Le Parnasse contemporain/1869/Aline

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Le Parnasse contemporainAlphonse Lemerre [Slatkine Reprints]II. 1869-1871 (p. 166-170).


ALINE


La neige a couvert tout entier
Le sentier
Qui mène à la maison d’Aline,
Si long quand un seul le parcourt,
Et si court
Quand deux ensemble on y chemine.

Que de fois je l’ai fréquenté
Cet été,
À l’heure où la rosée emperle
Dans la bonne odeur des moissons
Les buissons
Où rentre en caquetant le merle.

Je m’y glissais d’un pas furtif,
Attentif
Au moindre bruit de la feuillée,
Mais surtout évitant les yeux
Curieux
De la lune au ciel éveillée.

J’arrivais avec l’air poltron
D’un larron

Qui n’a pas fait son coup de maître,
Et sans souffler je restais droit
À l’endroit
D’où je l’ai vue à sa fenêtre.

C’est trop bête d’aimer ainsi !
Le souci
Vous ôte le cœur à l’ouvrage,
Et l’on pleure, on ne sait pourquoi ;
Mais, ma foi,
Je vais prendre mon grand courage.

Quand les jours froids seront finis,
Quand les nids
Babilleront sous la ramée,
Sitôt que le souffle attiédi
Du midi
Verdira la plaine embaumée,

J’irai, par les ravins couverts
De buis verts,
Cueillir, où je sais qu’il en pousse,
La primevère au collier d’or.
Pâle encor,
Qui grelotte en son lit de mousse.

Des fleurs elle aime le parfum,
Surtout un,
C’est celui de la violette :

Il en vient, Dieu sait ! tout le long
Du vallon ;
Moi premier j’en ferai cueillette.

Le muguet fleurit dans ce coin,
Et plus loin
La giroflée est par brassées.
Ah ! j’oubliais du romarin,
Puis un brin
D’aimez-moi, puis quelques pensées.

J’ai lié d’un ruban coquet
Mon bouquet,
Et je l’ai caché sous ma veste.
Plus d’une en voudrait un morceau,
Mais tout beau !
Qu’elle aille en chercher s’il en reste.

Je trouve Aline par hasard
A l’écart,
Je l’aborde avec révérence,
Et je lui dis : « Belle aux yeux doux,
Voulez-vous
Encourager mon espérance ? »

Tremblante, elle me tend la main ;
Le carmin
De la honte est sur son visage ;
Sa chère voix, tremblant aussi,

Dit : « Merci ! »
Voilà mes fleurs à son corsage.

Du coup nous sommes fiancés.
C’est assez
D’un mois pour la galanterie ;
Tout bien compté, l’anneau bénit
Nous unit
Le beau jour de Pâque fleurie.

L’avoir à moi seul, quel bonheur !
Vrai ! j’ai peur
D’oublier, le jour, à lui plaire,
Et, la nuit, de pleurer souvent
En rêvant
Que ma noce est encore à faire.

Mais qui donc s’avance là-bas ?
N’est-ce pas
Aline avec un jeune drôle ?
Elle se pend sans embarras
A son bras,
Le cou penché sur son épaule.

Malheur de moi ! tout est perdu !
J’aurais dû
Me risquer plus tôt auprès d’elle ;
J’avais déniché l’oiselet,
Il fallait
Tout de suite lui couper l’aile.


Le cœur ne choisit pas son jour,
Et l’amour
Dresse en toute saison son piége ;
C’est une rose de Noël
Que le ciel
Fait fleurir même sous la neige.