray, ce que vous pour-

25 rez, ie croy, fçauoir de M. GafTendy, qui doit faire le voyage auec luy*, ie feray bien aife qu'il fçache que ie me reffens extrêmement obligé à le feruir pour les honneftes offres qu'il me fait, & que i'euffe chery vne telle occafion il y a quatre ou cinq ans, comme l'vne

3o des meilleures fortunes qui m'euffent pu arriuer, mais

a. Lettre perdue; voir toutefois la Lettre XX, p. 129 et suiv.

�� � 174 .Correspondance. ii, 313-314..

que pour maintenant ie fuis occupé en des deffeins, qui ne me la peuuent permettre; & M. Gaffendi m'o- bligeroit extrêmement, s'il vouloit prendre la peine de luy dire cela de ma part, & de luy témoigner que ie luy fuis tres-humble feruiteur. Pour (Ferrier), 5 | comme ce n'eft pas vn homme fur les lettres de qui ic me vouluffe aflurer pour prendre quelque refolution, auffi n'ay-ie pas crû luy deuoir faire réponfe. le feray bien aife que vous faffiez voir à M. Gaffendi cette partie de ma lettre, & que vous l'afluriez que ie 10 l'eflime & honnore extrêmement. le luy euffe écrit particulièrement pour cela, fi i'euffe penfé que ce qu'on me mandoit fuit véritable. Au relie ie feray bien aife qu'on fçache que ie ne fuis pas, grâces à Dieu, en condition de voyager pour chercher fortune, & que i5 ie fuis affez content de celle que ie poffede, pour ne me mettre pas en peine d'en auoir d'autre; mais que fi ie voyage quelquesfois, c'eft feulement pour ap- prendre & pour contenter ma curiofité.

Si vous voyez le Père Gibieuf, vous m'obligerez 20 extrêmement de luy témoigner combien ie l'eflime, luy & le Père Gondran, & combien ie vous ay témoi- gné que i'approuuois & fuiuois les opinions que vous m'auez dit élire dans fon Liure a ; mais que ie ne luy en ay ofé écrire, pource que ie fuis honteux de ne 25 l'auoir encore pu recouurer pour le lire, n'en ayant eu des nouuelles, que depuis que vous auez eflé hors de Paris. le ne feray pas marry qu il fçache auffi plus particulièrement que les autres, que i'eiludie à quel- qu' autre chofe qu'à l'art de tirer des armes. Pour les 3o

a. Voir page 1 53 , 1. iG.

�� � autres, vous m’auez obligé de leur parler ainſi que vous auez fait.

Ie ne me ſçaurois imaginer qu’en ce que vous me mandez de la duplication du cube, il puiſſe y auoir 5 de quoy s’arreſter vne demie heure. Car ſi on la veut demonſtrer par les ſolides, la choſe eſt poſſible, comme vous ſçauez que i’en ay autresfois fait voir la conſtruction à M. Hardy & à M. Mydorge, laquelle M. Mydorge a fort bien demonſtrée ; mais ſi on la 10 penſe trouuer autrement, il eſt certain qu’on ſe méprend.

M. (Mydorge) a tort, s’il s’offenſe de ce que i’ay plutoſt écrit à M. (Ferrier) qu’àluy ; car ie ſeray bien aiſe qu’il ſçache, que ce n’eſt pas touſiours à ceux que 15 i’eſtime & honnore le plus, à qui i’écris le plus, & que i’ay quantité de proches parens, & de tres-particuliers amis, à qui ie n’écris iamais & qui, ie | m’aſſeure, ne laiſſent pas de m’aimer, d’autant qu’ils ſçauent bien que cela n’empeſche pas que ie ne fuſſe touſiours 20 preſt de les ſeruir, ſi i’en auois les occaſions, & qu’il doit croire le ſemblable ; mais que pour des lettres de complimens, il me faudroit auoir vn ſecretaire à mes gages, ſi ie voulois écrire à tous ceux que i’eſtime, & que ie penſe eſtre de mes amis. I’ay écrit audit ſieur 25 (Ferrier) pour l’inciter à trauailler aux verres, & pour luv donner de petites commiſſions à Paris, deſquelles ie n’euſſe pas voulu importuner Monſieur (Mydorge). I’ay quantité d’amis qui deuroient s’offenſer par meſme raiſon, s’ils ſçauoient que ie veux bien écrire 30 à mon petit laquais, & que ie ne leur écris pas ; & vous meſme vous deuriez vous offenſer de ce que i’ay écrit à M. (Ferrier) auant que de vous écrire. Pour les modelles qu’il ſe repent d’auoir taillez, ne craignez pas qu’ils manquent à la poſterité ; car il verra non ſeulement qu’on n’en aura que faire, mais qu’il ſeroit meſme impoſſible de s’en ſeruir. 5

Ie ne poſe pas comme principe, que graue ſibi imprimit motum primo momento, mais comme vne concluſion, qui ſe tire neceſſairement de certains principes, qui me ſont euidens, bien que ie vous aye dit pluſieurs fois ne les pouuoir expliquer ſinon par vn 10 long diſcours, lequel ie ne feray peut-eſtre de ma vie. Et c’eſt ce qui m’oblige à faire ſouuent difficulté de vous mander mes opinions : car ie ne les écrirois iamais, ſinon que ie vous honnore trop pour vous refuſer aucune choſe que vous deſiriez. I’eſtime fort 15 l’experience de l’ayman que vous m’apprenez, et ie iuge bien qu’elle eſt veritable ; elle s’accorde entierement aux raiſons de mon Monde, & me ſeruira peut-eſtre pour les confirmer. Ie ſuis,

M. R. P. 20

Page 171, l. 7. — « Pour aller aux eaux de Spa » (Baillet, I, 213). Gassend à Golius, Paris, 6 Sept. 1630 : « Mersennus noster ex Spadanis aquis nondum rediit. » (Gass. Op., VI, 39).

Page 171, l. 13. — « Lorsque le P. Mersenne fut arrivé à Anvers, il y trouva des gens qui avoient appris une partie de ce qu’il avoit fait en Hollande, et qui pensèrent lui susciter des affaires à ce sujet. Il paroît que ses confrères surtout, et quelques autres catholiques scrupuleux voulurent lui faire un crime du danger où il avoit exposé la sainteté de sa robe, et des démonstrations d’amitié qu’il avoit données et reçues de plusieurs hérétiques couverts du manteau de sçavans. » (Baillet, I, 212-3). Pendant ce voyage aux Pays-Bas, qui avait interrompu sa correspondance, Mersenne avait vu Descartes et Beeckman, l’été de 1630 : Descartes à Amsterdam ou à Leyde (il se fit inscrire à l’Université comme étudiant de mathématique, la 27 juin 1630), et Beeckman, à Dordrecht.

Page 173, l. 26. — Gassend à Peiresc, 8 oct. 1630 : « M. de Marcheville est tousjours dans le dessein de partir en novembre… Je ne vous escry point d’autres nouvelles… Il faudra attendre que je sois en Levant… » (Lettres de Peiresc, IV, 245). Le comte de Marcheville, nommé ambassadeur du roi à Constantinople, ne partit qu’en juillet 1631, accompagné de quelques savants, en effet ; mais Descartes n’en fut point, ni Gassend non plus.


XXVI.
Descartes a Mersenne.
[Amsterdam, 25 novembre 1630.]
Texte de Clerselier, tome II, lettre 103 milieu, p. 460-470.
Le commencement et la fin de ce morceau sont marqués, sur l’exemplaire de l’Institut, par les annotations suivantes : « Autre lettre à Mersenne, 1630 » — « icy finit le fragment », inscrites au quatrième et au dixième alinéa d’une lettre sans date et sans nom de destinataire. Ces déterminations paraissent seulement conjecturales ; mais le début ci-après permet de placer, sans conteste possible, la présente lettre immédiatement après le n° XXV. D’autre part, en comparant le cinquième alinéa avec le début de la lettre XXIX, qui est du 2 décembre, on peut fixer la date à huit jours auparavant, soit au 25 novembre.

Ie vous aſſure que tant s’en faut que i’aye témoigné au ſieur (Beecman) que vous m’euſſiez parlé de luy, qu’au contraire i’ay taſché de luy en oſter tout ſoupçon ; car ie ne luy mande point du tout qu’on m’ait 5 rien dit de luy, ſinon que ie mets en ma premiere lettre[54] : Muſicam a te meam ſuperiori anno repetij, non quod indigerem, ſed quia mihi dictum erat, te de illa loqui, tanquam ex te didiciſſem. Nolui tamen hoc ipſum ſtatim ad te ſcribere, ne viderer ex ſola alterius relatione de amici fide nimis dubitaſſe. Nunc cum per alia multa mihi confirmation ſit, te inanem iactationem amicitiæ & veritati præferre, paucis monebo, ſi dicas te aliquid alium 5 docuiſſe, quamuis verum diceres, tamen eſſe odioſum ; cum vero falſum eſt, multo eſſe odiofius ; ſi denique hoc ipſum ab illo didiceris, eſſe | odioſiſſimum, &c. Ce qu’il ne peut dire venir de vous, car ie mets ſuperiori anno, que vous n’eſtiez pas encore venu icy, & mihi dictum 10 erat, & non pas ſcriptum, pource que i’adjouſte cela m’auoir eſté confirmé par le témoignage de pluſieurs, &c. afin qu’il ne vous le puiſſe attribuer. Ie mets en ma lettre ſuiuante[55] : Scire debes me non ex illo, nec ex vllo alio, ſed ex tuis ipſis ad me literis, quæ in te 15 reprehendo, cognouiſſe ; comme en effet, dans les deux lettres qu’il m’a écrites, ie croy qu’il y a aſſez de preuues de ſa vanité, pour le faire déeclarer tel que ie dis, deuant des juges équitables. Oe n’ay pas ſceu depuis de ſes nouuelles, & ne penſe pas luy écrire iamais plus. 20

I’ay pitié de la diſgrace de M. (Ferrier) encore qu’il la merite. Pour la lettre où ie vous parlois de luy, ie ne fuis pas marry que vous l’ayez fait voir à M. (Mydorge), puis que vous l’auez iugé à propos ; mais i’euſſe eſté bien aiſe que vous ne luy euſſiez point miſe tout à 25 fait entre les mains, tant à cauſe que mes lettres ſont ordinairement écrittes auec trop peu de ſoin, pour mériter d’eſtre veuës par d’autres que ceux à qui elles ſont addreſſées, comme auſſi pour ce que ie crains 30 qu’il n’ait iugé de là que ie veux faire imprimer la Dioptrique : car il me ſemble que i’en mettois quelque choſe ailleurs qu’à la fin, que vous, dites auoir oſté[56]. Et ie ſerois fort aiſe qu’on ne ſceuſt point du tout que i’ay ce deſſein : car de la façon que i’y 5 trauaille, elle ne ſçauroit eſtre prête de long-temps, I’y veux inſerer vn diſcours où ie tâcheray d’expliquer la nature des couleurs & de la lumiere, lequel m’a arreſté depuis ſix mois, & n’eſt pas encore à moitié fait ; mais auſſi ſera-t-il plus long que ie ne penſois, 10 & contiendra quaſi vne Phyſique toute entiere ; en ſorte que ie pretens qu’elle me ſeruira pour me dégager de la promeſſe que ie vous ay faite, d’auoir acheué mon Monde dans trois ans, car c’en ſera quaſi vn abrégé. Et ie ne penſe pas après cecy me reſoudre 15 iamais plus de faire rien imprimer, au moins moy viuant : car la fable de mon Monde | me plaiſt trop pour manquer à la paracheuer, ſi Dieu me laiſſe viure aſſez long--temps pour cela ; mais ie ne veux point répondre de l’auenir. Ie croy que ie vous enuoyeray 20 ce diſcours de la Lumiere, ſi-toſt qu’il ſera fait, & auant que de vous enuoyer le reſte de la Dioptrique : car y voulant décrire les couleurs à ma mode, & par conſequent eſtant obligé d’y expliquer comment la blancheur du pain demeure au ſaint Sacrement, ie ſeray 25 bien aiſe de le faire examiner par mes amis, auant qu’il ſoit vû de tout le monde. Au reſte, encore que ie ne me haſte pas d’acheuer la Dioptrique, ie ne crains pas du tout ne quis mittat falcem in meſſem alienam : car ie ſuis aſſuré que, quoy que les autres puiſſent écrire, s’ils ne le tirent des lettres que i’ay enuoyées à M. F(errier)[57], ils ne ſe rencontreront point du tout auec moy.

Ie vous prie, autant qu’il ſe pourra, d’oſter l’opinion que ie veüille écrire quelque choſe à ceux qui la 5 pourroient auoir, & plutoſt de leur faire croire que ie ſuis entierement éloigné de ce deſſein ; comme de fait après la Dioptrique acheuée, ie ſuis en reſolution d’étudier pour moy & pour mes amis à bon eſcient, c’eſt à dire de chercher quelque choſe d’vtile en la 10 medecine, ſans perdre le temps à écrire pour les autres, qui ſe mocqueroient de moy, ſi ie faiſois mal, ou me porteroient enuie, ſi ie faiſois bien, & ne m’en ſçauroient iamais de gré, encore que ie fiſſe le mieux du monde. Ie n’ay point vû le liure de Cabeus de 15 Magneticâ Philoſophiâp180, & ne me veux point maintenant diuertir à le lire.

Pour vos queſtions, ie n’y ſçaurois gueres bien répondre, car mon eſprit eſt entierement diuerty ailleurs. Toutesfois, ie vous diray que ie ne croy pas 20 qu’vne corde de luth retournaſt, gueres plus longtemps in vacuo qu’elle fait in aëre ; car la meſme force qui la fait mouuoir eſt celle qui la fait ceſſer à la fin[58]. Comme, quand la corde C D eſt tirée iuſques à B, il n’y a que la diſpoſition qu’elle a de ſe racourcir 25 & reſſerrer de ſoy meſme, à cauſe qu’elle eſt trop eſtenduë, qui la fait mouuoir vers E, en ſorte qu’elle ne de|uroit venir que iuſques à la ligne droite C E D, & ce qui la fait paſſer au delà, depuis E iuſques à H, n’eſt autre chofe qu’vne nouuelle force qu’elle acquiert par l’impetuoſité de ſon mouuement, en venant depuis B iuſques à E, de ſorte que H ne peut eſtre ſi éloigné 5 de E comme B ; car cette nouuelle force ne ſçauroit eſtre ſi grande que la premiere. Or encore qu’à chaque retour que fait cette corde, ce ſoit vne nouuelle force qui la faſſe mouuoir, il eſt certain toutesfois qu’elle 10 ne s’arreſte point vn ſeul moment entre deux retours ; & la raiſon que vous apportez que l’air ne peut pouſſer la corde, à cauſe qu’il eſt pouſſé par la corde, eſt tres-claire & tres-certaine.

I’auois écrit tout ce qui précède il y a quinze iours, 15 & pource que la feuille n’eſtoit pas pleine, ie ne vous I’auois pas enuoyée, ainſi que vous m’auiez mandé dans l’vn de vos billets. Mais ie vous l’euſſe enuoyée il y a huit iours, ſinon que celle que vous m’écriuiez me fuſt renduë trop tard. Ie ne ſçay ſi ce n’eſt point 20 que vous l’euſſiez miſe au paquet de quelqu’autre, car ie n’eſtois pas au logis quand on l’apporta ; mais quand vous m’obligez de m’écrire, c’eſt touſiours le plus ſeur d’enuoyer vos lettres par la voye ordinaire.

Ie vous ay trop d’obligation de la peine que vous 25 auez priſe de m’enuoyer vn extrait de ce Manuſcrit[59]. Le plus court moyen que ie ſçache pour répondre aux raiſons qu’il apporte contre la Diuinité, & enſemble à toutes celles des autres Athées, c’eſt de trouuer vne demonſtration euidente, qui faſſe croire à tout le 30 monde que Dieu eſt. Pour moy, i’oſe bien me vanter d’en auoir trouué vne qui me ſatisfait entierement, & qui me fait ſçauoir plus certainement que Dieu eſt, que ie ne ſçay la verité d’aucune propoſition de Geometrie ; mais ie ne ſçay pas ſi ie ſerois capable de la faire entendre à tout le monde, en la meſme façon que 5 ie l’entens ; & ie croy qu’il vaut mieux ne toucher point du tout à cette matiere, que de la traitter imparfaitement. Le con|ſentement vniuerſel de tous les peuples eſt aſſez ſuffiſant pour maintenir la Diuinité contre les injures des Athées, & vn particulier ne 10 doit iamais entrer en diſpute contr’eux, s’il n’eſt tres-aſſuré de les conuaincre.

I’éprouueray en la Dioptrique ſi ie ſuis capable d’expliquer mes conceptions, & de perſuader aux autres vne verité, après que ie me la ſuis perſuadée 15 : ce que ie ne penſe nullement. Mais fi ie trouuois par experience que cela fuſt, ie ne dis pas que quelque iour ie n’acheuaſſe vn petit Traitté de Metaphyſique, lequel i’ay commencé eſtant en Frize, & dont les principaux points ſont de prouuer l’exiſience de Dieu, 20 & celle de nos ames, lors qu’elles ſont ſeparées du cors, d’où ſuit leur immortalité. Car ie ſuis en colere quand ie voy qu’il y a des gens au monde ſi audacieux & ſi impudens que de combattre contre Dieu.

Page 180, l. 16. — Philosophia Magnetica, in qua Magnetis natura penitus explicatur, et omnium, quæ hoc lapide cernantur, causæ propriæ afferuntur (Ferrariæ, apud Franc. Succium, 1629, in f°). Cet ouvrage du

P. jésuite Nicol. Cabei commençait précisément à être connu en France. (Lettres de Peiresc à Dupuy, 18 fév. 1631, t. II, p. 270).
XXVII.
Descartes a Ferrier.
[2 décembre 1630.]
Texte de Clerselier, tome II, lettre 62, p. 316-319.

Cette lettre et les deux suivantes ont été écrites le même jour, ainsi qu’il ressort du premier alinéa de la lettre XXIX ci-après. Descartes répond en effet au « gros paquet » envoyé « cette semaine » par Ferrier et qui était accompagné d’une lettre de Gassend à Renery (voir la première note après la lettre XXIX). Or nous avons la date (22 novembre 1630) de cette dernière lettre, publiée dans les Gassendi Opera. Le paquet a donc dû arriver à Amsterdam le samedi 30 novembre. Les lettres qu’il fit écrire aussitôt à Descartes sont dès lors parties le lundi 2 décembre, jour du courrier. En dehors de Gassend et de Mersenne, Ferrier avait fait directement intervenir auprès de Descartes trois autres personnes (voir Lettre XXX ci-après). Nous n’avons que la réponse faite à l’une d’elles, le P. de Condren (lettre XXVIII) ; les deux autres étaient probablement le Père Gibieuf et Mydorge (si non le Père de Sancy, car Mydorge semble avoir écrit à part et antérieurement au sujet de Ferrier).

Monſieur,

Ie vous aſſure que ie n’ay point eu deſſein de vous faire aucun déplaiſir, & que ie ſuis tout auſſi preſt de m’employer pour vous, en ce qui ſera de mon 5 pouuoir, comme i’ay iamais eſté. Mais i’ay diſcontinué de vous écrire, pource que i’ay vu par experience que mes lettres vous eſtoient dommageables, & vous donnoient occaſion de perdre le temps. I’ay mandé à vn de mes amis[60] ce que ie reconnoiſſois de vôtre humeur, pource que, ſçachant que vous auiez accouſtumé de vous plaindre de tous ceux qui auoient tâché de vous obliger, i’eſtois bien aiſe, ſi vous veniez quelque iour à vous plaindre de moy, qu’vne perſonne 5 de ſon merite & de ſa condition pût rendre témoignage de la verité. Ie l’ay auſſi auerty de ce que vous m’auiez écrit de luy, & luy ay fait voir voſtre lettre. Car eſtant témoin des obligations que ie luy ay, & ſçachant tres-certainement que vous ne le blâmiez 10 que pour me preuenir & m’empeſcher de croire les veritez qu’il me pourroit dire à voſtre deſauantage, & deſquelles toutesfois il ne m’a iamais rien appris, i’euſſe creu commettre vn grand crime, & me rendre complice de voſtre peu de reconnoiſſance, ſi ie ne l’en 15 euſſe auerty.

Mais puiſque ie tiens la plume, il faut vne bonne fois que ie tâche à me débaraſſer de toutes vos plaintes, & à vous rendre conte de mes actions. Si i’euſſe dés le commencement connu vôtre humeur 20 & vos affaires, ie ne vous aurois iamais conſeillé de trauailler à ce que i’auois penſé touchant les refractions. Mais vous ſçauez qu’à peine vous auois-ie vû vne ou deux fois[61], quand vous vous y offriſtes, & pour ce que i’euſ|ſe eſté bien aiſe d’en voir l’execution, ie 25 ne creus pas auoir beſoin de m’enquerir plus diligemment ſi vous en pourriez venir à bout, & ne fis point de difficulté de vous communiquer ce que i’en ſçaii, 3i7- XXVII. — 2 Décembre i6}0. 185

uois. Car ie iugeois bien que c'eftoit vn ouurage qui requeroit beaucoup de peine & de dépenfe ; mais fouuenez-vous, s'il vous plaift, que ie vous dis alors diftin&ement, que l'exécution en feroit difficile, &que 5 ie vous aflurois bien de la vérité de la chofe, mais que ie ne fçauois pas fi elle fe pouuoit réduire en pratique, & que c'eftoit à vous d'en iuger, & d'en chercher les inuentions 3 . Ce que ie vous difois expreffément, afin que fi vous y perdiez du temps, comme vous auez fait,

10 vous ne m'en puiïiez attribuer la faute, ny vous plain- dre de moy. Depuis ayant connu les difficultez qui vous auoient arrefté, & ayant pitié du temps que vous y auiez inutilement employé, i'ay pour l'amour de vous abaifle ma penfée iufques aux moindres inuen-

i5 tions des mechaniques; & lors que i'ay crû en auoir aflez trouué pour faire que la chofe pût reùflir, ie vous ay conuié de venir icy pour y trauailler, & me fuis offert d'en faire toute la dépenfe, & que vous en auriez tout le profit, s'il s'en pouuoit retirer. le ne voy

20 pas encore que vous puifliez vous plaindre de moy iufques-là. Lors que vous m'euftes mandé que vous ne pouuiez venir icy, ie ne vous conuiay plus d'y tra- uailler; au contraire ie vous confeillay exprefiement de vous employer aux chofes qui vous apporteroient

25 du profit prefent, fans vous repaiftre de vaines efpe- rances. Par après, iugeant par vos lettres que ce que ie vous auois écrit de venir icy, vous auoit diuerty de vos autres ouurages, & que vous fembliez vous y préparer, encore que cela vous fuft impoflible, afin que

3o vous ne trainaffiez point deux ou trois ans, fuiuant

a. Cf. page 33, 1. 19, et pages 36-37, 68-69.

Correspondance. I. 24

�� � i86 Correspondance. h, 3i 7 -3i8.

vollre humeur, en cette vaine efperance, & qu'au bout du conte, fi ien'eftois plus difpoféàvousreceuoir,vous ne vous plaigniffiez pas de ce que vous vous y feriez préparé, ie vous manday que vous ne vous y atten- diflîez plus, d'autant que ie ferois peut-eftre preft à 5 m'en retourner, auant que vous fuffiez preft de (venir. Et pour vous en ofter le defir, ie vous écriuis vne partie de ce que i'auois penfé, & m'offris de vous aider par lettres, autant que ien ferois capable. Mais fi vous y auez pris garde, ie vous auertiffois par les ■© mefmes lettres, que vous ne vous engageaffiez point à y trauailler, fi vous n'auiez beaucoup de loifir & de commoditez pour cela, & que la chofe feroit longue & difficile 3 . le ne veux pas m'enquerir de ce que vous auez fait depuis; car fi vous auez plus eftimé mes i5 inuentions que mon confeil, & que vous y ayez tra- uaillé inutilement, ce n'eft pas ma faute, puis que vous ne m'en auez pas auerty.

Vous auez efté en fuite de cela fept ou huit mois fans m'écrire; ie ne vous en veux point dire la caufe, 20 car vous ne la pouuez ignorer; mais ie vous prie aufli de croire que ie l'ay bien fceuë, encore que perfonne autre que vous ne me l'ait apprife, et toutesfois que ie ne m'en fuis iamais mis en colère, comme vous vous imaginez. I'ay feulement eu pitié de voir que 25 vous vous trompiez vous mefme, & pource que mes lettres vous en auoient donné la matière, ie ne vous ay plus voulu écrire. Vous fçauez bien que fi i'auois eu deffein de vous nuire, ie l'aurois fait il y a plus de fix mois, & que fi vn petit mot qu'on a veu de mon 3o

I

a. Page 68, 1. 27 et suiv.

�� � ii, 3i8-3i 9 . XXVII. — 2 Décembre i6}o. 187

écriture, vous a fait receuoir du déplaifir, mes prières & mes raifons, & l'affiftance de mes amis, n'euffent pas eu moins de pouuoir. le vous afTure de plus, qu'il n'y a perfonne qui m'ait rien mandé à voftre defauan-

5 tage, & que celuy que vous blâmez de vous auoir prié que vous luy fifliez voir mes lettres, ne l'auoit point fait par vne vaine curiofi té, comme vous dites; mais pource que ie l'en auois tres-humblement fupplié, fans luy en mander la raifon, & qu'en cela mefme il

10 vous penfoit faire plaifir a . Mais afin que vous ne pre- niez pas occafion de dire que i'aye des foupçons mal fondez, & que ie me fois trompé en mon iugement, ie vous prie de faire voir ces mefmes lettres que ie vous auois écrites il y a quatorze ou quinze mois, à ceux à

«5 qui vous auez donné la peine de m'écrire; elles ne contiennent rien que ie de|fire que vous teniez fecret, comme vous feignez ; & fi i'ay quelquesfois fait diffi- culté de le dire à d'autres, c'a efté purement pour l'amour de vous. Mais vous fçauez bien que ceux à

20 qui ie vous prie de les monftrer, ne vous y feront point de tort; & après les auoir veuës, s'ils trouuent que i'aye failly en quelque chofe, & que i'aye eu autre opinion de vous que ie ne deuois, ie m'oblige de vous faire toutes les fatisfaétions qu'ils iugeront raifonna-

z5 blés. le fuis,

Monfieur,

Voftre tres-humble

& tres-obeïffant feruiteur,

DESCARTES, a. Page i . 1. 25 et suiv.

��

XXVIII.
Descartes a [Condren].
[Amsterdam, 2 décembre 1630.]
Texte de Clerselier, tome II, lettre 63, p. 319-320.

Clerselier dit seulement : « à vn R. P. de l’Oratoire ». Mais Baillet (I, 218) nomme expressément le P. de Condren, comme le destinataire de cette lettre. Pour la date, voir l’en-tête de la lettre précédente.

Monſieur & Reuerend Pere,

Ie ſuis marry que vous ne m’auez mandé quelque choſe de plus difficile que de vouloir du bien à M. (Ferrier), afin qu’en vous obeïſſant, ie vous puiſſe témoigner combien ie vous honore. Mais pour ce qui touche M. (Ferrier), ie vous affaire que ie ne luy ay 5 iamais voulu de mal, & que ie me tiendray bien-heureux ſi ie puis ſeulement m’exempter de ſes plaintes. On ne ſçauroit ſans cruauté vouloir du mal à vne perſonne ſi affligée, et pour ſes plaintes, ie les excuſe tout de meſme que s’il auoit la goutte, ou que ſon 10 cors fuſt tout couuert de bleſſures. On ne ſçauroit toucher ſi peu à ceux qui ſont en tel eſtat, qu’ils ne s’écrient, & ils diſent ſouuent des injures aux meilleurs de | leurs amis, & à ceux qui s’efforcent le plus de reméeier à leurs maux. I’euſſe eſté bien aiſe 15 d’apporter quelque ſoulagement aux ſiens ; mais pource que ie ne m’en iuge point capable, il m’obligeroit fort de me laiſſer en repos, & de ne m’accuſer point des maux qu’il ſe fait à ſoy-meſme. Toutesfois ie luy ay obligation de ce qu’il s’eſt particulierement addreſſé à vous pour ſe plaindre, & ie me tiens heureux de ce que vous daignez prendre connoiſſance du different qu’il prétend auoir auec moy. Ie ne veux point vous 5 ennuyer en plaidant ma cauſe ; ie vous diray ſeulement en vn mot, qu’il n’eſt fâché que de ce que i’ay vû plus clair qu’il ne deſiroit ; & il ſçait fort bien en ſon ame, que ie n’ay rien appris, qui le touchaſt, que de luy-meſme. Que s’il dit qu’on m’ait dit de luy quelques 10 faux rapports, ce n’eſt que pour auoir plus de pretexte de ſe plaindre, & de s’excuſer ſoy-meſme ; il s’eſt trompé en cela, qu’il a crû me deſobliger grandement, en vne choſe qui m’eſtoit indifferente. I’ay prié le R. P. M (erſenne), qui ſçait parfaitement toute cette 15 affaire, de vous en vouloir inſtruire. Que ſi vous trouuez que i’aye failly, vous m’obligerez extremement de ne me point flater, & ie ne manqueray pas d’obeïr exactement à tout ce que vous ordonnerez. Ie ſuis,

20
Monſieur & R. P.
XXIX.
Descartes a Mersenne.

{{c|[Amsterdam, 2 décembre 1630[62]].

Texte de Clerselier, tome II, lettre 64, p. 320-322.
Mon Reuerend Pere,

Vous m’affligeriez infiniment, ſi vous auiez la moin- ioo Correspondance. 11,320-321.

dre opinion que ie puffe iamais manquer de vous honorer & feruir de toute mon affedion; mais ie vous ay mandé à l'au|tre voyage ce qui m'auoit fait différer à efcrire, & vous fçauez auec cela que ie fuis vn peu négligent. le vous iure que i'ay maintenant la 5 telle fi rompue des lettres que ie viens d'écrire pour M. (Ferrier), que ie ne fçay plus ce que i'ay à vous dire. Il m'a enuoyé cette femaine vn gros pacquet, où il y auoit des lettres de ceux aufquels vous verrez que i'en ay écrit. I'ay crû que vous ne feriez pas marry de 10 voir ce que ie leur mande, & que vous m'ayderez à me iuftifier. Il n'y a aucun d'eux qui m'ait témoigné en aucune façon, que M. (Ferrier) vous euft méfié dans fes plaintes, ny qui ne m'ait obligé en l'excu- fant. M. Gaiïendi a fait le femblable dans vne lettre i5 qu'il a écrite à M. R (enery),* & ie vous prie auffi de me iuftifier enuers luy. Mais particulièrement ie vous prie de voir le P. (de Condren) & de luy faire voir la lettre que vous auez fait voir à M. Mydorge ; & fi vous en auez encore vne autre que ie vous écriuis au 20 mois de Mars dernier 3 , pour réponfe à ce que vous me mandiez que (Ferrier) fe preparoit de me venir trouuer, ie feray bien aife qu'il voye, par ce que ie vous man- dois, que ie n'oublie rien à luy dire de ce qui pourra feruir à ma caufe, non point tant pour luy monftrer 25 le tort de (Ferrier), comme pour l'aflurer que ie n'ay pas manqué de prudence ny de modération, & que i'ay méprifé fes petits defTeins, plutoft que de m'en fâcher aucunement. Vous cacheterez, s'il vous plaifl, toutes leurs lettres , auant que de leur donner , 3o

a. La Lettre XX. Voir pages 129-132.

�� � n.321-322. XXIX. — 2 Décembre i6jo. 191

excepté celle de (Ferrier), laquelle ie vous prie de faire voir à M. G (affendi), au P. (Gibieuf ) & au P. (de Con- dren)*, & de la laifler à celuy d'entr'eux que vous verrez le dernier, pour la luy donner. 5 le vous enuoye vne aiguille frottée d'vne pierre d'ayman qui pefe enuiron deux liures, & qui en leue iufques à vingt eftant armée ; mais defarmée, elle n'en leue pas plus d'vne. Il décline de cinq degrez, à ce qu'on m'a dit ; mais ie n'en fuis pas fort affuré ; car

10 celuy qui l'a, n'eft pas fort intelligent. le ne fçay fi c'eft la mefme pierre que vous auez veuë, mais on m'a dit qu'il n'y en auoit point de meilleure en cette ville. Etfi on vous demande où ie fuis, ie vous prie de dire que vous n'en elles pas certain, pource que i'eftois

i5 |en refolution de paffer en Angleterre*, mais que vous auez receu mes lettres d'icy, & que fi on me veut écrire, vous me ferez tenir leurs Lettres. Si on vous demande ce que ie fais, vous direz, s'il vous plaift, que ie prens plaifir à eftudier pour m'inftruire moy

20 mefme ; mais que de l'humeur que ie fuis, vous ne penfez pas que ie mette iamais rien au iour, & que ie vous en ay tout à fait ofté la créance. le fuis. . .

Page 190, 1. 16. — Voici cette lettre, datée de Paris, X Kal. Decemb. MDCXXX : « Nunc scribo ad te occasione fasciculi literarij, qui ad prae- » clarum Cartesium tuo interuentu dirigitur. Qui ipsum mihi consignauit, » ille est Ferrerius, industrius plane artifex, cuius, opinor, tibi nota » manus. Is cùm summâ semper obseruantiâ insignem virum coluerit, » dolore iam infando vexatur, quod occasione nescio quâ illius erga se » affectum refriguisse suspicetur. Itaque et scribit ad illum purgatoriam » epistolam. et postulauit ex me, vt testimonio quoque meo innocentiae » facerem fidem. Ego, quod rarum illum virum vix semel coràm affari » licuerit, excusationem paratam habui me esse non illi satis familiarem, » ac posse illum vel succensere, vel non iniuriâ negligere inofficiosum » pêne officium. Verùm cùm singularem virum interpellare ausus non

�� � 192 Correspondance.

» sim, id recusare saltem non potui, vt tibi, qui-cum illi summa intercedit » necessitudo, rem mihi notam significarem. Cùm itaque Ferrerium saepius » alloqui me contigerit, deprehendi nihil in ipsius ore commendauone » quâdam eximiâ Cartesij frequentius. Nisi profecto mérita viri aliunde » perspecta habuissem, erat quod tam crebras et gloriosas laudes hyper- » bolicas ducerem. Videlicet de illo semper vt de quodam Deo loquebatur, » testatus, illum vnicum esse, quem toto orbe suspiceret, cui et deberet » iam maxima, et porro omnia esset debiturus : vt verbo dicam, nihil potuit » mihi remissione illâ affectûs insperatius contingere : tantùm huius viri » constantiam,in suâ illâ, vt italoquar, venerationeobseruitaram. Quod ad » me spectat, si magni fieri ab aliquo expeterem, non aliam mei aestima- » tionem, non alium ardorem experiri vellem. Tu si ita videbitur, dabis » operam, vt eximio viro, quidquid istud est, innotescat, ipsique simul » candoris mei prasstabis vadimonium. Testarer apud alium et conscien- » tiam et Superos ad liberandum ipsi fidem. Apud te nihil est necesse, » cui notum satis, quàm ingénue agam. Caeterum exoptat Ferrerius, » remitti ad se literas, nisi illas fortassis tuto aut reddantur, aut transmit- » tantur; nimirum sibi renunciatum dicit Cartesium fuisse breui profec- » turum in Angliam. Id procurabis igitur... » (Gass. Op., VI, 41-42).

Page 191, 1. 3. — L'identification de ces deux derniers noms est quelque peu douteuse, tandis que (p. 190, 1. 18) plus haut le « P. M. » du texte du Clerselier paraît bien, d'après la Lettre XXVIII, être le P. de Condren, si toutefois le témoignage de Bailler est exact. Quant au P. Gibieuf il s'intéressait certainement à Ferrier (page 32, 1. 5). Mais peut-être le P. de Sancy (p. 32, 1. 6) avait-il aussi écrit à Descartes.

Page 191, l. 15. — Ce voyage ne se fit point. Dans une lettre du 11 juin 1640, à la fin, Descartes dira : «... bien qu'il y ait plus de dix ans que i'ay eu enuie d'aller en Angleterre. »


XXX.


Descartes a Mersenne.

[Amsterdam, 23 décembre 1630.]

Texte de Clerselier, tome II, lettre 65, p. 322-325.

Sans date dans Clerselier. Mais la présente lettre est la première que Descartes ait écrite à Mersenne après la précédente, du 2 décembre 1630. Il semble bien d'autre part que « ce voyage » (l. 1) ne peut être entendu que du départ du courrier ayant rapporté la n, 32a-323. XXX. — 2) Décembre iôjo. 195

réponse de Mersenne, si Descartes s'attendait à trouver, dans la lettre qu'il vient de recevoir, des nouvelles de l'effet qu'avaient pro- duit les siennes du 2 décembre. Or, pris dans ce sens, le voyage cor- respond à un intervalle de trois semaines.

Mon Reuerend Père,

le ne vous écrirois point à ce voyage, fi ie n'auois peur que vous le trouuafîiez eftrange comme à l'autre fois; car ie n'ay gueres de chofes à vous mander. Mais ie vous fupplie tres-humblement, vne fois pour 5 toutes, de vous affurer qu'il n'y a rien au monde ca- pable de changer ny d'altérer le defir que i'ay de vous feruir, & que ie ne croy iamais au rapport de perfonne, en ce qui peut tourner au defauantage de mes amis, fi ma propre expérience, ou des démonstrations

10 infaillibles, ne m'affurent de la mefme chofe. Vous pouuez auoir remarqué comment ie me fuis gou- uerné enuers le fleur (Beecman), auquel ie n'ay témoi- gné aucun refroidiflement, iufques à ce que fes pro- pres lettres m'en donnaffent iufte occafion, quoy que

i5 ie fuiTe d'ailleurs tres-afiuré de la vérité ; & vous con- noiffez bien vn autre homme a , auec qui ie fais encore profefiion d'amitié, bien que fans conter ce que vous m'auez écrit, trois autres perfonnes différentes m'ont affez mandé de fes nouuelles, pour me donner fujet

20 de m'en plaindre. Au refte, ne penfez pas que i'écriue cecy pour faire aucune comparaifon, mais feulement pour vous aflurer que ie ne fuis nullement foupçon- neux, ny de facile créance, | & que ceux qui me font l'honneur de m'aimer véritablement, fe doiuent af-

a. Ferrier.

Correspondance. I. '

�� � ſurer qu’encore que tous les hommes du monde me témoignaſſent le contraire, ils ne ſeroient pas ſuffiſans pour me le perſuader, ny m’empeſcher de leur rendre le reciproque. Mais vous ſçauez combien ie ſuis negligent à écrire, & ſi i’y manque vne autre fois, comme 5 ie feray, s’il vous plaiſt, bien ſouuent, quand ie n’auray pas aſſez de matiere pour remplir le papier, & qu’il n’y aura rien de preſſé, ie vous ſupplie & vous conjure de croire que ie ne laiſſeray pas pour cela d’eſtre parfaitement voſtre ſeruiteur, de vous 10 honorer, & de me reſſentir voſtre obligé touſiours de plus en plus.

Ie vous diray que ie ſuis maintenant aprés à demeſler le chaos, pour en faire ſortir de la lumiere, qui eſt l’vne des plus hautes & des plus difficiles 15 matieres que ie puiſſe iamais entreprendre ; car toute la phyſique y eſt preſque compriſe[63]. I’ay mille choſes diuerſes à conſiderer toutes enſemble, pour trouuer vn biais par le moyen duquel ie puiſſe dire la verité, ſans eſtonner l’imagination de perſonne, ny choquer 20 les opinions qui ſont commun&ment receuës. C’eſt pourquoy ie deſire prendre vn mois ou deux à ne penſer à rien autre choſe. Cependant toutesfois ie ne laiſſeray pas d’eſtre bien aiſe de ſçauoir ce qu’auront dit de mes lettres ceux à qui i’écriuis dernierement, 25 & auſſi M. Mydorge à qui i’auois écrit auparauant, & de quoy vous ne me mandez rien en voſtre derniere. Mais ſi quelqu’vn m’écrit encore par hazard, ie ne ſuis pas reſolu de leur faire réponſe, au moins de longtemps aprés, & ils pourront excuſer ce retardement 30 ſur la diſtance des lieux, d’autant qu’ils ne ſçauent pas où ie ſuis.

Pour les lignes dont vous m’écriuez[64], ie ne ſçaurois m’exempter d’en parler ſuffiſamment en mon 5 Traitté ; mais cela eſt ſi peu de chofe, que ie m’eſtonne qu’il y ait quelqu’vn qui penſe que les autres l’ignorent ; c’eſt vne grande marque de pauureté, que d’eſtimer beaucoup des choſes de ſi peu de valeur, & qui ne ſont pas rares, à cauſe qu’elles ſont diffici|les, mais 10 ſeulement à cauſe qu’il y a peu de gens qui daignent prendre la peine de les chercher.

Pour le Liure à tirer des armes, il eft de plus d’apparence que d’vtilité ; car encore que l’art ſoit tres-bon, il n’y eſt pas toutesfois trop bien expliqué*. Les 15 libraires en payent icy cinquante francs, ſans eſtre relié, & ie n’en donnerois pas vn teſton pour mon vſage.

Ie ne penſe pas qu’il faille croire ce que vous me mandez du diamant.

Ie n’oſerois vous prier de voir M. le Cardinal de 20 Baigné à mon occaſion, car ie ne ſuis pas aſſez familier auec luy pour cela ; mais ſi vous luy parliez par quelqu’autre rencontre, & que cela vinſt à propos, ie ne ſerois pas marry que vous luy témoignaſſiez que ie l’honore & l’eſtime extrêmement.

25 I’auois oublié à lire vn billet que ie viens de trouuer en voſtre lettre, où vous me mandez auoir enuoyé ma lettre à M. Mydorge, & que vous deſirez ſçauoir vn moyen de faire des experiences vtiles. A cela ie n’ay rien à dire, après ce que Verulamius en 30 a écrit, ſinon que ſans eſtre trop curieux à rechercher toutes les petites particularitez touchant vne matière, il faudroit principalement faire des Recueils généraux de toutes les chofes les plus communes, & qui font très-certaines, & qui fe peuuent fçauoir fans dépenfe : Comme, que toutes les coquilles font tournées 5 en mefme fens, & fçauoir fi c’eft le mefme au delà de l’equino&ial ; Que le cors de tous les animaux eft diuifé en trois parties, caput, peélus, & ventrem* y & ainû des autres ; car ce font celles qui feruent infailliblement en la recherche de la vérité. Pour les plus parti— 10 culieres, il eft impoflible qu’on n’en fafle beaucoup de fuperfluës, & mefme de faufles, fi on ne connoift la vérité des chofes auant que de les faire. le fuis, Monfieur,

Voftre tres-humble & tres-obeïffant i5 feruiteur, descartes.

Page 195, l. 14. — Descartes composa lui-même un petit traité sous le titre de l’Art d’Escrime, dont Baillet donne le plan (II, 407). Il est perdu, et Leibniz qui avait eu communication des Ms. de Descartes à Paris chez Clerselier en 1673-1676, disait déjà vers 1692 : « Je n’ay pas encore vu le petit traité de M. des Cartes de l’écrime. » (Edit. Gerhardt, IV, 315).

Page 196, l. 8. — Descartes joignait l’exemple au précepte. Dans l’inventaire de ses papiers, l’art. E se termine ainsi : « … trois pages sous ce tiltre : De partibus inferiore ventre contentis. »

XXXI.

Descartes a Balzac.

[Amsterdam, i5 avril i63i.] Texte de Clerselier, tome I, lettre 101, p. 472-473.

Date indiquée en supposant que la réponse de Balzac du 2S avril i63 1 ait été immédiate, comme tout porte à le croire. Bal\ac, après i. 47s- XXXI. — i$ Avril i6ji. 197

awj'r été à Paris toute l'année 1627 et aussi l'année 1628 jusqu'en décembre, s'en était retourné à Balzac, où il demeura toute l'année 162g, sauf peut-être un court voyage à Paris : une de ses lettres, du 10 octobre, est datée de Paris, mais peut-être par erreur; vers ce temps-là il aurait écrit à Descartes, qui s'informa de lui dans sa lettre à Ferrier, du i3novembre 162g (p. i32,l. 10.) Toute l'année i63o, il demeure encore à Balzac, et ne vient à Paris qu'en i63i : une lettre du 6 janvier est encore datée de Balzac; une autre, du 8 février, est datée de Paris, ainsi que les suivantes jusqu'au 7 septembre inclus. A partir de là, les lettres recommencent à être datées de Balzac.

Monfieur,

Encore que pendant que vous auez elle à Balzac, ie fceuffe bien que tout autre entretien que celuy de vous-mefme vous deuoit élire importun, fi elt-ce que ie n'euffe pu m'empefcher de vous y enuoyer 5 parfois quelque mauuais compliment, û i'eulî'e crû que vous y euffiez dû demeurer fi long-temps, comme vous auez fait. Mais ayant eu l'honneur de receuoir vne de vos lettres, par laquelle vous me faifiez efpe- rer que vous feriez bien-toit à la Cour, ie fis vn peu

10 de fcrupule daller troubler voflre repos iufques dans le defert, & crû qu'il valoit mieux que i'attendiffe à vous écrire, que vous en fufïïez forty; c'efl ce qui m'a fait différer d'vn voyage à l'autre,' l'efpace de dix- huit mois, ce que ie n'ay iamais eu intention de diffe-

i5 rer plus de huit iours; & ainfi fans que vous m'en ayez obligation, ie vous ay exemté tout ce temps-là de l'importunité de mes lettres. Mais puifque vous elles maintenant à Paris, il faut que ie vous demande ma part du temps que vous auez refolu d'y perdre à

20 l'entretien de ceux qui vous iront vifiter, & que ie vous die que depuis deux ans que ie fuis dehors, ie

�� � n’ay pas eſté vne ſeule fois tenté d’y retourner, ſinon depuis qu’on m’a mandé que vous y eſtiez. Mais cette nouuelle m’a fait connoiſtre que ie pourrois eſtre maintenant quelqu’autre part plus heureux que ie ne ſuis icy, & ſi l’occupation qui m’y retient n’eſtoit, 5 ſelon mon petit iugement, la plus importante en laquelle ie puiſſe iamais eſtre employé, la ſeule eſperance d’auoir l’honneur de voſtre conuerſation, & de voir naiſtre naturellement de|uant moy ces fortes penſées que nous admirons dans vos ouurages, ſeroit 10 ſuffiſante pour m’en faire ſortir. Ne me demandez point, s’il vous plaiſt, quelle peut eſtre cette occupation que i’eſtime ſi importante, car i’aurois honte de vous la dire ; ie ſuis deuenu ſi philoſophe, que ie mépriſe la plus-part des choſes qui ſont ordinairement 15 eſtimées, & en eſtime quelques autres dont on n’a point accouſtumé de faire cas. Toutesfois, pource que vos ſentimens ſont fort éloignez de ceux du peuple, & que vous m’auez ſouuent témoigné que vous iugiez plus fauorablement de moy que ie ne 20 meritois, ie ne laiſſeray pas de vous en entretenir plus ouuertement quelque iour, ſi vous ne l’auez point deſagreable. Pour cette heure, ie me contenteray de vous dire que ie ne fuis plus en humeur de rien mettre par écrit, ainſi que vous m’y auez autresfois 25 vû diſpoſé. Ce n’eſt pas que ie ne faſſe grand état de la reputation, lors qu’on eſt certain de l’acquérir bonne & grande, comme vous auez fait ; mais pour vne mediocre & incertaine, telle que ie la pourois eſperer, ie l’eſtime beaucoup moins que le repos & la tranquillité 30 d’eſprit que ie poſſede. Ie dors icy dix heures toutes les nuits, & ſans que iamais aucun ſoin me réueille, après que le ſommeil a longtemps promené mon eſprit dans des buys, des iardins, et des palais enchantez, où i’éprouue tous les plaiſirs qui font imaginez dans 5 les Fables, ie meſle inſenſiblement mes rêveries du iour auec celles de la nuit ; & quand ie m’aperçoy d’eſtre éueillé, c’eſt ſeulement afin que mon contentement ſoit plus parfait, & que mes ſens y participent ; car ie ne ſuis pas ſi ſeuere, que de leur refuſer aucune 10 choſe qu’vn philoſophe leur puiſſe permettre, ſans offenſer ſa conſcience. Enfin il ne manque rien icy que la douceur de voſtre conuerſation, mais elle m’eſt ſi neceſſaire pour eſtre heureux, que peu s’en faut que ie ne rompe tous mes deſſeins, afin de vous aller 15 dire de bouche que ie ſuis de tout mon cœur,

Monſieur,
Voſtre tres-humble & tres-obeïſſant ſeruiteur, descartes.
XXXII.
Balzac a Descartes.
Paris, 25 avril 1631.
Œuures de Monſieur de Balzac, 1665, I, 235.

Publiée pour la première fois p. 471 des Lettres de Monsieur de Balzac, Seconde partie (Paris, Pierre Rocolet, 1636, privilège du 30 janv. 1635, achevé d’imprimer le 26 fév. 1636).

Monſieur,

Voſtre lettre m’a trouué dans la plus noire humeur où ie fus iamais. De vous dire qu’en cet eſtat-là elle m’ait donné de la ioye, ce ſeroit parler trop hardiment pour vn malheureux. Mais il eſt vray qu’elle a tempéré vn peu ma triſteſſe, & m’a rendu capable de conſolation. Ie ne vis plus que de l’eſperance que i’ay de vous 5 aller voir à Amſterdam, & d’embraſſer cette chere teſte, qui eſt ſi pleine de raiſon & d’intelligence. C’eſt ce qui m’empeſche de vous conuier de venir icy, où ****. Il eſt touſiours dans la ſeruitude des ceremonies & des complimens, & fait le coyon auec vne 10 repugnance d’eſprit qui ne ſe ſçauroit imaginer. Il a l’ame d’vn Rebelle & rend les ſoumiſſions d’vn Eſclaue. A ce qu’il dit, il n’a point d’ambition, mais il conſent à celle d’vn autre, & meurt d’vne maladie qui n’eſt pas ſienne. Voilà que c’eſt d’eſtre complaiſant, & de 15 faillir par obeiſſance. Pour vous, Monſieur, vous auez mis voſtre eſprit au deſſus de ces conſiderations vulgaires : et quand ie me reprſeente le Sage des Stoïques, qui eſtoit ſeul libre, ſeul riche, & ſeul Roy*, ie vois bien que vous auez eſté predit il y a 20 longtemps, & que Zenon n’a eſté que la figure de Monſieur des Cartes.

Fælix qui potuit rerum cognoſcere cauſas,
Atque metus omnes & inexorabile fatum
Subiecit pedibus, etc.*. 25

Vous eſtes cet Heureux, ou il ne ſe trouue point dans le monde, & la conqueſte de la verité à laquelle vous trauaillez auec tant de force & de courage, me ſemble bien quelque choſe de plus noble que tout ce qui ſe fait auec tant de bruit & de tumulte en Allemagne & 30 en Italie. Ie ne ſuis pas ſi vain que ie pretende deuoir eſtre compagnon de vos trauaux, mais i’en ſeray pour le moins le ſpecateur, & m’enrichiray aſſez du reſte de la proye & des ſuperſluitez de voſtre abondance. 5 Ne penſez pas que ie face cette propoſition au hazard, ie parle fort ſerieuſement, & pour peu que vous demeuriez au lieu où vous eſtes, ie ſuis Hollandois auſſi bien que vous, & Meſſieurs des Eſtats n’auront point vn meilleur citoyen que moy, ni qui ait plus de 10 paſſion pour la liberté. Quoy que i’aime extremement le ciel d’Italie, & la terre qui porte les orangers, voſtre vertu ſeroit capable de m’attirer ſur les bords de la mer Glaciale, & iuſqu’au fond du ſeptentrion. Il y a trois ans que mon imagination vous cherche, & 15 que ie meurs d’enuie de me reünir à vous, afin de ne m’en ſeparer iamais, & de vous teſmoigner par vne ſuiettion continuë, que ie ſuis paſſionnement,

Monſieur,
Voſtre, etc.

A Paris, le 25 Auril 1631.

Page 200, l. 9. — Balzac parlait sans doute ici de Jean Silhon, son ami et celui de Descartes (p. 132, l. 10). Tout ce qui suit lui convient parfaitement. Mais comme il vécut jusqu’en 1667, on n’aura pas encore mis son nom en 1665, à cause de l’épithète peu flatteuse que Balzac y joint.

Page 200, l. 19. — Dans le Chicaneur convaincu de faux. Dissertation V, adressée aussi à M. Des-Cartes, Balzac proteste, quant à lui, contre le Sage des Stoïques, « ce fantosme de Sage », et encore dans la Dissertation VI, toujours à Descartes : « Depuis la mort de Juste-Lipse et de M. le Garde des Sceaux du Vair, il nous est permis de parler librement de Zenon et de Chrysippe, et de dire que les opinions de ces Ennemis du Sens commun estoient quelquevois plus estranges que les plus estranges fables de la Poésie… » (Œuvres de Balzac, II, 315 et 317).

Page 200, l. 25. — Virgile, Georg, II, 490. Ces vers où Balzac voit une allusion aux Stoïciens, en sont plutôt une aux Epicuriens, à Lucrèce ou à Epicure lui-même.

XXXIII.
Descartes a Balzac.
[Amsterdam, 5 mai 1631.]
Texte de Clerselier, tome I, lettre 102, p. 474-476.

La date, qui manque dans Clerselier, est fixée en supposant que Descartes aura immédiatement répondu à la lettre précédente de Balzac.

Monſieur,

I’ay porté ma main contre mes yeux pour voir ſi ie ne dormois point, lors que i’ay lû dans voſtre lettre que vous auiez deſſein de venir icy ; & maintenant encore ie n’oſe me réjouir autrement de cette nouuelle, que comme ſi ie l’auois ſeulement ſongée. Toutesfois 5 ie ne trouue pas fort étrange qu’vn eſprit, grand & genereux comme le voſtre, ne ſe puiſſe accommoder à ces contraintes ſeruiles, auſquelles on eſt obligé dans la Cour ; & puiſque vous m’aſſurez tout de bon, que Dieu vous a inſpiré de quitter le monde, ie croirois 10 pecher contre le Saint-Eſprit, ſi ie tâchois à vous détourner d’vne ſainte reſolution. Meſme vous deuez pardonner à mon zele, ſi ie vous conuie de choiſir Amſterdam pour voſtre retraitte & de le preferer, ie ne vous diray pas ſeulement à tous les Conuens des 15 Capucins & des Chartreux, où force honneſtes gens ſe retirent, mais auſſi à toutes les plus belles demeures de France & d’Italie, meſme à ce celebre Hermitage dans lequel vous eſtiez l’année paſſée. Quelque accomplie que puiſſe eſtre vne maiſon des chams, il y 5 manque touſiours vne infinité de commoditez, qui ne ſe trouuent que dans les villes ; & la ſolitude meſme qu’on y eſpere, ne s’y rencontre iamais toute parfaite, Ie veux bien que vous y trouuîez vn canal, qui faſſe rêver les plus grans parleurs, & vne valée ſi ſolitaire, 10 qu’elle puiſſe leur inſpirer du tranſport & de la joye[65] ; mais mal-aiſément ſe peut-il faire, que vous n’ayez auſſi quantité de petits voiſins, qui vous vont quelquefois importuner, & de qui les viſites ſont encore plus in|commodes que celles que vous receuez à Paris ; au 15 lieu qu’en cette grande ville où ie ſuis, n’y ayant aucun homme, excepté moy, qui n’exerce la marchandiſe, chacun y eſt tellement attentif à ſon profit, que i’y pourrois demeurer toute ma vie ſans eſtre iamais vu de perſonne. Ie me vais promener tous les iours 20 parmy la confuſion d’vn grand peuple, auec autant de liberté & de repos que vous ſçauriez faire dans vos allées, & ie n’y conſidere pas autrement les hommes que i’y voy, que ie ſerois les arbres qui ſe rencontrent en vos foreſts, ou les animaux qui y paiſſent. Le bruit 25 meſme de leur tracas n’interromt pas plus mes réveries, que ſeroit celuy de quelque ruiſſeau. Que ſi ie fais quelquefois reflexion ſur leurs actions, j’en reçoy le meſme plaiſir, que vous feriez de voir les païſans qui cultiuent vos campagnes ; car ie voy que tout leur trauail ſert à embellir le lieu de ma demeure, & à faire que ie n’y aye manque d’aucune choſe. Que s’il y a du plaiſir à voir croître les fruits en vos vergers, & à y eſtre dans l’abondance iuſques aux yeux, penſez-vous qu’il n’y en ait pas bien autant, à voir venir icy des 5 vaiſſeaux, qui nous aportent abondamment tout ce que produiſent les Indes, & tout ce qu’il y a de rare en l’Europe. Quel autre lieu pouroit-on choiſir au reſte du monde, où toutes les commoditez de la vie, & toutes les curioſitez qui peuuent eſtre ſouhaitées, ſoient ſi 10 faciles à trouuer qu’en cettuy-cy ? Quel autre pays où l’on puiſſe iouyr d’vne liberté ſi entiere, où l’on puiſſe dormir auec moins d’inquietude, où il y ait toujours des armées ſur pied exprés pour nous garder, où les empoiſonnemens, les trahiſons, les calomnies ſoient 15 moins connuës, & où il ſoit demeuré plus de reſte de l’innocence de nos ayeuls ? Ie ne ſçay comment vous pouuez tant aimer l’air d’Italie, auec lequel on reſpire ſi ſouuent la peſte, & où touſiours la chaleur du iour eſt inſuportable, la fraiſcheur du ſoir mal 20 ſaine, & où l’obſcurité de la nuit couure des larcins & des meurtres. Que ſi vous craignez les hyuers du ſeptentrion, dites-moy quelles ombres, | quel évantail, quelles fontaines vous pouroient ſi bien preferuer à Rome des incommoditez de la chaleur, comme vn 25 poëſle & vn grand feu vous exemteront icy d’auoir froid. Au reſte, ie vous diray que ie vous attens auec vn petit recueil de réveries, qui ne vous feront peut-eſtre pas deſagreables, & ſoit que vous veniez, ou que

vous ne veniez pas, ie ſeray touſiours 30 paſſionement, etc.
XXXIV.
Descartes a [Reneri].
[Amsterdam], 2 juin 1631.
Texte de Clerselier, tome III, lettre 111, p. 602-604.

Le nom du destinataire manque dans Clerselier ; mais la fin de la lettre « ie vous en pourray dire ieudy dauantage » indique qu’elle est adressée à un correspondant habitant en Hollande, non loin d’Amsterdam, et que Descartes voit régulièrement. On peut penser, soit à Reneri, qui depuis la fin de 1629 était précepteur dans une famille à Leyde, soit à Golius, professeur de mathématiques à l’Université de la même ville, où Descartes s’était fait inscrire comme étudiant le 27 juin 1630. Il écrivait du reste à tous les deux en français, et rien ne fait supposer que Clerselier ait donné la version d’un texte latin. Mais, avec Golius, Descartes traite spécialement de mathématiques (voir les Lettres XXXIX et XL ci-après), et il est loin d’avoir la même intimité qu’avec Reneri, qui fut, de fait, son premier disciple et auquel d’ailleurs il écrira sur le même sujet le 2 juillet 163[4].

Monſieur,

Pour reſoudre vos difficultez, imaginez l’air comme de la laine, & l’æther qui eſt dans ſes pores comme des tourbillons de vent, qui ſe meuuent çà & là dans 5 cette laine ; & penſez que ce vent qui ſe joüe de tous coſtez entre les petits fils de cette laine, empeſche qu’ils ne ſe preſſent ſi fort l’vn contre l’autre, comme ils pourroient faire ſans cela. Car | ils ſont tous peſans, & ſe preſſent les vns les autres autant que l’agitation 10 de ce vent leur peut permettre, ſi bien que la laine qui eſt contre la terre eſt preſſée de toute celle qui eſt au deſſus iuſques au delà des nuës, ce qui fait vne grande peſanteur ; en ſorte que s’il falloit éleuer la partie de cette laine, qui eſt, par exemple, à l’endroit marqué O, auec toute celle qui eſt au deſſus en la ligne O P Q, il 5 faudroit vne force tres-conſiderable. Or cette peſanteur ne ſe ſent pas communément dans l’air, lors qu’on le pouſſe vers le 10 haut ; pour ce que ſi nous en éleuons vne partie, par exemple celle qui eſt au point E vers F ? celle qui eſt en F va circulairement 15 vers G H I & retourne en E ; & ainſi ſa peſanteur ne ſe ſent point, non plus que ſeroit celle d’vne roüe, ſi on la faiſoit tourner, & qu’elle 20 fût parfaitement en balance ſur ſon aiſſieu. Mais dans l’exemple que vous apportez du tuyau D R, fermé par le bout D par où il eſt attaché au plancher A B. le vif-argent que vous ſuppoſez eſtre dedans, ne peut commencer à deſcendre tout à la fois, que la laine qui eſt 25 vers R n’aille vers O, & celle qui eſt vers O n’aille vers P & vers Q, & ainſi qu’il n’enleue toute cette laine qui eſt en la ligne O P Q, laquelle priſe toute enſemble eſt fort peſante. Car le tuyau eſtant fermé par le haut, il n’y peut entrer de laine, ie veux dire d’air, en la 30 place du vif-argent, lorſqu’il deſcend. Vous direz qu’il y peut bien entrer du vent, ie veux | dire de l’æther, par les pores du tuyau. Ie l’auoüe ; mais conſiderez que l’æther qui y entrera ne peut venir d’ailleurs que du ciel ; car encore qu’il y en ait par tout dans 5 les pores de l’air, il n’y en a pas toutesfois plus qu’il en faut pour les remplir ; et par conſequent s’il y a vne nouuelle place à remplir dans le tuyau, il faudra qu’il y vienne de l’æther qui eſt au deſſus de l’air dans le ciel, & partant que l’air ſe hauſſe en ſa place.

10 Et afin que vous ne vous trompiez pas, il ne faut pas croire que ce vif-argent ne puiſſe eſtre ſeparé du plancher par aucune force, mais ſeulement qu’il y faut autant de force qu’il en eſt beſoin pour enleuer tout l’air qui eſt depuis là iuſqu’au deſſus des nuës.

15 Maintenant, quand il y a de l’air chaud dans vn verre, imaginez-vous que c’eſt cette laine dans laquelle il y a des tourbillons de vent fort impetueux, qui la font eſtendre plus que de couſtume, & ainſi occuper plus de place que lors que l’air ſe refroidit. 20 Or il faut que vous ſçachiez que l’impetuoſité de ce vent eſt plus forte que la peſanteur de toute la laine qui eſt au deſſus, puis qu’elle ne laiſſe pas de faire que les parties de celle qui eſt deſſous s’éloignent lvne de l’autre en ſe rarefiant. Que ſi on renuerſe vn 25 verre ſur vne pierre, & qu’on le bouche bien tout autour, l’air qui eſt dedans en ſe refroidiſſant, c’eſt à dire les parties de cette laine ceſſant d’eſtre meuës par le vent qui eſt parmy, n’auront plus beſoin de tant de place, & ainſi la peſanteur de la laine qui eſt au 30 deſſus commencera à auoir ſon effet en preſſant le verre tout autour, & le faiſant reſſerrer & reſtrecir en dedans le plus qu’il luy eſt poſſible. Mais pour ce que vous dites qu’encore que ce verre ne cede aucunement, l’air qui eſt enfermé dedans ne laiſſera pas de ſe refroidir ſans ſe condenſer, ie l’accorde ; car quoy que le vent ſoit beaucoup diminué, il eſt touſiours 5 ſuffiſant pour épandre çà & là dans tout le creux du verre le peu de laine qui y eſt renfermé. l’écris cecy en courant, afin d’enuoyer ma lettre dés ce ſoir, & ie vous en pourray dire Ieudy dauantage. Adieu.

Les idées que Descartes expose dans cette lettre étaient aussi celles de plusieurs de ses contemporains.

Beeckman, consignant ses entretiens avec Gassend (juillet 1629), Math. Phys. Medit. Centuria, no 77, p. 45, dit ceci : « … Tum quoque ostendi aerem esse gravem, nosque undique ab eo æqualiter premi, ideoque non dolere, eamque esse causam fugæ vacui quant vocant. »

Cf. ib., no 35, p. 13 : « Vacui fuga explicatur… Accidit aeri more aquæ rebus incumbere, eumque secundum profunditatem incumbentis eas comprimere. Res autem quiescunt quædam, nec perpetuo dispelluntur, quia undique æqualiter ab aere incumbente comprimuntur, qualiter contingit nobis urinantibus premi ab aquâ ; magno autem nixu locum vacuum petunt, propter incumbentis aeris immensam profunditatem, obque inde natam molem… »

Cf. Mersenne, lettre à Jean Rey, 1er sept. 1631 : « Vous adioutés que l’air ne descend point dans vn puits ou dans les cauernes que par sa pesanteur. Ce n’est pas la vraie cause : car il entre et remplit tout de mesme les trous que l’on fait en haut, par exemple, dans les poutres et cheurons des planchers ; et l’on vous dira qu’il fait cela par sa legereté, puisqu’il monte en haut, puisqu’il n’est autre chose qu’vne infinie multitude de petites parcelles qui s’exhalent de la terre et de l’eau, sans lesquelles il n’y auroit que du vuide, et cette opinion est reçue de plusieurs par deçà. Ce n’est pas que ie croye que la fuite du vuide soit la cause efficiente de ce mouuement d’air qui va remplir les trous ; car ie ne crois pas seulement qu’il en soit la cause finale, puisque ce qui n’est point, et ce qui ne peut estre, à mon aduis, ne peut estre cause finale. Mais i’estime que la cause de ce remplissement d’air tant en haut qu’en bas vient de l’equilibre que la nature reprend : car la terre tirée des cauernes se faisant vne place dans l’air, elle le chasse et le contraint de descendre au lieu d’où elle a esté tirée ; autrement il faudroit que l’air, qui étoit auparauant dans l’espace que la terre remuée occupe, s’aneantît, ou qu’il occupât le lieu d’vn autre air par penetration, ou qu’il passât ou poussât vn air égal dans les espaces imaginaires, ou qu’il souffrit vne perpetuelle condensation, ce qui ne se voit point dans la nature, qui recompense toujours ses defauts par la voie la plus courte et la plus aisée. » (Essays de Jean Rey, édit. 1777, p. 109-111 ; cf. 124-128 et 142-143).

Rey répond le 1er janv. 1632 : « … On me dira que l’air qui remplit les trous faits en haut dans les poutres d’vn plancher, doibt estre dit leger, puisqu’il monte. Mais ie leur dirai qu’il faut par la mesme raison qu’ils dient l’eau estre legere, qui monte dans vn batteau par les trous qui se font dans ses planches, ou (pour mieux faire cadrer la comparaison) qui monte dans les trous qu’on peut conceuoir estre faits dans les voutes des cauernes qui sont soubs les eaux. Ils ne m’accorderont pas ceci, ni moi à eux le reste. Certes l’vn et l’autre remplissage se fait par la pesanteur a des parties plus hautes, tant de l’air que de l’eau, qui s’affaissant sur les plus basses, les contraignent de pousser celles qui sont près des trous à les remplir. Ce que vous-même confirmez, sans y penser, quand vous dites que cela vient de l’équilibre que la nature reprend. » (Ib., p. 124-5). — Cf. les deux petits Traités de l’équilibre des liqueurs et de la pesanteur de la masse de l’air, publiés en 1663, un an après la mort de Pascal, qui les avait composés « depuis plus de douze ans » (Pascal et Descartes : les expériences du vide, 1646-1651, par Ch. Adam, Rev. Philos., déc. 1887 et janv. 1888). — Vers le même temps (1631), Descartes exposait les mêmes idées dans son Monde, c. IV des fragm. qui nous en sont restés : « Quel jugement il faut faire du vuide… »

XXXV.
Villebressieu a Descartes.
[Eté de 1631.]
[A. Baillet,] La Vie de Monsieur Des-Cartes, t. I, p. 257-261.

Baillet a eu entre les mains plusieurs lettres de Villebressieu à Descartes ; ce qu’il en dit, sur l’année 1634, ne suffisant point pour distinguer ces lettres, nous réunissons ci-après les diverses citations qui en sont faites. La date indiquée ne doit naturellement être regardée que comme se rapportant à la plus ancienne, mentionnée comme suit :

[Baillet, t. I, p. 260-261.] « M. Descartes ne fit pas un fort long A séjour en Danemarck. Il laissa M. de Ville-Bressieux, et se voyant de retour à Amsterdam, il alla à Dordrecht pour visiter son ancien amy Beeckman que la vieillesse et les maladies sembloient menacer de la mort. Il avoit reçu peu de jours auparavant des nouvelles de M. de Ville-Br essieux, qui lui avoit écrit des frontières de Danemarck, pour lui mander les observations qu’il y avoit faites depuis leur séparation, et lui rendre conte du tems qu’il avoit employé auprès d’un amy che\ qui il l’avoit laissé. (En marge : Lettre Ms. d’Est, de VilleBress. à Desc.) Etant revenu à Amsterdam, il lui récrivit en ces termes : (Suit le fragment F de la lettre XXXVI ci-après, lettre d’où Baillet a dû tirer le début de ce paragraphe). »

D’après Baillet, au reste, Ville-Bressieu serait venu habiter avec Descartes en i6 ? 2 et le voyage que tous deux firent en Danemark n’aurait eu lieu qu’en 1634. En 1 63 1 au contraire, Descartes aurait été en Angleterre. Mais nous savons que ce voyage d’Angleterre, projeté en i63o, ne fut jamais effectué. D’autre part, en 1634, si Descartes, après son séjour à Deventer de juin i632 à décembre 1 6 3 3, est effectivement revenu à Amsterdam, il demeure (lettre à Mersenne du i5 mai 1634), « chez M. Thomas Sergeant in den Westerkerck Straet » ; il a donc abandonné le « logis du Vieux Prince », où il attend Ville-Bressieu (lettre XXXVI F). Les années suivantes se trouvant exclues (Descartes est à Utrecht en 1 635, à Leyde en i636, et Beeckman meurt le 20 mai i63j), il faut remonter jusqu’en i63i ; nous savons d’ailleurs, par une lettre de Beeckman du 7 octobre 1 63 1, que la réconciliation de Descartes avec lui avait déjà eu lieu.

Au voyage de Descartes et de Villebressieu se rapporte encore la mention suivante :

B [Baillet, t. I, p. 259]. « M. Descartes… jugea bon qu’il (M. de Ville-Bressieux) lui tînt compagnie dans le voyage de Danemarck et de la Basse-Allemagne. Etant décendus dans la Frise orientale, ils s’arrêtèrent quelque temps à Embden. (En marge : Ville-Bress. lettre Ms. à Desc.) »

Comme Descartes, dans la lettre XXXVI E, parle d’Embden, cette mention peut concerner une réponse de Villebressieu écrite en cette même année 1631 ; la suivante peut au contraire se rapporter à la première lettre de Villebressieu.

C [Baillet, t. I, p. 260]. « Etant remontez dans le vaisseau au sortir d’Embden, ils prirent la route de Hambourg, et M. de Ville-Bressieux témoigna depuis n’avoir point trouvé de momens dans toute sa vie plus avantageusement emploiez que ceux de ce trajet. M. Descartes voulut prof ter du loisir que lui donnoit l’espace de ce passage, pendant lequel il se trouva hors d’état de s’occuper, pour lui inculXXXV. — ÉTÉ DE IÔJI. 211

quer divers principes . . . » (En marge : Autre lettre Ms. de Ville- Br. à Desc.)

Quant à l'extrait suivant, quoique Baillet le donne (t. I, p. 257) avant le fragment D de la lettre XXXVI, comme si cette dernière formait ré- ponse, il semble plutôt appartenir à une date sensiblement postérieure, mais il est difficile de préciser :

Je ne puis affez dignement vous remercier

des obligations que je vous ai. Il m'eft impoffible de m'en revencher, qu'en vous faifant fouvenir du bien que vous m'avez fait en gênerai & en détail. Je vous

5 ai fi longuement étudié lorfque vous me faifiez l'hon- neur de m'aimer, & de vous fervir de moi à voftre voyage de la Baffe Allemagne, & à Paris pour l'exé- cution du grand miroir elliptique que vous me fîtes faire de marbre artificiel*. Il avoit fix pieds de haut,

10 & deux & demi de large. Etant enfermé dans la chambre, il recevoit les objets du dehors par un trou affez petit, & rejettoit la figure au dehors par le même trou ; & il la faifoit paroître redreffée, contre l'ordi- naire des miroirs concaves, qui renverfent l'objet dés

i5 qu'il eft par delà le foyer ou le point brûlant. D'où je m'étois étonné d'un tel effet; mais je viens d'apprendre que cela fe fait parce qu'il ne peut recevoir l'objet par un trou qu'entièrement renverfé ; & fa nature étant de renverfer les images qu'il a reçues droites,

20 c'eft ce qui eft la caufe d'un tel miracle*.

Page 211, 1. 9. — Cf. Pierre Borel, Vitee Cartesii Compendium (i 653, p. 7-8; ou 1676, p. 10), qui tenait d'ailleurs ces détails de Villebressieu lui- même : « In mathematicis verô tantus fuit (Cartesius), ut captum supe- » rantia fecerit, praecipue circa conspicilla et spécula : utque cogitata sua » probaret, vel e glacie, vel e marmore artificiali nigro polito, ad porta; » magnitudinem et juxta desideria et varias figuras excavato, opère D. » Bressiaei viri ingeniosissimi spécula parabat, cumque optata vidisset, ea

�� � 2 r 2 Correspondance.

» rumpenda curabat, et ex eadem materia alia nova conficiebat. » Baillet (I, 258-ç) ne fait que paraphraser ce passage, ainsi que le suivant si curieux : « Coramque eodem Bressiseo, opticae secreto arcano, militum » cohortem transeuntem ostendit per cubiculum suum, quod valde mira- » tus est; hase autem procedebant a parvis militum figuris quas abscon- » débat et speculi ope foris auctas educebat. » Les mots e glacie de la première phrase indiqueraient que Descartes et Villebressieu ont passé au moins un hiver ensemble, mais la lettre parle de Paris, non pas d'Amsterdam. Il faudrait donc, pour l'exécution de ces miroirs, remonter jusqu'à 1627-1628.

Page 211, 1. 20. — Baillet, dans l'alinéa précédent, paraphrase ce frag- ment, et renvoie « à la Dioptrique de M. Descartes, qui en composa, » dit- il, « le cinquième Discours sur cette observation. » Mais si Descartes y parle bien, en effet, des images renversées, il ne dit mot du redressement de ces images. — Ce que Baillet ajoute ensuite complète mieux ce frag- ment et paraît tiré de Descartes même : « M. Descartes estimoit d'autant » plus cette observation de M. de Ville-Bressieux, que sa machine ten- » doit à faire deux offices à la fois. Le premier étoit de redresser l'objet, » qui étoit un effet que M. Descartes ne lui avoit proposé d'abord que » comme possible, M. de Ville-Bressieux ayant fait le reste par sa propre » industrie. Le second étoit que sa machine se portoit partout où le point » de vue étoit plus agréable à voir. C'est ce qu'il jugeoit digne du plus » grand Prince de la terre, mais d'un Prince Philosophe et perfectionné » dans le raisonnement. C'est pourquoi il voulut persuader à M. de Ville- » Bressieux de tenir son instrument secret. » (Baillet, I, 256-7).

��XXXVI.

Descartes a Villebressieu.

Amsterdam [été i63i].

[A. Baillet,] La Vie de Monsieur Des-Cartes, t. I, p. i63 et 258-262.

Les fragments et résumés ci-après paraissent tous appartenir à une même lettre, écrite d'Amsterdam à Villebressieu, au retour du voyage de Descartes en Danemarck (voir lettre précédente p. 2 1 o, 1. 7). Cette lettre avait des alinéas numérotés : Baillet indique seulement trois numéros II, IV et IX. L'ensemble se trouve dans un même chapitre (p. 258-262), sauf les deux premiers morceaux qui sont donnés (p. 1 63) au sujet de la confé- rence de Chandoux chez le nonce du pape en 1628; mais Baillet a soin

�� � XXXVI. — ÉTÉ DE IÔJI. 21)

de prévenir alors que la lettre a été écrite « quelques années depuis », d'Amsterdam, à Villebressieu; il semble donc bien avoir tiré le tout d'une seule et même pièce.

[En marge : Lettre Ms. de Desc. à Ville-Bress.] : t Ce moyen A (d'éviter les sophismes) n'étoit autre que sa Règle universelle, qu'il appeloit souvent sa Méthode naturelle, sur laquelle il mettoit à l'épreuve toutes sortes de propositions, de quelque nature et de quelque espèce qu'elles pussent être. Le premier fruit de cette méthode étoit de faire voir d'abord si la proposition étoit possible ou non, parce qu'elle l'examinoit et qu'elle l'assuroit (pour me servir de ses termes) avec une connoissance et une certitude égale à celle que peuvent produire les règles de l'Arithmétique. L'autre fruit consistoit à lui faire soudre infailliblement la difficulté de la même proposition. »

Vous avez vu ces deux fruits de ma belle règle ou B Méthode naturelle au fujet de ce que je fus obligé de faire dans l'entretien que j'eus avec le Nonce du Pape, le Cardinal de Berulle, le Père Merfenne, & toute

5 cette grande & fçavante compagnie qui s'étoit affem- blée chez ledit Nonce pour entendre le difcours de M. de Chandoux touchant fa nouvelle philofophie*. Ce fut là que je fis confeffer à toute la troupe ce que l'art de bien raifonner peut fur l'efprit de ceux qui font

10 médiocrement fçavans, & combien mes principes font mieux établis, plus véritables, & plus naturels qu'au- cun des autres qui font déjà reçus parmi les gens d'étude. Vous en reftâtes convaincu comme tous ceux qui prirent la peine de me conjurer de les écrire et de

i5 les enfeigner au public.

[N. II de la lettr. ms. à Ville-Br. Résumé de Baillet, I, 260] : C 1 ... considérer la cause par laquelle se font toutes les choses qui nous paroissent les plus simples, et les effets de la nature les plus clairs & les moins compose^. La grande Mechanique n'étant autre chose (selon lui) que l'ordre que Dieu a imprimé sur la face de son

�� � 214 Correspondance.

ouvrage, que nous appelons communément la Nature, il estimoit qu'il valoit mieux regarder ce grand modèle, et s'attacher à suivre cet exemple, que les règles et les maximes établies par le caprice de plusieurs hommes de cabinet, dont les principes imaginaires ne pro- duisent point de fruit, parce qu'ils ne conviennent ni à la nature, ni à la personne qui cherche à s'injlruire. »

[Leur. ms. de Desc. à Ville-Bress. Résumé de Baillet, I, 257-8] : « M. Descartes prit occasion de faire à M. de Ville- Br essieu le dénombrement de ses expériences et de ses inventions. C'étoit sur ses préceptes, & principalement sur sa grande maxime que les choses les plus simples sont d'ordinaire les plus excellentes, que M. de Ville- Bressieu avoit trouvé la Machine propre pour élever les eaux en grande quantité et avec beaucoup de facilité. * Néanmoins M. Des- cartes lui en fit compliment, comme s'il eût inventé €■ découvert cette belle machine, par son pur génie. Il faut avouer qu'il s'étoit contenté de lui montrer la raison par laquelle cela devoit se faire. Aussitôt M. de Villebressieu se tint assuré de l'effet, de même que s'il en avoit fait l'épreuve en grand & en petit, parce que M. Descartes l'avoit accoutumé de bonne heure à se faire éclaircir de la cause de tous les effets que nous remarquons dans la nature.

Parmi les autres inventions particulières que M. de Villebressieu avoit imaginées auprès de M. Descartes, nous trouvons :

1. La Spirale double pour décendre d'une tour en bas sans danger.

2. Les Tenailles de bois pour monter par une corde menue.

3. Le Tour fait avec deux bâtons ou morceaux de bois pour monter et pour décendre.

4. Le Pont roulant pour escalader une place qui a un profond et large fossé.

5. Le Bateau à passer les rivières fait de quatre ais de bois, qui se plioit et se portoit sous le bras.

6. Mais surtout M. Descartes l'exhortoit à donner au public son Chariot-Chaise, jugeant cette machine fort utile à tout le monde, et particulièrement aux soldats blesse^. La structure n'en étoit ni diffi- cile, ni d'une grande dépense. Elle se pouvait faire partout où il y avoit des cerceaux de tonneau, et les deux roues ne pouvaient en aucune manière incommoder la personne qui étoit dans le chariot. Sa principale commodité consistoit en ce qu'on y pouvoit être mené en santé et en maladie dans toutes sortes de chemins par un seul homme

�� � XXXVI. — Été pe i6}ï. 21 f

avec moins de peine que n'en ont deux qui portent une chaise, et qu'on y étoit aussi mollement que dans une chaise ou une litière. »

[Lettr. Ms. de Desc. à Ville-Bress., n. IV, Résumé de Baillet, 1, 2SÇ-260] : « {AEmbden) M. de Ville-Bressieux fit une spécula- tion sur la façade de la Maison de Ville, que M. Descartes trouva fort bien imaginée et fort utile aux ingénieurs, aux peintres et à toutes les personnes qui tirent des plans tant réguliers qu'ir régulier s. Car il ne faut pas avoir, disoit-il, beaucoup d'habitude à la peinture pour lever ou tracer un plan élevé en perspective, sans connoitre les règles de la Perspective, et sans sçavoir même les principes de Géométrie, dont on se sert ordinairement dans les leçons que l'on y donne pour la Perspective commune et ordinaire. C'est ce qui fait souvent que les maîtres ne sçavent pas dans cette profession ce qu'ils sont oblige^ de sçavoir, et que les apprentifs y sont ordinairement fort embar- rasse^, surtout dans les choses qui ne sont pas entièrement régu- lières, comme sont des plans inclinez, ou en grotte, ou circulaires. Cette considération augmentait encore l'estime qu'il faisoit de cette nouvelle invention de M. de Ville-Bressieux; et il la jugeoit d'autant plus singulière qu'elle n'avoit été trouvée par aucun des Anciens *, quelle étoit très simple et très facile, qu'elle pouvoit s'apprendre par les esprits les plus lents et les plus grossiers, et que par son moien un apprentif se trouvait en état de faire plus d'ouvrage en une demi- heure, et mieux, que les peintres n'en peuvent faire en une semaine selon la manière ordinaire. . . »

��[Lettr. Ms. de Desc. à Ville-Bres. nomb. IX; ibid., I, 261-262] J'ay parcouru & examiné la plu- part des chofes qui font contenues dans vôtre mé- moire pendant le cours du voyage que j'ay fait ces

5 jours paffez à Dort, d'où je fuis revenu pour vous attendre à Amfterdam, où je fuis arrivé en bonne fanté. Vous me trouverez dans nôtre logis du vieux Prince ; et là je vous dirai mon fentiment fur toutes ces chofes. Je vous confeilleray de les mettre la plû-

10 part en forme de proposition, de problème, & de théorème, & c* leur laifler voir le jour, pour obliger

�� � quelque autre à les augmenter de ſes recherches & de ſes obſervations. C’eſt ce que je ſouhaiterois que tout le monde voulût faire, pour être aidé par l’experience de pluſieurs à découvrir les plus belles choſes de la nature, & bâtir une Phyſique claire, 5 certaine, demonſtrée, & plus utile que celle qui s’enſeigne d’ordinaire. Vous pourriez beaucoup ſervir de vôtre côté à deſabuſer les pauvres malades d’eſprit touchant les ſophiſtications des metaux, ſur leſquels vous avez tant travaillé & ſi inutilement, ſans que 10 vous ayez vû rien de vray en douze années d’un travail aſſidu & d’un grand nombre d’experiences qui ſerviroient fort utilement à tout le monde en avertiſſant les particuliers de leurs erreurs. Il me ſemble même que vous avez déja découvert des generalitez 15 de la nature : comme, qu’il n’y a qu’une ſubſtance materielle, qui reçoit d’un agent externe l’action ou le moien de ſe mouvoir localement, d’où elle tire diverſes figures ou modes, qui la rendent telle que nous la voyons dans ces premiers compoſez que l’on 20 appelle les elemens. De plus vous avez remarqué que la nature de ces elemens ou premiers compoſez appelez Terre, Eau, Air, & Feu, ne conſiſte que dans la difference des fragmens ou petites & groſſes parties de cette matiere, qui change journellement de 25 l’un en l’autre par le chaud & le mouvement des groſſieres en ſubtiles ; ou en innobles, c’eſt-à-dire, de ſubtiles en groſſieres, lors que l’action du chaud & du mouvement vient à manquer. Que de la premiere mixtion de ces quatre premiers il reſulte un melange 30 qui pourroit être appelé le cinquième element, ce XXXVI. — Été de 1631. 217

que vous appelez principes, ou la plus noble prépa- ration des elemens; puifqu'elle eft, dites-vous, une femence productive ou une vie matérielle qui fe fpe- cifie en toutes fortes de ces nobles individus parti-

s culiers qui font fans contredit l'objet de nôtre admira- tion. Je fuis au refte fort fatisfait de vôtre fentiment, lors que vous me dites que les quatre elemens qui ont fourni la matière, & le cinquième qui en refulte, fe font tellement changez tous cinq dans ce fujet, qu'au-

10 cun d'eux meft plus ce qu'il étoit, mais que tous en- femble font ou l'animal, ou la plante, ou le minerai. Ce qui quadre beaucoup avec ma manière de philofo- pher, & qui revient merveilleufement à toutes les expériences mechaniques que j'ay faites de la nature

,5 fur ce fujet.

Page 2 1 3, B, 1. 7. — Pierre Borel, Vitce Cartesii Compendium ( 1 65 3, p. 4 ; ou 1 676, p. 6-7), raconte ainsi la scène : a In illâ obsidione Rupellae memo- » randam praestitit actionem, coràm Cardinali Barberino tune Pontificis » nuntio, coràmque Card. Berullio, aliisque claris ac ingeniosis viris, qui » convocati erant, ut D. Chandou de Novis Philosophie Principiis disse- » rentem audirent. Cùm enim omnium plausus sermone suo habuisset, » excepto Cartesii, ab illo quid de hoc sermone sentiret petierunt. Ille » tune, laudato oratoris sermone, cœtum non laudavit, quod verisimili » tantùm contenti fuissent, et promisit se quamlibet veritatem duodecim » argumentis verisimilibus falsam probaturum, et e contra; quo tentato, » mirati sunt remanseruntque stupefacti. Quare petentes num modus » quidam vitandorum sophismatum extaret, asseruit illis veritatem mathe- » maticè in omnibus rébus juxta sua principia demonstrari posse. Exo- » ratus tune fuit, ut illa publici juris faceret; quod illis concedere coactus, » in Hollandiam sese contulit ut ea melius digesta ederet. » — Baillet (I, 161-164) rectifie d'abord quelques faits : ce ne fut pas au siège de La Ro- chelle, mais à Paris, où Descartes était revenu dès la Saint-Martin (1 1 nov. 1628), que la séance eut lieu chez le nonce du pape, M. de Bagni ou de Baigné, et non pas Barberin. Baillet se sert ensuite des quelques lignes de Borel comme d'une matière à amplification, et reconstitue toute la scène en donnant un rôle à chacun : « Le Cardinal de Bérulle, qui l'observoit » particulièrement, s'aperçut de son silence. Ce fut ce qui l'obligea à lui Correspondance I. ï8

�� � 218 Correspondance.

» demander son sentiment sur un discours qui avoit paru si beau à la » compagnie. M. Descartes fit ce qu'il put pour s'en excuser, témoi- » gnant qu'il n'avoit rien à dire après les approbations de tant de sçavans » hommes, etc. »

Page 214, D, 1. 7. — On trouve à Grenoble, Bibliothèque de la Ville (V, 56), une plaquette de quatre pages, sans indication de lieu, ni date, ni titre, et qui commence ainsi : « Estienne de Villebressieu, ingénieur du » Roy, de la ville de Grenoble, après une longue estude de l'Hydraulique, » ou Art d'élever les Eaux, et un nombre presque infiny d'expériences » avec toutes sortes de Machines de cette nature, dans lesquelles il a » vieilly, méprisé sa fortune et consumé tout son bien, en a inventé une » qui non seulement par sa figure, par son mouvement et par sa situation, » est différente de toutes celles qui ont esté connues et mises en usage » jusques à présent pour ce sujet, comme de la Spirale, Coquille, Vis » d'Archimede, Sciphon, Pompe, Chapelets, ou Rondeaux coulans dans » un canal droit ou couché, Roues à pots, Bacquets, Chaînes, ou autres, » mais, qui plus est, les surpasse toutes en simplicité et en effets mer- » veilleux et presque incroyables... » A la fin, Villebressieu promet, si son invention est bien reçue, de donner au public « un traité de toutes » les autres curiositez qu'il a trouvées sur les eaux, qui satisfera le plus » difficile. »

Page 21 5, E, 1. 17. — « N":antmoins, » dit Villebressieu dans la même plaquette, « pour répondre à ceux qui croyent et soustiennent que l'on ne

» peut rien adjouster de mieux aux choses découvertes par les Anciens,

» et qu'il est impossible de donner rien de nouveau qui soit utile au

« public, l'on n'a qu'à leur mettre en avant la Poudre à canon, la Bous-

» sole, l'Imprimerie, la Pompe, et les Lunettes d'approche, qui sont toutes

» inventions nouvelles et inconnues aux Anciens. Et ce que l'on rapporte

» de Christophle Colomb est aussi digne de remarque, qui, ayant proposé

« en France une chose qui sembloit en apparence s'opposer au sens com-

» mun, et suivant quelques-uns mesmes a la Foy Chrestienne, pour y

» avoir esté rebuté, s'addressa à l'Espagne, qui profite encore aujourd'huy,

» par la découverte du Nouveau-Monde, des grands avantages que la

» France a perdus par ce refus. »

�� � n,32s. XXXVII. — Octobre i6ji. 219

XXXVII.

Descartes a Mersenne.

[Amsterdam, octobre i63iî] Autographe, Bibliothèque Nationale, MS. fr., n. a, 5i6o, fol. 46 et 47.

Variantes d'après le Texte de Clerselier, tome II, lettre 66, p. 325- 328. — L'original est sur une feuille, grand format, pliée en deux feuillets : le premier, tout couvert d'écriture recto et verso (38 et 3g lignes); le second, déchiré aux trois quarts: il n'en reste que le haut, c'est-à-dire, une table, plus 6 lignes et quelques mots encore lisibles de la 7™. Ces mots (...le... pourquoy... que ie...) se retrouvent dans l'imprimé de Clerselier avec S lignes en plus. Il manque donc peu de chose à l'autographe [à moins d'un post-scriptum), et l'imprimé peut y suppléer.

En bas et à gauche de la page : 6 c, c'est-à-dire la 6"" lettre du classement de La Hire. En haut et à droite, rien, dom Poirier ne l'ayant point comprise dans son nouveau classement, parce que la date manque avec la fin de la lettre.

La date indiquée est conjecturale; Baillet {I, 223) marque cette lettre comme de février i63i, une note de l'Exemplaire de l'Institut comme du i3 janvier; mais le contexte, notamment la phrase finale conservée par Clerselier, semble montrer qu'elle est plutôt immédia- tement antérieure à la lettre suivante XXXVIII; or celle-ci est cer- tainement du dernier trimestre. Cependant un doute peut d'autant plus subsister qu'on doit s'étonner que Mersenne ait tardé jusqu'en octobre i63i, pour envoyer à Descartes le livre du P. Gibieuf et les Odes pour le Roy.

Mon Reuerend Père,

I'ay enfin receu les liures que vous m'aués fait la faueur de m'enuoyer, & vous en remercie tres-humble- ment. le n'ay encore leu que fort peu de celuy du

�� � Pere GibieufErreur de référence : Balise <ref> incorrecte : les références sans nom doivent avoir un contenu. ; mais i’eſtime grandement ce que i’en ay vû, & ſouſcris tout a fait a ſon opinion. Mr Riuet[V. 1] m’a prié de luy preſter, ce qui eſt cauſe que ie ne l’ay pas leu tout entier ; auſſy qu’ayant maintenent l’eſprit tout occupé par d’autres penſées, i’ay creu que ie ne 5 ſerois pas capable de bien entendre cete matiere, qui eſt a mon aduis l’vne des plus hautes & difficiles de toute la Metaphyſique. Si vous voyés le Pere Gibieuf, ie vous prie de ne luy point teſmoigner que i’aye encore receu ſon liure : car mon deuoir ſeroit de luy 10 eſcrire des maintenent pour l’en remercier ; mais ie ſeray bien ayſe de différer encore deus ou trois mois, affin de luy mander par meſme moyen des nouuelles de ce que ie fais.

I’ay leu le liure des 30 exemplairesErreur de référence : Balise <ref> incorrecte : les références sans nom doivent avoir un contenu., mais ie l’ay 15 trouué bien plat & au deſſous de ce que ie m’eſtois imaginé. Ie n’ay[V. 2] point de regret de ne l’auoir pas receu plutoſt ; car auſſy bien n’aurois-ie pas voulu prendre la peine de le refuter.

I’ay trouué les Odes pour le RoyErreur de référence : Balise <ref> incorrecte : les références sans nom doivent avoir un contenu. fort bien faites, 20

2 — 3 de ciles. — 8 toute owi/s. — le P. G.

luy] de le luy. — 3-4 eft caufe… — i3 mander] apprendre. —

leu] m’a empefché de le lire. — 16 bien plat et au deflbus] bien

5 tout occupé par] remply. — au delîous. — 17


7 et difficiles] et des plus diffi—

a. P. i5i, argument, et p. 1 53, art. 3.

b. P. 144, I. 2 5 ; p. 148. 1. 3, et p. 181, 1. 25.

c. La France guérie. Odes adressées au Roy sur sa maladie, sa guerison miraculeuse, ses dernières conquestes et ses vertus héroïques, par un Religieux de la Compagnie de Jésus (Pierre Le Moyne), publié avec le véritable récit de ce qui s’est passé en la maladie du Roy à la ville de Lyon…, par le P. Soufrant (s. 1., i63o, in-8°). Louis XIII était tombé malade le 22 sep*. i63o, et n’avait pu quitter Lyon que le 19 oct. pour rentrer à Paris.

�� � ii,325-336. XXXVII. — Octobre 163 1 . 221

& i'eftime fort le deffein de la Biblioteque vniuerfelle 3 ; car ie m'imagine qu'elle ne feruira pas feulement a ceus qui veulent lire beaucoup de liures, du nombre defquelz vous fçaués que ie ne fuis pas, mais auffy a

5 ceus qui craignent de perdre le tems a en lire de mau- uais, pource qu'elle les auertira de ce qu'ilz con- tienent. Vous me mandés que ie la donne a M. Ha- zendoue ; mais il n'eft pas encore de retour d'Angle- terre.

10 Vous m'efcriués auffy d'vne vie de Ste Elifabet b que vous enuoyés a M. Renery pour faire imprimer. Il ne m'en a rien mandé; mais i'efpere le voir icy dans quelques iours, & s'il fault quelque argent pour cela, ie ne manqueray d'en refpondre ou de l'auancer,

«5 ainfy qu'il fera de befoin.

le viens maintenent a vos autres lettres. Toutes les queftions que i'y trouue fe rapportent a deus chofes : a fçauoir, a fupputer la viteffe d'vn poids qui defcend, & a connoiftre | quelles confonances font les

20 plus douces.

Pour la façon de fupputer cete vitelTe que ie vous auois enuoyee , vous n'en deués faire nul eftat, car elle fuppofe deus chofes qui font certainement fauffes :

3-4 du nombre. .. ne fuis — 18 chofes omis. — 21 fup- pas omis. — 7-i5 vous me puter] calculer. — 22 nul] au- mandés. . . fera de befoin omis. cun.

a. Idea Bibliothecœ universalis quant meditatur et non minima parte effectam habet F. Petrus Blanchot, ex ordine Minimorum, etc. (Parisiis, Seb. Cramoisy, i63i). Voir Tamizey de Larroque, Bulletin du bouqui- niste, i5 oct. 1867, p. 5 18.

b. Ms. : Vh final, d'abord écrit, semble avoir été ensuite barre.

c. P. 72-73.

�� � 222 Correspondance. 11,326.

a fçauoir, qu'il fe puiffe trouuer vn efpace tout a fait vuide, & que le mouuement qui s'y fait, foit au pre- mier inftant qu'il commence le plus tardif qui fe puiffe imaginer, & qu'il s'augmente toufiours par apprés elgalement. Mais quand tout cela feroit vray, il n'y 5 auroit point moyen d'expliquer la vitefîe de ce mou- uement par d'autres nombres que ceus que ie vous ay enuoyés, au moins qui foyent rationaus ; et ie ne voy pas mefme qu'il foit ayfé d'en trouuer d'irrationaus, ny aucune ligne de Géométrie qui en explique dauan- 10 tage. Pour ce qui eft de la vraye proportion félon laquelle s'augmente ou diminue la vitefîe d'vn poids a qui defcent dans l'aer, ie ne la fçay pas encore. Il me faudra dans peu de iours expliquer la caufe de la pefanteur dans mon traité; fi en l'efcriuant ie trouue <5 quelque chofe de cela, ie vous le manderay. Ce que vous demandés d'vn leuier qui defcent eft quafi la mefme chofe que des autres poids. En quelque façon qu'on conçoiue le vuide, il eft certain qu'vne pierre qui s'y meut doit aller plus ou moins ville, félon 2 o qu'elle aura eflé pouffee auec plus ou moins de force ; & que dans l'aer ce qui la fait aller plus loin vne fois que l'autre, c'eft que l'impreffion qu'elle reçoit (ceft a dire la vitefîe du mouuement qu'elle a en b fortant de la main de celuy qui l'a iettee) eft plus grande. »5

1 fe puiffe trouuer] y ait. — pliquer... par] de l'expliquer 5 tout omis. — 6 auroit] a. — en. — 12 ou] et. — 14 caufe] moyen] de moyen. — 6-7 d'ex- nature. — 25 l'a iettee] la iette.

a. d'vne pierre, écrit d'abord, a été barré et remplacé par d'vn poids.

b. En cet endroit (fin d'une ligne) l'original est détérioré. Peut-être faut-il lire qu'elle a eu en.

�� � h, 3j6-3 27 . XXXVII. — Octobre 165 1. 223

Touchant la douceur des confonances, il y a deus chofes a diftinguer : a fçauoir, ce qui les rend plus ïimples & accordantes, & ce qui les rend plus agréa- bles a l'oreille. Or, pour ce qui les rend plus agréables, 5 cela dépend des lieus ou elles font employées ; & il fe trouue des lieus ou mefme les faufles quintes & autres difTonances font plus agréables que les confonances, de forte qu'on ne fçauroit déterminer abfolument qu'vne confonance foit plus agréable que l'autre. On

10 peut bien dire toutefois que, pour l'ordinaire, les tierces & les fextes font plus agréables que la quarte ; que | dans les chans gays les tierces & fextes maieures font plus agréables que les mineures, & le contraire dans les trilles, etc. , pour ce qu'il fe trouue plus d'occafions

i5 ou elles y peuuent eftre employées agréablement. Mais on peut dire abfolument quelles confonances font les plus fimples & plus accordantes ; car cela ne depent que de ce que leurs fons s'vniffent dauantage l'vn auec l'autre, & qu'elles approchent plus de la

20 nature de l'vnifon ; en forte qu'on peut dire abfolument que la quarte eft plus accordante que la tierce maieur, encore que pour l'ordinaire elle ne foit pas û agréable, comme la caffe eft bien plus douce que les oliues, mais non pas fi agréable a noftre gouft. Et pour en-

2 5 tendre cecy bien clairement, il fault fuppofer que le fon n'eft autre chofe qu'vn certain tremblement d'aer

6 lieus] endroits. — mefme neures] majeures. — i5 em-

omis. — 7 plus] mefme plus. ployées] plus aj. — 16 quelles]

— 10 bien dire toutefois] feule- lefquelles. — confonances omis.

ment dire. — 12 et] et les. — — 17 et] et les. — 23 bien

maieures] mineures. — i3 mi- omis. — 24 a noftre] au.

�� � 224 Correspondance. h, 32 7 -? 2 8.

qui vient chatouiller nos oreilles, & que les tours & retours de ce tremblement font d'autant plus fubits que le fon eft plus aygu ; en forte que deus fons eftant al'o&auei'vn de l'autre, le plus graue ne fera trem- bler l'aer qu'vne fois pendant que le plus aygu le fera 5 trembler deus iuftement, & ainfy des autres confo- nances. Enfin il fault fuppofer que lorfque deus fons frappent l'aer en mefme tems, ilz font d'autant plus accordans que leurs tremblemens fe recommencent plus fouuent l'vn auec l'autre, &qu'ilz caufent moins 10 d'inefgalité en tout le cors de l'aer. Cariecroy qu'il n'y a rien de tout cecy qui ne foit très véritable. Mainte- nent donc pour voir a l'œil quand les diuers tremble- mens de deus fons recommencent enfemble 3 , ima- ginons des lignes pour la durée de chafque fon, et y fai- 1 5 fons des diuifions fuiuant la durée de chafeun de leurs tremblemens. Pour exemple, la ligne A me reprefente vn fon d'vne odaue plus bas que celuy qui eft repre- fente par la ligne B, & par confequent dont chafque tremblement dure deus fois auffy long tems; i'y fais| 20 donc des interuales deus fois aufly efloignés l'vn de l'autre, comme vous voyés. Et C au contraire me

2 font] fe font. — fubits] vifte. — 12 de tout cecy omis. — très

— 4 graue] grand. — 6deusiuf- omis. — 14 La note en marge tement] iuftement deux fois. — est omise. — 14-15 imaginons] 9 recommencent] rencontrent. mettons. — 17 Pour] Par. —

— 1 1 en tout le] dans le mouue- 19 dont omis. — 21-22 efloi- mentdu. — Car] en tout cecy aj. gnés l'vn de l'autre] grands.

a. [En marge, de la main de Desc.} : I'ay abufé icy du mot de

tremblement que ie prens pour chafeun des coups ou petites fecouiles que fe meut le cors qui tremble.

