À un visiteur parisien

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L’éternel petit roman. XVII : À un visiteur parisien
Œuvres complètes : Les Chansons des rues et des boisOllendorf30 (p. 188-190).


XVII


À UN VISITEUR PARISIEN.


Domremy, 182…


Moi, que je sois royaliste !
C’est à peu près comme si
Le ciel devait rester triste
Quand l’aube a dit : Me voici !

Un roi, c’est un homme équestre,
Personnage à numéro,
En marge duquel de Maistre
Écrit : Roi, lisez : Bourreau.

Je n’y crois plus. Est-ce un crime
Que d’avoir, par ma cloison,
Vu ce point du jour sublime,
Le lever de la raison !

J’étais jadis à l’école
Chez ce pédant, le Passé ;
J’ai rompu cette bricole ;
J’épelle un autre A B C.

Mon livre, ô fils de Lutèce,
C’est la nature, alphabet
Où le lys n’est point altesse,
Où l’arbre n’est point gibet.


Maintenant, je te l’avoue,
Je ne crois qu’au droit divin
Du cœur, de l’enfant qui joue,
Du franc rire et du bon vin.

Puisque tu me fais visite
Sous mon chaume, à Domremy,
À toi le grec, moi le scythe,
J’ouvre mon âme à demi…

Pas tout à fait. — La feuillée
Doit voiler le carrefour,
Et la porte entre-bâillée
Convient au timide amour.

J’aime, en ces bois que j’habite,
L’aurore ; et j’ai dans mon trou
Pour pareil, le cénobite,
Pour contraire, le hibou.

Une femme me fascine ;
Comme Properce, j’entends
Une flûte tibicine
Dans les branches du printemps.

J’ai pour jeu la poésie ;
J’ai pour torture un minois,
Vieux style, et la jalousie,
Ce casse-tête chinois.

Je suis fou d’une charmeuse,
De Paris venue ici,
Dont les saules de la Meuse
Sont tous amoureux aussi.


Je l’ai suivie en Sologne,
Je la suis à Vaucouleurs.
Mon cœur rit, ma raison grogne,
Et me voilà dans les fleurs.

Je l’ai nommée Euryanthe.
J’en perds l’âme et l’appétit.
Circonstance atténuante :
Elle a le pied très petit.

Plains-moi. Telle est ma blessure.
Cela dit, amusons-nous.
Oublions tout, la censure,
Rome, et l’abbé Frayssinous.

Cours les bals, danse aux kermesses.
Les filles ont de la foi ;
Fais-toi tenir les promesses
Qu’elles m’ont faites à moi.

Ris, savoure, aime, déguste,
Et, libres, narguons un peu
Le roi, ce feux nez auguste
Que le prêtre met à Dieu.


11 août.