Grands névropathes (Cabanès)/Tome 1/5

La bibliothèque libre.
◄   CHATEAUBRIAND SHELLEY   ►

BYRON

« J’ai réservé, écrit Taine en tête du long chapitre qu’il consacre à Lord Byron, dans son Histoire de la littérature anglaise, j’ai réservé le plus grand et le plus anglais de ces artistes ; il est si grand et si anglais, qu’à lui seul il nous apprendra sur son pays et sur son temps plus de vérités que tous les autres ensemble. On a maudit ses idées pendant sa vie ; on a tâché de dénigrer son génie après sa mort. Encore aujourd’hui, les critiques anglais, à son endroit, sont injustes. Il a combattu toute sa vie contre le monde dont il est issu, et pendant sa vie comme après sa mort, il a porté la peine des ressentiments qu’il a provoqués et des répugnances qu’il a fait naître…

« Si jamais il y eut une âme violente et follement sensible, mais incapable de se déprendre d’elle-même, toujours bouleversée, mais dans une enceinte fermée, prédestinée par sa fougue native à la poésie, mais limitée par ses barrières naturelles à une seule espèce de poésie, c’est celle-là. »

Et plus loin :

« … Petite ou grande, la passion présente s’abattait sur son esprit comme une tempête, le soulevait, l’emportait jusqu’à l’imprudence et jusqu’au génie. Son journal, ses lettres familières, toute sa prose involontaire est comme frémissante d’esprit, de colère, d’enthousiasme ; le cri de la sensation y vibre aux moindres mots : depuis Saint-Simon, on n’a pas vu de confidences plus vivantes. Tous les styles semblent ternes, et toutes les âmes semblent inertes à côté de celle-là…

« … Il aimait le danger, le danger mortel, et ne se trouvait à son aise qu’en voyant se hérisser autour de lui les pointes de toutes les colères. Seul contre tous, contre une société armée, debout, invincible, même au bon sens, même à la conscience, c’est alors qu’il ressentait dans tous ses nerfs tendus la sensation grandiose et terrible vers laquelle, involontairement, tout son être se portait…

« … l’angoisse endurée, le danger bravé, la résistance domptée, la douleur savourée ; toutes les tristesses de la noire manie belliqueuse, voilà les images qu’il avait besoin de faire flotter devant lui. À défaut d’action, il avait les rêves, et il ne se réduisait aux rêves qu’à défaut d’action…

« … Il était trop replié sur soi pour s’éprendre d’autre chose ; le roidissement habituel de la volonté empêche l’esprit d’être flexible ; sa force, toujours concentrée pour l’effort et tendue vers la lutte, l’enfermait dans la contemplation de lui-même, et le réduisait à ne jamais faire que l’épopée de son propre cœur…

« … Quelque objet qu’il touchât, il le faisait palpiter et vivre : c’est qu’en le regardant, il avait palpité et vécu…

« … Jamais on n’a vu dans un si clair miroir la naissance d’une vive pensée, le tumulte d’un grand génie, le dedans d’un vrai poète, passionné, inépuisablement fécond et créateur, en qui éclosent subitement coup sur coup, achevées et parées, toutes les émotions et toutes les idées humaines, les tristes, les gaies, les hautes, les basses, se froissant, s’encombrant comme des essaims d’insectes qui s’en vont bourdonner et pâturer dans la fange et dans les fleurs. Il peut dire tout ce qu’il veut ; bon gré, mal gré, on l’écoute ; il a beau sauter du sublime au burlesque, on y saute avec lui. Il a tant d’esprit, de l’esprit si neuf, si imprévu, si poignant, une si étonnante prodigalité de science, d’idées, d’images ramassées des quatre coins de l’horizon, en tas et par masses, qu’on est pris, emporté par-delà toutes bornes, et qu’on ne peut pas songer à résister. Trop fort et partant effréné, voilà le mot qui à son endroit revient toujours. »

Trop fort, certes, un surhomme ; mais il est rare que les « surnormaux » apparaissent, dans une famille, spontanément et tout d’une pièce.

