Biographie nationale de Belgique/Tome 1/BAUDOUIN IX

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BAUDOUIN IX[1], comte de Flandre et de Hainaut, empereur de Constantinople, fils du précédent et de Marguerite, sœur et héritière du comte de Flandre, Philippe d’Alsace, naquit à Valenciennes en 1171. A peine sorti de l’adolescence, il avait fait preuve des plus nobles qualités de l’esprit et du cœur, que rehaussait encore son amour éclairé des sciences et des lettres. Le sang-froid et la valeur qu’il déploya à la bataille de Neuville-sur-Méhaigne le couvrirent de gloire. Aussi fut-il accueilli avec enthousiasme, quand la mort de sa mère le mit en possession du comté de Flandre. On avait l’espoir qu’il saurait recouvrer l’Artois, que son oncle en avait imprudemment démembré, et cet espoir s’accrut, quand l’héritage paternel lui permit encore de disposer de cette chevalerie si renommée du Hainaut. Cependant la famine qui désolait ses États le contraignit à temporiser, et c’est plus tard que, s’alliant aux rois d’Angleterre contre Philippe-Auguste, il put obliger ce puissant monarque à restituer aux Flamands les villes situées en deçà du Fossé-Neuf. Il s’occupait à améliorer la législation et à raviver l’industrie et le commerce, renonçant pour lui-même à des droits onéreux et vexatoires, quand Foulques de Neuilly prêcha une nouvelle croisade. Baudouin prit la croix avec Marie de Champagne, sa femme, et parvint a organiser, avant l’époque fixée pour le départ, une armée aussi belle que nombreuse et une flotte de soixante voiles. En même temps il arrêtait les mesures nécessaires pour assurer l’ordre et la paix pendant son absence. Bientôt la flotte, qui portait la comtesse et une troupe de chevaliers d’élite, appareilla du Swyn, avec ordre de se diriger sur Venise, tandis que le comte avec l’armée de terre prenait la route de la même ville. Il y arriva fort heureusement pour les croisés que menaçait la discorde et qui n’auraient pu sans ses richesses compléter les sommes que les Vénitiens exigeaient pour le transport des troupes. Lorsque, après la prise de Zara, le prince Alexis vint, au nom de son père, réclamer l’assistance des croisés, Baudouin se déclara hautement en sa faveur. Il entra dans Constantinople (avril 1204) à la tête de l’avant-garde, formée surtout d’excellents archers et arbalétriers, dont le comte de Flandre comptait un plus grand nombre que les autres seigneurs. Au second siége de la ville, il occupa les tentes encore dressées de l’usurpateur Murtzuphle. La ville étant de nouveau soumise aux Latins, ils songèrent, d’après le traité conclu avant la victoire, à choisir un empereur parmi leurs chefs. Deux surtout se partageaient les suffrages : Baudouin et le marquis de Montferrat, chef de la croisade. Douze électeurs, choisis en partie par les Vénitiens et en partie par les Francs, se réunirent, le 9 mai, au palais de Bucoleon, et après une délibération qui dura tout le jour et une partie de la nuit, le comte de Flandre et de Hainaut fut à l’unanimité proclamé empereur d’Orient. Tous les princes, et en particulier le marquis de Montferrat, se montrèrent heureux de ce choix, et les Grecs applaudirent aussi vivement que les Latins au couronnement du nouveau monarque (16 mai). Cependant, beaucoup restait à faire. La plupart des villes et des châteaux que les croisés s’étaient distribués entre eux ne se montraient pas soumis et des partis ennemis assez nombreux tenaient encore la campagne. On s’était mis en devoir d’achever la conquête, quand il surgit entre l’empereur et le marquis de Monferrat, devenu roi de Thessalonique, un dissentiment qui pouvait tout perdre, s’il n’eût été promptement aplani par les conseils des barons et plus encore par la modération des deux souverains. Beaucoup de villes reconnurent le nouvel ordre des choses, et l’usurpateur Murtzuphle, fait prisonnier, subit le supplice dû à ses crimes. Malheureusement Baudouin avait dû refuser l’alliance que lui offrit Joannice, roi des Bulgares, parce qu’il y avait mis des conditions qui devaient déshonorer l’empereur aux yeux de ses nouveaux sujets, et ce prince à demi barbare, puissant et fier, s’était allié aux Grecs insoumis. Heureux d’avoir rencontré un tel auxiliaire, ceux-ci reprirent courage et se rendirent maîtres de Didymotique et d’Andrinople, qui appartenait aux Vénitiens. À cette nouvelle, l’empereur se hâta d’assembler une armée, mais comme ses lieutenants combattaient par colonnes séparées et assez éloignées les unes des autres, il ne put réunir qu’un corps d’armée de huit mille hommes, auquel s’adjoignit un faible détachement de Vénitiens. Probablement il eût agi avec plus de prudence, en attendant le retour de son frère Henri, qui commandait de l’autre côté du Bosphore des troupes victorieuses, mais les croisés n’avaient pas l’habitude de compter leurs ennemis, et Baudouin souffrait mal de voir flotter l’étendard de la révolte sur les murs d’Andrinople. Il assiégea cette ville, et, sur la nouvelle que Joannice accourait au secours de celle-ci avec une armée nombreuse de Bulgares, de Valaques et de Comans, il fut résolu qu’en cas d’attaque on se rangerait en bataille devant les retranchements, sans permettre à personne de s’en écarter. La Providence permit qu’un des chefs, le comte de Blois, oubliât lui-même une défense aussi sage. Il s’emporta au point de suivre, avec une poignée de chevaliers, les Comans qui paraissaient fuir devant lui, et jusqu’à deux lieues, du camp. L’empereur extrêmement contrarié par ce départ, prit cependant la même route pour ramener le comte ; mais à peine l’avait-il rejoint, qu’ils se virent enveloppés par une nuée de barbares. En vain les chevaliers firent-ils des prodiges de valeur et tuèrent une multitude d’ennemis, ils devaient finir par succomber, et Baudouin, qui se défendit le dernier, éprouva le même sort (14 avril 1205). Quelques historiens le disent tué dans la mêlée, mais d’autres, en plus grand nombre, croient qu’il mourut l’année suivante dans les fers de Joannice. Les circonstances de sa mort, rapportées par quelques écrivains, ne sont qu’une fable, mais l’incertitude qui régna longtemps à cet égard donna naissance à l’imposture connue de Bertrand de Rayns (voir ce nom). L’empereur Baudouin ne laissait que deux filles, Jeanne et Marguerite, l’une après l’autre comtesses de Flandre.

J.-J. De Smet.

Gislebert, Chron. Hannoniæ. — Corpus Chron. Flandriæ. — Sueyro, Anales de Flandes, t. II. — Niester, Chron. Annal. Alex. — Villehardouin, De la conqueste de Constantinople.


  1. La vie de ce grand prince ayant été plus d’une fois longuement écrite dans des ouvrages spéciaux et dans l’Histoire des Croisades, nous avons dû nous borner à condenser ici les principaux et ne pas empiéter sur l’histoire générale de cette époque mémorable.