Bouvard et Pécuchet/Chapitre VII

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Louis Conard (Œuvres complètes de Gustave Flaubert, tome Ip. 227-240).


VII


Des jours tristes commencèrent.

Ils n’étudiaient plus dans la peur de déceptions ; les habitants de Chavignolles s’écartaient d’eux, les journaux tolérés n’apprenaient rien, et leur solitude était profonde, leur désœuvrement complet.

Quelquefois ils ouvraient un livre, et le refermaient ; à quoi bon ? En d’autres jours, ils avaient l’idée de nettoyer le jardin, au bout d’un quart d’heure une fatigue les prenait ; ou de voir leur ferme, ils en revenaient écœurés ; ou de s’occuper de leur ménage, Germaine poussait des lamentations ; ils y renoncèrent.

Bouvard voulut dresser le catalogue du muséum, et déclara ces bibelots stupides.

Pécuchet emprunta la canardière de Langlois pour tirer des alouettes ; l’arme, éclatant du premier coup, faillit le tuer.

Donc ils vivaient dans cet ennui de la campagne, si lourd quand le ciel blanc écrase de sa monotonie un cœur sans espoir. On écoute le pas d’un homme en sabots qui longe le mur, ou les gouttes de la pluie tomber du toit par terre. De temps à autre, une feuille morte vient frôler la vitre, puis tournoie et s’en va. Des glas indistincts sont apportés par le vent. Au fond de l’étable, une vache mugit.

Ils bâillaient l’un devant l’autre, consultaient le calendrier, regardaient la pendule, attendaient les repas ; et l’horizon était toujours le même : des champs en face, à droite l’église, à gauche un rideau de peupliers ; leurs cimes se balançaient dans la brume, perpétuellement, d’un air lamentable.

Des habitudes, qu’ils avaient tolérées, les faisaient souffrir. Pécuchet devenait incommode avec sa manie de poser sur la nappe son mouchoir, Bouvard ne quittait plus la pipe, et causait en se dandinant. Des contestations s’élevaient, à propos des plats ou de la qualité du beurre. Dans leur tête-à-tête ils pensaient à des choses différentes.

Un événement avait bouleversé Pécuchet.

Deux jours après l’émeute de Chavignolles, comme il promenait son déboire politique, il arriva dans un chemin, couvert par des ormes touffus, et il entendit derrière son dos une voix crier :

— Arrête !

C’était Mme Castillon. Elle courait de l’autre côté, sans l’apercevoir. Un homme qui marchait devant elle se retourna. C’était Gorju ; et ils s’abordèrent à une toise de Pécuchet, la rangée des arbres les séparant de lui.

— Est-ce vrai ? dit-elle, tu vas te battre ?

Pécuchet se coula dans le fossé, pour entendre :

— Eh bien ! oui, répliqua Gorju, je vais me battre ! Qu’est-ce que ça te fait ?

— Il le demande ! s’écria-t-elle en se tordant les bras. Mais si tu es tué, mon amour ! Oh reste !

Et ses yeux bleus, plus encore que ses paroles, le suppliaient.

— Laisse-moi tranquille ! je dois partir !

Elle eut un ricanement de colère.

— L’autre l’a permis, hein ?

— N’en parle pas !

Il leva son poing fermé.

— Non ! mon ami, non ! je me tais, je ne dis rien.

Et de grosses larmes descendaient le long de ses joues dans les ruches de sa collerette.

Il était midi. Le soleil brillait sur la campagne, couverte de blés jaunes. Tout au loin, la bâche d’une voiture glissait lentement. Une torpeur s’étalait dans l’air ; pas un cri d’oiseau, pas un bourdonnement d’insecte. Gorju s’était coupé une badine, et en raclait l’écorce. Mme Castillon ne relevait pas la tête.

Elle songeait, la pauvre femme, à la vanité de ses sacrifices, les dettes qu’elle avait soldées, ses engagements d’avenir, sa réputation perdue. Au lieu de se plaindre, elle lui rappela les premiers temps de leur amour, quand elle allait, toutes les nuits, le rejoindre dans la grange ; si bien qu’une fois son mari, croyant à un voleur, avait lâché, par la fenêtre, un coup de pistolet. La balle était encore dans le mur.