�� � II, 328.

��XXXVII. — Octobre 163 i.

��22$

��reprefente la durée d'vn fon qui eft d'vne oftaue plus hault ; c'eft pourquoy i'y fais les interuales de la moitié plus petits. le defcris apprés la ligne D, qui reprefente le fon qui fait la quinte auec C, & la 12 & 19 auec B & A. Item E, qui fait les quarte, 11 & 18 auec C, B, A; & F, qui fait les tierce, 10 & 17 maieures auec C, B, A; & i'y marque les interuales a l'auenant, ainfy que vous les voyés en chiffre.

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��Il eft euident en cete table que les fons qui font les oftaues font ceus qui s'accordent le mieus l'vn auec l'autre; ceus qui font les quintes, les fuiuent; les quartes apprés ; & ceus des tierces font les moins accordans de tous. Il eft euident aufTy que D s'accorde mieus auec B, auec lequel il fait la 12, qu'auec C; & que F s'accorde mieus auec A qu'il ne fait auec B ni C.

3 defcris... D] prens après 8 voyés] mis aj. — 9 II] Et il. D. — 3-4 qui... fon] omis. — — 14 auec... fait] qui eft. Correspondance. I. 29

�� � 226 Correspondance. h,3»8.

Mais on ne peut pas dire que E s'accorde mieus auec l'vn des trois, A, B, C, que ne fait D; ni F mieus que E, etc a . Vous pouuez aflez de cecy iuger le relie. le ne fçay pourquov vous penfez que ie tiens que les tremblemens de la quinte ne fe rapportent qua 5 chaque fixiéme coup : car fi ie l'ay écrit, c'eft error calami, & ie ne l'ay iamais conceu autrement qu'il eft mis icy. le fuis,

Mon R. P.

Voltre tres-humble & tres-obeïffant 10 feruiteur, descartes.

��XXXVIII.

Descartes a Mersenne.

[Amsterdam, oct. ou nov. 1 63 1 .] Texte de Clerselier, tome II, lettre 68, p. 33 1-334.

Sans date dans Clerselier ; mais la lettre peut se dater à un mois près, grâce à une nouvelle que Descartes annonce à Mersenne : « M. Renery est allé demeurer a Deuenter depuis cinq ou six iours. .. » (p. 228, 1. 26-27). ® r Renery fut nommé professeur de philosophie à /'Athemeum ou Schola illustris de Deventer le 4 oct. 16S1, et y fit sa première leçon le 28 nov. suivant.

Mon Reuerend Père,

le vous remercie tres-humblement des lettres que vous m'auez enuoyées. Pour vos queftions, ie penfe

a. La fin de la lettre manque aujourd'hui dans l'original. Voir l'ar- gument.

�� � h,s3i. XXXVIII. — Oct. ou Nov. 162.1. 227

auoir défia répondu à la plufpart en mes autres lettres ; c'eft pourquoy ie ne me haftois pas de vous faire réponfe, pource que ie ne trouuois pas encore matière d'emplir la feuille. Pour les temps que s'vnif- 5 fent les confonances, tout ce que i'en auois écrit me femble vray ; mais ie n'infère point pour cela que la quinte s'vniffe au fixiefme coup, & l'equiuoque vient de ce qu'il y a de la différence entre les coups, ou tremblemens de chaque corde, & les momens dont 10 ie parlois en ma première lettre a , la

durée defquels eft prife ad arbitrium. A ' ' ' '

��Et pour ce que i'auois pris la durée de B 1 1 1

chaque tremblement de la corde C c , ,

pour vn moment, il eft vray que les

15 tremblemens des cordes A & B qui font la quinte, ne s'vniffent que de fix momens en fix momens. Mais on pourroit dire tout de mefme, qu'ils ne s'vniffent que de douze momens en douze momens, fi on pre- noit la durée d'vn moment deux fois plus courte ; ce

20 qui n'empefche pas qu'il ne foit vray que les fons des cordes A & B s'vniifent à chaque troifiefme tremble- ment de la corde B, & à chaque deuxiefme de la corde A.

Tout ce que vos Muficiens difent que les diffo-

25 nances font agréables, c'eft comme qui diroit que les oliues, quoy qu'elles ayent de l'amertume, font quel- quesfois plus agréables au gouft que le fucre, ainfi que ie croy vous auoir défia mandé b ; ce qui n'empefche

a. Il s'agit probablement d'une lettre perdue, qui aurait immédiatement précédé la Lettre XXXVII.

b. Cf. p. n6, 1. i5, et p. 223, 1. 23.

�� � 220 Correspondance. n, 331-332.

pas que la Mufique n'ait fes demonftra|tions tres-afîu- rées ; et généralement ie ne fçache rien de plus à vous répondre, touchant tout ce que vous me propofez de cette fcience, que ce que ie vous en ay écrit à diuerfes fois. 5

le ne me dédis point de ce que i'auois dit touchant la viteffe des poids qui defcendroient dans le vuide a : car fuppofant du vuide, comme tout le monde l'ima- gine, le refte eft demonftratif ; mais ie croy qu'on ne fçauroit fuppofer le vuide fans erreur. le tâcheray 10 d'expliquer quidjit grauitas, * leuitas, durities, &c. dans les deux chapitres que ie vous ay promis de vous enuoyer dans la fin de cette année ; c'eft pourquoy ie m'abftiens de vous en écrire maintenant.

I'eufTe pu faire réponfe à voftre deuxième lettre i5 dés le voyage précèdent, finon que ie fus diuerty à l'heure du Meffager, et ie crû qu'il n'y auoit rien de prefTé. Il y a plus de trois ou quatre mois que ie n'ay point du tout regardé à mes papiers , & ie me fuis amufé à d'autres chofes peu vtiles * ; mais ie me pro- 20 pofe dans huit ou dix iours de m'y remettre à bon efcient, et ie vous promets de vous enuoyer auant Pafques quelque chofe de ma façon, mais non pas toutesfois pour le faire fitoft imprimer.

le voudrois bien fçauoir fi (Ferrier) eft encore à 25 Paris, & s'il parle encore des lunettes. M. Renery eft allé demeurer à Deuenter depuis cinq ou fix iours, & il eft maintenant là ProfefTeur en Philofophie. C'eft vne Académie peu renommée, mais où les Profef- feurs ont plus de gages, & viuent plus commodément 3o

a. Lettre XIV, p. 72.

�� � II, 33î-333. XXXVIII. OCT. OU NOV. l6jl. 22Ç

qu'à Leyde ny Fr(aneker),où M. R(enery) euft pu auoir place par cy-deuant, s'il ne l'eult point refufée ou négligée.

Vous me demandez en voftre dernière, pourquoy ie 5 fuppofe toufiours que la Quarte n'eil pas fi bonne que la Tierce ou la Sexte contre la Baffe, & pourquoy lors qu'on oit quelque fon, l'imagination en attend vn autre à l'odaue; ce que ie ne fçache point auoir dit, mais bien que nos oreilles entendent en quelque

10 façon celuy qui eft à l'oclaue plus haut. Et voicy les propres mots du petit Traitté de Mufique, que i'ay écrit dés l'année 1618 : De quartâ : hœc infeliciffima eji confonantiarum omnium, nec vnquam in cantilenis adhi- betur niji per accidens, & cum aliarum adiumento, non

i5 quidem quod magis im\perfecla fit quam iertia minor aut fexta, fed quia tam vicina eji quintœ, vt coram huius fuauitate tota illius gratia euanefcat. Ad quod intelli- gendum, aduertendum eji nunquam in Mujïca quintam audiri, quin etiam quarta acuiior quodammodo aduerta-

20 tur; quod fequitur ex eo quod diximus, in vnifono, oéîauâ acutiorem fonum quodammodo refonare &c, où vous voyez que ie mets refonare, & non pas ab imagina- tione expeclari 3 -. Et cecy ne fe prouue pas feulement par raifon, mais auffi par expérience, en la voix, &

25 en plufieurs inftrumens.

Vous me demandez auffi que ie vous réponde, fça- uoir s'il y a quelqu'autre nombre qui ait cette mefme propriété que vous remarquez en i20 b . A quoy ie n'ay rien à dire, pource qu." ie ne le fçay point, ny

a. Compendium Musicœ, c. 8.

b. D'être le double de la somme de ses parties aliquotes.

�� � 2jo Correspondance. 11,333-334.

nay iamais eu enuie de le fçauoir : car pour cher- cher telles queftions, il y faut ordinairement plus de patience que d'efprit, & elles n'apportent aucune vtilité. Mais s'il y a deux perfonnes qui difputent tou- chant cela, ie croy que celuy qui tient l'affirmatiue, 5 eft obligé de monïtrer d'autres nombres qui ayent cette mefme propriété, ou bien qu'on doit donner gagné à celuy qui tient la negatiue. Et la raifon qu'il apporte pour le prouuer, me femble auoir de l'appa- rence, & eftre fort ingenieufement inuentée; mais ie 10 ne Tay pas fuffifamment examinée.

Vous me demandez en troifiéme lieu, comment fe meut vne pierre in vacuo; mais pource que vous auez oublié à mettre la figure, que vous fuppofez eftre à la marge de voftre lettre, ie ne puis bien entendre ce i5 que vous propofez, & il ne me femble point que les proportions que vous mettez, fe rapportent à celles que ie vous ay autresfois mandées, ou au lieu de &c. comme vous m'écriuez, ie mettois 4- 1— I — 1 1* I &c, ce qui donne bien d'autres confequences*. Mais afin 20 que ce que ie vous auois autresfois mandé touchant cela, euft lieu, ie ne fuppofois pas feulement le vuide; mais auffi que la force qui faifoit mouuoir cette pierre, agiffoit toufiours également, ce qui ré- pugne apertement aux loix de la Nature : car toutes 25 les puiffances naturelles agiffent plus ou moins, fé- lon que le fujet eft plus ou moins difpofé à receuoir leur[adion; & il eft certain qu'vne pierre n'eft pas éga- lement difpofée à receuoir vn nouueau mouuement, ou vne augmentation de viteffe, lors qu'elle fe meut 3o défia fort vifte, & lors qu'elle fe meut fort lentement.

�� � [1,334- XXXVIII. — OCT. OU NOV. l6jl. 2}I

Mais ie penfe que ie pourrois bien maintenant déter- miner à quelle proportion s'augmente la vitefle d'vne pierre qui defcend, non point in vacuo, mais in hoc vero aère. Toutesfois, pource que iay maintenant l'ef-

5 prit tout plein d'autres penfées, ie ne me fçaurois amufer à le chercher, & ce n'eft pas chofe de grand profit. le vous prie de me pardonner fi ie vous écris fi négligemment, & de penfer que mes lettres ne pour- raient eftre fi longues comme elles font, û elles

, eftoient didées auec plus de foin. le fuis,

Mon R. P.

��Page 228, 1. 11. — Cette question préoccupait Mersenne; il en avait écrit à Jean Rey, 1" sept. 1 63 1 : a Vous establissés donc qu'il n'y a rien

» de léger dans la nature, et que la terre va par sa pesanteur s'emparer du

» centre du monde : mais tous ceux qui tiennent qu'elle se meut autour

» du soleil, comme Copernic et la plupart des meilleurs astronomes qui

» viuent, ne vous aduoueront pas qu'elle soit au centre du monde, et tous

» vous nieront qu'il y ait rien de pesant non plus que de léger; car ces

» deux termes s'infèrent ou se détruisent nécessairement. Il n'y a rien de

» pesant absolument parlant, mais seulement eu esgard aux choses

plus légères ou moins pesantes. Et nous ne sçauons pas encore ni ne

» sçaurons jamais, si les pierres et les autres corps vont vers le centre par

» leur pesanteur (que ie pourrois aussi bien appeler légèreté, car ie peux

» dire que le centre de chasque chose estant la plus noble partie comme le

» pépin et le noyau des fruits, que les pierres vont en haut allant vers le

» centre), ou s'ils sont attirés par la terre comme par vn aimant. Au reste

» le centre du monde n'a nulle vertu qui attire plustost la terre que quelque

• autre point du monde; et sans doubte, si Dieu n'eût déterminé son lieu

» par sa pure volonté, si on l'eût mise au lieu où est le soleil ou la lune,

» ou en quelque autre point du monde, elle s'y fût tenue, estant de sa

" nature indéterminée quant au lieu. Et. puis Jordan Brun, qui combat

» auec plusieurs pour l'infinité du monde, vous rauit le centre, qui n'est

» point dans l'infini. » (Essays de Jean Rey, édit. Gobet, 1777, p. 107-9.)

Page 228, 1. 20. — Cette interruption de travail correspond au voyage de Danemarck et aussi à une maladie de Descartes. Beeckman écrit»- en effet, à Mersenne, le 7 oct. 1 63 1 : « D. des Cartes cum quo ante aliquot « dies Amstelrodami pransus sum, ex satis difficili morbo convaluit. » i.Bibl. Nat. fr. n. a. 6206, fol. q3, p. i-3l II est possible que les pre-

�� � 2 J

��Correspondance. », 33 4 .

��mières atteintes de cette maladie, dont Baillet n'a pas eu connaissance, aient empêché Descartes de continuer son voyage avec Villebressieu; car il a soin d'indiquer à ce dernier qu'il est rentré de Dort en bonne santé (plus haut, page 21 5, F, lig. 5--). Il est clair, d'autre part, qu'il nous manque une lettre à Mersenne, écrite avant la précédente XXXVII, et où Descartes, reprenant avec le Minime sa correspondance interrompue, lui avait donné de plus amples détails.

Page 23o, 1. 20. — C'est dans sa lettre à Mersenne du i3 novembre 1629 (plus haut, page 72) que Descartes avait traité de la descente des graves dans le vide ; si les proportions numériques qu'il indique ici ne se retrouvent pas dans cette lettre, elles pouvaient figurer dans la partie finale qui en est perdue.

Les dénominateurs de ces rapports sont proportionels, d'après Des- cartes, au temps de chute pendant le parcours du premier espace; les numé- rateurs successifs sont respectivement proportionels aux temps de chute pendant le second espace, les deux suivants, les quatre suivants, puis les huit, les seize, etc. D'après la loi de Galilée, le rapport que Descartes suppose ainsi en fait égal à ^l*i < «t ( • a — • 1) •~a°~; la différence, comme on le voit, est notable (T).

��XXXIX.

Descartes a [Golius].

[Amsterdam, janvier i632.]

Texte de Clerselier, tome II, lettre 69, p. 334-336.

Sans nom ni date dans Clerselier. Mais cette lettre est adressée au même correspondant que la suivante (p. a36) et la précède de peu. Or la suivante, dont l'autographe existe encore, est à Golius, du 2 février i632.

Monfieur,

le me réjouis extrêmement ce ce qu'il vous plaift prendre la peine d'examiner l'écrit que ie vous ay en- uoyé*; mais c'eft a condition, s'il vous plaift, que vous me ferez la faueur de m'auertir franchement de

�� � u.334-335. XXXIX. — Janvier 16} 2. 2jj

toutes les fautes que vous y aurez trouuées ; car ie ne doute point que vous n'y en trouuiez plufieurs, vu qu'il y en a mefme quelques-vnes que ie connois : comme en, la defcription que i'ay faite des Lignes 5 courbes, dont il efloit queflion, defquelles i'ay feule- ment expliqué quelques efpeces, au lieu d'en définir les genres tous entiers, ainfi que i'eufle pu faire en cette forte :

Datis quotcunque réélis lineis, punéla omnia ad Mas

10 iuxla tenorem quœjlionis relata, contingent vnam ex lineis quœ defcribi pojfunt vnico motu continuo, & omni ex parte determinato ab ali\quot Jimplicibus relationibus ; nempe, à duobus vel tribus ad fummum, Ji reélœ pojitione datœ nonfint plures quant quatuor; à tribus vel quatuor

i5 relationibus ad fummum, Ji reélœ pojitione datœ non Jint plures quant oélo; à quinque vel Jex, Ji datœ reélœ non Jint plures quant duodecim, atque ita in injinitum. Et vice versa nulla talis linea potejl dejcribi, quin pojjit inueniri pojîtio aliquot reélarum, ad quas referantur injinita

20 punéla, iuxta tenorem quœjlionis, quœ illam contingent. Quœ quidem rectœ non erunt plures quant quatuor, Ji curua defcripta non pendeat a pluribus quant duobus jim- plicibus relationibus; nec plures quam oélo, Ji curua non pendeat à pluribus quam quatuor relationibus ; & fie con-

î5 Jequenter. Hîc autem fimplices relationes Mas appello, quarum Jingulœ non niji Jingu las proport iones Geometri- cas inuoluunt. Atque hœc linearum quœjitarum dejinitio ejl, ni Jallor, adœquata & Jufficiens. Per hoc enim quod dicam Mas vnico motu continuo defcribi, excludo Quadra-

3o tricem & Spirales, aliafque eiujmodi, quœ non nifi per

Correspondance. I. 3o

�� � 2}4 Correspondance. 11,335-336.

duos aut plures motus, ab inuicem non dependentes, de- fcribunîur. Etper koc quod dicam illum motum ab aliquot fimphcibus relationibus debere determinari, alias innu- meras excludo, quibus nulla nomina, quod fciam, fint im- pojita. Denique per numerum relationum fingula gênera 5 defimo; atque ita primum genus folas Conicas Secliones cor.:prehendit , fecundum verà prœter illas quas fupra exphcui, coniinet alias quant plurimas, quas longum effet recenfere.

le vous diray auffi que i'y ay mis diuerfes chofes, 10 lefquelles ie fçay bien n'auoir pas fuffifamment expli- quées, comme lors que i'ay parlé des quatre moyens de préparer les Equations, afin de les comparer les vnes aux autres, & généralement tout ce que i'ay dit de la façon d'appliquer les lignes courbes à quelques i5 exemples donnez, où ie deuois pour le moins mettre vn exemple de cinq ou fix lignes droites données par pofition, aufquelles i'appliquaiTe la ligne courbe de- mandée. Mais i'ay appréhendé la peine d'en faire le calcul. Et pour en parler franchement, il m'a femblé 20 que ie deuois laifTer encore quelque chofe pour exer- cer les autres, afin qu'ils éprouuaflent fi la queftion eft difficile, j Toutesfois fi vous defirez fçauoir la mé- thode dont ie me voudrois feruir, pour trouuer tels exemples, ie m'oblige ou de vous l'écrire, ou plutoft 2 5 de vous la dire, lors que i'auray l'honneur de vous voir à Leyde, ou icy : car on peut plus dire de telles chofes en vn quart d'heure, qu'on n'en fçauroit écrire en tout vn iour. Au refte pour ce que vous me man- dez, & que M. H(ortenlius) * me témoigne que vous io

�� � n,336. XXXIX. — Janvier 1632. 2}{

defirez voir de ma Dioptrique, ie vous en enuoye la première partie, où i'ay tâché d'expliquer la matière des réfractions, lans toucher au refte de la Philofophie . Vous verrez que c'eft fort peu de chofe, & peut eftre

5 après 1'auoir leuë, que vous en ferez beaucoup moins d'eiïat que maintenant. Mais ie ne laifferay pas d'eftre bien aife que vous la voyiez, afin que vous me faftiez, s'il vous plaift, la faueur de m'en dire voftre iuge- ment, & de me la renuoyer, pource que ie n'en ay

10 point du tout de copie ; & de plus, ie ne ferois pas bien aife que perfonne la vifl, autre que vous. le fuis, Moniteur,

Voftre tres-humble & tres-obeïfTant feruiteur, descartes.

Page 2?2, 1. 4. — Cet écrit est évidemment une solution du problème de Pappus, qui constitue un des principaux sujets de la Géométrie de Deseartes, et peut s'énoncer comme suit en langage moderne : étant donné ■211 droites, trouver le lieu d'un point tel que le produit de ses distances à « de ces droites soit dans un rapport déterminé au produit des distances aux n autres. On peut d'ailleurs admettre que dans l'un ou l'autre des deux groupes, p droites coïncident; alors la distance correspondante figure dans le produit avec l'exposant/».

D'après Leibniz (Remarques sur l'abrégé de la Vie de Mons. des Cartes, édit. Gerhardt, IV, 3 1 6), Hardy lui aurait conté autrefois [de 1673 à 1676] que Golius, « très versé dans la Géométrie profonde des anciens», avait le premier proposé ce problème à Descartes, pour mettre à l'épreuve la méthode que ce dernier a faisoit sonner fort haut ». Descartes y aurait mis six semaines, ce qui, au reste, n'a rien d'étonnant (comme le constate Leibniz contre Boyle), vu la complexité des cas particuliers qu'il dut approfondir et qu'il est loin d'avoir tous insérés dans sa Géométrie. Enfin, toujours d'après Leibniz, Descartes aurait été ainsi désabusé « de la petite opinion qu'il avoit eue de l'analyse des anciens ». (Cf. ci-après p. 244, 1. 6.)

Le rôle de Golius est d'autant moins douteux que, d'après la lettre XLV ci-après, il avait dès auparavant proposé le même problème à Mydorge. Il est d'autant plus singulier que plus tard (lettre CXII ci-après, à Mer- senne, Clers., t. III, p. 191)' Descartes ne le compte point parmi ceux qui, dans les Pays-Bas, sont en état de comprendre sa Géométrie.

�� � 2}6 Correspondance. m, 336.

Page 234, 1. 3o. — Clerselier imprime seulement H, initiale de Horten- sius, plutôt que de Huygens, que Descartes appelle presque toujours M. de Zuylichem. Dans les Remarques de Leibniz sur l’abrégé de la vie de Mons. des Cartes (1692), on lit : « Le premier qui avoit découvert la véritable » loy des refractions estoit Willibrord Snellius, Hollandois, un des plus » grands Géomètres de son temps ; il l’avoit expliquée dans un traité exprès » dont M. Isaac Vossius nous a conservé des extraits. Snellius l’enseignoit à ses disciples, et entre autres, a Hortensius, depuis Professeur de » Mathématiques, qui l’enseignoit aussi; ainsi toutes les apparences sont que M. des Cartes qui estoit si curieux de ces choses, qui avoit séjourné » si long temps en Hollande, et qui practiquoit les meilleurs Mathematiciens, l’a sçue... » (Edit. Gerhardt, IV, 1880, p. 3 18). Voir sur cette question D.-J. Korteweg, Descartes et Snellius, d’après quelques docu- ments nouveaux (Revue de Métaphysique et de Morale, juillet 1896, p. 489-502).

XL.

Descartes a Golius.

Amsterdam, 2 février i632. Autographe, Leyde, Bibl. de l’Univ., Collection Huygens.

Une feuille grand format, pliée en deux feuillets ; le premier a 28 lignes, plus 6 en marge, au recto, et 24 au verso, sans la signa- ture et la date; les deux figures sont en marge et de la main de Des- cartes. Au verso du second feuillet , l’adresse avec les fragments de deux cachets de cire rouge; sur l’un des deux on distingue encore R et C entrelacés. — L’imprimé de Clerselier, qui reproduit la mi- nute de Descartes, fournit d’asse\ nombreuses variantes et une fin toute différente, t. II, lettre 70, p. 336-33g.

Monfieur,

le vous ay très grande obligation du fauorable iugement que vous faites de mon Analyfe, car ie fçay bien que i’en doy la plus grand part a voftre courtoifie;

2 avant très grande] vne aj. — 3 mon Analyfe] l’Analyfe dont ie me fers. — car] et. IO

��i5

��20

��25

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��h, 336-337. XL. — 2 Février 1632. 237

toutefois ie ne laiffe pas d'en auoir vn peu meilleure opinion de moy mefme, pource que ie voy que | vous aués pris connoiffance de caufe auant que d'en don- ner vn iugement définitif. Et ie fuis bien ayfe que vous veuilliés faire le femblable touchant la matière des refraftions. Et affin que ie contribue autant qu'il m'eft pofîible , au moins de volonté , a la peine que vous voulés prendre d'en faire l'expérience, ie vous diray comment ie m'y voudrois comporter fi i'auois le mefme deflein. Ieferoispremie- j, rement faire vn inftrument de bois ou autre matière, tel que vous le voyés icy defcrit. A B eft vne reigle ou pièce de bois toute droite, auec vn pied B fur lequel elle fe peut fouftenir ferme dans le fonds du vafe O P ; E F & C D font deus autres reigles iointes a angles droits auec A B ; G eft vne pinnule qui doit eftre affés grande

���1 laiffe pas] me fçaurois em- pefcher. — 3 pris] voulu pren- dre. — 6 après refractions] le ne doute point que vous ne ("ca- chiez mieux que moy le moyen de les expérimenter aj. — Et] Mais. — 8 voulés... expérience]

��en voulez prendre. — 9 après diray] icy aj. — 12 faire omis. — 14 autre] d'autre. — 17 def- crit omis. — 20 toute droite omis. — 22-23 fur lequel elle fe] qui la. — 23 dans... O P] au fonds d'vn vafe.

�� � 2}8 Correspondance. 11,337-338.

G

& enuiron de cete figure Çj[~} ; fa grandeur eft requife

affin quelle n'empefche point la fuperficie de l'eau d'eftre toute platte & efgale au point du milieu marqué i, auquel precifement fe doit faire la refraftion, & les pointes G & H feruent a déterminer ce point 1. La 5 reigle E F eft diuifée en plufieurs parties 1 , 2 , j , 4, &c. , qui peuuent eftre efgales ou inefgales, il n'importe 3 . Enfin k l eft vn plomb ou niueau par le moyen du- quel il fault dreffer le vaze ou eft | pofé l'inftrument, en forte que la ligne A B regarde iuftement le centre «o du monde, puis verfer de l'eau dans ce vaze iufques a ce que la fuperficie de cete eau touche iuftement la pinnule G ; et tenant d'vne main le ftile r iur la reigle D C, & de l'autre la chandelle N, il les fault mouuoir ça et la (fans toutefois feparer le ftile r de la reigle «5 D C), iufques a ce que l'vmbre du ftile r aille iuftement donner fur le milieu de la pinnule G H ;', & de la fur quelqu'vne des diuifions de la reigle E F comme fur 4.

i-5 et enuiron. . . ce point i'J fault] ie voudrois. — 10 re-

et auec deux petites pointes au garde] regardait. — 12 touche]

milieu (comme vous la voyez touchait. — i3 r] v (de même,

icy à part) G et H, afin que le 1. 16). — 14 D C] C D. — il les

milieu I s'en connoiffe mieux. — fault mouuoir] ie les remuërois.

6-7 : 1, 2, 3, 4, etc., qui peu- — 1 5- 1 6 (fans... D C) omis.

uent eftre omis. — 7 il omis. — iG aille] allait. — 17 donner

— après n'importe] pas aj. — fur] paffer par. — de la] allait

Note en marge omise. — 8 kl] donner a/. — 18 comme fur 4]

K C. — plomb ou omis. — 9 il par exemple fur la cinquiefme.

a. (En marge.) Il faut auïTy que la reigle E F foit plus large que D C & auancee en dehors afïin que fes diuifions foyent en mefme plan que la pinnule G & le ftile r.

�� � h 338-339. XL. — 2 Février 1632. 2 59

Or ayant marqué fur la ligne C D le point ou fe trouue pour lors le ftile r, a fçauoir le point 4, il fault tirer l'inftrument hors de l'eau, & fuiuant la ratio- cination que fçaués, marquer les autres diuifions de la ligne C D qui doiuent correfpondre a toutes les diuifions de E F *. Par exemple ayant defcrit vn cercle dont le centre eft G & tiré les lignes 4 G, 4 G, qui couppent ce cercle aus poins a&d,ie tire les perpen-

��1-2 Or... trouue] puis ie mar- queras le lieu de la règle C D où feroit. — 2 r, a fçauoir le point 4] par exemple au point v. — 2-3 il faut tirer] cela fait ie tirerois. — 3 hors] omis. — 4 après que] vous aj. — mar- quer] ie marquerois. — 6 après E F] comme v répond a 5 a/. — 6 à 27, p. 240, Par exemple. . . Monfieur]. Enfin remettant l'inf- trument en l'eau comme de- uant, & appliquant le ftile à toutes les diuifions de la ligne C D, ie regarderois fi les rayons de la chandelle tomberoient iuf- tement fur les diuifions de la ligne E F. Par exemple ayant décrit vn Cercle dont le centre eft G, & tiré les lignes 4 G, qui le couppent aux poincls A & C, ie tire les Perpendiculaires A B, C D \ puis joignant G 3, qui couppe en E le mefme Cercle, ie tire la Perpendiculaire E F; & ayant trouue vne ligne qui foit à E F, comme A B eft à C D, ie l'applique dans le Cer- cle parallèle à A B, comme eft H I ; & tirant la ligne G I, (iuf-

��ques à la règle C D,) i'y trouue le point 3. Il faut ainfi faire des autres.

Si vous n'auez point encore penfé au moyen de faire cette expérience, comme ie fçay que vous auez beaucoup de meil- leures occupations, peut-eftre que celuy-cy vous femblera bien auffi aifé, que l'inftrument que décrit Vitellion. Toutesfois ie puis bien me tromper, car ie ne me fuis point feruy ny de l'vn ny de l'autre, & toute l'expé- rience que i'ay iamais faite en cette | matière, eft que ie fis tail- ler vn Verre, il y a enuiron cinq ans, dont M. Mydorge traça luy- mefme le modelle; & lors qu'il fut fait, tous les rayons du So. leil qui pafibient au trauers s'af- fembloient tous en vn point, iuf- tement à la diftance que i'auois prédite. Ce qui m'affura, ou que l'Ouurier auoit heureufement failly, ou que ma ratiocination n'eftoit pas fauffe. le fuis,

Monfieur, Le reste manque.

�� � 240

��Correspondance.

��ir, 338-339.

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��diculaires a b, c d, puis tirant G 3 qui couppe le mefme cercle au point /, ie defcris la perpendicu- laire e f, et apprés ie cherche la ligne h i qui foit â e/comme a b eft â c d, laquelle eftant trouuee, ie l'applique dans le cercle paral- lèle â ab, puis tirant G h iufques â D C i'y trouue le point j, & ainfy des autres. Toutes les diuifions de la reigle C D ayant efté ainfy trouuées, il fault remettre l'inftrument en l'eau comme deuant & regarder fi le ftyle eftant appli- qué fur les diuifions de la ligne D C, fon vmbre paffant par G ira iuftement donner fur les diuifions de la reigle E F. le ne doute point que vous ne puifïïés trouuer plu- fieurs autres inuentions meilleures que celle cy pour faire la mefme expérience, fi vous prenés la peine d'en chercher; mais pource que ie fcay que vous aués beaucoup d'autres occupations, i'ay creu que fi vous n'y auiés pas encore penfé, ie vous foulagerois peut- eflre d'autant, en vous efcriuant celle cy, ou du moins que ie vous pourrois affurer que ie fuis,

Monfieur,

Voftre très humble & très afledionné feruiteur,

DES CARTES.

��10

��i5

��20

��25

��d'Amfterdam ce 2 Feu

��1652.

��3o

�� � XL. — 2 Février 1632. 241

A Monfieur

Monûeur Golius

Profeffeur aus Mathématiques

& aus langues Orientales

a Leyden.

��Page 239, 1. 6. — La rédaction, tout à fait différente, que Clerselier donne à partir de cet endroit, se rapporte à une autre figure que celle de l'autographe. Nous la restituons ci-contre, en complétant celle de Clerselier, où manquent les lignes 3 G 3, E F, I H, et où la ligne inférieure ne porte aucun chiffre.

La description de l'instrument de Vitellion, dont Descartes parle plus loin dans sa pre- mière rédaction, se trouve au livre II, prop. i, de cet auteur. La partie essentielle en est un cercle gradué, maintenu verticalement dans le liquide qui en affleure le diamètre hori- zontal. Mais les dispositifs accessoires sont d'un maniement très incommode. Au reste cet instrument est emprunté à Alhazen, IV, 7 et VII, i (Optica? thésaurus, édité par F.

Risner, Bâle, apud Episcopios, 1572). Descartes dit Vitellion, comme les éditions de Nuremberg, 1 535 et 1541, et comme Kepler (Parali- pomena ad Vitellionem, Francfort, apud Claudium Marnium, 1604). Risner a imprimé Vitello. La véritable forme du nom est Witelo : cet auteur, né en Pologne, probablement d'un Thuringien et d'une Polo- naise (Thuringopolonus), avait écrit ses dix livres vers le milieu du xiii* siècle, dans un couvent de l'ordre des Prémontrés voisin de Valen- ciennes.

Quant au verre, taillé par Ferrier sur le tracé de Mydorge, et qui avait permis à Descartes d'obtenir la vérification expérimentale de sa loi de ia réfraction, il en est longuement parlé dans la lettre de Descartes à Constantin Huygens de décembre i635 (Clers., t. II, p. 364-365). Il y avait alors « huit ou neuf ans », ce qui concorde avec la présente lettre, pour indiquer le courant de l'année 1627 comme date du travail en question.

Au sujet de l'importance de cette vérification, qui avait dispensé Des- cartes de toute autre expérience, on peut consulter P. Kraher {D scartes und das Brechunggeset\ des Lichtes, dans les Abhandlungen \ur Ge- schichte der Mathematik, Heft 4, Leipzig, Teubner, 1882, p. 235-278). Voir également D. J. Kokteweg (Descartes et Snellius, d'après quelques Correspondance. I. 3i

�� �� � 242 Correspondance. h, 33 9 .

documents nouveaux dans la Revue de Métaphysique et de Morale, juillet 1896) qui a donné deux lettres de Golius à Constantin Huygens, des 7 avril et i" novembre i632 (p. 497 et 491-495).

��XLI.

Descartes a Mersenne.

[Amsterdam, 5 avril i632.] Texte de Clerselier, tome II, lettre 71, p. 33o-34o.

Sans date dans Clerselier. Mais dans la lettre XXXVIII à Mer- senne, d'oct. ou nov. i63t, Descartes disait : « ie vous promets de » vous enuoyer auant Pafques quelque chose de ma façon » (p. 228, 1. 22-23). Or on lit dans celle-ci : « le Traitté que ie vous auois » promis à ces Pafques » (p. 242, 1. 6-7). // s'agit donc de Pâques i632, qui tombait cette année-là le 1 1 avril. La lettre doit être au plus tard du S, Mersenne ayant répondu le i5 au dernier alinéa. (Voir la lettre suivante.)

Mon Reuerend Père,

Il y a trop long-temps que ie nay point receu de vos nouuelles, & ie commenceray à eftre en peine de voltre fanté, fi vous ne me faites bien-tofi; la faueur de m'écrire. le iuge bien que vous aurez voulu diffe- 5 rer iufques à ce que ie vous euffe enuoyé le Traitté que ie vous auois promis à ces Pafques. Mais ie vous diray qu'encore qu'il foit prefque tout fait, & que ie puffe tenir ma promette, fi ie penfois que vous m'y vouluffiez contraindre à la rigueur, ie feray toutesfois 10 bien aife de le retenir encore quelques mois, tant pour le reuoir que pour le mettre au net, & tracer quelques figures qui y font neceffaires, & qui m'im-

�� � h, 33 9 -î4o- XLI. — ) Avril i6}2. 24}

portunent affez : car, comme vous fçauez, ie fuis fort mauuais peintre, & fort négligent aux chofes qui ne me feruent de rien pour apprendre. Que fi vous me blâmez de ce que ie vous ay défia tant de fois man- 5 que de promeffe, ie vous diray pour mon excufe, que rien ne m'a fait différer iufques icy décrire le peu que ie fçauois, que l'efperance d'en apprendre dauan- tage, & d'y pouuoir adjoufter quelque chofe de plus. | Comme, en ce que i'ay maintenant entre les mains,

io après la générale defcription des Affres, des Cieux, & de la Terre a , ie ne m'eftois point propofé d'expli- quer autre chofe touchant les cors particuliers qui font fur la Terre, que leurs diuerfes qualitez, au lieu que i'y mets quelques-vnes de leurs formes subftan-

1 5 tielles, & tâche d'ouurir fufHfamment le chemin, pour faire que par fucceffion de temps on les puiffe con- noiffre toutes, en adjouftant l'expérience à la ratioci- nation. Et c'eft ce qui m'a diuerty tous ces iours paffez : car ie me fuis occupé à faire diuerfes expe-

20 riences, pour connoiftre les différences effentielles qui font entre les huiles, les efprits ou eaux de vie, les eaux communes, & les eaux fortes, les fels, &c. Enfin, fi ie diffère à m'acquitter de ma dette, c'efl auec intention de vous en payer l'intereft. Mais ie ne

2 5 vous entretiens de cecy que faute de meilleure ma- tière, car vous iugerez affez fi ce que ie me propofe de vous enuoyer vaut quelque chofe, quand vous l'aurez ; & i'ay bien peur qu'il ne foit fi fort au deffous de vôtre attente, que vous ne le veùilliez pas accepter

3o en payement.

a. Cf. le Monde, c. vin ; et ci-après. Lettre XLIII.

�� � 244 Correspondance. h, 340.34:.

Vous m'auiez écrit la dernière fois, de quelqu'vn qui fe vantoit de refoudre toutes fortes de Queftions Mathématiques 8 . le feray bien aife de fçauoir fi vous luy aurez propofé la queftion de Pappus, que ie vous auois enuoyée b : car ie vous diray que i'ay employé 5 cinq ou fix femaines à en trouuer la folution, & que fi quelqu'autre la trouue, ie ne croiray pas qu'il foit ignorant en Algèbre. le fuis,

Mon R. P.

Voflre tres-humble & tres-obeïiïant 10 feruiteur, descartes.

XLII. Descartes a Mersenne.

[Amsterdam, 3 mai i632.] Texte de Clerselier, tome II, lettre 72, p. 341-343.

La date, qui manque dans Clerselier, a été' déterminée comme il suit : tout d'abord il est clair que cette lettre fait suite à la précé- dente (cf. p. 244, 1. i-3, et p. 245, 1. 10 et 20) : elle est donc de ï632. Elle répond à trois lettres de Mersenne (p. 245, 1. 1-2), datées dès lors des g, 11 et iS avril : Descartes n'a pu recevoir la dernière avant le 24 avril; comme il n'a pas répondu par le courrier du 26 sa lettre est au plus tôt du 3 mai, et il est improbable qu'il l'ait re- tardée davantage.

Mon Reuerend Père, I'ay receu trois de vos lettres quafi en mefme temps,

a. Sans doute le mathématicien Beaugrand ; voir la lettre suivante.

b. Probablement dès janvier i632 ; cf. plus haut la lettre XXXIX Golius, p. 235, note.

�� � ". 3 4 i. XLII. — j Mai 1632. 245

l'vne du Vendredy Sainâ:, l'autre du iour de Pafques, & l'autre de quatre iours après, auec le liure d'Ana- lyfe*; ie n'y ay pas fait plutoft réponfe, pource que i'eftois incertain du lieu où ie pafferois cet elle, & 5 i'attendois que ie me fuffe refolu, afin de vous pouuoir mander l'addreffe pour m'écrire.

le vous remercie du liure d'Analyfe que vous m'auez enuoyé ; mais entre nous, ie ne vois pas qu'il foit de grande vtilité, ny que perfonne puiffe apprendre

10 en le lifant la façon, ie ne dis pas de nullum non pro- blema foluere, mais de foudre aucun problème, tant puiffe-t'il élire facile. Ce n'eft pas que ie ne veuille bien croire que les auteurs en font fort fçauans, mais ie n'ay pas affez bon efprit pour iuger de ce qui eft

i5 dans ce liure, non plus que de ce que vous me man- dez du problème de Pappus : car il faut bien aller au delà des ferions coniques & des lieux folides, pour le refoudre en tout nombre de lignes données, ainfi que le doit refoudre vn homme qui fe vante de nullum

20 non problema foluere, & que ie penfe l'auoir refolu. Si le Père Scheiner* fait imprimer quelque chofe fur les Parhelies qu'il a obferuées à Rome , ie feray bien aife de le voir, & ie vous prie, s'il tombe en- tre vos mains, de donner charge à quelque libraire

2 5 de me l'enuoyer, afin que ie le puiffe payer icy à fon correfpondant, & ie vous prie de m'addreffer toufiours icy tout droit ce qu'il vous plaira de m'enuoyer, fans prendre la voye de quelque autre pour m'épargner le port ; car l'obligation que ie leur ay de m'enuoyer vos

3o lettres, ne fçauroit élire fi petite, que ie ne l'ellime toufiours plus que l'argent.

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��246 Correspondance. h, 342.

j 1 . Vous demandez pourquoy le fon eft porté plus aifement le long d'vne poutre qu'on frappe, qu'il n'eft dans l'air feul*. Ce que ie répons arriuer à caufe de la continuité de la poutre, qui eft plus grande que celle des parties de l'air : car fi vous faites mouuoir le 3 bout de la poutre A, il eft euident que vous faites

mouuoir au mefme inf- tant l'autre bout B ; mais fi vous poufiez l'air en l'endroit C, il faut 10 c - y -r , c Qu'il s'auance au moins

' ^ h&À V^"-^'"^ lulques à D, auant que

de faire mouuoir E, à caufe que fes parties obeïffent, ainfi que celles d'vne éponge. Or il employé du temps en paffant depuis C i5 iufques à D, & perd cependant vne partie de fa force ; d'où vient que le fon, qui n'eft autre chofe que le mou- uement de l'air, fera entendu plus vifte & plus fort au point B qu'au point E. D'où il eft facile de refoudre aufli voftre quatriefme queftion, où vous demandez 20 pourquoy le fon s'entend beaucoup plus vifte que l'air ne fe peut mouuoir. Car vous voyez que pouffant la partie de l'air qui eftoit au poind C, elle n'a pas dû pafler iufques à E, pour y faire entendre le fon, mais feulement iufques à D, & ainfi que, pendant le temps =5 que l'air a pu fe mouuoir depuis C iufques à D, le fon a palTé depuis C iufques à E, qui en fera, fi vous vou- lez, mille fois plus éloigné.

2. Si on fuppofe qu'vn poids poli, eftant traîné fur vn plan poli horizontal, ne le touche qu'en vn feul 3o

1:1] Premièrement. — i4fes] ces. — 29 : 2] Secondement.

�� � ij, 34.2-343. XLII. — j Mai 16} 2. 247

poincl: indiuifible, & que l'air nempefche point du tout fon mouuement, la moindre force fera fuffifante pour le mouuoir, tant grand qu'il puiffe élire *. Et quoy que ces deux fupofitions foient toufiours fauffes en 5 la Nature, & que les plus gros poids & les plus pefans foient plus empefchez par l'air, & appuyent en plus de parties fur le plan où ils fe meuuent, que les plus légers & plus petits ; toutesfois cela ( empefche de fi peu leur mouuement que, lors qu'on examine en

10 Mechanique combien il faut de force pour leuer vn poids, ou pour le traifner fur vn plan incliné, qui eft vne autre de vos queftions, on fuppofe que l'air, ny l'attouchement du poids fur le plan incliné, nempefche rien du

i5 tout. Et cela fuppofé, il faut moins de force à tirer le poids

F, fuiuant la ligne D B, qu'il A — ^ B

n'en faut à le tirer fuiuant la

ligne B C, c'eft à dire que fi D B eft double de B C, il

20 ne faut que la moitié d'autant de force.

j . Quand on pouffe vne baie en tournant, outre la force dont on la pouffe en ligne droite, il faut encore vne autre force pour la faire tourner autour de fon centre. Et de plus, l'air luy refifte bien dauantage que

25 fi elle ne tournoit point.

4. le l'ay dit 3 .

5 . Il eft impoffible de faire mouuoir l'archet d'vne viole, fi vifte que fe font les tremblemens de l'air qui

21 : 3j Troifiémemeni. — 24 refifte] refte. a. Plus haut, page 246, 1. 20.

��� � 248 Correspondance. h, 3 4 3.

font le fon; mais fi par impoffible cela fe faifoit, l'ar- chet feul rendroit le mefme fon que les cordes.

6. le ne voy point que la pierre qu'on a iettée, fe puiffe mouuoir plus ville, ny mefme du tout fi vifte, que la main qui la iette. 5

le ne vous fçaurois dire quand ie vous enuoyeray mon Monde ; car ie le laiffe maintenant repofer, afin de pouuoir mieux connoiftre mes fautes, lors que ie le voudray mettre au net. le m'en vais paffer cet efté à la campagne; fi vous m'écriuez, ie vous prie d'ad- »o drelîer vos lettres à M le fuis,

Mon R. P.

��Page 245, 1. 3. — Les mots nullum non problema soluere (1. 10 et 19) sont les derniers de l'ouvrage de Viete : In Artem Analyticam Isagoge, imprimé en 1591 et réédité en 1624. Mais le livre d'Analyse envoyé à Des- cartes doit être le traité posthume : Francisci Vietœ ad Logisticen Spe- ciosum Nota? priures, annoté et édité par Jean de Beaugrand (Paris, Guil- laume Baudry, i63i). Cf. p. 245, 1. i3 « les auteurs ».

P. 245, 1. 21. — Gassend à Scheiner, Paris, i3 av. i632 : a Quas ad me » literas dedisti, ...cum exemplo tuae Pantographices accepi ante paucos » dies. Intexuisti quam Parheliorum descriptionem rogaueram : grates » ob id refero summas, ac simul i;stor Superos, nihil mihi potuisse nun- » ciari iucundius, quam te fuisse priorum quoque Parheliorum obserua- » torem. Hactenus nempe id ignorabam, adeo vt propterea non potueris » debito cum elogio in Commentariolo meo nominari... Est vero cur » Opusevulges; cum ex adiunctà posteriorum Parheliorum descriptione » is habendus sis, quo nemo plures simul Soles in hune diem obseruauerit. » Liber tuus de Maculis Faculisque solaribus ad manus meas nondum » peruenit... » (Gass. Op., VI, 47-8). Dans une lettre postérieure à Naudé, du 1 1 mai i632, Gassend annonce qu'il vient enfin de recevoir et le livre De Maculis et cet exemplaire des Parhelies. Le livre doit être la Rosa Ursina de Scheiner (Bracciano, apud Andream Phœum, i63o), plutôt que les lettres De Maculis de 1612, publiées sous le pseudonyme d'Apelles latens post tabellam, qui avait frappé Descartes (voir plus haut, page 23, 1. 25-26). Quant aux observations des parhelies (Frascati, 20 mars 1629,

11 M. ..] Monfieur.

�� � et Rome, 24 janv. t63o), l’opuscule communiqué à Gassend : Parheliae in quibus multa de Iridibus, Halonibus, Virgis, Chasmatis, n’a pas été imprimé [Bibl. de la Compagnie de Jésus, t. VII, 1896, p. 740, col. 2).

Page 246, 1. 3. — Mersenne à Jean Rey, au Bugue en Périgord, 1" avril i632 : « … Cependant je vous propose quelques doubtes : à sca » uoir comment il se peut faire que le moindre petit coup que l’on frappe » contre le bout d’vne poutre, soit dans vn air libre, soit estant enfermée » dans vne maison, et frappant à l’vn des bouts de dehors, soit entendu » si clairement, quelque longueur qu’ait la poutre, et si vous estimés qu’il » arrivast la mesme chose, encore qu’elle fût longue de Paris iusques à » vous. Ce qui semble difficile, à raison que ie crois que le son n’est autre » chose que le mouuement de l’air : car comment l’air de dedans la poutre » se peut-il mouuoir par vn si petit coup ?… » (Essajrs de Jean Rey, éd. Gobet, 1777, p. 1 52— 154).

P. 347, 1. 3. — Cf. Mersenne, Questions inouyes ou Récréations des Scauans (Paris, 1634, achevé d’imprimer 1" déc. i633). Question V : Quels corps sont plus aisez à faire mouuoir ou rouller sur la terre, ou sur vn plan (p. 1 5-17}.

XLIII.
Descartes a Mersenne.
[Amsterdam, 10 mai 1632.]
Texte de Clerselier, tome II, lettre 67, p. 328-330.

Cette lettre, dont la date manque dans Clerselier, est, d’après les premières lignes, écrite huit jours après une autre, qui ne peut être que la précédente, où il est parlé de même : 1° du changement d’adresse de Descartes, que nécessite son déplacement projeté (pour Deventer) ; 2° de l’observation du parhélie de Rome (20 janvier 1630), que Gassend avait reçue de Scheiner ; 3° de livres envoyés par Mersenne à Descartes.

Mon Reuerend Pere,

Il y a huit iours que ie vous donnay la peine de faire tenir vne lettre pour moy en Poitou ; mais comme ie me haſtay en l’écriuant, ſuiuant ma negligence ordinaire, qui me fait | touſiours différer iuſques à l’heure que le Meſſager eſt preſt de partir, ie m’oubliay d’y mettre l’addreſſe par où on me pourroit faire réponſe, ce qui me contraint de vous importuner 5 derechef d’y en faire tenir vne.

Si l’obſeruation du phainomene de Rome que vous me mandez auoir, & qui eſt écrite de la main de Scheiner, eſt plus ample que ce que vous m’en auez autresfois enuoyé, vous m’obligerez ſi vous prenez 10 la peine de m’en enuoyer vne copie[66].

Si vous ſçauez quelque autheur qui ait particulierement recueilly les diuerſes obſeruations qui ont eſté faites des Cometes, vous m’obligerez auſſi de m’en auertir ; car depuis deux ou trois mois, ie me ſuis engagé 15 fort auant dans le Ciel ; & aprés m’eſtre ſatisfait touchant ſa nature & celle des Aſtres que nous y voyons, & pluſieurs autres choſes que ie n’euſſe pas ſeulement oſé eſperer il y a quelques années, ie ſuis deuenu ſi hardy, que i’oſe maintenant chercher la cauſe de la 20 ſituation de chaque Eſtoile fixe. Car encore qu’elles paroiſſent fort irregulièrement éparſes çà & là dans le Ciel, ie ne doute point toutefois qu’il n’y ait vn ordre naturel entr’elles, lequel eſt régulier & determine ; & la connoiſſance de cet ordre eſt la clef & le 25 fondement de la plus haute & plus parfaite ſcience, que les hommes puiſſent auoir, touchant les choſes materielles ; d’autant que par ſon moyen on pourroit connoiſtre à priori toutes les diuerſes formes & eſſences des cors terreſtres, au lieu que, ſans elle, il 30 nous faut contenter de les deuiner à poſteriori, & par leurs effets. Or ie ne trouue rien qui me puſt tant aider pour paruenir à la connoiſſance de cét ordre, que l’obſeruation de pluſieurs Cometes ; & comme vous 5 ſçauez que ie nay point de liures, & encore que i’en euſſe, que ie plaindrois fort le temps que i’emploirois à les lire, ie ſerois bien aiſe d’en trouuer quelqu’vn qui euſt recueilly, tout enſemble, ce que ie ne ſçaurois ſans beaucoup de peine tirer des autheurs 10 particuliers, dont chacun n’a écrit que d’vne Comete ou deux ſeulement[67].

Vous m’auez autresfois mandé que vous connoiſſiez des gens qui ſe plaiſoient à trauailler pour l’auancement des | Sciences, iuſques à vouloir meſme faire 15 toutes ſortes d’experiences à leurs dépens[68]. Si quelqu’vn de cette humeur vouloit entreprendre d’écrire l’hiſtoire des apparences celeſtes, ſelon la methode de Verulamius[69], & que, ſans y mettre aucunes raiſons ny hypotheſes, il nous décriuiſt exactement le Ciel, tel 20 qu’il paroiſt maintenant, quelle ſituation a chaque Eſtoile fixe au reſpect de ſes voiſines, quelle difference, ou de groſſeur, ou de couleur ou de clarté, ou d’eſtre plus ou moins étincelantes, &c. ; item, ſi cela répond à ce que les anciens aſtronomes en ont écrit, 25 & quelle difference il s’y trouue (car ie ne doute point que les Eſtoiles ne changent touſiours quelque peu entr’elles de ſituation, quoy qu’on les eſtime fixes) ; après cela qu’il y adjouſtaſt les obſeruations des Cometes, mettant vne petite table du cours de chacune, ainſi que Tycho a fait de trois ou quatre 5 qu’il a obſeruées[70] ; & enfin les variations de l’ecliptique & des apogées des Planetes : ce ſeroit vn ouurage qui ſeroit plus vtile au public qu’il ne ſemble peut eſtre d’abord, & qui me ſoulageroit de beaucoup de peine. Mais ie n’eſpere pas qu’on le faſſe, non plus 10 que ie n’eſpere pas auſſi de trouuer ce que ie cherche à preſent touchant les Aſtres. Ue croy que c’eſt vne Science qui paſſe la portée de l’eſprit humain ; & toutesfois ie ſuis ſi peu ſage, que ie ne ſçaurois m’empeſcher d’y reſver, encore que ie iuge que cela ne, 15 ſeruira qu’à me faire perdre du temps, ainſi qu’il a deſia fait depuis deux mois, que ie n’ay rien du tout auancé en mon Traitté ; mais ie ne laiſſeray pas de l’acheuer auant le terme que ie vous ay mandé.

Ie me ſuis amuſé à vous écrire tout cecy ſans 20 beſoin, & ſeulement afin de remplir ma lettre, & ne vous point enuoyer de papier vuide. Mandez moy ſi M. de Beaune fait imprimer quelque choſe. I’euſle eſté bien aiſe de voir la duplication du cube de Meſſieurs M(ydorge) & H(ardy)[71] auec les liures que vous m’auez 25 enuoyez, & il me ſemble que vous m’auiez mandé qu’elle y ſeroit ; mais ie ne l’y ay point trouuée. Ie ſuis,

Mon R. P.
XLIV. — 2) Mai 1632. 2^

��XLIV.

Descartes a Wilhem.

Amsterdam, 23 mai i632.

Autographe, Londres, Collection Morrison.

Imprimé par Foucher de Careil, Œuvres inédites de Descartes, t. //, 1860, p. 233 ; acquis par M. Chasles à la vente Van Voorst (Amsterdam, i85g), et par M. Morrison che\ Eug. Charavay (Paris, 21 mai 1881). Elle est mentionnée au Catalogue of the Collection of Autograph Letters and historical Documents, que M. Morrison a fait imprimer, t. II, 18 85, p. 32, n° 1. — Sur l'adresse, le cachet du philosophe, cire rouge, R et C entrelacés.

Monfieur,

I'ay receu le contenu de la lettre de change qu'il vous a plû m'enuoyer & vous en remercie. le l'aurois gardé vn peu plus long tems pour tafcher de vous le

5 remettre auec quelque proffit, mais ie ne doute point qu'il ne profite dauantage eftant entre vos mains qu'il ne pourroit faire entre les miennes, & ie fuis fur le le point de partir d'icy. le ne fçay que refpondre a la courtoifie de Monfieur Huguens, finon que ie chéris

10 l'honneur de fa connoiffance comme l'vne de mes meilleures fortunes, & que ie ne feray iamais en lieu ou ie puhTe auoir le bien de le voir, que ie n'en re- cherche les occafions , ainfy que ie feray toufiours celles de vous tefmoigner que ie fuis, Monfieur,

1 5 Voflre très humble &

très affectionné feruiteur descartes.

d'Amfterdam, ce 2) May 1632.

�� � 2^4 Correspondance. 11,344.

A Monfieur

Monfieur de Willhelme

Confeiller de Mon r

le Prince d'Orange

a La Haye.

XLV. Descartes a Mersenne.

[Deventer, juin i632.] Texte de Clerselier, tome II, lettre 73, p. 344-345.

Lorsque Descartes écrit cette lettre, il semble être depuis un mois déjà (/. S) à Deventer auprès de son ami Reneri. Mais d'après la précédente, il a du quitter Amsterdam dès la fin de mai i632; d'au- tre part, c'est la première fois qu'il écrit à Mersenne depuis son changement de résidence. La lettre n'est donc probablement pas pos- térieure à la fin de juin.

Mon Reuerend Père,

le vous remercie des lettres que vous auez pris la peine de nïenuoyer ; ie fuis maintenant icy à D(euen- ter), d'où ie fuis refolu de ne point partir que la Dioptrique ne foit toute acheuée. Il y a vn mois que 5 ie délibère fçauoir fi ie décriray comment fe fait la génération des animaux dans mon Monde, & enfin ie fuis refolu de n'en rien faire, à caufe que cela' me tiendroit trop long-temps. I'ay acheué tout ce que i'auois deffein d'y mettre touchant les cors inanimez; !0 il ne me refte plus qu'à y adjoufler quelque chofe touchant la nature de l'homme, & après ie l'écriray

�� � �ii,3 4 4-345. XLV. — Juin 1632. 255

au net pour vous l'enuoyer; mais ie n'ofe plus dire quand ce fera, car i'ay défia manqué tant de fois à mes promettes, que i'en ay honte.

Pour vos queftions, premièrement, ie ne croy point que le fon fe reflechiffe en vn poind, comme la lu- mière, d'autant qu'il ne fe com- munique point comme elle par des rayons qui foient tous droits, mais il s'eïlend touf- io "^ iours en rond de tous collez.

Par exemple, fi le cors A rend de la lumière, le rayon de cette lumière qui paffe par le trou B, ne pourra élire veu qu'en la ligne droite B C ; mais û le mefme cors A rend quelque fon, ce i5 fon paffant par le trou B, ne fera gueres moins bien entendu vers D, & vers E, que vers C.

2. La raifon de 5 à 8 efl vne confonance, pource que lors qu'on entend le fon 8, on entend aufiï fa moitié qui efl 4, ce qui ne fe trouue pas en la raifon 20 de 5 à 7.

La refraclion des fons ne fe peut mejfurer exacle- ment, non plus que leur reflexion ; mais autant quelle peut eflre obferuée, il efl certain qu'elle fe doit faire à perpendiculari in aqua tout au contraire de 25 la lumière. Pour la façon de mefurer les réfractions de la lumière, injiituo comparationem inter finus angu- lorum incidentice & angulorum refraéîorum ; mais ie fe- rois bien aife que cela ne fufl point encore diuulgué, pource que la première partie de ma Dioptrique ne 3o contiendra autre chofe que cela feul. Non potefi facile determinari qualem figurant linea vif a in fundo aqua? fit

�� � 2^6 Correspondance. h, 3 4 s.

habitura; neque enim certus ejl aliquis locus imaginis in reflexis aut refraélis, quemadmodum fibi vuîgà per- fuaferunt optici*.

le ne vous auois point remercié, en ma dernière, de la demonftration des deux moyennes proportio- 5 nelles que vous m'auez enuoyée ; mais ie n'auois pas encore receu vos lettres, & ie vous diray que M. My- dorge en trouua auffi la demonftration, dés lors que vous m'en fiftes faire la conftruction, & que ie ne l'ay iamais iugée eftre difficile. I'aimerois mieux que vous 10 euffiez propofé la conftrudion de la façon de diuifer l'angle en trois, laquelle, fi ie ne me trompe, ie vous donné en mefme temps que l'autre ; car elle eft vn peu moins aifée, & M. Mydorge me confefla qu'il ne l'auoit peu demonftrer. Mais i'aimerois bien en- i5 core mieux qu'ils s'exerçaflent à chercher la propofi- tion de Pappus : car de dire que M. Mydorge l'a mife en fes Coniques*, c'eft ce qui n'eft pas facile à per- fuader à ceux qui l'ont examinée vn peu de prés, comme i'ay fait, & ie ne penfe pas qu'ilsle puflent 20 perfuader non plus à M. G(olius), qui m'a dit l'auoir autresfois propofée à M. M(ydorge), ainfi que vous pourrez aifément fçauoir, fi vous luy en voulez écrire. le fuis,

Mon R. P. 25

Voftre tres-humble, & tres-obeifiant feruiteur, descartes.

Page 256, 1. 3. — Ce passage peut prouver que Descartes, en i632, n'avait pas vu les manuscrits de Snellius, où la loi de la réfraction était

�� � établie et développée. Snellius avait en effet traité le problème devant lequel recule Descartes, et déterminé comme une conchoïde la courbe suivant laquelle apparaît une ligne droite au fond d’un vase plein d’eau ; il est clair que si Descartes avait vu cette solution, il aurait à son tour approfondi la question (Voir P. Kramer, Descartes und das Brechung-gesetz des Lichtes, dans les Abhandlungen zur Geschichte der Mathematik, IV, 1882, p. 273).

Page 256, 1. 18. — Claudii Mydorgii patricii Parisini Prodromi Catoptricorum et Dioptricorum sive Conicorum operis ad abdita radii rejlexi et refracti mysteria prœvii et facem prœferentis Libri primut et secundus D. A. L. G. (Parisiis, I. Dedin, i63i, in-f»). — Les relations de Mydorge et de Golius sont attestées par une lettre de Gassend à ce dernier, du 6 septembre 1630 « Mydorgius cupit te salutatum, ac abs te amari » mire satagit. . . . Existimo, quas ille tibi meo interventu literas dedit, fuisse iampridem tibi redditas » (Gass. Op., VI, 3p). — Quant aux solutions par Descartes du problème des deux moyennes proportionnelles (duplication du cube) et de la trisection de l’angle, solutions dont il parle 1. 5 et 12, elles remontent évidemment au temps de son séjour à Paris.


XLV bis.
Descartes a Mersenne
.
[Deventer, été 1632 ?]

Texte de Clerselier, tome II, lettre io3 fin, p. 470-471.

Ce fragment est d’une date incertaine ; Clerselier l’a joint à deux autres pièces pour composer une lettre sans nom de destinataire (voir ci-dessus l’en-tète de la lettre XXVI). Nous le rapprochons de la lettre XLV, parce que le second alinéa se rapporte à la première question de Mersenne touchée dans cette lettre XLV, comme si le Minime avait insisté pour avoir des explications plus précises. D’autre part l’ouvrage mentionné ligne 5 est probablement un livre paru à la fin de 1631. Au contraire, dans la première phrase, les mots « que ie n’apprens autre chose qu’à escrimer » nous rappellent les termes analogues de la lettre XXV, du 4 novembre 1630 (p. 174, l. 3o), tandis que l’assertion sur la balle de plomb (ci-après page 25 g, l. 2S) se trouve reprise dans la lettre à Mersenne du 1 1 mars 1640 (Clerselier, t. II, p. 210).

Ie ſuis marri que M. F(errier) ait fait croire que i’euſſe deſſein d’écrire quelque choſe, & vous m’obligerez de témoigner tout le contraire, & que ie n’apprens autre choſe qu’à eſcrimer. I’ay compaſſion auec vous de cét autheur qui ſe ſert de raiſons 5 aſtrologiques pour prouuer l’immobilité de la Terre* ; mais i’aurois encore plus de compaſſion du ſiecle, ſi ie penſois que ceux qui ont voulu faire vn article de foy de cette opinion, n’euſſent point de plus fortes raiſons pour la ſoûtenir. 10

Pour ce que vous me demandez touchant la refraction des fons, ie vous diray qu’il s’en faut beaucoup qu’elle fe puiffe remarquer en eux fi facilement qu’en la lumière, à caufe que le fonfe transfère quafi auffi facilement fuiuant des lignes courbes ou tortues que i5 des droites. Toutesfois pour en parler abfolument, il eft certain que les fons fouffrent refradion en paffant au trauers de deux cors difFerens, & qu’ils fe rompent adperpendiculum dans celuy par lequel ils paflent le plus aifément* ; mais ce n’eft pas toufiours le plus épais & 20 le plus folide par lequel ils paflent le plus aifément, ny auffi le moins épais, & i’aurois bien des chofes à dire, auant que ie pufle éclaircir cette diftinétion fuffifamment.

| Pour cet infiniment monocorde qui imite la trom— 25 pette*, ie voudrois en auoir vu l’expérience, pour en ofer dire mon opinion. Mais autant que ie puis conjecturer, tout le fecret qui y eft ne confifte qu’en ce que le cheualet eftant mobile & tremblant, ainfi que vous m’écriuez, le fon a quelque latitude, & ne fe 3o

a. P. 255. 1. 24.

�� � n,47'- XLV bis. — Été i6j2. 250

détermine pas à eftre graue ou aigu iufqu a tel degré, par la feule longueur de la corde, mais principale- ment auffi par fa tenfion", qui fait quelle prefle plus ou moins ce cheualet, & en fuite que les tremblemens 5 de ce cheualet font plus ou moins frequens, auec lef- quels fe doiuent accorder ceux de la corde, & par confequent la hauteur ou la baffeffe du fon. D'où premièrement il eft aifé à entendre par les bifle- ctions b , (comme vous dites que ie vous ay autrefois

10 mandé touchant la trompette,) pourquoy ce mono- corde eftant touché à vuide fait ouïr toutes les confo- nances en mefme temps ; puis pourquoy, eftant tou- ché entre les diuifions 1 . 2. ) . 4., il ne fait ouïr aucun fon agréable, fi ce n'eft le mefme que celuy qu'il fait

i5 ouïr eftant touché fur ces diuifions, pour ce que lors les tremblemens de la corde ne peuuent s'accorder auec ceux du cheualet, fi ce n'eft qu'ils retiennent la mefme mefure que fur ces diuifions.

Pour l'expérience que vous dites auoir efté faite

20 d'vn moufquet, qui perce plus à cinquante ou cent pas qu'il ne fait à dix ou vingt pieds c , fi elle eft vraye, il faut dire qu'il perce moins à dix ou vingt pieds, à caufe que la baie allant trop vifte fe réfléchit fi promp- tement, qu'elle n'a pas aflez de loifir pour faire tant

a5 d'effet, ainfi qu'vn marteau frapant vne baie de plomb qui eft mife fur vne enclume ne l'applatira pas tant, que fi elle eft mife fur vn oreiller. Enfin fi le finalement des baies de canon ne s'entend pas au commencement

a. tention Clers.

b. Cf. p. 118, §4.

c. Cf. p. 11 3,1. a5.

�� � 2Ôo Correspondance. n, 47>.

de leur mouuement comme à la fin, il faut penfer que c'eft leur trop grande viteffe, qui ne faifant mouuoir l'air qu'en vn feul fens & fans luy donner le loifir d'aller & retourner, ne caufe aucun fon; car vous fçauez que ces tours & retours de l'air font neceffaires pour caufer le fon. le fuis. . .

Page 258, 1. 6. — Jean- Baptiste Morin, Famosi et antiqui proble- matisde Telluris motu, vel quiète, hactenus optata solutio (Parisiis, i63i, in-4, approbation de la Sorbonne le 2 sept., et achevé d'imprimer le 9 sept., privilège du roi le io nov., et dédicace à Richelieu le 8 déc. 1 6 3 1 ). Cf. Joan. Bapt. Morini, Doctoris Medici, et Parisiis Regii Mathematum Professoris Responsio pro Telluris quiète ad Jacobi Lansbergii Doctoris Medici Apologiam pro Telluris motu (Parisiis, apud Joannem Libert, 1634, in-4, avec dédicace à Richelieu du 24 juin 1634, et la même épigraphe : Terra stat in œternum; Sol oritur et occidit. (Ecclesiast. cap. 1). On lit, p. 54 de ce second ouvrage, ce passage qui se rapporte au premier : « Primum exemplar mei libri adversus Terrœ motum missum fuit D. Galilœo, illo nequidem intègre impresso. . . Mirabatur autem quod Telluris quietem rationibus astrologicis, ipsa Telluris quiète obs- curioribus, astruendam susciperem. » Voilà qui s'accorde avec la re- marque de Descartes; elle vise donc bien le même ouvrage de Morin en 1 63 1 .

Page 2^8, 1. 26. — Descartes entend probablement la trompette marine, qui est un instrument à une seule corde.

��XLVI.

Descartes a Mersenne.

[Deventer, nov. ou déc. i632.] Texte de Clerselier, tome II, lettre 74, p. 346-347.

Le premier exemplaire des Massimi Sistemi de Galilée qui par- vint à Paris fut celui que reçut Gassend en octobre 16S2 (voir ci- après la seconde note sur la présente lettre). En admettant que Mer-

�� � h,î 4 6. XL VI. — Nov. ou Dec. 16p. 261

senne ait communiqué sans retard à Descartes ce qu'il en tira sur le mouvement de la chute des corps, Descartes ne put guère répondre avant novembre ou décembre. Il ne semble pas qu'on puisse retarder beaucoup plus une lettre où reviennent (p. 262, l. ij et p. 2 63, l. 1) des sujets touchés dans la lettre XL V.

Mon Reuerend Père,

Vous iugerez, fans doute, que ie fuis négligent à vous faire réponfe; mais ie vous diray que vos der- nières ont demeuré quelque temps à Amfterdam,

5 pour attendre celuy à qui vous les addreffiez, qui eftoit abfent, & ainfi ie n'ay pu les receuoir plutoft. le feray bien aife de fçauoir lequel c'efl: de Meffieurs les F.* qui vous a efté demander de mes nouuelles, car il y en a plufieurs de ce nom.

10 Pour ce que vous me mandez du calcul que fait Galilée*, de la viteffe que fe meuuent les cors qui delcendent, il ne fe rapporte aucunement à ma Phi- lofophie, félon laquelle deux globes de plomb, par exemple, l'vn d'vne Hure, & l'autre de cent liures, n'au-

i5 ront pas mefme raifon entr'eux, que deux de bois, l'vn aufli d'vne liure, & l'autre de cent liures, ny mefme que deux auffi de plomb, l'vn de deux liures, & l'autre de deux cens liures, qui font des chofes qu'il ne dif- tingue point, ce qui me fait croire qu'il ne peut auoir

ao atteint la vérité.

Mais ie voudrois bien fçauoir ce qu'il écrit du flux & reflux de la mer ; car c'eft vne des chofes qui m'a donné le plus de peine à trouuer; & quoy que ie penfe en eftre venu à bout a , il y a toutesfois des cir-

»5 confiances dont ie ne fuis pas éclaircy.

a. Le Monde, c. 8 : du flux et du reflux de la mer.

�� � 262

��Correspondance.

��II, 3 4 6-Ï47-

��le ne doute point que û M. F(errier) a fait voir les lettres à quelqu'vn, qui entende le moins du monde les Mathématiques , qu'il n'ait très-facilement, | com- pris, comment ie mefure l'angle de refradion a . Et ie feray bien aife de fçauoir fi ledit fieur F(errier) ou quelqu'autre trauaille à mettre en exé- cution l'inuention des lunettes, & ie defirerois qu'ils en vinffent à bout.

le croy qu'on ne doit attribuer ce grand interualle qui eft entre le troi- fiéme & le quatrième trou d'vn Ser- pent, qu'au biais dont il eft plié, & que la diftance de ces trous doit eftre me- furée par les perpendiculaires , qui tombent du centre de chaque trou, fur vne ligne droite tirée d'vn des bouts de cet infiniment iufques à l'autre. Ce que ie vous auois mandé de la raifon de 5 à 8 b , ne confifte pas en ce qu'on puiffe reprefenter cette mefme raifon par quelqu'autre nombre plus petit ou plus grand ; mais en ce que lors qu'on entend quelque fon, on entend auffi naturellement la refo- nance d'vn autre fon, qui eft plus aigu d'vne oétaue , & ainfi lors qu'on entend le fon de deux cordes, dont l'vne contient 8 parties & l'autre $ , et ainfi qui font la sexte mineure, on entend par mefme moyen la re- fonance de la moitié de la corde 8, qui eft 4 & qui fait vne tierce d majeure auec la corde.

a. Lettres XI et XIII, notamment pages 63 et suiv.

b. P. 255,1. 17.

c. octaue] 8. Clers.

d. tierce] 3. Clers.

���10

��i5

��20

��»S

�� � 11,347- XLVI. — Nov. ou Dec. 16} 2. 263

le parleray de l'homme en mon Monde vn peu plus que ie ne penfois 3 , car i'entreprens d'expliquer toutes fes principales fondions. I'ay défia écrit celles qui ap- partiennent à la vie, comme la digeftion des viandes,

5 le battement du pouls, la diftribution de l'aliment &c, & les cinq fens. I'anatomife maintenant les telles de diuers animaux, pour expliquer en quoy confiftent l'imagination, la mémoire &c. I'ay veu le liure de motu cordis* dont vous m'auiez autrefois parlé, & me fuis

10 trouué vn peu différent de fon opinion, quoy que ie ne l'aye vu qu'après auoir acheué d'écrire de cette ma- tière, le fuis,

Mon R. P.

Voftre tres-humble & tres-acquis i5 feruiteur, descartes.

Page 261, 1. 7. — Les Frenicle? «Il y a eu deux hommes de lettres de » ce nom en même temps, tous deux mathématiciens, tous deux poètes. » C'est avec l'ancien que M. Descartes paroît avoir eu ses habitudes. » (Baillet, I. p. 146). L'ancien est Frenicle, sieur de Bessy, Parisien, mais d'une famille de Bourgogne.

Page 261, 1. 11. — Dialogo di Galileo Galilei linceo matematico sopra- ordinario dello Studio di Pisa e filosofo e matematico primario del Se- renissimo Granduca di Toscana. Dove nei congressi di quattro giornate si discorre sopra i due Massimi Sistemi del mondo tolemaico e coperni- cano : proponençlo indeterminatamente le ragioni filosofiche e naturali tantoper l'una quanto per l'altra parle. (Fiorenza, per Gio. Batista Lan- dini, i632). — Gassend écrit de Lyon à Galilée, le i w nov. i632, que son exemplaire, reçu en octobre, était encore le seul que l'on eût à Paris : il insiste sur les deux questions dont Mersenne avait parlé à Descartes : « circa ponderum cadentium inxqualem velocitatem » et « m assumpta » Motuum Telluris Hypothesis ad declarandum Maris aestum probabili- » tatem ex ipsa declaratione obtineret. » (Gass. Op., VI, 53-54). — La loi de la chute des graves est énoncée dans la Seconde fournée du Dialogue

a. P. 254, 1. 12.

�� � 264 Correspondance.

de Galilée (p. 244 de l'éd. Albèri, Firenze, 1842); l'explication (erronée) des marées est développée dans la Quatrième journée.

Page 263, 1. 9. — L'ouvrage de William Harvey, Exercitatio anato- mica de motu cordis et sanguinis in animalibus, publié en 1628 et connu en France au printemps de 1629, lorsque Descartes venait de partir pour la Hollande. Le 28 août 1629, Gassend écrivait à Peiresc : « Le livre dont » M. Valois vous a parlé, M. du Puy en a un exemplaire pour vous en- » voyer. Je l'avois desja veu avant que partir pour l'Allemagne, et en » avois dit mon sentiment en ma lettre au P. Mersenne. . . Son opinion " de la continuelle circulation du sang par les artères et veines est fort » vraysemblable et establie; mais ce que ie trouve à dire en son fait est » qu'il s'imagine que le sang ne sauroit passer du ventricule droit du » cœur au gauche par le [septum], là où il me souvient que le sieur Payen » (habile chirurgien d'Àix) nous a fait voir autrefois qu'il y a non seule- » ment des pores, mais des canaux très ouverts. » (Lettres de Peiresc, 1893, t. IV, p. 208.)

��XLVII.

Descartes a Wilhem.

Deventer, 7 février i633. Autographe, Leyde, Bibl. de l'Univ., Collection Huygens.

Une feuille, grand format, pliée en deux feuillets. Il tient tout entier sur le recto du premier feuillet (20 lignes, sans comvter l'en- tête, la souscription, la signature et la date, celle-ci du 7 fêv., et non pas du 1", comme l'imprime Foucher de Careil, Œuvres inédites de Desc, //, 1860, 4-6); au verso du second feuillet, l'adresse, avec les fragments de deux cachets de cire rouge.

Monfieur,

I'ay receu trois lettres de voftre Iean Gillot depuis quelque tems, dont ie croy vous deuoir rendre compte, pour le defir que i'ay de me conferuer l'hon- neur de vos bonnes grâces. Aus deus premières il fe

�� � loue extremement du bon traitement qu’il reçoit de vous, & teſmoigne s’eſtimer hureus d’eſtre a voſtre ſeruice ; mais il adiouſte qu’il a fort peu de tems a eſtudier en Mathematiques & que ſes parens luy 5 offrent de l’entretenir a leurs dépens ou il voudra, lorſque le tems de ſon ſeruice ſera expiré, ſi ſes amis luy conſeillent de vous demander ſon congé. A cela ie luy ay par deus fois reſpondu qu’il apprenoit beaucoup de choſes en vous ſeruant qui luy eſtoient 10 plus neceſſaires que l’Algebre, quand ce ne ſeroit que la ciuilité, la netteté, la patience & autres telles qualités qui luy manquent, & qu’il deuoit craindre la liberté comme vne ſorciere qui le pourroit perdre. Mais pour ce qu’il me demande encore vne fois mon 15 conſeil par ſa derniere et qu’il promet de le ſuiure exactement, i’ay penſé ne pouuoir mieus faire que de vous enuoyer ſa lettre & vous ſupplier de prendre vous meſme la peine de le reſoudre touchant ce que vous aurés agreable qu’il face. Car encore que 20 vous ayés ſuget de blaſmer ſa legereté, ie m’aſſure que vous ne luy en voudrés pas de mal pour cela & que vous iugerés qu’il n’a pas eu enuie de faillir ni de vous déplaire, vû qu’il n’a rien voulu entreprendre ſans le conſeil d’vn homme qui eſt,

25 Monſieur,

Voſtre tres humble &
tres obeiſſant ſeruiteur
DESCARTES.

A Deuenter, du 7 Feu. 1633. 266 Correspondance. 11/348.

A Monfieur,

Monfieur de Wilhelm

Confeiller d'Eftat de

M r le Prince

A La Haye.

��XLVIII.

Descartes a Mersenne.

[Deventer], 22 juillet i633. Texte de l'exemplaire de l'Institut, tome II, lettre 75, p. 348-349.

Variantes de Clerselier, qui ne donne pas de date et réunit, en outre, à cette lettre la suivante, de la fin de nov. {633. Mais une note ms. de l'exemplaire de l'Institut donne: i° ces deux indications : « Cette lettre est du 22 juillet i633, est la 7™ des ms. de La « Hire et collationnéc sur l'original. » (p. 348)et « cette lettre finit « icy » [p. 349)', 2 une fin et un post-scriptum, qui manquent dans l'imprimé. Les additions et corrections faites à la main sur cet exem- plaire seront donc introduites ici dans le texte même, et on donnera les variantes de l'imprimé de Clerselier.

Mon Reuerend Père,

le fuis extrêmement ellonné de ce que les trois lettres que vous me mandez m'auoir fait 1 honneur de m'écrire, fe font perdues; et ie ferois bien aife d'en poiruoir découurir la caufe, ce que ie ferois peut-eftre, 10 fi vous fçauiez precifement les iours qu'elles ont efté

8 me mandez... l'honneurj rois] pourrois. — peut-eftre] m'auiez fait la faueur. — 10 fe- faire aj.

�� � IO

��11,348. XLVIII. — 22 Juillet 16}}. 267

écrites ; car ie iugerois de là entre les mains duquel des deux MefTagers que nous auons en cette ville elles ont dû tomber. le vous remercie des lettres de Poi- tou que vous auez pris la peine de m'enuoyer ; elles ne contenoient rien d'importance, ni qui valût le foin que vous en auez pris.

Pour ce que vous me mandez des deux fons qui s'entendent quelquesfois d'vne mefme corde, ie l'ay bien autresfois auffi remarqué ; & ie penfe que la rai- fon eft que, les cordes eftant vn peu fauffes & iné- gales, il fe fait en elles deux fortes de tremblemens en mefme temps, l'vn defquels, à fçauoir celuy qui fait le fon le plus graue, &*rui eft le prin- cipal, dépend de la longueur & grolTeur &

«5 tenfion de toute la corde ; & l'autre, qui fait vn fon plus aigu, dépend de l'inégalité de fes parties. Penfez, par exemple, lorfqu'on touche la corde A B, quelle va en chacun de fes tours & retours depuis 1 iufques à 6, ou

20 depuis 6 iufques à 1 , pour faire fon princi- pal fon & celuy qui luy eft naturel, mais que cependant l'inégalité de fes parties caufe aufli en elle vn autre tremblement, qui fait qu'étant paruenue depuis 1 iufques à 2, elle retourne vers 3,

���1 iugerois de là] fçaurois par ce moyen. — 3-6 le vous... pris omis. — 8 d'vne mefme] en mefme temps, lors qu'on tou- che vne feule. — ie l'ay] i'ay défia. — 14-15 de la longueur... tenfion omis. — 17-18 lorfqu'on touche] fi on pouffe. — 1 8 qu'elle

��va en] que pendant. — 19 re- tours] elle va aj. — 19-20 ou depuis 6 iufques à 1 omis. — 20-21 fon principal] le. — 21 et celuy omis. — 21-2Î mais que cependant omis. — 23 auffi omis. — vn autre] moindre aj. — 24 paruenue] allée.

�� � 268 Correspondance.

��ii, 348-349.

��puis de là vers 4, & de 4 vers 5 & enfin vers 6, ce qui engendre vn fon plus aigu que le précèdent d'vne douzième. Tout de mefme fi ce fécond tremblement eft feulement double du premier, il fera l'odaue; fi quadruple, la quinzième; & | s'il eft quintuple, il fera 5 la dix-feptiefme maieure.

Si l'expérience que vous me mandez d'vn horloge fans foleil eft aflurée, elle eft fort curieufe, & ie vous remercie de me l'auoir écrite ; mais ie doute encore de l'effet, & toutesfois ie ne le iuge point impoflible. 10 Si vous l'auez vu, ie feray bien aife que vous m'appre- niez plus particulièrement ce qui en eft*.

Mon Traitté eft prefque acheué, mais il me refte en- core à le corriger & à le décrire ; & pource qu'il ne m'y faut plus rien chercher de nouueau, i'ay tant de i5 peine a y trauailler, que fi ie rfe vous auois promis, il y a plus de trois ans, de vous l'enuoyer dans la fin de cette année 8 , ie ne croy pas que i'en puffe de long- temps venir à bout ; mais ie veux tafcher de tenir ma promefle. Et cependant ie vous prie de m'aimer & de 20 me croire

Voftre très humble & très affectionné feruiteur, descartes.

le vous prie d'adreffer vos lettres à M. Van Zurck,

2 que le précèdent] reporté — 1 1- 12 m'appreniez] me faffiez

après douzième (1. 3). — 5 quin- la faueur de me mander. — 14-

ziéme] quinte. — 7 d'vn] de 16 pour ce qu'il. .. y trauailler]

cette. — 8 foleil] dont vous m'é- i'apprehende fi fort le trauail. —

criuez aj. — 9 encore] fort aj. 20 m'aimer] tout le reste omis.

a. Voir plus haut, p. 179, 1. i3.

�� � 11,349- XLVIII. — 22 Juillet 1653. 269

au logis de M'" Reyniers, proche de la Cour du Prince, a Amfterdam, puifque nos Meffagers font infidelles.

Page 268, 1. 12. — Gassend, dans sa Vie de Peiresc, parle aussi d'une horloge sans soleil, inventée à Liège, par un jésuite, nommé Linus, et en donne la description, à l'année 1 635 ; mais il rappelle que deux ans plus tôt, c'est-à-dire en 1 633, le P. Kircher avait parité à Peiresc d'une horloge fondée sur un autre principe : * Peireskius. . . accepit, inter caetera, ver- » sari Leodii religiosum, ac industrium, e Societate Jesu, virum, nomine » Linum, qui phialam complevisset aqua, ejusmodi temperationis, ut » internataret médius globulus, cum descriptis circùm horis viginti qua- » tuor, quae ad pisciculum, seu indicem fixum allabentes ex ordine, horas » diei connotarent, tanquam globulo cœli motum exactissimè imitante.... » Revocavit autem praecipue in mentem, quod ante duos annos Kircherus » enarraverat, se fragmento subereo inseruisse grana cujusdam Heliotro- » pii, quae (floris instar) in Solem conversa, innatans suber converterent, » indiculoque apposito notatas in vase horas designarent. » (De Vita Pei- reskii Hagae Comitis, i65 1 , p. 435-436.) — Dans une lettre inédite de Wendelin à Mersenne (Bibl. Nat. fr. n. a. 62o5, p. 19-20), datée de Bruxelles le i5 juin i633, mais répondant à une lettre écrite un an aupa- ravant, on lit : : « Addebas (memini) rationem inuentam horologiorum >< conficiendorum quae minuta singula partesque horarias etiam minores » his largirentur exquisitissimé, neque tamen maiore quem triobolari » sumptu pararentur. Excitus ego rei nouitate, cogitansque mecum dubio » procul magneticum hic aliquid innui, solisequasque facultates, Helio- » tropium suspectabam in parte- :.uocari; adeoque cùm post aliquanto » Leodium venissem ad D. Woestenraet (quam tuî sané plénum plané » nosti), deque hac re agerem, ille me ire iussit ad Iesuitas Anglos, illic » esse Patrem quemdam dictitans qui globum e cera construeret eo artifi- » cio, vt aquae immissus vitro se dietim volueret referretque solarem » motum, et quod huius erat consectariurn, horas repraesentaret. Con- » ueni ergo Patrem, et ille idem fassus est, ac si vellem praebiturum se » intra biduum hune ludum. Non erat integrum mihi tune Traiectum » recens captum petenti ob grauia négocia moras illic trahere : illud modo » quassiui globusne ille cereus diurnâ suâ volutatione se ad axem mundi » componeret? an sibi deligeret verticalem et circinationem maximi sui » circuli faceret horizontalem ? Horizontalem respondit, vnum hoc » addens totidem his verbis : omnia heee mundi corpora sunt magnetica. » Hactenus ista tune in quae nunc penitiùs aliquanto introspicio post- » quam hesternae tuae literas suberis ac solani mentionem adiecere. » — Sur l'ingénieuse supercherie du P. Linus et sur l'intérêt que prit Peiresc à cette horloge magnétique, comme pouvant, croyait-il, fournir un argu- ment en faveur de la doctrine de Copernic, voir Georges Monchamp, Galilée et la Belgique, Saint-Trond, 1892, p. 127 et suiv.

�� � 270 Correspondance. 11,349.

XLIX.

Descartes a Mersenne.

[Deventer, fin novembre 1 633 . ] Texte de Clerselier, tome II, lettre jb fin, p. 349-35i.

Ce fragment, rattaché à tort par Clerselier à la lettre précédente, a fait certainement partie de celle dont Descartes parlera, le i5 mai 1634, comme écrite vers la fin du mois de novembre, et perdue en route.

. . .l’en eftois à ce poinct., lors que i’ay receu voftre dernière de l’onziefme de ce mois, & ie voulois faire comme les mauuais payeurs, qui vont prier leurs créanciers de leur donner vn peu de delay, lors qu’ils fentent approcher le temps de leur dette. En 5 effet ie m’eftois propofé de vous enuoyer mon Monde pour ces eftrennes 3 , & il n’y a pas plus de quinze iours que i’eftois encore tout refolu de vous en en- uoyer au moins vne partie, û le tout ne pouuoit eftre tranfcrit en ce temps-là; mais ie vous diray, que 10 m’eftant fait enquerir ces iours à Leyde & à Amfter- dam, fi le Sifteme du Monde de Galilée n’y eftoit point, à caufe qu’il me fembloit auoir apris qu’il auoit efté imprimé en Italie l'année paffée, on m’a mandé qu’il eftoit vray qu’il auoit efté imprimé, mais que tous les 15 exemplaires en auoient efté brûlez à Rome au mefme temps, & luy condamné à quelque amande* : ce qui m’a fi fort eftonné, que ie me fuis quafi refolu de brû-

a. Voir p. 268, I. 18.

�� � ler tous mes papiers, ou du moins de ne les laiſſer voir à perſonne. Car ie ne me ſuis pû imaginer, que luy qui eſt Italien, & meſme bien voulu du Pape, ainſi que i’entens, ait pû eſtre criminalizé pour autre choſe, 5 ſinon qu’il aura ſans doute voulu eſtablir le mouuement de la Terre, lequel ie ſçay bien auoir eſté autresfois cenſuré par quelques Cardinaux ; | mais ie penſois auoir oüy dire, que depuis on ne laiſſoit pas de l’enſeigner publiquement, meſme dans Rome ; & 10 ie confeſſe que s’il eſt faux, tous les fondemens de ma Philoſophie le ſont auſſi, car il ſe demonſtre par eux euidemment. Et il eſt tellement lié auec toutes les parties de mon Traitté, que ie ne l’en ſçaurois détacher, ſans rendre le reſte tout défectueux. Mais 15 comme ie ne voudrois pour rien du monde qu’il ſortit de moy vn diſcours, où il ſe trouuaſt le moindre mot qui fuſt deſaprouué de l’Egliſe, auſſi aymé-je mieux le ſupprimer, que de le faire paroiſtre eſtropié. Ie n’ay iamais eu l’humeur portée à faire des liures, & ſi ie 20 ne m’eſtois engagé de promeſſe enuers vous, & quelques autres de mes amis, afin que le deſir de vous tenir parole m’obligeaſt d’autant plus à eſtudier, ie n’en fuſſe iamais venu à bout. Mais, après tout, ie ſuis aſſuré que vous ne m’enuoyeriez point de sergent, 25 pour me contraindre à m’acquitter de ma dette, & vous ſerez peut-eſtre bien aiſe d’eſtre exempt de la peine de lire de mauuaiſes choſes. Il y a deſia tant d’opinions en Philoſophie qui ont de l’apparence, & qui peuuent eſtre ſouſtenuës en diſpute, que ſi les 30 miennes n’ont rien de plus certain, & ne peuuent eſtre approuuées ſans controuerſe, ie ne les veux 272 Correspondance. ii, 350-351.

iamais publier. Toutesfois, pource que i'aurois mau- uaife grâce, fi après vous auoir tout a promis, & fi long-temps, ie penfois vous payer ainfi d'vne boutade, ie ne laifferay pas de vous faire voir ce que i'ay fait, le plutoft que ie pourray ; mais ie vous demande en- 5 core, s'il vous plaiït, vn an de delay pour le reuoir & le polir. Vous m'auez auerty du mot d'Horace : no- numque prematur in annum b , & il n'y en a encore que trois que i'ay commencé le Traitté que ie penfe vous enuoyer; ie vous prie aufîi de me mander ce que vous 10 fçauez de l'affaire de Galilée.

Pour voflre queftion, ie n y trouue rien à dire plus qu'aux autres fois, à fçauoir que la corde ABC, allant & retournant de C | iufques à D, fait fon ton naturel, & de plus, en paffant de i5 C à D, fait trois autres petits retours C E, E F, F D, qui caufent la refonance d'vne douziefme plus haute. Pour ce qui efl de dire fi les cordes qui font cela font fauffes ou non, ie penfe vous auoir défia mandé 2 <> qu'elles font moins fauffes que celles qui pourroient auoir vn refonnement plus diffonant, mais qu'elles ne laiffent pas de l'eltre plus que celles qui n'ont qu'vn feul fon tout net & tout égal ; & il peut y auoir de la a5 fauffeté dans les tuyaux & en tous les autres cors refonans, aufîi bien que dans les cordes. le fuis...

Page 270, 1. 16. — Le 24 février 161 6, le S' Office avait censuré les deux propositions : i° Sol est centrum mundi et omnino immobilis motu

a. Lire : tant ?

b. Horace, Ars poet., v. 388.

��� � L. — 12 Décembre làjj. 2jj

locali ; 2» Terra non est centrum mundi nec immobilis, sed secundum se totam movetur, etiam motu diurno ; le 5 mars, la Congrégation de l'Index avait suspendu l'ouvrage de Copernic donec corrigatur, et prohibé alios omnes libres pariter idem docentes. En même temps Galilée fut secrète- ment admonesté par le cardinal Bellarmin et défense spéciale lui fut faite de soutenir la doctrine suspecte, verbalement ou par écrit. Aussi dans son célèbre dialogue des Massimi Sistemi de i632, a-t-il soin de parler avec le plus grand respect des décisions prises, et de n'établir dogmatiquement aucune thèse. Ces précautions furent inutiles; cité de Florence à Rome par trois fois (23 sept., 9 et 3o déc. i632), il comparut devant le S' Office le I er dimanche de carême 1 633, subit trois interrogatoires (12 av., 3o av. 21 juin) et s'entendit condamner le 22 juin. Son livre fut brûlé; lui-même dut se rétracter et resta soumis à la surveillance du S' Office. D'abord re légué à Sienne, où il ne devait pas quitter le palais de l'archevêque, il fut le 1" décembre i633, autorisé à se. retirer dans sa campagne d'Arcetri avec défense de la quitter et de recevoir des visiteurs n'ayant pas de per mission spéciale. (Pièces du procès de Galilée, par Henri de l'Epinois Rome et Paris, Palmé, 1877.) — Cette condamnation fit grand bruit, jus qu'en Hollande, d'où Gassend écrivait, en juillet 1629, après avoir vu les savants du pays : « Au reste, tous ces gens-là sont pour le mouvement de » la terre. » (Lettres de Peiresc, IV, 202.)

��L.

Descartes a Wilhem.

Amsterdam, 12 décembre i633.

Autographe, Leyde, Bibl. de l'Univ., Collection Huygens.

Une feuille, moyen format, pliée en deux feuillets ; la lettre occupe tout le recto du premier (2 1 lignes, sans l'en-tête), plus le haut du verso (S lignes, sans la souscription, la signature et la date). Point d'adresse au verso du second feuillet; mais le nom du destinataire est certain, puisque c'est le beau-frère de M. de Zuylichem (Wilhem avait épousé Constantia Huygens, sœur de celui-ci, le 16 janv. i633). Cette lettre fait, au reste, partie de la collection des lettres à Wilhem. — Publiée par Foucher de Careil, Œuvres inéd. de Desc, t. II, 1860, p. 6-7.

Monfieur le ferois fans doute beaucoup mieus de m'abftenir

Correspondance. I. 35

�� � 274 Correspondance.

de vous efcrire, affin de n'eftre point au hafard de di- minuer par vn mauuais compliment la fauorable opinion que vous tefmoignés auoir de mon ftile ; car outre que ie ne la puis attribuer qu'a voftre courtoi- fie, qui aura peut-eftre voulu ne regarder les lettres 5 que i'ay eu autrefois l'honneur de vous efcrire * que par le cofté qui m'eftoit le plus auantageus; ie ne doy pas efperer que le feiour de Weftfalie, ou ie me fuis depuis prefque toufiours arefté*, m'ait donné moyen d'acquérir les grâces que ie n'auois fceu ap- 10 porter de mon pais ; ny que voftre gouft foit deuenu moins délicat dans vne cour que ie fçay eftre l'vne des plus polies de l'Europe *, &. auec cela dans vne famille ou i'entens qu'il n'y a perfonne qui ne parti- cipe aus rares & excellentes qualités qui font parti- i5 culierement admirées de tous en Monfieur de Zuili- com voftre beaufrere. Mais i'ayme mieus encourir le blafme de parler comme vn homme qui n'habite que les defers, que celuy d'auoir manqué a vous remer- cier, tant de la vifite de Monfieur de Mori, de la con- 20 noiflance & agréable conuerfation duquel i'ay défia retiré plus de profit, qu'il n'en pouuoit efperer de la miene ; comme auiïy des honneftes offres que vous m'obliges de me faire, & defquelles ie n'ay aucun moyen de me rendre digne, qu'en vous affurant auec 2 5 toute forte d'affection que ie fuis,

Monfieur,

Voftre très humble & très obeifTant feruiteur,

DESCARTES. 3°

A Amfterdam, ce 12 Dec. 163 y

��

Page 274, l. 6. — Nous n’avons que deux lettres de Descartes à Wilhem, antérieures à celle-ci, l’une d’Amsterdam, 23 mai 1632, et l’autre de Deventer, 7 fév. 1633. Il y en avait sans doute d’autres, qu’on n’a pas retrouvées.

Page 274, l. 9. — Descartes, venant de France, avait d’abord habité Franeker, dans la Frise orientale (avril-oct. 1629), puis Amsterdam jusqu’à la fin de mai 1632, enfin Deventer jusqu’à la fin de nov. 1633. Il venait seulement de rentrer à Amsterdam.

Page 274, l. 13. — La cour du prince d’Orange, Frédéric-Henri, où Wilhem fréquentait comme conseiller d’Etat.

LI.

Descartes a Stampioen.

[Amsterdam, fin i633.] Copie ms., Hambourg, Stadtbibl., Wolfs Briefesammlung, 90 Fol., p. 219.

Variantes du texte publie’en i8g6 par M. Grunwald, dans /’Archiv fur Geschichte der Philosophie, 77, , 3, p. 32g-33i, d’après la copie manuscrite qu’il déclare peu lisible et très fautive. Les changements que nous avons apportés à ce texte sont conjecturaux. — Quant à la date approximative, elle est indiquée par la mention du problème de Pappus (voir lettre XXXIX à Golius, de janvier i63a). Descartes ayant mis six semaines à le résoudre, c’est vers le commencement de décembre i63i que Golius doit le lui avoir proposé. La présente lettre étant écrite environ deux ans après, peut être placée vers la fin de i633.

Monfieur,

Encore que i’aye fort peu eftudié aus Mathématiques, & mefme que ie fuye les occafions de m’y exercer le plus qu’il m’eft poffible, a caufe du temps quelles emportent, toutefois i’ay creu eflre obligé

2 aux. — 4 m’eft] ni est. — 5 importent. — cru.

�� � �IO

��276 Correspondance.

d'examiner voftre queftion *, puifque vous aués pris la peine de me l'enuoyer tout exprès, & ie trouue que la proportion, qui eft entre le moindre coflé du triangle A B C & le plus grand, eft comme l'vnité a l'vne des deus racines qui peuuent eftre tirées de cete sequation :

(j X 4 2 X 3 -f X 2 2 X I =0]

En fuitte de quoy il eft ay fé de trouuer la quantité des

trois coftés de ce triangle, d'autant que, prenant B H efgal a B G & C I efgal a C F, le quarré de G F mul- tiplié par le quadruple de H D eft efgal au quarré de M N multiplié par B C + 2 G F. le ne détermine point plus precifement la valeur de cete racine, car encore que ie puifle fçauoir des règles générales & fuffifantes pour la trouuer, telle qu'elle puiffe eftre, toutefois pour ce que ie n'en fçache point qui ne foyent longues, principalement s'il eft queftion d'examiner û cete racine s'exprime par quelques binômes * ou autres nombres irrationaus, ie me difpenfe volontiers de ce trauail. Que fi pour- tant vous n'ef.es fatisfait fans cela, ie m'offre de 25

��i5

��20

��1 avez. — 5 deux. — 5-6 cete aequation] cote ex quatien . — 7 L'équation manque; elle a été restituée sous la forme moderne. — 8 suiête. — 14 HD] HB. —

��i5eft] et. — 16: 2GF] BF. — 17 valeur] volant. — 18 cete] ceste. — 24-25 fi pourtant] ce portant.

�� � LI. — Fin 16}}. 277

prendre a quelque iour le loifir de la chercher, ou bien de la faire chercher par quelqu'autre.

Mais puifque vous délires que ie vous propofe aufly quelque queflion, ie demande quel efl le dia- 5 mètre d'vne fphere creufe ou concaue, la plus petite qui fe puiffe trouuer dans laquelle foyent enfermées quatre autres fpheres, dont l'vne contiene vn cors folide qui ait 26 faces, a fçauoir 8 triangulaires & 18 quarrees, & que l'autre contiene vn autre cors

10 folide qui ait pour fes faces 20 triangles & 12 déca- gones , que la troifiefme en contiene vn qui ait 20 hexagones & 12 pentagones, & la quatriefme vn qui ait 20 triangles, jo quarrés & 12 pentagones*. Pour les collés de ces faces, tous ceus d'vn mefme

i5 cors font efgaus entre eus, & pour déterminer la proportion qui elt entre ceus des diuers cors, i'ay vn triangle dont les trois collés font l'vn a l'autre comme trois nombres rationaus, & outre ce, l'vn des angles eft aufly a l'angle droit comme vn nombre

20 a vn autre, et ie fçay qu'il ne fe peut trouuer d'autres tels triangles, c'ell a dire dont les trois collés & l'vn des angles fe puiffent exprimer par nombres ratio- naus, defquels la circonférence foit moindre que celle de celuy cy*.

z5 Cherchant combien les termes d'algebra, qui ex-

1 quelque iour] quels soure. — 11 vn] ou. — 12 sexagones.

— ou] au. — 3 desieres. — pro- — 14 d'vn] du. — i5 esgaux. — pofe] professe. — 4-5 diameter. eux. — 16 ceux de divers. —

— 6 enformees. — 7 quattre. — 18 outre ce] entre soi. — 22 ex- 8 : 8] les . — 9 : 18 omis dans une primer] primer. — 23 circomfe- lacune. ■ — que] qui. — 10 pour rance. — 25 Cherchant combien] fes] par ces.-— 10-1 1 decog [...?] Quant (Quérant?) comme.