L’humanité, la remarque en a été justement faite[1], a ses progressions à la fois capricieuses et logiques, et ses intermittences ; ses repos stériles et ses fécondités superbes, où éclate la sève de générations incomplètes, longtemps épargnée et concentrée enfin dans l’être privilégié qui sera le chef-d’œuvre d’une race.

Entre l’ébauche première et la statue achevée, combien l’artiste rejette d’essais imparfaits, d’effigies grossières ou informes !

Pour l’homme de génie, si le mystère est plus complexe encore, il faut se garder de négliger la part que peut avoir l’hérédité à sa formation. On ne doit pas détacher le fruit de l’arbre qui l’a porté : de même devons-nous rechercher les rapports, les identités caractéristiques, qui lient entre eux les représentants d’une même famille, d’une même dynastie, d’une même race.

Pour étudier Byron, pour le comprendre, il est utile, il est indispensable, de remonter à ses aïeux. Ainsi trouvera-t-on peut-être l’explication de son tempérament, de son caractère, de son génie !

Toute la race à laquelle appartenait lord Byron semblait prédestinée aux catastrophes tragiques et porter dans ses veines on ne sait quoi de bizarre et d’anti-social.

« C’est la même souche scandinave de Bürün qui, transportée en Normandie, a donné naissance aux Byron de France et aux Byron d’Angleterre, et dont une autre branche, acclimatée en Livonie, compte parmi ses fils ce redoutable maréchal de Biren, si connu par ses querelles avec Munich et par l’empire qu’il exerça longtemps sur la Russie. Quant à la branche anglaise, qui remontait aux conquérants normands, elle n’était ni moins violente, ni moins habituée aux tragédies[2]. »

Lord Byron se targuait volontiers de cette ascendance, plus peut-être par orgueil nobiliaire que tracassé par le souci du legs héréditaire. Il était cependant assez convaincu de l’importance de celui-ci et de son influence sur la formation de notre être, pour y faire parfois allusion.

« Il est ridicule, disait-il certain jour à un de ses interlocuteurs, de prétendre que nous n’héritons pas de nos passions, aussi bien que de la goutte et de tant d’autres maux. »

Sa mère avait coutume de lui dire, quand elle était en colère, ce qui lui arrivait souvent : « Ah ! petit drôle, tu es bien un vrai Byron ! Tu ne vaux pas mieux que ton père ! »

Le père de Byron, dont, à entendre sa mère, l’enfant tenait son sang orageux, était un assez singulier personnage. Il s’était marié une première fois avec l’épouse de lord Carmathen, qu’il avait ravie à son mari et que lui avait livrée un divorce scandaleux ; il en avait eu une fille.

Sa seconde femme, Catherine Gordon, la mère du poète, unique héritière de George Gordon, esquire de Gight, se flattait de descendre de Jacques Ier et avait pu infuser, par cette voie, à son fils quelques gouttes de sang royal.

Les deux époux avaient quitté l’Écosse peu de mois après leur mariage, dans l’été de 1786, pour aller se fixer en France.

Mrs. Byron rentrait en Angleterre à la fin de l’année suivante, dans un état de grossesse avancée ; elle mettait au monde, le 25 janvier 1788, George Gordon Byron, qui devait être le plus grand poète de l’Angleterre.

On a prétendu que le capitaine Byron, le père du chantre de Childe-Harold, serait passé en France vers le milieu de l’année 1792 et que sa femme avait accouché à Douvres le 22 janvier suivant, au lendemain même de l’exécution de Louis XVI. « Ainsi, a-t-on ajouté, le poète du désespoir a été conçu en France, au fort de la Terreur. Plus tard, dans un de ses caprices bizarres de fatuité, il essaya de se vieillir et prétendit être né en 1788. »

La date de naissance, acceptée par la plupart, pour ne pas dire par tous les biographes, à l’exception d’un seul, est bien celle que nous donnons et nous aurions peine à croire que Byron eût volontairement cherché à se vieillir, « par un caprice de fatuité ».