— Du moment que je t’ai connu, tu m’as semblé beau comme un prince. J’aime tes yeux, ta voix, ta démarche, ton odeur !

Elle ajouta plus bas :

— Je suis en folie de ta personne !

Il souriait, flatté dans son orgueil.

Elle le prit à deux mains par les flancs, et la tête renversée, comme en adoration.

— Mon cher cœur ! mon cher amour ! mon âme ! ma vie ! Voyons, parle, que veux-tu ? Est-ce de l’argent ? On en trouvera. J’ai eu tort ! je t’ennuyais ! pardon ! et commande-toi des habits chez le tailleur, bois du champagne, fais la noce, je te permets tout, tout.

Elle murmura dans un effort suprême :

— Jusqu’à elle !… pourvu que tu reviennes à moi.

Il se pencha sur sa bouche, un bras autour de ses reins, pour l’empêcher de tomber, et elle balbutiait :

— Cher cœur ! cher amour ! comme tu es beau ! mon Dieu, que tu es beau !

Pécuchet, immobile, et la terre du fossé à la hauteur de son menton, les regardait, en haletant.

— Pas de faiblesse ! dit Gorju, je n’aurais qu’à manquer la diligence ! on prépare un fameux coup de chien ; j’en suis ! Donne-moi dix sous, pour que je paye un gloria au conducteur.

Elle tira cinq francs de sa bourse.

— Tu me les rendras bientôt. Aie un peu de patience ! Depuis le temps qu’il est paralysé ! songe donc ! Et si tu voulais, nous irions à la chapelle de la Croix-Janval, et là, mon amour, je jurerais, devant la sainte Vierge, de t’épouser, dès qu’il sera mort !

— Eh ! il ne meurt jamais, ton mari !

Gorju avait tourné les talons. Elle le rattrapa ; et se cramponnant à ses épaules :

— Laisse-moi partir avec toi ! je serai ta domestique ! Tu as besoin de quelqu’un. Mais ne t’en va pas ! ne me quitte pas ! La mort plutôt ! Tue-moi !

Elle se traînait à ses genoux, tâchant de saisir ses mains pour les baiser ; son bonnet tomba, son peigne ensuite, et ses cheveux courts s’éparpillèrent. Ils étaient blancs sous les oreilles, et comme elle le regardait de bas en haut, toute sanglotante, avec ses paupières rouges et ses lèvres tuméfiées, une exaspération le prit, il la repoussa.

— Arrière, la vieille ! Bonsoir !

Quand elle se fut relevée, elle arracha la croix d’or qui pendait à son cou, et la jetant vers lui :

— Tiens ! canaille !

Gorju s’éloignait, en tapant avec sa badine les feuilles des arbres.

Mme Castillon ne pleurait pas. La mâchoire ouverte et les prunelles éteintes, elle resta sans faire un mouvement, pétrifiée dans son désespoir ; n’étant plus un être, mais une chose en ruines.

Ce qu’il venait de surprendre fut, pour Pécuchet, comme la découverte d’un monde, tout un monde ! qui avait des lueurs éblouissantes, des floraisons désordonnées, des océans, des tempêtes, des trésors, et des abîmes d’une profondeur infinie ; un effroi s’en dégageait, qu’importe ! Il rêva l’amour, ambitionnait de le sentir comme elle, de l’inspirer comme lui.

Pourtant il exécrait Gorju, et, au corps de garde, avait eu peine à ne pas le trahir.

L’amant de Mme Castillon l’humiliait par sa taille mince, ses accroche-cœurs égaux, sa barbe floconneuse, un air de conquérant ; tandis que sa chevelure, à lui…, se collait sur son crâne comme une perruque mouillée ; son torse, dans sa houppelande, ressemblait à un traversin, deux canines manquaient et sa physionomie était sévère. Il trouvait le ciel injuste, se sentait comme déshérité, et son ami ne l’aimait plus.

Bouvard l’abandonnait tous les soirs. Après la mort de sa femme, rien ne l’eût empêché d’en prendre une autre, et qui maintenant le dorloterait, soignerait sa maison. Il était trop vieux pour y songer.