�� � 278 Correspondance.

priment la racine du nombre figuré qui reprefente le cors compofé de 20 triangles & 12 pentagones* contienent d'vnités :

[Lequel eft nombre figuré comme 5, 12, 22 font nombres pentagonaus, et 3 x * ~ ' x font les termes 5 d'algebra qui expriment leurs racines, & ils contie- nent 6 vnités.]

Ores le collé de l'vn des cors infcrits ou contenus dans les quatre fpheres s'exprime par vn nombre en- tier qui contient autant d'vnités que ce nombre d'al- >° gebra qu'il faut chercher, et ceus des trois autres s'expriment par les mefmes nombres que les trois collés de ce triangle.

Il n'y a rien en tout cecy qui ne foit fimple ny qui aille iufques aus aequations cubiques. » 5

Si vous defirés vne queflion qui s'eflende plus loin, ie ne vous en fçaurois enuoyer de plus célèbre que celle qui a efté propofee a toute la pofterité par Pap- pus, et dont ie fus particulièrement auerti il y a en- uiron deus ans par Monfieur Golius, profeffeur a 20 Leyden. le la mettray icy aus mefmes termes que ie la conceu pour luy en 'la refponfe que ie luy en- uoyay, car il me femble que ceus de Pappus font plus obfcurs, & ie n'en ay pas le liure.

Au relie ie vous prie de croyre que ie ne vous 2 5 enuoye point ces quellions pour vous donner la peine

1 figuere. — 4-7 Cette incise 8 ores] ou. — 9 quattre. —

doit être une addition passée de 1 1 des omis. — 1 5 aux equa-

la marge dans le texte. — 4 Le- tions. — 19 fus] sus. — 24 ie]

quel eft] laquelle. — figuere. — ce (item ib la première fois). 5 pentagonaux. — — ~ ' y . —

�� � LI. — Fin \6))- 279

de les chercher, mais feulement pour fatisfaire a voftre defir, car eftant particulièrement affe&ionné aus Ma- thématiques, ie vous affure que toutes les perfonnes qui y excellent me font chères, & ie fuis,

Monfieur. . . .

Page 276, 1. 1. — Il est difficile de retrouver renoncé de cette question, l'équation à laquelle elle a conduit Descartes manquant dans le texte de la source, et la relation donnée plus bas ne pouvant avoir lieu avec les lettres qu'il présente. Mes corrections supposent la restitution suivante, qui, après diverses tentatives, m'a paru la seule admissible :

On propose de construire un triangle ABC rectangle en A, tel qu'en y inscrivant un carré, comme D E F G, le plus petit côté AC du triangle soit le double du côté du carré.

La relation indiquée plus loin (1. 11-16, dans le texte corrigé) se vérifie dès lors aisément, M N étant pris pour le diamètre du cercle inscrit au triangle F E C. Cette relation fait supposer qu'une autre condition était posée pour déterminer la valeur absolue des côtés du triangle, en se don- nant par exemple le diamètre M N. Descartes semble, d'autre part, avoir compliqué à plaisir la dite relation, comme il a fait pour les énoncés des questions qui suivent, dans le but de décourager Stampioen. (T).

P. 276, 1. 23. — Binôme, dans le langage mathématique de l'époque, signifie une somme d'un terme rationel et d'un radical du second degré.

Page 277, 1. i3. — A la différence du problème proposé par Stam- pioen, et qui conduisait à une équation du quatrième degré, celui qu'énonce ici Descartes est du second degré seulement, mais il nécessite des calculs considérables. Les quatre polyèdres qu'il s'agit tout d'abord d'inscrire dans des sphères sont choisis parmi les treize semi-réguliers d'Archimède, énumérés par Pappus, livre V, prop. 19 (p. 353 et suiv. de l'édition de Hultsch, Berlin, Weidmann, 1876). Ils avaient, au reste, en 1 633, déjà été étudiés par Kepler dans son Harmonice Mundi (Lintz, 1619, p. 62-65). — Ceux que prend Descartes sont le 5 e , le 9 e , le 8 e et le 1 1«.

Page 277, 1. 24. — Le triangle en question est simplement l'équilatéral ayant l'unité pour côté. Descartes propose donc (cf. p. 278, 1. 1 1-12) de prendre l'unité pour côté (arête) de trois des polyèdres semi-réguliers (le 5«, le 8« et le 1 1*).

Page 278, 1. 2. — D'après l'énoncé précédent (p. 277, 1. 10), Descartes aurait dû écrire ici décagones au lieu de pentagones ; mais dans ce pro-

1 sulement.

�� � blême composé à plaisir et dont il ne s’est évidemment pas donné la peine de faire les calculs, il aprobablement commis une inadvertance, en substituant ici le 7e polyèdre semi-régulier d'Archimède au 9e qu’il avait pris tout d’abord.

L’énoncé continue à être énigmatique, sans offrir de véritables difficultés mathématiques; est la formule algébrique qui, lorsqu’on donne successivement à x toutes les valeurs entières à partir de l’unité, engendre la suite des nombres dits pentagonaux. Par exemple, en faisant x = 4, on aura le nombre pentagonal 22. Inversement de l’équation : , on tirera 4 comme valeur de la racine x du pentagone 22.

Mettant en évidence le coefficient 1 de x dans la formule précitée, Descartes fait la somme arithmétique des coefficients du numérateur et du dénominateur. Il s’agit de procéder de même pour le nombre figuré qui représente un solide ayant pour faces 20 triangles et 12 pentagones de même coté ou racine x. La figuration de ce nombre peut se faire de différentes façons ; mais en conservant les principes suivis par les anciens pour la figuration des nombres polygones, on trouvera aisément la formule : 8x³ — 10 x² + 3 x. Le côté du polyèdre à inscrire dans la quatrième sphère serait donc 8 + 10 + 3 = 21.

On a ainsi quatre sphères déterminées par les côtés des polyèdres inscrits ; ces quatre sphères doivent maintenant être supposées en contact, chacune avec les trois autres, et il reste à calculer le rayon de la sphère qui les touche toutes les quatre en les enveloppant. Cette dernière question est la seule qui présente une difficulté sérieuse; Descartes, au reste, l’avait déjà envoyée à Mersenne (voir plus haut, p. 139, l. 13).

LII.

Descartes a Mersenne.

[Amsterdam, février 1634.]

Texte de Clerselier, tome II, lettre 80, p. 358-359.

Fragment que Clerselier a imprime comme début d’une lettre sans date, mais qui est de 1637; la distinction est faite sur l’exemplaire de l’Institut, par la note : « icy finit la lettre » en marge, p. 35 g, 1. 16. — Dans ce fragment (ou billet), Descartes répète à peu près, au sujet de la condamnation de Galilée, ce qu’il a écrit dans la lettre XLIX, et ignorant que Mersenne ne l’a pas reçue, il s’étonne du silence de son correspondant; « il y a desia plus de deux mois » qu’il

�� � ii, 358-35 9 - LU. — Février 16)4. 281

n’a reçu de ses nouvelles ; la dernière lettre qu’il ait de Mersenne est donc celle du 11 novembre i633 [p. 2~o, l. 2), et dès lors Descartes doit écrire vers le commencement de février 16S4. — Sur une diffi- culté qui subsiste néanmoins au sujet de ce fragment, voir le second alinéa de l’argument de la lettre suivante.

Mon Reuerend Père,

Encore que ie n’aye aucune chofe particulière à vous mander, toutesfois à caufe qu’il y a défia plus de deux mois que ie n’ay receu de vos nouuelles, i’ay

5 creu ne deuoir pas attendre plus long-temps à vous écrire; car û ie n’auois eu de trop longues preuues de la bonne volonté que vous me faites la faueur de me porter, pour auoir aucune occafion d’en douter, i’aurois quafi peur qu’elle ne fuft vn peu refroidie,

10 depuis que i’ay manqué à la promeffe que ie vous auois faite, de vous enuoyer quelque chofe de ma philofophie. Mais d’ailleurs la connoiffance que i’ay de voftre vertu, me fait efperer que vous n’aurez que meilleure opinion de moy, de voir que i’ay voulu

15 entierement fupprimer le Traitté que i’en auois fait, & perdre prefque tout mon trauail de quatre ans, pour rendre vne entiere obeïffance à l’Eglife, en ce qu’elle a deffendu l’opinion du mouuement de la terre. Et toutesfois, pour ce que ie n’ay point encore vû que

20 ny le Pape ny le Concile ayent ratifié cette defenfe, faite feulement par la Congrégation des Cardinaux eftablis pour la Cenfure des liures, ie ferois bien aife d’apprendre ce qu’on en tient maintenant en France, & fi leur authorité a efté fuffifante pour en faire vn ar-

25 ticle de foy. Ie me fuis laiffé dire, que les | Iefuites

25 Iefuites Inst., N. Clers.

Correspondance. 1. 36

�� � 282 Correspondance. h, 359.

auoient aidé à la condamnation de Galilée ; & tout le liure du P. Scheiner* montre allez qu’ils ne font pas de fes amis. Mais d’ailleurs les obferuations qui font dans ce liure, fourniffent tant de preuues, pour ofter au Soleil les mouuemens qu’on luy attribuë, que ie ne 5 fçaurois croire que le P. Scheiner mefme en fon ame ne croye l’opinion de Copernic * ; ce qui m’étonne de telle forte que ie n’en ofe écrire mon fentiment. Pour moy ie ne cherche que le repos & la tranquillité d’ef- prit, qui font des biens qui ne peuuent eftre poffedez 10 par ceux qui ont de l’animofité ou de l’ambition; & ie ne demeure pas cependant fans rien faire, mais ie ne penfe pour maintenant qu’à m’inftruire moy- mefme, & me iuge fort peu capable de feruir à inf- truire les autres, principalement ceux qui, ayant defia 15 acquis quelque credit par de fauffes opinions, auroient peut-eftre peur de le perdre, fi la vérité fe découuroit.

P. 282, 1. 2. — L’inimitié du P. Scheiner et de Galilée remontait à l’époque de la découverte des taches solaires ; Galilée l’avait faite en 1610. et dans un séjour qu’il fit à Rome au printemps de 161 1, il fit voir ces taches avec sa lunette : Scheiner, alors à Ingolstadt, en fut avisé par le P. Guldin, fit des observations et les publia au commencement de 161 2, sous le pseudonyme d’Apelles latens post tabellam, sans souffler mot de Galilée. Celui-ci, dans son Istoria e dimostra^ioni intorno aile Macchie Solari, 1 6 1 3, revendiqua hautement la priorité. S’il ne laissa pas alors percer le soupçon que le faux Apelle avait sciemment voulu lui dérober la gloire de la découverte, il l’en fit accuser plus tard par Mario Guiducci (Discorso délie Comète, 16 19, et Lettera al P. Tarquinio Gallu^i, 1620 : Opère di Galileo, éd. naz., t. VI, p. 48 et 188). Quoique Scheiner n’eût pas dévoilé son pseudonyme, Galilée était sans doute édifié à cet égard, au moins depuis les Disquisitiones mathematicœ de controversiis et novitatibus astronomicis, publiées à Ingolstadt en 1614 comme soute- nues par Locher sous la présidence de Scheiner.

2 et 6 Scheiner /«s/., N. Clers. — 17 le] la Clers.

�� � LU. — Février 1634. 28}

��Le livre dont parle Descartes est la Rosa Vrsina, sive Sol ex admirando facularitm et macularum suarum phœnomenovarius, neenon circa centrum suum et axem Jixum ab occasu in ortum annua, circaque alium axem mubilem ab ortu in occasum conversione quasi menstrua super polos pro- prios, libris quatuor mobilis ostensus a P. Christophoro Scheiner Ger- mano Suevo e societate Iesu ad Paulum Iordanum II Vrsinum Bracciani ducetn (Bracciani, apud Andream Phœum, impressio ccepta anno 1626. finita vero i63o Id. Iunii .

A l'époque du procès de Galilée, Scheiner était à Rome et le 2? fév. i633, il écrivait à Gassend : « Prodierunt nuper quatuor Dialogi Galilei » Italicè conscripti pro motu Terras Copernicano stabiliendo contra » communem Peripateticorum Scholam : ibi discerpsit meas Disquisi- ■» tiones Mathematicas, manus item violentas in Rosam Vrsinam. mo- » tumque Macularum Solarium et Solis annuum inijeil. Quid tibi videtur » de his? Multis non placet ista scriptio. Ego pro me et veritatc deten- » sionem paro. » {Gass. Op., VI, 408-9). C'est assez indiquer la position qu'il prit à ce moment; cependant l'ouvrage qu'il annonçait n'a paru qu'un an après sa mort, en i65i, sous le titre de Prodromus pro Sole mobili et terra stabili, contra academicum florentinum Galilœum à Galileis.

Galilée s'était attiré parmi les jésuites un autre ennemi, Horazio Grassi; mais les confrères de ce dernier ne l'avaient pas soutenu dans la polémique qu'il soutint contre Galilée sous le pseudonyme de Lothario Sarsi , le Collège Romain, comme corps, avait affecté la neutralité.

P. 282, 1. 7. — Le titre complet de la Rosa Vrsina, donné dans la note précédente, indique la complication des hypothèses auxquelles Scheiner avait dû recourir et justifie à lui seul la remarque de Descartes, comme aussi ce passage d'une lettre de Gassend à Scheiner, du 2 nov. 1 632. « Qua » Hypothesi explicas negotium, acutissima illa sanè : sed simplicior forte » ex annuo de Telluris motu depromeretur » (Gass. Op., VI, 54-55),

On lit de même dans une lettre de Peiresc à Gassend, du 6 sept. i633 : «... toutefois, le bon P. Athanase (Kircher), que nous avons veu passer » icy bien a la haste, ne se peust tenir de nous advouer, en présence du » P. Ferrand, que le P. Malapertius et le P. Clavius mesmes » (tous Jé- suites) « n'improuvoient nullement l'advis de Copernicus, ains ne s'en » esloignoient guieres, encore qu'on les eust pressez et obligez d'escrire » pour les communes suppositions d'Aristote; que le P. Scheiner mesme » ne suyvoit que par force et par obédience, aussy bien que luy. . . » {Lettres de Peiresc, IV, 354).

Kircher est malheureusement toujours sujet à caution, et en ce qui concerne Scheiner, son assertion ne mérite guère créance. Quant à l'illustre Clavius, après les découvertes de Galilée, il s'était de fait ouver- tement prononcé contre le système de Ptolémée, mais il faut observer qu'il mourut en 161 2, avant la condamnation de l'opinion de Copernic.

�� � 284 Correspondance.

Malapert avait, de son côté, quitté Rome avant cette condamnation et, en i633, il était mort depuis trois ans; son ouvrage posthume [Austriaca Sidéra heliocyclia astronomicis hypothesibus illigata, Douai, i633), prouve qu'il s'était rallié au système de Tycho-Brahé.

��LUI.

Descartes a Mersenne.

[Amsterdam, avril 1634.] Texte de Clerselier, tome II, lettre 76, p. 35i-354.

Cette lettre, sans date dans Clerselier, est certainement antérieure à la lettre LIV ci-après, qui est fixement datée du i5 mai 1634. On peut notamment le prouver en rapprochant la proposition, faite ici, d'une expérience à tenter avec une pièce de canon tirée vers le \énith (page 287, l. 7-20) et le renouvellement de cette proposi- tion dans la lettre du i5 mai. Il est clair qu'après avoir reçu la lettre LUI, Mersenne a fait tirer une arquebuse, dont la balle ne s'est pas retrouvée, et en a informé Descartes, qui répondit par la lettre LIV. L'intervalle entre les deux lettres semble donc avoir été au moins d'un mois; mais il est difficile d'admettre qu'il ait été sensi- blement plus considérable, le concours pour la chaire de Ramus (voir page 288, l. 25) se faisant d'ordinaire vers Pâques, et la décision de la commission, sur la proposition de Morin relative aux longi- tudes (pag. 28g, l. 2), ayant été prise le 3o mars 1634.

Mais si la présente lettre n'a été écrite qu'en avril, il est certain que son début donne lieu à une asse\ grave difficulté. Il n'y a eu qu'une lettre perdue en chemin, celle de novembre 1 633; Descartes répond immédiatement à une lettre de Mersenne qui lui apprenait cette perte; mais le Minime avait dû recevoir auparavant la lettre LU, et si Descartes pouvait tenir à lui répéter ce qu'il lui avait déjà écrit dans cette dernière, il est difficile de comprendre qu'il s'exprime comme s'il ne l'avait pas envoyée. L'avait-il donc retenue en fait, pour quelque motif que nous ne pouvons deviner? Ou bien avait-elle subi un tel retard que Descartes avait dû croire, en avril, quelle était également perdue? L'ambiguïté de l'expression « les dernières » (/. a) ne permet point de décider.

�� � «, 35i-35a. LUI. — Avril 1654. 285

Mon Reuerend Père,

I'apprens par les voftres que les dernières que ie vous auois écrites ont efté perdues, bien que ie les penfois auoir addreffées fort furement. le vous y 5 mandois tout au long la raifon qui m'empefchoit de vous enuoyer mon Traitté, laquelle ie ne doute point que vous ne trouuiez û légitime, que tant s'en faut que vous me blâmiez de ce que ie me refous à ne le faire iamais voir à perfonne, qu'au contraire vous fe-

10 riez le premier à m'y exhorter, û ie n'y eftois pas défia tout refolu. Vous fçauez fans doute que Galilée a eité repris depuis peu par les Inquifiteurs de la Foy, & que fon opinion touchant le mouuement de la Terre a efté condamnée comme hérétique. Or ie vous diray

i5 que toutes les chofes que i'expliquois en mon Traitté, entre lefquelles efloit aufli cette opinion du mouue- ment de la Terre, dépendoient tellement les vnes des autres, que c'eft allez de fçauoir qu'il y en ait vne qui foit fauffe, pour connoiftre que toutes les raifons

ao dont ie me feruois n'ont point | de force ; et quoy que ie penfaffe qu'elles fuffent appuyées fur des démons- trations très-certaines, & tres-éuidentes, ie ne vou- drois toutesfois pour rien du monde les fouftenir contre l'authorité de l'Eglife. le fçay bien qu'on pour-

25 roit dire que tout ce que les Inquifiteurs de Rome ont décidé, n'eft pas incontinent article de foy pour cela, & qu'il faut premièrement que le Concile y ait paflé. Mais ie ne fuis point fi amoureux de mes pen- fées, que de me vouloir feruir de telles exceptions,

3o pour auoir moyen de les maintenir; & le defir que i'ay

�� � de viure en repos & de continuer la vie que i’ay commencée en prenant pour ma deuiſe : benè vixit, benè qui latuit[72], fait que ie ſuis plus aiſe d’eſtre deliuré de la crainte que i’auois d’acquerir plus de connoiſſances que ie ne deſire, par le moyen de mon Ecrit, 5 que ie ne ſuis faſché d’auoir perdu le temps & la peine que i’ay employée à le compoſer.

Pour les raiſons que diſent vos muſiciens, qui nient les proportions des conſonances, ie les trouue ſi abſurdes, que ie ne ſçaurois quaſi plus y répondre. 10 Car de dire qu’on ne ſçauroit diſtinguer de l’oreille la difference qui eſt entre vne octaue & trois ditons, c’eſt tout de meſme que qui diroit que toutes les proportions que les architectes preſcriuent touchant leurs colomnes, ſont inutiles, à cauſe qu’elles ne 15 laiſſent pas de paroiſtre à l’œil tout auſſi belles, encore qu’il manque quelque millieſme partie de leur iuſteſſe. Et meſme ſi M. M. viuoit encore, il pourroit bien témoigner que la difference qui eſt entre les demy-tons majeur & mineur, eſt fort ſenſible ; car 20 aprés que ie luy eus vne fois fait remarquer, il diſoit ne pouuoir plus ſouffrir les accords où elle n’eſtoit pas obſeruée. Ie ſerois bien aiſe de voir la Muſique de cet Autheur, où vous dites qu’il pratique les diſſonances en tant de nouuelles façons, & ie vous prie 25 de m’en écrire le nom, afin que ie puiſſe faire venir ſon liure par nos libraires.

Pour la cauſe qui fait ceſſer le mouuement d’vne pierre qu’on a iettée, elle eſt manifeſte ; car c’eſt la reſiſtance du cors de l’air, laquelle eſt fort ſenſible. 30 Mais | la raifon de ce qu’vn arc retourne eftant courbé eft plus difficile, & ie iie la puis expliquer fans les principes de ma Philofophie, defquels ie penfe eftre obligé dorefnauant de me taire.

5 II a couru icy quelque bruit qu’il auoit depuis peu paru vne Cornette ; ie vous prie, ïi vous en auez oùy quelque chofe, de me le mander. Et pour ce que vous m’auez autresfois efcrit que vous connoiffiez des per- sonnes qui me pourroient aider à faire les expériences

10 que ie defirerois, ie vous diray que i’en lifois derniè- rement vne dans les Récréations Mathématiques*, que ie voudrois bien que quelques curieux, qui en pour- roient auoir la commodité, entrepriflent de faire exactement, auec vne grofle pièce de canon pointée

i5 tout droit vers le zénith, au milieu de quelque plaine. Car l’Autheur dit que cela a défia efté expérimenté plufieurs fois, fans que la baie foit retombée en terre ; ce qui peut fembler fort incroyable à plufieurs, mais ie ne le iuge pas impoffible, & ie croy que c’eft

20 vne chofe tres-digne d’eftre examinée.

Pour les expériences que vous me mandez de Galilée*,

ie les nie toutes, & ie ne iuge pas pour cela que 

le mouuement de la terre en foit moins probable. Ce n’eft pas que ie n’auouë que l’agitation d’vn cha-

25 riot, d’vn bateau ou d’vn cheual, ne demeure encore

en quelque façon en la pierre, après qu’on l’a iettée

eftant deftus ; mais il y a d’autres raifons qui empef-

chent qu’elle n’y demeure û grande. Et pour le boulet

. de canon tiré du haut d’vne tour, il doit eftre beau-

3o coup plus long-temps à defcendre que fi on le laiffoit tomber de haut en bas ; car il rencontre plus d’air en 288 Correspondance. 11,353-354.

fon chemin , lequel ne l'empefche pas feulement d'aller parallèlement à l'Horizon, mais auffi de def- cendre.

Pour le Mouuement de la Terre, ie m'eftonne qu'vn homme d'Eglife* en ofe efcrire, en quelque façon 5 qu'il s'excufe; car i'ay veu vne Patente fur la con- damnation de Galilée, imprimée à Liège le 20 Sep- tembre làjj, où font ces mots : quamuis hypotheticè à fe illam proponi Jlmularet *, en forte qu'ils femblent mefme deffendre qu'on fe férue de cette hypothefe 10 en l'Aftronomie ; ce qui me retient que ie n'ofe luy mander aucune de mes penfées fur ce fujet; auffi j que ne voyant point encore que cette Cenfure ait efté authorifée par le Pape, ny par le Concile, mais feule- ment par vne Congrégation particulière des Cardi- i5 naux Inquifiteurs *, ie ne perds pas tout à fait efpe- rance qu'il n'en arriue ainfi que des Antipodes, qui auoient efté quafi en mefme forte condamnez autres- fois*, et ainfi que mon Monde ne puiffe voir le iour auec le temps ; auquel cas i'auray befoin moy-mefme 20 de me feruir de mes raifons.

Pour vos Muficiens, tant habiles que vous les faffiez, i'ay à vous dire derechef, qu'il eft certain ou qu'ils fe mocquent, ou bien qu'ils n'ont iamais rien compris en la Théorie 8 de la Mufique. Pour le Candi- a5 datus de la chaire de Ramus*, ie voudrois bien qu'on luy euft propofé quelque queftion vn peu plus difficile, pour voir s'il en aurait pu venir à bout : comme par exemple celle de Pappus, qui me fuft pro- pofée il y a prés de trois ans par M. Gol(ius), ou quel- 3o

a. Théologie Clers.

�� � ", 35 4 . LUI. — Avril 16^4. 289

qu'autre femblable. l'apprendrai volontiers l'hiftoire des Longitudes de M. Morin*, & s'il eft capable de mettre l'Aftrologie en quelque eftime parmy les gens de Cour. le vous prie de me tenir en vos bonnes grâces, & de me croire,

Page 286, 1. 10. — L'expression « quasi plus y répondre » ne doit pro- bablement pas faire supposer que Descartes continue ici une discussion commencée dans une lettre immédiatement antérieure et qui serait perdue. Elle peut même se référer simplement à un débat du temps où Descartes était encore à Paris. Mersenne venait sans doute de lui envoyer ses Questions Harmoniques (Paris,' Villery, 1634; achevé d'imprimer I er déc. i633).*Dans la Question II (p. 80-84) : " -^ sçauoir si la Musique » est vne science, et si elle a des principes certains et évidens, » il est dit « . . . l'on n'a pas encore démontré que la raison de la quinte soit de » 3 à 2, et l'on rencontre d'excellens Géomètres qui composent très bien » en Musique, qui nient toutes les raisons des consonances et des dis- » sonances que les Pythagoriciens, Euclide, Ptolemée, Boece, Zarlin, Sali- » nas et les autres ont expliquées, et qui croyent que les raisons de tous les » degrez et interualles sont inexplicables, ou sourdes et irrationelles ; car > ils maintiennent que tous les tons et les demy-tons sont égaux : que trois » ditons font l'octaue iuste; que la quinte superflue n'est point différente » de la sexte mineure ; que la fausse quinte et le triton sont vne mesme » chose; que la pratique et la composition de la Musique est beaucoup » meilleure ou plus aisée en suiuant l'égalité des tons et des demy-tons » qu'en vsant de la théorie qui met leur inégalité; et finalement que les » consonances et les degrez qui se font sur les luths, les violes et les » autres instrumens, et quant et quant que les oreilles, tesmoignent ceste » égalité. » Suit un long Discours sceptique sur la Musique (p. 84- ro6), adressé à Mersenne par La Mothe le Vayer, comme le confirme une lettre de Gassend à Peiresc du 9 mars 1634. (Lettres de Peiresc, i8 9 3, t. IV, p. 472.)

P. 287, 1. 11. — Les Récréations Mathématiques sont un ouvrage paru à Bar-le-Duc en 1624, sous le pseudonyme de Van Etten, et dont l'auteur est le jésuite Jean Leurechon. Cet ouvrage avait eu un grand succès, et Mydorge, en i63o, avait publié un Examen du livre des Récréations Mathématiques et de ses problèmes. Il esta peine utile de remarquer que si l'expérience avait été réellement faite, on aurait observé une chute du projectile avec déviation vers l'est, par suite du mouvement de rotation de la terre. — Sur les offres d'expériences, voir plus haut, p. 25 1, 1. i5.

Page 287, 1. 22. — La négation de Descartes semble porter moins contre le principe de l'indépendance de l'effet de la pesanteur et du mouvement Correspondance. I. 37

�� � 290 Correspondance.

antérieurement acquis, développé par Galilée dans son dialogue des Mas* simi Sistemi, que contre l'exactitude des expériences invoquées pour le vérifier. Théoriquement, en effet, il faut tenir compte de la résistance du milieu : nous avons déjà vu (note de la page y5) comment cette considé- ration avait écarté Descartes de la voie où il s'était d'abord engagé, tandis que Galilée l'avait heureusement poursuivie jusqu'au bout.

Page 288, 1. 5. — Probablement Ismaël Boulliau qui, en 1639, fit imprimer à Amsterdam, chez les Blaeu, son ouvrage anonyme : Philolai sive dissertationis de vero mundi systemate libri IV, et publia plus tard sous son nom YAstronomia philolaica (Paris, Siméon Piget, 1645). Dans une lettre à Gassend, datée de Paris le 21 juin i633, il se déclare nette- ment pour Galilée et se refuse à admettre qu'il puisse être condamné : « Nunquam persuasum habeo Papam ad ea qua; ad Fidem non perti- » nent, clauium potentiam extendere velle. » (Gass. Op., VI, 412). — Ce- pendant, en dehors de Boulliau, on peut penser soità Mersenne lui-même, soit à Campanella (voir ci-après la dernière note sur la lettre LXI), soit encore à Wendelin (voir Monchamp, Galilée et la Belgique, Saint-Trond, 1892, p. 1 63 et suiv.). Ce dernier avait écrit à Mersenne le i5 juin i633 tBibl.nat.fr. n. a. Ô2o5,p.2o) :«Casterùm cum eodem illo pâtre » [Linns] » simul hoc agebam cuius non sine horrore admonuisti nos heri, dum » Galilaei tantum non perniciem suggessisti (et is propter solam istam » opinionem tantum periculi inuenit?). Loxiam meum denuô ac in tri- » plum auctiorem proditurum ostendebam obseruationibus longe pluri- » bus, ijsque antiquissimis instructiorem, obiterque de Motu Telluris » (cuius me assertorem professus semper sum etiam coram Eminentis- » simo Cardinali de Balneo) verba faciebam, confirmando ex ipsis Sacris » sacras linguse disertis oraculis, nisi et festinatio discessus et simul Gali- » lœi recordatio me râpèrent, tibi antequam quidquam edam, hîc com- » municandis. »

Page 288, 1. 9. — Le texte complet de cette patente, dont Descartes donnera dans sa lettre à Mersenne, du 14 août 1634, un extrait plus étendu, a été édité par l'abbé G. Monchamp (Notification de la condam- nation de Galilée, datée de Liège, 20 septembre i633, publiée par le nonce de Cologne dans les pays rhénans et la Basse- Allemagne, Cologne et S'-Trond, 1893, p. 14-18). Ce nonce s'appelait Pierre-Louis Carafa, évêque de Tricarico.

Page 288, 1. 16. — Boulliau écrivit de même à Mersenne, le 16 déc. 1644, à propos de VAntiphilolaus de Chiaramonti (Césène, 1643) : « I'ay » esté estonné de ce qu'il allègue contre moy vne bulle dont iamais on » n'a ouy parler en France, que Messieurs les Nonces du Saint-Siège » n'ont point signifiée a Messieurs nos Prélats ny a la Faculté de Theo- » logie. le ne sçay ce que c'est; peut estre que la chose regarde particu- » lierement l'Italie et non toute la Chrestienté, puisque de la part du » Saint-Siège on n'en a point eu de notification ; sans doubte qu'on

�� � aura iugé qu’il n’estoit point a propos. » (Bibl. Nat. fr. n. a., 6205, p. 229).

Page 288, l. 19. — Condamnation en 745 de Virgile, évêque de Salzbourg, par le pape Zacharie. On peut voir à ce sujet les réflexions de Boulliau dans sa lettre à Gassend du 21 juin 1633 (Gass. Op., VI, 412).

Page 288, l. 26. — D’après le testament de Ramus, la chaire de mathématiques qu’il avait fondée (au Collège de France) se donnait tous les trois ans au concours. Les candidats, pendant sept jours consécutifs, devaient faire des leçons d’une heure ; le huitième jour, ils devaient répondre aux objections, résoudre les problèmes ou démontrer les théorèmes proposés par tout venant. En 1634, la chaire, fut donnée à Gilles Personnier de Roberval, qui devait la garder jusqu’à sa mort en 1675.

Page 289, l. 2. — Le problème de la détermination des longitudes en mer, qui n’a été résolu pratiquement que par la construction des montres marines, était depuis déjà assez longtemps à l’ordre du jour. Le gouvernement espagnol, puis celui des Pays-Bas, avaient proposé des récompenses considérables à qui parviendrait à résoudre ce problème. Richelieu les imita, et J.-B. Morin, professeur royal de mathématiques (au Collège de France), ayant proposé un système, une commission fut nommée pour l’examiner et, le 30 mars 1634, prit une décision défavorable. La méthode de Morin, fondée sur l’observation de la Lune, était de fait très satisfaisante en théorie, mais pratiquement inapplicable par suite de l’imperfection des tables de la Lune ; elle avait d’ailleurs déjà été proposée par Gemma Frisius et Kepler. Morin protesta vivement, et tout d’abord par un petit in-4o, intitulé : Lettres escrites au Sr Morin par les plus celebres Astronomes de France approuuans son inuention des longitudes, contre la derniere sentence renduë sur ce subject par les Sieurs Pascal, Mydorge, Beaugrand, Boulanger et Herigone, commissaires deputez pour en iuger, etc. (Paris, Morin et Libert, 1635). On y trouve des extraits de Lettres de Jacques de Valois, de Gaultier, prieur de la Valette, et de Gassend. Morin fut dédommagé au reste par des largesses de Richelieu, et il paraît réellement avoir mis l’astrologie en quelque estime à la cour de Louis XIII.
292 Correspondance. u, 498.

LIV.

Descartes a Mersenne.

Amsterdam, i5 mai 1634. Autographe, Bibliothèque de l'Institut.

Variantes du texte de Clerselier, tome II, lettre 106, p. 498S oS. — L'original est le n° 8 de la collection Lahire, le n" 4 du classe- ment de dom Poirier, dont le n" 3 était la Lettre XLVII1.

Mon Reuerend Père,

La perte des lettres que ie vous auois efcrites vers la fin du mois de Nouembre", me fait croyre quelles ont efté retenues exprés par quelque curieus qui a trouué moyen de les tirer du meflager & qui fçauoit peut- 5 eftre que i'auois eu deffein de vous enuoyer mon traité enuiron ce tems la, en forte que û ie l'eufle enuoyé, il auroit efté en grand hafard deftre perdu. Il me fouuient aulfy que i'auois manqué auparauant de receuoir 4 ou 5 de vos lettres, ce qui nous doit 10 auertir de ne rien efcrire que nous ne veuillions bien que tout le monde fçache, & en cas que nos lettres fuiTent de quelque importance, il faudroit les en- uoyer dans le pacquet d'vn marchand, car ceus qui les retienent connoiflent fans doute nos efcritures. le i5 demeure maintenent icy a Amflerdam, d'où i'auray moyen de receuoir plus fouuant & peut-eftre plus feurement de vos nouuelles que lorfque i'eftois a

a. La lettre XLIX ci-avant ; voir l'argument, p. 270.

�� � II, 498-499-

��LIV. — 15 Mai 16^4.

��293

��10

��i5

��20

��25

��Deuenter, & ie vous prie, fi toit que vous aurés receu celles cy, de vouloir prendre la peine de me faire refponfe, affin que ie fçache fi elles n'auront point eité perdues.

le vous remercie de l'expérience que vous aués fait faire auec vne arquebuze 3 , mais ie ne la iuge point fufîifante pour en tirer quelque chofe de cer- tain, n'eftoit qu'on la fiit auec vne grande pièce de batterie qui portait vne baie de fer de 2,0 a 40 Hures, car le fer ne fe fond pas fi ayfement comme le plomb, & vne baie de cete grofleur feroit ayfee a trouuer en cas qu'elle tombait.

Or afîin de faire cete expérience bien exade, il faudroit tellement planter la pièce qu'elle ne puft reculer que perpendiculairement de hault en bas, & a cet ef|fedil faudroit faire une foiTe au deiTous d'elle & la tenir fufpendue en l'aer entre 2 an- neaus ou cercles de fer, par le moyen de quelques contrepois aiTés pefans. Comme, fi la pièce eft A I B, les anneaus F & G, le plan de la terre fur laquelle ilz font appuies D E, la

foiTe C, les, contrepoids L L, qui fouftienent la pièce par le moyen des chordes I K L, paifees autour des

9 a] ou. — 10 comme] que. — 25 laquelle, a. Voir lettre LUI, p. 287, 1. 10.

��� � 294 Correspondance. ii, 499-500.

poulies K K, en forte que, reculant de B vers C, les contrepois foyent contrains de fe hauffer. A quoy il y a bien plus de façon qu'a tirer Amplement des coups d'harquebufe.

Pour vos queflions, ie veus bien tafcher d'y ref- 5 pondre autant que i'en pourray élire capable, affin de vous conuier d'autant plus a m'excufer de ce que ie ne vous ay pu tenir promeffe en autre chofe.

Premièrement donc 2 , pour la caufe de l'arc qui re- tourne, il fault confïderer qu'il y a plufieurs pores en 10 tous les cors que nous voyons, & que ces pores ne font pas vuides, mais remplis d'vne certaine matière très fubtile qui ne peut eftre veue, & qui fe meut toufiours grandement vifle, en forte qu'elle paffe faci- lement au trauers de ces pores, en mefme façon que i5 l'eau d'vne riuiere au trauers des trous d'vne naffe ou d'vn panier. Et cela pofé, il eft ayfé a entendre que les cors qui retournent eftans plies, font ceus dont les pores fe changent en telle façon lorfqu'on les plie, que cete matière fubtile ne peut plus fi facilement paffer 20 au trauers qu'auparauant ; d'où vient qu'elle fait effort pour les remettre en leur | premier eftat, & cecy peut arriuer en plufieurs façons : Comme, fi on imagine que les pores d'vn arc qui n'eft point bandé font auffy larges a l'entrée qu'a la fortie, & qu'en le bandant, on 2 5 les rend plus eftroits a la fortie, il eft certain que la matière fubtile, qui entre dedans par le cofté le plus large, fait effort pour en reflbrtir par l'autre cofté qui

25 qu'en les bandant, a. Voir p. 287, 1. 1.

�� � ii,5oo. LIV. — if Mai 1634. 295

eft plus eftroit. Et tout de raefme, fi on imagine que les pores de cet arc eftoient rons auant qu'il fuft plié, mais qu'apprés ilz font en ouale, & que les parties de la matière fubtile qui doiuent paffer au trauers font

5 rondes aufly, il eft euident que lorfqu'elles fe pré- sentent pour entrer en ces trous ouales, elles font effort pour les rendre rons & par confequent pour redrefTer l'arc, d'autant que l'vn dépend de l'autre. Mais fi ie voulois prouuer exactement que cete ma-

10 tiere fubtile fe trouue ainfy parmi les autres cors, & qu'elle fe meut auec affés de force pour caufer vn effect. fi violent, il faudroit que i'expliquaffe toute ma Phyfique.

Pour vos Muficiens 3 qui nient qu'il y ait de la dif-

i5 ference entre les demitons, c'efl ou par defir de con- tredire, ou parce qu'ilz ignorent le moyen d'en examiner la vérité; mais fi i'eftois auprès d'eus, i'oferois bien entreprendre de leur faire auouer, s'ils n'auoient l'oreille extrêmement dure. Qu'ilz marquent

20 feulement vne fexte mineur AC, BC fur vn mono-

A d eb C

��chorde, la plus iufte qu'ilz pourront, & par apprés qu'ilz y prenent auffy deus tierces maieurs confequutiues AC, D C & DC, EC ; & ie m'afîure qu'encore que les deus tierces contienent huit demis tons aufTy bien que 2 5 la 6, toutefois le point E ne fera pas du tout fi auancé

1 fi l'on. — 22 prenent] mettent. — 25 lise^ la fexte. a. Voir Lettre LUI, p. 286, 1. S

�� � 296 Correspondance. h, 500-501.

vers C que le point B, & l'interualle E B eft la diffé- rence des demitons.

Quand a la difficulté que vous propofés, pour prouuer que les confonances ne dépendent point des tremblemens de l'aer, qui battent l'oreille félon cer- 5 taines proportions, elle (vient de ce que vous con- fiderés ces tremblemens comme û la chorde A B,

par exemple, alloit en ligne

a-, - s droite depuis C iufques a D,

"d " puis de la qu'elle retournaft 10

c aufly en ligne droite depuis

1 ■ """ """-- _ v. D iufques a C, au lieu qu'il " " h "" fault penfer qu'elle va circu-

lairement autour du point I, & ainfy qu'elle n'eft point dauantage au commencement de ces tours & i5 retours, eftant en vn lieu qu'eftant en vn autre, & que la chorde E F, qui lui eft a l'vnifon, ne laifle pas de mouuoir l'aer de mefme viteffe qu'elle, encore qu'elle foit tirée de G vers H , au mefme inftant que A B eft au point D pour aller vers C ; & c'eft la viteffe 20 dont tout le cors de l'aer eft ainfy esbranlé qui fait que les petites fecouffes dont il frappe l'oreille font plus ou moins fréquentes & par confequent rendent vn fon plus ou moins aygu, & non point le tems auquel on a commencé a mouuoir les chordes A B 25 &EF.

Pour les differens tons qui vienent d'vne mefme chorde en mefme tems, ie n'en fçache autre chofe finon ce que ie penfe vous en auoir défia efcrit par

28-29 fçnche. . . en auoir] fçay point d'autre caufe, finon celle que ie penfe vous auoir.

�� � h, 5oi-5o2. LIV. — if Mai 163.4. 297

cy deuant, a fçauoir que pendant que la chorde A B fe meut toute entière de C vers D, fes parties peu- uent auoir quelques autres mouuemens moins fen- fibles qui, rencontrans défia tout le cors de l'aer 5 esbranlé félon certaine viteffe par le mouuement principal de cete chorde, ne peuuent que doubler ou tripler ou quadrupler ou quintupler les battemens qu'il caufe dans l'oreille, & ainfy font entendre l'oftaue, la 12, la 15, ou la 17. Ce qui peut auffy

10 s'attribuer au cors de l'aer : a fçauoir qu'eftant meu tout entier de certaine façon par cete chorde, fes parties redoublent ou triplent etc. leurs mouuemens, & fi cela eft, ces diuerfes refonances fe doiuent beau- coup mieus apperceuoir en tems fec qu'en tems

i5 de pluie; mais ie ne iuge point qu'il y ait | rien en cecy qui vaille la peine que vous vous en feruiés en quelque traité; toutefois vous aués pouuoir d'en faire ce qu'il vous plaira; ie vous prie feulement que ce foit fans faire mention de mon nom.

20 II eft certain que la mefme baie, eilant pouffee de mefme viteffe, doit auffy continuer fon mouuement en mefme forte, encore qu'vne fois elle foit pouffee auec vn piflolet & l'autre fois auec vn arbalefte ou vne fonde, fi ce n'eft en tant que le vent de la poudre

25 a canon y caufe de la différence.

Si on iette vne baie perpendiculairement de bas en hault, le mouuement imprimé en elle par cete adion finira au moment qu'elle commencera de re- defcendre; mais fi on la iette vn peu a cofté du Zenith

9 lise\ douziefme... quin- — 23 vne arbalefte. — 24 fronde, ziefme... dix-feptiefme — ou] et. — 26 Si l'on.

Correspondance. I. 38

�� � ��i de A. — 2 vne ligne courbe. - 3 vne ligne droite. — 5 juf-

a. Voir Lettre LUI, p. 289, 1. 2.

b. Voir p. 288, 1. 5.

��qu'à terre. — 11- 12 de A (deux fois). — 17 fe (sic).

��10

��298 Correspondance. îi, 502-503.

comme d'A vers B, & qu'elle redefcende fuiuant la ligne B C D, en forte que B C foit ligne courbe & C D ligne droite, il ne finira qu'au point C, & fi toute la ligne B C D efl courbe, il ne finira point iufques a terre.

Et fi vous poufles vne baie de hault en bas, fon mouuement imprimé par voftre aélion ne finira point qu'elle ne foit du tout areflee par la terre ou qu'elle n'ait palTé bien loin au delà de fon centre.

Vne baie iettee d'à en c & d'à en e defcrit bien deus lignes a b c & a d e qui font de mefme genre, mais non pas pour cela toutes fem- '5 blables ny de mefme efpece, & ie n'ay encore iamais examiné quelles lignes fe peuuent élire *.

le feray bien ayfe d'entendre l'hiftoire de M r . Mo- rin a , & puifque vous aués vu le Hure de Galilée, ie 20 vous prie auffy de me mander ce qu'il contient & quelz vous iugés | auoir elle les motifs de fa con- demnation. le vous prie aufly me mander le nom de ce traité que vous dites auoir eflé fait depuis par vn ecclefiaftique b pour prouuer le mouuement 25 de la terre, au moins s'il eïl imprimé, & s'il ne l'efl pas, ie pourrois peut élire bien donner quel-

�� � ». 5o3. LIV. — 15 Mai 1634. 299

que auis a l'autheur qui ne luy feroit pas inutile. le fuis,

Mon Reuerend Père,

Voftre très humble & très affectionné feruiteur,

DESCARTES.

D'Amfterdam, ce 1 f May 16^4.

logé chés M r . Thomas Sergeant in den Wefterkerck ftraet 10 ou vous adreflerés, s'il vous plaift, vos lettres.

Au Reuerend Père Le Père Marin Mercene Religieus de l'ordre des Minimes en leur Couuent de la place 1 5 Royalle

A Paris.

��Page 298, 1. 17. — Les quatre alinéas qui commencent p. 297, 1. 20, se rapportent aux questions relevées par Mersenne dans le dialogue des Massimi Sistemi de Galilée [Voir Lettre LUI, p. 287, 1. 22). Le second montre bien que Descartes a une idée très nette du principe de l'indépen- dance des effets des forces et du mouvement antérieurement acquis; mais il paraît ici admettre comme possible que la résistance du milieu anéan- tisse complètement la vitesse d'impulsion, alors qu'il a démontré le con- traire contre Beeckman (Lettre XVI, p. 90 à 94). — Pour la trajectoire des projectiles, Galilée avait seulement indiqué qu'il possédait la solution du problème.

2 le fuis] derniers mots de Clers.

�� � 2 oo Correspondance. h, 36j.

��LV.

��Descartes a Reneri.

[Amsterdam,] 2 juillet i63 r 4]. Copie Ms., Hambourg, Stadtbibliothek.

Tirée de la Wolfs-Briefesammlung, vol. 28, p. 3g, et publiée dans /'Archiv fur Geschichte der Philosophie, i8g6, p. 32j-32g, avec la date de i63j. Mais le dernier chiffre manque dans le Ms., où on ne trouve que i63. Reneri est qualifié de Professeur en Philosophie à Utrecht; or sa nomination date du 18 juin 1634, et il mourut en mars i63g. On a donc le choix de 1634a i638 inclus. Peut-être convient-il de rapprocher cette lettre le plus possible de la lettre sem- blable du 2 juin i63i (Lettre XXXIV ci-avant, p. 20S), et de la mettre le 2 juillet 1634. Reneri, aussitôt arrivé à Utrecht, aura voulu enseigner tout d'abord des nouveautés, et il aura écrit à Des- cartes, afin de se les remettre en mémoire. En i635, qu'avait-il besoin d'écrire? Descartes était auprès de lui à Utrecht. En i636, l'aurait- il dérangé de ses occupations à Leyde, où il faisait impri- mer? En i63j, Descartes aurait dit un mot de son livre récemment paru. En i638? Reneri n'aurait pas attendu jusque-là pour se ren- seigner sur une question de cette importance. Enfin le même texte, publié par Clerselier, sans nom ni date, avec quelques variantes (tome H, lettre 81, p. 36 2-363), est joint à un fragment, qui forme une autre lettre, à Huygens, de décembre i635 (Lettre LXV ci- après), les deux minutes, qui se trouvaient ensemble, ayant sans doute été écrites en 1 634 e * ! 635.

Monfieur,

le ne doute point que vous ne puiffiez rendre rai- fon beaucoup mieux que moy de ce que l'eau qui eft dans Tinflrument ABCD ne defcend point par le

4 l'inftTument ABCD], que vous m'auez décrit, aj.

�� � 11,362-363. LV. — 2 Juillet 162.4. joi

trou D. Mais puis qu'il vous plaift fçauoir comment ie penfe le pouuoir expliquer, ie vous diray que premiè- rement il faut confiderer qu'il n'y a point de vuide en la nature, & que par confequent lors qu'vn cors fe 5 meut, il doit neceffairement entrer en la place de quelque autre, de laquelle celuy qui en efl chafle, doit au mefme inftant occuper celle d'vn autre, & celuy-cy derechef celle d'vn autre, et ainfy de fuite, iufques a ce que le dernier occupe la place qui eft

10 laiffee par le premier, de façon que tous les mouue- mens qui fe font | au monde font en quelque façon cir- culaires. En fuite de quoy, pour fçauoir fi quelque cors fe peut mouuoir ou non il faut prendre garde a ce qui doit arriuer en tout le cercle de fon mouue-

1 5 ment, en cas qu'il fe meuue. Comme icy par exemple, fi la goutte d'eau qui eft vers D defcendoit, il faut prendre garde que non feulement cete goutte d'eau deuroit entrer en la place de l'air qui eft au deflbus,

20 mais en fuite qu'vne partie de cet air, aufly groffe qu'elle, deuroit en- trer en la place de la fuperficie de |^^ 15.^-V l'eau qui eft dans le vaze A, pource quelle doit neceffairement paffer par là, pour faire le

25 cercle de ce mouuement; & que cete eau de la fuper-

1-2 fçauoir... expliquer] enten- 8 d'vne autre.— - iode façon] en

dre la mienne. — 2-3 première- forte. — 18 cete goutte d'eau]

ment il faut confiderer] ie con- cette eau. — 18 et 21-22 entrer

fidere premièrement. — 6 quel- en] occuper. — 21 qu'elle] que

que autre] quelques autres. — cette goutte d'eau. — 24 faire]

de laquelle... chalfé] & que parfaire, celuy-cy en eitant chaifé. — 7 et

��� � 10

��} 02 Correspondance. h, 363.

ficie du vaze deuroit occuper la place d'vne autre goutte d'eau, & celle-cy d'vne autre, en montant le long du tuyau ABC, iufques a ce que la dernière occupaft la place qui feroit laiffée par la première, vers D. Mais pource que la fuperficie de l'eau, qui eft dans le vaze A, eft fuppofée plus baffe que l'ouuerture D, fi cela fe faifoit : i° il y auroit plus grande quan- tité d'eau qui monteroit depuis A iufques a B, qu'il n'y en auroit qui defcendift depuis B iufques a D. C'eft pour quoy il ne fe fait pas. 2° Et toute l'eau qui eft dans la capacité du vaze C, ne preffe point du tout celle qui eft vers le trou D, car chafque partie de cete eau eft appuiée fur la partie du fonds de ce vaze qui eft directement au deffous d'elle.

le n'en efcris pas dauantage, car ie m'endors & ie > 5 fuis, Moniteur,

Voftre très humble & très affectionné feruiteur,

\ DESCARTES.

Du 2 Iuillet 163.. 20

A Monfieur Reineri, profeffeur en philofophie

A Vtrecht.

1 du vaze] de ce vafe. — 4 la après iufques a D. — 10 : 2 ont. première] celle qui eft. — 7 : i°] — i3 du fonds om. — 14 d'elle] om. — 9 qui defcendift, transp. dernier mot de Clerselier.

�� � h- 354. LVI. — 14 Août 1654. }0)

LVl.

Descartes a Mersenne.

Amsterdam, 14 août 1634. Autographe, Bibliothèque Victor Cousin, N" 10.

Une demi-feuille, grand format ; au recto, la lettre (38 lignes et demie, sans V en-tête, la signature, etc.); au verso, l'adresse (comme plus haut, p. 2gg) et trois cachets rouges avec R et C entrelacés. Sur la première page, en bas et à gauche, g c, c'est-à-dire la g' de la collection La Hire, ce qui confirme une note ms. de l'exem- plaire de l'Institut. Dans le classement de dont Poirier, c'est le n° 5 . — Variantes tirées de Clerselier, tome II, lettre 77, p. 354-355.

Mon Reuerend Père,

le commençois a eftre en peine de ne point rece- uoir de vos nouuelles, & ie penfois que vous fuffiés fi empefché a l'imprefiion du liure dont vous m'auiés cy deuant efcrit 3 , que cela vous en oftaft le loyfir. Le fieur Beecman vint icy famedy au foir & me prefta le liure de Galilée; mais il l'a remporté a Dort ce matin, en forte que ie ne l'ay eu entre les mains que

3 et] mais. — 3-4 fuffiés fi] fe- omis. — 6 Beecman] B. — et] qui. riez peut-eftre. — 5 que... loyfir — 7 mais] et. — a Dort omis.

a. Mersenne fit paraître cette année-là, outre les Questions inouyes et les Questions harmoniques (Paris, Villery, in-8, 1634), dont l'achevé d'im- primer est du 1" déc. i633, trois autres ouvrages'réunis en un volume : i° Les préludes de l'Harmonie universelle ou questions curieuses, utiles aux Prédicateurs, aux Théologiens, aux Astrologues, aux Médecins et aux Philosophes. 2 Questions Theologiques, Physiques, Morales et Mathématiques. 3° Traduction des Mechaniques de Galilée (Paris, Gue- non, in-8, 1634).

�� � jç>4 Correspondance. h, 354-335.

30 heures. le n'ay pas laiffé de le feuilleter tout entier, & ie trouue qu'il philofophe allés j bien du mouue- ment, encore qu'il n'y ait que fort peu des chofes qu'il en dit, que ie trouue entièrement véritable ; mais, a ce que i'en ay pu remarquer, il manque plus en ce ou il 5 fuit les opinions defiareceues, qu'en ce ou il s'en efloi- gne. Excepté toutefois en ce qu'il dit du flus & reflus, que ie trouue qu'il tire vn peu par les cheveus. le l'a- uois aufTy expliqué en mon Monde par le mouuement de la terre, mais en vne façon toute différente de la 10 fiene a . le veus pourtant bien auouer que i'ay rencontré en fon liure quelques vnes de mes penfées, comme entre autres deus que ie penfe vous auoir autrefois ef- crites. La première eft que les efpaces par ou paffent les cors pefans quand <5 ilz defcendent, font les vns aus autres comme les quarrés des tems qu'ilz \ N employent a defcendre, c'eft a dire que ' fi vne baie employé trois momens a defcendre depuis A iufques a B, elle n'en employera 20 qu'vn a le continuer de B iufques a C, etc., ce que ie

3-5 encore... remarquer] non la terre. le n'ay pas laiffé d'y

pas toutesfois que i'approuue remarquer par ci par là. —

que fort peu de ce qu'il en dit, i3 croyj penfe. — i3 autrefois

mais autant que i'en ay pu voir. omis. — 14-15 la première...

— 7 et reflus] et du reflus. — paffent] a fçauoir que l'efpace

8-12 cjue ie trouue... en fon que parcourent. — i5-i6 quand

liure] que ie conçoy tout autre- ilz] qui. — 16 les vns aus autres]

ment qu'il ne l'explique, encore l'vn à l'autre. — 18 c'eft à dire

que ie faffe auffi bien que luy, que] comme. — 20 elle] qu'elle,

qu'il dépend du mouuement de — 21 le omis. — etc. omis.

a. Cf. le Monde de Descartes, C. XII, et Galilée, Massimi Sistemi, Giornata quarta.

��� � n.355. LVI. — 14 Août 16^4. 305

difois auec beaucoup de reftri étions, car en effeâ: il n'eft iamais entièrement vray comme il penfe le de- monftrer a .

La féconde eft que les tours & retours d'vne mefme 5 chorde fe font tous a peu prés en pareil tems, encore qu'ilz puiffent eftre beaucoup plus grans les vns que les autres b .

Ses raifons pour prouuer le mouuement de la terre font fort bonnes; mais il me femble qu'il ne les eftale 10 pas comme il fault pour perfuader, car les digref- fions qu'il méfie parmi font caufe qu'on ne fe fou- uient plus des premières, lorfqu'on eft a lire les der- nières.

Pour ce qu'il dit d'vn canon tiré parallèlement a i5 l'horizon, ie croy que vous y trouuerés quelque diffé- rence afles fenfible, fi vous en faites exactement l'ex- périence.

Pour les autres chofes que m'efcriués, le mef- fager m'ofte le loyfir d'y refpondre, auffy qu'il m'eft 20 impofïïble de refoudre abfoluement aucune queftion de phyfique qu'apprés auoir expliqué tous mes princi- pes, ce qui m'eft impoflible que par le traité que ie me fuis refolu de supprimer.

10 pour] le aj. — 11 font 18 que] vous a/. — 18-19 le mes- caufe] font. — 12 eft a lire] sager... refpondre] ie n'ay pas lit. — i5 l'horizon] fi vous en le loifir d'y penfer. — 20 re- faites bien l'expérience, aj. — foudre abfoluement] répondre i5-i6 quelque... fenfible] fen- déterminement à. — 22 qui... fiblement de la différence. — par] que ie ne puis fans. — 16-17 fi... expérience omis. — 22-23 fuis refolu] refous.

a. Cf. Lettre du i3 nov. 1629, page 7?, 1. 2.

b. Cf. même lettre, p. 74, 1. 2, et Galilée (éd. Albèri, I, 254).

Correspondance. I. 39

�� � 306 Correspondance. n, 355.

Les termes de l'imprimé de Liège font : Quapropter idem Galileus citatus adfacrum illud tribunal inquifitio- nis, & inquijîtus & in carcere detentus, prœuioque exa- mine confejfus, vifus ferme fuit iteraîo in eadem fenienîia ejfe, quamuis hypoteîicé a Je illam proponi fimularet. Ex 5 quo faéîum ejî vt re opiime difcuffa^pro tribunali feden- tes ijdem eminentijjimi Cardinales Inquijîtores générales pronuntiarint & declararinî eundem Galileum vehementer fufpeélum vider i de hcereji, quaji feéïatus fuerit doclrinam falfam & contranam facris ac diuinis fcripturis : hoc ejl 10 folem ejfe centrum mundi, nec moueriab ortu in occafum; terram vero contra moueri, nec mundi centrum ipfam ejfe; aut quafi eam doclrinam defendi pofle vti probabilem exiftimauerit, tametji declaratum fuerit eam fcriplurœ facrœ aduerfari, &c. a . le vous remercie de la lettre que 1 5 m'aués enuoyee & vous prie d'en faire adrefler la refponfe que ie vous enuoye. le fuis

Voftre très obeiffant & très affectionné feruiteur,

DESCARTES. ' 20

D'Amfterdam, ce 14 Aouft 16^4.

1-1 7 Les termes... le fuis] feruiteur. — 21 D'Amsterdam... omis. — 18-19 Mon R. P. Voftre 1634 omis. très- humble & tres-obeïflant

a. Cf. p. 288, 1. 9, et note, p. 290.

�� � ii. i3 9 . LVII. — 22 Août 1654. 307

��LVII.

Descartes a [Beeckman].

Amsterdam, 22 août 1634. Texte de l'édition latine, tome II, Epist. XVII, p. 92-95.

Le nom du destinataire manque dans Clerselier (t. Il, p. i3g, lettre 77, version), et dans l'édition latine. Mais on voit qu'il s'agit d'une discussion toute récente : controversise nuper inter nos exortœ (l. 1-2), et d'une discussion verbale : nuper, cum una essemus(7. j), à la suite de laquelle l'adversaire, rentré che\ lui, écrit une lettre : mine... perliteras exponis(p. 3o8, l. 7-9); Descartes lui répond. Notons que les deux adversaires avaient été deux jours ensemble à dis- cuter de vive voix : Sequenti autem die (ib.,l. 23), et pra;cedenti die (p.3oç,l.i3).Or Descartes, dans la lettre précédente, dit que Beeckman est venu à Amsterdam un samedi soir, et en est reparti pour Dort ou Dordrecht ce matin, c'est-à-dire le lundi 14 août (p. 3o3, l. 6 et 8), deux jours après. On peut conjecturer de là que le destinataire de cette lettre du 22 août est le même Beeckman, à qui d'ailleurs Des- cartes n'écrivait qu'en latin {Cf. I. XXIII et XXIV, p. i54et i56). La réconciliation, après ces deux lettres, s'était faite dès i63i [voir p. 23 1-232). On donne ici le texte latin, et non la version française pour les mêmes raisons que plus haut. (Voir V en-tête, p. 1S4.)

Gaudeo te adhuc meminiffe controuerfiae nuper inter nos exortae. Sed quia video rationem, qua tune vtebar, nondum tibi fatisfeciffe, quid de tua refpon- fione iudicem libenter feribam; & prius quidem,ne de ipfa thefi dubitemus, breuem hîc totius rei narratio- nem inftituam.

Dixi nuper, cum vna effemus, lumen in inftanti non quidem moueri, vt feribis, fed (quod pro eodem habes) à corpore luminofo ad oculum peruenire,addi-

�� � 308 Correspondance. ii, 139-141.

dique etiam | hoc mihi effe tam certum, vt fi falfitatis argui poflet, nil me prorfus fcire in Philofophia con- fiteri paratus fim.

Tu contra lumen non nifi in tempore moueri poffe affirmabas; addebafque te modum faciendi experi- 5 mentum excogitafle, ex quo, vter noftrum falleretur, appareret. Atque hoc experimentum, vti nunc melius (aliquot fuperuacaneis, fono, malleo, & fimilibus re- purgatum) per literas exponis, eft taie : fi quis noctu facem in manu habens, & illam mouens, in fpeculum 'o quarta parte milliaris à fe diilans refpiciat, notare poterit, vtrum prius hune motum in manu fit fenfu- rus, quam eundem per fpeculum fit vifurus. Tanto- pere autem ifli experimento confidebas, vt profitearis totam te tuam Philofophiam pro falfa habiturum, fi i5 nulla inter inftans, quo motus ifte per fpeculum vide- retur, & inftans, quo manu fentiretur, mora fenfibilis intercederet. Contra ego, fi quœ talis mora fenfu per- ciperetur, totam meam Philofophiam funditus euer- famfore inquiebam. At proinde inter nos, quod eft 20 notandum, non tam de quaeftione, an lumen feratur in inftanti vel in tempore^ quam de fucceflu experi- menti fuit certamen. Sequenti autem die, vt finirem totam controuerfiam & te ab inutili labore liberarem, monui nos habere aliud experimentum, iam faepe à 25 multis hominum millibus, & quidem diligentiffime attendentibus, probatum, per quod apparet manifefte, nullam talem moram, inter inftans, quo lumen egre- ditur ex luminofo, & inftans, quo oculum ingreditur, intercedere. 3o

| Quod vt exponerem, petij prius, nunquid putares

�� � il i4>-'4=- LVII. — 22 Août 1634. 309

Lunam à Sole illuminari, & Eclipfes fieri per interpo- fitionem Terrae inter Solem & Lunam, vel Lunae inter Solem & Terram? Quod conceffifti. Petij praeterea quo pado fupponi velles lumen ab aftris ad nos peruenire,

5 & refpondifti per lineas reftas : ita vt dum Sol afpici- tur, non appareat in loco in quo eft reuera, fed in quo fuit eo inftanti, quo lumen per quod videtur, ab eo prius egreffum eft. Petij denique vt determinares quanta efle deberet ad minimum mora ifta fenfibilis

10 inter inftans quo fax moueretur, & inftans quo eius motus per fpeculum, quarta parte milliaris diftans, appareret ; atque hanc quidem ad minimum aequalem tempori quo femel pulfant arteriae, preecedenti die affignaueras; fed tune, magis liberaliter, quantam

i5 vellem concedebas. Itaque vt appareret me nolle abuti tua conceffione, non maiorem vicefima quarta parte temporis, quo femel pulfant arteriae, affumpfi; dixique illam, quae, te omnino concedente, in tuo experimento plane infenfibilis exifteret, in meo valde

20 fenfibilem euafuram. Etenim ponendo Lunam à Terra diftare quinquaginta femidiametris Terrae, vnamautem femidiametrum effe fexcentorum milliariorum, quod ad minimum, vt lient &*Aftronomia & Geometria, poni débet; fi lumen viceûma quarta temporis parte,

z5 quo femel pulfant arteriae, indigeat, ad quartam par- tem vnius milliaris bis pertranfeundam, indigebit tempore quo quinquies mille vicibus pulfant, hoc eft ad minimum vna hora, ad fpatmm, quod eft | inter Lunam & Terram, etiambis pertranfeundum, vt patet

3o numeranti.

Atque ex his conceffis ita fum argumentatus. Sit

�� � 3 io Correspondance. 11,142-14?.

ABC linea re&a; et vt poffimus idem concludere, fme Sol fiue Terra moueatur, fit A locus in quo Sol, B in

��B

��quo Terra, & C in quo Luna interdum reperiantur, ponamufque iam ex Terra B Lunam videri patientem Eclipfim in pun&o C ; videri autem débet hsec Eclipfis j ex conceffis, eodem inftanti prœcife, quo lumen emif- fum a Sole, dum in pundo A exiftebat, ad oculum ex Luna reflexum perueniret, nifi fuiflet a Terra inter- ceptum, hoc eft, etiam ex conceffis, vna hora tardius, quam lumen iflud ad Terram B pertingit; ac proinde 10 neque poteft videri Eclipfis in C, nifi vna hora tardius, quam Sol videatur in A, fi quidem tuae conceffiones . fint verae, fi nempe vicefima quarta parte vnius pulfa- tionis arteriae tardius videatur motus facis in fpeculo, quarta parte milliaris diftante, quam manu fentiatur. 1 5 Atqui conftans & accurata omnium Aftronomorum obferuatîo, experimentis innumeris confirmata, tefta- tur, fi Luna, dum patitur Eclipfim, videatur in C, ex Terra B, Solem non prius vna hora, fed eodem ipfo inftanti videri debere in A ; multoque magis fenfibile 20 eft horse tempus in loco Solis refpedu Terrse & Lunae obferuando, quam vicefima quarta pars vnius pulfa- tionis arteriœ in tuo experimento. Ergo & tuum expe- rimentum eft inutile, & | meum, quod eft omnium Aftronomorum, longe clarius oftendit, in nullo tem- 2 5 pore fenfibili lumen videri. Hoc ergo argumentum demonftrationem effe inquiebam, tu vero & paralo- gifmum & petitionem principij nominabas ; fed in tua

�� � ii, i 4 3-i44- LVII. — 22 Août 1654. 311

refponfione fatis patet, ytrum iure vel potius iniuriofe fie nominares. Duo enim tantum refpondes, in quo- rum primo euidens apparet paralogifmus, & in altero non eft quidem petitio principij, ûue affumptio eius

5 quod eratprobandum; fed (quod peius mihi videtur) eft negatio eius quod fuerat concefîum. Cum enim, exclufo motu diurno, ad tarditatem motus annui re- curris, in re quae à motu Lunae menftruo, plufquam duodecies annuo celeriori, tota dependet, & prseterea

10 in re, vbi non tantum horse differentia (quod fufficere demonftraram), fed etiam differentia dimidij minuti fatis commode folet obferuari, quis paralogifmum non agnofeat? Cum autem dicis poftea, radios ex Sole & Luna emiflbs, etiam inter Solem & Lunam vna

■ 5 cum Sole & Luna circulariter moueri, ita feilicet vt videantur femper in locis vbi reuera exiftunt, licet videantur ope luminis quod ab ipfis prius eft emiflum, cumalijs in locis exifterent (neque enim aliter poteft intelligi), negas manifefte illud ipfum quod ante

20 concefleras, & ex quo tota illa pars mes demonftra- tionis, quam tibi explicaueram,dependebat, nec vides te in aliam eius partem incidere, quae eft de Solis Eclipfi. | Nempe fint A Sol, C Luna, B Terra, in eadem

��A

��linea re&a, & iuxta fupputationem fupra fadam pona- = 5 mus lumen média hora indigere vtà Luna C ad Ter- rain B perueniat : vt autem à Soie A, qui eft viginti quatuor vicibus ad minimum Luna remotior, horis duodecim. Igitur ex tua vltima conceffione, hoc inf-

�� � } 1 2 Correspondance. ". 144-14^-

tanti, quo Sol eft in A, videtur ab oculis in B exiften- tibus, nihil obftante interpofitione Lunae, quae tamen intérim & eft in C, & ipfa etiam ibi videretur, fi pro- prium haberet lumen. Sol enim ibi videtur ope lumi- nis quod ex eo ante duodecim horas egreffum eft, & 5 quod ante mediam horam, cœlum Lunae pertranfiens, ab illa non potuit impediri, quia nondum tune illa inter Solem & Terram erat pofita : lumen autem quod nunc ab illa impeditur, non nifi poft mediam horam poteft ad B peruenire, ac proinde eius etiam luminis 10 defe&us, hoc eft Eclipfis, non nifi média hora poft hoc inftans, quo Sol & Luna & Terra funt in eadem linea reda, poteft videri. Sed confiât ex omnium Aftrono- morum experientia plane contrarium, nempe tune fieri Eclipfim, cum Sol & Luna & Terra in eadem linea «5 reéta exiftunt, & ea in re non modo mediae horae, fed etiam medij minuti error infenfibilis non effet. Ergo, &c. Nec addo alia innumera, quibus hanc vlti- mam pofitionem priore adhuc magis abfurdam elfe oftendatur; vt quod illa pofita femper Orientem ver- 20 fus, nigrum circulum in horizonte inter terram & cœlum debeamus videre, & Occidentem verfus, Solem & ftellas infra montes & fimilia; nec peto qua vi motus ifte cir|cularis luminis, ex diuerfis aftris fimul venien- tis, dirigatur, vt femper celeritates inaequales fyde- 25 rum, ex quibus egreffum eft, retineat, &c. Nifi enim te, quae jam fcripfi, conuincant, plane infuperabilem fatebor. Vale. Amftelodami, 22 Augufti 16^4.

��

LVIII.
Descartes a Morin.
[Amsterdam, sept, ou oct. 1634.]
Texte de Clerselier, tome I, lettre 57, p. 184-185.

Sans date dans Clerselier. Mais il s’agit du livre suivant : Longitudinum terrestrium necnon cœlestium nova et hactenus optata scientia, etc., auctore Joanne Baptista Morino (Parisiis, apud Joannem Libert, 1634. Privilège du 20 mai 1634, dédicace à Richelieu du 26 juillet). Trois autres volumes parurent : le 2e en 1636 (dédicace 1er janv.) ; le 3e en 1637 (achevé d’imprimer 10 nov.) ; le 4e en 1639 (achevé d’imprimer 3 janv.). Le premier volume ne donne pas l’achevé d’imprimer ; mais on en suit l’impression dans des lettres de Mersenne à Peiresc, 14 mai, 2 juillet, 24 août 1634 ; à cette date, elle est terminée (Correspondants de Peiresc, fasc. XIX, Paris, Picard, 1894, p. 82, 86, 106). D’autre part, une lettre de remercîment de Gassend à Morin, pour son livre, est imprimée entre deux autres du 6 sept, et du 30 oct. 1634. La lettre de Descartes est sans doute à peu près de la même date, sept, ou oct. 1634.

Sur la question des longitudes, et sur les prétentions de Morin, voir plus haut, p. 289, l. 2 et note, p. 291.

Monſieur,

I’ay receu le beau liure que vous m’auez fait l’honneur de m’enuoyer, & ie penſe auoir d’autant plus de ſujet de vous en remercier, que ie l’ay moins merité ; car ie n’ay iamais eu occaſion de vous rendre aucun ſeruice qui vous dûſt conuier à auoir cette ſouuenance de moy. Il eſt certain que la peine que vous auez priſe pour trouuer les longitudes, ne merite rien moins qu’vne recompenſe publique ; mais pource que les inuentions des ſciences ſont de ſi haut prix, qu’elles ne peuuent eſtre aſſez payées auec de l’argent, il ſemble que Dieu ait tellement ordonné le monde, que cette ſorte de recompenſe n’eſt communement reſeruée que pour des ouurages mechaniques 5 & greffiers, ou pour des actions baſſes & ſeruiles. Ainſi ie m’aſſure qu’vn artiſan qui auroit fait de bonnes lunettes, en pourroit tirer beaucoup plus d’argent, que moy de toutes les reſveries de ma Dioptrique, ſi i’auois deſſein de les vendre ; ce qui n’empeſche 10 pas que ie ne ſouhaitte que vous receuiez en cecy l’accompliſſement de vos deſirs, & | ſi i’y pouuois contribuer quelque choſe, vous connoiſtriez en effet que ie ſuis, etc.


LIX.

Descartes a Golius.

Utrecht, 16 avril i635. Autographe, La Haye, Rijcks-Archief.

Monfieur, i5

La lettre que vous m’auez fait l’honneur de m’efcrire ayant preuenu les remerciemens que i’eftois obligé de vous faire en vous renuoyant voftre Hure, me donne occafion d’en eftre honteux. Mais Iean Gillot le père, qui en auoit voulu eftre lô porteur, 20 eftant parti d’icy vn peu pluftoft que ie n’auois attendu, ne m’auoit pas donné le loyfir d’eferire, & de �� � puis i’auois différé iuſques au voyaſge de ſon filz. Ie vous ay tres grande obligation du ſoin que vous aués eu de me faire auoir la connoiſſance du tourneur dont vous m’eſcriués, & ie ne manqueray pas de l’aller voir 5 en cete ville a la premirre commodité. Mais ce qui vaut mieux que tous les tourneurs du monde, c’eſt que Monſieur de Zuilicom, que i’ay eu l’honneur de voir ces iours a Amſterdam, après auoir eu la patience d’ouir lire vne partie de ma Dioptrique, c’eſt 10 offert d’en faire faire luy meſme quelque eſpreuue ; ce qui me met entierement hors de peine de ce coſté, car ie m’aſſure que, s’il eſt poſſible que la choſe reuſſiſſe, il en trouuera les expédiens pluſtoſt que personne. Veritablement c’eſt vn homme qui eſt au dela 15 de toute l’eſtime qu’on en ſçauroit faire, & encore que ie l’euſſe ouy louer a l’extreme par beaucoup de perſonnes dignes de ſoy, ſi eſt-ce que ie n’auois encore pû me perſuader qu’vn meſme eſprit ſe puſt occuper a tant de choſes & s’acquiter ſi bien de toutes, ny 20 demeurer ſi net & ſi preſent parmi vne ſi grande diuerſité de penſées, & auec cela retenir vne franchiſe ſi peu corrompue parmi les contraintes de la cour. Il y a des qualités qui font qu’on eſtime ceux qui les ont ſans faire pour cela qu’on les ayme, & d’autres qui 25 font qu’on les ayme ſans qu’on les en eſtime beaucoup dauantage ; mais ie trouue qu’il poſſede en perfection celles qui font enſemble l’vn & l’autre. Et ie ne tire pas peu de vanité de ce que ie ne luy ay ſceu dire aucune choſe qu’il ne compriſt quaſi auant que 30 i’euſſe commencé de l’expliquer. Car ſi la Metempſicoſe & la reminiſcence de Socrate auoient lieu, cela }i6 Correspondance.

me feroit croyre que fon ame a efté autrefois dans le cors d'vn homme, qui auoit les mefmes penfées que i'ay maintenent; & ie prens de la occafion de iuger que mes opinions ne font point trop efloignées de ce que dide le bon fens, puifque eftant en luy très par- 5 fait, comme il eft, elles ne laiflent pas de luy eftre fi familières. Et ie vous ay voulu efcrire cecy tout au long affin que vous fçachiés combien ie vous ay d'obligation de l'honneur de fa connoiffance, car ie fçay que c'eft principalement a vous que ie la doy. le 10 fuis très marri de ce que ça efté vôftre indifpofition qui m'a ofté l'honneur de vous voir cy deuant a Amfterdam, mais i'efpere que ce printems diffipera les fluxions que la froideur extraordinaire de cet hyuer auoit caufées, & ie vous fouhaite toute forte i5 de profperité & fanté , comme fait aufly Monfieur Renery qui vous falue très affedueufement. le fuis,

Monfieur,

Voftre très humble & très affectionné feruiteur 20

DESCARTES.

D'Vtrecht, ce 6/16 Auril 1635.

A Monfieur, Monfieur Golius, Profefleur en Mathématiques & es langues orientales 25

a Leyden.

Page 3t5, 1. 7. — On lit, en effet, dans le Dagboek de Constantin Huygens, cette année i635 : « 2g Mart. Cum uxore, de Morio et Cons- » tantino Amstelodamum. — 6 April. Amstelodamo discedimus. » On

�� � H.46*. LX. — 19 Mai 16} $. jij

voit ici l'impression que Huygens avait produite sur Descartes ; celle de Descartes sur Huygens n'avait pas été moindre : trois ans auparavant, il écrivait à Golius, le i3 avril i63î : « Ex quo postremùm a te abii, » vir doctissime algue amicissime, secuta me imago est mirabilis Galli, » amici, non citra invidiam meam, tut, cujus in magnâ Urbe paulum » sepultce distat inertiœ celata virtus. » (Amsterdam, Acad. des Se, Lettres latines Ms. de Const. Huygens, t. I, n" 1 56). Et un peu plus tard, en oct. ou nov. i632, dans un post-scriptum à Wilhem, Huygens disait encore : « Perpetuam salutem et infinitam, quoties ad D. des » Cartes scribis, ab indigno me tantœ virtutis œstimatore, summo viro- » rum dici postulo. » (Ib., t I, n° 1 65). Cf. d'autre part la lettre de Descartes à Wilhem, du 23 mai i632 (plus haut, p. 253, 1. 9).

��LX.

Descartes a Golius.

Utrecht, 19 mai i635. Autographe, Leyde, Bibl. de l'Univ., Collection Huygens.

Une feuille, grand format, pliée en deux feuillets : le premier, recto et verso, contient la lettre; au verso du second, l'adresse. La figure, en marge de la première page, est de la main de Descartes, avec cette note : « i'ay fait cete figure a l'enuers par inaduertence »; il avait sans doute tourné la feuille en décrivant les cercles, et la figure se trouva renversée. — L'imprimé de Clerselier (tome II, lettre 102, p. 462-464), sans date ni nom de destinataire, fournit quelques variantes.

Monfieur,

I'eftois hors de cete ville lorfque vos lettres, auec les obferuations que vous maués fait la faueur de m'enuoyer, y font arriuées, & ie n'y fuis retourné que 7 ou 8 iours apprés ; ce qui efl caufe que ie ne vous ay pas eferit plutoft pour vous en remercier. Car i'euffe bien defiré par mefme moyen vous pouuoir

�� � 318 Correspondance. 11,462-463.

rendre comte du profit que i'en aurois retiré ; mais ayant changé de logis depuis ce tems la, ie n'ay point encore eu afles de loyfir pour mettre l'eau de mer a la queftion* & voir fi ie pourrois découurir la caufe de fa lumière. 5

Pour les obferuations des couronnes & des pare- lies, tant la voftre que celle de Shichardus a , elles me confirment entièrement | en l'opinion que i'en auois, de forte que ie n'y defire rien dauantage. Toutefois ie ne vous renuoye point encore le liure ; car iugeant 10 que vous n'en elles pas prefTé, i'ay crû faire mieus d'attendre a quelque autre commodité. Mais en re- uanche ie vous feray part icy d'vne autre obferuation que i'ay faite, il n'y a que 8 ou 10 iours, eftant la nuit fur le Zuiderzee pour paifer de Frize vers Am- 1 5 fterdam *. I'auois tenu le foir allés long tems ma tefte appuiée fur la main droite, de laquelle ie fer- mois l'œil droit, & ie tenois cependant l'autre tout ouuert, lorfque, l'aer eftant affés obfcur, on apporta vne chandelle dans la chambre ou i'eftois ; et incon- 20 tinent, ouurant les deus yeus, iapperceu deus cou- ronnes autour de cete chandelle, plus parfaitement colorées que ie n'eufTe crû qu'elles pouuoient iamais eftre, & telles que vous les voyés icy reprefentées. A eft le cercle extérieur de la plus grande, qui eftoit 25

3 point eu encore. > — 3-4 de lies. — 7 elles om. — 1 1 pas]

-la mer. — 4 et] afin de. — 6- point. — i3 part icy] icy part.

7 Pour... parelies] Pour voftre — 14 : 8 ou] om. — i5 vers] à.

obferuation touchant les parhe- — 23 iamais om.

a. Descartes avait d'abord écrit Schichardus, puis il a barré le c. — Sur Wilhelm Schickard, mathématicien deTubingue, cf. les"*Meteores. p. 287.

�� � i5

��20

���11,463-464. LX. — 19 Mai 1655. } l 9

d'vn rouge brun fort coloré. B eft l'intérieur de la mefme, qui eftoit bleu; les autres couleurs de l'arc- en-ciel fe pouuoient bien vn peu remarquer entre ces deus cer- 5 clés, mais elles n'y occupoient que peu d'efpace. C eft l'inter- ualle qui eftoit entre les deus couronnes, & qui paroiflbit au- tant ou plus noir que tout l'aer

10 d'alentour. D eft la couronne in- térieure, qui n'eftoit qu'vn feul cercle fort rouge, ainfy que le précèdent, & qu'on voyoit eftre plus chargé de couleur en dehors qu'en dedans. E eft l'interualle qui eftoit entre ce cercle rouge & la flame de la chandelle & cet efpace eftoit tout | blanc & lumineus. Or i'eu bien affés de loyfir pour obferuer toutes ces chofes ; car elles durèrent toufiours iufques a ce que ie me fuffe endormi, ce qui ne fut qu'apprés deus ou trois heures. Et ce que i'appris de cecy fut que les couleurs de ces couronnes eftoient difpofées tout au contraire de celles qui paroiftent autour des aftres, a fçauoir le rouge en dehors, & qu'elles ne fe formoient point dans l'aer, mais feulement dans les humeurs de Tvn de mes yeus ; car, fermant l'œil droit & ouurant le

25 gauche, ie ne les voyois point du tout; & fermant le gauche en ouurant le droit, ie ne les en voyois de rien

��1 brun fort] fort bien. — 6 peu] fort peu. — 8 et qui] lequel. — 12 et... eftre] feulement voyoit- on qu'il eftoit. — i3 E] C. — i5 et cet efpace] lequel. — et] et comme. — 16 bien om. —

��18 qu'apprés] que. — 19 heu- res] après aj. — 20 eftoient] font. — 23-24 dans. . . yeus] de la difpofition de mes yeux. — 24-25 et. .. gauche om. — 26 en... droit om.' — 26 de rien] pas.

�� � j2o Correspondance. 11.464.

moins ; & mettant feulement le doigt entre mon œil & la flame de la chandelle, elles difparoifibient entièrement. De quoy ie penfe pouuoir afles rendre raifon ; & ce te expérience m'a tellement plu, que ie ne la veus pas oublier en mes Météores *. 5

le vous remercie très humblement des offres que vous me faites pour me loger ; mais ce feroit tefmoi- gner de l'inconftance de quitter fi toft le lieu ou ie ne fais que d'entrer. Ce n'eft pas que ie ne me refiente extrêmement voftre obligé de l'affe&ion que vous me 10 tefmoignés en tant de fortes, & que ie ne délire en reuanche de pouuoir faire tout ce que ie croyray vous eftre agréable ; car ie fuis,

Monûeur,

Voftre très humble & i5

très affedionné feruiteur,

DES CARTES.

D'Vtrecht, ce 9/19 May 163 ç .

A Monfieur Monûeur Golius Profefleur 20

en Mathématiques & aus langues Orientales

a Leyden.

3 entièrement ont. r— 3-4 De... ie vous ay. — 11 tant de fortes]

raifon; et ont. — 5 Météores.] et toutes chofes.-— 1 1-12 defire en

ie penfe en pouuoir affez rendre reuanche] fuffe tres-aife. —

raifon, a/. — 7-8 ce... tefmoi- 12 faire] en reuanche aj, —

gner] il y auroit. — 8 de quitter] 1 2- 1 3 ie... agréable] vous té-

à quitter. — 9 me ont. — 10 vof- moignez defirer. — i3 car ie

tre obligé] les obligations que fuis] tout le reste om.

��

Page 318, l. 4. — Expression baconienne. Cf. Bacon, De Augmentis scientiarum, l. II, c. ii, fin, et De Sapientia veterum, xiii, Proteus sive Materia, etc.

Page 318, l. 16. — L’autographe, signé et daté, permet ici de corriger une erreur de Baillet, reproduite deux fois dans sa Vie de Descartes, p. li de la Table chronologique, et p. 268-271 du tome I. Il date à tort du commencement de mars 1636 cette observation faite sur le Zuyderzée, et la croit adressée par Descartes à Corn, van Hooghelande.

Page 320, l. 5. — Voir, en effet, les Meteores, Discours neufiesme, p. 278 : « Et i’en ay vû cet esté dernier vne experience fort manifeste. » Ce fut en voyasgeant de nuit dans vn nauire… » Cf. lettre XVI, du 18 déc. 1629, p. 83.

LXI.
Descartes a ***.
[Utrecht, automne 1635.]
Texte de Clerselier, tome II, lettre 103, p. 464-466.

Première partie, dans Clerselier, d’une lettre, sans date ni nom de destinataire, qui continue par deux morceaux certainement adressés à Mersenne (ci-avant Lettres XXVI et XLV bis). Malgré l’en-tête « Monsieur », qui peut avoir été ajouté par Clerselier, cette première partie est probablement aussi adressée à Mersenne ; car Descartes ne semble avoir jamais eu aucun autre correspondant lui posant une série de questions auxquelles il réponde comme il le fait ci-après. La fin de la lettre expliquerait assez que le Minime ne l’eût pas gardée ; car il ne s’était probablement ouvert qu’à Descartes de son projet de défendre l’opinion de Galilée. — Quant à la date de la lettre, en dehors de cette circonstance qu’elle suit dans Clerselier la précédente, du 19 mai 1635, on a deux indices : 1° la Dioptrique est désormais prête à imprimer ; or en avril (Lettre LIX, p. 315, l. 9), Descartes en lisait déjà des chapitres à Constantin Huygens qui, le 28 octobre (Lettre LXII ci-après), donne des conseils pour l’édition ; 2° Balzac se trouve à Paris ; or on a, en 1635, une lettre de lui datée de cette ville, le 3 septembre (Édition de 1665, t. I, p. 373). On peut donc admettre l’automne de 1635.

Monſieur,

Ie vous remercie des lettres que vous m’auez fait la faueur de m’enuoyer, & ie ſuis bien aiſe d’apprendre que Monſieur de Balzac ſe ſouuient encore de moy. I’eſtois quaſi en deſſein de luy écrire à ce voyage, mais 5 i’ayme mieux attendre encore quelque temps, & cependant ſi par occaſion vous le voyez, vous m’obligerez de l’aſſurer de mon ſeruice. Ie | vous prie auſſi de faire mes baiſe-mains à M. Sarrazin, & luy dire que ie le remercie tres-humblement du liure* qu’il a eu 10 autrefois intention de m’enuoyer, & que ie n’euſſe pas manqué de luy écrire pour l’en remercier, ſi celuy auquel il l’auoit baillé euſt eu ſoin de me le faire tenir.

Pour les lunettes, ie vous diray que depuis la condamnation de Galilée, i’ay reueu & entierement 15 acheué le Traité que i’en auois autrefois commencé ; & l’ayant entierement ſeparé de mon Monde, ie me propoſe de le faire imprimer ſeul dans peu de temps. Toutesfois pource qu’il s’écoulera peut-eſtre encore plus d’vn an, auant qu’on le puiſſe voir imprimé, ſi 20 M. N.[73] y deſiroit trauailler auant ce temps là, ie le tiendrois à ſaueur, & ie m’offre de faire tranſcrire tout ce que i’ay mis touchant la pratique, & de luy enuoyer quand il luy plaira.

Premierement, ie ne m’eſtonne pas que la moëelle 25 de ſureau peſe quatre ou cinq cens fois moins que l’or ; mais ie ne laiſſe pas de vous remercier de la communication de voſtre experience, & ſeray touſiours bien aiſe de ſçauoir celles que vous aurez faites.

Secondement, ie ne ſçay point ſi le ſureau ou le ſapire[74] rendent vn ſon plus aigu que le cuiure ; mais ie croy generalement que ſelon que les cors ſont plus ſecs & plus roides, c’eſt à dire plus diſpoſez à receuoir 5 en eux vn tremblement plus prompt, ils ont le ſon le plus aigu.

3. Et ce ſon ne ſe fait point par la diuiſion des parties de l’air, mais par ſon agitation ſeulement, laquelle accompagne celle du cors reſonnant.

10 4. C’eſt autre chofe des tours & retours d’vne corde attachée par les deux bouts, & autre choſe de ceux d’vne corde attachée ſeulement par vn bout, & qui a vn poids à l’autre bout[75] : car celle-cy ſe meut de bas en haut par l’impetuoſité ou l’agitation qui eſt en elle, 15 & ne commence point de retourner de haut en bas, que cette agitation n’ait eſté entierement ſurmontée par la peſanteur qui l’a fait deſcendre ; ce qui eſt cauſe qu’elle va fort lentement lors qu’elle acheue de monter ; & toutefois ie ne croy point pour cela qu’elle 20 s’arreſte aucun moment auant que de re|deſcendre.

5. Ie ne croy point auſſi que le mouuement de la corde attachée par les deux bouts, decriue touſiours des cercles parfaits, ou des ellipſes parfaites ; mais que toutes les inégalitez de ces cordes, & les diuerſes 25 façons dont elles peuuent eſtre touchées, apportent de la varieté en la figure de leur mouuement.

6. Pour la chaleur ie ne croy point qu’elle ſoit la meſme chofe que la lumiere, ny auſſi que la rarefaction de l’air ; mais ie la conçoy comme vne choſe toute différente, qui peut ſouuent proceder de la lumiere, & de qui la rarefaction peut proceder*. Ie ne croy point non plus que les cors peſans deſcendent par quelque qualité réelle, nommée peſanteur, telle que les philoſophes l’imaginent, ny auſſi par 5 quelque attraction de la terre* ; mais ie ne ſçaurois expliquer mon opinion ſur toutes ces choſes, qu’en faiſant voir mon Monde auec le mouuement deffendu, ce que ie iuge maintenant hors de ſaiſon ; & ie m’étonne de ce que vous propoſez de réfuter le liure 10 contra Motum Terræ*, mais ie m’en remets à voſtre prudence.

Page 322, l. 10. — Serait-ce l’ouvrage qui a pour titre : Opinions du nom et du ieu des eschets, imprimé plus tard p. 259-279 des Œuvres de Monsieur Sarasin (Paris, Augustin Courbé, 1656} ?

P. 324, l. 2. — Cf. Questions inouyes ou Recreations des Sçavans, du P. Mersenne : Question XXXVI : Toute sorte de rarefaction produit-elle de la chaleur, ou de la lumiere ? (Paris, Villery, 1634, p. 139-144).

Page 324, 1. 6. — Cf. lettre d’Etienne Pascal et de Roberval à Fermat, 16 août 1636, où ces deux mêmes hypothèses sont examinées (Œuvres de Fermat, édit. Tannery et Henry, 1894, t. II, p. 36).

Page 324, l. 11. — Sans doute, le livre de Jean-Baptiste Morin, Responsio pro Telluris quiete ad Jacobi Lansbergii Apologiam pro Telluris motu (Paris, Jean Libert, in-4, 1634 ; dédicace du 24 juin 1634).

Si c’est bien à Mersenne qu’écrit Descartes, le Minime laissa en tous cas à d’autres la tâche dont il rêvait de se charger. En France, après la condamnation de Galilée, Campanella fut le premier qui publia un livre où le système de Copernic fut défendu et déclaré non contraire à l’Ecriture : Thomæ Campanellæ ord. præd. Disputationum in quatuor partes suæ philosophiæ realis libri quatuor… Suorum operum Tomus II (Paris, Houssaye, 1637).

LXII. — 28 Octobre 16} $. 525

��LXII.

Huygens a Descartes.

Panderen, 28 oct. 1 635-

Copie MS., Amsterdam, Académie des Sciences. Lettres françaises de Constantin Huygens, tome I, page 643.

Monficur,

I'auray toufiours Ian Gillot en eftime, pour auoir veu de fa ieuneffe le myflere de vos inftrudions incomparables; & toufiours l'aimeray, pour la bonne

5 nouuelle qu'il m'a portée, de la refolution ou vous feriez de vous produire a l'ignorance du monde, par l'édition de voftre Dioptrique. le vous fupplie de ne point fouffrir, qu'aucune confideration imaginaire, de celles qui vous ont tenu en fcrupule iufques a pre-

10 fent, esbranfle plus ce deffein. Il eft vray que les Elze- uiers vous y euffent peu feruir vtilement ; mais en ce malheur publicq, qui vous en deftourne, il y aura quelque bonheur particulier, fi vous vous en fiez a Willem Ianfz Blaeu*. 11 eft homme induftrieux &

i5 exad, verfé en mathématique félon fa portée, & qui fera capable de gouuerner les tailleurs de vos figures. Si i'en eftoy creu, ce feroit taille de bois; les plan- ches de cuiure impriment les marques de leurs bords, & en embaraflent la lettre, ou demandent plus def-

20 pace qu'il n'en fied bien aux liures. Car ie prefup- pofe que vous aurez aggreable d'accommoder le lec-

�� � }2Ô Correspondance.

teur de la fuitte des figures le long du texte, au lieu damaffer plufieurs figures en vne fueille qu'il faille chercher au loin, en refueilletant tant de fueilles a toutes lettres; qui eft la peine de l'oifeau, qu'on dit trauailler a percer les arbres, & en faire tant de fois le tour, pour veoir s'il a paffé. Enfin, Monfieur, ie ne cefife de fonger a ce que ie pourroy contribuer a l'a- uancement de cette œuvre & aux moyens d'en faciliter IVfage au monde, qu'il eft temps de defabufer. Car fçachant de combien de candeur vous tafchez de vous expliquer aux moins fçauans, il me femble qu'en ceïl extérieur mefme il ne fault pas que rien fe rencontre d'offenfif aux plus bizarres.

L'ardeur ou vous m'auez veu, de faire iouer le ref- fort de la machine que vous auez ordonnée pour le poliffement de l'hyperbole, ne s'eft point attiedie a . Mais vous ne fçauez pas ou mon efprit & mon corps ont roullé depuis. Et certes cette longue campagne, &la fuitte des occupations que ie trouueray au retour, m'en ennuyent au double. Mais cela prendra quelque fin vn iour; & pour incapable que ie fois de voftre belle Théorie, ie ne vous demeureray pas toufiours en faulte de linduftrie mechanique. Défia l'humeur m'a prins d'enuoyer au tourneur d'Amfterdam vne hyperbole foigneufement marquée de ma majn a la 2 5 diftancede quelques 14 poulces pour les points bruf- lants. S'il a le iugement dont il s'eft vanté, il me tail- lera fur cette forme vn verre conuexe d'vn diamètre plus ample que ne font ceux des lunettes ordinaires. Et vous me pardonnerez, i'efpere, fi ie ne puis trouuer 3o

a. Voir plus haut lettre LIX, p. 3i5, I. y.

��20

�� � LXII. — 28 Octobre 16^. ^27

fenfible au tour l'inconuenient dont vous auez fait mention, en ce que les faultes du moufle doiuent caufer autant de cercles dans le verre 3 . Cela eft très vray a part foy; mais ie fuis d'opinion, que le moufle 5 fe peut tenir hors de faulte perceptible. Au moins nous en verrons ceft eflay; et vous ordonnerez par après, félon quoy le petit verre fe debura régler.

On me dit que le fleur Hortenfius prétend nous fatisfaire en la parfaite demonftration des verres cir-

10 culaires, exclufluement a toute autre figure, & ne fe chatouille de rien moins que de nous faire lire vne lettre a la diftance d'vne lieue. le le fay animer tant qu'il eft poffible & veux effayer d'en tirer quelque chofe par efcrit, ou bien l'expérience d'vne première lunette

1 5 que ie me fay bien fort de lui faire vendre a bon prix*.

Voyez, Monfieur, ou m'ameine le plaifir de vous

entretenir, & l'enuie de fçauoir de vos nouuelles.

Après tant de repos, dont vous n'eufliez pas iouy de

mon cofté, fans la tempefte de l'Eftat*, vous n'en

20 pouuiez fortir a meilleur marché. Pardonnez, s'il vous plaift, a la forte imprefîion que vous m'auez laiffée de quelque chofe de furhumain. le ne trouue point d'autres termes a m'en expliquer, fi ce n'eft ceftuy-ci très véritable &iufte, que ie fuis a iamais,

25 Monfieur,

Voftre très humble & très refpedueux, etc.

Page 325, 1. 14. — Ce ne furent ni les Elzeviers (Bonaventure et Abraham), de Leyde, ni Blaeu, d'Amsterdam, mais Jan Maire, qui im- prima à Leyde le Discours de la Méthode, et les Essais.

a. Voir plus haut lettre XIII, p. 61.

�� � }28

��Correspondance.

��Page 327, I. i5. — Du même jour (IV Kal. Nov. 1 635 ), on trouve une lettre de Huygens à Hortensius, datée aussi du camp de Panderen : « Grandi gaudio me perculere, quse in re Dioptricâ, nobilissimâ parte » Mathescos, serio te versari nuntiaverc; et jam omni scopulo superato, » co ut polliceri Tubum cœpcris, quo ad interuallum justi milliaris vul- » gâtas scripturœ notas assecuturi simus, sollicitum de eo tantum, quo » pacto tibi, re vulgatâ, honoris, opéras et impensœ ratio constarepossit.., » Tibi cœtera curx sunto, qui si beare me vis maxime, hominem sane » ignarum, sed totius opticae ardentissimum amantem, obsecro te vere, ut » si fas est, aliquid mihi tam pulcharum demonstrationum palam fiât, » quibus inclusisse negotium omne diceris, et hyperbolâ denique quam » Gallus noster, et parabolâ quam alii adstruunt exclusâ, soli circulo tri- » buere, quas tam nobilis inuenti infinita, meo judicio, potestas et sequela » est. Si hue xgre est utadduci possis, jam pari sorte me cum vulgo habe. » et quam prope diem expectari a te prima rei expérimenta jubeas, ardori » meo denuntia quoeumque locorum sim. Faxo ut inter terra; Principes » uni meâ operâ innotescas, quem si caeteris prastulcris nunquam poenite- » bit. » (Copie ms., Amsterdam, Acad. des Se; Lettres latines de Huy- gens, t. I, n»224).

Page 327, I. 19. — Tout cet été Huygens avait fait campagne avec le prince Frédéric-Henry contre l'armée espagnole. On lit dans son Dagboek, année i635 : « 18 mey. Cum principe Hagâ Ultrajectum. » — 20 dec. Redimus Hagatn salvi, post 7 menses et dies duos. Deo » laus in sœçula. » L'armée hollandaise campait à Panderen, d'où écrit Huygens

��LXIII.

Descartes a Huygens.

Utrecht, 1" nov. i635. Autographe, Paris, Coll. Foucher de Careil.

Une feuille, grand format, pliée en deux; la lettre [trois pages) remplit tout le premier feuillet et la moitié du second. Autographe acquis à la vente de la collection Van Voort d'Amsterdam par le comte Foucher de Careil, et publié par lui dans ses Œuvres inédites de Descartes, t. If, 1860, p. 227-231. — C'est la réponse à la lettre précédente.

�� � LXIII. — i cr Novembre 1635. 329

Monfieur,

Vous m'obliges au delà de tout ce que ie fçaurois exprimer, & i'admire que parmy tant d'occupations importantes, vous daigniés eftendre vos foins iufques 5 aux -lus particulières circonftances qui concernent l'impreflion de la Dioptrique. C'eft vn excès de cour- toifie & vne franchife qui vous caufera peut eftre plus d'importunité que vous ne craignes. Car pour paye- ment de ce que ie tafeheray de fuiure de point en

10 point les inftru&ions que vous m'aués fait la faueur de me donner touchant ces chofes extérieures, i'au- ray l'effronterie de vous demander auffy vos correc- tions touchant le dedans de mes eferits auant que ie les abandonne a vn imprimeur, au moins û ie vous

1 5 puis trouuer cet hyuer en quelque feiour plus accef- fible que celuy ou vous eftes, & ou i'aye moyen dauoir audience. Trois matinées que i'ay eu l'hon- neur de conuerfer auec vous a m'ont laiffé telle im- preffion de l'excellence de voftre efprit & de la fo-

20 lidité de vos iugemens, que fans rien deguifer de la vérité, ie ne fçache perfonne au refte du monde a qui ie me fie tant qu'a vous, pour bien decou- urir toutes mes fautes ; & voftre bienueillance & la docilité que vous efprouuerés en moy me font efpe-

25 rer que vous aymerés mieux que ie les fçache & que ie les ofte, que non pas qu'elles foyent veues par le public.

I'ay deflein daioufter les Météores b a la Diop-

a. Sans doute du 39 mars au 6 avril 1 635. Voir plus haut p. 3 1 5, 1. 7.

b. Cf. Lettre LX du 19 mai 1 635, p. 320, 1. 5.

CnDPi?<pANT\*Nrr. I. a%

�� � ) )0 Correspondance.

trique, & i'y ay trauaillé affés diligemment les deux ou trois premiers mois de cet efté, a caufe que i'y trouuois plufieurs difficultés que ie n'auois encore iamais examinées, & que ie demeflois auec plaifir. Mais il fault que ie vous faiïe des plaintes de mon * humeur : fitoft que ie n'ay plus efperé d'y rien ap- prendre, ne reliant plus qu'a les mettre au net, il m'a efté impoffible d'en prendre la peine, non plus que de faire vne préface que i'y veux ioindre ; ce qui fera caufe que i'attendray encore deux ou trois mois auant >° que de parler au libraire.

Il n'appartient qu'a vous d'auoir enfemble de la promptitude & de la patience, & de fçauoir ioindre l'adrefle de la main a celle de l'efprit. La diftance de quatorze poulces pour l'hyperbole que vous auéspris «5 la peine de tracer eft extrêmement bien choifie 8 ; car c'eft l'vne des plus grandes qui fe puiffe commodé- ment defcrire fans machine, & l'vne des moindres qui puiffe feruir pour vne lunette vn peu meilleure que les communes. Mais ie me deffie de l'induftrie du 20 tourneur ; & pour les cercles de fautes que i'appre- hende h , i'en ay vu autrefois l'expérience en vn verre taillé de cete forte, qui ne laiffoit pas de brufler auec beaucoup de force. Que il le voftre reuffit, ie croy qu'on en pourra faire vne lunette, en y adiouf- 2 5 tant enuiron a la diftance d'vn pied vn verre concaue taillé a la façon ordinaire ; car vous fçaués que plus les verres s'appliquent proche de l'œil, moins il eft neceflaire que leur figure foit exacte. Mais l'eftect de

a. Page 326, 1. 26.

b. Paee 327. 1. 3.

