Anthologie des poètes français du XIXème siècle/Arsène Houssaye

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Anthologie des poètes français du XIXème siècle, Texte établi par (Alphonse Lemerre), Alphonse Lemerre, éditeurtome 1, (1762 à 1817) (p. 395-399).



ARSÈNE HOUSSAYE


1815




Cet élégant prosateur est aussi un poète. Directeur de l’Artiste depuis 1844. Nous n’avons pas à juger ici ses œuvres diverses de critique et d’histoire, et ses nombreux romans. Ses premiers poèmes, les Sentiers Perdus, furent publiés en 1841. Depuis, il a donné la Poésie dans les Bois (1845) et la Symphonie de Vingt ans. Il faisait partie du petit cénacle de l’impasse du Doyenné, en compagnie de Gérard de Nerval, de Bouchardy, de Théophile Gautier, qui en parle ainsi :

« Bien qu’il appartienne par ses sympathies à ce grand mouvement romantique, d’où découle toute la poésie de notre siècle, Arsène Houssaye ne s’est fixé sous la bannière d’aucun maître. Il n’est le soldat ni de Lamartine, ni de Victor Hugo, ni d’Alfred de Musset. »

Sainte-Beuve l’a nommé « le Poète des roses et de la Jeunesse. »

Ses poésies ont été publiées par la librairie Hachette.

A. L.



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BÉRANGER À L’ACADÉMIE




Non, mes amis, non, je ne veux rien être :
C’est là ma gloire ! Adressez-vous ailleurs.
Pour l’Institut l’on ne m’a pas fait naître,
Vous avez tant de poètes meilleurs !

Je ne sais rien qu’aimer, chanter et vivre,
Et je veux vivre encore une saison !
Je n’y vois plus ; Lisette est mon seul livre :
Mon institut, à moi, c’est ma maison.

Qu’irais-je faire en votre compagnie ?
Il me faudrait écrire un long discours !
À mes chansons j’ai borné mon génie,
Et si mes vers sont bons, c’est qu’ils sont courts.
Ici, messieurs, la Muse est familière,
Pourvu qu’on ait la rime et la raison.
Ici Courier a commenté Molière…
L’Académie était dans ma maison.

Vous le voyez, c’est la maison du sage.
Et l’hirondelle y revient au printemps ;
Je suis comme elle un oiseau de passage ;
Depuis Noë j’ai parcouru les temps.
Je fus un Grec au siècle d’Aspasie,
J’ai consolé Socrate en sa prison ;
Homère est là : chantez, ma poésie !
J’ai réveillé les dieux de ma maison.

Hier, j’étais sur le pas de ma porte,
Quand l’Orient soudain s’illumina…
Qu’entends-je au loin ? Le vent du soir m’apporte
Les airs connus d’Arcole et d’Iéna !
Ils sont partis, les jeunes gens stoïques ;
Quatre-vingt-neuf, il garde ton blason !
Dieu soit en aide aux soldats héroïques !
Je les bénis du seuil de ma maison.

Vos verts rameaux ceignent des fronts moroses :
Il ne faut pas les toucher de trop près.

Je veux mourir en respirant des roses,
Et vos lauriers ressemblent aux cyprès.
Roseau chantant, déjà ma tête plie,
Laissez-moi l’air, laissez-moi l’horizon !
Immortel, moi ! Mais chut ! la Mort m’oublie…
Si vous alliez lui montrer ma maison !


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SONNET




Je sens fuir le rivage, adieu la Poésie !
Elle reste au pays de l’éternel printemps.
Idéal, idéal que j’ai cherché longtemps,
J’ai surpris ton énigme au cœur du sphinx d’Asie.

Tu te nommes Jeunesse, et verses l’ambroisie
Avec l’urne des dieux aux âmes de vingt ans.
Idéal, Idéal, vierge aux cheveux flottants,
Je te vois, mais je pars et ne t’ai pas saisie.

Cependant le vaisseau m’entraîne en pleine mer,
Et, comme l’exilé, dans sa douleur sauvage,
Je dis aux matelots : « Retournons au rivage ! »

Car j’ai mis au tombeau, sur le rivage amer,
Mon amour le plus cher, ma maîtresse adorée,
La jeunesse divine !… Adieu, Muse éplorée !


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RONSARD




La belle Antiquité s’est couchée au tombeau :
Sur le monde la nuit règne en toute puissance :
Muse du vieil Homère, on pleure ton absence !
Sur le monde qui meurt seul croasse un corbeau.

Enfin Ronsard survient. Il reprend le flambeau
Et le rallume au ciel. Déjà la Renaissance
Brille. Je te salue en ta magnificence,
Ô Ronsard-Apollon, dieu du Jour, dieu du Beau !

Aventureux chercheur en des rives lointaines,
Sur ton navire d’or tu ramenas Athènes
Et ses Olympiens au divin souvenir ;

À la Muse gauloise encor toute gothique,
Tu donnas l’air nouveau sur la cythare antique ;
Tu rouvris le passé, source de l’avenir.


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ORPHÉE




Fils d’Apollon, l’Amour a créé ton génie,
Les hommes ni les dieux n’aimaient pas comme toi.
Pour Homère, jamais les fleuves en émoi
N’ont arrêté leur course en la belle Ionie.


Les arbres et les fleurs suivaient ta symphonie,
Eurydice t’aimait et te saluait roi.
Mais la mort sur ton cœur l’a prise : en ton effroi
Tu courus chez les morts. — Ô cruelle ironie !

Pluton te la rendit pour la reprendre encor :
— Eurydice ! Eurydice ! — En ton sacré délire
Tu voulais n’aimer plus, et tu brisas ta lyre.

Les Bacchantes jetant au loin le thyrse d’or
T’ont mis en pièces ; mais la Muse révoltée
A porté chez les dieux ta tête ensanglantée.



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