Mais Bouvard se considéra dans la glace. Ses pommettes gardaient leurs couleurs, ses cheveux frisaient comme autrefois, pas une dent n’avait bougé, et, à l’idée qu’il pouvait plaire, il eut un retour de jeunesse. Mme Bordin surgit dans sa mémoire. Elle lui avait fait des avances : la première fois, lors de l’incendie des meules ; la seconde, à leur dîner ; puis dans le muséum, pendant la déclamation, et dernièrement elle était venue sans rancune, trois dimanches de suite. Il alla donc chez elle, et y retourna, se promettant de la séduire.

Depuis le jour où Pécuchet avait observé la petite bonne tirant de l’eau, il lui parlait plus souvent ; et soit qu’elle balayât le corridor, ou qu’elle étendît du linge, ou qu’elle tournât les casseroles, il ne pouvait se rassasier du bonheur de la voir, surpris lui-même de ses émotions, comme dans l’adolescence. Il en avait les fièvres et les langueurs, et était persécuté par le souvenir de Mme Castillon, étreignant Gorju.

Il questionna Bouvard sur la manière dont les libertins s’y prennent pour avoir des femmes.

— On leur fait des cadeaux, on les régale au restaurant.

— Très bien ! Mais ensuite ?

— Il y en a qui feignent de s’évanouir, pour qu’on les porte sur un canapé ; d’autres laissent tomber par terre leur mouchoir. Les meilleures vous donnent un rendez-vous, franchement.

Et Bouvard se répandit en descriptions, qui incendièrent l’imagination de Pécuchet comme des gravures obscènes.

— La première règle, c’est de ne pas croire à ce qu’elles disent. J’en ai connu qui, sous l’apparence de saintes, étaient de véritables Messalines ! Avant tout, il faut être hardi !

Mais la hardiesse ne se commande pas. Pécuchet, quotidiennement, ajournait sa décision, était d’ailleurs intimidé par la présence de Germaine.

Espérant qu’elle demanderait son compte, il en exigea un surcroît de besogne, notait les fois qu’elle était grise, remarquait tout haut sa malpropreté, sa paresse, et fit si bien qu’on la renvoya.

Alors Pécuchet fut libre !

Avec quelle impatience il attendait la sortie de Bouvard ! Quel battement de cœur, dès que la porte était refermée !

Mélie travaillait sur un guéridon, près de la fenêtre, à la clarté d’une chandelle ; de temps à autre, elle cassait son fil avec ses dents, puis clignait les yeux, pour l’ajuster dans la fente de l’aiguille.

D’abord, il voulut savoir quels hommes lui plaisaient. Était-ce, par exemple, ceux du genre de Bouvard ? Pas du tout ; elle préférait les maigres. Il osa lui demander si elle avait eu des amoureux ?

— Jamais !

Puis, se rapprochant, il contemplait son nez fin, sa bouche étroite, le tour de sa figure. Il lui adressa des compliments et l’exhortait à la sagesse.

En se penchant sur elle, il apercevait dans son corsage des formes blanches, d’où émanait une tiède senteur, qui lui chauffait la joue. Un soir, il toucha des lèvres les cheveux follets de sa nuque, et il en ressentit un ébranlement jusqu’à la moelle des os. Une autre fois, il la baisa sur le menton, en se retenant de ne pas mordre sa chair, tant elle était savoureuse. Elle lui rendit son baiser. L’appartement tourna. Il n’y voyait plus.

Il lui fit cadeau d’une paire de bottines, et la régalait souvent d’un verre d’anisette…

Pour lui éviter du mal, il se levait de bonne heure, cassait le bois, allumait le feu, poussait l’attention jusqu’à nettoyer les chaussures de Bouvard.

Mélie ne s’évanouit pas, ne laissa pas tomber son mouchoir, et Pécuchet ne savait à quoi se résoudre, son désir augmentant par la peur de le satisfaire.

Bouvard faisait assidûment la cour à Mme Bordin.

Elle le recevait, un peu sanglée dans sa robe de soie gorge-de-pigeon, qui craquait comme le harnais d’un cheval, tout en maniant par contenance sa longue chaîne d’or.

Leurs dialogues roulaient sur les gens de Chavignolles ou « défunt son mari », autrefois huissier à Livarot.

Puis elle s’informa du passé de Bouvard, curieuse de connaître « ses farces de jeune homme », sa fortune incidemment, par quels intérêts il était lié à Pécuchet.