�� � LXIII. — i cr Novembre 16^'. 3,2,1

cete lunette ne fera pas de faire lire vne lettre d'vne lieue a ; tout fon mieux fera de faire paroiftre les obiets i $ ou 20 fois plus proches qu'ils ne feront, c'eft a dire d'autant que fa longeur furpaffe le dia- 5 mètre de noftre œil.

Au refte voflre trauail d'auoir tracé vous mefme vne hyperbole eft bien inutile, puifque la figure cir- culaire eft la meilleure b , & il y a bien plus de raifon de croyre en cecy l'authorité d'vn profeffeur appuiée

10 de toutes les expériences des artifans, que les imagi- nations d'vn hermite, qui confeffe ingenuement qu'il n'a iamais fait aucune efpreuue de ce qu'il dit, outre que la théorie de Galilée & de Scheiner, qui apprés Kepler font les plus célèbres en cete matière , ne va

i5 point au delà des feétions de cercles. Et certes ie m'en eftonnerois, fi ie n'auois vu tout de mefme de bons muficiens qui ne veulent pas encore croire que les confonances fe doiuent expliquer par des nombres rationaux d , ce qui a efté, fi ie m'en fouuiens, l'er-

20 reur de Steuin, qui ne laifîbit pas d'eftre habile en autre chofe. Ainfy on voit bien plus de gens capables d'introduire dans les mathématiques les conieftures des philofophes, que de ceux qui peu- uent introduire la certitude & l'euidence des de-

25 monftrations mathématiques dans des matières de

a. Page 327, 1. 12.

b. Ib., I.8-10.

c. Allusion à la Dioptrice de Kepler (Augsbourg, 1611), au Sidereus Nuncius de Galilée (Florence, 16 10), et à l'ouvrage Oculus hoc estfunda- mentum opticumde Scheiner (Inspruck, 1629, in-4).

d. Cf. lettres d'avril et de mai 1634, p. 286, 1. 8; p. 288, 1. 22; et p. 295, 1. 14.

�� � )}2 Correspondance.

philofophie, telles que font les fons & la lumière, le fuis,

Monfieur ,

Voftre très obeiffant & très obligé feruiteur,

DESCARTES.

D'Vtrecht, ce i nou. 16} $.

��LXIV.

Huygens a Descartes.

Arnhem, 5 déc. i635.

Copie MS., Amsterdam, Académie des Sciences. Lettres françaises de Constantin Huygens, tome I, page 62 5.

Monfieur,

Le tourneur d'Amfterdam a m'a vn peu faict languir après ceft efTay; mais enfin le voyci a bout de mon Hyperbole, non fans hyperbole, de vray. Car, pour le premier coup, il me femble que ceft bien allé, & les 10 faifeurs de lunette, en ayant veu le moule en papier, ont ofé dire que s'il l'acheuoit, ils eftoyent contens de manger le verre ; mais il leur importe de defcrier le tour qui vn iour doit ruiner leur meftier. Encore mon artifan fe plaint de n'auoir efté pourueu des i5 inftrumens qu'il fouhaitteroit d'y pouuoir approprier vne autre fois, & que par ainfi en taftonnant il a cafté plus de trois verres fur l'eflay. Quoi qu'il en foit, i'ef-

a. Voir plus haut page 326, 1. 24.

�� � LXIV. — 5 Décembre 16^. jjj

père que vous ne trouuerez point icy aucune appa- rence des faultes que vous auez appréhendé que le tour debuoit mener en cercle a . Au moins il n'y a rien de perceptible au fens extérieur, dont i ofe conclure, 5 foubs voftre permiflion, qu'au moyen d'vn Artifan adroid, comme ceftuy-ci, & bien pourueu d'engins neceffaires, (en la recherche defquels on pourroit l'aflifter), il y auroit moyen de fe pafler du voftre, auquel, fortant de la main du Menuifier, ie preueois

10 des inconueniens de mechanique encore plus impor- tans que ne pourroient eftre ceux du tour. Mon dif- cours vous fera bien fentir que ie dois eftre du meftier que ie tafche de patrociner. Mais ie veux humble- ment plier deffous vos cenfures, puifque ie les tiens,

i5 comme ie dois, fuperieures a toute la Philofophie naturelle du monde. Nous en verrons les preuues ad- mirables, quand il vous plaira; mais ce fera toufiours tard, a mon attente. Souuenez-vous de la folemnité des promeffes, s'il vous plaift, & haftez-vous au mi-

20 racle de rendre la veuë auxaueugles. Monf r . Renery m'a affeuré en hafte, que vous en perfiftez au defiéin. C'eft de quoy ie ne puis ceffer de vous coniurer, non plus que d'eftre a iamais,

Monfieur, etc.

25 A voftre commodité, iattendray fçauoir fi ce verre vous aura efté rendu, & comment vous eftimez que nous faffions du refte, pour acheuer noftre effay.

Arnhem, le $ de décembre 16^.

a. Page 3?o, 1. 21.

�� � } J4 Correspondance. ii, 363-36 4 .

LXV.

Descartes a Huygens.

[Décembre i635.] Texte de Clerselier, tome II, lettre 81 fin, p. 363-366.

L'imprimé de Clerselier, sans date ni nom de destinataire, réunit deux lettres en une seule : la première {p. 362-363) dont on a main- tenant une copie ancienne, du 2 juillet 1634, à Renery; et celle-ci, qui est manifestement une réponse à la lettre précédente de Huy- gens, du 5 décembre i635.

Il a fait ce matin vn peu de foleil, qui m'a donné moyen d'éprouuer voflre verre. Mais vous me par- . donnerez, s'il vous plaift, fi i'ofe affurer que le tour- neur ne luy a point donné la figure que vous auez prefcrite; & vous le verrez facilement, fi vous prenez 5 la peine de couurir celuy de fes coftez qui eft plat de cette carte, où il y a diuers petits trous, & que l'expo- fant au foleil, vous le teniez derrière l'autre carte, où il y a plufieurs cercles & lignes, qui | marquent les lieux où les rayons du foleil paffant par ces trous 10 doiuent donner. Car en l'approchant ou reculant, vous verrez que ceux qui paflent par les trous du plus petit cercle, s'affemblent dés la diftance de cinq ou fix pouces, & ceux du fécond beaucoup plus loin, lors que ceux du premier commencent défia derechef à i5 s'efcarter; & ceux du troifiefme & quatriefme encore plus loin, lors que ceux du premier & du fécond font

�� � ii, 36 4 . LXV. — Décembre 1635. yjj

défia fort efcartez, au lieu qu'ils deuoient s'aflembler tous à la diftance de quatorze pouces 3 . Et ie vous dirois bien, que i'ay voulu voir fi cela ne procedoit point de ce qu'en traçant l'hyperbole, vous auriez

5 fuppofé la refra&ion du verre plus ou moins grande qu'elle n'eft, à caufe que ie n'ay point fceu fi vous auez pris la peine auparauant de la mefurer. Mais ie trouue que cela ne peut eilre : car fi vous l'auiez fup- pofée trop petite, & que le tourneur euft bien obferué

10 voflre figure, les rayons du milieu s'aflembleroient plus prés que quatorze pouces, comme ils font; mais ceux qui paflent par les bords, s'aflembleroient encore plus prés que ceux du milieu, tout au contraire de ce qu'ils font. Et fi vous l'auiez fuppofée trop grande, il

1 5 eft vray que ceux des bords s'aflembleroient plus loin que ceux du milieu, comme ils font; mais ceux-cy mefme s'aflembleroient plus loin que quatorze pouces, au lieu qu'ils s'aflemblent beaucoup plus prés. Et ainfi ce verre ne peut auoir la figure d'vne hyperbole,

20 fi ce n'eftoit d'vne dont le poinét brûlant extérieur fuft feulement éloigné de fix pouces, & l'intérieur de beaucoup plus que fix. Car la refradion du refte b eflant prefque de deux à trois, fi la diftance qui eft entre le fommet de l'hyperbole & fon poinét brûlant

25 extérieur, eft de fix pouces, celle de l'intérieur ne doit eftre tout au plus que de y de pouces. Et celle de l'ex- térieur eftant de quatorze, celle de l'intérieur doit eftre if.

Il y a défia huit ou neuf ans que ie fis auffi tailler vn

a. Voir plus haut, p. 33o, 1. i5, et page 326, 1. 2b.

b. Lire verre?

�� � ) )6 Correspondance. h, 364-355.

verre par le moyen du tour 2 , & il reùffit parfaitement bien; car nonobftant que fon diamètre ne fuit pas plus grand que la moitié du voftre, il ne laiffoit pas de brûler auec beaucoup de force à la di|ftance de huit pouces, & l'ayant mis à la mefme épreuue d'vn mor- 5 ceau de carte auec de petits trous, on voyoit que tous les rayons qui pafîbient par ces trous, s'approchoient proportionellement iufques à la diftance de huit pouces, où ils fe trouuoient affemblez en vn très-exac- tement. Mais ie vous diray les précautions dont on 10 vfa pour le tailler. Primo, ie fis tailler trois petits triangles tous égaux, qui auoient chacun vn angle droit & l'autre de trente degrez, en forte que l'vn de leurs coftez eftoit double de l'autre; & ils eftoient l'vn de criftal de montagne, l'autre de criftalin ou verre 15 de Venife, & le troifiefmede verre moins fin. Puis ie fis faire aufii vne règle de cuiure auec deux pinnules, pour y appliquer ces triangles & mefurer les refrac- tions, ainfi que i'ay expliqué en la Dioptrique 6 . Et de là i'appris que la refra&ion du criftal de montagne 20 eftoit beaucoup plus grande que celle du criftalin, & celle du criftalin que du verre moins pur; mais ie ne me fouuiens pas particulièrement de la grandeur de chacune. Après cela M. Mydorge, que vous auez peut- eftre oùy nommer, & que ie tiens pour le plus exad à 2 5 bien tracer vne figure de Mathématique qui foit au monde, décriuit l'hyperbole, qui fe rapportoit à la refradion du criftal de Venife, fur vne grande lame de cuiure bien polie, & auec des compas dont les

a. Cf. lettre du 2 février i6?2, page 239, 1. 6 (texte de Clerselier).

b. Cf. Dioptrique, Discours second, p. 21 et 22.

�� � h.365-366. LXV. — Décembre 1635. 337

pointes d'acier eftoient auffi fines que des aiguilles; puis il lima exactement cette lame, fuiuant la figure de l'hyperbole, pour feruir de patron, fur lequel vn faifeur d'inftrumens de mathématiques, nommé Fer- 5 rier a , tailla au tour vn moule de cuiure encaué en rond de la grandeur du verre qu'il vouloit tailler ; & afin de ne corrompre point le premier modèle en l'ad- juflant fouuent fur ce moule, il coupoit feulement deflus des pièces de cartes, dont il fe feruit en fa

10 place, iufques à ce qu'ayant amené ce moule à fa per- fection, il attacha fon verre fur le tour, & l'appliquant auprès auec du grès entre deux, il le tailla; mais vou- lant après en tailler vn concaue en la mefme façon, il luy fuft impofiible, à caufe que le mouuement du tour

i5 eftant moindre au milieu qu'aux extremitez, le verre s'y vfoit toufiours| moins, bien qu'il s'y dûft vfer dauan- tage. Mais fi i'eufle alors confideré que les défauts du verre concaue ne font pas de fi grande importance que ceux du conuexe, ainfi que i'ay fait depuis, ie

20 croy que ie n'euffe pas laifle de luy faire faire d'aflez bonnes lunettes auec le tour. Pardon, Monfieur, fi ie vous ay ennuyé de ce long & mauuais difcours; c'eft vous mefme qui auez attiré fur vous cette impor- tunité, & le defir que i'ay de vous témoigner que ie

2 5 fuis,

a. Voir plus haut Lettres XI, XII et XIII, p. 3z, 38 et 53.

��Correspondance. I. 4 3

�� � }}8 Correspondance. 11,537.

LXVI.

Descartes a Mersenne.

[Leyde, mars i636.]

Texte de Clerselier, tome II, lettre m, p. 537-529.

Sans nom ni date dans Clerselier. Mais, comme c'est une réponse à une lettre du 18 janvier, reçue depuis cinq semaines environ, elle est certainement de mars, et de 16 36; car en mars i635, la Diop- trique n'était pas prête encore pour l'impression, et les Météores n'étaient même pas composés, tandis qu'en mars i63j , tout ou presque tout était imprimé déjà. Enfin, elle a été écrite à Leyde (voir la lettre suivante, du 3i mars i636), où Descartes était venu pour s'entendre avec les Elqeviers ou quelque autre libraire.

Mon Reuerend Père,

Il y a enuiron cinq femaines que i'ay receu vos dernières du dix-huit Ianuier, & ie n'auois receu les précédentes que quatre ou cinq iours auparauant. Ce qui m'a fait différer de vous faire réponfe, a eflé que 5 i'efperois de vous mander bien-toit que i'eftois occupé à faire imprimer. Car ie fuis venu à ce deflein en cette Ville*; mais les (Elzeuiers) qui témoignoient aupara- uant auoir fort enuie d'eflre mes libraires, s'imagi- nans, ie croy, que ie ne leur échapperois pas lors qu'ils 10 m'ont veu icy, ont eu enuie de fe faire prier, ce qui ell caufe que i'ay refolu de me pafler d'eux*; & quoy que ie puiffe trouuer icy affez d'autres libraires, toutes- fois ie ne refoudray rien auec aucun, que ie n'aye receu de vos nouuelles, pourueu que ie ne tarde point 1 5 trop à en receuoir. Et fi vous iugez que mes efcrits

�� � n.527-528. • LXVI. — Mars 1636. }jo

puiflent eftre imprimez à Paris plus commodément qu’icy, & qu’il vous pluft d’en prendre le foin, comme vous m’auez obligé autresfois de m’offrir 3 , ie vous les pourrois enuoyer incontinent après la voftre receuë.

5 Seulement y a-t-il en cela de la difficulté, que ma copie n’eft pas mieux écrite que cette lettre, que l’or- tographe ny les virgules n’y font pas mieux obfer- uées, & que les figures n’y font tracées que de ma main, c’eft à dire tres-mal; en forte que fi vous n’en

10 tirez l’intelligence du texte pour les interpréter après au graueur, il luy feroit impoffible de les comprendre. Outre cela, ie ferois bien-aife que le tout fuft imprimé en fort beau caractère, & de fort beau papier, & que le libraire me donnait du moins deux cens exem-

1 5 plaires, à caufe que i’ay enuie d’en diftribuer à quan- tité de per|fonnes. Et afin que vous fçachiez ce que i’ay enuie de faire imprimer, il y aura quatre Traittez tous françois, & le titre en general fera : Le projet d’vne Science vniuerfelle qui puiffe éleuer noftre nature

20 à fon plus haut degré de perfection. Plus la Dioptrique, les Meteores, & la Geometrie; où les plus curieufes Matières que l’Autheur ait pû choifir, pour rendre preuue de la Science vniuerfelle qu’il propofe, font expli- quées en telle forte, que ceux mefmes qui n’ont point

25 eftudié les peuuent entendre. En ce projet ie découure vne partie de ma Méthode, ie tâche à demonftrer l’existence de Dieu & de l’ame feparée du corps, & i’y adjoufte plufieurs autres chofes qui ne feront pas, ie croy, defagreables au lecteur. En la Dioptrique,

3o outre la matière des refractions & l’inuention des

a. Voir plus haut, p. 24, 1. 4, et p. 85, 1. 7.

�� � }4o Correspondance. h, 538-5*9.

lunettes, i’y parle aufli fort particulièrement de l’Oeil, de la Lumière, de la Vifion, & de tout ce qui appar- tient à la Catoptrique & à l’Optique. Aux Meteores, ie m’arrefte principalement fur la nature du Sel, les caufes des Vents & du Tonnerre, les figures de la 5 Neige, les couleurs de l’Arc-en-Ciel, où ie tafche auffi à demonftrer generalement quelle eft la nature de chaque Couleur, & les Couronnes, ou Halones, & les Soleils, ou Parhelia, femblables à ceux qui parurent à Rome il y a fix ou fept ans. Enfin, en la Géométrie, ie io tafche à donner vne façon générale pour foudre tous les Problèmes qui ne l’ont encore iamais efté*. Et tout cecy ne fera pas, ie croy, vn volume plus grand que de cinquante ou foixante feuilles*. Au refte, ie n’y veux point mettre mon nom, fuiuant mon ancienne 1 5 refolution, & ie vous prie de n’en rien dire à perfonne, fi ce n’eft que vous iugiez à propos d’en parler à quelque libraire, afin de fçauoir s’il aura enuie de me feruir, fans toutesfois acheuer, s’il vous plaift, de conclure auec luy, qu’après ma réponfe ; & fur ce que 20 vous me ferez la faueur de me mander, ie me refou- dray. le feray bien-aife aufii d’employer tout autre, plûtoft que ceux qui ont correfpondance auec (Elze- uier),qui fans doute les en aura auertis, car il fçait que ie vous en écris. 2 5

Mais i’ay employé à cecy tout mon papier, il ne m’en | refte plus que pour vous dire, que pour exa- miner les chofes que Galilée dit de Motu a , il fau-

a. Dans ses Massimi Sistemi, qui venaient ( 1 635) d’être réédités en latin par les Elzeuiers sous le titre de Systema Cosmicum, Cf. Lettre LXXII ci- après (Clers., III, 173).

�� � ii. 5ï 9 LXVI. — Mars 1636. 341

droit plus de temps que ie n'y en puis mettre à prefent.

le iuge l'expérience des fons qui ne vont pas plus vifte félon le vent que contre le vent, eflre véritable, 5 au moins adfenfum; car le mouuement du fon eft tout autre que celuy du vent. le vous remercie aufli de celle de la baie tirée vers le zénith, qui ne retombe point, ce qui eft fort admirable 3 . le ne fuppofe point la matière fubtile, dont ie vous ay parlé plusieurs

10 fois b , d'autre matière que les cors terreftres; mais comme l'air eft plus liquide que l'eau, ainfi ie c la fup- pofe encore beaucoup plus liquide, ou fluide, & péné- trante que l'air. Pour la reflexion de l'arc d , elle vient de ce que la figure de fes pores eftant corrompue, la

l5 matière fubtile qui paffe au trauers, tend à les réta- blir, fans qu'il importe de quel cofté elle y entre. le fuis,

Page 338, 1.8. — « Cette ville » est certainement Leyde. L'expression qui suit, « les N. » (texte de Clerselier) ou « les Elzeuiers » (Exemplaire de l'Institut), ne peut, en effet, désigner que deux associés au moins, comme étaient Bonaventure et Abraham Elzevier, l'oncle et le neveu, qui diri- geaient ensemble l'imprimerie de Leyde depuis 1626. — Baillet s'est donc trompé en conjecturant Amsterdam (t. I, p. 274), où il n'y eut qu'un seul Elzevier, Louis, neveu de Bonaventure et cousin d'Abraham; il ne s'y installa même qu'en i638, comme libraire d'abord, et n'acquit une impri- merie qu'à la fin de 1640; il imprimera en 1644 les Principia Philoso- phiœ. (Voir les Elsevier, par Alphonse Willems, Bruxelles, 1880, p. xlii-xliii et lxi). — Baillet parle aussi d'un séjour de Descartes à Leeuwarden l'hiver de i635-i636 (t. I, p. 267), mais cette conjecture, acceptée par Millet {Histoire de Descartes avant i63j, Didier, 1867, p. 340), ne paraît reposer sur aucun fondement.

a. Cf. Lettres LUI et LIV, p. 287, 1. i5 et 293, 1. 5.

b. Voir plus haut, p. 139-140, etc.

c. ainsi que ie Clers.

d. Voir plus haut, p. 294, 1. 9.

�� � 342 Correspondance.

Page 338, 1. 12. — Les Elzeviers pouvaient se montrer difficiles : « après neuf années d'efforts persévérants, dit leur historien Willems, ils » venaient d'atteindre la perfection ; le César, le Pline et le Térence de » i635 marquent l'apogée de leurs succès et inaugurent définitivement la » série des chef s-d' œuvres » (Op. cit., p. xliii et clxviii).

Page 340, 1. 12. — On sait que la Dioptrique était prête pour l'impres- sion en octobre 1 635 (lettre LXII) et les Météores (sauf la mise au net) dès novembre (lettre LXIII). Mais Descartes, en octobre 1637, dira de la Géométrie : « C'est vn traitté que ie n'ay quasi composé que pendant » qu'on imprimoit mes Météores, et tnesme l'en ay inuenté vne partie » pendant ce temps-là. » (Gers., lettre au P. *** , t. III, p. 1 15.)

Pag* 340, 1. 14. — Descartes ne se trompait guère; le volume de i63-, imprimé chez Jan Maire à Leyde, a juste soixante-six feuilles, dont dix pour le Discours de la Méthode.

��LXVII.

Descartes a [Huygens].

Leyde, [3i mars i636]. Autographe, Saint-Pe'tersbourg, Bibliothèque Impériale.

L'adresse manque, et la date Ult a Marti j i636 est d'une autre main. Mais Descartes est à Leyde, et il écrit à quelqu'un d'une ville voisine, asse% proche pour qu'on puisse s'y rendre en quelques heures, puisque lui-même y sera le lendemain après disner. Or Huygens se trouvait à La Haye (son Dagboek note un retour en cette ville le so déc. i635, et ne mentionne aucun départ avant le 8 mai i636) ; de plus, un autre autographe de Descartes à Huygens (du S oct. i63?) porte aussi, de la main de Huygens, l'indication en latin du jour où il a reçu la lettre; la date Ult a Martij i636 confirme donc notre conjecture, surtout si l'on remarque que le 3i mars était préci- sément cette année un lundy, et que la lettre aurait été envoyée et reçue le même jour, comme il convient de Leyde à La Haye.

Monfieur, le ne manqueray de me trouuer demain a voftre logis incontinent apprés voftre difner, nuifqu'il vous

�� � LXVII. — ji Mars 1636. ^43

plaift me faire la faueur de me le permettre; et ie por- teray auec moy tous ceus de mes papiers qui feront afTes au net pour les pouuoir lire, affin que vous en puiffiés choifir ceus dont la lecture vous fera le moins

5 ennuieufe, & que i'aye le bonheur de fcauoir au vray le iugement que vous en ferés. Car comme ie tafche en tout de reigler plutoft mes fentimans par la raifon que par la couftume, iay particulièrement cete maxime que ie me tiens beaucoup plus redeuable a

10 ceus qui me reprenent qu'a ceus qui me louent. Et affin que ie ne femble pas auoir enuie de corrompre mon iuge par mes complimens, ie me contenteray pour cete fois de vous dire que ie fuis,

Monfieur, > 5 Voftre très humble &

très obligé feruiteur,

DESCARTES.

De Leyde, ce lundy au foir.

LXVIII.

Huygens a Descartes.

La Haye, i5 juin i636.

Copie MS., Amsterdam, Académie des Sciences. Lettres françoises de Constantin Huygens, tome I, page 715.

Monfieur,

20 le n'entens pas fans reffentiment diniure le doubte que vous femblez auoir, fi les papiers dont il vous a

�� � plu me gratifier autrefois ont eſté conſerués ou non[76]. Il partiroit bien moins de choſe de voſtre main & ne ſe perdroit iamais dans la mienne. Les voyci donc en eſpece ou en indiuidu, ſi vous auez encore vne oreille de reſte pour ce beau langage de l’eſcole que vous 5 allez ruiner. Ie ſouhaitte fort que vous faſſiez rencontre d’vn graueur tant ſoit peu philoſophe, & qui ayt la conception prompte comme le burin. S’il manque en l’vne ou l’autre qualité, il vous deſgouſtera, & ne ſoulagera iamais voſtre lectour. Il eſt vray, 10 Monſieur, que pour ceſt infiniment[77], comme il eſt des choſes plus palpables qui ſoyent ſorties de voſtre eſprit, ces eſchantillons l’y pourront eſclairer ; mais quand il viendra aux anguilles de l’eau, aux differences des pluies & des brouillars, & choſes 15 ſemblables[78], i’apprehende extremement qu’a moins de ſubir les meſmes peines que vous auez voulu prendre pour mon ſubiect, vous ne trouuerez point d’artiſan qui vous ſatisfaſſe. Il reſte que la neceſſité vous porte, a l’endroit de vos enfans, a l’effort qu’elle fit faire au 20 fils de Crœſus pour ſauver ſon pere[79], & que la peur ou l’indignation vous faſſe voſtre ouurier. En effect, Monſieur, l’eſſay que vous venez de m’en enuoyer vous ſeruira d’vne longue condemnation, s’il ſe rencontre en vos œuures des faultes de la main. Ie vous 25 en baiſe les mains trés humblement, & aprés m’eſtre congratulé de mon ignorance, qui vous a fait le fils LXIX. — 5 Janvier 1637. 34$

de Crœfus, ie vay remettre mon tourneur a la féconde efpreuue, dans laquelle ie fuis bien afieuré que fes faultes ne trouueront plus le prétexte dont il m'a payé par le pafTé. Si cependant vous fouffrez que ie re-

5 tourne a vous animer a la production de vos oracles, & a vous fupplier de me faire entendre par occafion iufques ou en eft voftre imprimeur, que ie reuere défia comme on faifoit anciennement les myftes de Delphes, i'oferay prefumer que vous me continuez

10 l'honneur de cefte grande bienueillance que i'ay aufli peu méritée que ie defire la recognoiftre aueq paffion, en vous tefmoignant que ie fuis parfaitement,

Monfieur . . . A la Haye, le 1 $ e de Iuin i6j6.

��LXIX.

Huygens a Descartes.

La Haye, 5 janvier 1637.

Copie MS. Amsterdam, Académie des Sciences. Lettres françoises de Constantin Huygens, tome I, page 769.

Monfieur,

Voftre pacquet partira auiourd'huy en compagnie de ce que nous ferions bien marris de perdre, & n'y a point de doubte que celuy a qui ie le recommande ne m'en rende vn compte très ponctuel. Auiïi debuez-

CORRESPONDANCE. I. 44

�� � }4& Correspondance.

vous faire eftat, qu'en fortant de mes mains il a paffé les plus grands dangers du voyage, tant mes doigts ont efté tentés de le rauir a ceux du P. Merfenne. Mais ma conuoitife a cédé a vos interefls, & me fuis-ie armé d'vne patience ftoïque, a attendre que le tout fe 5 publie, auant que de mettre le nez dans vne des par- ties, le mens toutefois, & confeffe de l'auoir parcour- rue; mais c'a efté dans la prelTe de tant d'occupations diuerfes & éloignées de la vraye fagefle, qu'auflï i'auoue n'y auoir prefque obferué que l'impreffion & >o les figures, qui certes me contentent également. A la forme du papier i eufTe fouhaitté vn peu plus de luftre, & que le quarto approchant en hauteur du petit folio euft auffi eu la marge plus ample : mais c'eft de tout temps que les imprimeurs y font paroiftre leur aua- ' 5 rice, pour ne dire pis. Enfin, Monfieur, nous n'appren- drions rien de la forme; la matière nous occupera fi bien que le bon le Maire n'a que faire d'appréhender noftre colère de ce cofté-là. le fuis raui de trouuer voftre texte fi bien corrigé. Si vous vous laffez de la 2 ° peine qu'apparemment vous vous y donnez vous mefme, i'iray m'offrir a Leiden pour ce qui refte, plu- toft que de nous veoir perdre vn iour dans la chaulde attente ou nous fommes d'vne pièce fi excellente, mais furtout celui qui vous fupplie de le fauorifer toufiours 2 5 de la continuation de voftre amitié & de le croire inuiolablement,

Monfieur . . .

A La Haye, le $ e iour de l'an 1657, que Dieu vous rende heureux & profpere. 3o

�� � LXX. — Mars 1637. 347

CNaprès une autre lettre de Huygens [Ib., t. I, p. 783), adressée au porteur du paquet dont parle la précédente; celle du 23 déc. i636, qui est rappelée à la fin, n'ayant pas non plus d'adresse, on ignore le nom de cet homme de confiance qui porta de La Haye à Paris les premières feuilles imprimées de l'ouvrage de Descartes, en 1637. — Le « maistre moine » dont il est question, n'est autre que le R. P. Marin Mersenne.

« A La Haye, le 5« de Ianuier 1637.

« Monsieur,

« Ce pacquet m'est recommandé par vn si digne personnage (comme » vous apprendrez si vous prenez la peine d'en entretenir le moine auquel » il s'adresse), que pour en auoir tout le soin qu'il m'est possible, i'ay » pensé ne le deuoir commettre a personne qu'a vous, qui affectionnez » les belles choses, et en fauorisez les auteurs. le vous prie de vous en » vouloir charger de sorte que ie puisse rendre témoignage de la seure » adresse du dit pacquet, sur ce que vous prendrez la peine de m'en rap- » porter. Après aussi que le maistre moine se sera acquitté de ce qu'on » luy demande, ie seray bien content que les réponses repassent par mes » mains, qui ay de l'inclination pour luy, a raison de celle qu'il témoigne » auoir a l'auancement des sciences; quoy que par trop embrasser il es- » treigne vn peu mal, ce que ie vous prie ne lui dire pas, mais bien que » ie suis son seruiteur et attends de veoir ce qu'il promet de beau au » publiq, car il ne cessera pas d'escrire qu'au cercueil. Iusques au mien » vous me trouuerez,

» Monsieur... » Ma dernière fut du 23* de décembre. »

��LXX.

Descartes a Mersenne. [Leyde, mars 1637.]

Texte de Clerselier, tome I, lettre 112 fin, p. Sog-Sn.

Troisième partie, dans Clerselier, d'une lettre, dont la première partie (p. S04-S06) est la lettre XXII ci-avant {mai i63o), et la seconde (p. 5o6-5og) n'a été écrite qu'après les Méditations. « Le

�� � J48 Correspondance. i, 5oo-

reste de cette lettre est un fragment de M r Desc. addressé au P. Mer- senne. Ecrit quelque temps apre\ l'impression de la Méthode, c'est-à- dire vers juillet ou août de i63j. V. la page 1 1 1 du nouveau cahier; v. aussy la page 26 du gros cahier. » (Note de l'exemplaire de l'Institut). La raison en était sans doute tirée de ce passage de la lettre : « // y a enuiron huit ans que i'ay écrit en latin vn com- » mencement de Métaphysique », ce qui renvoie, en effet, à juillet 162g (voir plus haut, p. 17, l. 7). Mais pourquoi calculer avec rigueur, lorsque Descartes dit lui-même : « enuiron huit ans » ? Cette lettre parait plutôt une réponse aux toutes premières objec- tions que l'on fit au Discours de la Méthode, lorsque Mersenne le communiqua, dès qu'il l'eut reçu, c'est-à-dire dès janvier i63j. Des- cartes put tout d'abord recommander de taire son nom (p. 35 1, l. 22), mais ce nom fut forcément connu après le privilège accordé le 4 mai. D'ailleurs Mersenne lui demande de changer son dessein et de joindre son discours à sa Physique; il lui conseille aussi de modi- fier le titre « Discours de la Méthode »; or, pour que la chose fût encore possible, il fallait que l'ouvrage fut seulement en feuilles, et non pas en volume relié ou broché. Enfin un passage de la lettre suivante à Mersenne (ci-après LXXIII), laquelle est au moins du commencement de mai i63j, sinon du mois d'avril : « Vous me » conuie^ à faire imprimer d'autres traitle\ » (p. 364, l. 2), rapproché de celle-ci (p. 35 1, l. 4), apparaît sans aucun doute comme postérieur. On a donc comme limites extrêmes, pour la date de la présente lettre, d'une part janvier, de l'autre avril i63j.Le mois de mars est indiqué à titre de conjecture probable.

��le trouue que vous auez bien mauuaife opinion de moy, & que vous me iugez bien peu ferme & peu refolu en mes actions, de penfer que ie doiue délibérer fur ce que vous me mandez de changer mon deffein, & de joindre mon premier difcours à ma Phyfique, 5 comme fi ie la deuois donner au libraire dés aujour- d'huy à lettre veuë. Et ie n'ay fçeu m'empefcher de rire en lifant l'endroit où vous dites que i'oblige le monde à me tuer, afin qu'on puifle voir plutoft mes écrits; à quoy ie n'ay autre chofe à répondre, finon 10

�� � qu’ils ſont déja en lieu & en état que ceux qui m’auroient tué, ne les pourroient iamais auoir, & que ſi ie ne meurs fort à loiſir, & fort ſatisfait des hommes qui viuent, ils ne ſe verront aſſurement de plus de cent 5 ans après ma mort.

Ie vous ay beaucoup d’obligation des objections que vous m’écriuez, & ie vous ſuplie de continuer à me mander toutes celles que vous oyrez, & ce en la façon la plus deſauantageuſe pour moy qu’il ſe pourra ; 10 ce ſera le plus grand plaiſir que vous me puiſſiez faire ; car ie n’ay point coutume de me plaindre pendant qu’on panſe mes bleſſures, & ceux qui me feront la faueur de m’inſtruire, & qui m’enſeigneront quelque choſe, me trouueront touſiours fort docile. Mais ie 15 n’ay ſceu bien entendre ce que vous objectez touchant le titre ; car ie ne mets | pas Traité de la Methode, mais Diſcours de la Methode, ce qui eſt le meſme que Preface ou Aduis touchant la Methode, pour monſtrer que ie n’ay pas deſſein de l’enſeigner, mais ſeulement d’en 20 parler. Car comme on peut voir de ce que i’en dis, elle conſiſte plus en Pratique qu’en Theorie, & ie nomme les Traitez ſuiuans des Eſſais de cette Methode, pource que ie pretens que les choſes qu’ils contiennent n’ont pû eſtre trouuées ſans elle, & qu’on peut 25 connoiſtre par eux ce qu’elle vaut : comme auſſi i’ay inſeré quelque choſe de Metaphyſique, de Phyſique, & de Medecine dans le premier diſcours, pour montrer qu’elle s’étend à toutes ſortes de matieres.

Pour voſtre ſeconde objection, à ſçauoir que ie 30 n’ay pas expliqué aſſez au long, d’où ie connois que l’ame eſt vne ſubſtance diſtincte du cors, < et > dont la nature n’eſt que de penſer, qui eſt la ſeule choſe qui rend obſcure la demonſtration touchant l’exiſtence de Dieu, i’auoüe que ce que vous en écriuez eſt tres-vray, & auſſi que cela rend ma demonſtration touchant l’exiſtence de Dieu mal-aiſée à entendre. Mais ie ne 5 pouuois mieux traiter cette matiere, qu’en expliquant amplement la fauſſeté ou l’incertitude qui ſe trouue en tous les iugemens qui dépendent du ſens ou de l’imagination, afin de monſtrer en ſuite quels ſont ceux qui ne dépendent que de l’entendement pur, & 10 combien ils ſont éuidens & certains. Ce que i’ay obmis tout à deſſein, & par conſideration, & principalement à cauſe que i’ay écrit en langue vulgaire, de peur que les eſprits foibles venant à embraſſer d’abord auidement les doutes & ſcrupules qu’il m’euſt fallu 15 propoſer, ne puſſent apres comprendre en meſme façon les raiſons par leſquelles i’euſſe taſché de les oſter, & ainſi que ie les euſſe engagez dans vn mauuais pas, ſans peut-eſtre les en tirer. Mais il y a enuiron huit ans que i’ay écrit en latin vn commencement de Meta— 20 phyfique a, où cela efl déduit affez au long, & û l’on faitvne verfion latine de ce liure, comme on s’y prépare, ie l’y pourray faire mettre. Cependant ie me perfuade que ceux qui prendront bien garde à mes raifons touchant l’exiftence de Dieu, les trouueront 25 d’autant plus demonftratiues, qu’ils mettront plus de peine à en chercher les défauts, & ie les prétens plus claires en elles-mefmes qu’aucune des demonftrations des Geomettres ; en forte qu’elles ne me femblent obfcures qu’au regard de ceux qui ne fçauent 3o

a. Voir plus haut p. 144, 1. 19 ; p. 23, 1, 6, et p. 17, 1. 7.

�� � i,5n. LXX. — Mars 1637. j^i

pas abducere mentem à fenjîbus, fuiuant ce que iay écrit en la page j8.

le vous ay vne infinité d’obligations de la peine que vous vous offrez de prendre pour l’impreffion de mes 5 écrits ; mais s’il y falloit faire quelque dépenfe , ie n’aurois garde de fouffrir que d’autres que moy la fiffent, & ne manquerois pas de vous enuoyer tout ce qu’il faudroit. Il efl vray que ie ne croy pas qu’il en fuit grand befoin; au moins y a-t-il eu des libraires

10 qui m’ont fait offrir vn prefent, pour leur mettre ce que ie ferois entre les mains, & cela dés auparauant mefme que ie fortifie de Paris, ny que i’euffe com- mencé à rien écrire. De forte que ie iuge qu’il y en pourra encore auoir d’affez foux pour les imprimer à

i5 leurs dépens, & qu’il fe trouuera auffi des ledeurs afTez faciles pour en acheter les exemplaires, & les releuer de leur folie. Car, quoy que ie faffe, ie ne m’en cacheray point comme d’vn crime, mais feule- ment pour éuiter le bruit, & me retenir la mefme

20 liberté que i’ay euë iufques icy; de forte que ie ne craindray pas tant fi quelques-vns fçauent mon nom; mais maintenant ie fuis bien-aife qu’on n’en parle point du tout, afin que le monde n’attende rien, & que ce que ie feray, ne foit pas moindre que ce qu’on

25 auroit attendu.

le me mocque auec vous des imaginations de ce chymifte dont vous m’écriuez, & croy que femblables chymeres ne méritent pas d’occuper vn feul moment les penfées d’vn honnefte homme. le fuis, &c.

�� � 352 Correspondance.

LXXI.

Descartes a ***.

[Leyde, mars 1637.]

Teste de Clerselier, tome I, lettre io3, page 476-477.

��Sans nom ni date dans Clerselier (« A Monsieur *** », dit-il seule- ment), et imprimée entre la 102', à Bal\ac, mai i63o, et la 104 e , à Huygens, 14 juin i63j. Mais ce sont les mêmes réponses, presque dans les mêmes termes, aux mêmes objections que dans la lettre LXX ci-avant : elles ont donc été sans doute écrites à la même date, et nous les imprimons à la suite l'une de l'autre. Comme destinataire pos- sible, on peut indiquer Silhon, qui avait publié Les deux Vérités, l'une de Dieu et de sa Providence, l'autre de l'Immortalité de l'Ame (Paris, Laurent Sonnius, in-8°, 1626), puis De l'Immortalité de l'Ame (Paris, Pierre Billaine, in-4 , 1634); entre les deux, le premier volume de son Ministre d'Estat (Paris, Toussainct du Bray, in-4 9 , i63i) est encore un ouvrage théologico-politique. Il est donc naturel que Silhon, préoccupé de théologie, se soit surtout attaché à ce que Descartes avait écrit de l'existence de Dieu et de l'âme humaine, et lui ait envoyé des objections à ce sujet. Silhon était d'ailleurs un ami de Descartes, qui s'informe de lui par exemple plus haut p. i32, 1. 10 (cf. p. 5-6), et ils étaient en correspondance. « A vostre deffaut», dira Chapelain à Bal\ac, le 3i mai i63y, « je lui fais escrire (à » M. Descartes) par M. Silhon, pour l'exhorter a faire au monde » libéralité du reste (de ses ouvrages), et à nous donner moyen d'estre » plus sçavans que toute l'Antiquité aux choses naturelles, sans avoir » besoin de grec ni latin. » (Lettres de Jean Chapelain, Paris, Imp. Nat., 1880, p. i53).(C. A.) — On pourrait aussi penser à l'abbé Delaunay (voir le début de la lettre LXXXII ci-après) et, dans ce cas, la date de la présente devrait être reculée jusqu'à juin. Si les indications données dans la Lettre LXXXII ne concordent pas exactement avec le contenu de celle-ci, il est difficile de trancher la question d'une façon décisive (P. T.).

�� � i, 47 6-477 LXXI. — Mars 161,7. j$j

Monfieur,

I'auoùe qu'il y a vn grand défaut dans l'écrit que vous auez vu, ainfi que vous le remarquez, & que ie n'y ay pas aflez étendu les raifons par lefquelles ie

5 penfe prouuer qu'il n'y a rien au monde qui foit de foy plus éuident & plus certain que l'exiftence de Dieu & de l'ame humaine, pour les rendre faciles à tout le monde. Mais ie n'ay ofé tafcher de le faire, d'autant qu'il m'euft fallu expliquer bien au long les plus fortes

10 raifons des fceptiques, pour faire voir qu'il n'y a au- cune chofe matérielle de l'exiftence de laquelle on foit afluré, & par mefme moyen accoutumer le lecteur à détacher fa penfée des choses fenfibles ; puis montrer que celuy qui doute ainfi de tout ce qui eft matériel,

i5 ne peut aucunement pour cela douter de fa propre exiftence; d'où il fuit que celuy-là, c'eft à dire l'ame, eft vn eftre, ou vne fubftance qui n'eft point du tout corporelle, & que fa nature n'eft que de penfer, & auffi qu'elle eft la première chofe qu'on puifle con-

20 noiftre certainement. Mefme en s'areftant affez long- tems fur cette méditation, on acquiert peu à peu vne connoiflance tres-claire, & fi i'ofe ainfi parler intui- tiue, de la | nature intellectuelle en gênerai, l'idée de laquelle, eftant confiderée fans limitation, eft celle qui

25 nous reprefente Dieu, & limitée, eft celle d'vn ange ou d'vne ame humaine. Or il n'eft pas poflible de bien entendre ce que i'ay dit après de l'exiftence de Dieu, fi ce n'eft qu'on commence par là, ainfi que i'ay aflez donné à entendre en la page 38. Mais i'ay eu peur que

3o cette entrée, qui euft femblé d'abord vouloir intro-

CORRESPONDANCE. I. 4$

�� � jf4 Correspondance. 1,477.

duire l'opinion des fceptiques, ne troublait les plus foibles efprits, principalement à caufe que i'écriuois en langue vulgaire; de façon que ie n'en ay mefme ofé mettre le peu qui eft en la page j 2, qu'après auoir vfé de préface. Et pour vous, Monfieur, & vos fem- 5 blables, qui font des plus intelligents, i'ay efperé que s'ils prennent la peine, non pas feulement de lire, mais auffi de méditer par ordre les mefmes chofes que i'ay dit auoir méditées, en s'arreftant afTez long-temps fur chaque point, pour voir fi i'ay failly ou non, ils :o en tireront les mefmes conclufions que i'ay fait. le feray bien-aife, au premier loifir que i'auray, de faire vn effort pour tafcher d'éclaircir dauantage cette matière, & d'auoir eu en cela quelque occafion de vous témoigner que ie fuis, &c. 1 5

LXXII.

Fermât a Mersenne.

[Toulouse, avril ou mai 1637.] Texte de Clerselier, tome III, lettre 3j, p. 109-173.

Sans date dans Clerselier et avec le titre : « Lettre de Monsieur de Fermât au R. Père Mersenne, qui contient quelques objections contre la Dioptrique de Monsieur Descartes. » Cette lettre ne fut communiquée à Descartes que vers la fin de septembre i63j, et il y répondit le S octobre (voir ci-après Lettres XC et XC1). Mais elle est bien antérieure, puisque Descartes écrira en parlant de Fermât : « celuy qui auoit desia tasché de réfuter ma Dioptrique, auant mesme qu'elle fust publiée, comme pour l'estouffer auant sa naissance, en ayant eu vn exemplaire que ie n'auois pas enuoyé en France pour ce suiet. » (Lettre à Mersenne de juin ou juillet i638,

�� � m, 169. LXXII. — Avril ou Mai 1657. j^c

Clers., ///, 336). On doit donc reporter cette critique de Fermât au mois d'avril ou de mai, ce qui concorde avec la mention des « Dis- cours » de Desargues et de Guy de La Brosse (p. 36 0, l. 20), dont Descartes accuse également réception vers la même époque (Let- tre LXX VI ci-apr'es du 25 mai i63j).

Beaugrand (Lettre LXXXII ci-après, du 22 juin i63"j) s'était ingénié pour voir la Dioptrique « avant les autres », l'avait eue déta- chée du reste du volume (envoyé en feuilles pour l'obtention du privi- lège), et l'avait communiquée « pour peu de temps » à Fermât, peut- être sans l'aveu de 'Mersenne, car on ne s'explique guère autrement que le Minime, après avoir demandé à Fermât son opinion, eût gardé si longtemps par devers lui les objections de ce dernier. Il semble n'avoir pas osé dire immédiatement à Descartes que son ouvrage avait été communiqué et son nom révélé en dehors du cercle de ses connaissances personnelles.

��Mon Reuerend Père,

Vous me demandez mon iugement fur le traitté de Dioptrique de Monfieur Defcartes. Il eft vray que le peu de temps que Monfieur de Beaugrand m'a donné 5 pour le parcourir *, femble me difpenfer de l'obliga- tion de vous fatisfaire exactement & par le menu ; outre que la matière eftant de foy tres-fubtile & tres- épinéufe, ie n'ofe pas efperer que des penfées informes, & non encore bien digérées, puifîent vous donner vne

10 grande fatisfaélion. Mais d'ailleurs quand ie confidere que la recherche de la vérité eft toujours louable, & que nous trouuons fouuent à taftons, & parmy les ténèbres, ce que nous cherchons, i'ay crû que vous ne trouueriez pas mauuais que ie tafehaffe à vous de-

1 5 brouiller vne mienne imagination fur ce fujet, laquelle eftant encore obfcure & embaraflee, i'éclairciray peut- eftre dauantage vne autre fois, fi mes fondemens font approuuez, ou fi ie ne change pas moy-mefme d'aduis.

�� � 2 $6 Correspondance. 111,169-170.

La connoiflance des refradions a toufiours efté recherchée, mais inutilement. Alhafen & Vitellion a y ont trauaillé fans auancer beaucoup ; et ceux qui font venus depuis ont très -bien remarqué, que tout fe reduifoit à eftablir vne certaine proportion, par le 5 moyen de laquelle vne refradion eftant connue, on puft aifément trouuer toutes les autres. De forte que tous les fondemens de la Dioptrique | doiuent con- fifter en ce point ; c'eft à dire en la conuenance & au rapport qu'vne refradion connue a à toutes les «o autres.

Cela fuppofé, il a efté neceflaire que ceux qui ont voulu eftablir les principes de la Dioptrique ayent cherché cette conuenance & ce rapport.

Maurolic Abbé de Meffine, en fon traitté pofthume '5 De lumine & vmbrâ b , a foûtenu que les angles qu'il appelle d'incidence, font proportionnaux à ceux qu'il nomme de refradion. Si cette propofition eftoit vraye, elle fuffiroit pour nous marquer les vrayes figures que doiuent auoir les corps diaphanes qui produifent *o tant de merueilles. Mais pource qu'elle n'a pas efté bien demonftrée par Maurolic, & que l'expérience mefme femble la conuaincre de faux, il en eft refté aflez à Monfieur Defcartes pour exercer fon efprit, & pour nous découurir de nouuelles lumières dans ces * 5

a. Voir plus haut, page 241, éclaircissement.

b. Abbatis Francisci Maurolyci Messanensis. Photismi de lumine, et umbra ad perspectivam, et radiorum incidentiam facientes . - - Diaphano- rum partes, seu Libri très : in quorum primo de perspicuis corporibus, in secundo de Iride, in tertio de organi visudlis structura, et conspicillorum formis agitur. — Problemata ad perspectivam, et Iridem pertinentia (Neapoli, ex Typographia Tarquinii Longi, 161 1. Superiorum permissu).

�� � m, 170-171. LXXII. — Avril ou Mai 1657. 357

corps, qui pour en eftre feuls capables, n'ont pas laifle de produire iufques à prefent de grandes obf- curitez.

Son traitté de la Dioptrique eft diuifé en plufieurs

5 difcours, defquels les principaux font, ce me femble, les deux premiers, qui parlent de la Lumière & de la Réfraction, pource qu'ils contiennent les fondemens de la Science, dont on voit en fuite les belles conclu- fions & confequences qu'il en tire.

10 Voicy à peu prés fon raifonnement 3 . La Lumière n'eft autre chofe que l'inclination que les corps lumi- neux ont à fe mouuoir. Or cette inclination au mou- uement doit probablement fuiure les mefmes loix que le mouuement mefme. Et partant nous pouuons régler

i5 les effets de la Lumière, par la connoiffance que nous pouuons auoir de ceux du mouuement.

Il confidere en fuitte le mouuement d'vne balle dans la reflexion & dans la refraftion. Et pource qu'il feroit inutile & ennuyeux de copier icy tout fon dif-

20 cours, ie me contenteray de vous marquer Amplement les obferuations que i'y ay faites.

le doute premièrement, & auec raifon, ce me femble, fi| l'inclination au mouuement doit fuiure les loix du mouuement mefme, puis qu'il y a autant de

j5 différence de l'vn à l'autre, que de la puifTance à l'ade. Outre qu'en ce fujet il femble qu'il y a Vne particu- lière difconuenance, en ce que le mouuement d'vne balle eft plus ou moins violent, à mefure qu'elle eft pouflee par des forces différentes ; là où la Lumière

3o pénètre en vn inftant les corps diaphanes, & femble

a. Descartes, Dioptrique, p. 8.

�� � �} $8 Correspondance. 111,171.

n'auoir rien de fucceffif. Mais la Géométrie ne fe mêle point d'approfondir dauantage les matières de la Phyfique.

En la figure par laquelle il explique la raifon de la reflexion, page 1 5 de la Dioptrique, il dit que la 5 détermination à fe mouuoir vers quelque cofté peut, aufli bien que le mouuement & généralement que

toute autre quantité, eftre di- uifée en toutes les parties defquelles on peut imaginer 10 quelle eft compofée ; & qu'on peut aifément imaginer que celle de la balle qui fe meut d'A vers B, eft compofée de deux autres, dont l'vne la '5 fait defcendre de la ligne A F vers la ligne C E, & l'autre en mefme temps la fait aller de la gauche A C vers la droite F E, en forte que ces deux jointes enfemble la conduifent iufques a B, fuiuant la ligne droite A B. 20

Cela fuppofé, il en tire la confequence de l'égalité des angles d'incidence & de reflexion, qui eft le fon- dement de la Catoptrique.

Pour moy ie ne fçaurois admettre fon raifonne- ment pour vne preuue & demonftration légitime. 2 5 Car par exemple en la figure cy jointe, en laquelle A F n'eft plus parallèle à C B, & où l'angle C A F eft obtus, pourquoy ne pouuons-nous pas imaginer que la détermination de la balle qui fe meut d'A vers B, eft compofée de deux autres, dont l'vne la fait def- 3o cendre de la ligne A F vers la ligne C E, & l'autre la

�� � �ni, 171-17». LXXII. — Avril ou Mai 161.7. 2,59

fait | auancer vers A F ? Car il eft vray de dire qu'à mefure que la balle defcend dans la ligne A B, elle s'auance vers A F ; & que cet auancement doit eftre mefuré par les perpendiculaires tirées des diuers 5 points qui peuuent eftre pris entre A & B fur la ligne A F. Et cecy pourtant fe doit entendre lors qu'A F fait vn angle aigu auec A B ; autrement s'il eftoit droit ou obtus, la balle n'auanceroit pas vers A F, comme il eft aifé de com-

10 prendre. Cela fuppofé, par le mefme raifonnement de l'autheur, nous conclurons que le corps poly C E n'empefche que le premier mouue- ment, ne luy eftant oppofé qu'en ce

'5 fens-là; de forte que ne donnant point d'empefche- ment au fécond, la perpendiculaire B H eftant tirée, & H F faite égale à H A, il s'enfuit que la balle doit réfléchir au point F ; & ainfi l'angle F B E fera plus grand qu'A B C. Il eft donc euident que de toutes les

20 diuifions de la détermination au mouuement, qui font infinies, l'autheur n'a pris que celle qui luy peut feruir pour fa conclufion ; et partant il a accommodé fon médium à fa conclufion, & nous en fçauons auffi peu qu'auparauant. Et certes il femble qu'vne diuifion ima-

25 ginaire, qu'on peut diuerfifier en vne infinité de fa- çons, ne peut iamais eftre la caufe d'vn effet réel.

Nous pouuons par vn mefme raifonnement réfuter la preuue de fes fondemens de Dioptrique, puis qu'ils font eftablis fur vn pareil difcours.

3o Voila mon fentiment fur ces nouuelles propofi- tions, dont les confequences qu'il en tire, lors qu'il

�� � }6o Correspondance. ni, 171-173.

traitte de la figure que doiuent auoir les lunettes, font fi belles, que ie fouhaitterois que les fondemens fur lefquels elles font eftablies fuffent mieux prouuez qu'ils ne font pas. Mais i'apprehende que la vérité leur manque, auffi bien que la preuue. 5

I'auois fait deflein de vous difcourir en fuitte de mes pen|fées fur ce fujet; mais outre que ie ne puis encore me fatisfaire moy-mefme exactement, i'atten- dray toutes les expériences que vous auez faites, ou que vous ferez à ma prière, fur les diuerfes propor- 10 tions des angles d'inclination & ceux de refradion. Vous m'obligerez beaucoup de m'en faire part au plufloft, & ie vous promets en reuanche de vous dire de nouuelles chofes fur cette matière.

Tout ce que ie viens de vous dire n'empefche pas 1 5 que ie n'eftime beaucoup l'efprit & l'inuention de l'Autheur ; mais il faut de commune main chercher la vérité, que ie croy nous eftre encore cachée fur ce fujet.

Vous m'auez encore enuoyé deux difcours, l'vn 20 contre Monfieur de Beaugrand 3 , & l'autre de Mon- ûeur Defargues b . Iauois veu défia le fécond, qui ell

a. Esclaircissement d'une partie des paralogismes ou fautes contre les loix du raisonnement et de la démonstration que Monsieur de Beaugrand a commis en sa prétendue Démonstration de la première partie de la qua- triesme proposition de son Livre intitulé Geostatique. Adressé au mesme Monsieur de Beaugrand. Par Guy de la Brosse, Escuier, Conseiller et Médecin ordinaire du Roy, et Intendant du lardin Royal des Plantes Medecinales de Paris (A Paris, che\ Iacques Dugast, i63j).

b. Sans doute l'ouvrage suivant : Exemple de l'une des manières univer- selles du S. G. D. L., touchant la pratique de la perspective sans emploier aucun tiers point, de distance ny d'autre nature, qui soit hors du champ de l'ouvrage. (A Paris, en May 1 636, avec privilège), reproduit p. 53-84, vol. I des Œuvres de Desargues (Paris, Leiber, 1864). — Les initiales 5. G. D. L. signifient Sieur Girard Desargues Lyonnois.

�� � m, 1 7.3. LXXII. — Avril ou Mai 1657. 561

agréable & fait de bon efprit* . Pour le premier il ne peut pas eftre mauuais, fi nous en retranchons les paroles d'aigreur; car la caufe de Monfieur de Beaugrand eft tout à fait déplorée. le luy écriuis les mefmes raifons 5 de voftre imprimé à luy-mefme, dés qu'il m'euft enuoyé fon Liure a .

I'attens la faueur que vous me faites efperer de voir par voftre moyen les autres liures de Monfieur Defc^rtes, & le liure de Galilée De motu b . le fuis,

■o Mon R. P.

Voftre tres-humble feruiteur, fermât.

Page 355, 1. 5. — Baillet donne à ce sujet deux versions différentes, sans indiquer sa source pour la première qui paraît bien invraisemblable :

i° « L'imprimeur de Leyde avoit procuré par ses longueurs de l'exer-

« cice à la patience, je ne dis pas de M. Descartes, mais des Mathémati-

» ciens de Paris, à qui le P. Mersenne avoit donné avis de l'impression

» de ses Essais dés le commencement de l'an i636. La seule Dioptrique

r> avoit gémi plus d'un an sous la presse (Clers., II, 5i6). M. de Beau-

» grand, l'un des plus curieux et des plus impatiens, avoit aposté quel-

» qu'un à Leyde pour luy en envoyer les feuilles à mesure qu'on les

» imprimoit. Par ce moyen il se trouva pourvu d'un exemplaire avant que

» M. Descartes eût eu la commodité d'en faire tenir à ses amis du premier

» ordre (Clers., III, 336). M. de Beaugrand l'ayant parcouru se hâta de

» l'envoyer à Toulouse par la voye de Bourdeaux, pour le faire lire à

» M. de Fermât, Conseiller au Parlement de Languedoc, qui avoit témoi-

» gné une passion plus qu'ordinaire pour voir ce qui viendroit de la

» plume de M. Descartes (?). Le P. Mersenne ayant sçû ce qu'avoit fait

» M. de Beaugrand écrivit à M. de Fermât, pour luy faire connoitre les

» intentions de M. Descartes à l'égard de ceux qui liroient ses ouvrages,

a. Ioannis de Beaugrand Régi Francice Domui Regnoque ac cerario sanctiori a consiliis secretisque Geostatice, seu de vario pondère gravium secundum varia a terrœ (centro) intervalla, Dissertatio mathematica (Parisiis, apud Tussanum Du Bray, i636), 27 pages in-folio. La dédicace, à Richelieu, est du 20 avril 1 636, et le privilège de mai i636.

b. Voir plus haut page 340, not. a. Cependant il s'agit peut-être ici des Discorsi de 1 638, en cours d'impression chez les Elzcvicrs.

Correspondance. I. 46

�� � 362

��Correspondance.

��» et qui seroient capables d'y former des difficultez et des objections pour » éclaircir les veritez II ajouta qu'on ne le dispenseroit point de rendre » ce service à M. Descartes, puis qu'il en étoit très-capable; et il luy de- » manda en particulier son sentiment sur la Dioptrique; en récompense » de quoi il luy promit les autres traitez de M. Descartes qui dévoient » paroître incessamment. » (Baillet, I, 322).

2* « M. de Beaugrand... s'étoit laissé aller à la jalousie contre M. des » Argues. Voyant que celuy-cy s'intéressoit avec le P. Mersenne pour » servir M. Descartes dans la poursuite du privilège qu'on demandoit à la » Cour de France pour l'impression de ses ouvrages, il crut devoir y jetter » des obstacles, suivant le mauvais engagement où il s'étoit mis de » prendre le contre-pied de M. des Argues (Clers.. III, 3-j4). Par une » suite de ces démarches, il continua de rendre de mauvais offices à » M. Descartes; et n'ayant pu empêcher que ses Essais s'imprimassent » avec la permission du Roy en Hollande, il ne trouva plus d'autre res- » source à la passion qu'il avoit de luy nuire que celle de décrier ses » ouvrages avant même qu'il les eût pu voir, et de les étouffer dans leur » naissance s'il eût été possible. A peine avoit-il pu se saisir d'un exem- » plaire de la Dioptrique, soit en surprenant la bonté du P. Mersenne à » qui M. Descartes faisoit envoyer les dernières épreuves, soit en abusant » de la fidélité de l'Imprimeur de Leyde, qui luy avoit envoyé les feuilles » à mesure qu'on les tiroit de la presse, comme nous l'avons remarqué » ailleurs, qu'il avoit fait paroître son empressement pour luy trouver des » censeurs plutôt que des lecteurs (Clers., III, 426). Enfin, il sembloit » avoir voulu combler sa mauvaise volonté en insérant quelque chose » contre luy dans son livre de la Géostatique qui s'imprimoit actuellement » (en i63y), sur la lecture précipitée qu'il avoit faite de quelques endroits » de sa Dioptrique avant que de l'envoier à M. de Fermât » (Baillet, I, 358-359). — Notons que la date de la Géostatique (avril 1 636) suffit à réfuter cette dernière allégation En fait, dans ces deux récits de Baillet, les inexactitudes et les erreurs, même sur le sens des passages qu'il cite de la correspondance de Descartes, sont tellement graves que son témoignage tout entier s'en trouve infirmé.

Page 36i, 1. 1. — Le titre de l'opuscule de Desargues a été pris sur le seul exemplaire connu de cette plaquette in-folio de 12 pages. Cet exem- plaire, qui porte la dédicace manuscrite : Pro viro clarissimo Isaaco Beckmanno, Dortensis Collegij Redore, se trouve relié dans le volume de la Bibliothèque Nationale de Paris, Impr. V 1527, précisément avec la Geostatice de Beaugrand et l'édition latine de la critique qu'en fit Guy de La Brosse : Elucidatio paralogismorum, vel errorum contra leges ratio- cinii et demonstrationis, quos admisit Dominus de Beaugrand in sua inexplicata demonstratione primœ partis quartœ propositionis sui libri qui inscriptus est Geostatice. Ad ipsummet Dominum de Beaugrand. Auctore Guidone de La Brosse, Equité, Consiliario et Medico ordinario Régis Christianissimi, Hortoque Regio Plantarum medicinalium prœ-

�� � iii,424 LXXIII. — 27 Avril 16^7. 36}

fecto. (Parisiis, ex typog. Iacobi Dugast, 1 638). — Cp. le titre de l'édition française, ci-dessus, p. 36o, note a.

Le ton de l'opuscule de La Brosse est passablement violent, ce qui explique les mots de Fermât : paroles d'aigreur (p. 36i,l. 2-3). Il ressort d'autre part de la préface de cet opuscule que Beaugrand et Desargues avaient été particulièrement liés, et que leur rupture eut pour motif le jugement défavorable porté par le second sur la Geostatice du premier. Desargues semble même avoir encouragé La Brosse à la réfuter. — Cp. ce que Baillet dit de cette rupture (note précédente, 3 e alinéa).

��LXXIII. Descartes a Mersenne.

[Leyde? 27 avril 1637 ?1 Texte de Clerselier, tome III, lettre 73, p. 424-41?.

« Ecrite en avril 1637. Voyez-en les raisons dans le nouveau cahier. » (Note de l'exemplaire de l'Institut). Descartes réclame le privilège qui ne fut signé que le 4 mai et ne dut arriver à Leyde que vers le 16. Notre indication du 27 avril, comme date précise de la présente, est une conjecture fondée sur le motif développé dans la première note, page 365 ci-après.

A lafn du second alinéa, on trouve dans l'exemplaire de l'Institut, en marge, puis effacé : « Cette lettre finit icy. » Ce qui suit (p. 42S- 42g) parait, en effet, postérieur à une autre lettre à Mersenne, qui est sûrement delà seconde quinzaine de mai (lettre LXXVI ci-après) ; c'est pourquoi nous l'avons renvoyé à juin i63y (lettre LXXXII ci-ap^ès.

Mon Reuerend Père,

En me voulant trop obliger vous m'auez extrême- ment embaraiTé; car i'eufïe beaucoup mieux aimé vn Priuilege en la plus fimple forme, comme, fi ie m'en 5 fouuiens, ie vous en auois prié cy-deuant exprelTé- ment; iufques là que i'auois trouué à redire dans le

�� � 364 Correspondance. ui.wa^-

projet que vous m'en auiez enuoyé auparauant, à caufe d'vn mot qui me fembloit trop en ma|faueur. Vous me conuiez à faire imprimer d'autres traittez, & vous retardez cependant la publication de celuy-cy. le n'ofe écrire tout ce que i'en penfe. Mais ie vous prie, 5 au nom de Dieu, de faire ou que nous ayons au pluf- toft qu'il fe pourra le Priuilege, en telle forme que ce puiffe eftre, ou bien au moins de nous écrire qu'on a refufé de le donner, ce que ie m'afîure qu'on ne fera point, fi ce n'eft par la faute des demandeurs. Le 10 libraire ne débitera aucun de fes exemplaires, ny n'en enuoyera aucun hors de Leyde, que cela ne foit. Et ayant le Priuilege, ie vous prie d'en enuoyer l'original au Maire par le premier ordinaire de la pofte, & d'en retenir feulement vne copie collationnée, 1 5 pour feruir en cas qu'il fe perdifl *.

Au refte, ie remarque par vos lettres que vous auez fait voir ce liure à plufieurs fans befoin, &au contraire que vous ne l'auez point encore fait voir à Monfieur le Chancelier, pour lequel feul neantmoins ie l'auois 10 enuoyé, & ie defirois qu'il luy fuft prefenté tout en- tier*, le preuoy que vous luy donnerez encore iufte fujet de nous refufer le Priuilege, pour ce que vous luy voulez demander plus ample qu'il ne doit élire; ou bien s'il l'odroye en cette forme, vous ferez caufe i5 que ie luy auray vne particulière obligation, pour vne chofe que ie voudrois bien qui ne fuft point. Car outre que vous me faites parler là tout au rebours de mon intention, en me faifant demander odroy pour des liures que i'ay dit n'auoir pas deffein de faire im- 3o primer, il femble que vous me veùilliez rendre par

�� � ii!,4*5. LXXIII bis. — 27 Avril 16^7. 365

force faifeur & vendeur de liures, ce qui n'eft ny mon humeur, ny ma profeffion; & s'il y a quelque chofe en cela qui me regarde, c'eft feulement la Permiffion d'imprimer; car pour le Priuilege, il n'eft que pour le libraire, qui craint que d'autres ne contrefaflent fes exemplaires, en quoy l'autheur n'a point d'intereft.

Page 364, 1. 16. — Descartes recommande d'envoyer directement le privilège à Jan Maire, plutôt qu'à lui-même. C'est que probablement il quitte Leyde pour ce « voyage de plus de six semaines », dont il parle dans sa lettre à Colvius, du 14 juin 1637 (voir Lettre LXXVII ci-après). D'autre part, Saumaise écrivait de Leyde à Jacques du Puy, le 4 avril 1637: « Pour les nouvelles de nostre Académie, le livre du sieur Des Cartes est » achevé d'imprimer, mais il ne se débite point encores, à cause du privi- » lege qu'on attend de France. le ne vous dirai rien du personnage... » Il a tousjours esté en ceste ville pendant l'impression de son libvre, » mais il se cache et ne se monstre que fort rarement et vit tousjours en » ce pais dans quelque petite ville à l'escart, et quelques-uns tiennent » qu'il en a pris le nom d'Escartes. » (Les Correspondants de Peiresc, p. p. Tamizey de Larroque, fasc. V, p. i65, Dijon, 1882).

Page 364, 1. 22. — Pendant une partie du mois de mars, le chancelier Pierre Séguier avait été absent de Paris; il s'était rendu à Rouen, afin d'apaiser une mutinerie de la ville. Il semble que l'exemplaire ne lui ait pas été présenté, comme Descanes l'avait désiré; en tous cas, il ne le fut pas en son entier, Beaugrand s'étant approprié au moins la Dioptrique.

��LXXIII bis.

Descartes a Mersenne.

[Leyde? 27 avril 1637?] Texte de Clerselier, tome I, lettre no fin, p. 496-498.

Troisième partie de la lettre 1 10; la première partie (p. 493-494) forme la lettre LXXIV ci-après, et la seconde (p. 494-496) la let- tre XXII bis [2 y mai i63o\. Cette troisième partie se termine par une phrase (ci-après p. 368, l. 11-14) <7 M ' rappelle, presque mot pour

�� � j66 Correspondance. 1,496-497.

mot, la quatrième phrase de la lettre précédente (p. 364, l. S- 10), avec le mot derechef en plus, comme si Descartes revenait à la fin sur une recommandation déjà faite par lui au commencement; ces deux fragments paraissent donc appartenir à la même lettre, peut-être écrite à dessein sur deux feuilles séparées , l'une pour Mersenne seul à cause des quelques mots p. 364, l- 5, l'autre qui pouvait être aussi montrée aux auteurs des objections auxquelles répond Descartes.

Pour ce que vous inferez que, fi la nature de l'homme n'eft que de penfer, il n'a donc point de vo- lonté, ie n'en voy pas la confequence; car vouloir, entendre, imaginer, fentir, &c, ne font que des di- uerfes façons de penfer, qui apartiennent toutes à 5 l'ame. Vous rejettez ce que i'ay dit, quilfuffit de bien iuger pour bien faire; et toutefois il me femble que la doctrine ordinaire de l'école eft que voluntas nonfertur in malum, niji quatenus eifub aliqua ratione boni reprœ- fentatur ab intelleclu, d'où vient ce mot : omnis peccans 10 eft ignorans; en forte que û iamais l'entendement ne reprefentoit rien à la volonté comme bien, qui ne le fuft, elle ne pourroit manquer en fon élection. Mais | il luy reprefente fouuent diuerfes chofes en mefme temps; d'où vient le mot video meliora proboquc, qui >5 n'eft que pour les efprits foibles, dont i'ay parlé en la page 26. Et le bien faire dont ie parle ne fe peut en- tendre en termes de Théologie, où il eft parlé de la Grâce, mais feulement de Philofophie morale & natu- relle, où cette Grâce n'eft point confiderée; en forte 20 qu'on ne me peut accufer pour cela de l'erreur des Pelagiens ; non plus que fi ie difois qu'il ne faut qu'a- uoir vn bon fens pour eftre honnefte homme, on ne m'objederoit pas qu'il faut auffi auoir le fexe qui nous diftingue des femmes, pource que cela ne vient point 25

�� � 1,497-49*- LXXII1 bis. — 27 Avril 16^7. ^67

alors à propos. Tout de mefme en difant qu’il eft vray- femblable (à fçauoir félon la raifon humaine) que le monde a efté créé tel qu’il deuoit eftre, ie ne nie point pour cela qu’il ne foit certain par la foy qu’il eft par- 5 fait. Enfin pour ceux qui vous ont demandé de quelle Religion i’eftois, s’ils auoient pris garde que i’ay écrit en la page 29, que ie n’euffe pas crû me deuoir contenter des opinions d’autruy vn feul moment, fi ie ne me fufTe propofé d’employer mon propre iugement

10 à les examiner lors qu’il feroit temps, ils verroient qu’on ne peut inférer de mon difcours, que les infi- dèles doiuent demeurer en la religion de leurs parens.

le ne trouue plus rien en vos deux lettres qui ait

i5 befoin de réponfe, finon qu’il femble que vous crai- gniez que la publication de mon premier difcours ne m’engage de parole à ne point faire voir cy-apres ma Phyfique, de quoy toutesfois il ne faut point auoir peur; car ic n’y promets en aucun lieu de ne la point

20 publier pendant ma vie; mais ie dis que i’ay eu cy- deuant deffein de la publier, que depuis, pour les rai- fons que i allègue, ie me fuis propofé de ne le point faire pendant ma vie, & que maintenant ie prens refo- lution de publier les traitez contenus en ce volume;

25 d’où tout de mefme l’on peut inférer que, fi les raifons qui mempefchent de la publier eftoient changées, ie pourrois prendre vne autre refolution, fans pour cela eftre changeant ; car sublata caufa lollitur effectus. Vous dites auffi qu’on peut attribuer à vanterie ce que ie

30 dis de ma Phyfique, puifque ie ne la donne pas; ce qui peut auoir lieu pour ceux qui ne me connoiffent

�� � j6S Correspondance. i, 498.

point, &. qui n’auront vû que mon premier difcours; mais pour ceux qui verront tout le liure, ou qui me connoiffent, ie ne crains pas qu’ils m’accufent de ce vice; non plus que de celuy que vous me reprochez, de méprifer les hommes, à caufe que ie ne leur donne 5 pas étourdiment ce que ie ne fçay pas encore s’ils veulent auoir : car enfin ie n’ay parlé comme i’ay fait de ma Phyfique, qu’afin de conuier ceux qui la défire- ront, à faire changer les caufes qui m’empefchent de la publier. 10

Derechef ie vous prie de nous enuoyer ou le Priui- lege ou fon refus, le plus promptement qu’il fera pof- fible, & plutoften la façon la plus fimple vn iour de- uant, qu’en la meilleure le iour d’après. le fuis. &c.

��LXXIV. Descartes a ***.

[Leyde? 27 avril 1637?] Texte de Clerselier, tome I, lettre uo, p. 493-494.

« Ecrite à un ami du P. Mersenne, en avril 1637. Voyez-en les » raisons dans le nouveau cahier. » (Note de l’exemplaire de l’Insti- tut). Cette indication ne se rapporte qu’au premier alinéa : la seconde partie {p. 4g4-4gb~) est la Lettre XXII bis [du 27 mai i63o], et la troisième (p. 4g6~4g8) la Lettre LXXIII bis, imprimée ci-avant. La seconde partie ôtée, la première et la troisième, bien que n’appar- tenant vas à la même lettre, et adressées à deux personnes diffé- rentes, semblent avoir été écrites à la même date. — Cet ami .de Mersenne était probablement quelqu’un de l’entourage du Chancelier Sêguier, peut-être Conrart, qui, en sa qualité d’* homme de sceau », s’occupait des privilèges pour les auteurs, ou bien l’âbbé de Ceri\y.

�� � i,493. LXXIV. — 27 Avril 1637? }6o

Ce sont eux du moins que l'on trouve dans une affaire de privilège, toute semblable à celle de Descartes, et qui regardait Balzac. Chape- lain écrit à celui-ci, le 1" avril i63j : « Nous avons avisé, M r Con- » rart et moy, qu'il étoit à propos d'obtenir le privilège de ce volume » en rostre nom, (tant) parce qu'il rous est plus honnorable, que pour i> d'autres raisons rallables. . . et mondit sieur Conrart l'a dressé » de telle sorte qu'il rous pourra servir pour tous les livres que vous » ferés jamais imprimer, comme vous verres lorsqu'il vous en en- » voyera la copie, après qu'il l'aura obtenu et fait sceller, à quoy » présentement il va travailler en le mettant de vostre part entre les » mains de M r l'abbé de Ceri^y pour le présenter à M r le Chancelier, » ce qu'il fera asseurément. » (Lettres de Jean Chapelain, Impr. Nat., 1880, t. I, p. 147; cf. p. i3g). — La probabilité est pour l'abbé de Ceri^y, que Des.cartes fera saluer par Mersenne (Lettre du 3i mars i638, Clers., III, 403). H ne semble pas, au con- traire, qu'il faille penser à l'abbé de Launay (Cf. Lettre LXXXII ci-après).

Monfieur,

Encore que le P. Merfenne ait fait directement con- tre mes prières, en difant mon nom, ie ne fçaurois toutesfois luy vouloir mal, de ce que par fon moyen

5 i'ay l'honneur deftre connu d'vne perfonne de voftre mérite. Mais i'ay bien fujet de m'infcrire en faux contre vn projet du Priuilege qu'il me mande vouloir tafcher d'impetrer pour moy; car il m'y introduit me louant moy-mefme, & me qualifiant inuenteur de

10 plufieurs belles chofes, & me fait dire que i'ofre de donner au public d'autres traitez que ceux qui font défia imprimez; ce qui eft contraire à ce que i'ay écrit tant au commencement de la 77 e ' page du difcours qui fert de Préface, qu'ailleurs. Maisie m'affure qu'il vous

»5 fera voir ce que ie luy mande, puifque i'aprens par celle que vous m'auez fait l'honneur de m'écrire, que c'eft vous qui m'auez obligé de luy fuggerer quelques-

CORRESPONDANCE. I. 47

�� � vnes des objections aufquelles ie luy fais réponfe. Pour le traité de Phyfique dont vous me faites la faueur de me | demander la publication, ie n’aurois pas efté fi imprudent que d’en parler en la façon que i’ay fait, fi ie n’auois enuie de le mettre au iour, en cas 5 que le monde le délire, & que i’y trouue mon conte & mes feuretez. Mais ie veux bien vous dire, que tout le deffein de ce que ie fais imprimer à cette fois, n’eft que de luy preparer le chemin, & fonder le guay. le propofe à cet effet vne Méthode générale, laquelle 10 véritablement ie n’enfeigne pas, mais ie tafche d’en donner des preuues par les trois traitez fuiuans, que ie joins au difcours où i’en parle, ayant pour le premier vn fujet meflé de Philofophie & de Mathématique; pour le fécond, vn tout pur de Philofophie; & 15 pour le 3(e) vn tout pur de Mathématique, dans lefquels ie puis dire que ie ne me fuis abftenu de parler d’aucune chofe, (au moins de celles qui peuuent eftre connues par la force du raifonnement), pource que i’ay crû ne la pas fçauoir; en forte qu’il me femble par là 20 donner occafion de iuger que i’vfe d’vne methode par laquelle ie pourois expliquer auffi bien toute autre matière, en cas que i’euffe les expériences qui y feroient neceffaires, & le temps pour les confiderer. Outre que pour montrer que cette methode s’étend à 25 tout, i’ay inféré brièvement quelque chofe de Meta- phylique, de Phyfique & de Médecine dans le premier difcours. Que fi ie puis faire auoir au monde cette opinion de ma Méthode, ie croiray alors n’auoir plus tant de fujet de craindre que les principes de ma Phyfique foient mal receus; et fi ie ne rencontrois que des 1.494- LXXV. — Mai 16^7. jji

iuges auffi fauorables que vous, ie ne le craindrois pas dés maintenant.

��LXXV. Descartes a Huygens.

[Mai 1637.] Texte de Clerselier, tome I, lettre 106, p. 484-486.

Sans date dans Clerselier, mais avec l'adresse : « A Monsieur de Zuitlichen », et ce titre à la table : « Consolation sur la mort de sa femme ». Or Constantin Huygens perdit sa femme, Su\anna van Baerle, le 10 mai i63~, comme lui-même l'a noté dans son Dagboek. D'autre part, Descartes n'avait pas encore le Privilège de France (du 4 mai), qu'il reçut cependant peu après, l'achevé d'imprimer du Discours de la Méthode, etc. étant du 8 juin i63j.

Monfieur,

Encore que ie me fois retiré aflez loin hors du 5 monde*, la trifte nouuelle de voftre affliction n'a pas laiiTé de paruenir iufques à moy. Si ie vous mefurois au pié des âmes vulgaires, la triftefïe que vous auez témoignée dés le commencement de la maladie de feu Madame de Z(uylichem)* me feroit craindre que fon 10 decez ne vous fuft du tout infupportable ; mais ne dou- tant point que vous ne vous gouuerniez entièrement félon la raifon, ie me perfuade qu'il vous eft beaucoup plus aifé de vous confoler,& de reprendre voftre tran- quillité d'efprit acoutumée, maintenant qu'il n'y a i5 plus du tout de remède, que lors que vous auiez en- core ocafion de craindre & d'efperer. Car il eft cer-

�� � jj2 Correspondance. 1,484-485.

tain que l'efperance eftant du tout oftée, le defir ceiTe, ou du moins fe relafche & perd fa force, & quand on n'a que peu ou point de defir de rauoir ce qu'on a perdu, le regret n'en peut eftre fort fenlible. Il eft | vray que les efprits foibles ne gouttent point du tout 5 cette raifon, & que fans fçauoir eux-mefmes ce qu'ils s'imaginent, ils s'imaginent que tout ce qui a autre- fois efté, peut encore eftre, &. que Dieu eft comme obligé de faire pour l'amour d'eux tout ce qu'ils veu- lent. Mais vne ame forte & genereufe comme la vof- 10 tre, fçachant la condition de noftre nature, fe foumet toufiours à la neceiïité de fa loy ; et bien que ce ne foit pas fans quelque peine, i'eftime fi fort l'amitié, que ie croy que tout ce que l'on fouffre à fon occafion eft agréable, en forte que ceux mefme qui vont à la mort i5 pour le bien des perfonnes qu'ils affe&ionnent, me femblent heureux iufques au dernier moment de leur vie. Et quoy que i'aprehendaffe pour voftre fanté, pendant que vous perdiez le manger & le repos pour feruir vous mefme voftre malade, i'euffe penfé com- 20 mettre vn facrilege, ii i'euffe tafché à vous diuertir d'vn office fi pieux & fi doux. Mais maintenant que voftre deuil, ne luy pouuant plus eftre vtile, ne fçau- roit aufïi eftre li iufte qu'auparauant, ny par confe- quent accompagné de cette joye & fatisfadion inte- 25 rieure qui fuit les actions vertueufes, & fait que les fages fe trouuent heureux en toutes les rencontres de la fortune, fi ie penfois que voftre raifon ne le pûft vaincre, i'irois importunément vous trouuer, & taf- cherois par tous moyens à vous diuertir, à caufe que 3o ie ne fçache point d'autre remède pour vn tel mal. le

�� � i, 4 s5- 4 86. LXXV. — Mai 16^7. jj)

ne mets pas icy en ligne de compte la perte que vous auez faite, en tant qu'elle vous regarde & que vous eftes priué d'vne compagnie que vous cherifîiez extrê- mement; car il me femble que les maux qui nous tou- 5 chent nous mefmes ne font point comparables à ceux qui touchent nos amis, & qu'au lieu que c'efl vne vertu d'auoir pitié des moindres afflictions qu'ont les autres, c'efl: vne efpece de lafeheté de s'affliger pour aucune des difgraces que la fortune nous peut en-

10 uoyer; outre que vous auez tant de proches qui vous cherifTent, que vous ne fçauriez pour cela rien trou- uer à dire en voftre famille ; & que quand vous n'au- riez que I Madame de V(ilhem)* pour fœur, ie croy qu'elle feule efl fuffifante pour vous déliurer de la

i5 folitude, & des foins d'vn ménage, qu'vn autre que vous pourroit craindre, après auoir perdu fa compa- gnie, le vous fuplie d'exeufer la liberté que ie prens de mettre icy mes fentimens en Philofophe, au mefme moment que ie viens de receuoir vn pacquet de vôtre

20 part, par Monfieur G(olius). où ie ne comprens point le procédé du P. M(erfenne); car il ne m'enuoye encore aucun Priuilege, & femble vouloir m'obliger, en fai- fant tout le contraire de ce dont ie le prie. le fuis, &c.

Page 3-1, 1. 5. — Descartes dira, en effet, le 14 juin, qu'il vient de faire « un voyage de plus de six semaines». Il n'était donc plus à Leyde, comme nous l'avons vu déjà (p. 364, 1. 16, note), et c'était Golius qui lui faisait parvenir les paquets à son adresse (voir ci-dessus, p. 3/3, 1. 20). C'est pourquoi il écrit à Huygens; resté à Leyde, il aurait été voir son ami, et aurait assisté aux obsèques, la distance n'étant point si grande jusqu'à La Haye. L'abbé Monchamp (voir Un correspondant belge de Descartes, le P. François Fournet, p. 3-4, et/saac Beeckman et Descartes, Bruxelles, 1895, p. 29-30) conjecture qu'il était à Douai, rapportant à cette absence de Descartes un voyage dont parle en effet Baillet (t. I, p. 3o7-3o8). Mais ceci ne s'accorde guère avec ce que dit le philosophe : « encore que ie me

�� � }74 Correspondance. 11,359.

» sois retiré assez loin hors du monde. » Il s'agirait plutôt d'un hermitage comme Egmond, près d'Alkmaar, où nous le verrons, en effet, cet été (lettre LXXXI V, du 8 septembre i 6 3 7 ) .

Page 371, 1. 9. — CIcrselier imprime Madame de Z. On suit dans le Dagboek de Huygcns la maladie de sa femme, morte à 38 ans, après 10 ans de mariage. -Le i3 mars, elle met au monde une fille, Suzanne, son 5" enfant. « 3o Mart. Acutissimo morbo sub horam duodecimam » nocturnam afrligitur charissima puerpera mea. — 6 [April.] Apparent » Aspht" {sic pro Aphihx}) misera; uxori mea;. — 29. EffcrroaDgram meam » in domum affinis Admiralii et nocte insequenti prosternitur in gravissi- » mam recidivam... — 10 Maij. Spiritum Dco reddit 3o min. post quin- » tam vespertinam heu! delicium meum, heu! anima mea. — 16. Terra: » cadaver mandatur frequentissimo comitatu. — 17. Intro in novas xdes » heu! sine meâ turture. » Huygens ne se remaria pas et dirigea lui-même l'éducation de ses cinq enfants.

Page 373, I. i3. — CIcrselier imprime Madame de V. Il s'agit évidem- ment de Constantia Huygens, qui avait épousé le 26 janvier 1 633 David Le Leu de Wilhem. Rayle cite ce fait à l'article Wilhem de son Diction- naire (3» édit., 1720, t. IV, p. 2878, note F) : « Constance Huygens avoit » bien de la lecture. M. des Cartes l'estimoit beaucoup, et lui demandoit » volontiers, et même avec déférence, ce qu'elle pensoit sur les nouvelles » idées de Philosophie qu'il inventoit. » (Voir plus haut, p. 273-274).

��LXXVI.

Descartes a Mersenne. '

[25 mai 1637.] Texte de Clerselier, tome II, lettre 80 fin, p. 35g-36i.

Le premier alinéa de Clerselier est de févr. 1634 (lettre LU ci- avant). Tout le reste, c'est-à-dire la présente lettre, est de la seconde quinzaine de mai i63y, après la mort toute récente de Madame de Zuylichem (10 mai), et à la réception du privilège (signé le 4). Etant absent de Leyde, Descartes ne put guère écrire avant le courrier partant d' Amsterdam le lundi 25 mai.

le fuis extrêmement marry dauoir écrit quelque chofe en mes dernières qui vous ait déplu, ie vous en

�� � II, 35g-36o. LXXVI. 2$ Mm 16^7. ■ jjj

demande pardon ; mais ie vous affeure & vous protefte que ie n'ay eu aucun deffein de me plaindre en ces lettres-là, que du trop de foin que vous preniez pour m'obliger, & de voftre grande bonté, laquelle me fai- i foit craindre ce que vous mefme m'auez mandé de- puis eftre arriué, fçauoir que vous euffiez mis le Hure entre les mains de quelqu'vn, qui le retinft par deuers luy pour le lire, fans demander le Priuilege 3 : & ie craignois que pour auoir d'autant plus de temps à cet

10 effet, il ne vous euft perfuadé d'en demander vn gêne- rai, qui feroit refufé, & ainfi qu'il ne fe paffaft beau- coup de temps. Et c'eft pour cela feul que ie vous mandois que ie n'ofois écrire ce que i'en penfois b . Car de dire que vous euffiez aucune enuie de vous

i5 preualoir de ce qui eft en ce liure, ie vous iure que c'eft vne chofe qui ne m'efl iamais entrée en la penfée, & que ie dois eftre bien éloigné d'auoir de telles opinions d'vne perfonne de l'amitié & de la fincerité duquel ie fuis tres-affeuré ; veu que ie ne l'ay pas

20 mefme pu auoir c de ceux que i'ay feeu ne m'aimer pas, & eftre gens | qui tâchent d'acquérir quelque réputa- tion à fauffes enfeignes, comme de B(eecman), H(ortenfms) , F(errier), & femblables. Que fi ie me fuis plaint de la forme de ce Priuilege, ce n'a efté

2 5 qu'afin que ceux à qui vous en pourriez parler, ne crûffent point que ce fuft moy qui l'euffe fait deman- der en cette forte, à caufe qu'on auroit, ce me femble, eu tres-iufte raifon de fe mocquer de moy, fi ie l'euffe

a. Cf. plus haut, pages 355 et 36i-363, ce qui est dit de Beaugrand.

b. Voir plus haut lettre LXXIII, p. 364, 1. 5.

c. pu en auoir Clers.

�� � jy6 . Correspondance. ii, 36o.

ofé prétendre fi auantageux, & qu'il eufl elle refufé. Mais l'ayant obtenu, ie ne laifle pas de l'eftimer extrê- mement, & de vous en auoir très-grande obligation. Et ie fçay bien qu'il y a force gens qui feroient bien glorieux d'en auoir vn femblable. Iufques-là que quel- 5 qu'vn icy en ayant vu la copie, difoit qu'il l'eftimoit plus, qu'il n'euft fait des Lettres de Cheualerie. Au refte x pour ce que vous auez dit mon nom à quelques- vns, & leur auez fait voir ce liure, ie fçay très-bien que vous ne l'auez fait que pour m'obliger; & il fau- 10 droit que ie fuffe de bien mauuaife humeur, fi ie m'offenfois d'vne chofe que ie fçay qu'on n'a faite que pour me beaucoup obliger; & ie me fens particulière- ment redeuable à cette Dame qui vous a écrit; de ce qu'il luy plaiït iuger de moy fi fauorablement. >5

l'ay receu cy-deuart tous les paquets dont vous me faites mention en voftre dernière, mais ie ne vous ay rien mandé du billet où eftoient les fautes de l'impref- fion, pour ce qu'elles eftoient défia imprimées, ny du paffage de faint Auguftin a , pource qu'il ne me femble ao pas s'en feruir à mefme vfage que ie fais. Monfieur de Zuytlichem a auffi receu vos liures, mais s'il ne vous en a point écrit, ce fera que la maladie & la mort de fa femme, qui l'ont fort affligé depuis deux mois, l'en auront diuerty. le n'ay receu que depuis peu de iours 25 les deux petits liures in-folio que vous m'auez en- uoyez b , l'vn defquels de Perfpediue n'efl pas à defap- prouuer, & la curiofité & netteté de fon langage efl à

a. Sans doute le fameux passage Civit. Dei, lib. XI, cap. 26.

b. Les opuscules de Desargues et de Guy de La Brosse, également envoyés par Mersennc à Fermât. Voir plus haut, page 36o, notes a et b.

�� � h, ?6o-36.. LXXVI. — 25 Mai 1657. jjj

eftimer. Mais pour l'autre, ie trouue qu'il réfute fort mal vne chofe qui eft, ie croy, fort aifée à réfuter, & qu'il euft bien mieux fait de s'en taire. Vous m'en- uoyez auffi vne proposition d'vn Géomètre, Confeiller

5 de Thouloufe, qui eft fort belle, & qui m'a | fort réjoùy a : car d'autant qu'elle fe refoût fort facilement par ce que i'ay écrit en ma Géométrie, & que i'y donne géné- ralement la façon, non feulement de trouuer tous les lieux plans, mais auffi tous les folides, i'efpere que fi

10 ce Confeiller eft homme franc & ingénu, il fera l'vn de ceux qui en feront le plus d'eftat, & qu'il fera des plus capables de l'entendre : car ie vous diray bien que i'apprehende qu'il ne fe trouuera que fort peu de perfonnes qui l'entendront.

'5 Pour le Médecin qui ne veut pas que les valuules du cœur fe ferment exactement, il contredit en cela à tous les Anatomiftes qui Fécriuent, plutoft qu'à moy, qui n'ay point befoin que cela foit, pour de- monftrer que le mouuement du cœur eft tel que ie

20 l'écris : car encore qu'elles ne fermeroient pas la moitié de l'entrée de chaque vaiffeau, l'Automate ne laifleroit pas de fe mouuoir neceffairement, comme i'ay dit b . Mais outre cela, l'expérience fait tres-clai- rement voir à l'œil en la grande artère, & en la veine

25 arterieufe, que les fix valuules qui y font, les fer- ment exactement; & bien que celles de la veine caue & de l'artère veneule ne femblent pas faire le mefme

a. Il s'agit de la proposition envoyée à Roberval par Fermât en février i63- (Œuvres de Fermât, t. II, 1894, p. ioo). Voir ci-après Lettre du 2? août i638 [Clers., III, 405-406).

b. Discours de la Méthode, page 47 et suiv.

Correspondance. I. 48

�� � dans le cœur d’vn animal mort, toutesfois ſi on conſidere que les petites peaux dont elles ſont compoſées, & les fibres où elles ſont attachées, s’étendent beaucoup plus dans les animaux qui ſont vifs que dans les morts, où elles ſe reſſerrent & ſe retirent, on ne 5 doutera point qu’elles ne ſe ferment auſſi exactement que les autres.

Pour ce qu’il adjouſte que i’ai confideré le cerueau & l’œil d’vne belle, plutoſt que d’vn homme, ie ne voy pas d’où il le prend, ſinon peut-eſtre que, pour ce 10 qu’il ſçait que ie ne ſuis pas medecin de profeſſion, il croit que ie n’en ay pas eu la commodité, comme ie le veux bien auoüer, ou bien pource que la figure du cerueau que i’ay miſe en la Dioptrique[80], a eſté tirée aprés le naturel ſur celuy d’vn mouton, duquel ie 15 ſçay que les ventricules & les autres parties interieures ſont beaucoup plus grandes, à raiſon de toute la maſſe du cerueau, qu’en celuy d’vn homme ; mais ie l’ay iugé pour ce ſujet d’autant plus propre à faire bien voir ce dont | i’auois à parler, qui eſt commun 20 aux belles & à l’homme. Et cela ne fait rien du tout contre moy ; car ie n’ay ſuppoſé aucune choſe de l’Anatomie, qui ſoit nouuelle, ny qui ſoit aucunement en controuerſe entre ceux qui en écriuent.

Enfin, pour ce que mon explication de la refraction, 25 ou de la nature des couleurs, ne ſatisfait pas à tout le monde[81], ie ne m’en étonne aucunement ; car il n’y a perſonne qui ait eu encore aſſez de loiſir pour les bien examiner. Mais lors qu’ils l’auront eu, ceux qui voudront prendre la peine de n’auertir des deffauts qu’ils y auront remarquez, m’obligeront extremement, principalement s’il leur plaiſt de permettre que ma réponſe puiſſe eſtre imprimée auec leur écrit, afin que 5 ce que i’auray vne fois répondu à quelqu’vn, ſerue pour tous. Enfin ie vous remercie de tous vos ſoins, & ſuis,


LXXVII.
Descartes a Colvius.
Leyde, 14 juin 1637.
Autographe, Munich, Bibl. Royale, Camerariana, IV, 87.

Lettre publiée pour la première fois par l’abbé G. Monchamp, Isaac Beeckman et Descartes, p. 22 (brochure, Bruxelles, 1895), sur les indications de D. J. Korteweg.

Monſieur,

En paſſant par cete ville au retour d’vn voyaſge ou 10 i’ay eſté plus de ſix ſemaines[82], i’y ay trouué la lettre que vous auez pris la peine de m’eſcrire, par laquelle i’apprens les triſtes nouuelles de la mort du Sr Beeckman[83], lequel ie regrette, & ie m’aſſeure que comme ayant eſté l’vn de ſes meilleurs amis vous en aurez eu 15 de l’affliction. Mais, Monſieur, vous ſçauez beaucoup mieux que moy que le tems que nous viuons en ce monde eſt ſi peu de choſe a comparaiſon de l’eternité, }8o Correspondance.

que nous ne nous deuons pas fort foucier fi nous fommes pris quelques années plutoft ou plus tard. Et M r Beeckman ayant elle extrêmement philofophe, comme il a efté, ie ne doute point qu'il ne fe fuit refolu des long tems a ce qui luy eft arriué. le fou- 5 haite que Dieu l'ait illuminé en forte qu'il foit mort en fa grâce, & ie fuis,

Monfieur,

Voftre très humble & affe&ionné feruiteur, 10

DES CARTES.

De Leyde, ce 14 Iuin 16)7.

A Monfieur Monfieur Colviûs, miniftre

de la parole de Dieu l5

a Dordrecht.

��LXXVIII.

Descartes a Balzac

Leyde, 14 juin 1637.

Copie MS., Bibliothèque de l'Arsenal, Ms. de Conrart, IV, 198.

Lettre publiée pour la première fois par V. Cousin, Fragments philosophiques, 4 e e'dit., 1847, t. III, p. 46.

Monfieur, le me fuis enfin hazardé de faire imprimer les écrits que vous receurez, s'il vous plaift, auec cete

�� � LXXVIII. — 14 Juin 1637. j8i

lettre 3 ; et bien que ie ne les iuge nullement dignes que vous les lifiez, & que i'aye beaucoup plus de honte deuant vous de la rudefle de mon ftile, & de la fimplicité de mespenfées, que deuant les autres, qui 5 ne les fçauront pas fi bien reconnoiftre, toutesfois l'af- fection que vous m'auez dés longtemps fait la faueur de me tefmoigner me promet que ce liure receura de vous plus de protection & d'appuy que d'aucun autre. & mefme que vous m'obligerez de m'apprendre les

10 fautes que vous y aurez remarquées & les iugemens qu'on en pourra faire; car d'autant que ie ne luy ay point fait porter mon nom, ie penfe le pouuoir encore defauouer s'il le mérite*.

le vis dernièrement icy les nouuelles Lettres que

i5 vous auez mifes au iour b , lefquelles oftent a vos pre- mières la louange qu'on leur pouuoit donner aupara- uant d'eftre vniquement excellentes ; & y en ayant entr'autres rencontré vne que vous m'auez fait l'hon- neur de m'écrire lorfque i'eftois a Amfterdam , & par

20 laquelle vous m'obligez incomparablement plus que ie ne mérite, cela m'affure que vous continuez tou- fiours de m'aymer & que vous ne refuferez pas de prendre part en mes interefts. Au refte, ie ne vous fais point d'excufes du filence que i'ay gardé pendant

25 quelques années, car ayant vécu de telle forte que ie ne pouuois efperer d'eftre vtile à aucun de ceux à qui i'ay voué du feruice, il me fembloit que mes

a Le Discours de la Méthode et les Essais. Achevé d'imprimer, 8 juin i63 7 .

b. Lettres de M. de Balzac. Seconde partie (Paris, Pierre Rocolet,2 vol. in- 12, i636, privilège du 3o janv. 1 635, achevé d'imprimer 26 fév. i636).

c. Ib.,t. I, p. 471. C'est la lettre XXXII ci-avant, du 25 avril i63i,p. 199.

�� � } 82 Correspondance.

complimens euflent deu eftre contez pour autant de paroles perdues, & ie nay pas laiffé d'eflre toufiours paffionement, Moniteur,

Voftre très humble & très fidèle feruiteur,

DES CARTES.

De Hollande, ce 14 Iuin 16^7.

Page 38i, 1. i,3. — Balzac connaissait déjà la publication de Descartes. Il écrivait à Chapelain, le 22 avril 1637 : « Je suis bien aise que le livre de » M. Descartes vous ait plu, et je ne doute plus de la solidité de sa doc- » trine puisqu'elle a eu vostre approbation. » [Œuvres de Balzac, 1 665, 1. 1, p. 745). Chapelain répond à Balzac, le ? 1 mai 1637 : « Au reste, ce que » je vous avois mandé de prendre la peine d'escrire un mot de conjouis- » sance à M. Descartes sur le succès de la publication de ses ouvrages,

> s'entendoit tousjours conditionnellement et sans faire de violence aux

» vœux si solennels que vous faites dans vostre dernière lettre françoise >> de ne plus escrire à qui que ce soit de deux ou trois ans. » [Lettres de Jean Chapelain, lmp. nat., 1880, t. I, p. i52-i53).

��LXXIX.

Descartes [au P. Noël].

[Leyde, 14 juin 1637.] Texte de Cleijelier, tome II, lettre 78, p. 356.

Sans date dans Clerselier, et avec cette indication : « A vn Reue- rend Père Iesuite ». L'exemplaire de l'Institut ajoute : « Ecrite le » 1 5 juin 1637. Voyez-en les raisons dans le nouveau cahier, p. 26.» Le i5 était un lundi, jour de courrier; mais Descartes a sans doute expédié le même jour toutes ses lettres d'envoi, le dimanche 14, comme l'indique la lettre précédente à Balzac. Il s'adresse ici à un Jésuite, qui avait été son maître en Philosophie au Collège de La Flèche. Or Descartes eut pour professeur en titre, pendant ses trois

�� � n,356. LXXIX. — 14 Juin 1657. jSj

années de cours, de 160g à 16 12, le P. François Ve'ron, et en même temps comme repetitor philosophie le P. Etienne Noël; celui-ci, de quittée ans à peine plus âgé que Descartes, vivait avec les élèves dans une complète intimité. C'est donc à lui, ce semble, plutôt qu'à Véron, que Descartes envoie son livre, d'autant plus que, depuis le 16 décem- bre i636, le P. Noël était Recteur du Collège de La Flèche. (Cf. Le Collège Henri IV de La Flèche, par le P. Camille de Rochemon- teix, 4 vol. in-8, Le Mans, 188g, t. IV, p. Ss, Sj, et t. I, p. 2 ri).

Mon Reuerend Père,

le iuge bien que vous n'aurez pas retenu les noms de tous les difciples que vous auiez il y a vingt-trois ou vingt-quatre ans, lors que vous enfeigniez la Phi- 5 lofophie à la Flèche*, & que ie fuis du nombre de ceux qui font effacez de voftre mémoire. Mais ie n'ay pas crû pour cela deuoir effacer de la mienne les obli- gations que ie vous ay, ny n'ay pas perdu le defir de les reconnoiftre,bien que ie naye aucune autre occa-

io fion de vous en rendre témoignage, finon qu'ayant fait imprimer ces iours paffez le Volume que vous receurez en cette lettre, ie fuis bien aife de vous l'of- frir, comme vn fruit qui vous appartient, & duquel vous auez ietté les premières femences en mon ef-

i5 prit, comme ie dois auffi à ceux de voftre Ordre tout le peu de connoiflance que i'ay des bonnes Lettres. Que fi vous prenez la peine de lire ce liure, ou que vous le faffiez lire par ceux des voftres qui en auront le plus de loifir, & qu'y ayant remarqué les fautes, qui

20 fans doute s'y trouueront en très-grand nombre, vous me veùilliez faire la faueur de m'en aduertir, & ainfi de continuer encore à m'enfeigner, ie vous en auray vne très-grande obligation, & feray tout le mieux qui me fera poffible pour les corriger fuiuant vos bonnes

�� � }84 Correspondance. ii, 356.

inftrudions. Cependant ie prie Dieu qu'il vous con- ferue, & ie feray toute ma vie,

Mon R. P.

