Académie des sciences – Séance hebdomadaire/20

La bibliothèque libre.
1er décembre 1873

8 décembre 1873

15 décembre 1873

ACADÉMIE DES SCIENCES
Séance du 8 décembre 1873. — Présidence de M. de Quatrefages.

M. Gay. — A l’issue de la séance, le président annonce la perte que l’Académie vient de faire en la personne de M. Gay, et regrette qu’aucun botaniste ne soit là pour résumer les services rendus à la science par ce célèbre et modeste chercheur. Nous rappellerons que son nom est attaché à une immense étude sur le Chili, qui suppose chez celui qui l’a menée à bonne fin les aptitudes les plus variées. M. Gay fut si préoccupé de cette œuvre de toute sa vie, que, bien peu de temps avant sa mort, il se plaisait encore à passer en revue au Muséum les échantillons géologiques qu’il a rapportés de ses explorations dans l’Amérique du Sud.

La levûre de bière. — Pour les amis des discussions orageuses, la pièce importante de la séance est le mémoire lu par M. Trécul, au sujet de la levûre de bière. L’auteur, en effet, continue sa campagne contre M. Pasteur, avec toute la force dont peut disposer un botaniste luttant contre un chimiste qui s’est fourvoyé dans la botanique. On sait que M. Pasteur n’use pas toujours avec ses adversaires d’une modération exemplaire de langage ; M. Trécul le lui rend bien aujourd’hui. Montrant comment les diverses parties des travaux botaniques de M. Pasteur sont peu concordants, M. Trécul lit cette phrase que nous avons sténographiée au vol : « Je ne puis voir là qu’une de ces assertions équivoques, comme on en rencontre tant dans les travaux de M. Pasteur. » On conçoit que M. Pasteur voulait répondre sur-le-champ, et M. Balard s’est joint à lui pour essayer de lui faire obtenir la parole ; mais des amis mieux avisés du célèbre chimiste lui ont persuadé de remettre sa réplique à lundi prochain. Il s’agit là, en effet, des questions les plus délicates de la micrographie, et M. Trécul ne passe pas pour voir mal.

Analyse spectrale des étoiles. — Plus fructueuse pour la science sera sans doute cette autre discussion, qui a commencé aujourd’hui entre MM. Dumas, Le Verrier, Wurtz, Berthelot et Janssen, au sujet des recherches de M. Norman Lockyer sur la spectroscopie stellaire.

Le savant anglais, après avoir perfectionné les méthodes d’observation au point de pouvoir, dans une journée, étudier 3 000 coïncidences de raies spectrales, arrive aux deux conclusions suivantes :

1° Les métaux seuls et l’hydrogène donnent des raies fines. Les métalloïdes et les corps composés déterminent l’apparition de ces bandes plus ou moins larges désignées sous les noms de colonnes et de barres.

2° Lorsqu’on examine les étoiles, on est conduit, d’après l’examen de leurs raies spectrales, à les répartir en trois catégories dont le soleil, Sirius et les étoiles rouges peu brillantes sont les types.

En effet, dans le spectre du soleil, des raies fines indiquent d’après leur position la présence de l’hydrogène, du magnésium, du calcium, du fer, du strontium, du cérium, du cuivre, du plomb, du potassium, du sodium, etc. Et l’on peut remarquer que tous ces métaux donnent des oxydes irréductibles par la chaleur seule. Si on examine ensuite les étoiles les plus brillantes, telles que Sirius, on voit que l’hydrogène est beaucoup plus abondant. A côté de lui apparaît le magnésium. Au contraire, dans les étoiles moins brillantes, les étoiles rouges, on trouve, non plus des lignes fines comme précédemment, mais les barres et les colonnes caractérisant les corps non métalliques, comme la vapeur d’eau, et la combinaison des métaux avec d’autres substances.

D’après ces faits, l’auteur pense que dans les diverses réglons du ciel la matière peut n’être pas dans le même état de condensation. On se rappelle que Lavoisier regardait les éléments de la chimie non pas comme des corps indécomposables, mais seulement comme des corps indécomposés. Toutefois ce fait que le soleil lui-même avec les moyens dont il dispose, n’a pas réalisé la décomposition de nos corps simples, portait à penser que ceux-ci sont bien réellement élémentaires. Or, d’après M. Lockyer, il faudrait s’attendre à trouver dans les étoiles plus chaudes que le soleil nos éléments soumis à une véritable dissociation, et réduits en éléments plus élémentaires encore. On pourrait même croire que le passage de ces éléments à l’état où sont nos corps simples a dû mettre en mouvement une quantité énorme de chaleur, qui apporte un appoint important à l’entretien de la température des étoiles.