Étrange serait le caprice ! Non point qu’il se soit affranchi de toutes bizarreries ; il les aurait plutôt recherchées, cultivées.

« Je pense, rapporte-t-il dans ses Mémoires, à une bizarre circonstance. Ma fille, ma femme, ma demi-sœur, ma mère, ma fille naturelle et moi-même, sommes ou plutôt étions tous filles ou fils uniques.

« La mère de ma sœur n’eut que ma demi-sœur de ce second mariage (et elle était elle-même fille unique), et mon père n’eut que moi d’enfant par son second mariage avec ma mère, aussi fille unique.

« Une telle complication d’enfants toujours seuls, tendant à se réunir en une seule famille, est assez singulière et ressemble presque à de la fatalité… Mais les animaux les plus féroces ont les moindres portées, comme les lions, les tigres et même les éléphants, qui sont doux en comparaison[3]. »

Les problèmes mystérieux de la naissance et de la destinée préoccupaient Byron, bien qu’il affectât de s’en désintéresser. Quelques phrases échappées de sa plume trahissent ses inquiétudes.

Il répugnait à l’aveu des tares familiales qu’il avait pu observer. Témoin de la discorde qui régnait dans le ménage de ses parents, et des querelles fréquentes qui y éclataient, il se gardait de toute appréciation sur leur conduite ; quand il était question de ces tristesses on le trouvait toujours prêt à plaider les circonstances atténuantes.

À ceux qui reprochaient à son père d’être brutal, il opposait son caractère insoucieux et enjoué ; aurait-il par la brutalité des manières, réussi, étant officier des gardes, à séduire et enlever une marquise, à épouser deux héritières ? « Il est vrai, ajoutait-il, que c’était un très bel homme, ce qui faisait beaucoup. » À entendre Byron, la première femme de son père n’avait pas, comme le bruit en avait couru, succombé au chagrin, mais à une maladie, qu’elle avait gagnée en voulant suivre son mari à la chasse, avant d’être bien remise de ses couches. Quant à sa seconde femme, la mère de notre héros, « elle avait un esprit trop fier pour supporter les mauvais traitements de qui que ce pût être, et elle l’aurait bientôt prouvé ».

Ce témoignage filial fait d’autant plus honneur à celui qui l’a rendu, que Mrs. Byron n’avait pas fait preuve, à l’égard de son fils, d’un amour maternel exagéré.

Dès l’âge de cinq ans, elle l’avait placé, plutôt pour se débarrasser de lui que pour commencer son éducation, dans une école pour les deux sexes où, moyennant cinq shillings par quartier, un maître « à la tête de furet » était censé apprendre à lire aux bambins qu’on lui confiait.

Encore en jupons, le jeune Byron manifestait le caractère peu endurant dont il donna, par la suite, maintes preuves. Il avait ce qu’il appelait « des rages silencieuses ». Un jour, il saisit la jupe de sa bonne avec ses deux mains, la déchira dans toute sa longueur, puis se tint immobile, dans une attitude agressive, défiant la colère de quiconque aurait osé le corriger.

Sa mère, il faut le dire, se portait aux mêmes extrémités contre ses robes, ses bonnets, ses colifichets ; ses crises de colères alternaient avec des démonstrations de tendresse excessive qui étonnaient l’enfant, plus qu’elles ne lui causaient de plaisir.

Tour à tour expansif et taciturne, sombre et gai, généreux et vindicatif, l’écolier laissait déjà présager l’homme futur[4].

En 1799, George Byron avait onze ans, commençait la véritable éducation de celui qui, désormais, était lord Byron : l’éducation anglaise, celle qui se préoccupe, avant l’esprit et surtout, du corps.

Il était « inconvenant » qu’un lord boitât comme un loqueteux échappé de quelque Cour des Miracles. Or, Byron souffrait cruellement de cette infirmité humiliante ; toute sa vie, ce lui fut un opprobre.