Voftre tres-humble & tres-acquis feruiteur, descartes.

Page 383, 1. 5. — « Il y a vingt-trois ou vingt-quatre ans », dit Des- cartes, ce qui nous reporterait à 1614 ou 1 6 1 3 ; et le P. Noël fut bien, en effet, professeur en titre de Philosophie dès la rentrée d'octobre 1 61 3 ; mais Descartes avait quitté le collège en septembre 161 2. Peut-être, dans la minute, les chiffres « 23 et 24 ans » auront-ils été mal lus pour 25 et 26, ce qui nous reporte alors à 16 12 et 161 1, où Descartes eut, en effet, le P. Noël comme répétiteur de philosophie.

��LXXX.

Descartes a [Huygens].

[Leyde, 14 juin 1637.] Texte de Clerselier, tome II, lettre 79, p. 357-358.

Sans date dans Clerselier, et avec ce titre : « A vn Gentil-homme » de M r le Prince d'Oranges. » L'exemplaire de l'Institut ajoute : » Forte Const. Huyghens de Zuytlichem. Cette lettre est écrite en » juin 1637. Voyez-en les raisons dans le nouveau cahier. » Baillet est du même avis (t. I, p. 299). En effet Descartes s'adresse à quelqu'un qui savait que le privilège de France s'était fait attendre, et la lettre LXXV (p. 3j3, l. 22) montre que Descartes avait raconté à Huygens tous les retards du P. Mersenne. D'autre part, à qui pouvait-il mieux s'adresser pour présenter son livre au Prince d'O- range, qu'au secrétaire particulier de Son Altesse, c'est-à-dire à son ami Huygens? Enfin le destinataire de cette lettre avait une par- faite intelligence de tout ce qu'il peut y avoir en ses écrits (p. 386, l. 6-8), et justement Huygens les connaissait depuis long- temps, pour avoir assisté à toute leur élaboration (lettres des 16 avril, 28 oct. et S déc. i635 ; des 3i mars et 1 5 juin i636; du

�� � h,35 7 . LXXX. — 14 Juin 1657. 385

5 janvier i63-j). — Descartes aura sans doute écrit cette lettre d'envoi, comme les deux précédentes, le dimanche 14 juin.

Monfieur,

I'ay enfin receu le Priuilege de France que nous attendions, & qui a elle caufe que le libraire a tant tardé à imprimer la dernière feuille du liure que ie 5 vous enuoye, & que ie vous fupplie de vouloir pre- fenter à fon Alteffe*, ie n'ofe dire au nom de l'autheur, à caufe que l'autheur n'y eft pas nommé & que ie ne prefume point que mon nom mérite d'eftre connu d'Elle ; mais comme ayant efté compofé par vne per- 10 fonne que vous connoiffez, & qui eft tres-deuote & tres-affedionnée à fon feruice. En effet, ie puis dire que dés-lors que ie me refolu de quitter mon pais,

6 de m'éloigner de connoiffance 8 , afin de pafTer vne vie plus douce & plus tranquille que ie ne faifois

i5 auparauant, ie ne me fufife point auifé de me retirer en ces Prouinces, & de les préférer à quantité d'au- tres endroits où il n'y auoit aucune guerre, & où la pureté & la fechereffe de l'air fembloient plus propres aux productions de l'efprit b , fi la grande opinion que

jo i'auois de fon Alteffe ne m'éuft fait extraordinaire- ment fier à fa protection & à fa conduite. Et depuis ayant ioùy parfaitement du loifir & du repos que i'auois efperé trouuer à l'ombre de fes armes, ie luy en ay très-grande obligation, & penfe que ce liure qui

2 s ne contient que des fruits de ce repos, luy doit plus particulièrement eftre offert qu'à perfonne. C'eft

a. de mes cqnnoissances. Exemplaire de l'Institut.

b. Cf. plus haut lettre XXXIII, 5 mai i63i (p. 203-204).

Correspondance. I. 49

�� � 7 86 Correspondance. 11, 357-358.

pourquoy s'il vous plaift auoir agréable que ce foit par vos mains que ie m'acquitte de cette dette, encore que la paffion que ie fçay que vous auez pour fon feruice, ne me permette pas d'efperer que vous luv vouluffiez prefenter de mauuaife | monnoye pour de bonne, la parfaite intelligence que vous auez de toutes chofes, & de tout ce qu'il peut y auoir en mes efcrits, m'aiTure que voftre recommandation augmen- tera de beaucoup leur valeur; & ie feray toute ma vie,

Monfieur,

Page 385, 1. 6. — Ce titre d'Altesse venait d'être reconnu par la France au prince d'Orange Frédéric-Henri. Huygens note dans son Dagboek, à la date du 12 janv. 1637 : « Incipimus mandata Principis Tiiulo Celsitu- » dinis inscribere. » — Huygens avait repris ses fonctions de secrétaire peu de jours après la mort de sa femme, et tout le mois de juin il fut à La Haye : « 19 Maij. Redeo in Aulam a Principe vocatus. — 7 Julij. Cum » Principe Hagâ discedo. »

��LXXXI.

Descartes a [Huygens].

[Leyde, 14 juin 1637.] Texte de Clerselier, tome I, lettre 104, p. 477-479.

Sans date dans Clerselier, et avec l'en-tête : « A Monsieur ***. » L'exemplaire de l'Institut ajoute : « Forte Huygens de Zuitlichem. » Cette lettre est datée du i5 juin 1637. Voyez-en les raisons dans » le nouveau cahier. » Baillel adopte cette conjecture (t. I, p. igg- 3 00). Que Descartes ait écrit ainsi à Huygens le même jour deux lettres séparées, il n'y a rien là d'invraisemblable, ces deux lettres, qui accompagnaient l'envoi de son livre, devant être ynontrées et sans doute remises, l'une au Prince d'Orange, l'autre au Baron de Char-

�� � 1,477-478- LXXXI. — 14 Juin 1657. J.87

nacé, ambassadeur de France en Hollande; or les fonctions de Huy- gens le désignaient à son ami Descartes comme un introducteur naturel auprès de ces deux personnages. — Cette lettre aura été écrite le dimanche 14, comme les quatre précédentes.

Monfieur, Ayant eu dernièrement l'honneur d'aller en voftre compagnie au logis de Monfieur de Charnafle pour luy faire offre de mon feruice, i'ay penfé que vous 5 n'auriez pas defagreable que ie vous priaffe de luy prefenter l'vn des exemplaires que ie vous enuoye, & enfemble de luy en offrir encore deux autres, l'vn pour le Roy, & l'autre pour Mon|fieur le Cardinal de Richelieu, s'il luy plaift de me tant obliger, que de

10 trouuer bon que ce foit par fon entremife que ie les leur prefente, afin de leur témoigner, en tout le peu que ie puis, ma tres-humble deuotion à leur feruice. Il eft vray que n'ayant pas voulu mettre mon nom en ces écrits, ie n'auois aucunement efperé qu'ils me

i5 deuffent donner occafion de le faire dire à des per- fonnes fi hautes & fi éminentes ; mais ayant receu ces iours derniers un Priuilege du Roy, dans lequel il a efté mis, quelque foin que i'aye eu de le celer, ie croy deuoir faire maintenant quafi le mefme que fi i'auois

20 eu deffein de le publier, & ne pouuoir plus fupofer qu'il foit inconnu. Et pour ce qu'on a adjouté quelques claufes en ce Priuilege, que ie n'ay iamais veuës en d'autres liures, & qui font beaucoup plus auanta- geufes pour moy que ie ne mérite, bien que ie ne les

a5 aye point defirées*, & que ie n'aye demandé qu'à élire receu au nombre des écriuains les plus vul- gaires, ie leur en fuis tellement obligé, que ie ne fçay

�� � j 88 Correspondance. 1,478-479.

quels moyens ie dois chercher pour leur faire paroif- tre ma reconnoiffance. Car ie ne croy pas que nous foyons feulement redeuables aux grands des faueurs a que nous receuons immédiatement de leurs mains, mais auffi de toutes celles qui nous viennent de leurs 5 miniflres, tant à caufe que ce font eux qui leur en donnent le pouuoir, que principalement auffi à caufe qu'ayant fait choix de telles perfonnes plutoft que d'autres, nous deuons croire que leurs inclinations à nous obliger font les mefmes que nous remarquons 10 en ceux aufquels ils donnent le pouuoir de nous bien faire. Et ainfi encore que ie ne fois pas fi vain, que de m'imaginer que les penfées du Roy, ou de Monfieur le Cardinal, fe foient abaiffées iufques à moy, ny qu'ils fçachent rien du Priuilege que Monfieur le i5 Chancelier m'a obligé de fceler, ie ne laiffe pas de leur en auoir la première & la principale obligation. Et ie reconnois en cela que la France eft bien autre- ment & bien mieux gouuernée que n'eftoit autrefois la ville d'Ephefe, en laquelle il eftoit deffendu d'ex- 10 | celler* ; vu qu'au contraire on y gratifie non feule- ment ceux qui excellent, au rang defquels ie n'ofe afpirer, mais mefme ceux qui font quelque effort pour bien faire, encore que ce foit par des voyes extraordinaires, qui eft vne chofe de laquelle ie con- 25 fefle qu'on auroit eu droit de m'accufer, fi i'euffe vécu parmy les Ephefiens. Au refte ie ne m'excufe point enuers Monfieur de CharnafiTé de la liberté que ie prens de l'employer en cette occafion : car la charge d'Ambafifadeur qu'il a icy, le bon accueil dont il m'a 3o

a. aux grandes faueurs Clers.

�� � i,479- LXXXII. — 22 Juin 16^7. }8o

obligé, lors que i'ay eu l'honneur de le voir, & la connoiffance tres-particuliere qu'il a des fciences dont i'ay traitté en ces écrits, me font plutoft croire qu'il trouueroit mauuais que ie m'adreffafTe à vn 5 autre. Et ie ne doute point que ma prière ne luy foit plus agréable, en luy eftant adreffée par vne perfonne de voftre mérite, que ^>ar mes lettres ou par moy. C'eft pourquoy ie vous donneray, s'il vous plaift, cette peine, & feray toute ma vie, &c.

Page 387, 1. 25. — Descartes ne donna à Jan Maire, pour sa publication de 1637, qu'un extrait du privilège accordé le 4 mai, où il supprima son nom ainsi que les considérants élogieux dont il était accompagné. Le pri- vilège ne parut en entier que dans la première édition des Principia Phi- losophie, à Amsterdam, chez Louis Elzevier, en 1644.

Page 388, 1. 21. — Voir Diogène Laerce, IX, 2, et Cicéron, Tusc. Qucest., 1. V, c. xxxvi, § io5. — Huygens émaillait volontiers ses lettres de citations latines et d'allusions à l'histoire anecdotique de l'antiquité. Des- cartes, écrivant à un bel esprit un peu précieux, prend le même ton que lui, comme il faisait déjà avec Balzac.

��LXXXII.

Descartes a Mersenne. [22 juin 1637?]

Texte de Clerselier, tome III, lettre 73 milieu, p. 425-427.

Cle?-selier a composé la lettre j3, t. III, en réunissant au moins deux minutes distinctes; la première, d'avril i63j, était celle de la lettre LXXIII ci-avant; le fragment qui suit est, au contraire, évi- demment postérieur à la lettre LXXVI, du 2S mai, ainsi qu'il res- sort de lajaçon dont il y est parlé de la Géostatique de Beaugrand et de sa réfutation par Guy de la Brosse. La date du 22 juin i63j est fixée par conjecture, en admettant que Mersenne soit immédiate-

�� � jgo Correspondance. m, 415-426.

ment revenu sur le même sujet et que Descartes n'ait pas répondu dès le i S juin, ayant, ce jour-là, asse^ d'autres lettres à expédier. Mais la véritable date peut être sensiblement postérieure. — Quant à la fin de la lettre y3, Clers., t. III, la désignation de Fermât sous le nom de Conseiller de maximis et minimis doit, ce semble, la faire rapprocher de la lettre XCVIII ci-après, c'est-à-dire de la fin de l'année i63j, et nous donnerons ce fragment sous le n° XCVII bis. — 77 n'y a cependant aucune impossibilité absolue à ce que les deux fragments que nous séparons appartiennent, en réalité, à une même lettre, ni à ce que cette lettre toute entière soit de décembre i63j ou même de janvier i638. D'autre part, s'il y a bien deux fragments de dates différentes, on ne peut déterminer avec sûreté où finit l'un et où commence l'autre.

La lettre que i'écriuois à Moniieur l'Abbé Delaunay* eftoit dans le pacquet de Monfieur N.,& ie n'auois dif- féré iufques alors à vous l'enuoyer que pour vous en épargner le | port; mais puisqu'il eft d'opinion que ie tardois à luy répondre faute de pouuoir éclaircir les 5 chofes que i'ay écrites touchant l'exiftence de Dieu, elle ne feruira pas à l'en ofter; car ie n'ay nullement tafché de le faire, mais feulement de répondre à fon compliment, & à l'offre qu'il me faifoit de fon amitié. Et refolument, quoy qu'on puiffe dire ou écrire, ie 10 n'entreprendray point de fatisfaire à aucune queftion qui fera faite en particulier, principalement par des perfonnes auec qui ie n'ay point eu cy-deuant d'habi- tude; mais feulement à celles qui me feront faites en public, fuiuant ce que i'ay promis en la page 7$ i5 du Difcours de la Méthode.

Pour l'Autheur de la Geoft(atique) 3 , il n'a pas fait, ce femble, vn trait d'honnefte homme, d'auoir retenu la Diop(trique) en la façon que vous me mandez. Et ie

a. Beaugrand. Voir plus haut p. 355, argument, et p. 36i, note a.

�� � in.426-427- LXXXII. — 22 Juin 162.7. 391

m'eftonne, puis qu'il en fait û peu d'eftat, de ce qu'il a pris tant de peine pour la voir auant les autres, & qu'il a mefme en quelque façon négligé fon honneur pour cet effet. le vous afïure que ie ne fuis point 5 deûreux de voir fes Hures, & qu'encore qu'il y ait long-temps que vous m'ayez écrit de fa Geoftatique, ie n'ay iamais eu neantmoins aucune enuie de la voir, finon depuis voflre dernière que ie l'ay fait chercher à Leyde*, où ne s'eftant point trouuée on m'a offert de

«o la faire venir de Paris ; mais ie ne l'ay point defiré, parce qu'en effet ie ne croy pas qu'vn homme de telle humeur puiffe eftre habile homme, ny auoir rien fait qui vaille la peine d'eftre lu. Que fi ie l'eufle trouuée, ie n'aurois pas manqué de vous en écrire mon opi-

'5 nion, tant à caufe que vous le defirez, qu'à caufe que vous me mandez aufïi que Monfieur Des -Argues le délire; car luy ayant de l'obligation, ainfi que i'ap- prens par vos lettres, ie ferois bien-aife de luy témoi- gner qu'il a fur moy beaucoup de pouuoir : comme, en

20 effet, il ne faudroit pas en auoir peu pour m'obliger à reprendre les fautes d'autruy; car mon humeur ne me porte qu'à rechercher la vérité, & non point à tafcher de faire voir que les autres ne l'ont pas trouuée. Mefme ie ne fçaurois eftimer le trauail de

z5 ceux qui s'y occupent; ce qui a efté la première caufe qui m'a empefché | d'approuuer le liure du fieur de la Broffe 3 ; & la féconde eft qu'il s'eft arrefté à reprendre des chofes qu'on peut excufer; après quoy il a finy, fans faire voir la fuitte du raifonnement qu'il réfute ;

3o en forte que ceux qui, comme moy, n'ont point veu la

p. Page 36o, 1. 21 et page 3-7, 1. i-3.

�� � }02 Correspondance. 111,4*7-

Geoftatique, ont occafion de iuger qu'il s'eft contenté de l'égratigner, ou de luy arracher les cheueux, & qu'il ne luy a point fait de grandes bleflures.

le vous prie de m'excufer fi ie ne répons point à voftre queftion touchant le retardement que reçoit le 5 mouuement des corps pefans par l'air où ils fe meu- uent; car c'eft vne chofe qui dépend de tant d'autres, que ie n'en fçaurois faire vn bon conte dans vne lettre; & ie puis feulement dire que ny Galilée, ny aucun autre ne peut rien déterminer touchant cela 10 qui foit clair & demonftratif, s'il ne fçait première- ment ce que c'eft que la pefanteur, & qu'il n'ait les vrais principes de la phyfique a .

Pour voftre obje&ion touchant ce que ie vous ay autrefois écrit des tremblemens d'vne corde, qu'ils i5 peuuent eftre alternatiuement inégaux & égaux, i'ay à y répondre que la mefme inégalité fe peut trouuer aux tremblemens de tous les autres corps qui ont quelque fon, comme des tuyaux d'orgues, ou du gofier d'vn muficien,&c. Car généralement aucun fon 20 ne fe peut faire que par le tremblement de quelque corps b .

Page 390, 1. 1. — On pourrait être tenté de croire que cette lettre est la LXXI ci-avant (p. 352) ou la LXXIV (p. 368), toutes deux étant sans nom de destinataire; mais ni l'une ni l'autre ne se rapporte exactement aux indications que Descartes donne ici. — Le fait que l'abbé deLaunay n'était pas antérieurement connu du philosophe, et la circonstance que celui-ci décline désormais les discussions particulières, peuvent faire supposer que la lettre est d'une date postérieure à celle que nous avons admise.

Page 391, 1. 9. — Descartes avait donc de nouveau quitté Leyde, où

a. Cf. Lettres XXXVIII, p. 23 1 , 1. 1-4, et LVI, p. 3o5, 1. 18-23.

b. Cf., p. 323, 1. 21 ; p. 296, 1. 5.

�� � LXXXIII. — )o Août 1657. 393

il avait été seulement de passage le 14 juin (p. 379, 1. 9), et il se retrouvait dans un endroit assez retiré sans doute le même dont il parle, p. 371, 1. 4, entre Harlem et Alkmaar (voir Lettres LXXXIV et LXXXV ci- après, p. 395, 1. 2-3, et p. 401, fin du premier éclaircissement).

��LXXXIII.

Descartes a ***. 3o août 1637.

Autographe, Amsterdam, Bibliothèque de l'Université.

Descartes est installé près a" Alkmaar (voir Lettre LXXXIV ci- après, p. 3g5, l. 2-3), peut-être à Egmond, et s'occupe de faire venir auprès de lui son enfant (qu'il appelle « sa niepce »), et la mère de son enfant, Hélène. Où se trouvaient-elles l'une et l'autre? et à quel ami fidèle (un médecin?) s'adresse-t-il ici? Autant d'énigmes.

Monfieur,

Toutes chofes vont icy le mieux que nous fçaurions fouhaiter. le parlay hier a mon hofteffe pour fçauoir fi elle vouloit auoir icy ma niepce*, & combien elle

5 defiroit que ie luy donnafle pour cela; elle, fans déli- bérer, me diil que ie la fifle venir quand ie voudrois, & que nous nous accorderions ayfement du prix, pource qu'il luy eftoit indiffèrent fi elle auoit vn enfant de plus ou de moins a gouuerner. Pour la feruante,

io elle s'attend que vous luy en fournirez vne, & il luy tarde extrêmement qu'elle ne l'a défia; c'eft pourquoy, afïin qu'il ne luy ennuyé trop, ie vous prie de mander icy au plutoft a M r Godfroy, que vous penfez a nous en faire trouuer vne & qu'on vous a défia parlé de

i5 deux ou trois, mais que vous n'auez encore rien

Correspondance. I. 5o

�� � }94 Correspondance.

arefté, affin de vous pouuoir mieux informer de la meilleure, & que pour nous nous n'auons point befoin de nous en mettre en peine, pource que nous aurons infailliblement l'vne ou l'autre. En effet il faut faire qu'Helene* viene icy le pluftofl qu'il fe pourra; & 5 mefme s'il fe pouuoit honneftement auant la Saint- Vict.or a , & qu'elle en mift quelque autre en fa place, ce feroit le meilleur. Car ie crains que noftre hoftefle ne s'ennuie d'attendre trop long tems fans en auoir vne, & ie vous prie de me mander ce que Hel. vous IC aura dit la defTus. I'ay receu vos Hures fans qu'ils ayent aucunement elle mouillés ny corrompus, encore qu'ils ayent elle deux nuits fur l'eau, & ie commence délia tout de bon a elludier en médecine. le fuis,

Moniteur, l5

Vollre très humble & très afFedionné feruiteur,

DESCARTES.

Du jo d'Aoull i6jj.

[En marge vers la fin.'] La lettre que i'eferis a Hel. 20 n'ell point prelfée, & i'ayme mieux que vous la gar- diez iufques a ce qu'Hel. vous aille trouuer,ce qu'elle fera, ie crois, vers la fin de cete femaine, pour vous donner les lettres qu'elle m'eferira, que de luy faire porter par vollre feruante. 25

a. Le 10 octobre, fête de saint Victor de Xanten, particulièrement honoré dans les pays rhénans, surtout aux environs de Cologne. On pourrait aussi penser à un Saint- Victor, martyr de la légion thébaine, qui se fêtait le 22 septembre. Mais il semble que, pour cette date, Descartes aurait plutôt écrit «avant la Saint-Michel ».

�� � LXXXIV. — 8 Septembre 16^7. 30$

Page 393, 1. 4. — Descartes ne manquait pas de nièces à cette date : en Bretagne, trois filles de son frère aîné, Pierre Descartes de Kerleau; quatre filles de sa sœur, Madame Rogier du Crévy. Mais leurs parents n'auraient point envoyé ces jeunes entants au fond de la Hollande, pour les confier à un oncle célibataire. Il est plus vraisemblable que Descartes désigne ici, à mots couverts, sa propre fille, Francine, née à Deventer le 19 juillet 1 635 , et qui était encore, par conséquent, tout à fait une enfant.

Page 394, 1. 5. — Evidemment la même qui figure sur le registre des actes de baptême de Deventer, à la date du 28 juillet 1 635, comme la mère de Francine {Hijlena lans, Hélène, fille de Jean), le père étant notre Descartes (Reijner Iochems, René, fils de Joachim).

��LXXXIV.

Huygens a Descartes.

Devant Bréda, le 8 septembre 1637.

Copie MS., Amsterdam, Académie des Sciences. Lettres françoises de Constantin Huygens, tome I, page 75g.

Monûeur,

le ne fuis pas fi loing de vous qu'il y a d'icy a Alck- maer, ni que vous le debuiez fouhaitter pour eftre exempt de mes importunités. L'interualle depuis Breda* iufqu'a vos efpaces imaginaires ne me femble qu'imaginaire auffi, & ie vous entretiens tous les iours, foit par l'entremife de voftre liure que i'eftudie a tous les momens qui me reftent de l'occupation de ma charge, ou parla communication du ieune Schooten, dont vous elles le principal fubied, & en voyci vn échantillon. C'eft que i'ay enuoyé tailler a Amfler- dam vn triangle de bon verre, pour en examiner icy

�� � jcfô Correspondance.

la réfraction, après quoy Schooten fe mettra en deb- uoir de nous marquer vne hyperbole très exafte, & mearum partium erit de la faire tailler par ce mefme tourneur qui autrefois y a mis la main 3 , mais y pro- cédera d'vne autre forte a celle fois icy, ayant fort 5 bien confideré les inconueniens que le fimple tour y doift apporter, comme auffi dans voftre liure les moyens que vous auez enfeignés de les preuenir ou leuer. Mais comme il eft homme induftrieux en matière de mouuemens mechaniques, il prefume de venir a 10 bout de voftre inuention a beaucoup moins de façon. En effect., il produit des chofes fi eftranges par des petites machines de deux liards, que fi ce n'eftoit vous, Monfieur, i'efpererois qu'il abregeroit de quelque chofe ce que vous auez defTeigné pour arriuer a la «5 perfection de ces verres; nous verrons ce qui arriuera, & vous en rendrons compte.

Si cependant vous elles en peine de quelque diuer- tiffement parmi la profonde eftude que ie m'imagine vous occuper maintenant, ie vous prie de fçauoir 20 qu'il y a longtemps que ie fuis ialoux de ceft honefte homme, en faueur duquel vous auez autrefois efcrit le Traidé de la mufique*, & peut-eftre ne vous lairray point en repos, donec paria mecum feceris, & m'aurez fauorifé d'vn traidé de trois fueillets fur le fubieél 2 5 des fondemens de la mechanique, & les 4 ou $ engins qu'on y demonftre, libra, veéîis, trochleon, &c*. I'ay veu autrefois ce que Guido Vbaldo en a efcrit b , &,

a. En i635. Voir Lettre LXII, p. 326, et Lettre LXIV, p. 332.

b. Gvidivbaldi e Marchionibus Montis Mechanicorum Liber (Pisauri. Apud Hieronymum Concordiam, 1577. Cum Licentia Superiorum).

�� � LXXXIV. — 8 Septembre 1637. 397

depuis, Galilaeo, traduit par le P. Merfenne a , mais l'vn & l'autre a peu de fatisfadion, m'imaginant que ces gens-la ne font qu'enuelopper de fuperfluités obfcures vne chofe que ie maffeure que vous com-

5 prendrez en deux ou trois pofitions, n'y ayant rien, a mon auis, qui fe tienne d'vne fi claire & neceflaire [façon?]. Vous voyez, Monfieur, que c'eft que de s'al- lier a des amis ignorans & impudens; mais fouuenez- vous, s'il vous plaift, que ie ne vous conuie qu'a vn

10 peu de diuertiflement. S'il deuoit vous troubler en aucune forte ou caufer de l'interruption en ces meil- leures contemplations que vous allez auançant pour la vie & la conferuation du genre humain, Dieu fçait que ie me chaflierois de mon impertinence le premier;

i5 mais il m'eft aduis que ie ne vous propofe rien,de plus difficile qu'vne page de l'Amadis de Gaule*, ou on m'a dit que vous fouliez ietter les yeux. Enfin, Mon- fieur, exaucez-moi, ou me reiettez, félon que l'hu- meur vous en prendra. I'aimeray mieux n'eftre point,

20 que de vous eflre a charge & vous auoir donné fub- ieét de croire que ie ne fuffe abfolument & fans referue,

Monfieur, &c.

Deuant Breda, voftre ancienne garnifon, ou nous 25 faifons tout ce qui eft poffible a vous y rendre l'entrée auffi franche qu'autrefois.

a. Cette traduction des Mechaniques de Galilée parut dans le même volume que les Préludes de l'Harmonie universelle et les Questions theo- logiques, physiques, morales et mathématiques, de Mersenne (Paris, Henry Guenon, in-8, 1634).

�� � 2ç8 Correspondance.

Page 395, 1. 5. — Le Prince d'Orange avait mis le siège devant Bréda, le 23 juillet. Cette place, qui appartenait aux Hollandais, lorsque Descartes y fit séjour en 1618 et 1619, avait été prise par les Espagnols le 5 juin 1625, et leur fut reprise le 6 octobre 1637.

Page 396, 1. 23. — Le Compendium Musicœ adressé à Beeckmann. On en trouve encore une copie manuscrite parmi les papiers de la collection Huygens à la Bibliothèque de l'Université de Leyde, avec cette mention sur la couverture : R. des Cartes Isaaco Beckmanno,et cette note à la fin : Bredce Brabantinorum, pridie Calendas lanuarias, Anno MDCXVIII completo.

Page 396, 1. 27. — Descartes répondra par un petit traité en français (voir plus loin Lettre LXXXIX, 5 octobre 1637). Mais sur un papier qui y est joint, on trouve, à côté des figures tracées de sa main, les termes latins dont se sert Huygens : les poulies {trochlea), le levier (yectis), etc.

Page 397, 1. 16. — Roman espagnol, rédigé vers 1465 par Garcia Ordo- nez de Montalvo, et publié pour la première fois en i5o8. Une traduction française, par Herberay des Essarts, parut en 1540 (Paris, Denis Janot et Vincent Sertenas, in-folio). C'était la partie essentielle, en quatre livres, souvent réimprimés jusqu'en 1577. La vogue de ce roman fut telle qu'on ne cessa de lui donner des suites dans tout le cours du xvi* siècle et jus- qu'au temps de Descartes. Le premier traducteur fit paraître quatre nou- veaux livres de 1 544 à 1 548. D'autres après lui donnèrent un 9 e livre et un 10 e en i553, un 1 1' en i554, un 12 e en i55G. Ces douze premiers livres formèrent l'édition in-folio. Trois autres furent ajoutes, qui portèrent ce nombre à i5 dans une édition in-4. Une édition in-16 en contient 21, c'est-à-dire tous les précédents, plus 6 autres ( r 576- 1 579). Trois volumes in-8 (livres 22 e , 23° et 24 e ) y furent ajoutés en i6i5, plus huit autres, de 1620 à 1625, Histoire du Chevalier du Soleil et de son frère Rosiclair. plus un encore en 1 625, Histoire de Belianis de Grèce, plus sept nou- veaux enfin, qui sont la conclusion, sous ce titre : Le Roman des Romans. En tout, une quarantaine de volumes. Sont-ce les derniers livres que Descartes s'amusait à feuilleter, ou seulement les quatre premiers, ou bien encore le recueil intitulé : Thresor de tous les livres d'Amadis de Gaule, contenant les harangues, epistres, concions, lettres missives, demandes, responses, respliques, sentences, cartels, complaintes, et autres choses plus excellentes, très-utile pour instruire la noblesse françoise à l'élo- quence, vertu, grâce et générosité (2 vol., Lyon, pour Jean-Anth. Hugue- tan, i582 et 1606)? Voir Eugène Baret, De l'Amadis de Gaule et de son influence au XVI* et au XVII e siècles (Paris, Firmin-Didot, 1873).

�� � LXXXV. — i$ Septembre 1637. 399

��LXXXV. PleiMpius a Descartes.

Louvain, i5 septembre 1637. Copie MS., Leyde, Bibl. de l'Université, Collection Huygens, 29 a.

Publiée par Domela Nieuwenhuis, Commentatio de R. Cartesii commercio cum philosophis belgicis, p. g5-gj {in-4, Lovanii, 182J). On lit aussi bien sur le MS. 1 g que i5 sept.; mais cette der- nière date est plus rapprochée du i3, que porte la lettre suivante de Fromondus (Froidmont), envoyée par Plempius (Plemp) à Descartes.

Nobiliffime Domine,

Recepi tria exemplaria commentariorum veftrorum iam circiter a tribus feptimanis : doleo quod tam tardé parentes mei* negligentiufculi in eo fuerunt.

5 Recepi igitur tandem, & vnum mihi retinui, alterum Domino Fromondo tradidi, tertium ad P. Fournet tranfmifi eadem die qua recepi, atque hadenus ego &. Fromondus legendo, voluendo, expendendo libro occupati fuimus. Quœris quid fentiamus? Imprimis

10 ftilus in eo idiomate atticus eft, vt defperem quem- quam futurum qui librum in latinum œque recle ver- tet. At hoc minutulum eft & nihil apud te. Quseris de fenfis. Ecce qusedam notauit Fromondus & ad me fcripfit, vt tibi mitterem. Refponfiunculse quidam

i5 funt, quae fecundum noftra principia rem aliter expli- cant. Sed, vel fallor valdè, ne hilum quidem tuam philofophiam deijciunt & nullum fore credo qui te

�� � 4<x) Correspondance.

conuincere vel ineptise vel falfitatis poterit. Sed tamen aliter fentimus, quia dum teftee récentes era- mus, alio odore imbuti fuimus 3 , quem feruamus. De motus cordis caufa, de qua etiam aliquid dicit, fub- murmuro & muginor b aliquid, quod poftea fortaffis 5 mittam c . Ad ea quse in Dioptrica* dicis, nihil nifi applaufum habeo. Geometrica non attigi, quia nihil vnquam in illo ftudio operae locaui. Meteorologica* admiror : etfi enim aliter fentiam, tam ingeniofè tamen & concatenatè haerent tuae explicationes, vt 10 reijci quidem & contemni poffint, refelli rationibus & refutari non poffint. Dum faturatus fuero, commu- nicabo librum alijs viris qui fimili materia dele&an- tur*. Mirabor quid diduri fint. Opinor autem quod, ficuti apud poetam confefTus Didonianus, conticebunt «5 omnes inîentique or a tenebunt A . Precor autem te & obteflor vt eodem tenore caetera quae in manibus habes profequaris & aliquando proferas, meque fub- inde epiftolio tuo bées. Significa, quaefo, quo ftoraa- cho Leydenfes philofophi fcriptum tuum accipiant. 20 Vale.

Louanij, die 1$ Septemb. 165 7.

Nob. Dominationi Veftrae deuotiffimus famulus

V. F. Plempius. j5

a. Horace, Epist., I, 2, 69-70.

b. MS. imaginor : mais Yi a été barré, et Va corrigé en «.

c. Voir ci-après Lettres XCVII (20 déc. i63;), C (janv. i638), CVII (i5 février), CXV (mars), et CXVII (23 mars).

d. Virgile, Enéide, II, 1.

�� � LXXXV. — 15 Septembre 16^7. 401

Dominus Elichmannus, fi illic apud vos eft, a me falueat.

Nobiliff. & Clariff.

Nobiliffimo & Clariffimo Viro D. des

Cartes, vero philofophise cultori,

Leyde.

��Page 399, 1. 4. — Plempius (Vopiscus-Fortunatus) était né à Amster- dam le 23 déc. 1601. Il avait fait sa philosophie à Louvain, précisément sous Libert Froidmont, puis ses études de médecine à Leyde, et ensuite à Padoue et à Bologne. De 1623 à i633, il exerça la médecine à Amsterdam, et y fit connaissance avec Descartes par l'entremise d'un ami commun, le médecin Elichmann, dont il s'informe à la fin de cette lettre. Descartes ayant quitté Amsterdam pour Deventer à la fin de mai i632, et Plemp ayant été nommé le 3 août 1 633 professeur à l'Université de Louvain. leurs relations se placent en i63o, 1 63 1 et les premiers mois de 1602. Le 27 février 1637, Plemp avait été élu Rector magnifiais pour la seconde fois. Dans la 3 e édition de ses Fundamenta Medicinœ (in-f°, Lovanij, typis Hier. Nempasi,- 1654), il publie en appendice une lettre du 21 décembre i652, où on lit, p. 375 : « Ego illum Virum (Descartes) Amstelredami, » antequàm ad cathedram Lovaniensem à serenissimà Isabellâ vocatus » sum, familiariter novi, parario Ioann. Elichmanno Silesio Medicina; » Doctore, et saepè cum eo de rébus egi physicis . . . Nulli notus in pannarii » mercatoris domum se abdidit, sitam in platea, quae a vitulis nomen habet » (encore aujourd'hui Kalverstraat) . Ibi ego illum saspiculè invisi : offendi » semper hominem libros nec Iegentem, neque habentem ; solis intentum » meditationibus, easque chartae mandantem; aliquando etiam animalia » secantem, perindè uti Hippocratks circà Abderam reperit Democritum » Un passage de la même lettre nous apprend que Descartes avait envoyé son livre à Plempius, à la suite d'une visite que celui-ci lui avait faite dans sa nouvelle résidence près de Harlem, sans doute pendant les vacances : « Postea adhùc Lovanio in patriam remeans, vidi ipsum in prœdio circa » Harlemum degentem; ac deindè aliquot ad nos invicem ultro citroque » scripsimus epistolas, quarum binas extant in hoc rfteo opère. » (Voir Lettres CVII et CXVII ci-après).

Page 400, 1. 6. — Plempius était lui-même auteur d'une Ophtalmo- graphia, sive de oculi fabrica, actione, et usu, prceter communem medico- rum et phiiosophorum opinionrm (Amsterdam, i632). Dans la préface Plempius se félicite d'avoir été l'élève de Fromondus, et déclare que c'est à lui qu'il doit tout ce qu'il enseigne de neuf sur la Dioptrique.

Correspondance. I. 5i

�� � 402 Correspondance. •

Page 400, 1. 8. — Fromondus avait lui-même publié Mefeorologico- rum libri VI (Antverp., 1627), et c'est pour cela que Descartes lui avait fait remettre un exemplaire de son livre.

Page 400, 1. 14. — Le P. Ciermans (lettres CXVI et CXVIII), et peut- être, pour la Géométrie, Wendelin et Van der Wegen (lettre LXXXVII fin) .

��LXXXVI.

Fromondus a Plempius.

Louvain, i3 septembre 1637. Copie MS., Leyde, Bibl. de l'Univ., Collection Huygens, 29 a.

Imprimée comme la précédente par Domela Nieutvenhuis, Com- mentatio de R. Cartesii commercio, etc., p. gj-102.

Clariffimo Medico Vop. Fort. Plempio S. P. D.

Clariffime Domine,

Multa ex philofophia illa gallica percurri. Auctori noftro, û placet, nomine fummas gratias âges, cuius ingenium in plerifque admiror & exofculor. Videor 5 Pythagoram aliquem aat Democritum videre, qui a patria fua exul fpontaneus jîgyptios, Brachmanas, & totum orbem circuit, vt rerum & vniuerfi exploret naturam. Attamen,licet vbique ingenium fatis clarum, veritas alicubi in obfcuro, & metuo ne proprise inuen- io tionis amore nimium fibi blandiatur, & putet fe Iuno- nem amplexari, cùm nubem Ixion tantùm comprehen- dat. Non raro in phylicam Epicuri nefciens, credo, recidit, rudem & pinguiufculam, nec fatis elimatam, vt plerique credunt, ad limam exaclae veritatis. Rap- i5

�� � LXXXVI. — i} Septembre 162.7. 40?

tim qusedam ad fpecimen adnotata hîc vide; in quibus veritas mihi a fufpefta, aut certe quid vir ille eruditif- fimus dicere voluerit, non intelligo.

1 . Pag. 46-47 videtur dicere quôd calor, qualis in 5 fœno calefacr.o, poffit exercere omnes operationes

animalis in corpore humano, exceptis adionibus proprijs animae rationalis. Ergo calor fœni, fine alia anima fenfitiua, poteft videre, audire, &c. Tarn nobiles operationes non videntur pofle prodire ex tam igno- 10 bili & bruta caufa.

2. Simile eft quod pag. 56 ait, fi automaton haberet interna organa & exteriorem figuram bruti, non fore vllum difcerniculum inter verum brutum & talem machinam. Quid igitur opus animas fubftantiales bru-

i5 tis inferere, fi calor fœni fufiiciat ad omnium fenfuum internorum, externorum, & appetitûs operationes? Hinc etiam fortaflis via fternetur atheis, vt etiam animse rationalis operationes fimili cauûe tribuant, & eam corpore humano excludant, aut faltem materia-

20 lem animam vice immaterialis nobis infarciant. Non oportet tam excelfas operationes tam humilibus cau- fis tribuere.

3. Nec quod pag. 50 de fyflole & diaftole cordis differit, videtur fatis verifimile. Omitto quae nuper

25 etiam differebatis, & ad vos medicos praecipue fpec- tant. Sane rarefadio guttae fanguinis non tam breui tempore peragi & finum cordis replere poteft, quàm motus cordis abfoluit fuam dilatationem, nifi seftus cordis eequet fornacis ardorem.

a. MS. nisi pro mihi. La corruption du texte provient peut-être au contraire d'une omission de quelques mots.

�� � 404 Correspondance.

4. Pag. 4 Dioptrices, non videtur re&è explicari quomodo luminofum traijciat radium fuum ininftanti, per comparationem cum baculo illius caeci, quia radius exiliens corpore folari potius cum fagittâ com- parai debeat excufTâ arcu, quae fucceffiuè, non in 5 inftanti, traijcit aerem; nec per baculum caeci ab obiefto contado aliquid traijcitur ad manum tenen- tis : fed cùm baculus totus fimul moueatur, manus illico fentit refiftentiam, admonita quafi a parte quam tenet, quse eodem temporis momento mouetur, quo 10 extrema pars quae tangit obie&um. Hoc verô vifui applicari non poteft, cùm oculus non videat folem tangendo eum per radium intermedium, ficut manus lapidem tangit per baculum.

Supponit deindè vbiquè lumen effe tenue quod- i5 dam corpus, infinuans fe per poros diaphanorum, quod rudis olim philofophia putauit, &optime refu- tatum ab Ariflotele a : aliàs enim vitra non tantâ facilitate radios tranfmitterent, cùm minime porofa ûnt, manifefto expérimenta, quôd ex vitreo conclaui 20 alteri foris polito loquens (fi caetera 13 exade obferata ûnt) non magis exaudiatur, quàm fi per chalibeum parietem loqueretur. Denique fol iamdudùm vniuer- fum corpus fuum erogaffet, fi illuminare debeat effufo e vifceribus fuis tanto flumine atomorum. Si a5 verô lumen non corpufcula ipfa, quae a foie hùc vfque diffunduntur, fed motionem quamdam illorum corpufculorum elfe dicat (vt dicere quandoque vide- tur), id longe eft improbabilius : nam lumen traijci

a. Aristotf, De anima, II, c. 7.

b. MS. latera; mais la est barré, et cœ récrit au-dessous.

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��LXXXVI. — i} Septembre 16^7. 405

non poffet, nifi per corpora mota localiter, & omnis localis motus corpufculorum lumen effet, aut fi alia eft motio praeter localem, explicari id debuit.

$ . Quo modo etiam pag. 5 negat Species Intentio- 5 nales colorum, cùm nihil aliud Tint quàm imagines illse quas alibi fatetur in fundo oculi depingi, & ne- ceffarias efle ad vifionem colorum ?

6. Pag. 17 non videtur clarè demonftratum cur pila impulfa ab A in B debeat potius reflecti in I quàm in D redâ lineâ : cùm linese B I & B D fint œquales , & eodem tempore quo mouetur per B I, moueri poffit per B D. Non dat ergô caufam illius refradionis & refultûs in I, nec quare ne- ceffariô debeat impelli verfus punctum interfeétionis circuli A F D & lineae F E a .

7. Non capio quôd pag. 2j ait aerem magis impe- 20 dire traiecriim luminis, quàm aquam. Nam experien-

tiâ vrinatorum confiât paucis cubitis infra fuperfi- ciem aquse ita hebetari folis radium, vt nullas, paulè inferius, eius reliquias videant, cùm tamen per im- mane fpatium aeris aut setheris facillimè delabatur a cœlo in terram.

8. Vifionem etiam fieri per folum impulfum luminis in fila tunicse vel retinse (vt pag. 50 docet) quis cre- det ? Vnde enim potentia vifura diftinguet inter pur-

a. Dans la copie MS., il n'y a aucun dessin, non plus que pour la réponse, ci-après p. 419, où nous reproduirons la figure de la Divptrique. Nous donnons ici celle que Clerselier lui substitue d'ordinaire.

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pureum v. g. & flauum colorem, fi non per Speciei Intentionalis qualitatem, fed per folum localem im- pulfum, determinetur ad videndum? An quia vnius coloris impulfus maiorefl, quàm alterius? Sed etiam vnius & eiufdem coloris intenfioris aut remiiïioris impulfus maior erit aut minor.

9. Pag. jo videtur non agnofcere aliam fenfatio- nem quàm eam quae exercetur in cerebro. An ergô pars animalis quse vftulatur non exercet vllam opera- tionem tactus, quâ ibi percipiat qualitatem dolorifi- i< cam? Attamen hoc tam videmus experiri quàm nos imaginari in capite.

10. Compofitio deinde illa corporum ex partibus diuerfarum figurarum pag. 1 59, quibus inuicem tan- quam vncinis cohaerefcant, nimis crafla & mecha- 1 nica videtur ; multae enim partes aquae v. g. vni- formes funt; nec in partibus partium fine fine taies vncini <et> fibulae diuerfarum figurarum dillingui poffunt. Admittenda igitur neceffariô qusedam alia vnio integralis inter partes immediatas, inter quas 2 nulla eft heterogeneitas figurarum, aut inaequalitas figurarum.

1 1. Nec diffimile quod docet pag. i6j de compofi- tione aquae ex partibus oblongis inftar anguillarum. Quafi in lacu, v. g. quiefcente, liceat cum funda- ? mento imaginari partes quafdam potius in longum ab ortu v. g. in occafum, quàm a feptentrione in meri- diem protendi, aut quafi omnia talia corpora inftar carnium animalium ex ftamine & fubtemine con- texantur ! 3

12. Quàm etiam paradoxum quod pag. 162 ait.

�� � LXXXVI. — 13 Septembre 1637. 407

eadem corpufcula, li languide impellant lenlum tadûs, gignere frigoris fenfationem, & caloris, û for- tius impellant ! Quafi verô tantùm difîerentiae lit in illo impulfu locali, non in qualitatibus ipfis diuerfi-

5 mode afficientibus organum tadûs !

ij. Paradoxum etiam iftud eft, pag. 164, frigus rarefacere. & experientia quae eum mouit aliam cau- fam habere videtur, fcilicet aerem & fpiritus, qui ex aquâ frigore condenfatâ exprimuntur. Ij enim partes

10 fummas aquse, vafi inclufae, exitu fuo attollunt; vnde rarior ibi apparet reliquâ glacie, quia inanior tantùm & fiftulofior eft, poris grandibus & apertè ad oculum dehifcentibus.

14. Pag. 16$ putat exhalationes incufîu radiorum

i5 folis in fublime tolli, vt puluerem pedibus conculcan- tium. Sed radij folis corpora non funt, quae premere poffint puluerem, & exprimere in alîum; aliàs nos etiam egregiè fentifceremus talem radiorum in nos impreffionem, & fumos exhalationum, aut vaporum,

20 aliter quàm raritate fuâ aut pulfu grauiorum extrudi

in fublime, non videtur probabile. Res ifta tota legum

sequilibrij intelligenda ex Archimede lib. de infiden-

tibus humido, quem au&or nunquam videtur legifTe.

if. Vnde pag. 182 non attingit veram caufam cur

2 5 aquse fumma fuperficies polita fit & vniformiter ro- tunda. Non enim ex affri&u partium aeris, fed ex doétrina Archimedis eo libro, petenda eft genuina ratio.

16. Pag. 167-168 caufa raritatis vaporum videtur

3o falfa. Celeritas enim motûs non facit raritatem, quia corpus quiefcens poteft effe rariffimum, nec radij

�� � 408 Correspondance.

rotse celerrimè circumadœ rariores funt quàm ante, etfi totum interuallum replere videantur : eft enim folum fallaciavifûs, ficut in titionis circumadi igneo circulo. Quod inde patet, quia quod ex propinquo apparet replicatum & plura fpatia occupare, ex Ion- 5 ginquo fucceffiuè fine replicatione videtur manifeftè tranfire (celerius tamen) de loco in locum.

17. Pag. 17$ & 189 docet aquam maris apparere falfam, quia partes aquae crafïiores pun&im potius quàm tranfuerfim incidunt in poros linguœ. Quafi 10 alio fapore tinda appareat, fi cafu tranfuerfim partes illse organo guftûs incumbant ! — Nimis multa fperat

fe expediturum per folum fitum, aut motum localem, quae fine realibus qualitatibus alijs non poflunt, aut nihil intelligo. i5

18. Ventorum etiam motus per seolipilas vniuerfim expediri nequit pag. 190 ; rariflimè enim accidere poteft, vt exhalationes ventorum tam ardè inter duas nubes, aut inter montem & nubem comprimantur, vt tanto impetu, quanto vapor ex aeolipilâ, exprimantur : 20 praefertim vbi ventus longus & pertinax eft ab eodem cœli cardine. Nubes enim comprimens cito impetu exhalationis foluetur aut abducetur aliô, &c.

Hsec funt, Clariflime Domine, quae primo ftatim ob- tutu difficilia mihi vifa in ifto audore ingeniofo aliàs, z5 ingentis conatûs & diligentise; deledat etiam me magis quôd fide catholicus & fpem nobifcum habeat poft hanc vitam breuem aeternae. Vtinam idem poffim de D. Henrico Reneri quem ais Vltraiedi philofo- phiam profiteri ! Vidi olim eum difcipulum D. Nicolai 3o Bardout in Falcone, qui hodie Brugis ad S. Donatia-

�� � LXXXVII. — j Octobre 1657. 409

num eft canonicus. Vtinam magiftri fui philofophiam & mentem retinuiffet! Non doleremus iam eius in fide naufragium *. Salueat a me, & dicito meminerit poil fugitiuam hanc vitam reftare longam seternitatem.

Ex Mufeo noftro Id. Septemb. 1637.

Clariffime Domine,

Tibi ad omne obfequium famuliis & amicus

LIB. FROMONDUS.

Page 409, 1. 3. — Henri Reneri ou Renier, né en 1 5g3 à Huy, en pays catholique, avait fait ses humanités à Liège, puis sa philosophie à Lou- vain, au collège du Faucon; de retour à Liège pour étudier la théologie au Grand Séminaire, la lecture de Calvin le décida à passer au protestan- tisme. Il s'en alla à Leyde étudier l'Ecriture-Sainte au Collège des Fran- çais, puis demeura à Amsterdam, Deventer et Utrecht (Cf. Monchamp, Hist. du Cartésianisme en Belgique, 1886, p. 33).

��LXXXVII.

Descartes a Plempius.

3 octobre 1637.

Copie MS., Leyde, Bibl. de l'Univ., Collection Huygens, 29 a.

Clerselier, tome II, lettre 7, page 33-35, ne donne qu'une version sans date avec cet en-téte : A Monsieur Plembius (sic). L'édition latine, tome II, Epist. 7, p. 21-22, ajoute la date: V. Nonas Octo- bris 1637, ce qui suffirait à prouver qu'elle ne donne pas une traduc- tion latine de la version française, mais qu'elle reproduit une copie ms., peut-être celle que possédait Huygens. Le texte, en effet, est à peu près le même, sauf quelques variantes de l'édition latine. Correspondance. I. 52

�� � 410 Correspondance. u, 33-34.

Clariffime Domine,

Literas tuas, vnà cum animaduerfionibus Domini Fromondi, accepi & acceptiffimse fané mihi fuerunt, non autem (vt verum fatear) expe&atae tam cito. Quippe ante aliquot feptimanas audiueram nondum 5 librum ad vos fuiffe tranfmiffum, & plurimi ex ijs quibus illum hîc legendum obtuli, mihi teftati funt, fe non nifi poflquam aliquoties relegiffent, fatis de eo iudicare potuiffe. Tanto maiores vobis debeo gratias, tibi certè imprimis ob applaufum tam liberum, & 10 maiorem quàm meritum me aufim fateri, fed cuius maximam partem amicitiae ergà me tuse tribuendam effe non dubito; itemque Domino Fromondo, quôd tam diligens effe voluerit in legendo meo fcripto, & tam officiofus in fuis de eo fenfis tranfmittendis. Mihi >5 fané videor ex tanti viri, & in ijs materijs de quibus ago tam verfati a , iudicio, multorum aliorum fenten- tias agnofcere. Sed tamen quia in multis aduerto ipfum non attigiffe meam mentem, nondum indè pof- fum colligere quid & ipfemet & alij poft accuratius 20 examen fint di&uri, nec tibi plané affentior | iudicanti explicationes mcas reijci quidem pojjfe & contemm, non autem refelli rationibus & refutari. Quippe cùm nulla nifi valdè manifefta principia admittam , nihilque prseter magnitudines, figuras & motus, mathemati- 25 corum more confiderem, omnia mihi philofophorum

S feptimanas i hcbdomadcs. — uerto| animaduerto. — iy atti- 6 ad vos librum. — 11 me] efi'e gifle] attingere. — 22-23 Voir aj. — 12 tribuendum. — 18 ad- p. 400, 1. in-i>.

a. Voir, Lettre LXXXV, réclaircissement sur p. 400, 1. 8.

�� � ii, 34-35. LXXXVII. — j Octobre 16^7. 411

fubterfugia interclufi, & quicunque vel minimus error occurret, facile ab aliquo deprehendetur, & mathe- maticâ demonflratione refelletur. Sed contra quic- quid adeô verum erit & firmum, vt nullâ tali demon- 5 flratione poffit euerti, non impunè, vt fpero ; faltem ab ijs qui docent, contemnetur. Licet enim videar tantum exponere quse dico, non probare, facile eft tamen ex meis explicationibus fyllogifmos eruere, quibus aliae de ijsdem. materijs opiniones tam mani-

10 feftè deftruuntur, vt fi qui nihilominus eas tueri velint, non commode nec forfan fine rifu auditorum ijs, qui mea intellexerint, funt refponfuri. Non ignoro Geometriam meam pauciflimos lect.ores habituram; nam cùm ea fcribere neglexerim qua; ab alijs fciri

i5 fufpicabar, & pauciflimis verbis multa (imô omnia quae vnquam in illâ fcientiâ poterunt inueniri) vel complecri vel faltem attingere fim conatus, lecr.ores non modo peritos eorum omnium quse hacr.enus in Geometriâ & Algebrâ cognita fuere, fed etiam valdè

20 laboriofos, ingeniofos & attentos defiderat. Duos audiui apud vos effe "Wendelinum & Van der Waegen. Gratiffimum mihi erit, fi per te quidquid vel illi vel alij quilibet de ea iudicabunt,accepero.Quae de motu cordis muginari te fcribis auidiflimè expedo, & rogo

z5 vt|quamprimum mittas, fimulque, fi placet, fignifices quomodo Refponfiones mese Domino Fromondo fatis- fecerint, & eum meo nomine plurimum falutes. De Leydenfibus philofophis nihil plane habeo quod fcri-

1 error] in meis aj. — 2 ab 12 funt] fint. — 21 effe apud aliquo om. — 4 erit] eft. — vos. — Waegen] Wegen. — 10 deftruuntur] deftruentur. — 24 muginari] imaginari.

�� � 412 Correspondance. 11,35.

bam : indè enim difceffi priufquam liber vulgaretur 3 , & ha&enus, quantum fcio, quemadmodum de alijs etiam vaticinatus es, conticuere omnes. Vale & me amare perge ; fum enim,

Clariflime Domine, 5

Tibi ad omne obfequium paratiffimus des cartes.

5 Nonasodobr. i6j 7-

A Monfieur Monfieur Plemp 10

Profeffeur en medicine

A Louuain.

��LXXXVIII.

Descartes a Plempius. 3 octobre 1637.

Copie MS., Leyde, Bibl. de l'Univ., Collection Huygens, 29 a.

La copie ms. donne cette indication : Ad obiectiones clarissimi et doct. Viri D. Lib. Fromondi in Gallicum Lib. de Methodo eiusque aliquot speciminibus Responsio Authoris Cartesii. Clerselier, tome II, lettre 8, p. 35-5o, ne donne qu'une version avec ce titre : Response de M r Descartes à quelques objections de Monsieur Fro- mondus contre sa Méthode, sa Dioptrique, et ses Météores (voir Lettre LXXXVII ci-avant, p. 40g). L'édition latine, tome II, Ep. 8, p. 23-32, donne en tète : Responsio Domini Cartesii ad quasdam

4 fum enim, &. Tout le reste manque, sauf la date.

a. Voir plus haut, p. 379, 1. 10.

�� � n.35-36. LXXXVIII. — ) Octobre 16^7. 41 j

animadversiones D. Fromondi in ejus Methodum, Dioptricam, et Meteora, titre qui semble traduit mot pour mot de Clerselier, au lieu de reproduire celui de la copie ms. Pourtant le texte est bien celui de cette copie, sauf quelques variantes que nous donnons. Cette lettre a manifestement été envoyée à Plemp pour Froidmont, avec la précé- dente, le 3 octobre i63j, comme réponse à la lettre LXXXV1.

Peropportunè mihi videturclariffimus & docriflimus vir D. Lib. Fromondus in exordio fuarum in me obiec- tionum de Ixionis fabula meminifle, non tantùm quia recr.è monet mihi cauendum ne vanas opinionum 5 nebulas loco veritatis ampledar, quod, quantum in me eft, facere velle & femper hadenus fecifle profi- teur : fed etiam quia ille ipfe, dum mea'm philofophiam impugnare fe putat, nihil praeter inanem illam ex atomis & vacuo conflatam, quae Democrito & Epicuro

io tribui folet, fimilefque alias, quse ad me nihil attinent, réfutât.

1. Et primo ad pag. 46, 47, cùm dicit tam nobiles acliones, quales funt vijio & fimiles, prodire non pojfe ex tam ignobili & brutâ caufâ ) qualis eji calor, fupponit |me

i5 putare bruta videre plané vt nos, hoc eft fentiendo fme cogitando fe videre, quse creditur fuiffe opinio Epicuri, atque etiam nunc fere apud omnes eft vulga- ris : cùm tamen in totâ illâ parte vfque ad pag. 60 fatis exprefsè oftendam me non putare bruta videre

20 ficut nos, dum fentimus nos videre; fed tantummodô licut nos, dum mente aliô auocatâ, licet obiecrorum externorum imagines in retinis oculorum noftrorum pingantur, & forte etiam illarum impreifiones in neruis

2 D. Fromondus. — 8 fe im- & 47 Methodi. — 14 calor] natu- pugnare. — 10 fimilefque] aut ralis aj. — 22 in... noftrorum] taies. — \ïNum. 1 om. — pag. 46 in retina noftra. — 23 illorum.

�� � 414 Correspondance. 11, .36-37.

opticis faétae ad diuerfos motus membra noftra déter- minent, nihil tamen prorfus eorum fentimus; quo cafu etiam nos non aliter mouemur, quàm automata, ad quorum motus ciendos nemo dixerit vim caloris non fufficere. 5

2. Item ad pag. 56 cùm quaerit quid opus fit animas fubjîantiales brutis inferere, & ait hinc fortajje viam Jîerni Atheis vt etiam animant rationalem corpore hu- mano excludant, hoc ad neminem minus attinet quàm ad me, qui cum S ,â Scripturâ firmiter credo &, ni 10 fallor, dilucidè explicui, animas brutorum nihil aliud effe quàm fanguinem, nempè illum qui, illorum corde calefadus & attenuatus in fpiritum, ab arterijs per cerebrum in neruos & mufculos omnes fe dilfundit. Ex quâ fententiâ fequitur tantam effe differentiam i5 inter animas brutorum & noftras, vt nullum, quod fciam, validius argumentum fuerit ha&enus ab vllo excogitatum ad contradicendum Atheis, & perfua- dendum mentes humanas ex matériau potentiâ non educi. Contra verô, qui nefcio quas animas fubftan- 20 tiales, a fanguine, calore & fpiritibus diuerfas, brutis affingunt, primùm non video quid refpondeant ad |Leuitici cap. 17, v. i4,vbi expreffè dicitur : anima enim omnis carnis in fanguine ejî, & fanguinem omnis carnis non comedetis, quia anima carnis in fanguine ejî. Itemque 25 Deuteron. capite 12, v. 23 : hoc folum caue ne fangui- nem comedatis , fanguis enim eorum pro anima ejî, idcircà

6 Num. 2 om. — 8 etiam om. Atheis] profligandos Atheos. —

— 10 S"] Sacra. — 11 fatis di- 23 verf. 14. — 25 comedelis] lucide. — 12 illorum] in eorum. edetis. — 26 Deuteronomij cap.

— i4omnesow. — i5fententiâ] 12, verf. 23. — 26-27 non... doctrinâ. — 18 contradicendum comedas. — 27 & idcirco.

�� � ii,3 7 -J8. LXXXVIII. — 5 Octobre 1657. 4M

non debes animant comedere cum carnibus, & fimilia, quae multo clariora mihi videntur, quàm illa quae affe- runtur in quafdam alias opiniones, quae damnatae funt a quibufdam ob id fohim, quod S tœ Scripturae 5 contradicerent vel contradicere viderentur*. Deinde etiam non iutelligo, poftquàm tam exiguam differen- tiam inter operationes hominis & bruti pofuerunt, < quomodo > tam magnam inter naturas animarum rationalis & fenfitiuae fibi poffint perfuadere : vt nempè

10 fenfitiua cùm fola eft, fit naturae corporeae & mortalis, cùm verô coniuncr.a eft rationali, fit fpiritualis & im- mortalis. In quo enim illi fenfum a ratione diftingui putant ? nempè in eo quôd cognitio fenfûs fit appre- henfiua & fimplex, nullique ideô falfitati obnoxia :

i5 cognitio verô rationis fit paulo magis compofita, & per ambages fyllogifmorum ferri pofîit. Quod nullo modo maiorem eius perfecrionem videtur arguere; cùm praefertim ijdem dicant Dei & Angelorum cogni- tiones fimpliciflimas etiam elle, & intuitiuas, fiue

20 apprehenfiuas tantùm, nullifque difcurfuum inuolu- cris alligatas; adeô vt per ipfos, fi fas eft dicere, bru- torum fenfus ad Dei & Angelorum cognitionem magis quàm humana ratiocinatio accédât. Hase & talia multa non tantùm ijs quae de anima fcripfi, fed & alijs

25 materijs ferè omnibus potuiiïem adiungere ad propo- fitiones meas roborandas, quae de induftriâ fubticui, tum ne quid | falfi docerem, illud ipfum refutando,

4 folum] tantùm. — 4-5 S*... coniuncta. — 12 In quo enim]

viderentur] Sacraî Scripturse con- Quid enim eft in quo. — 23 ac-

tradicere videantur. — 8 quo- cedet. modo Ed. ont. MS. — 1 1 eft

�� � 416 Correspondance. ii, 38.

tum etiam ne vllis opinionibus in Scholâ receptis velle viderer infultare.

j. Ad pag. 50 cùm dicit non minorent requiri calo- rem in corde quant in fornace, vt guttœ fanguinis fatis celeriter ad illud inflandum raréfiant, non videtur aduer- 5 tifle quo pado lac, oleum, & alij liquores ferè omnes igni appofiti, fenfim quidem initio & lente fe dila- tant; fed cùm ad certum caloris gradum peruenerunt, momento temporis intumefcunt, adeô vt nifi ab igné ftatim remoueantur, vel faltem vas, in quo funt, ape- "o riatur, vt fpiritus qui funt praecipua caufa iftius rare- fa&ionis, egredi poffint, maxima eorum pars affluât

6 in cineres effundatur. Atque hune gradum caloris, pro varia liquoris naturâ, varium effe oportet, adeô

vt etiam quidam fint qui vixdum tepidi fie rarefiunt. i5 His enim animaduerfis facile iudicaflet fanguinem in cuiufque animalis < venis > contentum ad illum caloris gradum quàm proximè accedere, quem ac- quirere débet in corde , vt ibi temporis momento raréfiât. 20

4. Sed nullibi manifeftius oftendit fe nebulas Demo- criteae Philofophiae in locum meae Iunonis apprehen- diffe, quàm in animaduerfione ad pag. 4 Dioptricœ : vbi negat me rede explicare quomodo luminofum tranf- mittai radios in injîanti per comparationem cum baculo 25

1-2 viderer infultare velle. — gradum] hic gradus. — 14 va-

3 Cum ad paginam 5o dicit. rium] varius. — oportet] débet.

— b inflandum] dilatandum . — — i5 rarefiunt] raréfiant. —

7 lente] longe. — 10-11 aperia- 16 animaduerfis] perfpectis. — tur] detegatur. — 11 pra;cipua 17 in om. — animalis] in eius funt. — iftius] illius. — 12 af- aj. — venis Ed., om. MS. — fluat] effluat mieux. — i3 hune 23 Dioptricœ] Dioptrices.

�� � h, 38-3 9 . LXXXVIII. — 3 Octobre 16^7. 417

caeci : quia, inquit, radius exiliens corpore folari potius cum fagittâ comparari debeat, excujfâ arcu, quœ fuccef- Jiue, non in injîanti traijcit aerem, etc. Nunquid hîc pro me Leucippum videt vel Epicurum, vel certè Lucre- 5 tium, qui alicubi, niû me fallit memoria, fpicula Jolis dixitin carminé? 3 Nam quod ad me attinet, cùm nul- libi vacuum fupponam, fed | contra dixerim exprefsè fpatia omnia a foie ad nos corpore quodam fluidiffimo quidem, fed tantô magis continuo, (quod materiam

10 fubtilem nominaui), plena effe, non video quid contra comparationes tam baculi quàm labri vuis calcatis referti (quibus duabus transfufionem radiorum in inftanti explicui) obijci poffit. Atque û rudem&pin- guiufculam philofophiam meam effe dicat, ex eo quôd

i5 exiftimem aliquod corpus poros vitri facillimè poffe permeare, ignofcere débet refpondenti, me multô craffiorem, & tamen minus folidam, illam iudicare, quae poros vllos in vitro effe negat, ex eo quod fono peruij non fint : videmus enim fonum etiam a peri-

20 flromatis interiedis, fi non plané tolli, faltem maxime imminui & obtundi. Ex quo folo poteft intelligi eius naturam non effe, vt facile per quoflibet meatus, fed tantummodô vt per fatis latos & patentes tranfire pof- fit. Quippè cùm fit motus aeris, vel faltem a motu

2 5 aeris dependeat, nemini mirum effe débet, eas vias quae flatui, fme integro aeris corpori non patent, ipfum quoque non admittere.

1 e corpore. — 10 effe. Non 12 transfufionem] tranfmiflio- video. — 11 comparationes] nem. — i5 vitri poros. — 17 in- meas aj. — labri] lacus. — dicare. — 24-25 ab aeris motu.

a. Prudence, Cathemer., 2, 6. Lucrèce donne seulement lucida tela diei (I, 148; II, 59; III, 92; VI, 40), et luminis ictu (II, 807).

Correspondance. I. 53

�� � 418 Correspondance. 11,39-40.

$ . Obijcit etiam hîc : fi lumen non traijciaîur, niji per corpora mota localiter, igitur omnis horum corporum motus ejl lumen. Quae confequentia talis mihi effe vide- tur, ac fi diceret : fi ferrum non fiât candens nifi inca- lefcat, ergô quoties aliquo modo incalefcet, etiam 5 aliquo modo fiet candens. Nam fateor omnem impul- fum eius materise, quam fubtilem voco, cùm ad cer- tain gradum celeritatis peruenit, fenfum luminis effi- cere, atquefic oculis paulo fortius fricatis vel percuflis folent fcintillse apparere, licet nulli ad illos j radij 10 luminis aliunde perueniant; fed nego motum magis remiffum & ordinarium materiae fubtilis effe lumen. Quemadmodum non fufficit calor remiffus in ferro, vt fiât candens. Et quod attinet ad Species Intentio- nales, de quibus hîc verbum fubiungit, fiquidem dicat j5 caecum etiam illis indigere vt mediante baculo externa obie&a percipiat, per me licet vt eodem modo ad vifionem requirantur 3 .

6. Quod dicit non effe fatis clarè demonftratum in pag. 17, fiet ipfi, vt fpero, perfpicuum, fi atten- 20 dat ad ea quae fequuntur pag. 18, nempe pilam ab A verfus B impulfam debere eodem inilanti per- uenire ad aliquod pundum circumferentiae circuli

3 effe mihi. — 6 fiet] erit. — cet vt eodem] licet; eodem

7 eius... voco] materiae fubtilis. enim. — 18 requirantur] requi-

— 8 celeritatis] velocitatis. — runtur. — 19 Quod dicit] in

12 materiae fubtilis] eius ma- pag. 17 a/. — 20 in pag. 17 ont.

teriaî. — 14 fiât] fit. — 16 ex- — 20-21 attendat] tantum aj.

tréma MS., externa Ed. — 17 li- — 21 pag. 18] in pagina 18.

a. Seule cette dernière phrase se rapporte à l'alinéa 5 (voir plus haut, p.405). Ce qui précède répond à une seconde partie de l'alinéa 4 {Ib., 1. 1-3).

�� � IO

��i5

��20

��25

���ii,4o-4'- LXXXVIII. — ) Octobre 1637. 419

D I & ad aliquod pundum lineae redse F E I. Nam, cùm vnicum fit pundum I, faltem infra telam, in quo reda FEI circu- lum D I interfecat, pa-

et

tet hanc pilam ad I, non ad D, effe ituram.

7. Intelliget etiam ^ quo fenfu in pag. 2j dixerim aerem magis impedire traiedum lu-

minis quàm aquam, nec vllas ipfi vrinatorum expe- rientia tenebras offundet, fi diftinguat inter multitu- dinem radiorum & facilitatem quam habent finguli radij feparatim, vt hoc vel illud corpus diaphanum permeent. Concedo enim aerem multô plures admit- tere quàm aquam, ex cuius n(empe) fuperficie multi refiliunt, & quae, quantumuis fit limpida, non paucas terrse particulas habere folet admixtas, quae radij s illam ingreflis, nunc vni nunc alteri, occurrentes, fa- cile intrà paucorum cubitorum altitudinem omnes excludunt. Sed hoc non impedit quominus idem ra- dius aerem & aquam peruadens facilius per hanc tran- feat quàm per illum : quod fblum dixi &, fi fatis intel- ligo quid fit demonftratio, demonftraui.

8. Quae dicit in pag. 5 ode caufâjdiuerfitatiscolorum defiderari, inueniet in fine paginée 1 1 & in principio 40, vt puto, fufïicienter explicata, & praeterea tam

��5 interfecat] interfecet — 6 hanc] tune. — 10 dixerim] dixerimus. — 16 Concedo] eo modo. —

��27 fine 1 1 pagina;. — 28 expli- cata] explicatum.

�� � 420 Correspondance. h, 41-4*.

fufe inferius a pag. 254 ad 261 demonftrata, vt nihil hîc eâ de re addendum efle exiftimem.

9. Ad pag. jo miratur me non agnofcere aliam fenfa- tionem, quàm eam quœ exercetur in cerebro. Sed iuuabunt me, vt fpero,medici omnes & chirurgi ad hoc ipfi per- 5 fuadendum : fciunt enim illos quibus membra nuper fuerunt abfcifla, dolorem fsepè in ijs partibus quibus carent putare adhuc fe fentire. Nouique olim puellam cui, cùmgraue vulnus haberet in manu, velarenturque eius oculi, quoties chirurgus accedebat, vt facilius fe 10 ab eo tradari pateretur, totum brachium ob gangrae- nam ferpentem fuit amputatum, pannique in eius locum ita fubftituti, vt per aliquot poftea hebdomadas

eo fe priuatam elfe ignorant : cùm tamen intérim varios dolores nunc in digitis, nunc in metacarpio, i5 nunc in brachiali, quibus carebat, fe fentire querere- tur : affe&is fc(ilicet) adhuc in brachio ijs neruis qui prius a cerebro ad illas partes defcendebant. Quod procul dubio non contigiflet, fi doloris fenfus fiue, vt loquitur, fenfatio extra cerebrum perageretur. 20

10. Non capio quid obijciat in pag. 1 59 & 165 . Nam fi nimis crajja mea philofophia ipfi videtur, ex eo quod figuras, & magnitudines, & motus, vt Mechanica con- fideret, | illud damnât quod fuprà omnia exiftimo efle

1 pagina. — demonftrata] de- brachio] in ea brachij parte, quaî

monftratum. — 4 eam] illam. — fupererat. — 20 loquitur] dicit.

9-10 velarenturque eius oculi] — fenfatio] in manibus, aut alijs

adeo vt. — 10 accedebat] vêla- membris aj. — 21 : et i63] vbi

rentur eius oculi aj. — 1 1 totum] de meteoris agitur aj. — 23 ma-

fere aj. — 1 3 ita] fuere aj. — heb- gnitudines] et fitus aj. — motus]

domadas]hebdomades. — i6bra- partium aj. — vt] tôt. — 24 exif-

chiali] brachio. — 17 adhuc in timo fupra omnia.

�� � n,4*. LXXXVIII. — ■) Octobre 1637. 421

laudandum, & in quo me praecipuè effero & çlorior : nempè, quod eo philofophandi génère vur, in quo nulla ratio eft, quae non lit mathematica & euidens, cuiusque conclufiones veris experimentis confirman- 5 tur; adeô vt quicquid ex eius principes fieri poffe concludi, fiât reuerâ, quoties aétiua paffiuis, vt par eft, applicantur. Miror ipfum non aduertere illam, quae ha&enus in vfu fuit, Mechanicam, nihil aliud effe quàm verae Phyficae particulam, quae cùm apud vulga-

10 ris Philofophise cultores nullum locum reperiret, apud Mathematicos fe recepit. Manfit autem h?ec pars Phi- lofophiae verior & minus corrupta, quàm cœterae, quia cùm ad vfum & praxim referatur, quicumque in eam peccant, fumptuum iaéturâ pleéti folent, adeô vt fi

i5 contemnat meam philofophandi rationem ex eo, quod fitfimilisMechanicae, idem mihi effe videtur, ac fi eam- dem contemneret ex eo, quod fit vera. Si autem nolit aquam, aliaque corpora ex aliquibus partibus aétu diftincT.is componi, aduertat, quaefo, nos in multis vifu

20 percipere taies partes : ita enim agnofcimus puluifcu- los in lapidibus, filamenta in lignis, atque, vt ipfe dicit, ftamina & fubtegmina in carnibus, & fimilia, nihilque magis rationi confentaneum effe, quàm vt iudicemus de ijs quae propter nimiam exiguitatem fenfu non per-

25 cipimus, ad exemplum & fimilitudinem eorum quae videmus, memineritque fe ipfum etiam dixiffe in obiec- tione ad pag. 164 aerem & fpiritus aquae inclufos fummas eius partes exitu fuo attollere, quod certè non

6 concludi] concludimus. — — effe om. — 26 etiam feip- 16 effe mihi. — 22 fimiles MS., fum. — 27 pag.] obj. fimilia Ed. — 23 magis] eft aj.

�� � 422 Correspondance. 11,42-43.

poteft | intelligi, nifi fateatur iftum aerem & iftos fpiri- tus ex varijs particulis per aquam hinc inde fparfis conftare. Quod û forte timeat vnioni fuae integrali, fimilibufque alijs rerum vmbris, quibus fubtilis phi- lofophia continuum fuum ihfarcit, nolitque ideô con- 5 cedere corpora terreftria ex particulis aéhi diuifis effe conflata, légat, quaefo, iterum quae in pag. 164 conti- nentur, inuenietque fingulas ex iftis particulis concipi a me inftar corporis continui, quod fit diuifibile in infi- nitum, & de quo dici poterunt illa omnia quae in fubti- 10 liffimo fuo traétatu de Compofitione continui* demon- ftrauit ; itemque me nihil eorum exprefsè negare in corporibus, quae alij fuperaddunt ijs quae ibi explicui, fed crajjfam & rudem meam philofophiam pauculis iftis efle contentam. i5

11. Si denique fibi perfuadet me temere abfque fundamento fupponere partes aquœ effe oblongas injîar anguillarum & fimilia, meminerit, quaefo, eorum quae funt in pag. 76 libelli de Methodo, & fciat fe, fi digne- tur omnia quae in Mèteoris & Dioptricâ fcr'pfi cum fuf- 2c ficienti attentione perlegere, fexcentas ibi rationes reperturum, ex quibus totidem fyllogifmi ad ea de- monftranda formari poflunt hoc pado :

Si aqua fit magis fluida & difficilius congeletur

3 vnioni... integrali] vnionis — i2-i3 quae alij in corpori-

fuas integritati. — 9-10 quod... bus. — 14 craffam meam et

infinitum] in infînitum diuifi- rudem. — 16 temere] et aj. —

bilis. — 12 itemque] etiam aj. 18 quaefo ont.

a. Labyrinthus sive de Compositione continui Liber unus, Philosophis, Mathematicis, Theologis utilis ac jucundus (Antverpis, ex officinâ Plan- tinianâ, i63 1 , in-4), cité encore par Leibniz, Théodicée, Disc, prélim.. § 24.

�� � IO

��i5

��20

��11,43-44- LXXXVIII. — j Octobre 1657. 42}

quàm oleum, indicium eft hoc ex partibus fibi inuicem facile adhaerentibus, quales funt rami arborum, iftam verô ex magis lubricis, quales funt eae quae habent figuras anguillarum, conftare; fed experientia tefta- tur aquara effe oleo magis fluidam & difficilius conge- lari ; ergo. . .

| Item, fi panni aquâ madefacti facilius ficcentur ijs, qui oleo, indicium eft aquae partes habere figuras anguillarum, quse facillimè panni poros egrediuntur, & partes olei habere figuras ramorum, quse in ijfdem poris magis implicantur; fed experientia &c.

Item, fi aqua fit grauior oleo, indicium eft huius partes ramofas efle, ideôque multa circa fe interualla relinquere, partes autem aquae efle inftar anguillarum, & ideô minori fpatio efle contentas; fed &c.

Item, fi aqua facilius in vaporem attollatur, fiue, vt chimici loquuntur, fit magis volatilis quàm oleum, indicium eft illam conftare partibus quae inftar anguil- larum facillimè ab inuicem feparantur, oleum verô par- tibus ramofis, quae magis inter fe conneduntur ; fed &c.

Quae quamuis fingula femnétim confiderata non nifi probabiliter perfuadeant, omnia tamen fimul fpec- tata demonftrant; fed fi talia omnia diale&ico ftilo

��2 adhaerentibus] cohœrenti- bus. — iftam] illam. — 5 et] eo aj. — 6 ergo] indicium eft oleum ex partibus fibi inuicem cohae- rentibus, aquam vero ex magis lubricis, quales funt eaj, qua; habent figuras anguillarum , conftare, aj. — 7 ficcentur] fic- cantur. — ijs] quam aj. —

��8 oleo] intincti funt aj. — 1 o in ont. — 1 1 experientia] hoc tefta- tur. Ergo. aj. — 14 anguillarum inftar. — i5 contentas], atqui hoc teftatur experientia aj. — fed] Ergo. — 20 connecluntur]. Atqui hoc teftatur experientia aj. — fed] Ergo. — 2 1 fingula quamuis. — 23 ftilo Dialectico.

�� � 424 Correspondance. h, 44-45.

deducere voluiffem, immani profedô volumine typo- graphorum manus & leâorum oculos fatigaflem.

12. Ad pag. 162 paradoxon ipfi videtur motum lan- guidum gignere fenfationem frigoris, motum verà velocio- rem caloris; quo exemplo ipfi etiam paradoxon videri 5 débet, leuem fricationem | in manu fenfum titillationis voluptatifque efficere , fortiorem verô doloris ; nec enim minus diuerfa funt dolor & voluptas, quàm calor

& frigus. Itemque hoc, fi corpori tepido vnam manum quae calida fit admouemus, illud frigidum nobis vide- 10 tur, quod idem putamus efle calidum, fi tangamus aliâ manu quae fit frigidior, &c.

13. Ad pag. 164 illi etiam paradoxum videtur frigus rarefacere. Sed tamen experientiam illud manifeftan- tem non excufat. Nam cùm dicit aerem &fpiritus, qui i5 ex aquâ condenfatâ frigore exprimuntur, fummas eius aquœ partes vaji inclufas attollere, fatetur aerem & fpiri- tus egredi fummafque eius partes attollere, nec quic- quam in eorum locum fuccedere fupponit : adeô vt tune aqua per ipfum plus fpatij occupet, & fimul 20 < minus > materiae in fe contineat, quàm prius, quod profeéto eft frigore rarefieri, non autem condenfari. Nam quomodocumque fiât, vt vnum corpus plus fpa- tij occupet quàm ante, hoc rarefieri appellatur. Neque ideô tamen putandum eft caufam hanc fubleuationis 25 aquae, quam affert, veram effe; nam, fi aer & fpiritus,

3 et 5 paradoxum. — 9 hoc! ~ /8-19 nec quicquam] neque

pro paradoxe hafcere débet, nihil. — 20 aqua] illa aj. — per]

nempe aj. — to nobis frigi- fecundum. — 21 minus Ed.,

dum. — 16 frigore conden- om. Ms. — 24-25 Nec tamen

jatâ. — 17 inclufas] exitufuoa). ideo. — 25 hanc caufam.

�� � n.45-46. LXXXVIII. — ) Octobre ib)j. 425

vtpote calidi, extruderentur ex aquâ, tranfire deberent in alium locum, in quo minor effet vis frigoris. Atqui circumcircà nullus effe folet talis locus, praefertim poftquam aquae fuperficies cruftâ glaciei fatis craffâ 5 obducr.aeft. Nec dicendum etiam illos furfum tendere, quia funt leues; nam fi fuperior vafis pars accuratè effet claufa, & fola inferior aperta, nihilominus aqua in eo conglacians intumefceret. Nec ratio, quam dedi, iftius rarefacrionis vllo modo conuelîitur ex eo, quôd

10 glacies rarior & fiftulofior in fummo vafis foleat appa- rere : |hoc enim fit, quia particulae aquae, cùm difpofitae fint ad fe diuerfis modis incuruandas, vt ibi dixi, faci- lius hoc affequuntur verfus fuperficiem, vbi libéré fe attollunt, quàm verfus médium, vbi nullum inueniunt

«s locum, nifi frado vafe, ad quem defledant. Sed prae- terea ne dubitet eamdem aquam, a frigore initio con- denfatam in allato experimento, paulô poil ab eodem frigore rarefieri, notare débet illam incipere intumef- cere, cùm adhuc eft liquida, & aliquandiu antequam

»o vlla particula glaciei in eius fuperficie confpiciatur. 14. Ad pag. 165 non vult exhalationes incujfu radio- rum in fublime tolli, &c, quia, inquit, radij foiis cor- pora non funt. Ego verô expreffe dico, non quidem corpora effe, fed cuiusdam corporis impulfionem,

25 quod hîc fufficit. Neque negari débet talis impulfio, quia illam, vt ait, non fentimus : eodem enim argu-

1 calidi], vi frigoris aj . — — 17 in allato experimento ont.

2 frigoris vis. — 4 fuperficiei — 18 débet] in experimento a

fatis craffa glaciei crufta. — 9 ra- me allato aj. — 19 eft] plane aj.

refadionisj intumefcentiae. — — 21-22 radiorum] Jolis aj. —

14 verfus médium] in medio. 24 efle corpora.

Correspondance. I. 54

�� � 426 Correspondance. h, 46-47.

metito effet dicendum, quoties ambulando nullum aerem corpori noftro occurrere fentimus, nos in vacuo ambulare. Sentimus verô etiam taétu manifeftè radios folis, quoties ipfis nudam cutem exponimus; calefaciunt enim illam, & calor ifte nihil aliud eft, vt 5 alibi expofui, quàm motus quidam in particulis ab eorum impulfu concitatus. Quàm verô probabile eft hoc quod addit, fumos exhalationum aut vaporum non aliter quant raritate fuâ, aut pulfu grauiorum, extrudi in fublime : nempè vapores & exhalationes, cùm nihil io aliud fint quàm aquae & terrae particulse, nihilominus tamenin aère ipfis leuiori exiftentes, pulfu | grauiorum fe attollunt ! Merito profe&ô librum Archimedis de injtdentibus humido me nunquam legiiTe, vel faltem nunquam intellexiffe argueret, fi quid aptum ad hoc i5 probandum in eo contineri fcripfiffem. Sed forfan dicet per illa grauiora fe intelligere ipfum aerem, quia nempè terra & aqua vi radiorum folis ita rarefadae funt, vt ipfo aère rariores atque ideô leuiores euafe- rint. Quafi verô etiam hoc fit vel minimum probabile, 20 radios folis, qui ad aquam & terram nunquam perue- niunt nifi per aerem tranfeundo, hune, licet ad omnem dilatationem paratiffimum , tam parum rarefacere, illas verô, licet valdè contumaces, tam multum vt eo leuiores illse euadant ! 25

15. Ad pag. 182 miror ipfum velle veram caufam,

6 particulis] cutis aj . — rueniu nt] peruenientes. — 22 li-

12 ipfis ont. — i3 attollunt] cet] qui. — 23 paratiffimum] eft

attollent. — 16 forfan] forte. paratiffimus . — 24 licet valdè

— 19 aère] rariores atque ideô contumaces ont. — 25 illae ont. ont. — 2i qui ont. — 21-22 pe-

�� � u.47-48 LXXXVIII. — } Octobre 1637. 4*7

cur aquœ fumma fuperficies polita fit, & (quod de fuo hîc addit) vniformiter rotunda, ex Archimede in eodem libro de ijs quœ vehuntur in aquâ ejje petendam. Nihil enim in illo libro continetur quod ad hanc rem poffit 5 referri, praeter poftulatum, vtpartibus humidi œqualiter iacentibus minus prejfa <à> magis prejjâ expellatur, & 2 am propofitionem, in quâ ex hoc poftulato demonftra- tur omnis humidi confifientis & manentis fuperficiem ejje fphœricam, eiufque fphœrœ centrum ejje idem cum centro

10 terrœ. Quod certè quàm proximè verum eft, & quan- tum fufficiebat ad inftitutum Archimedis : quod nempè non aliud fuit in eo libro, quàm demonftrare quantum & quomodo debeant onerari nauigia, ne fubmergan- tur. Sed hoc nullomodo aptum eft ad reddendam

1$ rationem cur fuperficies aquae fit polita; nam contra ex iflo Archimedis fundamento caeterifque aequilibri] legibus, fi non habeatur ratio aliarum rerum, & prae- fertim illius affridûs de quo fum locutus, | euidentif- fimè poteft demonftrari, illam debere effe fcabram &

20 inaequalem, quia, cùm faltem vt plurimum fint non- nullae terrae particulee aquae immixtae, quae eius par- ti bus fint grauiores, vt patet ex eo quod, ipfâ in vafe aliquandiu feruatâ, fubfideant, itemque in eâ fint aliqui fpiritus ipfâ leuiores, vt fatetur in obieftione ad pag.

25 164, fequitur ex propofitione 4* & <j & huius libri Ar- chimedis, partes illas fuperficiei aquae, quibus plures

2 hîc om. — 4 illo libro] eo. — tur. — 20-21 nonnullae] aliquœ.

6 kEd.,om. Ms. — 9 idem effe. — 22 fint] funt. — 22-23 ipfa

— 12 fuit] intendat. — 14 hoc] aliquandiu in vafe afferuata fub- profecto aj. — 17-18 praefertim] fidant. — 25 fequitur ex] De- inter capteras. — 18 illius] iftius. monftratur in. — huius] iftius.

— 19 poteft demonftrari] fequi- — 26 illas om.

�� � 428 Correspondance. h, 48-49-

terrae particulae & pauciores fpiritûs fubiacent, debere paulô viciniores effe centro terrae, quàm aliae circum- iacentes, quae plures fpiritûs & pauciores terrae parti- cipas fub fe habent, ficque fuperficiem iftam plané rudem & impolitam euadere. Vel certè fi velit terram, 5 & fpiritûs, & fimilia omnia. effe aquae aequalia in ratione ponderis, quamdiu illi permifcentur, fateri faltem débet Archimedis argumenta non procedere, nifi quoties humidi fuperficies eft pars fphaerae médium terrae pro centro habentis ; ac proindè quid dicet de io guttis in aère pendentibus, itemque de vndis, quae quantumlibet fint agitatae, fuperficies habent maxime laeues & politas ?

16. Ad pag. 167 fubftiti aliquandiu hoc in loco, nec potuiffem vnquam fufpicari, cur rotœ radios & titionis i5 celerrimè circumaéîi circulum igneum afferat, ad Ma quœ de vaporum raritate fcripfi refutanda, nifi commodum meminiffem dici ab Ariftotele rarefaétionem fieri per augmentationem quantitatis a , atque ideô plerofque ex eius fedatoribus fibi perfuadere, corpus rarefadum 20 plus fpatij fecundum omnes dimenfiones replere, quàm fi fit condenfatum. Iuxtà quam opinionem redè fané diceretur rotae radios, vel titionem, non effe rariores nec plus fpatij occupare cùm circumaguntur, | quàm dum quiefcunt. Sed craffa mea philofophia talem aug- 25

2-3 quàm alias circumiacentes] — 10 ac] etc. — 12 fint ont.

alijs circumiacentibus. — 4 ha- — fuperficies] femper aj. —

bent] haberent. — iftam] illam. 14 pag. 167 et 168. — 20 fpec-

— 7 ponderis] grauitatis. — tatoribus MS. permifcentur] permixta funt.

a. Aristote, Phys., IV, ix, 6.

�� � H,4g. LXXXVIII. — j Octobre 1657. 429

mentationem quantitatis non capit, nec vllam rarefac- tionem intelligo praeter illam quse fit cùm partes ali- cuius corporis ab inuicem remouentur, illiufque pori fiue interualla iftis partibus interieéta augentur. Nec 5 dico fingulas particulas corporis, cuius pori ita augen- tur, rarefieri, fed tantummodo totum corpus. Nec denique nego qusedam corpora, licet eorum partes quiefcant, pofle efle rariffima : ita enim fpongiam raram appello, non modo cùm ficca eft, fed etiam

10 magis cùm aquâ imbuta magis turget. Perindè enim eft, fiue aer, fiue aqua, fiue alia quaeuis materia conti- neatur in eius poris, quoniam ad eius naturam non pertinet. Atqui nihil euidentius eft, quàm motum celerrimum fingularum partium alicuius corporis

i5 efficere etiam interdum pofTe, vt fingulae illae partes ab inuicem magis remoueantur, quàm fi quiefcerent, quemadmodum cùm titio alicubi circumagitur, impe- dit quominus alij titiones alijs modis, in eo fpatio quod percurrit, poflint etiam circumagi, adeô vt hîc

20 nodum in fcirpo videatur quaefiuifle.

17. Ad pag. 175 & 189 negat faporem Jalfum in eo conjijîere, quod partes Jolis punéîim incidant in poros linguœ, quia, inquit, fi hoc verumjît, quoties cafu tranf- uerjim incident, aliquem alium faporem exhibebunt. Sed

25 notare débet acum non pungere niû cufpide, nec gla- dium fcindere nifi acie, reliquis autem fuis partibus nullum pofle vulnus infligere : atque eodem modo par-

1 vllam] aliam. — 4 iftis... cerent] quiefcant. — 18-19 eo...

interie&a] quae funt inter iftas percurrit] eodem loco. — 20 vi-

partes. — 10 imbuta] faturata. deatur quœfîuifle] quasfiuerit. —

— 1 5 illse partes om. — iôquief- 26 nifi] fine.

�� � 4jo Correspondance. ii, 49-50.

ticulas falis tranfuerfim in linguam incidentes non magis fentiri, quàm illas aquae dulcis. Sed quia funt permultse in quâlibet exiguâ falis mica, non magis poteft contingere, vt illa, in j ore liquefcendo, nullas cufpides in linguae poros immittat, quàm vt < fi > quis 5 nudis pedibus ambulet fupra fpinas, & non lsedatur.

— Subiungit me nimis multa fperare per folum Jîîum & moîum localem expedire, quœ abfque alijs realibus quali- tatibus non pojfunt intelligi. Sed fi velit enumerare pro- blemata, quae in folo tra&atu de Meteoris explicui, & 10 conferre cum ijs quae ab alijs de eâdem materiâ, in quâ ipfe eft verfatiflimus, ha&enus tradita fuere, con- fido ipfum non adeô magnam occafionem reperturum pinguiufculam & mechanicam philofophiam meam contemnendi. "5

18. Denique ad pag. 190 cùm dicit ventorum motus per ceolipilas vniuerjîm expediri non pojfe, mecum fen- tit : alias enim etiam eorum caufas affero. Sed cùm rationis loco addit exhalationes ventorum tam aréîè inter nubes & montes non comprimi, vt tanto impetu, quanto 20 vapor ex œolipilâ, exprimantur, non fatis ad Mechanicae leges videtur attendere, ex quibus poteft facile de- monftrari, fi vafta illa moles aeris, quae ventos com- ponit, tanto impetu ferretur, quanto perexiguum iftud vaporis, quod de aeolipilâ egreditur, ferri folet, 25 nulla fore aedificia quae non ab ipfis difflarentur, &c.

3 exiguâ falis] eius. — 5 fi phiam. — 16 pag. 90 MS.,

Ed., ont. MS. — 8 expedire] paginam 190 Ed. — motus] mo-

poffe expediri. — realibus alijs. tum. — 24-25 perexiguum iftud]

— 12 ha&enus ont. — fuere] per exiguum illud. — 25 va- funt. — 14 rr:eam Philofo- poris ont. — 26 &c] Hœc funt,

�� � LXXXIX. — 5 Octobre 1637. 451

Page 41 5, 1. 5. — Allusion, dit l'abbé Monchamp (Hist. du Cartésia- nisme en Belgique, 1886, p. 54, note), aux considérants de la sentence prononcée à Rome contre le système de Copernic, sentence que Froid- mont avait défendue dans ses deux livres suivants : Liberti Fromondi in Academ. Lovaniensi S" Theologiœ Doctoris et Pro/essoris ordinarii Ant-Aristarchcjs, sive orbis Terrce immobilis. Liber unicus, in quo decre- tum S" Congrega. S. R. E. cardinalium anno 1616 adversus pytha- gorico-copernicanos editum defenditur (Antverpiae, ex officina Planti- niana, i63i, in-4); et du même auteur : Vesta seu Ant-Aristarchi vindex adversus lac. Lansbergium, Philippi filium, Medicum Middelburgen- sem. In quo decretum S" Congregationis S. R. E. cardinalium anni M.DC.XVI et alterum anno M. DC. XXXIII adversus copernicanas Terrce motores editum iterum defenditur [Ib., 1634, in-4).

��LXXXIX.

Descartes a Huygens.

5 octobre 1637. Autographe, Leyde, Bibl. de l'Univ., collection Huygens, 29 a.

L'autographe remplit deux feuilles entières, grand format, pliêes en deux, c'est-à-dire quatre feuillets, en tout huit pages, plus un quart de feuille, où se trouvent des deux côtés, et de la main de Descartes, les figures auxquelles le texte renvoie. De ces deux feuilles, la première comprend d'abord la lettre d'envoi (p. 1 et 2), puis le dernier tiers du petit Traité des Mechaniques ou Explication des Engins (p. 7 et 8); le premier et le second tiers sont sur l'autre feuille (p. 3 et 4, 5 et 6). Le petit Traité ne doit donc pas être séparé de la lettre, bien que Clerselier, tome II. lettre 82, p. 366-368, donne celle-ci toute seule, d'après la minute qui fournit quelques variantes.

Cependant le Traité se trouvait aussi parmi les papiers de Des- cartes, comme en fait foi l'inventaire de Stockholm, du 14 février i65o, art. S. Mais, dit Baillet (II, 400), « il fut dérobé ou égaré. »

Clariffime Domine, quaî ad ob- fatisfaftum, vel fi forte poftaccu-

iectiones doctiflimi Viri Domini ratius libri examen alias plures

Fromondi refpondeo, quibus fi inuenerit, &c. nondum putet fibi effe abunde

�� � 4} 2 Correspondance. ii, 366.

Toutefois Pierre Bore! put en avoir une copie qu'il voulut même publier; on lit dans son Compendium Vitœ Cartesii, 16SJ: « .. .ut » et de mechanica tractatulum, quem Bibliopolœ eut» duab. Epistolis » serenissimee principissœ Eli\abethœ dedi, ut publia fiant juris. » (p. 42 de la a e édit., 1676). Est-ce sur cette copie de Borel que le P. Poisson se fit l'éditeur du petit Traité à Paris en 1668, ou sur une autre copie qu'il aurait fait venir tout exprès de Stockholm par les soins de M. de Loménie? Baillet dit tantôt l'un, tantôt l'autre, I,3i7 et 11,400.

L'édition de Poisson, dont nous donnons les variantes, a comme titre : Traité de la Mechanique, composé par Monsieur Descartes : de plus l'Abrégé de Musique du mesme autheur, mis en françois avec les éclaircissemens nécessaires par N. P. P. D. L. {Paris, Charles Angot, 1668, in-4). Le Traité {p. 7-1 5) est suivi de Re- marques sur les Mechaniques de Mons. Descartes (p. 16-S2), par le même Nicolas Poisson, Prêtre de l'Oratoire.

En 1672, à Kiel, en Holstein, Jean-Daniel Major, ignorant cette publication, donna, d'après un texte qu'il s'était procuré, une version latine, avec ce titre : Ren. D« Cartes Explicatio Machinarum vel Instrumentorum, quorum beneficio parvà vi elevari vel moveri potest gravissimum onus, ex Gallico Idiomate in Latinum versa, et nunc primùm édita (Kiliœ Holsalorutn, Typis Joachimi Reumanni, Acad. Typogr., anno 1672).

Cependant l'original subsistait dans la collection de Constantin Huygens, comme son fils, Christian, le constate dans une de ses notes sur l'ouvrage de Baillet en i6qi . « J'ai le traité de Mecha- » nique, dont il parle, de la main de M. Descartes. » (p. p. V. Cou- sin, Fragm. Philos., t. Il, p. 1S7, 3 e édit.). A cet autographe se trouve joint un feuillet blanc qui porte ce titre, de la main de Cons- tantin Huygens : « Les Mechaniques de Mons r Descartes, 1637 », et cette note de la même main : « R a 240a. 37 » (R a signifie Recepta, voir la lettre de Huygens ci-après, p. 461, l. g). Cette note, ainsi que la date de l'autographe, corrigent une erreur de Baillet (I , u, et 268), qui rapportait ce petit traité au mois de février i636 ; il est vrai que lui-même se corrige en partie, I, 3 16. — Descaries répond ici à la Lettre LXXX1 V ci-avant, du 8 sept., p. 3g5.

Monfieur, En quelque occupation que vos lettres me rencon- trent, elles me font touûours très chères & très agréa-

�� � blés, principalement puifqu’elles m’apprenent que vous me faites la faueur de penfer en moy, & que vous auez deflein d’employer encore voftre tourneur pour nos lunetes. Mais puifqu’il vous plaift en fçauoir

5 mon opinion, ie vous diray franchement que tant s’en faut que i’efpere qu’il en viene a bout, auec des machines qui ayent moins de façon que la miene, qu’au contraire ie me perfuade qu’on y doit encore adioufter diuerfes chofes, que i’ay omifes, mais que ie croy

10 n’eflre point fi difficiles a inuenter que l’vfage ne les enfeigne. Comme, premièrement, le chois du verre n’eft pas ayfé ; car fouuent au dedans de celuy qui femble le plus net & le plus clair, il fe rencontre certaines ondes qui le rendent entièrement inutile, & qui

1 5 n’y peuuent eftre aperceues que par ceux qui le regardent contre le iour & qui s’y font exercez. Le poli auffy eft difficile ; car encore qu’on donne a peu près la vraye figure a vn verre, il ne pourra toutefois rien valoir, fi en le poliflant on ne luy donne vne courbure

20 fort vniforme, & c’eft ce qui | manquoit au dernier verre que i’ay vu de la façon de voftre tourneur. Outre cela, ce n’eft pas affez de tailler vn verre dont le diamètre foit de 2 ou j pouces, pour faire quelque chofe d’extraordinaire ; car il s’en trouue défia quelques

25 vns de cete grandeur, qui repreſentent aſſez diſtinctement les obiets ſans qu’il ſoit beſoin de couurir leurs bords ; & quand cela arriue, quelque figure qu’ils ayent, on doit penſer qu’ils ont la bonne. Mais l’im-

1 principalement om. — 2 en] à. — 4 plaiſt d’en. — 11 premierement] 1. — 17 auſſy eſt] eſt auſſi. — 22 pas] point. — 23 : 2 ou 3] deux ou trois. — 25-26 aſſez diſtinctement om. — 28 penſer] croire.

434 Correspondance. 11,367

portance eft d'en faire de plus grands qui foyent bons, a quoy les artifans qui tafchent a les rendre fpheriques ne fçauroient iamais paruenir. Et pour faire quelque chofe de plus que le commun, ie vou- drois que l'Hyperbole que vous ferez tailler euft au 5 moins 4 pieds de diftance entre fes 2 poins bruflans, & le verre, 4 ou $ pouces de diamètre. Au refte la machine que i'ay defcrite me femble afTez fimple, principalement fi on confidere qu'elle ne confifte qu'en la partie qui eft feule en la page 145, & que le «o roulleau & les planches fe peuuent faire fort petites a comparaifon de la pièce B K & des piliers qui la fou- tienent, car ie les ay fait peindre dix fois plus courts, a comparaifon du refte, qu'il ne falloit, affin que la figure puft mieux en mon papier. i5

Pour ce que vous defirez des Mechaniques, il eft vray que ie ne fus iamais moins en humeur d'efcrire que maintenant; & non feulement ie n'ay plus ce grand loyfir que i'auois autrefois eftant a Breda, mais mefme ie regrete tous les iours le tems que ce que le 20 Maire a imprimé pour moy m'a fait perdre. Les poils blancs qui fe haftent de me venir m'auertiffent que ie ne dois a plus eftudier a autre chofe qu'aux moyens

6 : 4] quatre. — fes 2] ces deux. suffirait de corriger puft en fuft).

— 7 : 4 ou 5] quatre ou cinq. — — 18 et] que aj. — 19 eftant a 11 planches] etc. aj. — 12 des] Breda om. — 20 mefme] que aj. les. — 1 3 car ie les ay] que i'ay. — 20-2 1 que ce que. . . perdre]

— peindre] icy aj. — courts] que le Maire m'a fait perdre en courte. — i5 puft mieux] puft imprimant pour moy. — 22 fe eftre mieux reprefentée (correc- haftent de] commencent à. — tion de Clerselier sans doute; il 23 eftudier] en Phyfique aj.

a. Ms. : dois récrit sur doy.