Il admirait la tenue de sa maison, et, quand il dînait chez elle, la netteté du service, l’excellence de la table. Une suite de plats d’une saveur profonde, que coupait par intervalles égaux un vieux pomard, les menait jusqu’au dessert, où ils étaient fort longtemps à prendre le café ; et Mme Bordin, en dilatant les narines, trempait dans la soucoupe sa lèvre charnue, ombrée légèrement d’un duvet noir.

Un jour, elle apparut décolletée. Ses épaules fascinèrent Bouvard. Comme il était sur une petite chaise devant elle, il se mit à lui passer les deux mains le long des bras. La veuve se fâcha. Il ne recommença plus, mais il se figurait des rondeurs d’une amplitude et d’une consistance merveilleuse.

Un soir que la cuisine de Mélie l’avait dégoûté, il eut une joie en entrant dans le salon de Mme Bordin. C’est là qu’il aurait fallu vivre !

Le globe de la lampe, couvert d’un papier rose, épandait une lumière tranquille. Elle était assise auprès du feu ; et son pied passait le bord de sa robe. Dès les premiers mots, l’entretien tomba.

Cependant elle le regardait, les cils à demi fermés, d’une manière langoureuse, avec obstination.

Bouvard n’y tint plus ! et s’agenouillant sur le parquet, il bredouilla :

— Je vous aime ! Marions-nous !

Mme Bordin respira fortement, puis, d’un air ingénu, dit qu’il plaisantait ; sans doute, on allait se moquer, ce n’était pas raisonnable. Cette déclaration l’étourdissait.

Bouvard objecta qu’ils n’avaient besoin du consentement de personne.

— Qui vous arrête ? est-ce le trousseau ? Notre linge a une marque pareille, un B ! nous unirons nos majuscules.

L’argument lui plut. Mais une affaire majeure l’empêchait de se décider avant la fin du mois. Et Bouvard gémit.

Elle eut la délicatesse de le reconduire, escortée de Marianne, qui portait un falot.

Les deux amis s’étaient caché leur passion.

Pécuchet comptait voiler toujours son intrigue avec la bonne. Si Bouvard s’y opposait, il l’emmènerait vers d’autres lieux, fût-ce en Algérie, où l’existence n’est pas chère ! Mais rarement il formait de ces hypothèses, plein de son amour, sans penser aux conséquences.

Bouvard projetait de faire du muséum la chambre conjugale, à moins que Pécuchet ne s’y refusât ; alors il habiterait le domicile de son épouse.

Un après-midi de la semaine suivante, c’était chez elle, dans son jardin, les bourgeons commençaient à s’ouvrir, et il y avait, entre les nuées, de grands espaces bleus ; elle se baissa pour cueillir des violettes, et dit, en les présentant :

— Saluez Mme Bouvard !

— Comment ! Est-ce vrai ?

— Parfaitement vrai.

Il voulut la saisir dans ses bras, elle le repoussa.

— Quel homme !

Puis, devenue sérieuse, l’avertit que bientôt elle lui demanderait une faveur.

— Je vous l’accorde !

Ils fixèrent la signature de leur contrat à jeudi prochain.

Personne, jusqu’au dernier moment, n’en devait rien savoir.

— Convenu !

Et il sortit les yeux au ciel, léger comme un chevreuil.

Pécuchet, le matin du même jour, s’était promis de mourir s’il n’obtenait pas les faveurs de sa bonne, et il l’avait accompagnée dans la cave, espérant que les ténèbres lui donneraient de l’audace.

Plusieurs fois, elle avait voulu s’en aller ; mais il la retenait pour compter les bouteilles ; choisir des lattes, ou voir le fond des tonneaux, cela durait depuis longtemps.

Elle se trouvait, en face de lui, sous la lumière du soupirail, droite, les paupières basses, le coin de la bouche un peu relevé.

— M’aimes-tu ? dit brusquement Pécuchet.

— Oui ! je vous aime.

— Eh bien, alors, prouve-le-moi !

Et l’enveloppant du bras gauche, il commença de l’autre main à dégrafer son corset.

— Vous allez me faire du mal ?

— Non ! mon petit ange ! N’aie pas peur !

