Astronomie populaire (Arago)/XVI/08

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GIDE et J. BAUDRY (Tome 2p. 230-237).

CHAPITRE VIII

des stations et rétrogradations des planètes


De tous les phénomènes que présente le firmament, le plus extraordinaire, celui qui embarrassa le plus les anciens observateurs, est le phénomène des stations et des rétrogradations des planètes supérieures. On se rappelle qu’une planète (chap. iii), pendant la très-grande partie de sa course annuelle apparente, se meut de l’occident à l’orient, mais qu’avant de parvenir à l’opposition, ce mouvement se ralentit et ensuite s’arrête totalement ; qu’après une station de quelque durée la planète se met à marcher de l’orient à l’occident ; que c’est par ce mouvement rétrograde qu’elle arrive à l’opposition ; que ce mouvement rétrograde, continué au delà de l’opposition, conduit la planète dans une seconde station, à partir de laquelle elle reprend son mouvement direct ou dirigé de l’occident à l’orient.

Les figures 174, 175, 176 et 177 représentent, d’après Cassini qui les a données dans les Mémoires de l’Académie des sciences pour 1709, les routes que suivent Mercure, Vénus, Mars, Jupiter et Saturne autour de la Terre supposée immobile au centre du monde.

Fig. 174. — Mouvement de Mercure par rapport à la Terre, d’après Cassini,
de 1708 à 1715.

Les routes ainsi obtenues sont des espèces d’épicycloïdes présentant vers chaque conjonction inférieure ou chaque opposition, une sorte de nœud. Dans ces figures l’orbite apparente annuelle du Soleil est marquée par une ligne ponctuée.

Les anciens n’avaient pu rendre compte de ces mouvements successivement directs et rétrogrades, et séparés par deux points d’immobilité ou de station, que par l’hypothèse des épicycles, entièrement contraire, comme on le verra tout à l’heure, aux principes les plus simples, les plus élémentaires, les plus évidents de la mécanique. Ces mouvements s’expliquent, au contraire, très-naturellement, si l’on suppose que la Terre est une planète.

Fig. 175. - Mouvement de Vénus par rapport a la Terre, d’après Cassini,
de 1708 a 1716.

D’après les temps des révolutions de chaque planète et sa distance au Soleil, on peut déterminer la vitesse angulaire moyenne qu’elle possède en son orbite.
Fig. 176. — Mouvement de Mars par rapport à la Terre, d’après Cassini,
de 1708 à 1723.

On trouve ainsi que cette vitesse est d’autant plus considérable que la planète est plus près du Soleil, Ainsi, la vitesse de Mercure surpasse celle de Vénus, la vitesse de Vénus est supérieure à celle de la Terre, la vitesse de la Terre surpasse celle de Mars, et ainsi de suite, à mesure qu’on s’éloigne du Soleil. Ces vitesses angulaires sont contenues dans le tableau du chapitre v sous le titre de moyens mouvements diurnes.
Fig. 177. — Mouvements de Jupiter et de Saturne par rapport a la Terre, d’après
Cassini, de 1708 à 1740 pour Jupiter, et de 1708 à 1737 pour Saturne.

Nous n’avons pas besoin d’autre chose pour faire voir que Mars, Jupiter, Saturne, Uranus, Neptune, vont offrir dans leurs marches apparentes, telles qu’elles sont observées de la Terre, deux stations l’une avant, l’autre après l’opposition, et que, dans l’intervalle compris entre les deux stations, la planète, rapportée aux étoiles, doit paraître rétrograder, quoiqu’elle continue à se mouvoir de l’occident à l’orient. Une figure rendra le phénomène évident.
Fig. 178. — Explication des stations et rétrogradations
des planètes supérieures.

Soient S (fig. 178) le Soleil, TZ l’orbite de la Terre, VM l’orbite de Mars, ER la région des étoiles infiniment éloignées à la fois de Mars et de la Terre. Supposons que Mars soit en opposition, alors le Soleil S, la Terre T, et Mars M, devront être placés en ligne droite. Soient T′ le point que la Terre occupe dans son orbite le lendemain de l’opposition, M′ la place où Mars est parvenu dans son orbite le lendemain de cette même opposition ; M′ sera à gauche du point M, comme le point T′ est à gauche du point T, les deux planètes s’étant mues simultanément dans la même direction. Mais d’après la remarque que nous avons faite tout à l’heure sur les vitesses comparatives, si nous voulons que la figure représente la réalité des choses, il faudra que MM′ soit plus petit que TT′. Eh bien, le jour de l’opposition, la ligne STM aboutissait au firmament à une étoile E, la ligne visuelle T′M′, correspondante au lendemain de l’opposition ne pourra, comme la figure le représente, à cause de la petitesse de MM′ comparée à TT′, qu’aboutir à une étoile E′ située à droite de l’étoile E par laquelle passait le rayon visuel le jour de l’opposition. La planète Mars aura donc en apparence marché de gauche à droite, quoiqu’en réalité elle se soit déplacée de droite à gauche. Le lendemain, le même raisonnement pourra être appliqué relativement à la ligne visuelle passant par les positions T″ et M″ de la Terre et de Mars. Mais bientôt il arrivera qu’à cause de la courbure plus sensible de l’orbite de la Terre, le mouvement de notre globe se présentera plus obliquement au rayon visuel, et les lignes qui passent par deux positions successives de la Terre et de Mars seront parallèles entre elles ; ces lignes aboutiront à la même étoile pendant plusieurs jours consécutifs, et Mars, quoiqu’il se soit toujours déplacé, semblera immobile ou stationnaire.

Les mêmes phénomènes doivent évidemment s’observer avant que Mars soit parvenu à l’opposition ; la planète, stationnaire un certain jour, doit rétrograder avec une vitesse graduellement croissante jusqu’au jour où l’opposition arrive.

Une explication semblable rendrait compte des rétrogradations de Jupiter et de Saturne. Elle a ce caractère, qu’elle donne non-seulement le sens dans lequel le phénomène se réalise, mais qu’elle peut même servir à en produire numériquement toutes les circonstances, telles que la durée de chaque station et l’étendue totale de la rétrogradation.

Cette théorie a rendu compte avec la plus grande exactitude des rétrogradations d’Uranus et de Neptune, planètes nouvellement découvertes, comme aussi de la rétrogradation de la nombreuse suite d’astéroïdes compris entre Mars et Jupiter.

Ainsi les phénomènes des stations et rétrogradations des planètes devant lesquels les efforts des plus grands génies de l’antiquité étaient restés impuissants, ont servi à prouver que la Terre est une planète obéissant, comme chacune des autres planètes connues des anciens ou successivement découvertes, aux lois établies par Kepler.

Rappelons, en finissant ce chapitre, qu’en discutant les seules observations que ferait un astronome situé dans le Soleil, on ne trouverait, à cause de l’immobilité du centre de l’observation, aucun indice de stationnement et de rétrogradation ; en sorte qu’il est prouvé que ce phénomène remarquable est une illusion due au déplacement continuel de l’observateur ; il fournit la meilleure démonstration qu’on puisse imaginer du déplacement journalier de notre globe.