�� � ii.36 7 -368. LXXXIX. — 5 Octobre 1637. 45$

de les retarder. C'eft maintenant aquoy ie m'occupe, & ie tafche a fuppleer par induftrie le défaut des expé- riences qui me manquent, a quoy i'ay tant de befoin de tout mon tems que i'ay pris refolution de l'y em- 5 ployer tout, & que i'ay mefme relégué mon Monde bien loin d'icy, affin de n'eftre point tenté d'acheuer a le mettre au net. Mais ie ne veux pas laiffer pour cela de vous enuoyer l'efcrit que vous demandez, vu principalement que vous ne le demandez que j de 10 trois feuillets, carie fuis bien ayfe de vous tefmoigner que vous pouuez fur moy quelque chofe de plus que mes propres refolutions, & que ie fuis,

Monfieur,

Voftre très obeiffant & ■ 5 très affectionné feruiteur,

��DES CARTES.

��Du 5 06t. 1637.

��EXPLICATION

DES ENGINS PAR l'aYDE DESQVELS ON PEVT AVEC VNE PETITE 20 FORCE LEVER VN FARDEAV FORT PESANT.

L'inuention de tous ces engins n'efl fondée que fur vn feul principe, qui eft que la mefme force qui peut leuer vn poids, par exemple, de cent liures a la hau-

3 a quoy] En quoy. — tant tre... 16370m. — 19 Des] ma- befoin. — 7 a] de. — 14-17 Vof- chines et aj.

�� � 4}6 Correspondance.

teur de deux pieds, en peut auffy leuer vn de 200 li- ures, a la hauteur d'vn pied, ou vn de 400 a la hau- teur d'vn demi pied, & ainfy des autres, fi tant eft quelle luy foit appliquée.

Et ce principe ne peut manquer d'eftre receu, fi on 5 confidere que l'effecT: doit eftre toufiours propor- tionné a l'action qui eft necefTaire pour le produire : de façon que s'il eft necefTaire d'employer l'a&ion par laquelle on peut leuer vn poids de 100 liures a la hauteur de deux pieds, pour en leuer vn a la hauteur •© d'vn pied feulement, cetuy cy doit pefer 200 liures. Car c'eft le mefme de leuer 100 liures a la hauteur d'vn pied, & derechef encore cent a la hauteur d'vn pied, que d'en leuer deux cent a la hauteur d'vn pied, & le mefme aufly que d'en leuer cent a la hauteur i5 de deux pieds.

Or les engins qui feruent a faire cete application d'vne force qui agift par vn grand efpace a vn poids qu'elle fait leuer par vn moindre, font la poulie, le plan incliné, le coin, le tour ou la roue, la vis, le 30 leuier; et quelques autres. Car fi on ne veut point les rapporter les vns aux autres, on en peut nombrer d'auantage; & fi on les y veut rapporter, on n'a pas befoin d'en mettre tant 3 .

19 poulie] (trochlea) aj. — aj. — quelques om. — autres]

20 coin] (cuneus) aj. — roué] femblables aj. — 22 nombrer]

(axis in peritrochio) aj. — vis] trouuer. — 23 on n'a] il n'eft. (cochlea) aj. — 21 leuier] (vcfiis)

a. Au lieu de cette dernière phrase, la version latine de Major donne après et alia (et quelques autres) : « Explicatis uno et altero, reliqua intellectu erunt facilia. » Elle offre encore d'autres différences analogues.

�� � LXXXIX. — 5 Octobre 16} 7.

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��LA POVLIE.

��10

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��20

��25

��AJ

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D

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��Soit A B C a vne chorde paffée autour de la poulie D, a laquelle poulie foit attaché le poids E. Et premiè- rement fuppofant que deux hommes foutienent ou hauffent également chafcun vn des bouts de cete chorde, il eft euident que û ce poids pefe 200 liures, chafcun de ces hommes n'employera, pour le foutenir ou fouleuer, que la force qu'il faut pour foutenir ou fouleuer 100 liures ; car chafcun n'en porte que la moitié. Faifons après cela qu'A, l'vn des bouts de cete chorde, eftant attaché ferme a quelque clou, l'autre C foit derechef foutenu par vn homme; & il eft euident que cet homme, en C, n'aura befoin, non plus que deuant, pour foutenir le poids E, que de la force qu'il faut pour foutenir cent liures : a caufe que le clou qui eft vers A y fait le mefme office que l'homme que nous y fuppofions au- parauant. Enfin, pofons que cet homme qui eft vers C tire la chorde pour faire haufler le poids E ; & il eft euident que, s'il y employé la force qu'il faut pour leuer 100 liures a la hauteur de deux pieds, il fera haufler ce poids E, qui en pefe 200, de la hauteur d'vn pied : car la chorde ABC eftant doublée comme elle

��10 qu'il] qui lui. — 25 ce] le.

a. Légende des figures, de la main de Descartes : les poulies, troch^a-

�� � I i

��438 Correspondance.

eft, on la doit tirer de deux pieds par le bout C, pour faire autant hauffer le poids E que fi deux hommes la tiroient, l'vn par le bout A & l'autre par le bout C, chafcun de la longueur d'vn pied feulement.

Il y a toutefois vne chofe qui empefche que ce calcul 5 ne foit exad, a fçauoir la pefanteur de la poulie, & la difficulté qu'on peut auoir a faire couler la chorde & a la porter. Mais cela eft fort peu a comparaifon de ce qu'on leue, & ne peut eflre eftimé qu'a peu près.

Au refle il faut remarquer que ce n'eft point la 10 poulie qui caufe cete force, mais feulement le redou- blement de la chorde : car fi on attache encore vne poulie vers A, par laquelle on paffe la chorde ABCH, il ne faudra pas moins de force pour tirer H vers K, & ainfi leuer le poids E, qu'il en falloit auparauant pour tirer C vers G. Mais fi a ces deux poulies on en adioufte encore vne autre vers D, a laquelle on atta- che le poids & dans laquelle on paffe la chorde, tout de mefme qu'en la première, alors on n'aura pas befoin de plus de force pour leuer ce poids de 200 li- 20 ures, que pour an leuer vn de <jo fans poulie, a caufe qu'en tirant 4 pieds de la chorde on ne l'eleuera que d'vn pied. Et ainfy en multipliant les poulies, on peut eleuer les plus grans fardeaux auec les plus petites forces. 25

On doit auffy remarquer qu'il faut toufiours vn peu plus de force pour leuer vn poids, que pour le foute- nir ; ce qui efl caufe que i'ay parlé icy feparement de l'vn& de l'autre.

11-12 redoublement] mouuement. — 12 chorde] qui eft double de celui du poids aj.

�� � LXXXIX. — $ Octobre 1657. 459

��LE PLAN INCLINE.

���Si, n 1 ayant qu'affez de force pour leuer 100 liures, on veut neantmoins leuer le cors F, qui en pefe 200, a la hauteur de la ligne B A, il ne faut que le tirer ou

5 rouller le long du plan in- _ %

cliné C A, que ie fuppofe deux fois auffy long que la ligne A B ; car, par ce moyen, pour le faire par-

10 uenir au point A, on y employera la force qui eft re- quife pour faire monter 100 liures deux fois auffy haut. Et d'autant qu'on aura fait ce plan C A plus incliné, d'autant aura-t-on befoin de moins de force pour leuer le poids F par fon moyen.

i5 Mais il y a encore a rabatre de ce calcul la difficulté qu'il y auroit a mouuoir le cors F le long du plan A C, fi ce plan eftoit couché fur la ligne B C dont ie fup- pofe toutes les parties également distantes du centre de la terre. Il eft vray que, cet empefchement eftant

20 d'autant moindre que le plan eft plus dur, plus efgal & plus poli, il ne peut derechef eftre eftimé qu'a peu près & n'eft pas fort confiderable. On n'a pas befoin non plus de confiderer que, la ligne BC eftant vne partie de cercle qui a mefme centre que la terre, le plan A C

25 doit eftre tant foit peu voûté & auoir la figure d'vne partie de la fpirale defcrite entre deux cercles qui ayent auffy pour centre celuy de la terre, car cela n'eft nullement fenfible.

10-1 1 qui eft requife] qu'il faut. — 26 la om.

�� � �440 Correspondance.

��le COIN.

La puiffance du coin A BC D a s'entend ayfement en fuite de ce qui vient d'eftre dit du plan incliné : car la force dont on frape deffus agift comme pour le faire

mouuoir fuiuant la ligne B D, & 5 le bois ou autre cors qu'il fend D ne s'entreouure, ou bien le far- deau qu'il fouleue ne fe hauffe, que félon la ligne AC. De façon que la force dont on pouffe ou frape ce coin doit auoir 10 mefme proportion a la refiftence de ce bois, ou de ce fardeau, que la ligne A C a la ligne B D.

Ou toutefois derechef, pour eftre exaét, il faudroit que BD fuft vne partie de cercle, & AD, CD, deux portions de fpirales qui euffent mefme centre que la 1 5 terre, & que le coin fuft d'vne matière fi parfaitement dure & polie, & fi peu pefante, qu'il ne falluft aucune force pour le mouuoir.

LA ROVË OV LE TOVR.

On void auffy fort ayfement que la force dont on 20 tourne la roue A b , ou les cheuilles B qui font mouuoir le tour ou cylindre C, fur lequel fe rolle vne chorde a laquelle le poids D qu'on veut leuer eft attaché, doit auoir mefme proportion auec ce poids, que la cir-

2 ayfement] d'elle mefme. — i3-i8 Ou. . . mouuoir ont.

a. Légende de la figure : le coin, cuneus.

b. Légende de la figure : la roue, axis in peritrochio.

�� � 10

��i5

��20

��LXXXIX. — 5 Octobre 1637. 441

conférence de ce cylindre auec la circonférence du

cercle que décrit cete force, ou ce qui eft le mefme,

que le diamètre de l'vn auec le

diamètre de l'autre, a caufe

que les circonférences ont

mefme raifon entre elles que 1

les diamètres. De façon que,

le cylindre C n'ayant qu'vn

pied de diamètre, û la roue

A B en a fix, & que le poids

D pefe 600 liures, il fuffira

que la force en B foit capable de leuer 100 liures. Et

ainû des autres.

On peut auffy , au lieu de la chorde qui fe rolle autour du cylindre CC, y mettre vne petite roue auec des dens qui facent tourner vne autre plus grande roue, & ainfi multiplier le pouuoir de la force autant qu'on voudra. Sans qu'il y ait rien a rabatre de cecy que la difficulté de mouuoir la machine, ainfy qu'aux autres.

���[.A VIS.

��Lors qu'on fçait la puiflance du tour et du plan incliné, celle de la vis eft ayfée a connoiftre & a cal- culer; car elle n'eft compofée que d'vn plan fort 25 incliné qui tournoyé fur vn cylindre. Et fi ce plan eft tellement incliné que le cylindre doiue faire, par exemple, dix tours pour s'auancer de la longeur d'vn pied dans l'efcrouë, & que la grandeur de la circonfe-

��28 l'efcrouë] l'écrou.

Correspondance. I.

��56

�� � 442 Correspondance.

rence du cercle que defcrit la force qui le tourne foit de dix pieds, a caufe que dix fois dix font cent, vn homme feul pourra preffer aufly fort auec cete vis, que cent pourraient faire fans elle, pouruû feulement qu'on en rabate la force qu'il faut a la tourner. 5

Or i'ay parlé icy de preffer, plutofl que de hauffer ou remuer, a caufe que c'eft a cela qu'on employé le plus ordinairement cete vis. Mais lorfqu'on s'en veut feruir a leuer des fardeaux, au lieu de la faire auancer dans vne efcrouë, on ioint a elle vne roue a plufieurs 10 dents tellement faites, que fi cete roue a par exemple jo dents, pendant que la vis fait vn tour entier, elle ne luy fait faire que la trentiefme partie d'vn tour; & fi le poids efl attaché a vne chorde qui, fe rollant autour de l'aiffieu de cete roué, ne l'eleue que d'vn pied de i5 haut pendant que la roue fait vn tour entier, & que la grandeur de la circonférence du cercle que defcrit la force qui tourne la vis foit derechef de dix pieds, a caufe que dix fois trente font trois cens, vn homme feul pourra leuer vn auffy grand poids auec cet infini- 20 ment, lequel s'appele la vis fans fin, que trois cens hommes fans luy. Pouruu derechef qu'on en rabatte la difficulté qu'on peut auoir a le tourner, qui n'efl pas proprement caufée par la pefanteur du fardeau, mais par la forme ou la matière de l'inflrument. Et 25 cete difficulté efl en luy plus fenfible qu'aux prece- dens, d'autant qu'il a plus de force.

7 qu'on] que l'on. — 10 vne efcrouë] vn écrou. — 14 rollant] roulant.

��

le levier.

I’ay différé a parler du leuier iuſques a la fin, a cauſe que c’eſt l’engin pour leuer des fardeaux le plus difficile de tous a expliquer.

5 Suppoſons que C H[84] eſt vn leuier tellement areſté au point O, par le moyen d’vne cheuille de fer qui 444 Correspondance.

paffe au trauers ou autrement, qu'il puiffe tourner autour de ce point O, fa partie C defcriuant le demi cercle A B C D E, & fa partie H le demi cercle F G H I K, & que le poids qu'on veut leuer par fon moyen foit en H, & la force en C, la ligne CO eftant pofée 5 triple d'OH. Puis confiderons que pendant que la force qui meut ce leuier defcrit tout le demi cercle ABC DE, & agift fuiuant cete ligne ABC DE, bien que le poids defcriue aufly le demi cercle FGHIK, il ne fe hauiTe pas toutefois de la longeur de cete >o ligne courbe FGHIK, mais feulement de la longeur de la ligne droite FOK. De façon que la proportion que doit auoir la force qui meut ce poids a fa pe- fanteur, ne doit pas eftre mefurée par celle qui eft entre les deux diamètres de ces cercles, ou entre ' 5 leur deux circonférences, ainfy qu'il a elle dit du tour cy deffus, mais plutoft par celle qui eft entre la circonférence du plus grand & le diamètre du plus petit. Confiderons outre cela qu'il s'en faut beaucoup que cete force n'ait befoin d'eftre û grande, pour »o tourner ce leuier lorfqu'il eft vers A ou vers E, que lorfqu'il eft vers B ou vers D, ny fi grande lorfqu'il eft vers B ou vers D que lorfqu'il eft vers C : dont la raifon eft que le poids y monte moins, ainfy qu'il eft ayfé a voir fi, ayant fuppofé que la ligne COH eft 25 parallèle a l'Horizon & qu'AOF la couppe a angles droits, on prent le point G également diftant des poins F & H, & le point B efgalement diftant des

4 foit] étant. — 5 eftant] foit. 27 droits], ainfi qu'il eft aifé — 24-25 ainfy... fi ont. — à voir, aj. 26 qu'AOF] que AOF. —

�� � LXXXIX. — $ Octobre 1657. 44?

points A & C, & qu'ayant tiré G S perpendiculaire fur FO, on regarde que la ligne F S, qui marque com- bien monte ce poids pendant que la force agift le long de la ligne AB, eft beaucoup moindre que la ligne 5 SO qui marque combien il monte pendant que la force agift le long de la ligne B C.

Et pour mefurer exactement qu'elle doit eftre cete force en chafque point de la ligne courbe ABC DE, il faut fçauoir qu'elle y agift tout de mefme que fi elle

10 trainoit le poids fur vn plan circulairement incliné, & que l'inclination de chafcun des poins de ce plan circulaire fe doit mefurer par celle de la ligne droite qui touche le cercle en ce point. Comme par exemple quand la force eft au point B, pour trouuer la pro-

■ 5 portion qu'elle doit auoir auec la pefanteur du poids qui eft alors au point G, il faut tirer la contingente G M, & penfer que la pefanteur de ce poids eft a la force qui eft requife pour le trainer fur ce plan, & par confequent auffy pour le hauffer fuiuant le cercle

jo F G H, comme la ligne G M eft a SM. Puis a caufe que BO eft triple de OG, la force en B n'abefoin d'eftre a ce poids en G, que comme le tiers de la ligne S M eft a la toute GM. Tout de mefme quand la force eft au point D, pour fçauoir combien pefe le poids qui

2 5 eft alors au point I, il faut tirer la contingente I P & la droite IN perpendiculaire fur l'Horizon, & du point P pris a difcretion en cete ligne I P, pouruu que ce foit au deflbus du point I, il faut tirer P N parallèle au mefme Horizon, affin d'auoir la proportion qui eft

3o entre la ligne IP & le tiers de la ligne IN, pour celle

7 qu'elle] quelle.

�� � 446 Correspondance.

qui eft entre la pefanteur du poids & la force qui doit eftre au point D pour le mouuoir. Et ainfy des autres. Ou toutefois il faut excepter le point H, auquel la contingente eftant perpendiculaire fur l'Horizon, le poids ne peut eftre que triple de la force qui doit eftre 5 en C pour le mouuoir ; & les poins F & K, aufquels la contingente eftant parallèle au mefme Horizon, la moindre force qu'on puiffe déterminer eft fuffifante pour mouuoir ce poids.

De plus affin d'eftre entièrement exa&, il faut 10 remarquer que les lignes S G & PN doiuent eftre des parties de cercle qui ayent pour centre celuy de la terre; & GM, IP, des parties de fpirales tirées entre deux tels cercles; & enfin que les lignes droites S M & IN, tendant toutes deux vers le centre de la terre, i5 ne font pas exactement parallèles; & outre cela que le point H, ou ie fuppofe que la contingente eft perpen- diculaire fur l'Horizon, doit eftre tant foit peu plus proche du point F que du point K, aufquels poins F & K les contingentes font parallèles au mefme Horizon. 20 En fuite de quoy on peut refoudre facilement toutes les difficultez de la balance : &monftrer que lorfqu'elle eftfuppofée très exacle, & mefme qu'on imagine fon centre en O, par lequel elle eft foutenuë, n'eftre qu'vn point indiuifible, ainfy que ie l'ay icy fuppofé pour ie 2 5 leuier, fi fesbras font panchez de part ou d'autre, celuy qui fera le plus bas fe doit toufiours trouuer le plus pefant. En forte que le centre de grauité n'eft pas fixe &

11 S G] S M. — 27 après trouuer] le om. — 28 pefant] que l'autre aj. — fixe & om.

�� � LXXXIX. — $ Octobre 16^7. 447

immobile en chafque cors, ainfy que l'auoient fup- pofé les anciens. Ce que perfonne encore que ie fçache n'a remarqué*.

Mais ces dernières confiderations ne feruent de 5 rien pour l'vfage. Et il feroit vtile pour ceux qui fe meflent d'inuenter de nouuelles Machines, qu'ils ne fceuffent rien de plus de cete matière que ce peu que ie viens d'en efcrire; car ils ne feroient pas en danger de fe tromper en leur conte, comme ils font fouuent

10 en fuppofant d'autres principes.

Au refte on peut appliquer les engins que i'ay expliquez, en vne infinité de diuerfes façons; & il y a vne infinité d'autres chofes a confiderer dans les Mechaniques,dont ie ne dis rien, a caufe que mes trois

i5 feuillets font remplis, & que vous n'en auez pas demandé dauantage.

Les figures, au lieu d'être intercalées dans le texte, chacune à sa place, se trouvent réunies toutes ensemble sur un quart de feuille, avec cette note de Descartes :

Vous auez défia tant vu de mes figures, que fi ie vous en enuoyois de mieux faites que celles cy, vous ne croyriez pas qu'elles fuffent de ma façon.

Page 447, 1. 3. — La remarque avait déjà été faite par Fermât, dans ses Nova in Mechanicis theoremata, envoyés à Mersenne le 24 juin i636 (Œuvres de Fermât, t. II, 1.894, p. 25-26). On ne peut douter, au reste, qu'Archimède n'ait déjà eu parfaitement conscience de la contradiction théorique entre le postulat du parallélisme des actions de la pesanteur (fondement du concept de centre de gravité) et le postulat de la conver- gence de ces actions vers le centre de la terre (base qu'il donne à la doc- trine dé l'équilibre des corps flottants). Mais comme nous ignorons en fait

1 chafque cors] vn fens. — 7 (après plus) de] en. — peu ow. i-3 ainfy... remarqué om. — — 11 que i'ay] icy.

�� � 448 Correspondance. ni, 173-174-

de quelle manière Archimède établissait l'existence du centre de gravité, nous ne pouvons savoir davantage comment il se tirait de la difficulté en question.

��xc.

Descartes a Mersenne.

[5 octobre 1637.] Texte de Clerselier, tome III, lettre 38, p. 173-174.

Sans date dans Clerselier. « Du 3 décembre 1637 », dit l'exem- plaire de l'Institut. Mais Descartes parle des objections de Fro- mondus, qu'il a reçues « ces iours passez », et auxquelles il a répondu « dés le lendemain » (par la Lettre LXXXVIII). Or nous savons que cette réponse est du 3 octobre; la présente lettre, ainsi que la suivante, seraient donc du lundi S. Dans ces deux lettres Descartes répond aux objections de Fermât, envoyées à Mersenne en avril ou mai i63j, Lettre LXXI1 ci-avant, p. 354.

Mon Reuerend Père,

I'ay efté bien-aife de voir la lettre de Monfieur de Fermât, & ie vous en remercie; mais le défaut qu'il trouue en | ma demonftration n'eft qu'imaginaire, & monftre affez qu'il n'a regardé mon traitté que de 5 trauers. le répons à fon objection dans vn papier feparé, afin que vous luy puifliez enuoyerfibon vous femble, & fi vous auez enuie par charité de le déliurer de la peine qu'il prend de réuer encore fur cette ma- tière. Il faut que la demonftration prétendue de la 10 Geoftatique foit bien defe&ueufe , veu que mefme Monfieur de Fermât, qui eft tant amy de l'autheur, la

�� � ni, i 74 . XC. — 5 Octobre 16} 7. 449

defaprouue, & que moy, qui ne l'ay point veuë, ay iugé quelle eftoit mal refutée, pour cela feul que ie n'ay pu m'imaginer quelle fuft fi peu de chofe que ce que ie voyois eftre refuté 3 . le vous prie de continuer 5 toufiours à me mander tout ce qui fe dira ou s'écrira contre moy, & mefme de conuier ceux que vous y verrez eftre difpofez à m'enuoyer des objections, leur promettant que ie leur en renuoyeray la réponfe; comme en effet ie n'y manqueray pas, ny auffi de les

10 faire toutes imprimer, fi-toft qu'il y en aura affez pour faire vn volume, l'en ay receu ces iours parlez quel- ques-vnes de M. Fromondus de Louuain, auquel i'auois enuoyé vn liure, à caufe qu'il a écrit des Météores b ; ie luy ay répondu dés le lendemain que ie

i5 les ay receuës. Et en effet ie me réjouis, lors que ie voy que les plus fortes objections qu'on me faffe, ne valent pas les plus foibles de celles que ie me fuis fait à moy-mefme, auparauant que d'eftablir les chofes que i'ay écrites. le fuis,

20 Mon R. Père,

Voftre tres-humble & fidel feruiteur,

DESCARTES.

a. Page 36i, 1. 1-4; page 377, 1. i-3; page 391, 1. 25 et suiv.

b. Meteorologicorum libri VI (Antverp., 1627). — Cf. Lettre LXXXV, éclaircissement sur p. 400, 1. 8, et Lettre LXXXVII, p. 410, 1. 17.

��Correspondance. I.

�� � 4)0 Correspondance. 111,175.

XCI.

Descartes a Mersenne.

\b octobre 1 ô 3 7 . ' Texte de Clerselier, tome III, lettre 3;i, p. 175-178.

��« Réponse aux objections de M. de Fermât », ajoute Clerselier. — Voir le prolégomène de la lettre précédente. Fermât répliquera Lettre XCVI ci-après.

��Mon Reuerend Père,

Vous me mandez qu'vn de vos amis, qui a veu la Dioptrique, y trouue quelque chofe à objeder, et pre- mièrement qu'il doute Jî l'inclinât ion au mouuement doit future les me/mes loix que le mouuement, puis qu'il y 5 a autant de différence de l'vn à l'autre, que de la puijfance à Vaéle. Mais ie me perfuade qu'il a formé ce doute, fur ce qu'il s'eft imaginé que i'en doutois moy-mefme, &. qu'à caufe que i'ay mis ces mots en la page 8, ligne 24 : Car il ejl bien-aifé à croire que l'inclination à 10 fe mouuoir doitfuiure en cecy les me/mes loix que le mou- uement, il a penfé que, difant qu'vne chofe eft aifée à croire, ie voulois dire qu'elle n'eft que probable. En quoy il s'eft fort éloigné de mon fentiment. Car ie repute prefque pour faux tout ce qui n'eft que vray- ■ 5 femblable ; & quand ie dis qu'vne chofe eft aifée à croire, ie ne veux pas dire qu'elle eft probable feule-

4-0 Voir p. 3r>7, 1. 23-25.

�� � m, 175-176. XCI. — 5 Octobre 163-. 40

ment, mais quelle efl û claire & ii euidente, qui! n'elt pas belbin que ie m'arrefte à la demonftrer. Comme en effet on ne peut douter auec raifon, que les loix que fuit le mouuement, qui eft l'ade, comme il dit 5 luy-mefme, ne s'obferuent auffi par l'inclination à fe mouuoir, qui eft la puirTance de cet ade : car bien qu'il ne foit pas toufiours vray que ce qui a efté en la puiftance foit en l'acte, il eft neantmoins du tout im- poffible, qu'il y ait quelque chofe en l'a&e, qui n'ait

10 pas efté en la puifTance.

Pour ce qu'il dit en fuitte : qu'il femble y auoir icy vne particulière difconuenance, en ce que le mouuement d'vne balle cjl plus ou moins violent, à mefure qu elle ejl pouffée par des forces\differentes, là où la lumière pénètre

i5 en vn infiant les corps diaphanes, & femble n auoir rien de fuccefjif ie ne eomprens point fon raifonnement. Car il ne peut mettre cette difconuenance, en ce que le mouuement d'vne balle peut eftre plus ou moins violent, veu que l'action que ie prens pour la lumière

20 peut aufïi eftre plus ou moins forte; ny non plus, en ce que l'vn eft fucceffif & l'autre non, car ie penfe auoir aftez fait entendre par la comparai fon du bâton d'vn aueugle, & par celle du vin qui defcend dans vne cuue, que bien que l'inclination à fe mouuoir fe

23 communique d'vn lieu à l'autre en vn inftant, elle ne laiffe pas de fuiure le mefme chemin par où le mou- uement fucceffif fe doit faire, qui eft tout ce dont il eft icy queftion.

Il adjoûte après cela vn difcours, qui me femble

lo n'eftre rien moins qu'vne démonstration. le ne veux 5 par ou pour ? — 11-16 Voir p. 357, 1. 26, à p. 358, 1. 1,

�� � 45*

��Correspondance.

��in, 176-17-.

���pas icy repeter fes mots, pour ce que ie ne doute point que vous n'en ayez gardé l'original. Mais ie diray feulement que de ce que i'ay écrit que la détermination a Je mouuoir peut ejire diuifée (i'entens diuifée réelle- ment, & non point par imagi- 5 nation) en toutes les parties dont on peut imaginer qu'elle ejl com- pofée, il n'a eu aucune raifon de conclure que la diuifion de cette détermination, qui eft faite par 10 la fuperficie C B E , qui eft vne fuperficie réelle, à fçauoir celle du corps poly C B E, ne foit qu'imaginaire. Et il a fait vn Paralogifme trés-manifefte, en ce que fuppofant la ligne A F n'eftre pas parallèle à la fuperficie C B E, il i5 a voulu qu'on puft nonobflant cela imaginer que cette ligne defignoit le collé auquel cette fuperficie n'eft point du tout oppofée ; fans confiderer que comme il n'y a que les feules perpendicu- laires, non fur cette A F tirée de 20 trauers par fon imagination, mais fur C B E, qui marquent en quel fens cette fuperficie C B E eft op- pofée | au mouuement de la balle , aufli n'y a-t'il que les parallèles à 25 cette mefme C B E, qui marquent le fens auquel elle ne luy eft point du tout oppofée. Mais afin qu'on voye mieux la différence qui eft entre nos deux raifonnemens, ie les veux appliquer à vne autre matière. l'argumenté en cette forte : 3o

3-8 Dioptrique, p. 14-15.

��� � �m. 1-7-178. XCI. — 5 Octobre 16^7. 4$}

Premièrement : le triangle ABC peut eftre diuifé en toutes les parties dont on peut imaginer qu'il eft compofé. Secondement : or on peut aifément ima- giner qu'il a efté compofé des quatre

5 triangles égaux ADE, FED, EFB, D C F. Troisièmement : & en fuitte il eft aifé à entendre que les trois lignes D E, E F & F D marquent les endroits où ces quatre triangles doiuent fe

10 joindre pour le compofer. Donc, fi on

tire ces trois lignes, il fera réellement & véritablement diuifé par elles en quatre triangles égaux.

Voicy maintenant la façon dont il argumente, ou du moins dont il veut que i'aye ar-

i5 gumenté :

Le triangle ABC peut eftre diuifé en toutes les parties dont on peut imaginer qu'il eft compofé ; or on peut imaginer qu'il eft compofé des

20 quatre triangles inégaux A H G,

IGH, HCI, IBG. Donc, fi on tire les trois lignes DE, EF & FD, elles diuiferont ce triangle en quatre autres qui feront inégaux.

le m'afïure que quiconque voudra entendre raifon,

25 ne dira point que ces deux argumens foient fem- blables. Mais de quelque qualité que foient les objec- tions qu'on voudra faire contre mes Efcrits, vous m'o- bligerez, s'il vous plaift, de me les enuoyer toutes, et ie ne manqueray pas d'y répondre ; au moins fi elles ou

3o leurs |autheurs en valent tant foit peu la peine, & s'ils trouuent bon que ie les fafle imprimer, lors que i'en

��� � 4C4 Correspondance. 111,178.

auray ramafle pour remplir vn iufte volume ; car ie naurois iamais fait, û i'entreprenois de fatisfaire en particulier à vn chacun, le fuis,

��XCII.

Descartes av [P. Noël].

[Octobre 16'ij.] Texte de Clerselier, tome 11, lettre 83, p. 368-36g.

« A vn Reuerend Père Iesuite », dit simplement Clerselier, sans damier de nom ni de date. Mais cette lettre, rapprochée de la LXXIX', p. 38 '2, du 14 juin i63", au P. Noël, paraît adressée au mémo personnage. Le temps a sans doute manqué au Recteur du Collège de La Flèche pour examiner lui-même le livre de Descartes, ce qui lui a permis de répoudre sans retard par un simple remerciment. Mais il fera examiner ce livre par d'autres Pères de la Compagnie, sans doute pendant les vacances, qui allaient de septembre au 18 octobre, à la Saint- Luc. Ajoutons que Clerselier imprime cette lettre immé- diatement après notre LXXXIX', qui est du S octobre i63j.

Mon Reuerend Père,

le fuis extrêmement aife d'apprendre par la lettre 5 qu'il vous a plû m'écrire, que ie fuis encore fi heu- reux que d'auoir part en voflre fouuenir & en voflrc afïe&ion. le vous remercie auffi de ce que vous me promettez de faire examiner le liure que ie vous at- ermoyé, par ceux des voftres qui fe plaifent le plus !0 en telles matières, & de rn obliger tant que de m'en- uoyer leurs Cenfures. le fouhaitterois feulement, outre cela, que vous vouluffiez prendre la peine d'y

�� � n,368-36<). XCII. — Octobre 16^7. 455

ioindre les voftres; car ie vous affure qu'il n'y en aura point dont l'authorité puifle plus en mon endroit, ny aufquelles ie défère plus volontiers. Il eft vray que ceux de mes amis qui ont défia vu ce liure, m'ont 5 appris qu'il falloit du temps & de l'eftude pour en pouuoir bien iuger, à caufe que les commencemens (au moins ceux de la Dioptrique & des Météores) ne peuuent eftre bien perfuadez que par la connoifTance de toutes les chofes qui fuiuent après ; & que ces

10 chofes qui fuiuent, ne peuuent eftre bien entendues, fi on ne fe fouuient de toutes celles qui les précè- dent : c'eft pourquoy ie vous auray vne tres-particu- liere obligation, s'il vous plaift d'en prendre la peine, ou de faire aufli que d'autres la prennent. Car en

■ 5 effet, ie n'ay autre defTein que celuy de m'inftruire; & ceux qui me reprendront de quelque faute, me feront j toufiours plus de plaifir, que ceux qui me don- nent des louanges. Au refte, il n'y a perfonne qui me femble auoir plus d'intereft à examiner ce liure, que

20 ceux de voftre Compagnie : car ie voy défia que tant de perfonnes fe portent à croire ce qu'il contient, que (particulièrement pour les Météores) ie ne fçay pas de quelle façon ils pourront dorefnauant les enfei- gner, comme ils font tous les ans en la plufpart de

2 5 vos Collèges, s'ils ne réfutent ce que i'en ay écrit, ou s'ils ne le fuiuent. Et pource que ie fçay que la prin- cipale raifon qui fait que les voftres rejettent fort foi- jrneufement toutes fortes de nouueautez en matière de Philofophie, elt la crainte qu'ils ont qu'elles ne

3o caufent aufli quelque changement en la Théologie, ie veux icy particulièrement vous auertir, qu'il n'y a

�� � 4$6 Correspondance. h, 36 9 .

rien du tout à craindre de ce cofté-là pour les miens, & que i'ay fujet de rendre grâces à Dieu, de ce que les opinions qui mont femblé les plus vrayes en la Phyfique, par la confideration des caufes naturelles, ont toufiours elle celles qui s'accordent le mieux de toutes auec les myfteres de la Religion ; comme i'ef- pere faire voir clairement aux occafions. Et cependant ie vous fupplie de me continuer la faueur de voftre affedion, & de croire que ie feray toute ma vie.

��XCIII.

Descartes a [Octobre 1637.]

��• •*

��Texte de Clerselier, tome III, lettre î6, p. 1 14-115.

« A vn Reuerend Père Iesuite », dit simplement Clerselier, sans donner de nom ni de date. L'abbé G. Monchamp propose le P. François Fournet, qui est nommé dans la lettre de Plempius, du i5 sept. (p. 3gg, l. 6), et avec qui, dit-il, Descartes aurait fait connaissance dans un voyage à Douai au mois de mai précédent (Note sur un correspondant belge de Descartes, le P. Fournet, S. J., Bruxelles, i8g3). Mais ce voyage de Douai ne peut se placer à cette date (voir plus haut, p. 3ji, l. 5, noté). D'ailleurs le P. Fournet, bien qu'il dût mourir à Douai, le 10 janvier 1 638, parait avoir été à Lille en i63j (des objections seront aussi envoyées de Lille, Lettre CXIV, Clers., II, 3? 8); puis il s'occupait plutôt de théologie, et Des- cartes s'adresse ici à un mathématicien; enfin le P. Fournet, devenu compagnon du Provincial dans ses visites, n'enseignait plus alors, et ne pouvait pas avoir un neveu de Descartes comme élève. Quelle apparence aussi qu'on eût envoyé ce jeune garçon à Douai ou à Lille, si loin de la Bretagne, lorsque le collège de La Flèche était tout proche? Il s'agit donc bien plutôt d'un Jésuite de La Flèche, peut-

�� � m, ii4-ii5. XCIII. — Octobre 16^7. 4^7

être le P. Georges Fournier,qui, né en 1595, était presque du même âge que Descartes, pouvait avoir été son condisciple, et à qui il aurait envoyé son livre de 1637, comme il fera plus tard ses Principes (Baillet, H, 240); ce religieux, qui s’occupait surtout de mathématiques, les enseigna à La Flèche (162g- 1634), à Dieppe {i634-i636), probablement à La Flèche encore (1636-1640). — La date de cette lettre est incertaine : nous la plaçons à côté de la précédente, adressée sans doute au P. Noël.

Mon Reuerend Père,

le vous fuis tres-obligé de ce qu’il vous plaift pren- dre la peine de voir le liure que ie vous auois enuoyé ; & ie reçoy en très-bonne part la faueur que vous me 5 promettez de me traitter en amy, bien que vous l’in- terprétiez, que ce fera en | toute rigueur. Car ne deû- rant rien autre chofe que de connoiftre la vérité, i’aime beaucoup mieux la rigueur, c’eft à dire le foin & la diligence à remarquer tout, au moins en ceux de

10 voftre forte, que ie fçay n’eftre portez que d’vn bon zèle, & n’eftre pas capables de commettre aucune injuftice, que ie ne ferois leur négligence. Et ie ne fuis nullement preffé d’entendre voftre iugement; car i’ofe me promettre qu’il me fera d’autant plus fauorable

i5 qu’il viendra plus tard. Sur tout ie voudrois qu’il vous pluft prendre la peine d’examiner ma Géomé- trie; c’eft vne chofe qui ne fe peut faire que la plume à la main, & fuiuant tous les calculs qui y font, lef- quels peuuent fembler d’abord difficiles, à caufe

20 qu’on n’y eft pas accouftumé, mais il ne faut que peu de iours pour cela; & fi vous paflez du premier liure au troifiéme, auant que de lire le fécond, vous y trouuerez plus de facilité que peut-eftre vous ne croyez. Si i’auois des aides pour voler, comme Dédale,

Correspondance. I. 58

�� � 4$8 Correspondance. m, us.

ie voudrois m aller rendre pour huit iours auprès de vous, afin de vous en faciliter l'entrée; mais vous vous la pourrez afTez ouurir de vous-mefme, & ie me promets que vous ne plaindrez point par après le temps que vous y aurez employé. C'eft vn traitté que ie n'ay 5 quafi compofé que pendant qu'on imprimoit mes Météores, & mefme i'en ay inuenté vne partie pendant ce temps-là a ; mais ie n'ay pas laiffé de m'y fatisfaire, autant ou plus que ie ne me fatisfais d'ordinaire de ce que i'écris. Mon neueu b eft heureux de vous auoir 10 pour Maiftre, & ie fuis,

Mon R. P.

Voftre tres-humble & tres-acquis feruiteur, descartes.

��XCIV.

Descartes a [Octobre 1637.

��***

��Texte de Clersclier, tome III, lettre 27, p. 1 16-1 17.

Sans nom ni date dans Clerselier. Le destinataire parait être un gentilhomme, faisant profession des armes, s'occupant de mathéma-

a. Voir plus haut, p. 342, l'éclaircissement sur p. 340, 1. 12.

b. Descartes avait alors comme neveux deux fils de son frère aîné : Joa- chim de Kerleau, né sans doute en 1626, et Pierre de Montdidicr, dont il fut parrain, le 22 janv. 1628; plus un fils de sa sœur, François Rogier du Crévy, né sans doute en 1622. Il s'agit probablement du dernier, qui, deux ans plus tard, à sa sortie du Collège, viendra à Paris, où son oncle le chargera de ses petites commissions; « mon neueu, qui est fils de ma sœur du Creuis », 'dira-t-il à Mersenne dans une lettre du 16 octobre i63q.

�� � ni, ne. XCIV. — Octobre i 6 j 7 . 450.

tiques, et écrivant en latin. Or, ce triple signalement conviendrait à Godefroid de Haeslrecht, gentilhomme du ,pajs de Liège, établi à Utrecht, cité plus tard par Schooten dans son Commentaire sur la Géométrie de Descartes (édil. El\evier, i65g, p. 294). Haestrecht, datis une lettre ms. à Barlœus, du 2 nov. 162g, s'exprime ainsi : « Sed anle discessum te rogatum volo ut saintes meo nomine Tollium » nostrum, et preceris ut scripta sua, qua; dicurrt fortificationum, » mihi per diem aut allerum mutua det, quod me, meisque vicissim, » ad libitum polerit uti. Meminerit etiam mihi reddere libellulum » meum de usu circini. » (Amsterdam, Bibl. de V Univ.) Par contre, trois poèmes latins lui sont dédiés, p. fjg, 358, 43 1, Casparis Barlœi poematum editio nova (Leyde, El\evier, i63i). Enfin, Descartes le nommera bientôt (Clers. III, 471, sept. i63g). — Cler- selier, qui imprime cette lettre après la XXVI e , avait sans doute trouvé les minutes ensemble; nous laisserons donc celle-ci à la même place, la datant comme la précédente d'octobre i63j.

Monficur,

I'ay eu beaucoup de joye cK; d'admiration de voir la belle règle que vous auez trouuée pour refoudre les pro- blèmes folides auec l'hyperbole; ic ne croy pas qu'il

5 foit poffible d'en trouuer aucune plus courte, ny plus belle que celle-là. Mais ie nay pas eu moins de honte des complimens trop extraordinaires, & des termes trop excedans en courtoifie, dont vous auez vfé en mon endroit; obligez-moy de me traitter plus humai-

io nement vne autre fois, & en forte que ie puiffe croire que ce foit à moy que vous écriuez, c'eft à dire à vne perfonne qui ne reconnoift en foy aucune qualité extraordinaire, ny qui mérite le moindre des titres que vous luy donnez, mais qui feroit bien-aife de

i5 vous rendre feruice, & qui, pour vous monftrer vn exemple de naïueté, vous dira icy tout Amplement ce qu'il iuge de ce que vous luy auez enuoyé. La règle de l'hyperbole ne fçauroit eftre mieux qu'elle eft, &

�� � 460 Correspondance. 111,115-117.

ie voy en tout le refte, que vous elles fans comparai- fon plus auancé que ie n'aurois crû ; i'approuue bien aufli que vous vous portiez à chercher les chofes plus difficiles, comme de refoudre en nombre les équa- tions de fix dimenfions, & en lignes celles de huit; 5 mais à caufe qu'il s'y trouuera peut-eftre plus de dif- ficultez que vous n'en auez preueu, ie croy qu'il y faut venir par degrez, & que vous pourriez aupara- uant faire des règles pour foudre les Problèmes folides, auec telle feétion conique donnée qu'on 10 voudra; & aufli examiner le fécond Liure de ma Géo- métrie, car vous y trouuerez quelque chofe de la nature des lignes courbes; & il faut prendre garde, aux folutions des Proble|mes, qu'on n'y doit iamais employer des lignes courbes d'vn genre compofé,que i5 lors qu'il efl impoflible de faire ce qui eft requis auec des lignes de plus fimple genre. I'ay aufli remarqué beaucoup d'efprit en vos considérations touchant la bataille, nonobftant que ce foit vne matière où l'expé- rience & la prudence naturelle auec la prefence de 20 l'efprit, que perdent ceux qui ont peur dans les occa- fions, feruent plus que les préceptes. Et enfin i'ay trouué voftre ftile latin fi beau & fi net, que ie n'en aurois iamais attendu de tel d'vn homme de voftre profeflion. le vous confeille de continuer à cultiuer 25 ces belles qualitez, & û i'y puis contribuer en quoy ce foit, vous me ferez faueur de m'employer. le fuis,

Monfieur,

Voftre tres-humble & tres-afFectionné

feruiteur, descartes. 3o

�� � XCV. — 2) Novembre 1637. 461

��xcv.

Huygens a Descartes.

La Haye, 23 novembre 1637.

Copie MS., Amsterdam, Académie des Sciences. Lettres françoises de Constantin Huygens, tome I, page j5i.

Voir ci-avant Lettre LXXXIX, du 5 oct. i63j, et ci-après Lettre Cil, du 25 janv. i638.

Monfieur,

Le prétexte ne feroit pas controuué fi ie difois m'eftre teu iufqu'a prefent, pour auoir loifir a méditer de quelles parolles vous remercier dignement de la

5 faueur fpeciale dont il vous a pieu m'obliger, en vous laiffant deflourner de l'illuflre chemin ou vous mar- chez, pour gratifier mon ignorance d'vne inflruction de fa portée ; mais i'allegueray fans cérémonie & véri- tablement que voftre pacquet auoit mis 18 iours a a

10 faire le chemin depuis vos efpaces imaginaires a Breda, ou le partement de l'armée b me furprenant, ie refolus de fortir de la confufion militaire pour vous rendre grâces de fens raffis. C'eft a quoy plufieurs affaires domefliques ne m'ont encore laiffé paruenir,

1 5 & ne me trouué-ie que de fiebure en chaud mal ; mais

a. Voir l'argument de la Lettre LXXXIX, du 5 oct., p. 432 : « R a 24 oct. 3-j », avait noté Huygens.

b. Après la prise de Bréda, 6 oct. 1637. On lit dans le Dagboek de Huygens : « 3 Nov. Princeps Bredâ proficiscitur. — 7 Nov. Cum domino dominàque salvus Bredà Hagam redeo. Deo laus in saîcula. »

�� � 462 Correspondance.

il s'en alloit dard, s'il ne l'eft de longtemps, Mon- fieur; ce que ie vous prie très humblement d'excufer, & de croire que vous me tenez de nouueau dans vne obligation û eftroite, qu'il n'y a forte de feruices de mon pouuoir que ie ne penfe vous debuoir, tant que 5 ie deburay cefle vie a Dieu, que ie prie de vous inf- pirer a faire continuellement part au monde de vos efcrits, puifqu'a vue d'œil ils font deftinés a le net- toyer d'vn déluge vniuerfel d'erreurs & d'ignorance. Au refte, Monfieur, ie preuoy qu'en ne pouuant me 10 taire de ce que ie pofTede de fi précieux de voftre main, on m'en fera chaudement lamour de tous coflés. Il refte qu'il vous plaife me commander com- ment iauray a m'y comporter; car i'aduoue qu'il me faicl mal, non feulement de faire part a vn chacun de i5 ce que ie chéris plus que toute autre chofe, mais auffi de veoir comme le monde a accouftumé de fe ietter foudainement dans les imprimeries, auecq ce qui, partant de la main de l'autheur en bonne forme, ne parle par la leur que difforme & défiguré. Il eft vrai 20 que i'incline a la defenfe de toute communication, par la ialoufie que ie viens de vous confefTer; mais vos interefts y ont beaucoup de part. Audi feront-ils toufiours les miens. C'eft tout ce que i'ay de com- pliment en voftre endroit, mais il perdra ce nom aux 2 5 occafions & s'accomplira d'effe6t partout ou i'auray moyen de vous faire cognoiftre que ie fuis plus que perfonne,

Monfieur, &c. le penfe vous auoir promis, ou bien ie promets en- 3o

�� � core, de ne vous interrompre plus en ces haultes & immortelles penſées, que vous allez filant de iour a autre pour le bien de l’vniuers ; mais après vous auoir oſé demander trois fueillets, i’ay bien le cœur encore a 5 vous prier de me dire quelque iour en trois lignes a quoy vous en elles, ſi la plume accompagne le raiſonnement, & ſi vous lairrez viure aprés vous le moyen de viure plus que nous ne faiſons & ne deurions pour bien étudier vos leçons.

10
A la Haye, ce 23 de nouembre 1637.


XCVI.
Fermat a Mersenne.
[Toulouse, novembre 1637 ?]
Copie MS., Bibliothèque Nationale, fr. n. a. 3280, fol. 29-34.

Variantes d’après le texte de Clerselier, t. III, lettre 40, p. 178-186. — La copie que nous suivons a été prise par Despeyrous sur celle que Clerselier avait faite de sa main et qui est conservée à la Bibliothèque impériale de Vienne. — La Lettre de Fermat réplique à celle de Descartes du 5 octobre 1637 (ci-avant XCI), et Descartes la réfutera par une lettre adressée à Mydorge (ci-après CXI). Mersenne ne l’envoya en Hollande que le 12 février 1638 ; c’est sans doute le motif qui a fait indiquer, sur l’exemplaire de l’Institut, la date du 25 janvier 1638. En réalité, la date est passablement incertaine. Mersenne dut garder par devers lui cette lettre de Fermât plus ou moins longtemps, de même qu’il avait fait pour la première (ci-avant LXXII) ; il est en effet tout à fait invraisemblable que Fermat, dans une lettre qu’il savait (voir le no 17) devoir être envoyée à Descartes, n’eût pas fait au moins une allusion élogieuse à la Géométrie, s’il l’avait déjà entre les mains. Or il dut (voir l’argument de la lettre XCVIII ci-après) la recevoir au plus tard en décembre 1637. On est donc conduit à placer la présente lettre dans l’intervalle courant des derniers jours d’octobre aux premiers de décembre. Le mois de novembre n’est indiqué que comme moyenne.

Mon Reuerend Pere,

1. I’ay veu dans la lettre de Monſieur d’Eſcartes, que vous aués pris la peine de m’enuoyer, des reſponſes ſuccintes qu’il faict aux obiections que i’auois formées contre ſa Dioptrique, auſquelles i’euſſe 5 pluſtoſt reſpondu, ſi mes occupations neceſſaires ne m’euſſent empeſché de le faire, de quoy Mr. de Carcaui ſera mon garand. Ie vous proteſte d’abbord que ce n’eſt point par enuie ny par emulation que ie continue cette petite diſpute, mais ſeulement pour deſcouurir 10 la verité ; de quoy i’eſtime que Monſieur d’Eſcartes ne me ſçaura pas mauuais gré ; d’autant plus que ie connois ſon merite tres-eminent ; & que ie vous en faicts icy vne declaration tres-expreſſe. I’adiouſteray, auparauant que d’entrer en matière, que ie ne deſire 15 pas que mon eſcrit ſoit expoſé a vn plus grand iour que celuy que peut ſouffrir vn entretien familier, de quoy ie me confie a vous.

2. Ie tranche en quatre mots noſtre diſpute ſur la reflexion, laquelle pourtant ie pourois faire durer 20 dauantage, & prouuer que l’Autheur a accommodé ſon medium a ſa concluſion, de la verité de laquelle il eſtoit auparauant certain ; | car quand ie luy nierois

2 : 1 Art. 1. en manchette, ainsi que les numéros 2, 3… 17 des alinéas suivants. Ce numérotage n’existe pas sur la copie MS., et paraît avoir été introduit par Rohault, pour la réfutation de cette lettre qu’il composa en 1658 (Clers., t., III, lettre 46). — 7-8 ſera mon] me ſera.

que ſa diuiſion des déterminations au mouuement

n’eſt pas celle qu’il faut prendre, puiſque nous en auons d’infinies, ie le reduirois a la preuue d’vne propoſition qui luy ſeroit tres-malaiſée. Mais puiſque 5 nous ne doutons pas que les reflexions ne ſe faſſent a angles égaux, il eſt ſuperflu de diſputer de la preuue, puiſque nous connoiſſons la verité ; & i’eſtime que ie feray mieux, ſans marchander, de venir a la refraction, qui ſert de but a la Dioptrique.

10 3. Ie reconnois auec Monſieur d’Eſcartes que la force ou puiſſance mouuante eſt differente de la determination, & par conſequent que la determination peut changer ſans que 15 la force change, & au contraire. L’exemple du premier cas ſe voit en la figure de la 15e page de la Dioptrique, ou la balle, pouſſée du point A au point B, ſe deſtourne au point F ; de 20 ſorte que la determination a ſe mouuoir dans la ligne A B change, ſans que la force qui continue ſon mouuement ſoit diminuée ou changée. Nous pouuons nous ſeruir de 25 la figure de la page 17 pour le ſecond cas. Car ſi nous imaginons que la balle ſoit pouſſée du point H iuſques au point B, puiſqu’elle tombe perpendiculairement ſur la

8 de venir ſans marchander. — 17 la page 15. — 22 qui continue] de.

toile C B E, il eſt euident qu’elle trauerſera dans la

ligne B G, & ainſi ſa force mouuante s’affoiblira, & ſon mouuement ſera retardé, ſans que la determination change, puiſqu’elle continue ſon mouuement dans la meſme ligne H B G.

4. Ie reuiens maintenant à la demonſtration de la refraction ſur la meſme figure de la page 17. Conſiderons (dit l’Autheur) | que des deux partyes dont on peut imaginer que cette determination eſt compoſée, il n’y a que celle qui faiſoit tendre la balle de hault en bas, qui 10 puiſſe eſtre changée en quelque façon par la rencontre de la toile ; & que pour celle qui la faiſoit tendre vers la main droitte, elle doit touſiours demeurer la meſme qu’elle a eſté, à cauſe que cette toile ne luy eſt aucunnement oppoſée en ce ſens-là. 15

5. Ie remarque d’abbord que l’Autheur ne s’eſt pas ſouuenu de la difference qu’il auoit eſtablie entre la determination & la force mouuante, ou la viteſſe du mouuement. Car il eſt bien vray 20 que la toile C B E affoiblit le mouuement de la balle, mais elle n’empeſche pas qu’elle ne continue ſa determination de haut en bas ; & quoi que ſe 25 ſoit plus lentement qu’auparauant, on ne peut pas dire que, parce que le mouuement de la balle eſt affoibly, la determination qui nosup faict aller de haut en bas ſoit changée. Au contraire ſa determination a ſe mouuoir dans la ligne B I eſt auſſi bien compoſée, au 30

1 elle la trauerſera. — 6 reuiens] viens. — 25 ſe] ce. — 28 la], ſa.

ſens de l’Autheur, de celle qui la faict : aller de haut

en bas, & de celle qui la faict aller de la gauche a la droitte, comme la premiere determination a ſe mouuoir dans la ligne A B.

5 6. Mais donnons que la determination vers B G, ou de haut en bas, pour parler comme l’Autheur, ſoit changée ; nous en pouuons conclure que la determination vers B E, ou de gauche a droitte, eſt auſſi changée. Car ſi la determination vers B G eſt changée, 10 c’eſt pource qu’a comparaiſon du premier mouuement, la balle qui maintenant ſe deſtourne, & prent le chemin de B I, auance moins a proportion vers B G que vers B E, qu’elle ne faiſoit auparauant. Or, par ce que nous ſuppoſons qu’elle aduance a proportion 15 moins vers B G que vers B E, qu’elle ne faiſoit auparauant, nous pouuons auſſy dire qu’elle auance à proportion d’auantage vers B E que vers B G, qu’elle faiſoit auparauant ; ſi le premier nous faict comprendre que la determination vers B G eſt changée, le ſecond 20 nous peut bien faire conceuoir | que la determination vers B E eſt auſſy changée, puiſque le changement eſt auſſy bien cauſé par l’augmentation que par la diminution.

7. Mais donnons encore que la determination de 25 haut en bas ſoit changée, & non pas celle de gauche à droitte, & examinons la concluſion de l’Autheur, duquel voicy les mots : Puiſque la balle ne perd rien du tout de la determination qu’elle auoit de s’auancer vers le

10 a] en. — 13-16 Or… auparauant] Mais. — 17 qu’elle] ne aj. — 18 et ſi. — 21 le] ce. — 27 à p. 468, l. 3. Voir Dioptrique, p. 17. — 28 (après auoit) de] a.

coſté droit, en deux fois autant de temps qu’elle en a mis a paſſer depuis la ligne A C iuſques a H B, elle doit faire deux fois autant de chemin vers le meſme coſté.

8. Voyez comme il retombe dans ſa premiere faute, ne diſtinguant pas la determination de la force du 5 mouuement. Et pour mieux vous le faire entendre, appliquons ſon raiſonnement a vn autre cas. Suppoſons en la meſme figure que la balle ſoit pouſſée du point H au point B, il eſt certain qu’elle continuera ſon mouuement dans la ligne B G, & que ſa 10 determination ne change point, mais auſſy ſon mouuement eſt plus lent dans la ligne B G, qu’il n’eſtoit auparauant. Et neantmoins ſi le raiſonnement de l’Autheur eſtoit vray, nous pouuions dire : puiſque la balle ne perd rien du tout de la determination qu’elle auoit a 15 s’aduancer vers H B G (car c’eſt toute la meſme), donques en autant de temps qu’auparauant, elle fera autant de chemin. Vous voyez que cette concluſion eſt abſurde, & que pour rendre l’argument bon, il faudroit que la balle ne perdiſt rien de ſa determination ny de ſa 20 force ; & partant voyla vn Paralogiſme tres-manifeſte.

9. Mais pour deſtruire plainement la propoſition, il fault examiner deux ſortes de mouuements compoſés qui ſe font ſur deux lignes droittes. Conſiderons les deux D A & A O, qui comprennent l’angle 25 D A O, de quelque grandeur que vous voudrés ; & imaginons vn graue au point A qui deſcende dans la ligne A C D, en meſme temps que la ligne s’auance

3 le] ce. — 6 entendre] comprendre. — 11 change] changera. — 14 pourrions mieux. — 22 la] ſa. — 24-25 Conſiderons par exemple les deux lignes. — 28 que cette ligne.

vers A N, a telle condition qu’elle faſſe touſiours

meſme angle auec A O, & que le point A de la meſme ligne A C D ſoit touſiours dans | la ligne A N. Si les deux mouuements, de la ligne A C D vers A O, et 5 du meſme graue dans la ligne A C D, ſont vniformes, comme nous les pouuons ſuppofer, il eſt certain que ce mouuement compoſé conduira touſiours le 10 graue dans vne ligne droitte comme A B ; dans laquelle ſi vous prenez vn point, comme B, duquel vous tiriés les lignes B N & B C, paralleles aux lignes D A & A O ; lors que le graue ſera au point 15 B, en vn temps eſgal, s’il n’y euſt eu que le mouuement ſur A C D, il euſt eſté au point C, & s’il n’y euſt eu que l’autre mouuement tout ſeul, il euſt eſté au point N ; et la proportion de la force qui le conduit ſur A D a ſa force qui le conduit vers A O, ſera comme 20 A C a A N, nosup comme B N a B C. C’eſt de cette ſorte de mouuements compoſés que ſe ſeruent Archimede & les autres anciens en la compoſition de leurs Helices ; deſquelles la principalle proprieté eſt que les deux forces mouuantes ne s’empeſchent point 25 mutuellement, ains demeurent touſiours les meſmes. Mais pource que ce mouuement ne vient pas ſi bien dans l’vſage, il le fault conſiderer d’vne autre façon, & en faire vne ſpeculation particuliere.

10. Suppoſons en la meſme figure vn graue au point

2 vn meſme angle. — 19 ſa] la. — 20 c’eſt a dire] ou. — 26 pource] parce. — mouuement] compoſé aj.

A, lequel en meſme temps eſt pouſſé par deux forces,

dont l’vne le pouſſe vers A O, & l’autre vers A D, ſi bien que la ligne de direction du premier mouuement eſt A O, & celle du ſecond eſt A D. S’il n’y auoit que la premiere force toute ſeule, le graue ſe trouueroit 5 touſiours ſur A O, & ſur A D s’il n’y auoit que la ſeconde. Mais puiſque ces deux forces s’empeſchent & ſe reſiſtent mutuellement, ſuppoſons (& il fault ſe ſouuenir que nous ſuppoſons auſſy tous ces mouuements vniformes, car autrement le mouuement 10 compoſé ne ſe feroit pas ſur des lignes droittes) que dans vne minute d’heure, | par exemple, la ſeconde force faict que le graue s’eſloigne de ſa direction A O, ſelon la longueur N B, qu’il faut decrire parallele a A D : car le graue qui eſt emporté ſur A D par la ſeconde force, 15 ſe trouuant empeſché par la premiere, le portera touſiours & s’auancera d’A vers D, par des paralleles à A D. Suppoſons auſſy, que dans la meſme minute d’heure, la premiere force faict : que le graue s’eſloigne de ſa direction A D, ſelon la longueur C B, parallele, 20 par la precedente raiſon, a la ligne A O. Il eſt tout certain que dans vne minute d’heure le graue ſe trouuera au point B, qui eſt le concours des deux lignes B N & B C. Le mouuement compoſé ſe fera donc ſur la ligne A B, & nous pourons dire que le graue 25 parcourra la ligne A B dans vne minute.

11. Suppoſons maintenant que l’angle D A O ſoit changé, & ſoit par exemple plus grand. En la figure ſuiuante, les meſmes choſes eſtant poſées, ie dis que dans vne minute d’heure, comme auparauant, le 30

21 tout om. — 30 comme auparauant transp. après poſées (l. 29).

graue s’eſloingnera de la direction A O, ſelon la ligne B N, eſgale a celle que nous auons appellée de meſme en la precedente figure. Car puiſque les forces ſont les meſmes, la ſeconde diminuera eſgalement la 5 determination de la premiere, & fera en

temps eſgal eſloingner le graue de ſa direction autant comme 10 auparauant, pource que c’eſt touſiours la meſme reſiſtance.

Nous conclurons la meſme choſe de la 15 ligne B C.

Le mouuement compoſé ſe fera donc icy ſur la ligne A B, & la ligne A B ſera parcourue comme deuant en vne minute d’heure. Mais pource que dans les deux trian|gles A N B de la 20 premiere & ſeconde figure, les coſtés A N & N B de la premiſre figure ſont égaux a ceux de la ſeconde, & que les angles A N B qu’ils comprennent ſont inegaux, il s’enſuit que les bazes A B ſeront inegales (& par conſequent le mouuement compoſé ſera moins vite en la 25 ſeconde qu’en la premiere), & qu’il y aura telle proportion de la viteſſe du mouuement compoſé en la premiere figure a la viteſſe du mouuement compoſé en la ſeconde, que de la longueur de la ligne A B en la premiere a la longueur de la ligne A B en la ſeconde.

30 12. Ie prens maintenant vn point a diſcretion dans

1 de la] de ſa. — 2 de meſme] nom aj.

la ligne A B, comme F, duquel ie tire les lignes F E,

F G, parallèles a A O & a A D. F E eſt a C B, comme F A a A B, c’eſt a dire F G a B N, comme la conſtruction nous marque ; donc F E eſt a F G comme C B a B N. Or en la precedente 5 figure les lignes B N & B C ſont eſgales, chacune a la ſienne, aux lignes B N & B C de cette ſeconde 10 figure, (& nous pouuons par vn meſme raiſonnement prendre vn point a diſcretion dans la ligne 15 A B de la premiere figure, pour en tirer vne pareille concluſion a la precedente). Donques quelque point que vous preniez dans la ligne A B, ſoit de la premiere, ſoit de la ſeconde figure, les paralleles ſeront entre elles comme 20 C B & B N, c’eſt a dire touſiours en meſme proportion. Du point F tirons les perpendiculaires F H, F I, ſur les lignes A O & A D. Au parallelogramme G A|E F, les angles A G F, A E F ſeront eſgaux comme eſtant oppoſez ; donques les triangles G F H & E F I ſont 25 equiangles ; & par conſequence, comme E F eſt a F G, ainſi F I eſt a F H. Or F I eſt a F H comme le ſinus de l’angle

3 eſt à A B. — c’eſt à dire] comme aj. — 4 C B eſt à. — 17 concluſion pareille. — 20-21 comme B C eſt à B N. — 21 proportion]. Maintenant aj. — 24 eſgaux] entr’eux aj. — 26 conſequence] conſequent.

D A F eſt au ſinus de l’angle O A F ; & par consequent,

faiſant, ſi vous voulez, vne meſme conſtruction en la premiere figure, vous conclurrés, pour euiter prolixité, que le ſinus de l’angle D A B eſt au ſinus de l’angle O A B 5 en la premiere figure, comme le ſinus de l’angle D A F au ſinus de l’angle O A F en la ſeconde figure.

13. Cela ainſy ſuppoſé & demonſtré, confiderons la figure de la page 20 de la Dioptrique, en laquelle l’Autheur fuppofé que la balle, ayant efté premièrement pouffée d’A vers B, eft pouffée derechef, eftant au point B, par la raquette C B E, qui fans doute au fens de l’Autheur pouffe vers B G. De forte que de ces deux mouuements, dont l’vn pouffe vers B D & l’autre vers B G, il s’en faiét vn troiûefme qui conduit la balle dans la ligne BI.

14. Imaginons en ſuitte vne ſeconde figure pareille 20 a celle-là, en laquelle la force de la balle & celle de la raquette ſoient les meſmes, & que l’angle D B G ſoit ſeulement plus grand en cette ſeconde figure. Il eſt certain, par les demonſtrations que nous venons de faire, qu’il y aura telle proportion du ſinus de l’angle 25 G B I au ſinus de l’angle I B D, en la figure de l’Autheur, que du ſinus de l’angle G B I au ſinus de l’angle I B D, en cette ſeconde figure que nous imaginons eſtre deſcritte, & que nous obmettons pour euiter la longueur. La ou, ſi les propoſitions de l’Autheur

3 premiere] precedente. (Il s’agit de la fig. p. 469). — 5-6 D A F eſt au. — 19 figure] force. — 27 cette] la.

eſtoyent vrayes, il y auoit telle proportion du ſinus de

l’angle G B D au ſinus de l’angle G B I, en la figure de l’Autheur, que du ſinus de l’angle G B D au ſinus de l’angle G B I, en cette ſeconde figure que nous auons imaginée. Or puiſque cette proportion eſt differente 5 de l’autre, il s’enſuit qu’elle ne peut pas ſubſiſter.

15. D’ailleurs la principalle raiſon de la demonſtration de l’Autheur eſt fondée ſur ce qu’il croit que le mouuement compoſé ſur B I eſt touſiours eſgalement vite, quoy que l’angle G B D, compris ſoubs les lignes 10 de direction de deux forces mouuantes, vienne à changer ; ce qui eſt faux, comme nous auons deſia plainement demonſtré.

16. Ce n’eſt pas que ie veuille aſſurer qu’en l’application qu’il faict de la figure de la page 20 à la 15 refraction, il faille garder ma proportion & non pas la ſienne ; car ie ne ſuis pas aſſeuré ſi ce mouuement compoſé doit ſeruir de regle a la refraction, ſur laquelle ie vous diray vne autre fois plus au long mes ſentiments. 20

17. I’attendray la reſponſe à cette lettre, puiſque vous me la faictes eſperer, & ſeray touſiours, mon Reuerend Pere, voſtre tres humble ſeruiteur.

L’excuſe que vous auez veue au commencement de ma lettre, me ſeruira encores ſur ce que ie ne vous ay 25 point écrit de ma main.

1 auoit] auroit (mieux ?). — 6 qu’elle] que celle-cy. — 11 des deux. — 13 plainement om.

ii, 5i. XCVII. — 20 Décembre 1657. 475

XCVII. Descartes a Plempius.

20 décembre 1637. Texte de l'édition latine, tome II, Epist. IX, p. 32-33.

Clerselier, t. Il, p. S1-S2, dit seulement : « A Monsieur Plem- bius (sic). Lettre IX. Version. — Monsieur, etc. » Toute une phrase du texte latin manque dans cette version : « Cur liber. . . certo scio. » (p. 476, l. i-3), preuve que le texte latin est bien ici l'original. — La lettre de Plempius, à laquelle répond celle-ci, est perdue.

Clariffime Domine,

Gaudeo meam ad Domini Fromondi obie&iones refponfionem a tandem ad vos peruenifle. Illum autem ex ea iudicaffe me nonnihil propter fuum fcriptum

5 exacerbatum vel irritatum fuiffe, admodum miror; non enim fui vllo modo, nec puto mihi vel minimum verbum in ipfum excidifTe, cui non fimile aut durius prior in me dixiffet; adeo vt, illum eo ftilo delecr.ari exiftimans, nonnihil coëgerim naturam meam, ab

10 omni alioquin contentione alienam, ne fi forte nimis molliter & languide ipfius impetum fuïlinerem, hic ludus ei minus placeret; atque vt illi, qui latrunculis aut fcachis certant, non ideo minus amici inter fe elfe folent, & ipfa etiam ludendi peritia inter nonnul-

i5 los fit amicitiœ caufa & vinculum,'ita ftudui eius beneuolentiam mea refponfione demereri.

a. Lettre LXXXVIII ci-avant, du 3 oct., p. 412.

�� � 476 Correspondance. h. 5i 52.

Cur liber apud vos a nondum vendatur nefcio, fed fi Bibliopolae veftri à meo habere velint, illum liben- tiffime mirTurum certo fcio.

Nullum autem fatis maturum iudicium expe&o ab his, qui mutuatitio tantum exemplari feftinanter per- 5 leéto vfierunt; quae enim funt verfus finem cuiusque tradatus, non poterunt intelligi, nifi omnia quae praecedunt memoriter teneantur ; & probationes eorum quae initio proponuntur, à fequentibus omni- bus dépendent. Quippe non ea, quae in primis capi- 10 tibus propono de naturâ luminis, de figura particula- rum falis & | aquae dulcis & fimilibus, mea principia funt, vt ipfe videris obijcere, fed potius funt conclu- fiones, quae per fequentia omnia demonftrantur. Magnitudines autem, figurae, fitus & motus pro meo i5 obie&o formait (vt Philofophorum terminis vtar),& res phyficae, quas explico, pro materiali fumendae funt. At principia fiue praemifTae, ex quibus conclu- fiones iftas deduco, funt tantum illa axiomata quibus Geometrarum demonftrationes nituntur : vt, totum eji 20 maius fua parte ; Jî ab œqualibus œqualia demas, reliqua erunt œqualia; &c. non tamen ab omni fenfibili materia abftrada, vt apud Geometras, fed varijs experimentis fenfu cognitis atque indubitatis applicata; vt cum ex eo quod particulae falis fint oblongae & inflexiles, a 5 deduxi figuram quadratam eius micarum, & alia quàm plurima, quae fenfu manifefta funt : haec quidem per illud volui explicare vt effedus per caufam; nequa- quam autem probare, quia iam erant fatis nota, fed contra illud per haec à pofteriori demonftrare, vt 3o

a. C'est-à-dire à Louvain.

�� � h, 5a. XCVII bis. — Fin Décembre 16^7. 477

memini me in refponfione ad xi obiedionem Domini Fromondi fufe fcripfiïTe a. Laetabor fi Iefuita ille b, cui librum commendaili, aliquid fcribat ; nihil enim nifi valde excodum ab hominibus illius Societatis facile exibit, &quo fortiores obiediones proponentur, tanto gratiores mihi erunt. Ideoque etiam tuas de motu cordis c auide expedo. Et fum, &c[85].

20 Decemb. 16^ 7.

XCVII bis.
Descartes a Mersenne.
[Fin décembre 1637 ? ]
Texte de Clerselier, tome III, lettre 73 fin, p. 427-429.

Voir plus haut, p. 389, l’argument de la Lettre LXXXII, où nous avons déjà signalé les difficultés relatives à la fixation de la date du présent fragment. En le plaçant avant la Lettre XCVIII, nous supposons que Descartes y répond à Mersenne, sur l’avis de l’envoi d’écrits de Fermat concernant les maxima et minima, ainsi que les lieux plans ; cet envoi n’est pas encore parvenu, et Descartes se soucie peu de recevoir, en outre, immédiatement la réplique de Fermat à sa Lettre XCI. Quand il a vu l’écrit de maximis et minimis, il change d’avis, et (voir ci-après Lettre XCVIII, p. 484, l. 3-7) réclame la réplique en question que dès lors Mersenne lui adresse par la poste, le 12 février 1638. — Mais on peut, au contraire, interpréter le passage précité de la Lettre XCVIII, comme si, au moment où il l’écrivait, Descartes ignorait encore que Mersenne eût entre les mains la réplique de Fermat (la Lettre XCVI). Dans ce cas, le présent frag- ment serait postérieur à la Lettre XCVIII (peut-être même à la Lettre CI), et appartiendrait à une missive que Mersenne n’aurait reçue qu’après le 12 février 1638, c’est-à-dire après avoir expédié en Hollande la réplique de Fermât concernant la réfraction.

Le iugement que l’autheur de la Geoſtatique[86] fait de mes écrits me touche fort peu. Et ie ne ſuis pas bien-aiſe d’eſtre obligé de parler auantageuſement de moy-meſme ; mais pour ce qu’il y a peu de gens qui puiſſent entendre ma Geométrie, & que vous deſirez que 5 ie vous mande quelle eſt l’opinion que i’en ay, ie croy qu’il eſt à propos que ie vous die qu’elle eſt telle, que ie n’y ſouhaitte rien dauantage ; & que i’ay ſeulement taſché par la Dioptrique & par les Meteores de perſuader que ma methode eſt meilleure que l’ordinaire, 10 mais ie pretens l’auoir demonftré par ma Géométrie. Car dés le commencement i’y reſous vne queſtion, qui par le témoignage de Pappus n’a pu eſtre trouuée par | aucun des anciens ; & l’on peut dire qu’elle ne l’a pû eſtre non plus par aucun des modernes, puis 15 qu’aucun n’en a écrit, & que neantmoins les plus habiles ont taſché de trouuer les autres choſes que Pappus dit au meſme endroit auoir eſté cherchées par les anciens, comme l’Apollonius Rediuiuus[87], l’Apollonius Batauus[88], & autres, du nombre deſquels il faut 20 mettre auſſi M. voſtre Conſeiller[89] De maximis & minimis ; mais aucun de ceux-là n’a rien ſceu faire que les anciens ayent ignoré. Apres cela, ce que ie donne au ſecond liure, touchant la nature & les proprietez des lignes courbes & la façon de les examiner, eſt, ce 5 me ſemble, autant au delà de la geometrie ordinaire, que la rhetorique de Ciceron eſt au delà de l’a, b, c des enfans. Et ie croy ſi peu ce que promet voſtre geoſtaticien, qu’il ne me ſemble pas moins ridicule de dire qu’il donnera dans vne Preface des moyens 10 pour trouuer les tangentes de toutes les lig(nes) courbes qui ſeront meilleurs que le mien, que le ſont les Capitans des Comedies Italiennes. Et tant s’en faut que les choſes que i’ay écrites puiſſent eſtre aiſément tirées de Viete, qu’au contraire, ce qui eſt cauſe que 15 mon traitté eſt difficile à entendre, c’eſt que i’ay taſché à n’y rien mettre que ce que i’ay crû n’auoir point eſté ſceu ny par luy, ny par aucun autre. Comme on peut voir, ſi on confère ce que i’ay écrit du nombre des racines qui ſont en chaque équation dans la page 372, 20 qui eſt l’endroit où ie commence à donner les regles de mon Algebre, auec ce que Viete en a écrit tout à la fin de ſon liure De emendatione æquationum[90] ; car on verra que ie le determine generalement en toutes équations, au lieu que luy n’en ayant donné que 25 quelques exemples particuliers, dont il fait toutesfois ſi grand eſtat qu’il a voulu conclure ſon liure par là, il a monſtré qu’il ne le pouuoit determiner en general. Et ainſi i’ay commencé où il auoit acheué ; ce que i’ay fait toutesfois ſans y penſer, car i’ay plus feüilleté 30 Viete depuis que i’ay receu voſtre dernière, que ie n’auois iamais fait auparauant, l’ayant trouué icy par hazard entre les mains d’vn de mes amis ; & entre nous | ie ne trouue pas qu’il en ait tant ſceu que ie penſois, nonobſtant qu’il fuſt fort habile.

Au reſte, ayant déterminé comme i’ay fait en 5 chaque genre de queſtions tout ce qui s’y peut faire, & monſtré les moyens de le faire, ie pretens qu’on ne doit pas ſeulement croire que i’ay fait quelque choſe de plus que ceux qui m’ont precedé, mais auſſi qu’on ſe doit perſuader que nos neueux ne trouueront iamais 10 rien en cette matiere que ie ne puſſe auoir trouué auſſi bien qu’eux, ſi i’euſſe voulu prendre la peine de le chercher. Ie vous prie que tout cecy demeure entre nous ; car i’aurois grande confuſion que d’autres ſceuſſent que ie vous en ay tant écrit ſur ce ſujet*. 15

Ie n’ay pas tant de deſir de voir la demonſtration de Monſieur de Fermat contre ce que i’ay écrit de la refraction[91], que ie vous veuille prier de me l’enuoyer par la poſte ; mais lors qu’il ſe preſentera commodité de me l’addreſſer par mer, auec quelques bales de 20 marchandiſe, ie ne ſeray pas marry de la voir, auec la Geoſtatique[92] & le Liure de la Lumiere* de Monſieur de la Chambre[93], & tout ce qui ſera de pareille eſtoffe, non que ie ne fuſſe bien-aiſe de voir promptement ce qu’écriuent les autres pour ou contre mes opinions, 25 ou de leur inuention ; mais les ports de lettres ſont exceſſifs. Ie ſuis,

Mon R. P.
Voſtre tres-humble & fidele ſeruiteur,
5
descartes.

Page 480, l. 15. — Malgré la recommandation de Descartes, sa lettre fut montrée, même à Beaugrand, qui en reproduisit les « rodomontades » dans son troisième factum anonyme contre la Geométrie (Bibl. Nat. MS. fr. n. a. 5161, f° 1), publié par Paul Tannery (La Correspondance de Descartes dans les inédits du fonds Libri, Paris, Gauthier-Villars, 1893, pages 50 et suiv.).

Page 480, l. 22. — Si l’on en croit Sorbière, Descartes s’avisa de dire aussi son mot sur la seconde question annoncée par le titre de cet ouvrage de La Chambre : « La nouvelle demonstration du débordement du Nil, que fait M. Descartes est de l’attribuer au Nitre, qui donne aussi la fécondité et qui rend ce limon pesant. Mais je m’étonne comment c’est qu’enfin ce Nitre ne s’épuise, ou que ce lit du Nil ne s’aprofondit à mesure que la chaleur en tire le Nitre. » (p. 174, art. Nil, Sorberiana, Tolosæ, 1691).

XCVIII.
Descartes a Mersenne.
[Janvier 1638 ?]
Texte de Clerselier, tome III, lettre 55, p. 298-300.

Il y a, en général, de graves incertitudes sur les dates des lettres écrites par Descartes à Mersenne pendant l’hiver de 1638, c’est-à-dire pendant une période pour laquelle il serait particulièrement intéressant de connaître ces dates avec précision. Notamment, on ne peut plus appliquer avec sûreté la règle relative aux jours des départs des courriers d’Amsterdam et de Paris (voir plus haut, p. 128). Nous ignorons, en effet, si Descartes, après avoir passé l’été et l’automne de 1637 (voir p. 401) au nord de Harlem (à Egmond ?) était rentré à Amsterdam. L’indication de la lettre précédente (p. 480, l. 1-2), qu’il a trouvé un Viete « icy par hazard », peut le faire croire ; mais elle est trop vague pour permettre une conclusion assurée, car icy peut simplement signifier en Hollande. D’un autre côté, il y a de sérieuses raisons pour placer en janvier ou février 1638 les Lettres CII et CVI ci-après, et l’on verra que ce n’est point d’Amsterdam que Descartes les adresse à Huygens.

En tous cas, la prochaine lettre, fixement datée, de Descartes pour Paris sera celle du 31 mars 1638, un mercredi (jour du courrier par Harlem ?), tandis que nous aurons ensuite une lettre du 3 mai, un lundi (par Amsterdam ?). D’autre part, pendant la même période, Mersenne parait aussi écrire par diverses voies (notamment par l’intermédiaire de Jan Maire, le libraire de Leyde), et ses lettres semblent subir des retards très variables, soit par suite de la saison, soit parce que Descartes, à la campagne, dépendait, pour son courrier, d’intermédiaires plus ou moins diligents.

Sous réserve des motifs de doute ci-dessus indiqués, nous avons cru pouvoir, afin de préciser les idées, maintenir néanmoins jusqu’au 31 mars 1638 l’hypothèse de l’emploi exclusif par Descartes du courrier d’Amsterdam, partant le lundi. Dans ces conditions, la fixation de la date de la présente lettre et de la suivante, qui y était jointe, repose sur la donnée que voici : Descartes sait que les exemplaires de son livre sont enfin mis en vente à Paris ; c’est la nouvelle des derniers jours de l’année 1637 (voir la note qui suit la présente lettre). On pourrait donc à la rigueur remonter jusqu’au 20 ou au 27 décembre 1637 ; mais si la lettre n’a pas subi de retard, elle est au plus tôt du 4 janvier, au plus tard du 21, car il ressort de la lettre CXII ci-après que Mersenne ne l’avait pas encore reçue le 8 janvier, qu’il l’avait au contraire entre les mains le 8 février.

En tout cas, Descartes annonce avoir reçu, huit jours avant, un écrit de Fermat (Methodus ad disquirendam maximam et minimam. Œuvres de Fermat, t. I, 1891, p. 133-136), tandis qu’il n’a pas encore entre les mains un paquet envoyé en même temps et qui contenait l’Isagoge ad locos pianos et solidos (Œuvres de Fermat, t. I, p. 91-110). Il est d’ailleurs possible que l’envoi du premier écrit ait été annoncé par Mersenne dans une lettre antérieure. Il n’est pas douteux enfin que c’est seulement après avoir vu la Géométrie de Descartes, dont il ne connaissait auparavant que la Dioptrique, que Fermat pria Carcavi, dépositaire de ses écrits, de remettre à Mersenne, pour les faire envoyer à Descartes, les deux opuscules précités. C’est donc bien dès décembre 1637, et non en janvier 1638, que, comme nous l’avons dit plus haut (p. 463-464, argument de la lettre XCVI), Fermat dut recevoir un exemplaire complet de l’ouvrage de Descartes.

Mon Reuerend Pere,

I’ay receu l’écrit de Monſieur de Fermat, auec vn billet que vous auiez mis dans le pacquet du Maire, & depuis i’ay attendu huit iours ſans y répondre, pour 5 voir ſi ie ne receurois point cependant le pacquet que vous me mandez par ce billet m’auoir addreſſé au meſme temps ; mais ie ne l’ay point receu, & ainſi ie crains qu’il n’ait eſté perdu, au moins ſi vous ne l’auez enuoyé par vne autre voye que par la poſte. Ie vous 10 renuoye l’original de ſa demonſtration pretenduë contre ma Dioptrique[94], pource que vous me mandiez que c’eſtoit ſans le ſceu de l’autheur que vous me l’auiez enuoyé. Mais pour ſon écrit de maximis & minimis, puiſque c’eſt vn Conſeiller de ſes amis[95] qui 15 vous l’a donné pour me l’enuoyer, i’ay crû que l’en deuois retenir l’original, & me contenter de vous en enuoyer vne copie, veu principalement qu’il contient des fautes qui ſont ſi apparentes, qu’il m’accuſeroit peut-eſtre de les auoir ſuppoſées, ſi ie ne retenois ſa 20 main pour m’en deffendre. En effet, ſelon que i’ay pû iuger par ce que i’ay veu de luy, c’eſt vn eſprit vif, plein d’inuention & de hardieſſe, qui s’eſt à mon aduis precipité vn peu trop, & qui ayant acquis tout d’vn coup la reputation de ſçauoir beaucoup en Algebre, 25 pour en auoir peut-eſtre eſté loüé par des perſonnes qui ne prenoient pas la peine ou qui n’eſtoient pas capables d’en iuger, eſt deuenu ſi hardy, qu’il n’apporte pas, ce me ſemble, toute l’attention qu’il faut à ce qu’il fait. Ie ſeray bien-aiſe de ſçauoir ce qu’il dira, tant de la lettre jointe à celle-cy, par laquelle ie répons à ſon écrit de maximis & minimis, que de la 5 precedente, où ie | répondois à ſa demonſtration contre ma Dioptrique[96] ; car i’ay écrit l’vne & l’autre, afin qu’il les voye, s’il vous plaiſt ; meſme ie n’ay point voulu le nommer, afin qu’il ait moins de honte des fautes que i’y remarque, & parce que mon deſſein 10 n’eſt point de faſcher perſonne, mais ſeulement de me deffendre. Et pource que ie iuge qu’il n’aura pas manqué de ſe vanter à mon prejudice en pluſieurs de ſes eſcrits, ie croy qu’il eſt à propos que pluſieurs voyent auſſi mes deffenſes ; c’eſt pourquoy 15 ie vous prie de ne les luy point enuoyer ſans en retenir copie. Et s’il vous parle de vous renuoyer encore cy-apres d’autres eſcrits, ie vous ſupplie de le prier de les mieux digerer que les precedens ; autrement ie vous prie de ne prendre point la commiſſion de me les 20 addreſſer. Car entre nous, ſi lors qu’il me voudra faire l’honneur de me propoſer des objections, il ne veut pas e donner plus de peine qu’il a pris la premiere fois, i’aurois honte qu’il me falluſt prendre la peine de répondre à ſi peu de choſe, & ie ne m’en pourrois 25 honneſtement diſpenſer, lors qu’on ſçauroit que vous me les auriez enuoyées. Ie ſeray bien-aiſe que ceux qui me voudront faire des objections ne ſe haſtent point, & qu’ils taſchent d’entendre tout ce que i’ay écrit, auant que de iuger d’vne partie ; car le tout ſe 30 tient, & la fin ſert à prouuer le commencement. Mais ie me promets que vous me continuerez touſiours à me mander franchement ce qui ſe dira de moy, ſoit en bien, ſoit en mal, & vous en aurez d’oreſnauant 5 plus d’occaſion que iamais, puiſque mon liure eſt enfin arriué à Paris*. Au reſte, chacun ſçachant que vous me faites la faueur de m’aimer comme vous faites, on ne dit rien de moy en voſtre preſence, qu’on ne preſuppoſe que vous m’en auertiſſez, & ainſi vous ne 10 pouuez plus vous en abſtenir ſans me faire tort.

Vous me demandez ſi ie croy que l’eau ſoit en ſon eſtat naturel eſtant liquide, ou eſtant glacée, à quoy ie répons que ie ne connois rien de violent dans la nature, ſinon au reſpect de l’entendement humain, 15 qui nomme violent ce qui n’eſt pas ſelon ſa volonté, ou ſelon ce qu’il iuge deuoir | eſtre ; & que c’eſt auſſi bien le naturel de l’eau d’eſtre glacée, lors qu’elle eſt fort froide, que d’eſtre liquide, lors qu’elle l’eſt moins, pour ce que ce font les cauſes naturelles qui font l’vn 20 & l’autre. Ie ſuis,

Mon R. P.
Voſtre tres-humble & tres-obeïſſant ſeruiteur, descartes.

Page 485, l. 6. — Chapelain à Balzac, 29 déc. 1637, post-scriptum : « J’oubliois à vous dire de Mr Descartes qu’il est estimé par tous nos docteurs le plus éloquent Philosophe des derniers temps, que n’y ayant que Cicéron, parmy les Anciens, qu’ils luy égalent, il se trouve d’autant plus grand que luy que Cicéron ne faisoit que prester des paroles aux pensées d’autruy, au lieu que cestuy-cy revest ses propres pensées qui sont sublimes et nouvelles la plus part. Il est vray que l’amour de la brièveté luy a quelques fois fait estrangler ses raisonnemens, en sorte qu’ils paroissent imparfaits. Sa Dioptrique et sa Geometrie sont deux chef-dœuvres au jugement des Maistres. Ses Meteores sont arbitraires et problematiques, mais admirables pourtant. » (Lettres de Jean Chapelain, Impr. Nat., t. I, 1880, p. 189).

XCIX.
Descartes a Mersenne.
[Janvier 1638.]
Copie MS., Bibl. Nat., fr. n. a., 5160, f. 53-56 inclus.

Clerselier, tome III, lettre 56, p. 300-305, ajoute ce titre : « Au Reuerend Pere Mersenne, au sujet du liure De Maximis et Minimis de Mr de Fermat », ce qui donne la date, cette critique ayant été jointe à la lettre précédente (p. 484, l. 4). La copie ms., déjà collationnée avec l’exemplaire de l’Institut, est çà et là fautive. Elle faisait partie de la collection La Hire, avec le numéro 9 seconde, au bas de la première page, à gauche ; en haut et à droite on lit le numéro (13) du classement de Poirier.

Mon R(euerend) P(ere),

Ie ſerais bien-aiſe de ne rien dire de l’Eſcrit* que vous m’aués enuoyé, pour ce que ie n’en ſçaurroy dire aucune choſe qui ſoit a l’aduantage de celuy qui l’a compoſé. Mais à cauſe que ie reconnois que c’eſt 5 celuy meſme qui auoit taſché cy-deuant de refuter ma Dioptrique, & que vous me mandez qu’il a enuoyé cecy apres auoir leu ma Geometrie, & s’eſtonnant de ce que ie n’auois point trouué la meſme choſe, c’est a dire (comme i’ay ſujet de l’interpreter) a deſſein d’en- 10

3-4 pour… ſoit] parce que ie n’en ſçaurois parler autant que ie voudrois. — 6 celuy-là. — taſché cy-deuant] cy-deuant entrepris.

trer en concurrence, & de monſtrer qu’il ſçait en cela

plus que moy ; puis auſſy, a cauſe que i’apprends par vos lettres qu’il a la reputation d’eſtre fort ſçauant en Geometrie, ie crois eſtre obligé de luy 5 reſpondre.

Premierement donc, ie trouve manifeſtement de l’erreur en ſa regle, & encore plus en l’exemple qu’il en donne, pour trouver les contingentes de la parabole. 10 Ce que je trouue en cette ſorte. Soit B D N la parabole donnée, dont D C eſt le diametre, & que du point donné B il faille tirer la ligne droite B E, qui rencontre D C au point E, & qui ſoit la plus grande qu’on puiſſe tirer du meſme point E iuſques à la parabole : | sic enim proponitur quærenda maxima. Sa regle dit : Statuatur quilibet quæſtionis terminus eſſe A ; ie prends donc E C pour A, ainſi qu’il a fait ; & inueniatur maxima (a ſçauoir B E) in terminis ſub A gradu, vt libet, inuolutis ; ce qui ne ſe peut faire mieux qu’en cette façon : que B C ſoit B, le quarré de B E ſera A q + B q, a cauſe de l’angle droit B C E. Ponatur rurſum idem terminus qui prius, eſſe A + E : a ſçauoir, ie fais que E C eſt A + E (ou bien, ſuiuant ſon exemple, A — E, car l’vn reuient à l’autre) ; iterùmque inueniatur maxima (a ſçauoir B E) in terminis ſub A & E gradibus, vt libet,

9 contingentes] tangentes. — 10 trouue] prouue.

coefficientibus*, ce qui ne ſe peut mieux faire qu’en cette

ſorte : poſons que C D ait eſté cy-deuant D, lors que B C eſtoit B, & le coſté droit de la parabole ſera Bq/D, à cauſe qu’il eſt a B C, la ligne appliquée par ordre, comme B C eſt a C D, le ſegment du diametre auquel 5 elle eſt appliquée. C’eſt pourquoy maintenant que C E eſt A + E, DC eſt D + E ; & le quarré de B C eſt Bq in D + Bq in E/D qui eſtant adiouſté au quarré de C E qui eſt Aq + A in E bis + Eq, il fait le quarré de B E. Adæquentur duo homogenea maximæ æqualia : c’est a 10 dire que Aq + Bq ſoit poſé eſgal a Bq + Bq in E/D + Aq + A in E bis + Eq. Et demptis communibus, il reſte Bq in E/D + A in E bis + Eq égal à rien. Applicentur ad E, &c., il vient Bq/D + A bis + E. Elidatur E, il reſte Bq/D + A bis eſgal à rien. Ce qui ne donne point la valeur 15 de la ligne A, comme aſſeure l’auteur, & par conſequent ſa regle eſt fauſſe.

| Mais il ſe meſconte encor bien plus en l’exemple de la meſme parabole, dont il taſche de trouuer la contingente. Car outre qu’il ne ſuit nullement ſa 20 regle, comme il paroiſt aſſés de ce que ſon calcul ne ſe rapporte point à celuy que ie viens de faire, il vſe d’vn raiſonnement qui eſt tel, que ſi ſeulement au lieu

1 Après coefficientibus, la copie MS. ajoute : il dit qu’il faut mettre vijs a prioribus diuerſis ou per diuerſum medium, ou quelque choſe de ſemblable, pour rendre la regle bonne. « Il y avoit ainſy dans la lettre ms. de M. de la Hire qui n’étoit pourtant pas de la main de M. Descartes, mais d’une écriture différente. » (Note de l’exemplaire de l’Institut, à la suite de cette addition). — 8 « La lettre D ſoubz cette raye n’étoit point dans l’original de La Hire. » (Ib.) Elle manque, en effet, dans la copie MS. — 18 bien encore plus. — 19 meſme om. — 20 contingente] tangente.

de Parabole & Parabolen, on met par tout en ſon diſcours Hyperbole & Hyperbolen, ou le nom de quelque

autre ligne courbe, telle que ſe puiſſe eſtre, ſans y changer au reſte vn ſeul mot, le tout ſuiura en meſme 5 façon qu’il fait touchant la parabole, iuſques a ces mots : Ergo C E probauimus duplam ipſius C D, quod quidem ita ſe habet. Nec vnquam fallit methodus. Au lieu deſquels on peut mettre : Non ideo ſequitur C E duplam eſſe ipſius C D, nec vnquam ita ſe habet alibi quam in 10 parabola, vbi caſu, & non ex vi præmiſſarum, verum concluditur ; ſemperque fallit iſta methodus. Si cet Auteur s’eſt eſtonné de ce que ie n’ay point mis de telles regles en ma Geometrie, i’ay beaucoup plus de raiſon de m’eſtonner de ce qu’il a voulu entrer en lice 15 auec de ſi mauuaiſes armes. Mais ie luy veux bien encores donner le temps de remonter a cheual, & de prendre toutes les meilleures qu’il euſt pû choiſir pour ce combat ; qui ſont, que ſi on change quelques mots de la regle qu’il propoſe, pour trouuer maximam & 20 minimam, on la peut rendre vraye, & eſt aſſez bonne. Ce que ie ne pourrois neantmoins icy dire, ſi ie ne l’auois ſceu des auparauant que de voir ſon Eſcrit ; car eſtant tel qu’il eſt, il m’euſt pluſtoſt empeſché de la trouuer, qu’il ne m’y euſt aydé. Mais encore que ie l’aurrois 25 ignorée, & que luy l’aurroit parfaitement ſceue, il ne me ſemble pas qu’il euſt pour cela aucune raiſon de la comparer auec celle qui eſt en ma Geométrie, touchant le premier ſujet. Car premierement la ſienne

3 autre om. — ſe] ce. — 6 probauimus CE. — 10 parabole. — 15-16 ie veux bien luy donner encore. — 20 eſt om. — 24 encore que] quand. — 26 euſt] eu aj. — 28 premier] meſme.

(c’est a dire celle qu’il a eu enuie de trouuer) eſt

telle que, ſans induſtrie & par hazard, on peut aiſement tomber dans le chemin qu’il faut tenir pour la rencontrer, lequel n’eſt autre choſe qu’vne fauſſe poſition, fondée ſur la façon de demonſtrer qui reduit a 5 l’impoſſible, & qui eſt la moins eſtimée & la moins | ingenieuse de toutes celles dont on ſe ſert en Mathematique. Au lieu que la mienne eſt tirée d’vne connoiſſance de la nature des Equations, qui n’a iamais eſté, que ie ſçache, aſſés expliquée ailleurs que dans 10 le troiſieme Liure de ma Geométrie. De ſorte qu’elle n’euſt ſceu eſtre inuentée par vne perſonne qui aurroit ignoré le fonds de l’Algebre ; & elle ſuit la plus noble façon de demonſtrer qui puiſſe eſtre, a ſçauoir celle qu’on nomme a priori. Puis outre cela, ſa regle 15 pretendue n’eſt pas vniuerſelle comme il luy ſemble, & elle ne ſe peut eſtendre a aucune des queſtions qui ſont vn peu difficiles, mais ſeulement aux plus ayſées, ainſy qu’il pourra 20 eſprouuer, ſi apres l’auoir mieux digerée il taſche de s’en ſeruir pour trouuer les contingentes, par exemple, de la ligne courbe* B D N, que ie ſuppoſe eſtre telle, qu’en quelque 25 lieu de ſa circonference qu’on prenne le point B, ayant tiré la perpendiculaire B C, les deux cubes des deux lignes B C & C D ſoient enſemble eſgaux au parallelepipede des deux 30

23 contingentes] tangentes.

meſmes lignes B C, C D & de la ligne donnée P (a

ſçauoir, ſi P eſt 9 & que C D ſoit 2, B C ſera 4, pource que les cubes de 2 & de 4 qui ſont 8 et 64, font 72, & que le parallelepipede compoſé de 9, 5 2 & 4 eſt auſſy 72). Car elle ne ſe peut appliquer, ny a cet exemple, ny aux autres qui ſont plus difficiles ; au lieu que la mienne s’eſtend generallement a tous ceux qui peuuent tomber ſous l’examen de la Geométrie ; non ſeulement en ce qui regarde les contingentes 10 des lignes courbes, mais il eſt auſſy fort ayſé de l’appliquer a trouuer maximas & minimas, en toute autre forte de Problemes.

De façon que s’il l’auoit aſſez bien compriſe, il n’aurroit pas dit, après l’auoir leüe, que i’ay omis 15 cette matiere en ma Geométrie. Il eſt vray toutesfois que ie n’y ay point mis ces | termes de maximis & minimis, dont la raiſon eſt, qu’ils ne ſont connus que par ce qu’Apollonius en a fait l’argument de ſon 5e Liure, & que mon deſſein n’a point eſté de 20 m’arreſter à expliquer aucune choſe de ce que quelques autres ont deſia ſceu, ny de reparer les Liures perdus d’Apollonius, comme Viete, Snellius, Marinus Getaldus[97], &c., mais ſeulement de paſſer au dela de tous coſtés, comme i’ay aſſez fait voir en commençant 25 par vne queſtion que Pappus teſmoigne n’auoir pû eſtre trouuée par aucun des anciens ; & par meſme

3 ſont] font. — 4 font Ed., eſt auſſy MS. — 9-10 contingentes] tangentes. — 21 autres] Autheurs.

moyen en compoſant & determinant tous les lieux ſolides, ce qu’Apollonius cherchoit encore ; puis en

reduiſant par ordre toutes les lignes courbes, la pluſpart deſquelles n’auoient pas meſme eſté imaginées, & donnant des exemples de la façon dont on peut 5 trouuer toutes leurs proprietés ; puis enfin en conſtruiſant[98], non ſeulement tous les Problemes ſolides, mais auſſy tous ceux qui vont au ſurſolide, ou au quarré de cube, & par meſme moien enſeignant a les conſtruire en vne infinité de diuerſes façons. D’où l’on 10 peut auſſy apprendre a deguiſer en mille fortes la regle que i’ay donnée pour trouuer les contingentes, comme ſi c’eſtoient autant de regles differentes. Mais i’oſe dire qu’on n’en peut trouuer aucune, ſi bonne & ſi generale que la mienne, qui ſoit tirée d’vn autre 15 fondement.

Au reſte, encor que i’aye eſcrit que ce Probleme pour trouuer les contingentes fuſt le plus beau & le plus vtile que ie ſceuſſe, il faut remarquer que ie n’ay pas dit pour cela qu’il fuſt le plus difficile, comme il 20 eſt manifefle que ceux que i’ay mis en ſuite, touchant les figures des verres bruſlans, leſquels le preſuppoſent, le ſont dauantage. De façon que ceux qui ont enuie de faire paroiſtre qu’ils ſçauent autant de Geométrie que i’en ay eſcrit, ne doiuent pas ſe 25 contenter de chercher ce Probleme par d’autres moiens que ie n’ay fait, mais ils deuroient pluftoſt s’exercer a

9 quarré du cube. — 12 et 18 contingentes] tangentes. — 14 n’en peut Ed., n’eut peu MS. id. — 27 ie n’ay] i’ay.

compoſer tous les lieux ſurſolides, ainſy que i’ay compoſé les ſolides, & a expliquer la figure des verres bruſlans,

lors que l’vne de leurs ſuperficies eſt vne partie de Sphere ou de Conoide donnée, | ainſi que 5 i’ay expliqué la façon d’en faire, qui ayent l’vne de leurs ſuperficies autant concaue ou conuexe qu’on veut ; & enfin a conſtruire tous les Problemes qui montent au quarré de quarré de quarré, ou au cube de cube, comme i’ay conſtruit tous ceux qui montent au 10 quarré de cube. Et apres qu’ils aurront trouué tout cela, ie pretens encore qu’ils m’en deuront ſçauoir gré, au moins s’ils ſe font ſeruis a cet effet de ma Geométrie, a cauſe qu’elle contient le chemin qu’il faut tenir pour y paruenir ; & que ſi meſme ils ne s’en ſont point 15 ſeruis, ils ne doiuent pas pour cela pretendre aucun auantage par deſſus moy, d’autant qu’il n’y a aucune de ces choſes, que ie ne trouue autant qu’elle eſt trouuable, lors que ie voudray prendre la peine d’en faire le calcul. Mais ie croy pouuoir employer mon 20 temps plus vtilement a d’autres choſes. Ie ſuis*,

8-9 et 10 de cube] du cube.

Page 486, l. 2. — Voici le texte intégral de cet Ecrit de Fermat :

Methodus ad disquirendam maximam et minimam.

Omnis de inventione maximæ et minimæ doctrina duabus positionibus ignotis innititur et hac unica præscriptione :

Statuatur quilibet quæstionis terminus esse A (sive planum, sive solidum aut longitudo, pro ut proposito satisfieri par est) et, inventâ maximâ aut minimâ in terminis sub A gradu, ut libet, involutis, ponatur rursus idem qui prius terminus esse A + E, iterumque inveniatur maxima aut minima in terminis sub A et E gradibus, ut libet, coefficientibus. Adæquentur, ut loquitur Diophantus, duo homogenea maximæ aut minimæ æqualia et, demptis communibus (quo peracto, homogenea omnia ex parte alterutra ab E vel ipsius gradibus afficiuntur), applicentur omnia ad E vel ad elatiorem ipsius gradum, donec aliquod ex homogeneis, ex parte utravis, affectione sub E omnino liberetur. Elidantur deinde utrimque homogenea sub E aut ipsius gradibus quomodo libet involuta, et reliqua æquentur, aut, si ex una parte nihil superest, aequentur sane, quod eodem recidit, affirmata negatis. Resolutio ultimæ istius æqualitatis dabit valorem A, quâ cognitâ, maxima aut minima ex repetitis prioris resolutionis vestigiis innotescet.