— Si M. Bouvard…

— Je ne lui dirai rien ! Sois tranquille !

Un tas de fagots se trouvait derrière. Elle s’y laissa tomber, les seins hors de la chemise, la tête renversée ; puis se cacha la figure sous un bras ; et un autre eût compris qu’elle ne manquait pas d’expérience.

Bouvard, bientôt, arriva pour dîner.

Le repas se fit en silence, chacun ayant peur de se trahir ; Mélie les servait, impassible comme d’habitude ; Pécuchet tournait les yeux, pour éviter les siens, tandis que Bouvard, considérant les murs, songeait à des améliorations.

Huit jours après, le jeudi, il rentra furieux.

— La sacrée garce !

— Qui donc ?

Mme Bordin.

Et il conta qu’il avait poussé la démence jusqu’à vouloir en faire sa femme ; mais tout était fini, depuis un quart d’heure chez Marescot.

Elle avait prétendu recevoir en dot les Écalles, dont il ne pouvait disposer, l’ayant comme la ferme, soldée en partie avec l’argent d’un autre.

— Effectivement ! dit Pécuchet.

— Et moi ! qui ai eu la bêtise de lui promettre une faveur à son choix ! C’était celle-là ! j’y ai mis de l’entêtement ; si elle m’aimait, elle m’eût cédé !

La veuve, au contraire, s’était emportée en injures, avait dénigré son physique, sa bedaine.

— Ma bedaine ! je te demande un peu !

Pécuchet cependant était sorti plusieurs fois, marchait les jambes écartées.

— Tu souffres ? dit Bouvard.

— Oh ! oui ! je souffre !

Et ayant fermé la porte, Pécuchet, après beaucoup d’hésitations, confessa qu’il venait de se découvrir une maladie secrète.

— Toi ?

— Moi-même !

— Ah ! mon pauvre garçon ! qui te l’a donnée !

Il devint encore plus rouge, et dit d’une voix encore plus basse :

— Ce ne peut être que Mélie !

Bouvard en demeura stupéfait.

La première chose était de renvoyer la jeune personne.

Elle protesta d’un air candide.

Le cas de Pécuchet était grave, pourtant ; mais, honteux de sa turpitude, il n’osait voir le médecin.

Bouvard imagina de recourir à Barberou.

Ils lui adressèrent le détail de la maladie, pour le montrer à un docteur qui la soignerait par correspondance. Barberou y mit du zèle, persuadé qu’elle concernait Bouvard, et l’appela vieux roquentin, tout en le félicitant.

— À mon âge ! disait Pécuchet, n’est-ce pas lugubre ! Mais pourquoi m’a-t-elle fait ça ?

— Tu lui plaisais.

— Elle aurait dû me prévenir.

— Est-ce que la passion raisonne !

Et Bouvard se plaignait de Mme Bordin.

Souvent, il l’avait surprise arrêtée devant les Écalles, dans la compagnie de Marescot, en conférence avec Germaine, tant de manœuvres pour un peu de terre !

— Elle est avare ! Voilà l’explication !

Ils ruminaient ainsi leurs mécomptes, dans la petite salle, au coin du feu.

Pécuchet, tout en avalant ses remèdes, Bouvard, en fumant des pipes, et ils dissertaient sur les femmes.

— Étrange besoin, est-ce un besoin ? Elles poussent au crime, à l’héroïsme et à l’abrutissement. L’enfer sous un jupon, le paradis dans un baiser ; ramage de tourterelle, ondulations de serpent, griffe de chat ; perfidie de la mer, variété de la lune.

Ils dirent tous les lieux communs qu’elles ont fait répandre.

C’était le désir d’en avoir qui avait suspendu leur amitié. Un remords les prit.

— Plus de femmes, n’est-ce pas ? Vivons sans elles !

Et ils s’embrassèrent avec attendrissement.

Il fallait réagir ; et Bouvard, après la guérison de Pécuchet, estima que l’hydrothérapie leur serait avantageuse.

Germaine, revenue dès le départ de l’autre, charriait tous les matins, la baignoire dans le corridor.

Les deux bonshommes, nus comme des sauvages, se lançaient de grands seaux d’eau, puis ils couraient pour rejoindre leurs chambres. On les vit par la claire-voie ; et des personnes furent scandalisées.