Ces conclusions soulèvent néanmoins des questions de thermochimie, que M. Berthelot s’empresse de signaler. La loi de Dulong, d’après laquelle la chaleur atomique de tous les corps simples est la même, fait de ces corps des substances tout à fait à part, et dont la complexité est bien difficile à admettre, en présence des propriétés thermiques si différentes des substances composées. D’ailleurs M. Wurtz fait remarquer que l’existence de l’hydrogène n’autoriserait pas à penser que ces éléments, en se condensant, donneraient de l’hydrogène. Ce peuvent être très-bien des corps simples analogues aux nôtres, quoique différents.

M. Janssen ajoute que tout en s’associant à ces réserves, il est d’avis que les diverses couleurs des étoiles, bleues, blanches, jaunes et rouges, indiquent des états successifs d’un refroidissement de plus en plus avancé au fur et à mesure duquel certaines combinaisons, jusque-là empêchées par la dissociation, deviennent possibles, il saisit l’occasion pour rappeler qu’il a émis ces idées bien avant M. Lockyer et pour protester de la satisfaction que lui inspirent les confirmations de l’astronome anglais.

C’est alors que toute cette discussion, jusque-là si exclusivement scientifique, a failli prendre un tout autre caractère. M. Dumas, d’une voix émue, s’est empressé d’appuyer la réclamation de M. Janssen et d’exprimer sa douleur de voir celui-ci, pendant que nos voisins d’outre-Manche sont si admirablement outillés, absolument privé de moyens de travail. À ces mots, M. Le Verrier, comme si sa chaise eût subitement livré passage à un cent d’épingles, se lève brusquement : « Ce n’est pas ma faute, dit-il, s’il en est ainsi, et je suis le premier à le déplorer ; si cela dépendait de moi cet état de choses ne durerait pas longtemps, etc… » Cependant, comme personne ne l’avait nommé on peut s’étonner de cette susceptibilité. M. le directeur de l’Observatoire a dépensé toute son éloquence pour dire qu’il lui semblait dommage de compromettre d’admirables travaux pour des conséquences hasardées. Il regarde tout ce qui a rapport à une évolution des étoiles comme absolument faux et suivant lui, si les étoiles étaient en passe de se refroidir, il y a longtemps maintenant qu’il n’y en aurait plus une seule assez chaude pour rayonner. On doit conclure de cette affirmation que M. Le Verrier sait la température des étoiles, la vitesse de leur refroidissement, l’époque depuis laquelle elles se refroidissent, etc. Mais il aurait bien dû, à cet égard, donner à l’assistance quelque éclaircissement. Espérons qu’il y reviendra.

Structure de l’œuf. — Il y a déjà quelque temps, M. Balliam, étudiant des œufs d’arachnides, trouva qu’à côté de la vésicule germinative, il s’en trouve une autre qui avait passé inaperçue. Poursuivant ses recherches il trouva que la nouvelle est justement la véritable vésicule germinative et que l’autre, désignée jusque-là sous ce nom, est réellement une vésicule nutritive. Ces faits intéressants ont été confirmés pour les œufs de poisson osseux. Or, l’auteur constate aujourd’hui que la vésicule germinative de ces œufs est réellement une cellule toute organisée et de plus que cette cellule est fournie de toute pièce par la paroi de l’ovaire où l’œuf s’est formé. Il y a là, quant à la transmission de la vie des parents à leurs descendants, un fait dont l’importance capitale n’échappera à personne.

Poissons et poisons. — Au point de vue de l’unité des phénomènes physiologiques, le travail publié aujourd’hui par MM. Rabuteau et Fernaud Papillon est digne d’attention. Ces expérimentateurs ont reconnu, en effet, que chez les poissons les matières toxiques diverses agissent rigoureusement de la même manière que chez les mammifères et les oiseaux.

Rivage miocène à Fresnes-lès-Rungis. — Dans une note que M. Daubrée présente à l’Académie, nous signalons le village de Fresnes, comme situé précisément sur le littoral de la mer qui, au début de l’époque miocène, nourrissait en abondance les huîtres cyathules. L’examen de la couche où sont contenues ces coquilles, nous a fourni en abondance de petits galets calcaires dont la présence suppose forcément le voisinage d’un rivage battu par les flots. De plus ces galets calcaires sont fossilifères et les coquilles qu’ils renferment montrent qu’ils ont été arrachés à des assises de calcaire de Saint-Ouen. C’est donc ce dernier terrain qui constituait les falaises à l’époque où Fresnes aurait pu être un port de mer, si les hommes eussent existé.

Stanislas Meunier.