Exemplum subjicimus : Sit recta A C ita dividenda in E ut rectangulum A E C sit maximum.

Recta A G dicatur B. Ponatur pars altera ipsius B esse A : ergo reliqua erit B — A, et rectangulum sub segmentis erit B in A — Aq, quod débet inveniri maximum. Ponatur rursus pars altera ipsius B esse A + E ; ergo reliqua erit B — A — E, et rectangulum sub segmentis erit B in A — Aq + B in E — A in E bis — Eq, quod debet æquari superiori rectangulo B in A — Aq.

Demptis communibus, B in E adæquabitur A in E bis + Eq, et omnibus per E divisis, B adæquabitur A bis + E. Elidatur E, B æquabitur A bis. Igitur B bifariam est dividenda ad solutionem propositi ; nec potest generalior dari methodus.

De tangentibus linearum curvarum.

Ad superiorem methodum inventionem tangentium ad data puncta in lineis quibuscumque curvis reducimus.

Sit data, verbi gratia, parabole B D N [voir fig. p. 487], cujus vertex D, diameter D C, et punctum in ea datum B, ad quod ducenda est recta B E tangens parabolen et in puncto E cum diametro concurrens.

Ergo, sumendo quodlibet punctum in recta B E, et ab eo ducendo ordinatam O I, a puncto autem B ordinatam B C, major erit proportio C D ad D I quàm quadrati B C ad quadratum O I, quia punctum O est extra parabolen ; sed, propter similitudinem triangulorum, ut B C quadratum ad O I quadratum, ita C E quadratum ad I E quadratum : major igitur erit proportio C D ad D I quàm quadrati C E ad quadratum I E.

Cùm autem punctum B detur, datur applicata B C, ergo punctum C ; datur etiam C D : sit igitur C D æqualis D datæ. Ponatur C E esse A, ponatur C I esse E. Ergo D ad D — E habebit majorem proportionem quàm Aq ad Aq + Eq — A in E bis, et ducendo inter se medias et extremas : D in Aq + D in Eq — D in A in E bis majus erit quàm D in Aq — Aq in E. Adæquentur igitur juxta superiorem methodum : demptis itaque communibus, D in Eq — D in A in E bis adæquabitur — Aq in E, aut, quod idem est D in Eq + Aq in E adæquabitur D in A in E bis. Omnia dividantur per E : ergo D in E + Aq adæquabitur D in A bis. Elidatur D in E : ergo Aq æquabitur D in A bis, ideoque A æquabitur D bis. Ergo C E probavimus duplam ipsius C D, quod quidem ita se habet.

Nec unquam failit methodus ; imo ad plerasque quæstiones pulcherrimas potest extendi ; ejus enim beneficio centra gravitatis in figuris lineis curvis et rectis comprehensis et in solidis invenimus, et multa alia, de quibus fortasse aliàs, si otium suppetat.

De quadraturis spatiorum sub lineis curvis et rectis contentorum, imo et de proportionibus solidorum ab eis ortorum ad conos ejusdem basis et altitudinis, fuse jam cum D. de Roberval egimus.

Page 488, l. 1. — L’addition que donne la copie MS. en cet endroit provient évidemment de la marge de l’original, où elle avait pu être inscrite par Mersenne, qui l’aurait tirée d’un billet particulier de Descartes. Comme, en fait, celui-ci demande seulement à Fermat de modifier, dans la forme, la rédaction de sa règle, et qu’il ne méconnaît nullement la haute valeur du fonds, il est assez croyable qu’il aura indiqué à Mersenne les corrections qu’il jugeait nécessaires, en le priant de les tenir momentanément secrètes, afin de garder la supériorité si Fermat expliquait sa règle dans le sens de ces corrections.

Page 490, l. 24. — Cette courbe, dont l’équation est x3 + y3 = p x y, est celle que l’on appelle aujourd’hui le folium de Descartes. Ce nom ne lui a été donné que beaucoup plus tard : nous verrons (Lettre CXXXI, Clers., III, 376) Roberval l’appeler galand (nœud de ruban).

Page 493, l. 20. — Mersenne n’envoya pas d’abord cette lettre à Toulouse (Lettre CXII ci-après, Clers., III, 188), pas plus que la réplique de Descartes (Lettre CXI ci-après) aux secondes objections de Fermat contre la Dioptrique. Une lettre à Mersenne (Clers., tome III, lettre 36, p. 167), datée de Toulouse, 20 avril 1638, montre qu’à cette date Fermat n’avait pas encore reçu communication de ces deux pièces. En voici la seconde partie :

« … I’attens aussi par vostre fauenr les Réponses que Monsieur Descartes a faites aux difficultez que ie vous ay proposées sur sa Dioptrique, et ses remarques sur mon traitté De Maximis et Minimis, et de Tangentibus. S’il y a quelque petite aigreur, comme il est mal-aisé qu’il n’y en ait, veu la contrariété qui est entre nos sentimens, cela ne vous doit point détourner de me les faire voir. Car ie vous proteste que cela ne fera aucun effet en mon esprit, qui est si éloigné de vanité, que Monsieur Descartes ne sçauroit m’estimer si peu, que ie ne m’estime encore moins ; ce n’est pas que la complaisance me puisse obliger de me dédire d’vne vérité que i’auray connue, mais ie vous fais par là connoistre mon humeur. Obligez-moy, s’il vous plaist, de ne differer plus à m’enuoyer ses (plutôt ces) escrits, ausquels par auauce ie vous promets de ne faire point de replique. I’ay fort veu ces iours passez Monsieur d’Espagnet, auec qui ie vis de longue-main comme vn amy intime ; s’il va à Paris, comme il espere, il vous dira qu’il est de mon aduis en tous les petits discours que i’ay faits, sans en exclure la Dioptrique. I’attens de vos nouuelles, et suis, etc.

» A Toulouze, ce 20 Auril 1638.

» Quand vous voudrez que ma petite guerre contre Monsieur Descartes cesse, ie n’en seray pas marry ; et si vous me procurez l’honneur de sa connoissance, ie ne vous en seray pas peu obligé. »

Mersenne communiqua cette lettre XCIX seulement aux mathématiciens de Paris ; Roberval et Etienne Pascal, se faisant les champions de Fermat, envoyèrent à Descartes par Mersenne un écrit aujourd’hui perdu, auquel Descartes répliqua le 1er mars (Lettre CX ci-après, voir l’éclaircissement).

C
Plempius a Descartes.
[Louvain, janvier 1638.]

Texte de Joh. Beverovicius, Epistolicce Qucestiones, 1644, p. 122-125.

Voir les lettres du 15 sept. 16S7 (p. 400, l. 3-6), où Plempius promet des objections, du 20 déc. (p. 477, l. 6-7), où Descartes lui rappelle sa promesse, et du i5 fév. 1 638 (ci-après), où il répond à la présente. Comme la première lettre, partie de Louvain le 15 sept., n’était arrivée que le 2 oct., celle-ci a dû mettre sans doute aussi deux semaines et demie, et on peut la dater de la seconde quinzaine de janvier. — Clerselier ne donne qu’une version française, avec ce titre : « Lettre d’vn Médecin de Louuain à Monsieur Descartes », tome I, lettre 77, p. 358-36 1 ; et il dit dans sa Préface : « I’ay prié vn de » mes amis, des mieux verser dans la Philosophie de Monsieur » Descartes, de traduire celles (les lettres) qui traitent du mouuement » du Cœur et de la circulation du Sang, que Monsieur de Berouic a » desia données au public, dans ce beau recueil qu’il a fait de ses » Questions Epistolaires, imprimé à Roterdam en l’année 1644, » auquel on peut avoir recours si l’on doute de la fidélité de la version. » On trouvera plus loin, 10 juin et 5 juillet 1643, les lettres échangées à ce sujet entre Descartes et Beverovicius. i,358-35 9 - C. — Janvier i6j8. 497

Quia tam frequentibus ijfque femper auidis effla- gitationibus meas contra tuam de motu cordis fen- tentiam obiediones poftulas, fepono tantifper alias opellas meas & tibi obtemperatum eo. 5 Imprimis, vt mine video, fententia illa tua noua non eft, fed vêtus, & quidem Ariftotelica, prodita lib. de refpirat, cap. 20 ; verba eius funt : Pulfatio cordis. feruori Jimilis ejî ; fit enim feruor, cum humor caloris opéra conflatur ; nam humor propterea fe attollit, quod

10 in molem adfurgat ampliorem. In ipfo autem corde tume- faéîio humoris, qui femper è cibo accedit, vltimam cor- dis tunicam eleuantis, pulfum facit : aîque hoc femper fine vlla intermifjione fit, nam femper humor, ex quo natura fanguinis oritur, continue influit. Pulfatio igitur

i5 ejl humoris concalefcentis inflatio. Haec Ariftoteles, quae à te ingenioiius & pulchrius explicantur. Galenus nofler contra à facultate aliquâ cor moueri docuit, & omnes haétenus id docemus Medici, à quibus quod adhuc ftem hse faciunt ratiunculse.

20 1 1 . Cor è corpore exemptum pulfat adhuc aliquan- diu; imô eo in partes minutas diffedo, fingulae parti- cule diutute pulfant, atque ibi nullus fanguis influit vel effluit.

2. Si quis arteriae incifse calamum vel aeneam fiftu- 5 lam indat, vt fanguis permeare poffit, & deinde arte- riam vinculo conftringat fuper fiftulam, arteria non pulfabit infra ligaturam. Ergo pulfatio non fit ab impetu influentis fanguinis, fed ab alio aliquo, quod per tunicas arteriae influit. Eft illud experimentum

3o Galeni proditum lib. an fanguis in arterijs contineatur,

11 humoris] humorum Ed.

Correspondance. I. 63

�� � 498 Correspondance. i, 359-360.

cap. 1. Neque dicendum id effe impoffibile faélu propter fanguinis arteriofi exfilitionem, quia poteft hsec caueri hoc pado. Inijce arterise duas ligaturas palmo vel amplius à fefe diftantes, tum acuto fcal- pello incide eandem arteriam inter diétas duas liga- 5 turas, nullus effluet fanguis nifi qui continetur inter vincula; dein foramini fado inde fiftulam, & liga iterum arteriam fuper fiftulam impofitam, folue vero duo priora vincula : fanguis libère per canalem pro- fluet ad extremas vfque arterias, neque tamen, quse 10 funt infra ligaturam , pulfabunt ; folue ligaturam , rurfus pulfabunt. Aliquid quidem fanguinis effluet per vulnus, fed quid tum ? equidem videre licebit quod intenditur.

y Si cordis dilatatio fieret à rarefa&o fanguine, i5 multô longior & durabilior effet cordis diaftole,quàm nunc in animalibus eft. Nam notabilis portio [fangui- nis in cor influit, quse vt tota in vapores conuertatur tempore opus eft, neque tam cito aut fubito poteft rarefieri, quàm cito ac fubito fit diaftole. Etfi videa- 20 mus oleum & picem igni incidentes confeftim maxime rarefieri, illud difficultatem non tollit : tantus enim calor non eft in corde, quantus in igné; quapropter non id efficere valet quod efficit ignis. Imô in pifcibus pufillus calor eft, & potius frigus ; eorum tamen corda 25 perseque celeriter ac noftra pulfant.

4. Si arteriae diftenduntur à fanguine, quem cor in illas effundit, pars vicina cordi, quae proxime fan- guinem illum recipit, tantùm pulfabit, reliqua eodem tempore non pulfabunt. Quod enim è corde excuti- 3o tur, non fpargitur in omnes arterias fubito, quia hoc

�� � i, 36o-36i. CI. — 25 Janvier i6}8. 499

répugnât motui corporis tam craffi. Atqui omnes totius corporis arteriae pulfant fimul. Hsec de caufia motus cordis.

Contra fanguinis circulationem, quam cum Hervaeo 5 adftruis, hsec habeo :

1. Sanguis arteriofus & venofus fie plane fimilis effet, imô idem, quod répugnât autopfise. Me flauior & floridior, hic nigricantior & triftior eft.

2. Materia febrilis confiftens alibi in venulis à 10 corde remotis, quaeque adeô febrem intermittentem

tantùm efficit, deberet plures de die acceffiones facere, toties feilicet, quoties fit fanguinis illius & fimul humoris febrilis reditus in cor ; ponis autem reditum iftum fieri centies, imô ducenties per diem.

i5 Tf. In viuo animali ligatis venis.plerifgue ad crus tendentibus, liberis reliais arterijs, deberet crus illud breui temporis fpatio mirum in modum tumefeere, eo quia | fanguis continenter per arterias influeret per venas. Atqui tantùm abeft vt hoc fiât, vt potius, fi diu

20 finas ligatas venas, pars extenuetur defeétu nutrimenti. Ad iflhaec mea dubiola refponfiones tuas tam auide expeétabo, quàm illa ipfa à me expoftulafti.

CI.
Descartes a Mersenne.
[25 janvier 1638 ?]
Texte de Clerselier, tome II, lettre 84, p. 369-372.

Sans date dans Clerselier. Lettre écrite après la XCIXe (Descartes attendant la réponse de Fermat à cette dernière), et avant la CXIIe, qui renvoie à celle-ci pour l’explication des couronnes de la chandelle (Clers., III, 190). Or on apprend par cette dernière que Mersenne n’avait pas encore reçu la présente lettre le 8 février, ni même probablement le 12. S’il n’y a pas eu de retard exceptionnel, on ne peut donc en faire remonter l’envoi au delà du 25 janvier. D’autre part, eu égard à la lettre CII ci-après (en voir l’argument), celle-ci ne peut guère être postérieure au 1er février.

Mon Reuerend Pere,

Ie vous remercie tres-humblement des ſoins que vous auez pris pour la distribution de nos liures[99]. Pour la lettre de mon frere, & celle que vous me mandez m’auoir cy-deuant écrite, dans laquelle vous 5 I’auiez miſe, ie ne les ay point receuës, de quoy ie ſuis vn peu en peine, & ie vous | prie de me mander à vous les auiez enuoyées par le meſme Meſſager que celle que vous écriuiez au Maire, dans laquelle eſtoit enfermé l’écrit De maximis & minimis, ou par quelque 10 autre, afin que ie taſche à les recouurer, ou à découurir par quelle faute elles ont eſté perdues[100]. Ie ne doute point que vous n’entendiez pluſieurs iugemens de mes écrits, & plus à mon deſauantage que d’autres : car les eſprits qui ſont d’inclination à en médire, 15 le pourront aiſément faire d’abord, & en auront d’autant plus d’occaſion, qu’ils auront elle moins connus par les autres ; au lieu que pour en iuger equitablement, il eſt neceſſaire d’auoir eu auparauant beaucoup de loiſir, pour les lire & pour les examiner. 20

Ie ſuis extremement obligé à M. des Argues de l’enuie qu’il témoigne que M. le Cardinal faſſe reüſſir l’Inuention des Lunettes. Et pour les objections de l’artiſan dont vous m’écriuez, elles ſont ridicules, & témoignent vne ignorance tres-grande, en ce qu’il ſuppoſe que le diametre des verres, pour les plus 5 longues lunettes, n’a pas beſoin d’eſtre plus grand que de deux ou trois doigts ; au lieu qu’elles ſeront d’autant meilleures, qu’on les pourra faire plus grands. Mais ie ne ſçay ſi ie dois deſirer que M. le Cardinal y faſſe trauailler ſuiuant mon deſſein : car 10 qui que ce ſoit qui y trauaille ſans ma direction, i’apprehende qu’il n’y reüſſiſſe pas du premier coup, & peut-eſtre que pour s’excuſer il m’en attribuëra la faute. I’auois donné vn liure à M. de Ch(arnacé) pour M. le Cardinal ; mais ſa mort eſtant depuis interunuë 15, ie ne ſçay s’il l’a enuoyé ou non[101].

Ie ne trouue pas eſtrange que M. Mydorge ne ſoit pas d’accord auec moy en pluſieurs choſes de ce que i’écris de la Viſion, car c’eſt vne matiere qu’il a cy-deuant beaucoup eſtudiée[102], & n’ayant pas ſuiuy les 20 meſmes principes que moy, il doit auoir pris d’autres opinions ; mais i’eſpere que plus il examinera mes raiſons, plus elles le ſatisferont ; & il a l’eſprit trop bon, pour ne ſe rendre pas du coſté de la vérité. Ie ne ferois nulle difficulté de luy enuoyer ma vieille 25 Algebre, ſinon que c’eſt vn écrit qui ne me ſemble pas meriter d’eſtre vû ; & pource qu’il n’y a perſonne que ie ſçache | qui en ait de copie, ie ſeray bien aiſe qu’il ne ſorte plus d’entre mes mains[103] ; mais s’il veut prendre la peine d’examiner le troiſiéme Liure de ma Geometrie, i’eſpere qu’il le trouuera aſſez aiſé, & qu’il viendra bien aprés à bout du ſecond.

Au reſte ie crains bien qu’il n’y ait encore gueres perſonne qui ait entierement pris le ſens des choſes 5 que i’ay écrites, ce que ie ne iuge pas neantmoins eſtre arriué à cauſe de l’obſcurité de mes paroles, mais plutoſt à cauſe que paroiſſant aſſez faciles, on ne s’arreſte pas à conſiderer tout ce qu’elles contiennent. Et ie voy que vous meſme n’auez pas bien pris les 10 raiſons que ie donne pour les couronnes de la chandelle[104] : car ie n’y parle d’aucune preſſion, ou diſlocation de l’œil, ainſi que vous me mandez, mais de pluſieurs diuerſes diſpoſitions, qui peuuent toutes cauſer le meſme effet, & entre leſquelles celle que 15 vous dites auoir éprouuée eſt compriſe ; en ſorte que voſtre expérience fait entierement pour moy. Voyez en la page 279, ligne 5. Ie vous diray neantmoins que ce que vous attribuez à l’humidité qui couure voſtre œil, me ſemble proceder plutoſt de ce qu’il n’eſt pas 20 aſſez remply d’humeurs ou d’eſprits ; en ſorte que ſes ſuperficies ſont vn peu ridées, ſuiuant ce que i’écris en la meſme page, ligne 8 ; car ces humeurs ſe diminuent pendant le ſommeil, & reuiennent facilement vn peu aprés qu’on eſt éueillé. Mais vous pouuez voir 25 fort aiſement ce qui en eſt par experience : car ſi c’eſt l’humidité qui couure voſtre œil, au meſme inſtant que vous l’aurez eſſuyé auec vn mouchoir, ce phainomene ceſſera ; mais ſi c’eſt autre choſe, il ne ceſſera pas du tout ſi-toſt. 30

Ie ne vous renuoye point encore les écrits de Monſieur Fer(mat) de Locis planis & ſolidis[105], car ie ne les ay point encore lûs ; & pour vous en parler franchement, ie ne ſuis pas reſolu de les regarder, que ie 5 n’aye veu premierement ce qu’il aura répondu aux deux lettres que ie vous ay enuoyées pour luy faire voir[106]. Vous ne deuez pas craindre que les aduis que vous m’obligerez de me donner, touchant ce qui ſe dira contre moy, tournent iamais à voſtre préjudice ; 10 car il n’y a rien que ie ne ſouffriſſe plutoſt que de vous | intereſſer en mes querelles. Mais ie m’aſſure auſſi que vous ne voudriez pas me tenir les mains, pendant qu’on me bat, pour m’empeſcher de me deffendre ; & ceux qui vous donnent des objections 15 contre moy, ne peuuent aucunement s’en prendre à vous des réponſes que i’y feray, ny ſe fâcher que vous me les enuoyez : car ſçachant l’affection que vous me portez, ils ne vous les peuuent donner à autre fin, que pour me les faire voir ; & toute la ciuilité dont i’ay 20 crû pouuoir vſer enuers Monſieur (Fermat) a eſté que i’ay feint d’ignorer ſon nom, afin qu’il ſçache que ie ne répons qu’à ſon Ecrit, & que vous ne m’auez enuoyé que ſes objections, ſans y engager ſa reputation.

L’objection que l’on vous a faite contre vos 25 experiences de l’Echo, ne me ſemble d’aucune importance : car bien qu’il foit vray que le ſon s’étend en cercles de tous coſtez, ainſi que le mouuement qui ſe fait dans l’eau quand on y iette vne pierre, il faut fois remarquer que ces cercles s’etendent beaucoup plus loin du coſté vers lequel on iette la pierre, ou vers lequel on s’eſt tourné en parlant, que vers ſon contraire ; d’où vient que l’Echo, qui ne ſe fait que par la reflexion de la partie de ces cercles qui va le plus loin, ne s’étend que vers le lieu vers lequel elle ſe reflechiſt. Ie ſuis,


CII.
Descartes a [Huygens].
[25 janvier 1638.]
Texte de Clerselier, tome II, lettre 85, p. 372-375.

Sans nom ni date dans Clerselier. Mais cette lettre (au moins la seconde partie) est manifestement une réponse à la lettre XCV, du 23 nov. 1637 ; elle était donc adressée à Huygens. La première partie répond à une autre lettre, écrite sans doute depuis lors, et qui est perdue (l. 4-5). Un même fait se trouve mentionné dans cette lettre (p. 506, l. 11), et dans la précédente (p. 500-501)  ; d’ailleurs Clerselier les imprime l’une après l’autre, lettres 84 et 85, comme s’il en avait trouvé les minutes ensemble, dans une même liasse. On voit par la lettre ci-après de Huygens, du 2 février, qu’il avait dû recevoir celle-ci. Elle serait donc, comme la précédente, du 25 janvier ou du 1er février (C. A.).

On peut cependant s’étonner : 1° que Descartes ait différé aussi longtemps sa réponse aux remerciments de Huygens ; 2° que ce dernier, dans sa lettre du 2 février, ne vise pas la présente plus expressément. On se demandera dès lors si Clerselier n’aurait pas réuni deux billets séparés : le premier, représenté par le second alinéa de cette lettre, serait de la fin de nov. 137 ; le second (premier alinéa) serait du commencement de fév. 1638, mais Huygens ne l’aurait pas encore eu entre les mains à la date du 2 (P. T.).

Monſieur,

I’ay eſté bien aiſe de voir le Tourneur, car i’ay iugé à ſes diſcours qu’il ſera tres-capable de faire que les Lunettes reüſſiſſent ; & ie ſuis encore plus aiſe 5 d’apprendre, par voſtre derniere, qu’il y trauaille auec affection[107]. Il me dit qu’il feroit | premierement vn modelle de bois de toute la machine ; ie croy que c’eſt par là qu’il doit commencer, & ſi-toſt qu’il l’aura fait, i’iray tres-volontiers à Amſterdam exprés pour la 10 voir, & lors il luy ſera aiſé de comprendre, tant les choſes qui doiuent y eſtre obſeruées, que celles auſquelles il n’eſt pas beſoin de s’aſtraindre. Comme, pour la diſtance qu’il mettra entre les piliers A & B, elle eſt entierement indifferente, & l’eſpace qui doit 15 eſtre entre les deux planches auſſi. Meſme il n’eſt pas neceſſaire que le rouleau touche ces planches, comme i’ay décrit[108] ; car eſtant bien joint aux deux pieces cubiques Y & Z, qui doiuent eſtre à ſes deux bouts, il ſuffit que ces deux pieces les touchent exactement de 20 part & d’autre ; & à cét effet les planches n’ont pas beſoin d’eſtre toutes polies, ny toutes de cuiure ; mais ſeulement ie voudrois que leurs bouts fuſſent garnis de cuiure par dedans, afin que ces deux pieces Y & Z coulaſſent deſſus. Et ie croy que ces pieces deuroient pour 25 cét effet eſtre de fer, ou garnies de plaques de fer, au deſſus & au deſſous ; car l’experience enſeigne que le cuiure & le fer ſe ioignent beaucoup mieux enſemble, que le fer auec le fer, ou le cuiure auec le cuiure. Ie croy auſſi qu’il ſuffira, pour le commencement, qu’il prenne la diſtance, depuis le haut de la machine A B iuſques au rouleau Q R, de deux piez ou vn peu plus : ce n’eſt pas qu’en la prenant de trois piez, les lunettes n’en doiuent eſtre meilleures, pourueu qu’il puiſſe 5 faire les verres d’autant plus grands, mais ie crains qu’il n’en puiſſe pas ſi aiſement venir à bout. Ie me reſerue à dire le reſte, lors que ſon modelle ſera fait, & qu’il vous plaira m’ordonner de l’aller voir ; car ie ne voudrois pas qu’il trauaillaſt tout de bon à la 10 machine auant cela. Le Pere Merſenne m’a mandé qu’on vouloit conuier Monſieur le Cardinal à faire trauailler aux Lunettes ſuiuant ma Dioptrique ; mais ie crains qu’ils ne reüſſiſſent pas aiſement ſans moy, & ſi voſtre Tourneur en vient à bout le premier, ie m’offre de 15 faire mon mieux pour luy faire auoir octroy qu’il n’y aura que luy qui en puiſſe vendre en France.

| Les trois feüillets que ie vous auois enuoyez ne valent pas la moindre des honneſtes paroles qui ſont en la lettre qu’il vous a plû de m’écrire. Ie vous aſſure 20 que i’ay eu plus de honte de vous auoir enuoyé ſi peu de choſe, que ie n’ay pretendu de remerciment : car en effet la crainte que i’auois de m’engager dans vn Traitté qui fuſt beaucoup plus long que vous n’auiez demandé, a eſté cauſe que i’ay obmis le plus beau de 25 mon ſujet ; comme entr’autres choſes la conſideration de la viteſſe, les difficultez de la balance, & pluſieurs moyens qu’on peut auoir pour augmenter la force des mouuemens, qui different de ceux que i’ay expliquez. Mais afin que vous ne penſiez pas que ie faſſe mention 30 de ces choſes, pour vous donner occaſion de me conuier à les y adjouſter, ie ſatisferay ici au dernier point de voſtre lettre, en vous diſant à quoy ie m’occupe, Ie n’ay iamais eu tant de ſoin de me conſeruer que maintenant, & au lieu que ie penſois autresfois 5 que la mort ne me pût oſter que trente ou quarante ans tout au plus, elle ne ſçauroit déſormais me ſurprendre, qu’elle ne m’oſte l’eſperance de plus d’vn ſiecle : car il me ſemble voir tres-euidemment, que ſi nous nous gardions ſeulement de certaines fautes que 10 nous auons couſtume de commettre au regime de noſtre vie, nous pourrions ſans autres inuentions[109] paruenir à vne vieilleſſe beaucoup plus longue & plus heureuſe que nous ne faiſons ; mais pource que i’ay beſoin de beaucoup de temps & d’experiences pour 15 examiner tout ce qui ſert à ce ſujet, ie trauaille maintenant à compoſer vn abregé de Medecine, que ie tire en partie des liures, & en partie de mes raiſonnemens, duquel i’eſpere me pouuoir ſeruir par prouiſion à obtenir quelque delay de la nature, & ainfi 20 pourſuiure mieux cy-apres en mon deſſein. Ie ne répons point à ce que voſtre courtoiſie a voulu me demander touchant la communication des trois feuillets que vous auez : car outre que iaurois mauuaiſe grace de vouloir diſpoſer d’vne choſe qui eſt toute à vous, puis 25 que ie vous l’ay cy-deuant enuoyée ſans m’y reſeruer aucun droit, l’inclination que vous témoignez auoir à ne la point communiquer, & l’affection dont vous m’obligez, m’aſſurent | aſſez que vous ne ferez rien en cela qui tourne à mon prejudice ; & quoy que vous faſſiez,

30 il n’y a rien qui m’empeſche d’eſtre toute ma vie,
CIII.
Huygens a Descartes.
La Haye, 2 février 1638.
Copie MS., Amsterdam, Académie des Sciences.
Lettres françoises de Constantin Huygens, tome I, page 817.
Monſieur,

Il m’eſt arriué par la ſaueur de M. Alphonſe Polotti de veoir vne copie vicieuſe de ce qui s’eſt paſſé entre vous & le philoſophe de Louuain[110], maladuiſé lecteur de voſtre liure. Ie ne ſçay ſi ie vous pardonneray qu’il 5 m’ayt fallu mendier ce pain d’autre main que de la voſtre : mais pour a preſent ie ne ſuis pas reſolu d’en interrompre mon diſcours, qui tend a vous ſignifier que, ne trouuant pas la courtoiſie gratuite partout, force m’a eſté de vous acheter pour voftre argent & 10 de promettre en recompenſe vos Mechaniques audit ſieur Pollotti, qui me les demande, aueq reproche de perfidie, ſi i’y manque. La choſe donq, comme vous voyez, eſt en ſon entier ; & m’eſt loiſible encore de vous obeir, a la charge de paſſer pour fourbe. A cela 15 ne tienne. Mais en me teſmoignant, s’il vous plaiſt, ce qui eſt de voſtre inclination abſolue & ſans reſerue, ie vous ſupplie d’y adiouſter ſi vous trouuez hors de propos l’ouuerture que ie ſay, de voir ces Mechaniques acheuées de tout point, auant que leur ouurir 20 la carriere du monde, & ne laiſſer rien a dire aux ſçauans, ny a ſouhaitter aux apprentifs de celle iolie eſtude iournaliere, que vous aurez illuſtrée le premier, & ſortie de l’embarraſſante obſcurité des 5Italiens, qui faciunt non intelligendo[111], &c. Ie n’entens pas vous importuner : d’abord ie vous ay limité l’eſpace de trois fueillets ; icy vous aurez celuy de trois années, s’il en eſt beſoin ; mais qu’il nous ſoit permis d’eſperer qu’vn iour vous mettrez la derniere main 10 au traicté ; car a ne faire point de conſideration de mes intereſts, qui font ceux du publiq, d’auſtres plus importants, qui ſont les voſtres, me font iuger qu’il ne doit rien ſortir d’imparfait de chez vous. Mais i’attens voſtre loy & tiens mon preiugé en ſuſpens. 15 Pardonnez-moi, Monſieur, ſi le gouſt que vous m’auez donné d’encor quelques points de conſideration demeurés a vuider par faulte de place dans mes trois fueillets, m’ont eſmeu cette ſaliue & porté mon auarice a vous les demander a loiſir. Peut-eſtre que dans les 20 3 ans que ie determine, vous n’y perdrez que trois iours en ſomme, & vous voyez quelle minute c’eſt du ſiecle que vous auez reſolu de viure[112], outre que vous n’en auez pas refuſé dauantage a l’impertinence de Louuain, ainſi faut-il que ie baptize leur foibleſſe en 25 paſſant. Car, ſans flatterie, Monſieur, iamais la ſageſſe que vous auez eſtudiée n’a paru a plus viues enſeignes, que quand vous auez commandé a voſtre indignation très iuſte de confondre tant d’ignorance aueq tant de retenue. Ie ne ſçay ſi la philoſophie aueugle du ſieur Fromondus ne l’aura pas conduit au precipice d’vne replique, vbi amplius pænarum exigat ; mais quoi qu’il en ſoit, ie vous ſupplie que la communication ne me ſoit deſniée de ce dont vous me tiendrez pour iuge compétent & capable. Ie ſuis raui de voir 5 quels ſoufflets ie meriterois ſi ie m’emancipois a vous donner la queſtion ſi rude & mal fondée, & comme vous vous en reſſentiriez auec des longanimités incomparables ; mais le ſeray bien plus, ſi vn iour la patience vous eſchappe, & qu’éueillé a l’abboy de tant 10 de lourds maſtins, vous reſoudiez a les fouetter de voſtre philoſophie toute accomplie, pour gaigner enfin le repos qui, tant que cela n’arriue, ne vous demeurera iamais entier. Et en effet, Monſieur, a quel propos nous cachez-vous la chandelle ſub modio, qui 15 dans ces tenebres d’erreur ne ceſſons de nous choquer de contradictions infinies ? Ie dis, quand voudrez-vous auoir pitié du monde égaré ? Si cela vous peut toucher, on m’eſcraſe dans la preſſe des opinions ; les nouueaux phenomenes m’accablent de iour a 20 autre. Quelle iuſtice vous faict reſoudre de viure heureux tant d’années & de ne ſubuenir pas a l’indigence de voſtre prochain, pour ce peu d’aage qu’il peut eſperer ? Voulez-vous voir le pain noir dont il ſe nourrit ? Voyez comme il en va chercher iuſque chez 25 les moines ; & apprenez a regretter, s’il vous plaiſt, que ſi vous tenez touſiours la vérité en ſequeſtre, tantoſt nous ſerons auſſi heretiques que le Campanella dont ie vous enuoye le ſommaire en cholere[113], & pour peine de vos rigueurs, vous condamnant, s’il vous eſt nouueau, a y ietter la veue, pour me dire au moins ſi, en attente du flambeau de vos verités, il m’eſt permis de courir vn peu aprés ce feu follet, & ou c’eſt que ie 5 pourroy aboutir en ne ceſſant de le ſuiure. Enfin, pour acheuer de vous demander des ſolutions, il fault que ceſte lettre ſe conclue, car ie ſens qu’il m’en naiſt dans la plume. Ie me l’arrache donq par force, & quoique bien ayſe de vous auoir donné ſubiect de 10 parler, ie proteſte de veoir aueq honte & regret iuſqu’a ma quatrieſme page remplie, a vous deſtourner d’auec vous, qui eſt la meilleure compagnie du monde ; mais aprés Fromondus il n’y a pas d’offenſe conſiderable. Liſez-moi tous iours aprés luy, s’il vous plaiſt, & me 15 croyez deuant tout,

Monſieur…

A La Haye, ce 2e de febu. 1638.


CIV.
S. P.*** a *** pour Descartes.
[Février 1638 ? ]
Texte de Clerselier, tome II, lettre i, p. 1-4.

« A vn Amy de Mr Descartes pour luy faire tenir », dit Clerselier, sans autre indication que les deux initiales S. P. à la signature : Mais Descartes, énumérant, dans une lettre à Mersenne, du 29 juin 1638 (Clers., II, 381-382), les objections qui lui ont été envoyées de France ou par des étrangers, dira, après avoir cité Fromondus, Plempius, et un Jésuite de Louvain : « Enfin quelqu’autre de La Haye m’en a envoyé touchant diuerses matieres. » D’autre part, on voit (p. 515, l. 26) que l’auteur de ces objections a eu connaissance de la réponse de Descartes à Fromondus ; or Huygens, Lettre CIII ci-avant, du 2 février 1638 (p. 508, l. 2-5), nous apprend que M. de Pollot (Alphonse) avait une copie de cette réponse et la lui avait communiquée précisément à La Haye. Enfin, il est question, à la fin de la lettre, de « nostre ortographe française », comme si l’auteur était français lui-même, ou au moins d’un pays de langue française : or la famille de Pollot était venue s’établir à Genève. Si ce dernier, de même que son frère, est exclu par l’initiale S, il n’en semble pas moins que l’on devrait chercher dans son entourage. Rien, il est vrai, dans les lettres de Huygens ou de Pollot à Descartes, ne confirme que l’un ou l’autre ait été l’intermédiaire auquel s’adresse l’auteur des objections.

Quant à la date, on peut par conjecture la fixer vers février 1638, au plus tôt, ou bien au mois de mars, Descartes déclarant dans sa réponse (Clers., II, 8) qu’il attend « un recueil de tout ce qui peut estre mis en doute sur ce sujet » (l’existence de Dieu), sans doute les objections de Petit, dont Mersenne lui avait parlé dans une lettre du 12 février (Clers., III, 190) et qu’il recevra en mars (Clers., III, 403). Mais si, au contraire, ce recueil est l’Ecrit du P. Gibieuf dont Descartes accusera réception seulement le 24 mai (Clers., III, 391), la présente pourrait n’être que d’avril ou de mai 1638.

Monſieur,

N’oſant pas m’adreſſer directement à Mr Deſcartes pour luy propoſer mes difficultez, i’emprunte voſtre credit, pour vous prier de les luy preſenter, & pour taſcher de faire en ſorte qu’il les prenne en bonne part, comme venant d’vne perſonne qui a plus de deſir d’apprendre que de contredire.

Premierement, la deuxiéme regle de ſa morale[114] ſemble eſtre dangereuſe, portant qu’il faut ſe tenir aux opinions qu’on a vne fois determiné de fuiure, quand elles ſeroient les plus douteuſes, tout de meſme que ſi elles eſtoient les plus aſſeurées : car ſi elles ſont 5 fauſſes ou mauuaiſes, plus on les ſuiura, plus on s’engagera dans l’erreur ou dans le vice.

| 2. La troiſiéme regle[115] eſt plûtoſt vne fiction pour ſe flatter & ſe tromper, qu’vne reſolution de Philoſophe, qui doit mépriſer les choſes poſſibles, s’il luy 10 eſt expedient, ſans les feindre impoſſibles ; & vn homme d’vn ſens commun ne ſe perſuadera iamais que rien ne ſoit en ſon pouuoir que ſes penſées.

3. Le premier principe de ſa philoſophie eſt : Ie penſe, donc ie ſuis[116]. Il n’eſt pas plus certain que tant 15 d’autres, comme celuy-cy : ie reſpire, donc ie ſuis ; ou cet autre : toute action preſuppoſe l’exiſtence. Dire que l’on ne peut reſpirer ſans corps, mais qu’on peut bien penſer ſans luy, c’eſt ce qu’il faudroit monſtrer par vne claire demonſtration ; car bien qu’on ſe puiſſe 20 imaginer qu’on n’a point de corps (quoy que cela ſoit aſſez difficile), & qu’on vit ſans reſpirer, il ne s’enſuit pas que cela ſoit en effet, & qu’on puiſſe viure ſans reſpirer.

4. Il faudroit donc prouuer que l’ame peut penſer 25 ſans le corps ; Ariſtote le preſupoſe à la verité en vn ſien axiome, mais il ne le prouue point. Il veut que l’ame puiſſe agir ſans organes, d’où il conclud qu’elle peut eſtre ſans eux ; mais il ne prouue pas le premier, qui eſt contredit par l’experience : car on voit que ceux qui ont la fantaiſie malade ne penſent pas bien ; & s’ils n’auoient ny fantaiſie ny mémoire, ils ne penſeroient point du tout[117].

5. Il ne s’enſuit pas de ce que nous doutons des choſes qui ſont autour de nous, qu’il y ait quelque 5 eſtre plus parfait que le noſtre[118]. La pluſpart des Philoſophes ont douté de beaucoup de choſes, comme les Pyrrhoniens, & ils n’ont pas de là conclud qu’il y euſt vne Diuinité ; il y a d’autres preuues pour en faire auoir la penſée, & pour la prouuer. 10

6. L’experience fait voir que les belles font entendre leurs affections & paſſions par leur ſorte de langage[119], & que par pluſieurs ſignes elles monſtrent leur colere, leur crainte, leur amour, leur douleur, leur regret d’auoir mal fait ; teſmoin ce qui ſe lit de certains 15 cheuaux qui, ayant eſté employez à couurir leurs meres ſans les connoiſtre, ſe precipitoient apres les auoir reconnües[120]. Il ne faut pas à la verité | s’arreſter à ces hiſtoires ; mais il eſt euident que les animaux font leurs operations par vn principe plus excellent 20 que par la neceſſité prouenante de la diſpoſition de leurs organes ; à ſçauoir par vn inſtinct, qui ne ſe trouuera iamais en vne machine, ou en vne horloge, qui n’ont ny paſſion ny affection, comme ont les animaux. 25

7. L’Auteur dit que l’ame doit eſtre neceſſairement creée[121], mais il euſt eſté bon d’en donner la raiſon.

8. Si la lumiere eſtoit eſtenduë comme vn baſton, ce ne ſeroit pas vn mouuement, mais vne ligne preſſante ; & ſi elle eſtoit vn mouuement qui ſe fiſt du Soleil à nous, ce ne ſeroit point en vn inſtant, veu que 5 tout mouuement ſe fait en temps ; elle ne ſe fera point auſſi en ligne droite, s’il faut qu’elle paſſe, comme le mouſt de la cuue, au trauers d’vn interualle plein de corps plus gros que cette matiere ſubtile qui la porte, & leſquels peuuent rompre la ligne droite par leur 10 agitation[122].

9. Puiſque l’Auteur fait profeſſion d’écrire methodiquement, clairement, & diſtinctement, il ſembloit conuenable qu’il monſtraſt quelle eſt cette matiere ſubtile qu’il preſupoſe[123] : car on demande auec raiſon, 15 premierement ſi elle eſt, 2(o) ſi elle eſt elementaire ou etherée, & ſi, eſtant elementaire, elle eſt propre ou commune à tous les elemens.

10. Si l’eau n’eſt liquide que pource que cette matiere ſubtile la rend telle[124], il s’enſuiura que la glace 20 ne ſe fondra pas pluſtoſt deuant le feu qu’ailleurs ; ou il faudra auoüer que c’eſt le feu, & non la matiere ſubtile qui la rend liquide.

11. On a de la peine à s’imaginer que l’eau ſoit de figure d’anguilles, & les raiſons qui en font données 25 page 163[125] du Liure des Metheores, & expliquées dans les Réponſes à Monſieur Fromont[126], ne font conclure autre chofe ſinon qu’il faut qu’elle ſoit gliſſante, & capable de s’accommoder à toutes ſortes de figures ; mais on ne peut pas conclure quelle ſoit en forme d’anguilles, & s’il faut que les corps les plus penetrans ſoient de telle figure, il s’enfuiura que l’air l’eſt encore dauantage. 5

| 12. Si le ſel ſe fait gouſter par ſa figure pointuë & piquante[127], les autres corps ayant la meſme figure feront le meſme effet, quoy qu’ils ſoient inſipides ; il s’enſuiura auſſi que les liqueurs, qui ſelon l’Auteur ont vne figure d’anguille & non piquante, ne ſeront 10 point gouſtées, ſur tout celles qui ſont douces, & qui n’ont point la pointe du ſel ; enfin la ſaueur ne ſeroit qu’vne figure externe, & non pas vne qualité interne ; & la force que le ſel a de garder les chofes de ſe corrompre, ne conſiſteroit qu’en ſa pointe, & en ſa figure. 15

13. Si vn corps ne s’enfonce point dans l’eau, pource qu’il eſt également gros par les deux bouts[128], il s’enſuiura que tous ceux qui ſont de meſme figure ne s’enfonceront point, & que ceux qui ont l’vn des bouts plus gros s’enfonceront. 20

14. Il s’enſuiuroit auſſi que le ſel eſtant de cette figure, & comme des baſtons qui ne ſe peuuent plier, il ſeroit aiſé de deſſaler l’eau de la mer, en la faiſant filtrer ou paſſer par quelque corps qui ait des pores fort eſtroits. 25

15. Il eſt vray que noſtre ortographe Françoiſe a des ſuperſluitez qu’il faut corriger, mais il faut que ce ſoit ſans cauſer des ambiguitez : car on doutera peut-eſtre, touchant les mots de cors & d’eſpris, ſi le premier ne ſignifie point des cornets, que nous nommons auſſi des cors, & ſi l’autre ne ſe prend point pour eſtre eſpris de quelque choſe. Il eſt vray que c’eſt vne remarque de Grammairien, & non de Philoſophe : 5 c’eſt pourquoy on l’a miſe hors du rang des autres, ou peut-eſtre c’eſt la faute de l’Imprimeur.

Ie vous prie de faire agréer la hardieſſe que i’ay priſe de vouloir que mes difficultez fuſſent veües par vn homme du merite de Monſieur Deſcartes ; le peu 10 de peine que ſans doute elles luy donneront, me le rendront plus fauorable, & vous m’obligerez à continuer d’eſtre comme i’ay touſiours efté,

Monſieur,
Voſtre tres-humble & tres-obeïſſant 15 ſeruiteur, S. P.


CV.
Descartes a Pollot.
12 février 1638.
Copie MS., Genève, collection Budé, Lettr. de Desc. à Pollot, no 1.

Variantes de Clerselier, tome II, lettre 86, p. 37S-376, première partie, sans nom ni date. A cette lettre est joint un fragment (Lettre CVI ci-après), qui ne se trouve pas dans la copie ms., et qui est adressé à Huygens. Le texte ci-dessous a été publié par Eugène de Budé, p. 3-4 de ses Lettres inédites de Descartes (Paris, Durand et Pedone-Lauriel, br. in-8, 1868).

Monſieur,

Ayant veu pluſieurs marques de voſtre bien-veil- lance, tant dans la lettre que M. Renery a receuë icy* de voſtre part, que dans vne autre que vous m’auez fait l’honneur de m’écrire l’eſté dernier, auant le ſiege de Breda*, ie penſe eſtre obligé de vous en remercier par celle-cy, & de vous dire que i’eſtime ſi 5 fort les perſonnes de voſtre merite, qu’il n’y a rien en mon pouuoir que ie ne faſſe tres volontiers, pour tâcher a me rendre digne de voſtre affection. Que ſi tous les hommes eſtoient de l’humeur que ie vous croy, ie vous aſſeure que ie n’aurois nullement 10 deliberé touchant la publication de mon Monde, & que ie l’aurois fait imprimer il y a déja plus de deux ans. Mais les raiſons qui m’en ont empeſché, me ſemblent de iour à autre plus fortes ; & ſi ie ne puis ſi bien faire, que certaines gens ne trouuent aucune occaſion de 15 me reprendre, i’aime mieux que ce ſoit deſormais mon ſilence qu’ils blâment, que mes diſcours. Ie tiens à grand honneur que vous veüillez prendre la peine d’examiner ma Geometrie, & ie vous garde l’vn des ſix exemplaires qui ſont deſtinez pour les ſix premiers 20 qui me feront paroiſtre qu’ils l’entendent*. Pour le petit eſcrit de Mechaniques que i’enuoyay il y a quelque temps à M. de Zuylechem[129], ie ne m’y ſuis reſerué aucun pouuoir ; & ainſi, comme ie ne ſçaurois trouuer que tres-bon qu’il vous le communique, s’il 25

1 M. Renery] Monſieur R. — 3 l’eſté] cet Eſté. — 5 de omis. — 6 les perſonnes] l’affection des perſonnes. — 8 tâcher a] tâcher de. — voſtre affection] la voſtre. — 12 déjà omis. — 14 et ſi] ſi omis. — 15 aucune omis. — 22 de] des. — 23 M. de Zuylechem] Monſieur Z.

luy plaiſt, auſſi ne ſçaurois-ie trouuer mauuais qu’il

s’en ab|ſtiene, pour la honte que i’ay qu’on voye de moy vn eſcrit ſi imparfait. Ie ſuis,

Monſieur,
5
Voſtre trez humble & trez acquis ſeruiteur,
descartes.

Du 12e feurier 1638.

Page 518, l. 2. — « Icy », serait-ce à Utrecht, où demeurait Renery ? Descartes se trouvait-il avec lui, à cette date du 12 février 1638 ? Cet hiver, cependant, il demeurait plutôt au nord de Harlem. Renery allait d’ailleurs le visiter de temps en temps.

Page 518, l. 4. — Ce siège dura du 23 juillet au 6 octobre 1637.

Page 518, l. 21. — Baillet (I, 305) : « M. Descartes, après s’être déterminé à joindre sa Géométrie aux autres essais de sa Méthode, avoit fait imprimer séparément une douzaine d’exemplaires de ce traité sur du papier choisi exprés ; et les ayant fait relier avec une propreté extraordinaire, il les avoit addressez au P. Mersenne, pour être distribuez dans la ville et le royaume à ceux qu’il jugeroit les plus habiles Géométres du tems pour les prévenir. » (en marge : Rélat. de M. Chauveau Ms.). On voit que Descartes en avait réservé de même pour les géomètres de Hollande.

3-8 Ie fuis… feurier 1638] toute cette fin omise.

CVI.
Descartes a [Huygens].
[12 février 1638.]
Texte de Clerselier, tome II, lettre 86 fin, p. 376.

Voir l’argument de la lettre précédente, à Pollot, du 12 février 1638. Nous laissons la même date à ce fragment ; il fait suiteModèle:P finde page à la lettre CII ci-avant, du 25 janvier, p. 505, adressée à Huygens. Descartes n’avait pas encore reçu celle du 2 février (CIII), qui resta plus de trois semaines en chemin (voir Lettre CXIV ci-après).

Veu que vous m’auez fait cy-deuant la faueur de m’auertir de l’employ que vous donniez au Tourneur d’Amſterdam, pour faire quelque eſſay des Lunettes, ie penſe eſtre obligé de vous mander ce qui s’eſt paſſé depuis peu entre luy & moy. Il s’eft reſolu de ſuiure 5 tout au long la pratique de la Dioptrique ; & i’eſtois Ieudy dernier à Amſterdam, où ie vis vn modelle de bois qu’il auoit fait, lequel me ſeruit à luy faire entendre toutes les meſures & circonſtances qui me ſemblent deuoir eſtre obſeruées en la machine ; ce 10 qu’il témoigne comprendre ſi bien, & ie l’ay laiſſé ſi plein d’eſperance & de deſir d’en venir à bout, que pourueu qu’il continuë, ie ne ſçaurois aucunement douter que la choſe ne reüſſiſſe. Toutesfois ce ne pourra eſtre ſi-toſt, tant à cauſe qu’il luy faudra du 15 temps pour préparer fes machines, lefquelles il veut faire toutes de cuiure & d’acier, que pource que n’ayant pas encore l’vfage de polir les verres[130], ie crains qu’il luy faudra vn peu d’exercice pour l’acquérir. Mais il dit auoir appris que quelques autres ont meſme 20 deſſein que luy, & qu’ayant defia taillé quelque verre, qui leur donne de l’eſperance, ils ſe propofent de demander vn octroy de Meſſieurs les Eſtats, de quoy ie luy ay promis de vous écrire, & de vous prier, ſi vous en entendez quelque choſe, d’empeſcher autant qu’il 25 ſe pourra ciuilement, qu’ils n’obtiennent rien à ſon prejudice. En quoy ie m’aſſure que vous le fauoriſerez plus qu’aucun autre, tant pource que l’ayant employé cy-deuant à tailler quelques verres, c’eſt vous qui luy auez fait venir l’enuie de les mettre à perfection, qu’à cauſe que ie vous en prie, & que ie ſuis,

5
Monſieur,
Voſtre tres-humble & tres-obeïſſant ſeruiteur, descartes.

CVII. Descartes a Plempius.

i5 février i638. Texte de Plempius, Fundamenta Medicintr, p. i5ï-i56 de la 2 « édition, 1644.

Clerselier, tome I, lettre 78, p. 36i-3-j3, donne sans nom ni date (après la Lettre C ci-avant) une version du texte publié par Beverovicius (Epist. Quaest., 1644, p. rzS-iSg) ; et c’est aussi ce texte que reproduit l’édition latine {voir plus haut le prolégomène, p. 496). Mais Beverwick (Berovic) n’avait que la minute communiquée par Descartes ; elle est incomplète et fournit quelques variantes, qu’on trouvera ci-dessous. L’original daté était entre les mains de Plempius, qui en publia d’abord quatre extraits dans la première édition de son livre De Fundamentis Medicinae lib. VI (Lovanij, typis ac sumptibus Iacobi Zegersij, in-4, 1 638, privilège du 16 juin, permission du 28 août, dédicace proprid. Calend. Septemb.). Un ami de Descartes, Regius, ayant réclamé en 1640, Plempius donna le texte entier dans la seconde édition des Fundamenta Medicinœ (Louvain, 1644, typis viduœ Iacobi Zegers) et dans les suivantes, 16S4 et i665. Voir, à la fin de cette lettre, les éclaircissements.

Clariffime Domine, Non immérité tuas in meam de motu cordis fententiam obiecriones percupidè expectaui ; nam cùm

Correspondance. I. 66 522 Correspondance. i, 36i-36*.

refpicerem ad dodrinam, ingenium & mores tuos, nec non ad beneuolentiam quâ me profequeris, illas valdè eruditas, ingeniofas & nullo malignitatis prae- iudicio inquinatas fore fciebam : meque iudicium non fefellit. Sed eft quôd gratias tibi agam, tum quia illas 5 mififti, tum etiam quia monuiili quo pacV> meam opi- nionem poffim Ariftotelis au&oritate fulcire. Quippè cùm ille homo tam fœlix exftiterit, vt quaecunque olim, fiue cogitans,fiue incogitans, fcriptitauit, hodiè à plerifque pro oraculis habeantur, nihil magis opta- 10 rem, quàm vt à veritate non recedendo eius vefligia in omnibus fequi poffem. Sed ne quidem in hâc re, | de quâ eft fermo, illud me feciffe auûm gloriari ; licet enhn, vt ille,pulfationem cordis ab inflatione humoris in eo concalefcentis effe dicam, per humorem tamen i5 iftum nihil à fanguine diuerfum intelligo, neque lo- quor, vt ille, de tumefaclione humoris, quifemper à cibo accedit, vltimam cordis tunicam eleuantis. Etenim fi talia afferrem, multis euidentifiimis rationibus poffem refu- tari. Et meritô crederer ad nullorum animalium cordis 20 fabricam vnquam attendiffe, fi tacendo de ventriculis, vafis, &valuulis, vltimam tantùm eius tunicam eleuari affirmarein. Qui autem ex falfis prsemifiis (vt Logici loquuntur) verum cafu concludit, non meliùs ratio- cinari mihi videtur, quam fi falfum quid ex ijfdem 2 5 deduceret; nec fi duo, vnus errando, alter reétâ via incedendo, ad eundem locum peruenerint, vnum alte- rius veftigijs inftitiffe eft putandum.

Ad primum quod obijcis, nempè cordis è corpore exempti atque diffeéti fingulas particulas aliquamdiù. 3a pulfare, licet ibi nullus fanguis influât vel efïluat, ref-

�� � r, 362-363. CVII. — i$ Février 1638. 523

pondeo me feciffe olim hoc experimentum fatis accu- ratè, prsefertim in pifcibus, quorum cor excifum multô diutiùs pulfat, quàm cor animalium terreftrium ; fed femper vel iudicaffe, vel, vt faepè fit, ipfis oculis * vi- 5 diffe nonnullas fanguinis reliquias in partem, in quâ pulfatio fiebat, ex alijs fuperioribus fuiffe delapfas, & facile mihi perfuafhTe pauxillulum fanguinis ex vnâ cordis parte in aliam paulô calidiorem illapfi huic pul- fationi efficiendae fufficere. Notandum enim, quô minor

10 eft quantitas alicuius humoris, tantô faciliùs illum poffe rarefcere : & quemadmodum manus noftrœ,|qu6 frequentiùs aliquem motum exercent, tantô paratiores ad eundem repetendum euadunt, fie etiam cor, qui à primo formationis fuœ momento iridefinenti recipro-

i5 catione intumuit & detumuit, minimâ vi ad hoc ipfum continuandum poffe impelli; & deniquè vt videmus quofdam liquores quibufdam alijs admiftos hoc ipfo incalefcere atque inflari, fie forte etiam in recefTibus cordis nonnihil humoris inflar fermenti refidere, cuius

20 permiflione alius humor adueniens intumefeit. Caete- rùm hœc eadem obie&io multô plus virium habere mihi videtur in vulgarem aliorum opinionem, exifti- mantium motum cordis ab aliquâ animai facultate pro- cedere : nam quo pado, quœfo, ab humanâ anima ille

z5 pendebit ? ille, inquam, qui etiam in cordis partibus diuifis reperitur, cùm animam rationalem indiuifibi- lem effe, & nullam aliam fenfitiuam vel vegetantem fibi adiunétam habere fit de fide.

Obijcis fecundô illud, quod Galenus prodidit in

3o fine libri an fang(uis) in art(erijs) contfineatur), cuius 7 pauxillulum] pauxillum.

�� � j 24 Correspondance. i, 36j-36 4 .

quidem experimentum nunquàm feci, nec iam facere efl commodum, fed neque operse pretium efle exiftimo; pofitâ enim illâ pulfationis arteriarum caufâ quam pono, Mechanicae meae, hoc eft Phyficae, leges docent, intrufo in arteriam calamo, & illâ fuper ipfum calamum 5 ligatâ, eandem vitra vinculum pulfare non debere, folutâ autem ligatura debere, plané vt Galenus exper- tus eft ; modo tamen calamus paulô anguftior fit quàm arteria, vt proculdubio fuppofuit ; & te ipfum idem fupponere ex hoc concludo, quôd dicas folutâ liga- io turâ nonnihil fanguinis per vulnus effluxurum. Nam fi calamus totam arteriae capacitatem impleret, quo- niam accuratè vulnus obturaret, ne minimum quidem | fanguinis per illud elaberetur. Calamo autem in ca- pacitate arteriae fimul cum fanguine natante, non i5 mirum eft illum eius motui non obftare. Notandum enim * hune motum non fieri ex eo, quôd fanguis è corde egreflus per omnes arterias fubitô fpargatur, vt in quartâ tuâ obie&ione fupponis, fed ex eo, quôd partem arteriae magnae cordi proximam occupans 20 totum alium fanguinem in eâ eiufque ramis conten- tum expellat & concutiat, quod fit abfque morâ, hoc eft, vt Philofophi loquuntur, in inftanti. Ponamus. exempli caufâ BCF effe arteriam fanguine plenam vt funt femper, & in quam nunc ex corde A nonnihil 2 5 noui fanguinis ingreditur. Sic enim facile intellige- mus hune nouum fanguinem non pofle implere fpa- tium B, quod eft in orificio huius arteriae, quin alia pars fanguinis, quae priùs implebat hoc idem fpatium B, recédât verfus C, indèque alias partes fanguinis 3o

a 5 vt] eae aj. — nunc] recenter.

�� � i,36 4 -365. CVII. — i$ Février 1638. 52$

trudat verfus D, & fie confequenter vfque ad E ; adeô vt eodem ipfo inftanti, quo fanguis afeendit ab A ad B, debeat arteriapulfare ad E. Nec obftabit fi fingamus in eâ contineri cala-

mum D, vel quoduis QQ ea F_

aliud corpus fiue ca-

���uum fiue folidum, modo libéré natet in fanguine, quia aequè

10 facile pelletur taie corpus verfus E ac ipfe fanguis. Su- perficies enim interna arteriarum efl admodùm lseuis ; & quoniam illse confiant tunicis | fatis duris, non fe contrahunt, vt inteftina vel venae, ad menfuram cor- poris quod in ijs continetur, fed etiam vacuae, & in

i5 mortuo animali, patulse atque hiantes effe folent.

Si verô fit alius calamus in E huic arteriae inditus, & fuper quem fit ligata, vt vult Galenus, licet fanguis per hune calamum poffit tranfire ad F, non tamen ibi concutiet latera arteriae, faltem notabiliter; quoniam

20 ex angufto loco in latiorem tranfeundo magnam par- tem fuarum virium amittet, reliquafque potiùs fecun- dùm longitudinem arteriae quàm fecundùm eius lati- tudinem exercebit, ac proindè illam quidem poterit continuo affluxu implere, tumidioremque reddere,

z5 non autem diftinctis fubfultibus agitare. Nec alia ratio eft, cur venae per varias anaftomofes arterijs con- iundae non etiam pulfent, quàm quia ipfarum extre- mitates, per quas fanguis ingreditur, anguftiores funt earum alueis, in quos fluit.

3o PofTumus autem hoc experimentum Galeni duobus alijs modis tentare* Nempè vel in arteriam intru-

�� � 5 20 Correspondance. i, 365.366.

dendo calamum, fiue tubulum alium quempiam, qui fit tam crafTus, vt totam arteriae capacitatem replens, eius fuperficiei internée adhaereat, nec natare poffit in fanguine, vt ille qui hîc ad D appi&us eu; intùs au- tem habeat cauitatem tam anguftam, vt non liberio- 5 rem tranfitum fanguini praebeat, quàm ille qui hîc videtur ad E, quo cafu etiam non ligatus arteriae mo- tum fiftet. Vel rurfus in arteriam intrudendo cala- mum, qui cauitatem habeat tam latam, vt non minus liberum tranfitum praebeat fanguini, quàm vacua arte- io ria : quo cafu fiue ligetur, fiue non ligetur, eius pul- fationi proculdubio non obftabit. Nec eft quod nos moueat audoritas Galeni varijs in locis a affirmantis | arterias non dijîendi vt vtres, quia implentur ', fed impleri vt folles [itemque vt fauces & pulmones & peclus vniuer- i5 fum), quia extenduntur, illafque extentas extremis partibus

6 foraminibus ex quocunque loco fibi vicino attrahere quicquid ipfarum fmus implere idoneum ejl. Refellitur enim certiffimo experimento, quod & antehac ali- quoties, & hodiè adhuc inter fcribendum,videre non 20 piguit. Nempè viui cuniculi thorace aperto, coftifque

ita didutlis, vt cor & aome truncus apparerent, aor- tam fatis longé à corde filo conftrinxi, feparauique ab ijs omnibus, quibus adhaerebat, ne qua fufpicio elfe, pollet aliquid fanguinis vel fpiritûs aliundè in ipfam, 25 quàm ex corde influxurum : deindè fcalpello eandem incidi inter cor & vinculum, vidique manifeiliffimè eo

i5 vt folles, fauces, pulmones. (Aucune parenthèse.) — 23 fepa- rauique" îeparatam.

a. An sang, in art., cap. 9. De usu pulsuutn, cap. 5.

�� � 1,366-367 CVII. — i$ Février 1638. $27

tempore, quo extendebatur, fanguinem per incifuram faliendo exilire, eo autem, quo contrahebatur, non effluere. At contra, fi Galeni opinio vera effet, arteria ifta fingulis diafloles momentis aèrem per incifuram 5 attrahere, nunquamque nifi tempore fyftoles fangui- nem emittere debuiffet ; vt nemini dubium effe polTe mihi videtur.

Pergens autem in hac animalis viui diffedione, me- diam partem cordis, illam fcilicet, quae eius mucro

10 appellatur, abfcidi, fed ab eo momento, quo fuit à bafi feparata, ne femel quidem ipfam pulfare animad- uerti ; quod occafione praecedentis obiedionis hîc moneo, vt obferues partes quidem cordis, quae funt verfus eius bafim, aliquandiu pulfare, quoniam in illas

i5 aliquid noui fanguinis ex vafis & auriculis ipfis adhae- rentibus influit, partes autem quae funt ad cufpidem non ita. Caeterùm poftquam cordis mucro fuit ab- fciffus, eius bafis, manens adhuc vafis appenfa, pulfa- uit fatis diu; atque in eâ commodiflimè afpexi | duas

20 illas cauitates, quae ventriculi cordis appellantur, in diaftole fieri ampliores, & in fyftole ardiores, quo experimento Haruaei fententia de motu cordis iugu- latur : ait enim ille plané contrarium, nempè ventri- culos in fyftole dilatari, vt fanguinem recipiant, & in

2 5 diaftole coardari, vt illum in aiterias extrudant. Quas hîc obiter adiunxi, vt videas nullam fententiam à meâ diuerfam fingi poffe, in quam certiflima aliqua expéri- menta non pugnent.

18 vafis] vafi. — 22 Haruœi] _p/ws:Nota,vthocexperimentum Heruœi. — 28 pugnent. Suit tout rectè fiât, non folam mucronis un alinéa que ne donne pas Plein- extremitatem, fed mediam par-

�� � $28 Correspondance. 1,367-368.

Obijcis tertio : fi cordis dilatatio fieret à rarefaéto fanguine, multô longiorem & durabiliorem fore eius diaftolem, quàm nunc eft. Quod forte ita tibi per- suades, quoniam imaginaris iftam rarefa&ionem effe fimilem illi, quae fit in jîolipilis, cùm in ijs aqua ver- 5 titur in vaporem. Sed varia eius gênera diftinguenda funt ; aliter enim fit cùm liquor plané in fumum fiue aërem abit & formam mutât, quemadmodùm in ./ïoli- pilis ; aliter cùm liquor | formam retinet & mole tantùm augetur. At primum modum fanguini in corde nullâ 10 ratione conuenire manifeftum eft, tum quia non fit totius liquoris fimul, fed earum tantùm partium, quae ex eius fuperficie furgentes in aère finitimo fe exten- dunt, vt fufe in Meteoris c. 2 & 4 explicui : etenim nullus eft in corde talis aër, nullaque fuperficies aëri i5 finitima, fed eius cauitates in viuis animalibus, quantae quantae funt, totae fanguine implentur; tum quia fi hoc effet, non fanguis in arterijs, fed tantum- modo vapidus aër contineretur. Nunc autem dubitat nemo, quin fanguine fint plenae ; atque hîc obiter 20 mirari licet, quàm fteriles veri fuerint antiqui, apud quos eoufque de hâc re dubitabatur, vt Galenus integrum librum, ad probandum fanguinem in arterijs

te m totius cordis effe abfcinden- videatur. Quod forte illis impo-

dam, vel etiam amplius : idque fuit, quia(/z'se{ qui) cor in diaftole

in cuniculo, timido animali, conftringiiudicarunt.Atquitunc

non in cane effe tentandum. In illud dilatari vel ipfo ta&u pro-

canibus enira ventriculi cordis bari poteft, manu enim pre-

varioshabentanfractus, quorum henfum multo durius in diaf-

fingulae cauitates dilatatione fan- tôle quam in fyftole fentitur. —

guinis ita extenduntur, vt in- 3 diaftolem] diaftolen. — igcon-

terim generalis cuiufque ven- tineretur] ex fanguinis vaporibus

triculi cauitas anguftior reddi formatus aj.

�� � i, 368-36 9 . CVII. — i$ Février 1638. $29

naturâ contineri, confcribere dignatus fit. Alter rao- dus rarefa&ionis , quo liquor mole augetur, rurfus eft diftinguendus : vel enim fit fenfim fenfim, vel in momento. Senfim fcilicet, cura partes liquoris per 5 gradus acquirunt nouum aliquem motum, aut figu- ram, aut fitum, ratione cuius plura vel maiora, quàm priùs, circa fe relinquunt interualla. Et in Meteoris explicui, quo pado talis rarefa&io non tantùm à calore, fed etiam ab intenfo frigore alijfque caufis

10 poflit oriri. Fit denique rarefadio in momento*, iuxta Philofophiae meee fundamenta, quoties liquoris parti- cule, vel omnes vel certè plurimae, hinc indè per eius molem difperfee, fimul tempore mutationem aliquam acquirunt, ratione cuius locum notabiliter ampliorem

i5 deûderant. | Vltimum autem hune modum eum efle, quo fanguis rarefit in corde, res ipfa indicat; eius enim diaftole fit in momento. Atque fi attendamus ad ea omnia, quae feripû in $ â parte libelli de Methodo, non magis eâ de re dubitare nobis licebit, quàm

20 dubitamus an oleum & alij liquores ita raréfiant, cùm videmus illos in ollâ fubitis fubfultibus affurgere. Ad hoc enim tota cordis fabrica, eius calor, atque ipfa fanguinis natura ita confpirant, vt nullam rem fen- fibus vfurpemus, quae certior effe mihi videatur. Nam

25 quôd ad calorem attinet, etiamfi in pifeibus non magnus fentiatur, eft tamen in eorum corde multô maior, quàm in vllis alijs membris.

At negas eam effe fanguinis naturam,vt fubitô raré- fiât, quia fcilicet non eft fimilis oleo vel pici, fed

3 fenfim non répété. — 9 ab omis. — 18 in quintâ parte Ber., in 3. parte PI.

Correspondance. I. 67

�� � 5jo Correspondance. 1,309-370.

magis aqueus humor & terreus. Tanquam fi folis pin- guibus hoc competeret ! Nunquid ipfa aqua, il tantùm in eâ vel pifces vel aliud quid coquatur, ita folet intu- mefcere ? nec tamen fanguis eâ magis aqueus dici poteft. Nunquid farina fubaéta & fermentata etiam 5 abfque magno calore fie furgit ? nec tamen fanguis eâ magis terreus videtur. Quid autem illi magis affine, quàm lac, quod igni appofitum, cùm ad certum gradum caloris peruenit, etiam ita inflatur? At quid opus eft alienis exemplis, quorum magnam multitudinem Chy- 10 mia poffet fuppeditare, cùm ipfe fanguis, fi recens è venis edu&us | in locum aliquantô calidiorem, quàm ipfe eft, incidat, etiam momento dilatetur, vt aliquoties expertus fum ? Verumtamen quia noui eam effe eius naturam, vt ftatim, atque eft extra vafa, corrumpatur, i5 & calorem ignis à calore cordis in quibufdam differre, non ideô affirmo fanguinis rarefaétionem, quae fit in corde, fimilem effe in omnibus illi, quae fie arte pro- curatur. Sed vt nihil hîc te celem, eam ita fieri exiftimo.

Cùm fanguis in corde intumefeit , maxima quidem 20 eius pars per aortam & venam arteriofam foras erumpit, fed alia etiam intùs manet, quse intimos eius ventriculorum receflus replens, nouum ibi caloris gradum & quamdam veluti fermenti naturam adipif- citur : ftatimque pofteà, dum cor detumuit, nouo z5 fanguini per venam cauam & arteriam venofam illa- benti celerrimè fe admifeens efficit, vt celerrimè tur- gefeat, in arteriafque difeedat; fed relidâ rurfus aliquâ fui parte, quse fermenti vice fungatur. Vt panis

8 quod] tum quoad aqueam non credo quippiam fimilius tum quoad terreftrem naturam, inueniri pofle; intérim illud aj.

�� � t, 3 7 o-3 7 i. CVII. — 15 Février 16 }8. ^31

fermentum fieri folet ex parte farina iam fermentatae, vini fermentum ex vuarum reliquijs, &. cereuifise fer- mentum ex quâdam eius faece. Neque hîc valdè intenfus caloris gradus requiritur, fed varius pro 5 varia fanguinis fingulorum animalium naturâ. Quod memini me in refponfione ad tertiam D. Fromondi obie&ionem iam fcripfiffe. Vt neque cereuifia, nec vinum, nec panis, ex quibus magna pars noftri fan- guinis exfurgit, intenfo egent calore, vt fermententur,

10 fed fuâ etiam fponte intepefcunt.

Ad quartam tuam obieétionem puto me iam fupra Jfatis refpondiffe, quoniam oftendi, quo pa&o arteriae omnes fimul pulfent. Itaque fupereft, vt ad ea, quae contra fanguinis circulationem attulifti, refpondeam.

i5 Primum eft : differentia inter fanguinem arteriofum

6 venofum, quam quidem ipfemet, in p. 52 libelli de Methodo, Haruseo obijci poffe indicaui, quia per eius fententiam nulla fanguinis mutatio in corde fieri intelligitur : at mihi, qui fubitam eius inflationem &

20 quafi ebullitionem defcribo, ne eadem obijceretur non verebar. Nam, qusefo, quae res maioris & magis fubitae mutationis caufa in corpore aliquo effe poteft, quàm ebullitio ifla & fimul fermentatio? Sed dices fanguinem ex arterijs per earum extremitates in venas

25 influentem nullam ibi pati mutationem, ideôque illum in venis non diuerfum effe debere ab eo, qui eft in arterijs. Ad quam obieclionem vt accuratè refpon- deam, velim primo, vt aduertas nullam contineri guttam fanguinis in arterijs, quae per cor paulô antè

2 ceruifiœ Plempius. — 5- plus haut, p. 416). — 17 Her-

7 Quod... fcripfiffe om. (Cf. uso. — indicaui] iudicaui.

�� � 5} 2 Correspondance. i, 371-372.

non tranfiuerit, in venis autem femper effe aliquas, quae ex arterijs non fluxerunt, quia nempè ab intef- tinis in illas aliquid femper humoris illabitur; itemque venas omnes vnà cura hepate inftar vnius vafis effe fpe&andas. 5

Quibus pofitis facile intelligitur, fanguinem debere eafdem qualitates, quas acquirit in corde, in omnibus arterijs retinere : adeô vt fi fingeremus illum per cor tranfeundo album fieri, vt in hepate fit ruber, nullus plané in arterijs nifi albus contineretur, nullufque in io venis nifi ruber; albus enim, qui continua in illas ex arterijs influeret, | alteri iam rubenti permiflus, non aliter quàm aqua vino infufa, flatim colorem eius indueret. Praetereà eft aduertendum, multa effe quae, poflquam incaluerunt, ex hoc folo, quôd vel lente vel i5 celeriter refrigerentur, qualitates acquirunt valdè di- uerfas. Ita vitrum, nifi lente refrigefcat,fit tam fragile, vt nequidem aëri refiftat : & eadem materia nunc in ferrum poteft abire, nunc in chalybem, pro diuerfo modo fufionis. Sanguis enim, qui ex arteriâ effluit, cum 20 vitro, quod calens è fornace edudum efl; ille autem, qui ex venâ, cum vitro, quod lento igné reco&um eft, poteft conferri : & intenlifïimus ignis fornacum non tantùm poffe videtur in chalybem vel vitrum, quàm moderatus cordis calor in fanguinem, qui nempè eft 25 humor ad mutationem tam paratus,vt folus aër ftatim atque è venâ educlus eft, illum corrumpat.

Ad id quod addis de materiâ febrium intermitten- tium , nihil aliud dicendum habeo , quàm me ne minimum quidem fufpicari illam in venis refidere, 3o

3 femper aliquid. — 21 calens] candens. — 27 venâ] venis.

�� � i, 3 7 i-3 7 3. CVII. — 15 Février i6}8. <,)}

atque mirari opinionem iftam nullâ probabili ratione fulcitam multos habuiffe fedatores, in quos tamen fufe difputat Fernelius Path. 1. 4, c. 9, vt authori- tatem etiam authoritate refellam. Sed prœtereà ille

5 rationibus vincit, & inter caeteras vnam habet, quœ fufficere mihi videtur. Nempè fi materia febrium inter- mittentium procederet ex venis, vel nulla vnquam effet duplex tertiana, vel omnis valdè vehemens ter- tiana effet duplex, & idem eft de quartanâ. Nullas

10 autem rationes quae meae fuit hîc addo, nec de febribus dico quid fentiam, nec me ex vnis difficultatibus in alias pertrahi finam.

Supereft experimentum de j ligatis venis plerifque ad crus tendentibus, liberis relidis arterijs, quo fafto

n dicis crus illud non intumefcere, fed potiùs paulatim extenuari defedu nutrimenti. Vbi fane eft diftin- guendum ; nam fimul ac venae ita erunt ligatae, pro- cul dubio nonnihil intumefcent, atque û quam ex ijs aperias infra ligaturam, totus aut ferè totus corporis

20 fanguis per illam poterit effluere, vfquotidiè Chirurgi experiuntur. Hocque, ni fallor, fanguinis circula- tionem, non dicam probabiliter perfuadet, fed eui- denter demonftrat. Si verô diu fie ligatse venae relin- quantur, ea, quae feribis, vera fore mihi facile per-

25 fuadeo, licet nunquàm fim expertus, quia fanguis in venis ligatis ftagnans breui tempore valdè craffus & alendo corpori parùm idoneus euadet. Non autem nouus continenter per arterias eô influet, quia ramulis meatibufque alijs omnibus tum arteriarum tum vena-

2 tamen] tam. — 1 1 quid] quod. — 28 eô] ad eam partem — in- fluetl fluet.

�� � 534 Correspondance. 1,373.

rum craffo fanguineobftruct.is,nullus ei locus patebit. Quinimô etiam forte ipfae venae aliquantùm detu- mefcent, nerhpè fero fanguinis in ijs contenti per infenfibilem tranfpirationem abeunte. Sed nihil plané hoc facit in affertam circulationem. 5

Atque vt verbo concludam, etiamfi tuas obiediones omnium optimas effe exiftimem, quae in meam de cordis & fanguinis motu fententiam poterant afferri, nulla tamen eft, quae me inducat, vt illam mutem. Sed quo pa&o hae meœ refponfiunculse tibi fatisfa- 10 ciant, fi placet,fignificabis, & me amare perges. Vale*.

Sum tibi ad omne ofïicium paratiffimus famulus,

DES CARTES.

15 feb. 1638. ,5

Page 523, 1. 4. — Plempius, dans sa première édition De Fundamentis Medicince lib. VI (Lovanij, lac. Zegers, in-4, i638), cite ce passage au style indirect, p. 265 : « Ad primum dicit : In exempto ab animali corde » se sœpè ipsis suis oc«lis vidisse, etc. jusqu'à intumescit » (p. 523, 1. 20), et y répond ainsi : « Lyncei profecto oculi sint, qui hoc obseruent. Et cur » ijsdem oculis fermentum in cordis recessibus residens non vsurpatur? » Sed quod à sanguine illabente non fiât pulsatio, hoc monstrat : quia et » supremœ cordis particule puisant, et easdem absecta; puisant, in quas » non potest dici delabi sanguis, nam nihil adest à quo delabatur. »

Page 524, 1. 17. — Plempius (et c'est sa quatrième objection, après les deux autres ci-dessous) cite cette phrase, ib., p. 267 : a Ad quartum : notât » motum arteriarum non fieri ex eo, etc. jusqu'à in instanti » (p. 524, 1. 23), et réplique : « Noto ego contra non fieri pulsationem ob impul- » sum illum sanguinis. Nam in vulneribus arteriarum dum Cheirurgi » pulueres suos adstringentes in vulnus arterias impingunt, quamdiu ar- » teriae vinculum non inijciunt, puisât infra vulnus arteria; quod tamen » fieri nequaquam deberet, si ab impulsione et protrusione sanguinis » oriretur pulsatio, tum enim sanguis in illa vulnerata arteria non est

6 Toute la fin omise.

�� � CVII. — 15 Février 1638. <rfj

» continuatus, sed habet imermedium obicem puluerem,qui obstat, quo- » minus pars altéra sanguinis altcri motum impertiat. Itaque ipsis arte- » riarum tunicis vis i lia pulsificâ inest et consequentcr. quae ad secundum r> suprà adducii de duobus prioribus tubulis arterix immissis, experientias » non responsura hinc ctiam constat. » Voir l'éclaircissement ci-dessous.

Page 525, 1. 3i. — Plempius, ib., p. 266 : « Ad secundum : fatetur n experimentum Galeni se numquam t'ecisse 'voir, en effet, p. S24, l. 1); » ex suis tamen fundamentis hoc adserit futurum : Si in arteriam intru- » datur tubulus, qui sit tam crassus, vt totam, etc. jusqu'à non obsta- » bit » (p. 526, 1. 12;. Il ajoute, comme venant de Descartes : « Si denique » sit tubulus cxilior, qui in ipiâ artcrid natare possit libéré, iniecto n vinculo, sistetur motus arteriœ; non iniecto, non sistetur, vt dicit Gale- » nus. » A quoi il répond : « Quandoquidem haec ita sibi fieri fingat, et » expertus non sit, fidem nostram tantisper suspendemus, donec vel ipsi » experientià compercrimus, vel comperisse.se ipse nobis adseueret. Caete- » rùm quod tubulus ille prior cauitatem habens angustam motum arteria; » non sistet, indè conijcio : quia si arteriae corpus aliquod extrinsecè cir- y cumponatur, quod xquè meatum arterix angustet, atque ille tubulus, » motus arteriœ infra illam angustationem haudquaquam sistetur. »

Page 529, 1. 10. — Plempius cite ce passage, ib., p. 266-267 : « Ad ter- i> tium : Rarefactionem, inquit, in momento fieri, quoties, etc. jusqu'à in » momento» (p. 529, 1. 17). Il ajoute la phrase suivante : « Et quod ad » calorem... alijs membris » (p. 529, 1. 25-27), et répond : « Etsi calor in » piscium cordibus maior fortassis sit, quàm in alijs membris, non » tamen ibi est tantus, vt possit tam subitam aquosi ipsorum sanguinis » efficere rarefactionem. Manus nostrae multo sunt calidiores piscium » cordibus : manibus tamen affusus sanguis non intumescit. Cùm hanc » forsan obiêctionem praesentisceret, postea subdit se existimare ita fieri « sanguinis in corde rarefactionem. » Suit tout le passage de Descartes : ■> Cùm sanguis... intepescunt » (p. 53o, 1. 20-p. 53 1, 1. 10), sans aucun changement, sauf corporis pour sanguinis [p. 53 1, 1. 8-9), et l'omission de la parenthèse : « Quod memini. . . scripsisse ». Plempius répond : « Suprà. » vti ex eius libello attulimus, sanguinis rarefactionem actuali cordis » calori adtribuebat; hic non requirit intensum caloris gradum, sed fer- » mentum quoddam dicit esse causam rarefactionis. Et quomodo, qui « omnia sua certis demonstrationibus probare se ait, fermentum in cor- » dibus animalium stabulari nobis demonstrabit? Vereor ego ne fermen- r> tum illud figmentum sit, et vt non sit, tamen contra genium indolem- » que fermenti est tam celerem facere rarefactionem. »

Page 534, 1. 11. — Dans la première édition, 1 638, le chap. 5 de Plempius a pour sommaire : « Quid facultas vitalis. Est duplex : vtraque dici potest » facultas. Motus cordis fit à facultate pulsificâ, non à feruore sanguinis, » contra Aristotelem, Cartesium, Harueum. An, arteriae moueantur a » facultate insitâ. Facultas pulsificâ est duplex. » Vers le milieu du cha-

�� � ��pitre on lit, p. 265 : « Hœ rationes pondus mihi habere videbantur : » quapropter ad D. Cartesium mittcre placuit vt intelligerem, ecquid » aduersnm eas responderet : quod tamen vt facerem, iam sœpius ab » ipsomet Cartesio amicissimo viro ac mihi familiarissimo per epistolas » flagitatus cram. Scd enim de sua sententia nihil deductus ad singula » obiecta respondit : verùm ita operosè et contortuplicatè, vt facile » viderim pressum hominem fuisse. Responsiones eius compendio " adferam. Doctorum circulus sit arbiter. » Suivent les quajre alinéas reproduits dans les éclaircissements qui précèdent. Dans la seconde édition, 1644,’es mêmes explications reparaissent : « Hae rationes… homin ncm fuisse. » Mais Plempius continue ainsi : a Responsiones eius com » pendio attuli in prima editione huius operis. Et nonnè hoc erat satis ? 1 Nolebam nempè epistolas longas totas adferre, ne lectorem offenderem. » Eapropter tamen nuper in publicis scriptis blatero unus et alter me » incessiuit, quôd non tantum per compendium (vt ego aio), sed cum veri » tatis dispendio, nec satis bond fide responsiones enarrauerim : ac » partim eas mutilauerim et peruerterim, partim artificio quodam prœ » terierim. Addito alio mendacio : in multorum manibus literas istas » biennio ante editum meum librum à compluribus descriptas versari, » cùm codem anno scriptoe sint, quo liber cditus est, imô eodem mense, » quo hoc caput excudebatur. Cœterùm, vt fatear verum, dignœ legi sunt » vel ab ipsis ijs ctiam, qui dogma ipsum non probant, ob argutam con « templationem et miram ingenij versationem, quam produnt : ego tamen n satisfecisse me abundè arbitrabar, adferendo dumtaxàt substantiam » responsionum, ne scilicet tyrones morarer. Nunc quia video hoc tam n malè accipi à malis hominibus, cedendum est tempori. Quod ergô pace y tuâ fiât, Rénale, Vir Nobilissime, produco litteras tuas totas ad literam » descriptas. » (p. 172, col. 1-2, de la 3 e édit., 1654. conforme ici à la seconde). Suivent les deux lettres du i5 fév. et du 23 mars i638. Le blatero, dont parle Plempius, n’est autre que Regius, et il s’agit de thèses que celui-ci fit soutenir par ses élèves à Utrecht (voir Lettre 10 de Regius à Descartes, janvier 1640).

CVIII.
Morin a Descartes.
Paris, 22 février 1638.
Texte de Clerselier, tome I, lettre 58, p. 185-201.

On donne, en guise de variantes, des notes de l’exemplaire de l’Institut, qui semblent bien être des rajeunissements de style, d’autant qu’il n’y avait rien à changer au texte de Morin, celui-ci l’ayant remis lui-même à Clerselier pour l’imprimer (voir notre introduction et Gers., I, préf.). — Baillet (I, 356) fournit cette indication : « Le Père Mersenne semblait avoir joint quelques-unes de ses difficultez avec les objections de M. Morin. » (Voir la Lettre CXXXIV ci-après, du 1er août 1638). La réponse de Descartes ne fut envoyée que le 13 juillet (Lettre CXXVII ci-après).

Monſieur,

Dés l’heure que j’eus l’honneur de vous voir & de vous connoiſtre à Paris, ie jugé que vous auiez vn eſprit capable de laiſſer quelque choſe de rare & 5 d’excellent à la poſterité ; & me ſuis grandement réjouy d’auoir vû reüſſir mon jugement par le beau liure que vous auez mis en lumiere ſur des ſujets de Mathematique et de Phyſique, qui ſont auſſi les deux principaux objets de mes ſpeculations naturelles. Mais 10 comme, en ce qui eſt de la Mathematique, vous n’aurez que des gens à admirer la ſublimité de voſtre eſprit, auſſi, en ce qui eſt de la Phyſique, i’eſtime que vous ne ſerez pas étonné, s’il ſe trouue des perſonnes à vous contredire. Car vous eſtant reſerué la connoiſſance des 15 principes & notions vniuerſelles de voſtre Phyſique nouuelle (dont la publication eſt paſſionnement deſirée de tous les doctes) & ne fondant vos raiſonnemens que ſur des comparaiſons, ou ſupoſitions, de la verité deſquelles on eſt pour le moins en doute, ce ſeroit 20 pecher contre le premier precepte de voſtre methode qui eſt tres-bon, & qui m’eſt familier, que d’acquieſcer

2 Dés… j’eus] Ie n’eus pas plutoſt. — 3 Paris,] que aj. — 5 et] ie aj. — 6 d’auoir vû reüſſir] de ne m’eſtre pas trompé dans. — par] aprés auoir veu. — 13 à] qui oſent.

à vos raiſonnemens. Et bien que, par la page 76 de voſtre Methode, l’experience rende tres-certains la

pluſpart des effets que vous traittez, neantmoins vous ſçauez tres-bien que l’aparence des mouuemens celeſtes ſe tire auſſi certainement de la ſupoſi[tion de la 5 ſtabilité de la terre, que de la ſuppoſition de ſa mobilité ; & partant, que l’experience d’icelle apparance n’eſt pas ſuffiſante pour prouuer laquelle des deux cauſes cy-deſſus eſt la vraye. Et s’il eſt vray que prouuer des effets par vne cauſe poſée, puis prouuer 10 cette meſme cauſe par les meſmes effets, ne ſoit pas vn cercle logique, Ariſtote l’a mal entendu, & on peut dire qu’il ne s’en peut faire aucun. Et pour les Aſtronomes que vous vous propoſez à imiter en la page 3 de voſtre Dioptrique, ie ne vous cacheray point 15 mon ſentiment, qui eſt, que qui ne fera de meilleures ſuppoſitions que celles qu’ont fait iuſques icy les Aſtronomes, ne fera pas mieux qu’eux dans les conſequences ou concluſions, voire pourra bien faire pis. Car eux ſupoſans mal la paralaxe du ſoleil, ou 20 l’obliquité de l’Eclyptique, ou l’excentricité de l’Apogée, le moyen mouuement ou periode d’vne planette &c, tant s’en faut qu’ils en tirent des conſequences tres-vrayes & tres-aſſurées, comme vous dites en ladite page 3, qu’au contraire ils faillent en ſuite dans les 25 mouuemens, ou lieux des planetes, à proportion de l’erreur de leurs fauſſes ſuppoſitions, comme le témoigne le

1 par] ſuiuant ce qui eſt dit dans. — 7 d’icelle] de cette. — 8 des] de ces. — 9 cauſes cy-deſſus] ſuppoſitions — 10 poſée] que l’on ſuppoſe — puis] et en ſuite. — 16 fera] point aj. — 19 concluſions] qu’il en tirera aj. — voire] même.

raport de leurs Tables auec le Ciel. Et ie croy auoir

eſté le premier au monde, qui dans mon liure des Longitudes[131] ay donné aux Aſtronomes les vrays moyens d’éuiter d’oreſnauant toutes ces fauſſes ſuppoſitions, 5 & tous les Cercles Logiques qui ſe peuuent commettre en cela. Mais les Aſtronomes par leurs fauſſes ſupoſitions ne faillent pour l’ordinaire que dans le plus ou dans le moins touchant le mouuement des Planetes, au lieu qu’vn Phyſicien peut errer en la nature meſme 10 de la choſe qu’il traitte. Il n’y a rien de ſi aiſé que d’ajuſter quelque cauſe à vn effet ; & vous ſçauez que cela eſt familier aux Aſtronomes, qui par le moyen de diuerſes hypotheſes, de cercles ou ellypſes, concourent à meſme but ; & le meſme vous eſt tres-connu en 15 voſtre Geometrie. Mais pour prouuer que la cauſe d’vn effet poſé eſt ſa vraye & vnique cauſe, il faut pour le moins prouuer qu’vn tel ef|fet ne peut eſtre produit par aucune autre cauſe.

Or ie croy qu’eſtant ce que vous eſtes, vous n’aurez 20 pas manqué, ſelon la page 69 de voſtre Methode, à bien preuoir tout ce qu’on vous pourroit objecter ; mais que vous reſeruant encore la connoiſſance particuliere de vos principes de Phyſique, dont tout le reſte eſt déduit, vous vous eſtes voulu égayer, non ſeulement à faire 25 ſouhaiter aux bons eſprits la publication de voſtre Phyſique, mais encore à les exercer dans les difficultez que vous auez laiſſées en voftre nouuelle doctrine : voire meſme vous les y conuiez en la page 75 de vo-

13 ellypſes] d’ellipſes.

ſtre Methode, iuſques à les ſuplier de vous enuoyer

leurs objections, & c’eſt ce qui m’a donné le plus de ſujet de vous écrire la preſente.

Mais ſçachant combien le temps vous eſt cher, auſſi bien qu’à moy, ie n’ay point voulu vous propoſer 5 diuerſes difficultez ſur diuerſes matieres ; ie me ſuis contenté d’en choiſir vne des principales & des plus ingenieuſes, qui eſt celle de la Lumiere, la nature de laquelle eſt à preſent ſi recherchée de tous ceux qui penſent voir plus clair dans la Phyſique. Nous auons 10 icy deux perſonnages qui ont trauaillé depuis peu ſur le meſme ſujet, & qui en ont publié leur ſentiment[132]. Mais moy qui y ay auſſi trauaillé de ma teſte, ſans toutesfois rien publier encore, ie trouue leur opinion bien plus aiſée à détruire que la voſtre : car auec voſtre 15 eſprit habitué aux plus ſubtiles & plus hautes ſpeculations des Mathematiques, vous vous renfermez & barricadez en telle ſorte dans vos termes & façons de parler, ou énoncer, qu’il ſemble d’abord que vous ſoyez imprenable. Mais n’y ayant que la ſeule vérité, 20 qui puiſſe reſiſter à l’effort du raiſonnement, et ne la pouuant reconnoiſtre dans ce que vous nous auez donné de la Lumiere, i’ay crû eſtre obligé par vous-meſme à vous y faire mes objections ; non pour vous engager à vn long diſcours, mais ſeulement afin qu’en 25 peu de mots vous me donniez vn peu plus de lumiere de la nature de la Lumiere, comme ie croy que vous le

18 en] de.

pouuez : et ie vous | aſſure que ie ne la cacheray pas

ſous le boiſſeau, mais que ie la feray paroiſtre à voſtre honneur.

Ie ne ſçay pourtant ce que ie dois attendre de vous ; 5 car on m’a voulu faire acroire que, ſi ie vous traitois tant ſoit peu en termes de l’Ecole, vous me iugeriez à l’inſtant plus digne de mépris que de réponſe. Mais par la lecture de vos diſcours, ie ne vous reconnois point ſi ennemy de l’Ecole que l’on vous fait, & ay 10 cette bonne opinion de voſtre eſprit, qu’il accordera facilement que toute verité bien demonſtrée eſt à l’épreuue de tous les termes de l’Ecole ; & que toute propoſition qui n’eſt à cette épreuue, eſt pour le moins douteuſe, ſi elle n’eſt fauſſe tout à fait. Car qui nous 15 voudroit faire paſſer vne fiction pour vne verité, vn accident pour vne ſubſtance, vn mouuement ſans moteur, &c, ie vous fais iuge vous-meſme de ce qu’il meriteroit. L’Ecole ne me ſemble auoir failly, qu’en ce qu’elle s’eſt plus occupé par ſpeculation à la 20 recherche des termes dont il faut ſe ſeruir pour traitter des choſes, qu’à la recherche de la verité meſme des choſes par de bonnes experiences ; auſſi eſt-elle pauure en celles-cy, & riche en ceux-là ; c’eſt pourquoy i’en ſuis comme vous, ie ne cherche la vérité des 25 choſes que dans la Nature, & ne m’en fie plus à l’Ecole, qui ne me ſert que pour les termes.

Or ie commenceray par les ſentimens que vous auez de la nature de la Lumiere, afin qu’ils me ſeruent de fondement, & qu’on voye s’ils ſont par tout les 30 meſmes, ou s’ils ſont differens, et en quoy.

1 pas] point. — 13 n’eſt] point aj.

1. Donc, en la page 159 des Meteores, vous dites : Ie ſupoſe premierement que l’eau, la terre, l’air, & tous les autres tels corps qui nous enuironnent, ſont compoſez de pluſieurs petites parties de diuerſes figures & groſſeurs, qui ne ſont iamais ſi bien arangées, ny ſi iuſtement iointes 5 enſemble, qu’il ne reſte pluſieurs interualles autour d’elles ; & que ces interualles ne font pas vuides, mais remplis de cette matiere fort ſubtile, par l’entremiſe de laquelle ſe communique l’action de la Lumiere.

| 2. En la page 4 de la Dioptrique, vous dites que la 10 Lumiere n’eſt autre choſe, dans les corps qu’on nomme lumineux, qu’vn certain mouuement, ou vne action fort promte, qui paſſe vers nos yeux, par l’entremiſe de l’air & des autres corps tranſparens ; en meſme façon que le mouuement ou la reſiſtance des corps que rencontre vn 15 aueugle auec ſon baſſon, paſſe vers ſa main par l’entremiſe de ſon baſton. D’où s’enſuit que comme ce mouuement eſt receu dans le baſton, auſſi l’autre cy-deſſus ſera receu dans l’air.

3 Mais, en la page 23, vous dites autrement, à 20 ſçauoir que la Lumiere n’eſt autre choſe qu’vn certain mouuement, ou action receuë dans vne matiere tres-ſubtile, qui remplit les pores des autres corps. Et vous diſtinguez cette matiere d’auec l’air & les autres corps tranſparens, auſquels, page 122, vous donnez des pores. 25

4. Page 122, vous dites qu’elle n’eſt autre choſe que l’action, ou l’inclination à ſe mouuoir, d’vne matiere tres-ſubtile, &c. Mais ce qui n’eſt qu’inclination à ſe

14 en meſme façon] de meſme. Le texte de Descartes, cité ici, est bien en meſme façon. — 22 ou vne action receuë en vne maetiere tres-ſubtile Desc.

mouuoir n’eſt pas mouuement, & ces deux different

comme la puiſſance & l’acte. Et ſi l’action eſt de la matiere, donc elle n’eſt pas des corps lumineux qui meuuent cette matiere, ainſi que vous dites en la 5 page 38 de la Dioptrique, ce qui eſt raporté cy-deſſous au nombre 10.

5. Voire meſme, page 256, vous ne dites pas que la Lumiere ſoit l’action ou le mouuement, mais comme l’action ou le mouuement d’vne certaine matiere fort 10 ſubtile, &c. Or toute comparaiſon eſt entre choſes differentes ; donc la Lumiere n’eſt pas, ſelon vous, l’action ou le mouuement. Et quand on voudroit prendre le mot de comme pour quaſi, touſiours y auroit-il à redire, & vous vous trouueriez court d’vn 15 point.

6. Page 50 de la Dioptrique, parlant encore de la nature ou de l’eſſence de la Lumiere, vous dites que la Lumiere n’eſt autre choſe qu’vn mouuement, ou vne action qui tend à cauſer quelque mouuement, &c. D’où ie 20 conclus que ſi la Lumière eſt l’action, & meſme l’action qui | tend à cauſer le mouuement, donc la Lumiere ſera premiere que le mouuement ; car toute cauſe eſt premiere que ſon effet, & par conſequent la Lumiere ne ſera pas le mouuement.

25 7. Finalement, page 5, vous dites qu’il n’eſt pas beſoin de ſupoſer qu’il paſſe quelque choſe de materiel depuis les objets iuſques à nos yeux, pour nous faire voir les couleurs & la Lumiere, qui ſelon vous ne font qu’vne meſme nature. Mais puiſque, par ce que vous dites en 30 la page 4, la Lumiere n’eſt autre choſe, dans les corps

11 donc] dont Clers.

qu’on nomme lumineux, qu’vn certain mouuement qui paſſe vers nos yeux, & que le mouuement n’eſt iamais

ſans le mobile, il faut donc auſſi par neceſſité que, comme la Lumiere des corps lumineux, c’eſt à dire le mouuement, paſſe des corps lumineux vers nos yeux, 5 auſſi le mobile y paſſe, qui n’eſt autre ſelon vous que la matiere ſubtile, où eſt receu ce mouuement.

Apres auoir cy-deſſus expoſé vos ſentimens ſur la forme ou eſſence de la Lumiere, qui ſelon vous ne conſiſte qu’en vne action, ou mouuement, ou inclination à 10 ſe mouuoir, &c. de la matiere ſubtile, &c, voyons maintenant ce que vous dites de ſa matiere, qui eſt cette matiere ſubtile.

8. Donc, page 256 des Metéeres, parlant de cette matiere ſubtile, vous dites qu’il en faut imaginer les 15 parties ainſi que de petites boules qui roulent dans les pores des corps terreſtres.

9. Mais, page 159 des meſmes Meteores, parlant des parties de l’air, de l’eau, de la terre & des autres corps, & diſant que, leurs parties n’eſtant pas bien 20 vnies, les interualles qu’elles laiſſent entr’elles ſont remplis de cette matiere ſubtile, vous dites en ſuite que les parties dont l’eau eſt compoſée ſont longues, vnies, & gliſſantes, ainſi que de petites anguilles qui, quoy qu’elles ſe joignent & entrelacent, ne ſe noüent ny ne 25 s’acrochent iamais de telle façon, qu’elles ne puiſſent aiſement eſtre ſeparées. Et au contraire que preſque toutes celles, tant de la terre, que | meſme de l’air & de la pluſpart des autres corps, ont des figures fort irregulieres & inégales. Deſquelles paroles il s’enſuit nettement 30

8 deſſus] deuant. — 26 en telle façon Desc.

que, puiſque les eſpaces ou interuales compris entre

ces parties, dont les figures ſont ainſi inégales & irregulieres, ne ſçauroient eſtre rons, ſi ce n’eſt par hazard, il s’enſuit, dis-je, que la matiere ſubtile qui 5 remplit ces interuales, ou pores, ne ſera pas ronde, ainſi que des petites boules. Et quand vous voudriez dire que la matiere ſubtile contenue en vn de ces pores, ou interuales, ſeroit compoſée de parties rondes ainſi que de petites boules, puiſque deux boules ne 10 ſe touchent qu’en vn point mathematique, il s’enſuiuroit qu’entre ces parties de la matiere ſubtile, contenuë en vn pore de l’air ou de la terre, il y auroit encore d’autres pores, qui ſeroient vuides ; comme il paroiſt meſme en voſtre figure des petites boules, 15 page 258. Et neantmoins il n’y a rien de vuide dans la Nature.

Venons maintenant au moteur de voſtre matiere ſubtile.

10. En la page 38 de la Diop., vous dites : la 20 Lumiere, c’eſt à dire le mouuement ou l’action dont le ſoleil, ou quelqu’autre des corps qu’on nomme lumineux, pouſſe vne certaine matiere fort ſubtile, qui ſe trouue en tous les cors tranſparans, &c. Par leſquelles paroles, confirmées en la page 160 & 272, vous donnez clairement 25 à entendre que cette matiere ſubtile n’a de ſoy aucun mouuement, mais ſeulement par les corps lumineux, qui l’agitent & la pouſſent.

11. Mais, en la meſme page 160, vous dites que cette matiere ſubtile eſt de telle nature, qu’elle ne ceſſe 30 iamais de ſe mouuoir çà & là grandement viſte. Par leſquelles paroles il s’enſuit qu’il n’eſt aucunement befoin des cors lumineux pour mouuoir cette matiere, puis qu’elle ſe meut d’elle-meſme, eſtant de telle nature, qu’elle ne ceſſe iamais de ſſe mouuoir.

Paſſons à la forme du mouuement de cette matiere ſubtile. 5

| 12. En la page 272 des Meteores, vous dites : Encore que l’action des corps lumineux ne ſoit que de pouſſer en ligne droite la matiere ſubtile qui touche nos yeux, toutesfois le mouuement ordinaire des petites parties de cette matiere, au moins de celles qui ſont en l’air autour de 10 nous, eſt de rouler, en meſme façon qu’vne bale roule eſtant à terre, encore qu’on ne l’ait pouſſée qu’en ligne droite, &c. Sur quoy il faut noter, en paſſant, que ſi cette matiere, outre le mouuement rectiligne qu’elle reçoit du corps lumineux, ſe meut de ſa nature 15 ſeulement en rond, par conſequent elle ne ſe meut pas çà & là comme vous dites en la page 160, ainſi que i’ay remarqué au nombre precedent ; ou ſi elle ſe meut çà & là, par conſequent elle ne ſe meut pas en ligne droite, comme vous dites en la page 272, ainſi que 20 i’ay icy remarqué.

13. Mais, en la page 258, vous dites & demonſtrez tout le contraire de ce que deſſus, par voſtre figure des petites boules, qui eſtant meuës en l’air viennent rencontrer en droite ligne la ſuperficie de l’eau ; Car 25 voicy vos paroles & vôtre figure : Pour mieux entendre cecy, penſez que la boule 1 2 3 4 eſt pouſſée d’V vers X, en telle ſorte qu’elle ne va qu’en ligne droite, & que ſes deux coſtez 1 & 3 deſcendent également viſte (& par conſequent ſans rouler) iuſques a la ſuperficie de l’eau Y Y, 30 où le mouuement du coſté marqué 3, qui la ren|contre le premier, eſt retardé, pendant que celuy du coſté marqué 1 continuë encore. Ce qui eſt cauſe que la boule commence infailliblement à tournoyer 5 ſuiuant l’ordre des chifres 1, 2, 3. Deſquelles paroles il s’enſuit que les petites parties, ou boules, ne roulent 10 pas en l’air, comme vous diſiez cy-deſſus, mais ſeulement à la rencontre de quelque ſuperficie plus ſolide.

Or, Monſieur, jugez maintenent vous-meſme, par 15 le premier precepte de voſtre Methode, ſi cette doctrine doit eſtre receuë pour vraye, où il paroiſt tant de doutes & de contradictions. Et vous en ayant ſeulement repreſenté vne partie, ie deurois en attendre voſtre éclairciſſement ſans paſſer plus outre. Mais 20 croyant que vous ſerez meſme bien-aiſe que ie donne quelque attaque de raiſonnement à voſtre doctrine, ainſi que feront pluſieurs autres, vous qui preſidez en la chaire de vos principes, jugerez des cous, & comme ie croy, donnerez ſatisfaction à tout le 25 monde.

1. I’attaquerois volontiers voſtre eſſence ou nature de la Lumière, que vous dites eſtre l’action, ou le mouuement, ou l’inclination à ſe mouuoir, ou comme l’action & le mouuement, &c. d’vne matière 30 ſub 3o tile, &c. Mais fur ce point ie vous voy û peu confiant

6 Diopt., p. 257. — 11-12 deſſus] deuant.

à vous-meſme, & par cette inconſtance vous vous

eſtes apreſté tant d’échapatoires, que ce ſeroit perdre le temps de vouloir vous arreſter, iuſques à ce que vous vous ſoyez arreſté vous-meſme, comme bon Logicien, à vne ſtable définition de la Lumiere. 5 Neantmoins il me ſemble, par le nombre 10 cy-deſſus, que vous entendez principalement que la Lumiere ſoit l’action, ou le mouuement, dont le Soleil ou autre corps lumineux pouſſe voſtre matiere ſubtile. Ce qu’eſtant ſupoſé, puiſque le Soleil eſt premier que ce 10 mouuement, duquel il eſt la cauſe efficiente, il s’enſuiura que le Soleil, de ſa nature, n’aura point de lumiere ; ou que ſa lumiere n’eſtoit point compriſe en voſtre définition, & qu’elle eſt premiere que celle que vous définiſſez. Mais l’Ecole vous prouueroit que 15 toute action eſt eſſentiellement vn eſtre relatif, & que | tout mouuement dit en ſon eſſence vn eſtre potentiel ; mais que l’eſſence de la Lumiere n’a ny l’vn ny l’autre, veu que de ſa nature elle eſt vn acte, ou vne forme abſoluë. 20

2. De plus, il ne ſuffit pas que la matiere ſubtile ſoit muë par quelque cauſe que ce ſoit ; autrement durant les orages & les tempeſtes d’vne obſcure nuit, excitées principalement par les vens, l’air & la mer paroiſtroient tout en feu, & l’on verroit lors clair 25 comme de iour ; mais il faut qu’elle ſoit muë par les corps lumineux, en tant que lumineux. D’où s’enſuit que leur lumiere eſt premiere que celle que vous definiſſez, qui ne conſiſte qu’en l’action ou mouuement dont les corps lumineux, par leur lumiere, pouſſent 30

6 deſſus] deuant. — 25 lors] alors. — 26 de] en plein.

voſtre matiere ſubtile : voire il s’enſuit que ce que vous definiſſez n’eſt point la Lumiere.

3. Le Soleil, & vne étincelle de feu, ou vn ver luiſant, illuminent d’vne meſme façon. Or vne étincelle 5 ſe peut voir la nuit de cinq cens pas ſans lunettes ; & auec des lunettes de voſtre inuention, elle ſe verroit peut-eſtre de plus de cinquante lieues en l’air. Doncques cette étincelle aura la force de faire mouuoir localement, & ſelon vous en ligne droitte, toute 10 la matiere ſubtile contenue en vn globe d’air de cinquante lieuës de demy-diametre ; ce qu’aucun bon jugement n’admettra iamais, puis qu’on ſçait que toute matiere a de ſoy reſiſtance au mouuement local ; donc le Soleil n’illumine pas par le mouuement de la 15 matiere ſubtile. Et la comparaiſon de voſtre aueugle auec ſon baſton ne conuient point auec le mouuement de la matiere ſubtile, car vn baſton eſt continu d’vn bout à l’autre, & meſme dur & ſolide ; c’eſt pourquoy au meſme inſtant qu’on pouſſe l’vn de ſes 20 bouts, on pouſſe l’autre, & la main qui eſt à l’vn des bouts ſent au meſme inſtant la rencontre que fait l’autre bout de quelque corps qui luy reſiſte. Mais la matiere ſubtile n’eſt pas continuë, autrement tous les pores des corps, depuis le Soleil iuſques à nous, 25 ſeroient continus, quelque agitation d’air qu’il y euſt par les vens ; et de plus elle n’eſt pas dure & ſolide comme vn baſton : c’eſt | pourquoy il ne s’enſuit pas que la matiere la plus prochaine du corps lumineux eſtant muë, la plus éloignée le ſoit auſſi, & au meſme 30 inſtant. I’adjoute encore qu’vne étincelle ne pouuant

1 voire] même.

ſelon vous mouuoir la matiere ſubtile, qu’en tant

qu’elle eſt illuminée, il faut de neceſſité que ſa Lumiere ſoit deuant le mouuement, & independante de luy ; voire meſme il faut quelle ſoit la principale cauſe du mouuement : donc le mouuement de la 5 matiere ſubtile n’eſt pas la Lumiere des corps lumineux ; & ie ne penſe pas qu’il ſoit poſſible de renuerſer cette raiſon.

4. Suppoſant le mouuement de la matiere ſubtile, & la continuité de ſes parties, tout ce que vous pourriez 10 pretendre ſeroit que ce mouuement nous fait ſentir & aperceuoir la Lumiere des cors lumineux, comme l’aueugle qui tient vn bout de ſon ballon ſent le heurt de la pierre qui eſt fait à l’autre bout. Et en ce ſens, en la page 259 des Meteores, vous dites : les 15 parties de la matiere ſubtile, qui tranſmet l’action de la Lumiere, &c. Mais il ne s’enſuiuroit pas pour cela que ce mouuement fuſt la Lumiere, non plus que le heurt du baſton de l’aueugle n’eſt pas la pierre, bien qu’il en tranſmette l’action. Et ſi la pierre auoit du 20 ſentiment, elle ſentiroit le mouuement du baſton de l’aueugle ; mais ce mouuement n’eſt pas l’aueugle qui meut, donc le mouuement de la matiere ſubtile n’eſt pas la Lumiſre qui la meut.

5. Mais qu’eſt-ce que cette matiere ſubtile ? Car elle 25 n’eſt ny eau, ny air, ny ether, puiſque tous ſont tranſparens, & par conſequent poreux, & remplis de cette matiere, comme meſme vous l’affirmez en la page 122 des Meteores. Et puiſque vous l’apelez ſubtile au regard de tous les corps, il faut que ce ſoit vn corps 30 ſimple plus ſubtil meſme que l’Ether. Et puis qu’en la nature nous voyons vn ſi bel ordre des corps ſimples, & que les plus ſubtils ſe logent touſiours au deſſus des plus craſſes, comme il eſt meſme euident par la Chymie, pourquoy cette matiere, qui ſelon vous doit 5 occuper la moitié du lieu des corps ſimples, n’aura-t-elle point de ſphere propre ? Or ſoit que vous luy en donniez, | ou que vous ne luy en donniez point, elle ne ſera pas tranſparente ; autrement par la page 122 cy-deſſus cottée, elle auroit auſſi des pores, qui ſeroient 10 encore remplis d’vne autre matiere ſubtile, & ainſi à l’infiny. Et ſi elle n’eſt point tranſparente, elle ne pourra donc point tranſmettre la Lumiere, comme vous diſiez cy-deſſus, page 259. Car il n’y a que les corps tranſparens qui la puiſſent tranſmettre.

15 6. De plus quel mouuement attribuez-vous à cette matiere ? Car c’eſt encore icy où ie voy de la difficulté & contrarieté. Vû qu’aux nombres 12 & 13 cy-deſſus, & par voſtre figure des petites boules, qui de l’air viennent dans l’eau, il apert que ces petites boules 20 deſcendent d’enhaut en ligne droite. Et bien que, par le nombre 12, auec le mouuement rectiligne cauſé par les corps lumineux, vous leur donniez le circulaire, comme propre, en ſorte que meſme par l’air elles deſcendent en ligne droite, mais muës circulairement 25 à l’entour de leurs centres ; neantmoins au nombre 13 vous dites, tout au contraire, que la boule commence ſeulement à tournoyer rencontrant la ſuperficie de l’eau, ou de quelque autre corps plus denſe que l’air. Mais en premier lieu, donnant à voſtre

3 craſſes] groſſieres. — 8 : 122] 159. — 9 deſſus] deuant (de même 13 et 17). — 19 apert] eſt euident.

matiere ſubtile ce mouuement rectiligne de l’air en

l’eau, il faudra auſſi que vous le donniez en l’air de plus haut, & ainſi à l’infiny, ſi vous nosup que cette matiere fort meſme des corps lumineux : ce qui non ſeulement eſt contre voſtre page 5 de la 5 Dioptrique, où vous dites qu’il n’eſt pas beſoin de ſupoſer qu’il paſſe quelque choſe de materiel depuis les objets iuſques à nos yeux, pour nous faire voir les couleurs & la Lumiere, mais meſme repugne au ſens & à la raiſon. Car qui eſt l’homme de bon ſens qui dira que 10 d’vn ver luiſant, ou d’vne étincelle de feu, il puifle fortir de la matiere pour remplir toute la ſphere, dont l’vn ou l’autre ſe peut voir auec d’excellentes lunettes de voſtre inuention, ſans la totale diſſipation du ver luiſant, quand meſme il ſeroit mille fois plus gros 15 qu’il n’eſt, quelque ſubtile qu’en fuſt l’éuaporation ? Et neantmoins il ne ſe diſſipe point, bien que de | minute en minute d’heure on le changeaſt en diuerſes ſpheres, leſquelles il rempliroit en meſme façon. En ſecond lieu, ſi cette matiere ſubtile, ou ces petites boules 20 qui en ſont les parties, auoient ce mouuement rectiligne, elles ne pourroient par leur mouuement tranſmettre l’action de la Lumiere du Soleil & des Etoiles en vn inſtant, contre ce que vous-meſme aſſurez en la page 44 de voſtre Methode ; car aucun corps naturel 25 ne peut trauerſer vn eſpace que ſucceſſiuement vne partie après l’autre. Voire la meſme choſe ſe déduit neceſſairement de voſtre page 259, où vous dites que la nature des couleurs apparentes & cauſées par la Lumiere ne conſiſte qu’en ce que les parties de la 30

3 ne concedez] n’accordez.

matiere ſubtile, qui tranſmet l’action de la Lumiere,

tendent à tournoyer auec plus de force, qu’à ſe mouuoir en ligne droite ; en ſorte que celles qui tendent à tournoyer beaucoup plus fort, cauſent la couleur 5 rouge, & celles qui ne tendent qu’vn peu plus fort, cauſent la jaune. Car bien que le tournoyement d’vne boule ſe fiſt en vn inſtant (ce qui eſt faux, & contre voſtre page 257, où vous voulez que le point 2 de la boule marquée 1234 arriue plutoſt à la ſuperficie de 10 l’eau YY que le point 1), neantmoins puiſque ſelon vous le mouuement rectiligne de la boule eſt plus lent que ſon tournoyement, le mouuement rectiligne, qui eſt celuy qui tranſmet l’action de la Lumiere, ne ſe fera pas en vn inſtant.

15 Ie ſerois trop long ſi ie vous mettois icy toutes les autres difficultez que ie voy en l’hypotheſe de voſtre matiere ſubtile, & de ſes mouuemens en toute la nature : c’eſt pourquoy ie veux finir par voſtre autre hypotheſe des pores en l’air, en l’eau, & dans les 20 autres corps tranſparens.

7. Page 122 de la Dioptrique, vous dites que les pores de chacun des corps tranſparens ſont ſi vnis & ſi droits, que la matiere ſubtile, qui peut y entrer, coule facilement tout du long ſans rien trouuer qui l’arreſte ; 25 mais que ceux de deux corps tranſparens de diuerſe nature, comme ceux de l’air, & ceux du verre ou du criſtal, ne ſe raportant ia|mais ſi juſtement les vns aux autres, qu’il n’y ait touſiours pluſieurs des parties de la matiere ſubtile, qui, par exemple, venant de l’air vers le verre, s’y 30 reflechiſſent, à cauſe qu’elles rencontrent les parties ſolides de ſa ſuperficie, &c. Sur quoy ie vous diray que ſi l’air & l’eau eſtoient durs & ſolides comme le criſtal, & immobiles, vous pourriez peut-eſtre auoir quelque apparence de raiſon ; mais eſtant de nature fluide & facile à mouuoir & agiter, lors qu’ils ſont agitez par les vents, cette rectitude de pores ne peut pas ſubſiſter, 5 mais il ſe fait confuſion du ſolide de l’air, ou de celuy de l’eau, auec ſes pores. Et partant, la matiere ſubtile qui tranſmet la Lumiere trouuant de l’obſtacle en tous les pores où elle entre, il s’enſuit qu’en plein midy, l’air eſtant fort ſerein, mais agité de vens, on 10 ne verra goutte, ou au moins on verra plus obſcurement & confuſement, (qui ſont deux conſequences contraires à l’experience), ou enfin que voſtre hypotheſe des pores droits pour le paſſage de la matiere ſubtile, & traiet de la Lumiere, eſt ſuperfluë. Cecy 15 peut-eſtre paroiſtra plus clairement par cette queſtion que ie vous fais. Suppoſons que de nuit vous ſoyez en raſe campagne, & quauec vos lunettes vous voyez à vne lieuë de vous vn ver luiſant, ou vne étincelle, & que de voſtre coſté vers l’étincelle il ſoufle vn vent 20 fort vehement, ie vous demande : qui pouſſe le plus la matiere ſubtile contenue dans les pores de l’air qui eſt entre vous & l’étincelle ? ou le vent, ou la lumiere de l’étincelle ? Et ie croy que vous répondrez qu’il ne ſe fait aucun pouſſement de matiere, depuis l’étincelle 25 vers vous ; mais qu’au contraire tout l’air deſigné cy-deſſus, enſemble ſes pores, & toute la matiere y contenue, ſont pouſſez depuis vous vers l’étincelle, voire auec telle violence, que tant s’en faut qu’elle puiſſe ſurmonter le vent à pouſſer, qu’au contraire 30

11 au] du. — 27 deſſus] deuant.

meſme ſera emportée par le pouſſement du vent. Donc

i’eſtime que ce ſoit erreur de penſer que les corps lumineux pouſſent contre nos yeux vne matiere ſubtile contenue dans les pores de | l’air, par laquelle leur 5 lumiere nous eſt tranſmiſe.

8. Finalement ſi, ſelon la page 122 de la Dioptrique, les pores de chacun des corps tranſparens ſont ſi vnis & ſi droits, que la matiere ſubtile qui peut y entrer, coule facilement tout du long, ſans rien trouuer qui l’arreſte, il 10 eſt certain que cela ſeroit principalement vray du verre & du criſtal, qui font des cors durs & ſolides. Or cela eſtant ſupoſé, il s’enſuiuroit que le Soleil éclaireroit autant à trauers vn verre de dix piez d’épaiſſeur, qu’à trauers le meſme verre réduit à vne ſeule 15 ligne d’épaiſſeur. Car la matiere ſubtile venant de l’air, & eſtant pouffée en ligne droite par le Soleil, rencontreroit les meſmes pores en l’vne & en l’autre épaiſſeur, qui eſtant droits & vnis, cette matière y entreroit & couleroit ſans obſtacle auec meſme 20 facilité. Or, qu’vne differente épaiſſeur de meſme verre cauſe meſme lumière, c’eſt contre l’experience, Ioint qu’en vn meſme verre ſe pouuant prendre deux ſuperficies opoſées & paralleles en cent mille differentes manieres, il s’enſuiuroit que ſi ſelon vne maniere la 25 Lumiere paſſoit par les pores de la ſuperficie qui luy eſt oppoſée ſans rencontrer aucun obſtacle ſolide, elle ne le pourroit ſelon toutes les autres manieres ; & par conſequent la Lumiere ne pourroit penetrer le verre par quelques deux ſuperficies paralleles que ce fuſt ; 30 ce qui repugne à l’experience. Et cela vous eſt

2 ce ſoit] c’eſt.

ayſé à conceuoir, ſupoſant au verre des pores ouuers

en ligne droite d’vne de ſes ſuperficies à l’autre. Car ils ne pourroient eſtre ouuers en ligne droite de chaque ſuperficie à ſon opoſée ; autrement il n’y auroit rien de ſolide dans le verre. 5

9. Si les corps lumineux pouſſent en ligne droite la matiere ſubtile qui tranſmet l’action de la Lumiere, ſupoſons le globe diaphane d’air ou d’eau A B C D, dont le centre ſoit E, & en A & B mettons deux corps lumineux d’égale 10 vertu ; il arriuera l’vne de ces deux abſurditez, à ſçauoir, ou que ces corps lumineux ne ſeront point vûs des lieux diametralement opoſez C & D, ce qui ſeroit contre | l’experience ; 15 ou que la matiere ſubtile contenuë au centre E ſera au meſme inſtant en diuers lieux, ce qui repugne à la nature des corps. Et cela ſe prouue clairement, en ce que A ne peut eſtre vû de C, que la matiere ſubtile & centrale E ne ſoit pouſſée vers C en 20 ligne droite. Et de meſme B ne peut eſtre vû de D, que la meſme matiere E ne ſoit pouſſée vers D. Et ainſi d’vne infinité de corps lumineux poſez à la ſuperficie d’iceluy globe.

Ie pourrois vous propoſer pluſieurs autres difficultez 30 ſur diuers points de voſtre Phyſique ; mais pour le preſent ie me contenteray d’eſtre par vous éclaircy ſur le ſujet de la Lumiere, ſi vous me iugez digne de cette faueur. Le R. P. Merſenne vous peut aſſurer que i’ay touſiours eſté l’vn de vos partiſans ; & de mon 30

1 au] dans le.

naturel ie haïs & ie deteſte cette racaille d’eſprits malins, qui voyans paroiſtre quelque eſprit releué,

comme vn Aſtre nouueau, au lieu de luy ſçauoir bon gré de ſes labeurs & nouuelles inuentions, s’enflent 5 d’enuie contre luy, & n’ont autre but que d’offuſquer ou éteindre ſon nom, ſa gloire, & ſes merites ; bien qu’ils ſoient par luy tirez de l’ignorance des choſes dont liberalement il leur donne la connoiſſance. I’ay paſſé par ces piques, & ſçay ce qu’en vaut l’aune[133] ; 10 la poſterité plaindra mon malheur &, parlant de ce ſiecle de fer, dira auec verité que la fortune n’eſtoit pas pour les hommes ſçauans. Ie ſouhaitte neantmoins qu’elle vous ſoit plus fauorable qu’à moy, afin que nous puiſſions voir voſtre nouuelle Phyſique, 15 par les principes de laquelle ie ne doute point que vous ne puiſſiez reſoudre nettement toutes mes difficultez. C’eſt pourquoy attendant l’honneur de voſtre réponſe, ſelon que le permettra voſtre loiſir, ie vous prie de croire qu’entre tous les hommes de lettres de 20 ma connoiſſance, vous eſtes celuy que i’honore le plus, pour voſtre vertu & vos genereux deſſeins ; & que ie m’eſti|meray heureux toute ma vie, ſi vous m’accordez la qualité de, &c.

De Paris, ce 22 Fev. 1638.
CIX.
Descartes au [P. Vatier].
[22 février 1638.]
Texte de Clerselier, tome I, lettre 114, p. 513-518.

« A vn Reuerend Pere Iesuite », sans nom ni date. Mais Descartes nous apprend dans deux lettres postérieures que c’est un Jésuite de La Flèche (Lettre CXIV ci-après ; Clers., II, 378), le P. Vatier (Lettre CXII ; Clers., III, 189). Quant à la date, Descartes déclare (p. 561, l. 24) qu’il a reçu « il n’y a que huit iours » les objections d’un médecin de Louvain, c’est-à-dire celles de Plempius, auxquelles il a répondu, à ce qu’il semble, sur-le-champ, le 15 février (Lettre CVII ci-avant) : celle-ci serait donc du lundi 22 février.

Mon Reuerend Pere,

Ie ſuis rauy de la faueur que vous m’auez faite, de voir ſi ſoigneuſement le liure de mes Eſſais, & de m’en mander vos ſentimens auec tant de temoignages de bien-veillance. Ie l’euſſe accompagné d’vne lettre en 5 vous l’enuoyant, & euſſe pris cette occaſion de vous aſſurer de mon tres-humble ſeruice, n’euſt eſté que i’eſperois le faire paſſer par le monde ſans que le nom de ſon autheur fuſt connu ; mais puiſque ce deſſein n’a pu reunir, ie dois croire que c’eſt plutoſt l’affection 10 que vous auez euë pour le pere, que le merite de l’enfant, qui eſt cauſe du fauorable accueil qu’il a receu chez vous, & ie fuis tres-particulierement obligé de vous en remercier. Ie ne ſçay ſi c’eſt que ie me flatte de pluſieurs choſes extremement à mon auantage, qui ſont dans les deux lettres que i’ay receües de voſtre part, mais ie vous diray franchement, que de tous ceux qui m’ont obligé de m’aprendre le iugement 5 qu’ils faiſoient de mes écrits, il n’y en a aucun, ce me ſemble, qui m’ait rendu ſi bonne iuſtice que vous, ie veux dire ſi fa|uorable, ſans corruption, & auec plus de connoiſſance de cauſe. En quoy i’admire que vos deux lettres ayent pû s’entreſuiure de ſi prez ; car ie 10 les ay preſque receües en meſme temps ; & voyant la premiere ie me perſuadois ne deuoir attendre la ſeconde, qu’apres vos vacances de la S. Luc[134].

Mais afin que i’y réponde ponctuellement, ie vous diray premierement, que mon deſſein n’a point eſté 15 d’enſeigner toute ma Methode dans le diſcours où ie la propoſe, mais feulement d’en dire aſſez pour faire iuger que les nouuelles opinions, qui ſe verroient dans la Dioptrique & dans les Meteores, n’eſtoient point conceuës à la legere, & qu’elles valoient peut-eſtre 20 la peine d’eſtre examinées. Ie n’ay pû auſſi monſtrer l’vſage de cette methode dans les trois traittez que i’ay donnez, à cauſe qu’elle preſcrit vn ordre pour chercher les choſes qui eſt aſſez different de celuy dont i’ay crû deuoir vſer pour les expliquer. I’en ay 25 toutesfois monſtré quelque échantillon en décriuant l’arc-en-ciel, & ſi vous prenez la peine de le relire, i’eſpere qu’il vous contentera plus, qu’il n’aura pû faire la premiere fois ; car la matiere eſt de ſoy aſſez difficile. Or ce qui m’a fait ioindre ces trois traittez 30 au diſcours qui les precede, eſt que ie me ſuis perſuadé qu’ils pouroient ſuffire, pour faire que ceux qui les auront ſoigneuſement examinez, & conſerez auec ce qui a eſté cy-deuant écrit des meſmes matieres, iugent que ie me ſers de quelqu’autre methode que le commun, & qu’elle n’eſt peut-eſtre pas des plus 5 mauuaiſes.

Il eſt vray que i’ay eſté trop obſcur en ce que i’ay écrit de l’exiſtence de Dieu dans ce traité de la Methode, & bien que ce ſoit la piece la plus importante, i’auouë que c’eſt la moins élabourée de tout 10l’ouurage ; ce qui vient en partie de ce que ie ne me ſuis reſolu de l’y ioindre que ſur la fin, & lors que le Libraire me preſſoit. Mais la principale cauſe de ſon obſcurité vient de ce que ie n’ay oſé m’étendre ſur les raiſons des ſceptiques, ny dire toutes les choſes qui 15 ſont neceſſaires ad abducendam mentem à ſenſibus : car il n’eſt pas poſſible de bien connoiſtre la certitude & l’euidence des rai|ſons qui prouuent l’exiſtence de Dieu ſelon ma façon, qu’en ſe ſouuenant diſtinctement de celles qui nous font remarquer de l’incertitude 20en toutes les connoiſſances que nous auons des choſes materielles ; & ces penſées ne m’ont pas ſemblé eſtre propres à mettre dans vn liure, où i’ay voulu que les femmes meſmes puſſent entendre quelque choſe, & cependant que les plus ſubtils 25 trouuaſſent auſſi aſſez de matière pour occuper leur attention. I’auouë auſſi que cette obſcurité vient en partie, comme vous auez fort bien remarqué, de ce que i’ay ſupoſé que certaines notions, que l’habitude de penſer m’a rendu familieres & euidentes, le deuoient eſtre 30 auſſi à vn chacun ; comme par exemple, que nos idées ne pouuant receuoir leurs formes ny leur eſtre que de quelques objets exterieurs, ou de nous-meſmes, ne peuuent repreſenter aucune realité ou perfection, qui ne ſoit en ces objets, ou bien en nous, & ſemblables ; 5 ſur quoy ie me ſuis propoſé de donner quelque éclairciſſement dans vne ſeconde impreſſion.

I’ay bien penſé que ce que i’ay dit auoir mis en mon traitté de la Lumiere, touchant la creation de l’Vniuers, ſeroit incroyable ; car il n’y a que dix ans, 10 que ie n’euſſe pas moy-meſme voulu croire que l’eſprit humain euſt pû atteindre iuſqu’à de telles connoiſſances, ſi quelque autre l’euſt écrit. Mais ma conſcience, & la force de la verité m’a empeſché de craindre d’auancer vne choſe, que i’ay crû ne pouuoir 15 obmettre ſans trahir mon propre party, & de laquelle i’ay defia icy aſſez de témoins. Outre que ſi la partie de ma Phyſique qui eſt acheuée & miſe au net il y a defia quelque tems, voit iamais le iour, i’eſpere que nos neueux n’en pourront douter.

20 Ie vous ay obligation du ſoin que vous auez pris d’examiner mon opinion touchant le mouuement du cœur ; ſi voſtre Medecin a quelques objections à y faire, ie ſeray tres-ayſe de les receuoir, & ne manqueray pas d’y répondre. Il n’y a que huit iours que 25 i’en ay receu ſept ou huit ſur la meſme matière d’vn Profeſſeur en Medecine de | Louuain, qui eſt de mes amis, auquel i’ai renuoyé deux feüilles de réponſe, & ie ſouhaiterois que i’en puîſſe receuoir de meſme façon, touchant toutes les difficultez qui ſe 30 rencontrent en ce que i’ay taſché d’expliquer ; ie ne manquerais pas d’y répondre ſoigneuſement, & ie m’aſſure que ce ſeroit ſans deſobliger aucun de ceux qui me les auroient propoſées. C’eſt vne choſe que pluſieurs enſemble pourroient plus commodement faire qu’vn ſeul, & il n’y en a point qui le puſſent mieux, que ceux de voſtre Compagnie. le tiendrois à tres-grand honneur 5 & faueur, qu’ils vouluſſent en prendre la peine ; ce ſeroit ſans doute le plus court moyen pour découurir toutes les erreurs, ou les veritez de mes écrits.

Pour ce qui eſt de la Lumiere, ſi vous prenez garde à la troiſiéme page de la Dioptrique, vous verrez que 10 i’ay mis là expreſſement que ie n’en parleray que par hypotheſe ; & en effet, à cauſe que le traitté qui contient tout le cors de ma Phyſique porte le nom de la Lumiere, & qu’elle eſt la choſe que i’y explique le plus amplement & le plus curieuſement de toutes, ie n’ay 15 point voulu mettre ailleurs les meſmes choſes que là, mais ſeulement en repreſenter quelque idée par des comparaiſons & des ombrages, autant qu’il m’a ſemblé neceſſaire pour le ſujet de la Dioptrique.

Ie vous ſuis obligé de ce que vous témoignez eſtre 20 bien-aiſe, que ie ne me ſois pas laiſſé deuancer par d’autres en la publication de mes penſées ; mais c’eſt de quoy ien’ay iamais eu aucune peur : car outre qu’il m’importe fort peu, ſi ie ſuis le premier ou le dernier à écrire les choſes que i’écris, pourvû ſeulement 25 qu’elles ſoyent vrayes, toutes mes opinions ſont ſi iointes enſemble, & dependent ſi fort les vnes des autres, qu’on ne s’en ſçauroit approprier aucune ſans les ſçauoir toutes. Ie vous prie de ne point differer de m’apprendre les difficultez que vous trouuez en ce que 30 i’ay écrit de la refraction, ou d’autre choſe ; car d’attendre que mes ſentimens plus particuliers touchant la Lumiere | ſoient publiez, ce ſeroit peut-eſtre attendre long-temps. Quant à ce que i’ay ſupoſé au commencement des Meteores, ie ne le ſçaurois demonſtrer 5 à priori, ſinon en donnant toute ma Phyſique ; mais les experiences que i’en ay deduites neceſſairement, & qui ne peuuent eſtre deduites en meſme façon d’aucuns autres principes, me ſemblent le demonſtrer aſſez à poſteriori. I’auois bien preuû que cette façon d’écrire 10 choqueroit d’abord les lecteurs, & ie croy que i’euſſe pû aiſement y remedier, en oſtant ſeulement le nom de ſupoſitions aux premieres choſes dont ie parle, & ne les declarant qu’à meſure que ie donnerois quelques raiſons pour les prouuer ; mais ie vous diray 15 franchement que i’ay choiſi cette façon de propoſer mes penſées, tant pource que croyant les pouuoir deduire par ordre des premiers principes de ma Metaphyſique, i’ay voulu negliger toutes autres ſortes de preuues ; que pource que i’ay deſiré eſſayer ſi la ſeule 20 expoſition de la vérité ſeroit ſuffiſante pour la perſuader, ſans y méfier aucunes diſputes ny refutations des opinions contraires. En quoy ceux de mes amis qui ont lû le plus ſoigneuſement mes traittez de Dioptrique & des Meteores, m’aſſurent que i’ay reüſſi : car 25 bien que d’abord ils n’y trouuaſſent pas moins de difficulté que les autres, toutesfois après les auoir lûs & relûs trois ou quatre fois, ils diſent n’y trouuer plus aucune choſe qui leur ſemble pouuoir eftre reuoquée en doute. Comme en effet il n’eſt pas touſiours neceſſaire 30 d’auoir des raiſons à priori pour perſuader vne verité ; & Thales, ou qui que ce ſoit, qui a dit le premier que la Lune reçoit ſa lumiere du Soleil, n’en a donné ſans doute aucune autre preuue, ſinon qu’en ſupoſant cela, on explique fort aiſement toutes les diuerſes faces[135] de ſa lumiere : ce qui a eſté ſuffiſant pour faire que, depuis, cette opinion ait paſſé par le 5 monde ſans contredit. Et la liaiſon de mes penſées eſt telle, que i’oſe eſperer qu’on trouuera mes principes auſſi bien prouuez par les conſequences que i’en tire, lors qu’on les aura aſſez remarquées pour ſe les rendre fami|lieres, & les conſiderer toutes enſemble, que 10 l’emprunt que la Lune fait de ſa lumiere eſt prouué par ſes croiſſances & décroiſſances.

Ie n’ay plus à vous répondre que touchant la publication de ma Phyſique & Metaphyſique, ſur quoy ie vous puis dire en vn mot, que ie la deſire autant ou 15 plus que perſonne, mais neantmoins auec les conditions ſans leſquelles ie ſerois imprudent de la deſirer. Et ie vous diray auſſi que ie ne crains nullement au fons qu’il s’y trouue rien contre la foy ; car au contraire i’oſe me vanter que iamais elle n’a eſté ſi fort 20 appuyée par les raiſons humaines, qu’elle peut eſtre ſi l’on ſuit mes principes ; & particulierement la Tranſubſtantiation, que les Caluiniſtes reprennent comme impoſſible à expliquer par la Philoſophie ordinaire, eſt tres-facile par la mienne. Mais ie ne voy aucune 25 aparence que les conditions qui peuuent m’y obliger s’accompliſſent, au moins de long-temps ; & me contentant de faire de mon coſté tout ce que ie croy eſtre de mon deuoir, ie me remets du reſte à la prouidence qui regit le monde ; car ſçachant que c’eſt elle qui m’a 30 donné les petits commencemens dont vous auez vû des eſſais, i’eſpere qu’elle me fera la grace d’acheuer, s’il eſt vtile pour ſa gloire, & s’il ne l’eſt pas, ie me veux abſtenir de le deſirer. Au reſte ie vous aſſure que 5 le plus doux fruit que i’aye recueilly iuſqu’à preſent de ce que i’ay fait imprimer, eſt l’approbation que vous m’obligez de me donner par voſtre lettre ; car elle m’eſt particulierement chere & agreable, pource qu’elle vient d’vne perſonne de voſtre merite & de 10 voſtre robbe, & du lieu meſme où i’ay eu le bon-heur de receuoir toutes les inſtructions de ma ieuneſſe, & qui eſt le ſejour de mes Maiſtres, enuers leſquels ie ne manqueray iamais de reconnoiſſance. Et ie ſuis, &c.




ADDITIONS
ADDITIONS
VI bis.
Balzac a Descartes.
Paris, 30 mars 1628.
Socrate Chrestien, par le Sr de Balzac, et autres Œuvres du mesme Autheur.
(Paris, Augustin Courbé, in-12, 1657, p. 345 ; 1661, p. 239, etc.)

Cette lettre est celle que D. Nisard avait signalée (voir plus haut, p. 6, l. 3-7), comme remercîment adressé à Descartes pour l’Apologie qu’il avait composée en faveur de Balzac. La page qui la précède, dans les éditions ci-dessus indiquées du Socrate chrestien (p. 343 ou p. 237), donne en faux-titre : Trois Discours enuoyez à Monsieur Descartes. En effet, cette lettre, qui manque dans la grande édition des Œuvres de Balzac, 2 vol. in-f°, 1665, se trouve jointe, dans les éditions particulières du Socrate chrestien, aux trois Discours ou Dissertations : Le Sophiste Chicaneur. Le Chicaneur convaincu de faux. La dernière objection du Chicaneur refutée. Elle sert donc à dater par approximation, non seulement, comme nous l’avons vu, la Lettre VI, dont elle accuse réception, mais aussi ces trois Dissertations ; elle confirme et précise ainsi une conjecture que nous avions proposée, p. 12, dernier éclaircissement.

Monſieur,

I’ay receu le Diſcours Latin que vous auez fait. le n’oſerois l’appeler voſtre Iugement ſur mes Eſcrits, parce qu’il m’eſt trop auantageux, & que peut-eſtre voſtre affection a corrompu voſtre integrité. Quoy qu’il en ſoit, vous auez droit de iuger, & vous ſçauez que quand le Preteur fait vne iniuſtice, il ne laiſſe pas de faire ſa charge. 5

Puiſque vous me i’ordonnez, ie vous enuoye les trois Diſcours, ſur le dernier deſquels vous me laiſſaſtes en partant d’icy*. En quelques endroits i’y traite vn peu mal les Philoſophes Stoïques, c’eſt à dire les Cyniques mitigez. Car comme vous dites, ils parlent 10 bien auſſi haut, mais ils parlent à leur aiſe, & ne ſont pas dans l’auſterité de la Regle, quoy qu’ils tiennent les meſmes Maximes. I’ay crû en cela vous plaire, & chatouiller voſtre belle humeur[136]. Au premier iour vous aurez les autres Diſcours, après leſquels mon 15 copiſte ſe va mettre dés demain. Si on les ſepare dans l’impreſſion, il y en aura quinze ou ſeize ; ſi on les aſſemble, ils ſeront deux iuſtes Apologies. I’ay rendu moy-meſme le paquet à Mademoiſelle de Neufuic. Elle vous doit reſpondre par vne Dame de ſes amies qui 20 eſt ſur le point de faire vn voyage en Bretagne*.

Au reſte, Monſieur, ſouuenez-vous, s’il vous plaiſt, De l’Histoire de vostre esprit. Elle eſt attenduë de tous nos amis, & vous me l’auez promiſe[137] en preſence du Pere Clitophon, qu’on appelle en langue vulgaire 25 Monſieur de Gerſan*. Il y aura plaiſir à lire vos diuerſes auantures dans la moyenne & dans la plus haute region de l’air ; à conſiderer vos proüeſſes contre les Geans de l’Eſcole, le chemin que vous auez tenu, le progrez que vous auez fait dans la verité des choſes, &c.

I’oubliois à vous dire que voſtre Beurre a gagné ſa 5 cauſe contre celuy de Madame la Marquiſe[138]. A mon gouſt, il n’eſt gueres moins parfumé que les Marmelades de Portugal, qui me ſont venuës par le meſme meſſager. Ie penſe que vous nourriſſez vos Vaches de mariolaine & de violettes. Ie ne ſçay pas meſme s’il 10 ne croiſt point de cannes de Sucre dans vos Marais, pour en graiſſer ces excellentes Faiſeuses de lait. I’attens de vos nouuelles bien au long, & fuis toujours auec paſſion,

Monſieur,
15
Voſtre tres-fidele ſeruiteur & tres-humble,
Balzac

A Paris, ce 30 Mars 1628.

Page 570, l. 8 et 21. — Nous avons vu (au bas de la page 6) que le 22 janvier 1628 Descartes était déjà en Bretagne. Cette lettre nous apprend qu’il y était encore le 30 mars 1628, sans doute encore pour quelque temps. Se sera-t-il rendu directement de là au siège de La Rochelle, où il arriva vers la fin d’août, sans faire un détour jusqu’à Paris ? Ou bien sera-t-il revenu ? à Paris vers le mois de juin, par exemple, Baillet (t. I, p. 153-154) plaçant cet été-là son séjour dans la maison de M. Le Vasseur, et sa disparition subite ?

Page 570, l. 26. — François du Soucy, sieur du Gerzan, romancier et philosophe hermétique, que Balzac appelle ici Clitophon, soit en souvenir du roman grec le plus ancien, Les Amours de Clitophon et de Leucippe, d’Achille Tatius ;

Clitophon a le pas par droit d’antiquité

dira Lafontaine (t. IX, p. 25, édit. Régnier), soit par allusion à un ancien philosophe du même nom, personnage d’un dialogue apocryphe de Platon. Justement Gerzan venait de publier L’histoire africaine de Cleomede et de Sophonisbe (Paris, 1627-1628, 3 vol. in-8). Il publiera ensuite un Sommaire de la medecine chymique (Paris, 1632, in-8), et surtout, beaucoup plus tard, Le grand or potable des anciens philosophes (Paris, 1653, in-12), c’est-à-dire un moyen infaillible de prolonger la vie, dont il se vantait d’avoir éprouvé l’efficacité sur lui-même.

LETTRE XIII, page 69, lignes 3-5.

Rapprocher de cette promesse ou de cette espérance ce que Pierre Borel, dans son Compendium Vitæ R. Cartesii, 1653, rapporte de Descartes, sur la foi de Villebressieu : « audiuique a D. Brcssiæo Ferrerium ejus (i. e. Cartesii) ductu fecisse conspicillum hyperbolicum optimum, quo etiam plantularum folia magna e tribus leucis cernerentur. » (p. 31 de la 2e édit., 1676).

Pour les autres merveilles que rapporte Borel, voir p. 211-212, éclaircissement.

Voir aussi l’incrédulité avec laquelle Descartes accueille une semblable promesse, faite par Hortensius (lettres du 28 oct. et du 1er nov. 1635, p. 327, l. 11 et 12, et p. 330-331).

LETTRE XV, pages 76-82.

On voit dans une lettre que Mersenne écrivit à Peiresc, en lui envoyant son Harmonie universelle (lettre non datée, mais qui est de 1636 ou 1637), que lui-même a eu aussi son projet de langue universelle :

« Ie me suis imaginé vne sorte d’escripture et vn certain idiome vniuersel qui vous pourroit seruir…, en dressant vn alphabet qui contient tous les idiomes possibles, et toutes les dictions qui peuuent seruir a exprimer chasque chose en telle langue qu’on voudra. Il a ceste proprieté que sa seule lecture peut tellement enseigner la Philosophie accomodée a son ordre, qu’on ne peut l’oublier, ou, si on l’oublie, qu’on peut la restablir sans l’aydc d’aulcun ; mais parce qu’il suppose l’instruction dvn quart d’heure pour en expliquer l’vsage a ceux qui n’entendent pas nostre maniere d’escripre et de parler, ie vous diray seulement que vostre nom est la 15, 777, 318, 656 diction de cet alphabeth, lequel comprend plus de millions de vocables qu’il n’y a de grains de sable dans toute la terre, quoy qu’il soit si aysé a apprendre et a retenir, que l’on n’a besoing d’aulcune mémoire, pourueu que l’on ayt vn peu de jugement. Or vous ne croyrez pas que le discours dont je vous entretiens soit hors de propos, si vous lisez la 13e, 14e et 15e proposition du Livre des Chants, dans lesquelles i’explique les particularitez de ceste escripture vniuerselle, ioint que ie donne le meilleur idiome de tous les possibles et tous ceux qui peuuent estre inuentez dans la 47e et 48e du Livre de la Voix, et que vostre trez excellent esprit peut tirer plusieurs beaux secretz de ces propositions, de sorte que i’ose esperer qu’elles vous donneront quelque lumiere pour inuenter la manière de communiquer auec tous les peuples du Nouueau Monde qui nous peuuent ayder de leurs obseruations. » (P. 160-161, des Correspondants de Peiresc, p. p. Tamizey de Larroque, fasc. XIX, Paris, Picard, 1894.)

Dans une lettre à Gassend, le 1er janv. 1636, Mersenne rapporte une tentative du même genre d’un inventeur contemporain, Jean Le Maire : « Dominus Le Maire, de quo crediderim tecum Dominus Peirescius collocutus fuerit, proponit se dubio procul alphabetum atque adeò linguam reperisse, quibus Sinensès, vel alios quosuis orbigenas ita posset literis seu epistolis alloqui, vt absque præuio pacto, doctore, mediatore, responsum ab illis de omnibus quæsitis impetret ; quod arcanum nulli reuelare cupit. Vide tamen interim num istum nodum possis exsoluere ; licet enim illis figuras omnium vestrarum arborum mitteres eâ lege vt ad te remittant suas præcipuas arbores, quomodo sciant quod petas ? » (Gassendi Opera, VI, 430, col. 2).

LETTRE LI, pages 275-277.

La première partie de cette lettre se trouve expliquée et complétée par trois documents imprimés quelque temps après:

i « Dans un ouvrage écrit contre Stampioen, sous l’inspiration de Descartes et même avec sa collaboration (voir une lettre à Huygens ( ?) d’octobre 1639, Clers., III, 417), Aenmerckingen op den Nieuwen Stel-Regel van Iohan Stampioen d’Jonge (Leyde, Jan Maire, 1639), le mathématicien Waessenaer rappelle une question proposée il y a bien des années (veele jaeren langh) par Stampioen; il en reproduit tout au long l’énoncé avec la figure, et y ajoute, sans explication ni démonstration, la solution donnée, dit-il, il y a six ans (oversesjaren), ce qui nous reporte bien à la fin de i633.

2 » Stampioen, dans une réplique à cet opuscule de Waessenaer, WisKonstigh ende Reden-Maetigh bewiis op den Reghel, etc. (La Haye, 1640), m

��Correspondance.

��raconte que cette question fut soumise, par l'intermédiaire de Beeckman, à un mathématicien, et il donne la solution de ce mathématicien, telle qu'elle lui l'ut envoyée, c'est-à-dire en français. Or cette solution se trouve non seulement conforme à celle que Waessenaer venait de publier en flamand ; mais elle est, mot pour mot, l'exacte reproduction de celle que donne Descartes dans la Lettre LI à Stampioen (p. 276, 1. 2-6), avec l'é- quation en plus qui manquait dans cette Lettre. Ainsi se trouve confirmée une conjecture de Bierens de Haan (Bouwstoffen voor de Geschiedenis der Wis- en Natuurkundige Wetenschappen in de Nederlanden, extrait •des Verslagen en Mededeelingen der Koninklijke Akademie, etc., 3 d * Reeks, Deel III, 76) et de D.-J. Korteweg (Constantin Huygens amateur des sciences exactes, p. 3j, note 2, extrait des Archives Néerlandaises, t. XXII), qui, en signalant les premiers le passage de Stampioen, ont pensé que le mathématicien, ami de Beeckman et auteur de la solution en français, ne pouvait être que Descartes.

3° Enfin, dans un second écrit contre Stampioen, auquel Descartes (voir à ce sujet une lettre du i" février 1640) collabora encore plus qu'au pre- mier, Den On-wissen Wis-Konstenaer I. 1. Stampioenius ontdeckt, etc. (Leyde, 1640), Waessenaer ne donne plus seulement l'énoncé et la solu- tion, mais encore l'analyse (Ontbindinghe), de sorte que la question se trouve à la fois traitée aussi bien que résolue.

Au reste, voici textuellement cités les trois passages que nous venons de résumer :

i° Aenmerckingen, etc., de Waessenaer, p. 5--58 :

« In den Recht-hoeckighen drie-hoeck ABC, is ingheschreven het » Viercant DEFG, met de twee Circkels KL, MN, door de welcke sijn

��B

���» ghetrocken twee rechte linien vande Hoecken, als EB, ende DC, ende » de deelen van dese linien inde Circkels begrepen sijn ghegeven, te » weten, het deel KLdoet 7, ende M N doet 5. Hy vraeght naer dese » reste. » « Waer op ick weet dat men hem over ses jaren heeft gheantwoordt,

�� � Additions. 575

t> dat d'eene zijde vanden Drie-hoeck was tôt d'ander, ghelijck een tôt de » waerde van x uyt dese verghelijckinghe 4900 * 6 4- 4899 x s ghelijck » 2354 x A 4- i6858 x 2 -\- 9458 xx 4- 429 x — 4900. Waer uyt de reste » openbaer is. »

2 Wis-Konstigh ende Reden-Maetigh, etc., p. 57-58, Stampioen raconte comment il avait déjà écrit son Algebra ofte Niewve Stel-regel en 1634, et comment il proposa alors des questions comme celle d'un triangle, etc. :

« Welcken Drie-Hoec ick doe-tertijt door inductie van den Rector D. » Beecman aider eerst ghesonden hebbe aen seecker Mathématicien, die » my daer op tôt solutie ghegheven heeft, niet meer als een Verghelij- » ckingh, welcke Verghelijckingh ick naer den Mathématicien sijn seg- » ghen, niet bevondt met de waerheyt over-een te comen. Want de solutie » was dese :

le trouue que la proportion qui eft entre le moindre cofté du Triangle ABC & le plus grand, eft comme Fvnité a l'vne des deux racines qui peuuent eftre tirées de ceteaequation.

4900 x 6 aequat — 4899 x 5 -f- 2^ 54 x 4 -f- 16858 x 3 -f 9458 x x + 429 x — 4900.

« Daer nae so bevonde ick dat de selfde Verghelijckings waerden niet » en waren tôt de eenheyt ghelijck BC tôt CA. Maer ghelijck de twee » Recht-Hoeck-sijden AB en BC tôt malcanderen. »

Et Stampioen termine p. 58 :

« Ende indien Waessenaer, ofte beter zijn Meester meerder daer van » begeert, mijn Knecht Ondersoeck sal hem eens een beter Verre-kijcker » sonder circkeltjes daer toe weten te drayen : also datmen in een uyr » meerder sal kennen te weghe brenghen, als met desyne in twe ganssche » jaren gedaen is. »

« Maer niettemin 't geen dese Mathématicien al over 6 jaren belooft te » doen, blijft nog on-vol-daen. »

3° Den On-wissen Wis-Konstenaer, etc., de Waessenaer, p. 6o-63, on trouve d'abord la même figure que dans le premier ouvrage Aenmerckin- gen, etc., avec les lignes pôintillées HO, H Q, H L et H S en plus, comme ci-après : puis le même énoncé de la question, avec cette fin plus pré- cise : « Men vraeght naer de zijden des Drie-hoecx » ; enfin l'analyse sui- vante :

Ontbindinghe.

« Vyt H het middelpunt des circkels K L trecke ick H O recht-hoeckich » op BL, ende H S verlenght in Q recht hoekich op RG, ende HL, de

�� � 576 Correspondance.

» half middellie des circkels. Voorts stelle BG ghelijck x, GD ghelijck.y. » Waer uyt volght, BD ghelijck yxx +yy. De halfmiddellijn HSghe- » lijck -i- x + -j-r — T 1^** +rr • BF gel. ■r+J'. F E gel.^, B E gel. » i/xx+2xy + 2jy. BS gel. -y x — 4" .T + 7"|/**+>T- Ende » ghelijck BF totFE, soo is BS totSQ ghelijck

��2 x -H 2^ » Daer van ghetrocken H S rest HQ gelijc

— xx — xy — zyy + (x + 2>-) l/*x +j^

2 AT + 2^*

» Alsoo mede ghelijck BE tôt BF, soo is HQ tôt HO ghelijc

— xx — xy— 7.yy + [x -f 2 y) i/xx—yy

��2 Vxx-\-ixy-\-2yy

» Ten laetsten, het vierkant H O afghetrocken vari 't vierkant H L, rest » het viercant O L gelijck

��y* j/xx -\-yy —y*

ïyy+ 2yx + xx » wiens wortel ghelijck is de helfte vande ghegheven Unie K L, of 7. »

���« Van ghelijcken inden anderen Circkel, nemende FG ghelijck if.door » dien dat FC is tôt FE, gelijck FE ofte DG, tôt BG, soo vintmen

yy x \/xx +yy —yy xx

2 xx -f 2yx +yy

> voor het quadraet van MR de helft van de ghegheven linie MN

» ofte 5. »

« Alsoo de twee bekende linie K L ende M N gheven twee verghehj- » ckingen, door de welcke men soude konnen vinden de twee onbekende

�� � Additions.

��SU

��» xenAe y. Maer om een korter weghte nemen, stelle ick datdese figuer » de selve niet en is inde welcke KL doet 7 ende MN doet 5, maer een » ander die haer gelijck is, inde welcke ick weet dat y of GD is 1 ende » dat O L is tôt M R ghelijck 7 tôt 5, of a tôt b. Waer door om x te vinden » krijgh ick dese vergelijckinge

��bby* \/xx +yy — bby* 2yy+ 2yx + xx

��» gelijck

��aaxyy \/xx -f yy — aaxxyy

2 xx + 2 xy +yy

��» welcke tôt haer redite ordre door de multiplicatie ghebrocht sijnde » komt

��4 aabbx" + 8 aabb

— a*

— 4b*

+ 10 aabb

— 8a*

— 4**

��yx* + 10 aabb

— 4 a*

— 8**

y l xx+ 8 aabb

— 4 a*

— b*

��yy x * + 6 aabb

— 8a*

— 8 b*

��y>x>

��y'x + 4 aabb y" ghelijck o.

��« Ofte stellende 7 plaetse van a, 5 in plaets van b, ende 1 in plaets van » y, komt

4900 x e -f 4899 x* ghelijck 2354 x A + i6858 jc 3 + 9458 xx + 429 x — 4900.

» Soo dat in dese Figuer als DG is i, BG is de waerde van x uyt dese » verghelijckinghe. Ende waer KL doet 7, ende MN doet 5 is de eene » zijde van den drie-hoeck tôt de andere ghelijck 1 tôt de selve waerde » van x, 't welck wy hadden vocrgenomen te vinden. »

u Ende hier staet te bemercken dat dese waerde van x door gène ware » of rationale ghetalen noch in gheen ander gheschickter manière als door » dese verghelijckinghe kan uytghesproken worden. Daer men de onwe- » tenheyt ende onbescheydenheyt van den Voorstelder aen kennen kan, » want in soodanighe questien moetmen altoos maken dat het facit » flechter ofte alsoo flecht sy als het geghevene. Als by ghelijckenisse. » Indien hy gheseyt hadde dat het vierkant van KL ware gheweest 1 591, » ende het vierkant van MN ware gheweest 1456, soude daer uyt ghe- » volght hebben voor facit dat de proportie van AC tôt AB soude sijn » gheweest ghelijck van 20 tôt 21, 't welck den minsten soude hebben » doen ghelooven dat de selve met eenigh verstant voorghestelt was : in » plaetse datmen teghenwoordich moet oordelen dat hy 't niet beter » verstaen en heeft als een Papegay verstaet 'tgheen men hem wil leeren; » ende 'tgheen hy op 't eynde van sijn Reden-matich bewijs begeert, Correspondance. 1 . 73

�� � » datmen hem sal toonen de syden van zijnen voorghcstelden dry-hoeck » ABC in ware ghetalen, is even het selve spel van Doctor Archiforbus, » die wilde datmen eenen Moriaen soude wit maken. »

Ainsi l’énoncé de la question proposée par Stampiocn était le suivant :

Dans le triangle rectangle ABC est inscrit le carré DE F G et dans les triangles partiels DGB, EFC, sont inscrits les cercles KL, MN, qui, sur sur les sécantes D C, EB, interceptent des longueurs données, soit KL — 7, MN=5. On demande de construire le triangle ABC.

Descartes a pris pour inconnue le rapport de AB à AC (ou la tangente de l’angle C). Il est arrivé à l’équation du sixième degré donnée plus haut (p. 575, 1. 5-6), laquelle doit être substituée à celle que nous avions essayé de restituer par conjecture, p. 276, 1. 7.

Pour le cas général (KL = a, MN= b, a*>b), l’équation est donnée dans l’analyse ci-dessus de Waessenaer (en y faisant j— = 1).

Cette équation n’a que deux racines positives, qui sont toujours réelles ; tant que a diffère de b, elles sont inégales, et l’une est supérieure, l’autre inférieure à l’unité. C’est pourquoi Descartes dit « l’vne des deux racines », c’est-à-dire celle qui est supérieure à l’unité.

D’autre part, p. 276, 1. 1 5— 16, il y a lieu désormais de rétablir BC —f BF au lieu de BC —f— 2 G F, la relation indiquée par Descartes (voir la figure de la page 276) étant :

��4 GF 2 X HD = MN 2 X (BC + BF).

LETTRE LXI, page 324, ligne 11.

Par deux fois Mersenne défendit ou voulut défendre Galilée, la première fois, dans l’un des trois petits traités, publiés ensemble à Paris, en 1634 (voir page 303 ci-avant, note a). Et même il fit faire de ce traité un exemplaire tout exprès, avec substitution d’autres pages, afin de pouvoir l’envoyer à l’un de ses amis de Rome, J.-B. Doni, qui lui faisait obtenir de l’autorité ecclésiastique ses licences ou permissions de lire les livres à l’index, et qui devint secrétaire du Sacré-Collège. Non content de cette première défense de l’opinion du mouvement de la terre, Mersenne projetait de défendre Galilée lui-même contre ses détracteurs dans le gros ouvrage qu’il mit bientôt sous presse, et qui ne parut qu’en 1636 : Harmonicorum Instrumentorum, etc. (Lutetiæ Parisiorum, sumptibus Guillielmi Baudry, 1636 ;. dédicace, Id. Nov. 1635). Mais ce second projet fut abandonné. Les lettres qui suivent, du 26 juillet, du 4 déc. 1634 et du 25 mai 1635, nous donnent tous ces détails. Il en résulte que notre lettre LXI n’est peut-être pas de l’automne, mais du printemps de 1635, (le projet de Mersenne auquel Descartes semble faire allusion étant abandonné depuis le 25 mai), à moins qu’il ne s’agisse d’un autre projet, celui de répondre à Morin, par exemple, Mersenne ayant évité de dire à Descartes qu’il prenait ouvertement la défense de Galilée, en voyant son ami si timoré à cet égard.

« Monsieur », écrivait Mersenne à Peiresc, le 26 juillet 1634, « ie vous envoye les 3 petits traitez que i’ay faits… Ie vous prie d’enuoyer à M. Doni, quand vous en trouuerez l’occasion, ceux où son nom est, dont les Questions morales, mathematiques, etc., sont differentes des vostres, pource qu’il y a des raisons pour le mouuement de la terre, sans refutation ; pour lesquelles i’auois mis la sentence des cardinaux (la condamnation de Galilée, prononcée le 22 juin 1633) pour medecine comme vous verrez ; mais pource que l’on me dist qu’il y avoit eu quelque bruict parmi les docteurs de Sorbonne a cause des raisons que ie ne refutois pas, i’ay osté toutes les questions dont ils se pouuoient formaliser, et en ay mis d’autres que vous verrez dans le liure pour Mr Doni, qui sera plus propre pour Rome. Neanmoins, si vous ne vous contentez de les auoir veues la-dedans, ie vous les enuoyeray separées. Au reste, ie n’en enuoye point à Mr Gassendi, pource qu’estant tousiours auec vous, il pourra les lire… » (p. 89-90 des Correspondants de Peiresc, p. p. Tamizey de Larroque, fasc. XIX, Paris, Picard, 1894).

Le 4 déc. 1634, il prie Peiresc de demander pour lui un renseignement à Galilée : « … ce qu’il fera d’autant plus viste, s’il sçait que ie trauaille a respondre pour luy a tous ses enuieux dont i’ay veu les liures, en destruisant leurs raisons, et en affermissant les siennes, lorsque ie les trouue veritables apres les auoir examinées ad lapidem Lydium ; mais ie ne peux acheuer que ie n’aye vu ce qu’escrira Scheiner contre luy, supposé qu’il escriue, comme l’on nous disoit il y a vn an (voir ci-avant p. 283, second alinéa). Or, il ne faut pas que vous ayez peur que ce que ie diray soit iamais censuré, d’autant qu’il sera perpétuellement appuyé sur l’expérience… » (Ib., p. 108-109).

Même lettre, à la fin : « Si vous sçauez quelqu’vn qui ayt escrit contre Galilée, outre Berigard, Ingolfer et Roca, ie vous prie de me l’indiquer ; car puisque i’ay entrepris de defendre la verité qui me sera cognüe, il est necessaire que ie les voye tous. I’attends encore Claramontius (Chiaramonti) de Florence, lequel ie n’ay point encore, contre lui ; i’estime que ce sera le plus habile, car il a desia escrit contre Tycho et Kepler, et ie seray bien ayse de receuoir vos conseils et vos aides tant sur cela que sur les autres choses qui concernent mon labeur. » (Ib., p. 110).

Mais, le 25 mai 1635, il annonce à Peiresc qu’il abandonne ce projet : « I’ay esté soigneux de faire venir d’Italie tous ceux qui ont escrit contre luy (Galilée)… ; mais i’ay trouué qu’ils ne sont quasi pas dignes qu’on les nomme à l’esgard de ce grand homme, et ne me croyant pas moy-mesme, ie les ay fait lire a mes amis qui ont trouué la mesme chose ; de sorte que ie me contente d’agir noblement auec luy en parlant de ses experiences et des miennes, comme vous verrez Dieu aydant. » (Ib., p. 114).

Ajoutons que Mersenne recevait par J.-B. Doni des nouvelles de Galilée. « Pour ce qui est de Galilée », lui écrivait Doni, le 8 avril 1634, « il y a long temps qu’on luy a ordonné de se retirer à Florence, où il ne bouge d’vne sienne maison aux champs, qui n’est pas plus loin de la ville qu’vn coup de pierrier. Du temps qu’il a demeuré à Sienne, il n’a pas été enfermé dans vn cloistre, mais bien en l’archeuesché, toutesfois à la large et en continuelle conuersation de Monsieur l’Archeuesque. » (Bibl. Nat., ms. fr. n. a. 6205, p. 520).

LETTRE LXII, pages 325-328.

Huygens correspondait avec Descartes par l’intermédiaire de leur ami commun, Reneri, qui habitait Utrecht. La lettre de Huygens était accompagnée de cette note : « couverte à Reneri pour Descartes (de la main d’un secrétaire de Huygens ; couverte, c’est-à-dire fermée, le contraire d’ouverte). Rogo te, vir doctissime, ut has incomparabili amico nostro tradas : si quid responsi dabit, quotidie equis dispositis ad nos commeatur, neque defuturi sunt, qui perferant… 29 octob. 1635. » (Amsterdam, Académie des Sciences, Lettres latines ms. de Constantin Huygens, no 223).

LETTRE LXVI, page 341.

On retrouve ces trois questions dans les lettres de Mersenne : 1° Lettre à Peiresc, du 17 nov. 1636 : « Mr Le Maire (voir ci-avant, p. 573, l. 19), m’a aujourd’huy asseuré que les coups de canon s’entendoient beaucoup plus aysement a vent contraire, du siege de Montauban a Toulouze, qu’a vent fauorable, ce qui me semble estrange. » (p. 169-170 des Correspondants de Peiresc, p. p. Tamizey de Larroque, fasc. XIX, Paris, Picard, 1894). Le siège de Montauban dura du 17 août au 2 nov. 1621.

2° Même lettre : « (experiences que i’ay faites en 15 iours que i’ay esté aux champs) : 4° ayant tiré auec des arquebuses et des fauconneaux liez a des pieux perpendiculaires, ayant mis a 30 ou 40 pas de la plusieurs hommes au guet pour voir ou les balles de plomb retomberoient, iamais on n’a peu appercevoir la cheute d’aucune, quoy que nous tirassions sur l’eau des fossez tres larges d’vn chasteau. Il faut necessairement que le vent de la moyenne region les emporte bien loin, ou qu’elles se fondent ou demeurent en l’air ; ie croy bien plutost le 1er ; et si le dernier arriuoit, il me semble que i’en donnerais bien quelque raison. » (Ib., p. 168. Cf. lettre LIII, p. 287, et lettre LIV, p. 293-294.)

3° Lettre à Gassend, 17 déc. 1635 (et ceci se rapporte directement à la lettre LXVI de Descartes, ainsi qu’à la lettre LIV, p. 294-295) : « Exci- Additions. 581

» derat e memoria, vt te rogarem de tua ad me protinus mittenda sen- » tentia, in arcuum reflexionem et laminarum chalybearum inflexionem, » cur nempe redeant : an quia atomi, perpetuo motu poros tranantes, » cogunt poros e circulari figura ad ellipticam aut » aliam angustiorem conuersos, redire ad figuram A -~~»«  » pristinam circularem ? Sit lamina reflexa AB, \ \

» sintque pori C D latiores, E E angustiores : an A \~

n forte atomi transeuntes per CD cogunt reliquam ^z\ , C

» pori profunditatem eam figuram resumere ? Sed *-" . \

» cur atomi potiùs mouebuntur a C ad E, quàm M JO

» ab E ad C? Quœro igitur num ab oriente in occi- k<J }

» dentem (sit oriens D, et occidens EE), an ab occi- ,'« -.

» dente in orientem, aut quoquouersum mouean- / /

» tur? Quod nisi probâris, assignes velim causam . „*' / » istius remeationis A B ad lineam rectam pristi- ° ""---' » nam. Sed cùm ipsa lamina AB ex atomis constet,

» ergo atomi noua; hue illuc discurrentes a C ad E, cogent poros incur- » uos E E, vt redeant ad rectitudinem et restituantur rotunda spatiola, » seu pori circulares. Cùm autem hac difficultate plurimum vrgear, » vrgebis etiam illiussolutionem. » [Gassendi Opéra, VI, 43o).

��LETTRE LXXXIII, pages 393-3g5.

Voici une conjecture sur le destinataire inconnu de cette lettre :

i° Descartes parle de la Saint-Victor : ne peut-on penser qu'il s'adresse à un catholique, et non à un protestant?

2 II vient de recevoir des livres, et va se mettre à étudier en médecine : ne peut-on penser que ce sont des livres de médecine, envoyés par un médecin?

3° Enfin, il paraît s'étonner que ces livres aient mis si longtemps à venir : ils sont demeurés deux nuits sur l'eau. Ces livres venaient donc par bateau, sans doute le bateau qui transportait les marchandises par le canal de Leyde à Amsterdam, puis d'Amsterdam à Harlem, Leyde étant le grand entrepôt de livres pour toute la Hollande.

Or Descartes avait, à Leyde, un ami catholique, qui s'occupait de médecine, Cornelis van Hooghelande. C'est à lui précisément qu'il fera adresser par Waessenaer, le I er février 1640, comme à une personne de confiance, des lettres pour Golius, Schooten, etc. Un peu plus tard, en juin 1640, nous le retrouverons avec Hooghelande au chevet d'une petite malade, la fille de leur ami, Van Zurck. Enfin, avant de partir pour la Suède, c'est à Hooghelande encore qu'il fait des recommandations pour ses affaires privées (lettre du 3o août 1649), et qu'il confie en dépôt un coffre plein de manuscrits.

�� � $82

��Correspondance.

��Mais, s'il en est ainsi, ne peut-on conclure que Descartes avait déjà fait venir la petite Francine et sa mère près de lui à Leyde, du commencement de i636 jusqu'à la fin d'avril 1637? Car Hélène paraît habiter la même ville que le correspondant de Descartes, ou non loin de là. Cependant, l'année précédente, 1 635, qui est celle où l'enfant vint au monde à De- venter (le 19 juillet), Descartes demeurait à Utrecht, comme l'attestent trois lettres datées de* cette ville (lettres LIX, LX et LXIII, 16 avril, 19 mai et 1" novembre).

��LETTRE LXXXIV, page 3 9 5.

Cette lettre est du 18 septembre, et non pas du 8. Il faut donc lire aussi iS sept., p. 374, 1. 3, éclaircissement, puis à la fin du prolégomène de la lettre LXXXIX, p. 432 et p. 309, note a.

��POST-SCRIPTUM.

Qu'il nous soit permis, en terminant ce premier volume, d'adresser un double appel à ceux qui le liront.

C'est une légitime espérance que celle de voir retrouver, avant l'achèvement de notre édition, des originaux (ou copies anciennes) de lettres de ou à Descartes, non compris dans l'ênumération des pages LXVIII-LXXIV de l'Introduction. En particulier, pour les pièces dispersées par Libri, il n'est guère à croire qu'elles soient définiti- vement perdues ; on doit beaucoup moins attendre la découverte d'une seule des lettres autrefois réunies par Legrand; en revanche, une telle rencontre serait d'autant plus précieuse qu'elle pourrait mettre sur la voie de trouvailles inespérées.

L'accueil fait au projet de cette édition nous autorise à espérer que l'apparition du premier Volume redoublera l'ardeur des bonnes volontés dont nous avons déjà eu tant de preuves, et que nous verrons se multiplier les communications de documents pouvant accroître les matériaux dont nous disposons pour la Correspondance de Des-

�� � Additions. fôj

cartes. Mais nous prions les lecteurs de vouloir bien nous signaler aussi les erreurs et les fautes, quas humana parum cavit natura.

Nous avons fait tous nos efforts, et l'éditeur n'a épargné aucun sacrifice, pour donner un texte de Descartes irréprochable. Par contre, dans nos prolégomènes, notes, etc., nous avouons qu'on trou- vera plusieurs erreurs de détail; en particulier, il en subsiste de faciles à reconnaître dans les renvois des variantes et dans ceux des éclaircissements. Mais nous croyons qu'il sera plus commode pour le lecteur de trouver réunies, à la suite de la Correspondance, toutes les corrections à apporter à notre travail, au lieu d'avoir à les rechercher dans les différents volumes, selon la pratique ordinaire pour les publications de ce genre.

C'est pour préparer cette révision générale, pour perfectionner autant qu'il sera possible l'œuvre entreprise, que nous réclamons le concours de tous ceux que Descartes intéresse.

Paris, le 22 octobre iSpj.

Paul TANNERY.

�� �


TABLE DES MATIÈRES

——

I. Édition Clerselier (1657-1659-1667) 
 xv
Volume I 
 xix
Volume II 
 xxv
Volume III 
 xxxvi
II. Projet d’édition de Legrand et collection de La Hire (1675-1704). Classement de Poirier et Arbogast (1793-1803) 
 xlvi
III. Édition Victor Cousin (1824-1826) 
 lxii
IV. Autographes et Copies manuscrites 
 lxvi
I. Voyelles 
 lxxxii
II. Diphtongues 
 lxxxv
III. Consonne S (première fonction
 lxxxvii
IV. Consonne S (seconde fonction
 xci
V. Autres consonnes simples 
 xcvii
VI. Consonnes doubles 
 xcix
Conclusion 
 cii

Nota. — Dans la Table des Lettres qui suit, le point d’interrogation après les indications de dates signifie seulement que celles-ci ne figurent point dans les sources ; elles n’en peuvent pas moins, dans certains cas, reposer sur des déductions assurées.


Nos. DATES. ADRESSES. PAGES.
I 3 avril 1622 Descartes à son frère aîné 1
II 22 mai — à son père 2
III 21 mars 1623 — à son frère aîné 3
IV 24 juin 1625 — à son père 4
V 16 juillet 1626 — à son frère aîné 5
VI ? 1628 — à *** (Apologie des Lettres de Balzac) 5
VI bis 30 mars Balzac à Descartes 569
VII 18 juin 1629 Descartes à Ferrier 13
VIII 18 juillet — au P. Gibieuf 16
IX septembre ? — à *** (Mersenne ?) 18
X 8 octobre — à Mersenne 22
XI » » — à Ferrier 32
XII 26 » Ferrier à Descartes 38
XIII 13 novembre Descartes à Ferrier 53 et 572
XIV » » ? — à Mersenne 69
XV 20 » — à Mersenne 76 et 572
XVI 18 décembre — à Mersenne 82
XVII janvier ? 1630 — à Mersenne 105
XVIII 25 février — à Mersenne 115
XIX 4 mars ? — à Mersenne 124
XX 18 » ? — à Mersenne 128
XXI 15 avril — à Mersenne 135
XXII 6 mai ? — à Mersenne 147
XXII bis 27 » ? — à Mersenne 151
XXIII sept. ou oct. — à (Beeckman) 154
XXIV 17 octobre — à (Beeckman) 156
XXV 4 novembre ? — à Mersenne 170
XXVI 25 novembre ? — à Mersenne 177
XXVII 2 décembre ? — à Ferrier 183
XXVIII » » ? — au (P. de Condren) 188
XXIX » » ? — à Mersenne 189
XXX 23 » ? — à Mersenne 192
XXXI 15 avril ? 1631 — à Balzac 196
XXXII 25 » Balzac à Descartes 199
XXXIII 5 mai ? Descartes à Balzac 202
XXXIV 2 juin — à (Reneri) 205
Nos. DATES. ADRESSES. PAGES.
XXXV Été 1631 Villebressieu à Descartes 209
XXXVI » Descartes à Villebressieu 212
XXXVII octobre ? — à Mersenne 219
XXXVIII oct. ou nov. — à Mersenne 226
XXXIX janvier ? 1632 — à (Golius) 232
XL 2 février — à Golius 236
XLI 5 avril ? — à Mersenne 242
XLII 3 mai ? — à Mersenne 244
XLIII 10 » ? — à Mersenne 249
XLIV 23 » — à Wilhem 253
XLV juin ? — à Mersenne 254
XLV bis Été ? — à Mersenne 257
XLVI nov. ou déc. — à Mersenne 260
XLVII 7 février 1633 — à Wilhem 264
XLVIII 22 juillet — à Mersenne 266
XLIX fin nov. ? — à Mersenne 270
L 12 décembre — à Wilhem 273
LI fin déc. ? — à Stampioen 275 et 573
LII février ? 1634 — à Mersenne 280
LIII avril ? — à Mersenne 284
LIV 15 mai — à Mersenne 292
LV 2 juillet — à Reneri 300
LVI 14 août — à Mersenne 303
LVII 22 » — à (Beeckman) 307
LVIII sept. ou oct. — à Morin 313
LIX 16 avril 1635 — à Golius 314
LX 19 mai — à Golius 317
LXI automne ? — à *** (Mersenne ?) 321 et 578
LXII 28 octobre Huygens à Descartes 325 et 580
LXIII 1 novembre Descartes à Huygens 328
LXIV 5 décembre Huygens à Descartes 332
LXV » ? Descartes à Huygens 334
LXVI mars ? 1636 — à Mersenne 338 et 580
LXVII 31 » ? — à (Huygens) 342
LXVIII 15 juin Huygens à Descartes 343
Nos. DATES. ADRESSES. PAGES.
LXIX 5 janvier 1637 Huygens à Descartes 345
LXX mars ? Descartes à Mersenne 347
LXXI » ? 352
LXXII avril ou mai Fermat à Mersenne 354
LXXIII 27 avril ? Descartes à Mersenne 363
LXXIII bis » » ? 365
LXXIV » » ? 368
LXXV mai ? 371
LXXVI 25 » ? 374
LXXVII 14 juin 379
LXXVIII » » 380
LXXIX » » ? 382
LXXX » » ? 384
LXXXI » » ? 386
LXXXII 22 » ? 389
LXXXIII 30 août 393 et 581
LXXXIV 8 septembre Huygens à Descartes 395 et 582
LXXXV 15 » Plempius à Descartes 399
LXXXVI 13 » Fromondus à Plempius 402
LXXXVII 3 octobre Descartes à Plempius 409
LXXXVIII » » — à Plempius (pour Fromondus) 412
LXXXIX 5 » — à Huygens 431
Explication des engins par l'ayde desquels on peut auec vne petite force leuer vn fardeau fort pesant 435
La poulie 437
Le plan incliné 439
Le coin 440
La rouë ou le tour 440
La vis 441
Le leuier 443
XC 5 octobre ? Descartes à Mersenne 448
XCI 450
XCII 454
XCIII 456
XCIV 458
XCV 23 novembre Huygens à Descartes 461



��ADRESSES.

��Huygens à Descartes

Descartes à Mersenne

— à *** (Silhon?)

Fermai à Mersenne

Descartes à Mersenne

— à Mersenne

— à *** {Ceri^y ?)

— à Huygens

— à Mersenne

— à Colvius

— à Balzac

— au (P. Noèl)

— à (Huygens)

— à (Huygens)

— à Mersenne

— à *** [Hooghelande ?)

Huygens à Descartes

Plempius à Descartes

Fromondus à Plempius

Descartes à Plempius

Descartes à Mersenne

— à Mersenne (réponse à Fermât)

— au (P. Noël)

— au P. *** (Fournier ?)

— à *** [Haestrecht ?)

Nos DATES. ADRESSES. PAGES.
XCVI novembre ? 1637 Fermat à Mersenne 463
XCVII 20 décembre Descartes à Plempius 475
XCVII bis fin déc. ? — à Mersenne 477
XCVIII janvier ? 1638 — à Mersenne 481
XCIX » ? — à Mersenne (réponse à Fermat) 486
C » ? Plempius à Descartes 496
CI 25 » ? Descartes à Mersenne 499
CII » ? — à (Huygens) 504
CIII 2 février Huygens à Descartes 508
CIV » ? S. P*** à *** pour Descartes 511
CV 12 » Descartes à Pollot 517
CVI » ? » — à (Huygens) 519
CVII 15 » — à Plempius 521
CVIII 22 » Morin à Descartes 536
CIX » » ? Descartes au P. (Vatier) 558
Additions 567



Achevé d’imprimer
par LÉOPOLD CERF
12, rue Sainte-Anne, à Paris
le 26 octobre 1897

    MM.
    Bertrand, de l’Académie française, Secrétaire perpétuel de l’Académie des Sciences.
    Bouillier, de l’Institut.
    Bourgeois, Député, ancien Président du Conseil, ancien Ministre de l’Instruction publique.
    Boutroux, Professeur d’Histoire de la Philosophie moderne à la Sorbonne.
    Brochard, Professeur d’Histoire de la Philosophie ancienne à la Sorbonne.
    Brouardel, Doyen de la Faculté de Médecine de Paris.
    Brunetière, de l’Académie française.
    † Burdeau, Président de la Chambre des Députés.
    † Challemel-Lacour, de l’Académie française, Président du Sénat.
    {{AN|Darboux, de l’Académie des Sciences, Doyen de la Faculté des Sciences de Paris.
Léopold Delisle, de l’Institut, Administrateur général de la Bibliothèque nationale.
Fouillée, de l’Institut.
Gréard, de l’Académie française, Vice-Recteur de l’Académie de Paris.
Hermite, de l’Académie des Sciences.
Janet, de l’Institut, Professeur de Philosophie à la Sorbonne.
Janssen, de l’Académie des Sciences, Directeur de l’Observatoire de Meudon.
Lachelier, de l’Institut, Inspecteur général de l’Instruction publique.
† Marion, Professeur de Science de l’Éducation à la Sorbonne.
† Pasteur.
E. Perrier, de l’Académie des Sciences, Professeur au Muséum.
R. Poincaré, Vice-Président de la Chambre des Députés, ancien Ministre de l’Instruction publique.
H. Poincaré, de l’Académie des Sciences, Professeur de Physique mathématique à la Sorbonne.

MM.

Ravaisson, Président de l'Académie des Sciences morales et politiques.
Th. Ribot, Professeur au Collège de France, Directeur de la Revue philosophique.
Séailles, Maître de conférences à la Sorbonne.
† J. Simon, de l'Académie française, Secrétaire perpétuel de l'Académie des Sciences morales et politiques.
Sully-Prudhomme, de l'Académie française.
J. Tannery, Sous-Directeur de l'École normale supérieure.
† Tisserand, de l'Académie des Sciences, Directeur de l'Observatoire.
Vacherot, de l'Institut.

ALLEMAGNE, AUTRICHE-HONGRIE, ALSACE-LORRAINE.

B. Erdmann, Professeur à l'Université de Halle.
R. EuCKEN, Professeur à l'Université d'Iéna.
R. Falkenberg, Directeur de la Zeitschrift fur Philosophie und philosophische Kritik, Professeur à l'Université d'Erlangen.
Gizicki, Privat-docent à l'Université de Berlin.
Ed. von Hartmann.
Kuno Fischer, Professeur à l'Université de Heidelberg.
Natorp, Professeur à l'Université de Marburg, Directeur de l'Archiv für systematische Philosophie.
Paulsen, Professeur à l'Université de Berlin.
Riehl, Professeur à l'Université de Fribourg.
Sigwart, Professeur à l'Université de Tübingen.
Weissmann, Professeur à l'Université de Fribourg.
Weyr, Professeur à l'Université de Prague.
Windelband, Professeur à l'Université de Strasbourg.
Wundt, Professeur à l'Université de Leipzig, Directeur des Philosophische Studien.
Zeller, Professeur à l'Université de Berlin.

MM.

Angleterre
.
Caird, Master à Balliol Collège, Oxford.
Stout, Directeur du Mind, Professeur à St. John's Collège, Cambridge.


Amérique
.
W. James, Professeur à l'Université de Cambridge (États-Unis).
Schurman, Directeur de la Philosophical Review.


Belgique
.
† Delbœuf, Professeur à l'Université de Liège.


Hollande
.
Land, Professeur à l'Université de Leyde, éditeur des Œuvres de Spinoza.


Italie
.
† L. Ferri, Directeur de la Rivista italiana di filosofia.


Russie
.
Grote, Directeur de la Revue de Psychologie et de Philosophie.
Wassilief, Président de la Société physico-mathématique de Kazan.


Suède
.
Mittag Leffler, Directeur des Acta Mathematica, Professeur à l'Université de Stockholm.


Suisse
.
Avenarius, Directeur de la Vierteljahrschrift für Wissenschaftliche Philosophie.
Secrétan, Professeur à l'Université de Lausanne.
Stein, Directeur de l'Archiv für Geschichte der Philosophie.

  • La souscription était placée sous le patronage de :
    MM.
    Le Ministre de l’Instruction publique.
    Buisson, Directeur de l’Enseignement primaire au Ministère de l’Instruction publique.
    Xavier Charmes, de l’Institut, Directeur du Secrétariat et de la Comptabilité au Ministère de l’Instruction publique.
    Liard, de l’Institut, Directeur de l’Enseignement supérieur.
    Rabier, Directeur de l’Enseignement secondaire.
    Berthelot, Secrétaire perpétuel de l’Académie des Sciences.
  • Le P. Mersenne, dans son livre des Questions inouyes ou Recreations des sçavans (Paris, laques Villery, 1634), pose le même principe et en déduit quelques conséquences, Question XXVII, p. 117-120 : « Il semble que l’on feroit mieux de n’vser que des lettres qui se doiuent prononcer, afin de conformer l’escriture à la parole, comme la parole à la pensée : de là vient que plusieurs commencent à escrire comme l’on parle ; par exemple, ils mettent la lettre a dans tous les lieux où e se prononce comme a, comme annemy et Parlemant, au lieu d'ennemy et Parlement, et ostent tous les b, les c, les s et les t, qui ne se prononcent pas. » Mais ceux qui veulent que l’on retienne l’origine de nostre langue et que l’on se souuienne tousiours qu’elle vient du Latin, les estiment barbares, et retiennent volontiers les dicts et les faicts, au lieu que les autres escriuent les dis et les fais, etc. Quant à moy, i’estime qu’il est plus à propos d’euiter toute sorte de superfluité, et de n’vser pas de 5 ou 6 lettres, où il n’en faut que 3 ou 4 ; de mesme que l’on ne doit pas user de 5 ou 6 paroles, où il n’en faut qu’une ou deux, afin d’imiter la nature qui suit le chemin le plus court quand elle agit. Ce que i’entends lors que cela se peut faire commodement, et qu’en le faisant, l’on n’offence personne : car il est certain que nous prononçons plusieurs dictions, qui ne se peuuent escrire comme elles sont proferées ; par exemple, l’on ne peut escrire auec nos characteres ordinaires la troisiesme personne pluriere du preterit imparfait de nos verbes, sans y mettre des lettres superfluës qui ne se prononcent pas, comme l’on void en ces deux mots, ils deuoient, ils rendoient, dans lesquels les six dernières lettres ne font qu’vne syllabe, de sorte qu’il faudroit les escrire auec vne ê circonflexe en ceste façon, deuêt, rendêt, pour les prononcer comme l’on parle maintenant. C’est à quoy Baïf essaya à remedier sous Charles IX et Henry III, ce qu’ont encore fait depuis luy le sieur de la Val, dans sa Paraphrase des Psalmes, le Pere Monet dans son Dictionnaire, et quelques autres. »
  • La règle suivie par Descartes est encore systématiquement appliquée dans l’édition de Clerselier, quoique les Elzeviers eussent déjà propagé la distinction de l’u voyelle et du v consonne. Parmi les contemporains, bon nombre (par exemple Fermat) n’emploient qu’une seule forme de lettre. (T).
  • Dans les textes latins, le bon usage du temps, qui sera suivi dans cette édition, était d’employer la forme j exclusivement pour l’i placé après un autre i (voyelle ou consonne). Parfois la même forme était alors aussi donnée à l’i final. — Dans la langue hollandaise, le couple ij a triomphé de la forme y, que les autographes du Nord au xviie siècle (par exemple, ceux de Beeckman) présentent souvent surmonté d’un tréma. (T).
  • Dans les Ms. du xviie siècle, on trouve aussi assez souvent oy pour ois comme finale de la première personne du conditionnel présent. C’est ainsi que dans la lettre XCIX de ce volume, publiée d’après une ancienne copie, sçaurroy (p. 486, l. 3) est pour sçaurois ; que dans la lettre CIII, Constantin Huygens écrivait ie pourroy (p. 511, l. 4-5) pour ie pourrois ; etc. (T.)
  • En 1629-1630, Descartes supprimait l’e après l’oi, à la troisième personne du pluriel de l’imparfait ou du conditionnel présent. C’est ainsi qu’on trouvera (p. 101, l. 21 de ce volume) estoint, auoint, pour étoient, avoient, etc. (T).
  • Dans un ouvrage du temps, Lettres de Monsieur de Lannel (Paris, Toussainct du Bray, 1625, privilège du 2 octobre), on lit, Lettre IIII, A Mons. de Saint Chamas, p. 51-52 : « Peu est vn aduerbe, comme, i’ay peu de moyens ; aussi seroit-ce vne mauuaise ortografe si on écriuoit, I’ay peu faire cela, au lieu d’écrire I’ay pû faire cela. le dy le fû Roy, et non le feu Roy, parce que le feu signifie cet élément qui brusle, et puis outre cela, la voyele e seroit superfluë, quoy que puissent dire nos Poëtes. » Et quelques lignes plus haut : « Il peut est un temps present, comme : Le Roy peut prendre la Rochelle. Il eut est vn temps passé, comme : le fû Roy eut des enfans. Il eust est vn optatif, comme : Plust à Dieu que le Roy en eust. » Voir du même auteur un long passage cité plus loin en note, p. xcii.
  • Eu égard aux tendances phonétiques de l’orthographe de Descartes, cette substitution de I’x à l’s finale correspond peut-être à une nuance de la prononciation du temps, l’s finale restant muette, x valant comme s sifflante (T).
  • Cette fois, le changement paraît simplement graphique ; il s’agit de se dispenser de l’accent. (T).
  • Lire sur cette question en particulier Lannel (voir plus haut, p. lxxxvi, note), Lettre IIII à Mons. de Saint-Chamas, p. 41 : « Puis que les lettres de l’Alfabet ne seruent que pour construire les syllabes, et les syllabes pour composer les mots, par le moyen desquels nous communiquons nos pensees, i’estime que nous deuons retrancher les lettres superfluës, lesquelles ne peuuent estre prononcees auec la force qu’elles ont, sans vn insupportable changement de la prononciation des mots ausquels elles sont contenuës… Si donc nous écriuons, tesmoigner, establir, esuenter, et les autres semblables, auec vne s à chaque mot, et que nous la prononcions, il est certain qu’on croira que c’est pour contrefaire les paysans de Gascogne. » Plus loin, p. 51-52, il note « la difference de quelques mots, qui semblera, ie m’assure, digne d’estre remarquee. Il fit est vn temps passé, comme : le fû Roi fit vne infinité de bonnes actions. Il fist est vn optatif, s’il m’est permis d’vser de ce mauuais mot, comme : Plust à Dieu que le Roy fist en sorte que la vertu fust mieux recompensee qu’elle n’est. Il pût est aussi vn temps passé, comme : le fû Roy pût contraindre les Espagnols à luy rendre son domaine. Il pust est vn optatif, comme : Plust à Dieu que le Roy pust empécher les pechez qui se commettent. » Ib., p. 53-54 : « On m’obiectera peut-estre que la consonne s ne se prononce point aux optatifs qui l’ont, comme, fist, eust, pust, et les autres, et que, par consequent elle est inutille, et qu’il n’y doit point auoir de difference entre l’ortografe du temps passé et celle de l’optatif. Ie répons à cela qu’on ne prononce pas entierement la consonne s qui est aux optatifs, mais qu’on la prononce à demy, et que pour preuue de cette verité, il seroit necessaire d’oüir quelqu’vn qui eust vne bonne prononciation. » Enfin, p. 54-55 : « Si l’on me reproche encores qu’il y a des termes desquels nous ne retranchons point la consonne s, quoy que nous ne la prononcions pas, comme Maistre, parestre, connestre, et quelques autres, et que par consequent la raison n’est pas bonne, de dire qu’il ne faut point se seruir de lettres si elles ne sont necessaires, ie répons que la consonne s l’est en ces mots-cy, et qu’elle donne vne autre force à la voyelle qui la precede quand on écrit. Maistre, parestre, connestre, qu’elle ne fait quand on écrit témoigner, répondre, établir, et leurs semblables, parce que ceux-cy se prononcent mieux sans s, que si l’on y en mettoit vne, et ceux-là au contraire ne peuuent estre si bien prononcez s’ils ne l’ont. »
  • Dans les autographes de Descartes, l’accent aigu sur e au commencement des mots a souvent et très nettement une forme sinueuse comme d’une ſ écrite au-dessus de l’e. Il n’en est jamais de même à la fin d’un mot, où on est bien en présence d’un accent aigu. J’ajoute que si l’orthographe de Descartes est relativement soignée, il n’en est pas de même de son accentuation, ni de sa ponctuation ; là il y a souvent des négligences évidentes (T).
  • L’usage du tréma paraît avoir été originairement de distinguer l’u voyelle de l’u consonne. C’est donc sur l’u qu’il devait être placé régulièrement. (T).
  • La cédille est un e écrit au-dessous du c, au lieu de l’être après. En raison des négligences de Descartes relatives à ce signe, nous l’avons dans cette édition, systématiquement placé devant les voyelles fortes. (T).
  • Lannel, dans la Lettre déjà citée (p. lxxxvi et xcii, notes), était plus catégorique, p. 44-45 : « le ne puis aussi me resoudre à écrire Alphabet, Orthographe, et quelques autres semblables, auec vn p et vn h, pour montrer que nous les auons empruntez des Grecs, ny Coulpable auec vn l, ny Deub auec vn b, et quelques autres de mesme qui ont esté pris des Latins ; car puis que ces mots là sont deuenus François, il n’est point necessaire de leur laisser aucune marque étrangere, qui ne sert qu’à faire de la peine a ceux qui ignorent le Grec et le Latin. Les mots que nous auons tirez d’Athenes ou de Rome ne sont pas de la condition des Iuifs, ausquels on fait porter quelques signes pour les distinguer des autres. » Voir là-dessus l’opinion de Mersenne, p. lxxix plus haut, note.
  • Descartes, dans sa première orthographe, écrit même ce pour se, pronom personnel. (T).
  • Qu’on ne s’étonne pas, si nous faisons intervenir ici la philosophie. Lannel, dans la lettre citée plus haut (p. lxxxvi, etc., notes), et qui date de 1625, débutait par cette déclaration de principe, p. 40 : « le suis bien aise de ce que vous approuuiez mon Ortografe, et i’estime que la nouueauté ne doit estre suspecte qu’en ce qui concerne la religion et les loix fondamentales d’vn Etat, mais qu’en toutes les autres choses qui n’en dependent point, il faut tourner les yeux du costé de la raison, dés qu’elle commence à parestre, et l’embrasser aussi tost qu’elle nous touche. »
  • Voir ci-après Lettre XIV, deuxième alinéa.
  • DJB Clers.
  • « Voir l’art. F de cette lettre » (Note de l’exemplaire de l’Institut).
  • « Voir l’art. D de cette lettre. » — Note de l’exemplaire de l’Institut.
  • Voir plus haut, lettre X, p. 23, l. 15.
  • Voir plus haut, lettre X, p. 25, l. 20.
  • Christophori Clavii Bambergensis e Soc. I. Operum Mathematicorum tomus primus, complectens commentaria in Euclidis Elementa geometrica, etc., Moguntiaæ, sumptibus Antonii Hierat, excudebat Reinhardus Elz, anno MDCXI. — Il y a eu des éditions antérieures : Rome, Accolti 1574, Rome, Grassi 1589, Cologne, Ciottus 1591, Rome, Zanetti 1603, Cologne 1607, etc.
  • Voir plus haut, lettre X, p. 27, l. 22.
  • a, b, c et d Lisez illud.
  • Voir plus haut, lettre X, p. 27, l. 22.
  • Voir plus haut, lettre X, p. 29, l. 4.
  • [Note de Descartes en marge.] Oportet meminiſſe nos ſupponere illud quod ſemel motum eſt, in vacuo ſemper moueri, & in meo tractatu demonſtrare conabor.
  • Voir Lettre XVI, p. 87, l. 17.
  • Cf. Le Monde, chap. v, fin.
  • Cf. Le Monde, chap. iv. Voir aussi les lettres à Mersenne du 15 avril 1630 et du 9 janvier 1639.
  • Cf. Mersenne, Quæstiones celeberrimæ in Genesim, pp. 498, 538.
  • Cf. Baillet (I, 258-9) sur les amusements d’optique de Descartes et de Villebressieux.
  • b. Cf. Lettre XVII, p. 100, l. 2. Mersenne, Quæst. celeb. in Gen., au chapitre De speculo vstorio omnium perfectissimo nempe parabolico (p. 51).
  • Voir Lettre XVII, p. 111, no 12.
  • Sur les Thèses de Beeckman, voir Lettre XVII, p. 111, l. 5.
  • Voir Lettre XVII, p. 113, l. 20. Cf. l’Inventaire des papiers de Descartes, dressé à Stockholm le 14 février 1650, art. E : « Metallorum pondera et ensuite une petite table. »
  • Cf. Lettre XVII, p. 106, l. 12.
  • Voir Lettre XVII, p. 113, l. 2.
  • Voir ci-après Lettre XX, p. 130, l. 1. Descartes projetait un voyage en Angleterre.
  • Lettre XVII, p. 108, l. 16.
  • Dixiéme] 1. Clers.
  • Octaue] 8. Clers.
  • Titre d’un ouvrage de Kepler, publié en 1611.
  • a et b M. N. Clerselier.
  • Le 8 octobre et le 13 novembre 1629, Lettres XI et XIII.
  • Lettre XIV à Mersenne du 13 novembre 1629.
  • Franker Clers. — Voir Lettre VII du 18 juin 1629.
  • Voir Lettre XVI, page 84, l. 2.
  • Voir Lettre XXI, page 144, l. 24.
  • Voir Lettre XXI, page 145, l. 8.
  • Cf. Réponses aux Instances de Gassendi, § 12, et Principia Philosophiæ, I, § 40, version française.
  • Lettre perdue de Beeckman à Descartes.
  • Voir plus haut, p. 155, l. 8 — p. 156, l. 2. Clerselier ne donne encore ici que la version française, de même que pour les mots sur lesquels insiste Descartes dans la phrase suivante, et que pour les citations de la seconde lettre.
  • Plus haut, p. 157. l. 5-7.
  • Il s’agit de la lettre perdue, adressée à Mersenne lorsqu’il était à Anvers ; voir plus haut, p. 173, l. 13.
  • Lettres XI et XIII.
  • Cf. page 74, l. 3.
  • Lettres XXI et XXII, pages 144 (note b) et 148-9.
  • Mersenne ; il s’agit sans doute de la lettre adressée à Anvers ; voir plus haut, p. 179, l. 3.
  • Cf. page 33, l. 26.
  • Voir le prolégomène de la Lettre XXVII, p. 183.
  • Page 70, l. 11. et 179. l. 10.
  • Les coniques, en raison de leurs propriétés optiques ?
  • Sur ce canal et ce désert, voir lettre 15 du Livre I, p. 123-128 des Œuvres de M. de Balzac (7e édit., Paris, 1628).
  • P. 245, l. 21.
  • Descartes citera plus tard, Principes, III, art. 128 : Lotharii Sarsii Libra astronomica ac philosophica qua Galilæi opiniones de cometis… examinantur (Perusiæ, in-4o, 1619).
  • P. 195, l. 28.
  • Sur « l’histoire des phénomènes », partie importante de la méthode baconienne, voir, à la suite du Novum Organum, Parasceve ad Historiam Naturalem et Experimentalem.
  • Liber de cometa, 1603.
  • P. 175, l. 4.
  • Ovid., Trist., III, iv, 25.
  • M. de Beaune (Exemplaire de l’Institut).
  • Lire sapin ?
  • Voir plus haut, Lettres X et XIV (p. 28 et 29 ; p. 73 et 74).
  • Cf. lettre précédente, page 343, l. 2.
  • Dioptrique, Discours dixiesme, p. 144.
  • Les Meteores, Discours premier et cinquiesme, p. 159, 211, 212, 214, etc.
  • Hérodote, Hist., l. I, c. lxxxv, § 3.
  • Page 49 de l’édition originale.
  • Cf. Lettre LXXII, argument, p. 354-355.
  • Voir plus haut p. 365 et p. 373, éclaircissements.
  • Le 20 mai 1637.
  • Légende de cette figure : « le leuier, vectis ».
  • a. Voir plus haut, p. 422-424. b. Le P. Ciermans. Voir plus haut, p. 402, éclaircissement. c. Lettre C ci-après, janvier 1 638.
  • Jean de Beaugrand. Voir p. 361, note a ; cf. p. 390, l. 17 et 449, l. 4.
  • Marini Ghetaldi, Patritii Ragusensis, Apollonius redivivus, seu restituta Apollonii Pergæi inclinationum Geometria (Venise, 1607)
  • Wilebrordi Snellii Apollonius Batavus seu exsuscitata Apollonii Pergæi περὶ διωρισμένης τομῆς Geometria (Leyde, Dorp, 1608).
  • Fermat avait communiqué en manuscrit sa restitution des deux Livres De locis planis d’Apollonius (Œuvres de Fermat, t. II, 1894 ; lettre à Roberval du 20 avril 1637). Cf. plus haut, p. 377, note a.
  • Chap. XVI, page 158 de l’édition des Elzeviers, Leyde, 1646.
  • La Lettre XCVI ci-avant, et non la Lettre LXXII, dans laquelle Fermat ne critique que la démonstration de Descartes relative à la réflexion de la lumière.
  • Descartes ne la reçut qu’en juin 1638 (Clers., III, 341).
  • Nouvelles pensées sur les causes de la lumiere, du debordement du Nil et de l’amour d’inclination (Paris, Pierre Rocolet, 1634, in-4, achevé d’imprimer le 4 may 1634).
  • La Lettre LXXII ci-avant, p. 354.
  • Carcavi.
  • La Lettre XCI ci-avant, du 5 oct. 1637, p. 450.
  • Voir plus haut, p. 478, notes b et c. Viete avait le premier essayé une restitution de ce genre : — Francisci Vietæ Apollonius Gallus, seu exsuscitata Apollonii Pergæi περὶ ἐπαφῶν Geometria (Paris, Leclerc, 1600).
  • Copie ms. : conduiſant. « Ce qui marque que cet original n’est point exact. » (Note de l’exemplaire de l’Institut.)
  • Voir plus haut p. 485, l. 5-6.
  • Cf. page 483, l. 4-7.
  • Lettre LXXXI, p. 386, du 14 juin 1637. M. de Charnacé fut tué au siège de Bréda, le 1er septembre 1637.
  • Voir plus haut, p. 239 et 336-337.
  • Voir p. 159, l. 29.
  • Voir p. 318, l. 16.
  • L’Isagoge et son Appendix (Œuvres de Fermat, t. I, 1891, p. 91-110). Voir plus haut l’argument de la lettre XCVIII.
  • Lettres XCI et XCIX ci-avant, p. 450 et 486.
  • Lettre perdue. Voir p. 396, l. 4 et p. 433, l. 3.
  • Dioptrique, Disc. X, p. 145.
  • ſans autre inuentions Clers.
  • Libert Froidmont ou Fromondus. Voir Lettres LXXXVI et LXXXVIII, p. 402 et 412.
  • Lettre LXXXIV du 8 sept. 1637, p. 396-397.
  • Lettre CII du 25 janvier 1638, p. 507, l. 7-8.
  • Campanella venait de publier : Disputationum in quatuor partes suæ philosophiæ realis libri quatuor, etc. (Paris, Houssaye, 1637). Mais les indications que donne Descartes dans sa réponse, Lettre CXIV ci-après (Clers., II, 377) font plutôt croire qu’il s’agit d’un autre ouvrage, qu’il aurait pu lire « il y a quinze ans », c’est-à-dire en 1623. Voir ci-après à l’endroit indiqué.
  • Disc. de la Methode, p. 25.
  • Disc, de la Meth., p. 26.
  • Ib., p. 33.
  • Cf. Aristote, De anima, l. I, c. i, 403 a, 8-12.
  • Disc, de la Meth., p. 34-35.
  • Ib., p. 57.
  • Aristote, Hist. anim., l. IX, c. 47.
  • Disc, de la Meth., p. 59-60.
  • Dioptrique, Disc. I, p. 3 et suiv.
  • Meteores, Disc. I, p. 159.
  • Ib., p. 162.
  • Page 124 Clers.
  • Voir plus haut, p. 422, art. 11.
  • Meteores, Disc. 3, p. 175.
  • Ib., p. 176.
  • Ci-dessus, p. 435-447.
  • le verres Clers.
  • Voir plus haut, p. 291 et 313.
  • Cureau de la Chambre (voir p. 480, l. 22) et Ismaël Boulliau dont l’ouvrage, De natura lucis, parut en 1638 (Paris, Heuqueville).
  • Voir p. 291, éclaircissement de p. 289, l. 2, et p. 313-314.
  • Le 18 octobre.
  • Lire phases ?
  • Voir p. 200 de ce volume, l. 18 et suiv.
  • Descartes s’est souvenu de sa promesse. Voir Lettre LXXVIII, p. 380. Cf. aussi p. 198, l. 25.
  • Quelle marquise ? Ce n’est ni la marquise de Rambouillet, dont Chapelain parlera à Balzac, dans une lettre du 22 mars 1638, comme à quelqu’un qui ne la connaît point, ni la marquise de Sablé, citée dans une autre lettre de Chapelain à Balzac, du 24 juillet 1639, comme une personne qu’ils commencent seulement à connaître. (Lettres de Chapelain, t. I, 1880, p. 215 et 463).

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