Comment était survenue cette claudication ? Par suite d’un accident arrivé, dit-on, au moment de sa naissance : un des pieds s’était tordu et avait été dérangé de sa position naturelle. Telle est la version communément répandue.

Dans une lettre qu’elle écrivait quand le garçonnet avait trois ans, Mrs. Byron dit que « le pied de George tourne en dedans ; c’est le pied droit… Il marche tout à fait sur le côté du pied ». En dépit de cette attestation qui paraît formelle, il s’en faut que l’on soit généralement tombé d’accord et sur le côté où siégeait l’affection et sur l’origine de l’infirmité.

Dans le Journal médical de Philadelphie, du 7 février 1903, le docteur Henry Leffmann a relevé les diverses contradictions que présentent les témoignages relatifs à la boiterie de Byron[5].

Il n’y a pas de doute, selon notre confrère, que Byron fut boiteux ; il a eu soin de nous en informer lui-même, avec toute la précision désirable. Il attribuait sa difformité « à quelque accident de naissance, dû à l’extrême pudeur (!) de sa mère ».

Mais lequel de ses pieds était déformé ?

Si l’on se réfère à une note tirée de l’édition définitive des œuvres du poète, parue vers 1900, et publiée par John Murray, il est malaisé de se faire une opinion, en présence de dépositions aussi multiples que contradictoires.

Lady Blessington, Moore, Galt[6], la comtesse Albrizzi, n’ont jamais su lequel des deux pieds était difforme.

Dans ses Mémoires, la comtesse Guiccioli, marquise de Boissy, qui a vu, il est vrai, Byron à travers le bandeau aveuglant de l’amour, prétend avec assurance, qu’« aucun défaut n’existait dans la conformation de ses pieds, ni de ses jambes ; cette légère infirmité n’était autre chose que le résultat de la faiblesse de ses chevilles ».

Le boxeur Jackson incline pour le pied gauche ; tandis que, d’après Trelawney, le pied droit était le plus tordu, ce qui provenait, selon lui, d’une contracture des tendons postérieurs de ce pied.

Mais voici un fait positif et qui, semble-t-il, doit mettre fin à la controverse.

Madame Wildemann, la veuve du colonel qui avait acheté Newstead, la résidence des Byron, a fait don, entre autres objets ayant appartenu au poète, au Musée de la Société naturaliste de Nottingham, des « formes » d’après lesquelles ont été faites les bottes et les souliers de Byron.

Ces formes sont à peu près longues de neuf pouces, étroites et généralement asymétriques. Les précieux moules étaient accompagnés du curieux certificat qui suit :


William Swift, cordonnier à Southwell (Nottinghamshire), ayant eu l’honneur de travailler pour lord Byron, quand il séjournait à Southwell, depuis l’année 1805 jusqu’à 1807, affirme que ceux-ci sont bien les moules sur lesquels les bottes et les souliers de Sa Seigneurie étaient faits, et que la dernière paire lui a été livrée le 10 mai 1807.

Il affirme de plus, que Sa Seigneurie n’avait pas du tout un pied-bot, comme on a prétendu, mais que ses deux pieds étaient bien également conformés, seulement l’un était d’un pouce et demi plus petit que l’autre.

Le défaut n’était point dans le pied, mais dans la cheville, qui, étant faible, laissait le pied se tourner en dehors.

Pour remédier à cela, Sa Seigneurie portait une bottine très mince et légère, fortement lacée au-dessous de son bas ; lorsqu’il était petit, on lui faisait porter un fer avec une jointure à la cheville qui passait derrière la jambe, et qui était attaché derrière le soulier.

Le mollet de cette jambe était moins fort que l’autre, et c’était sa jambe gauche.

Signé : William Swift.

L’argument du bottier n’a pas convaincu tout le monde, et la dispute a continué.

Mrs. Leigh Hunt, Thorwaldsen, indiquent le pied gauche comme étant le pied malade, alors que Stendhal réclame pour le droit.

Le docteur James Millingen, qui examina les pieds de Byron, sur son cadavre, consigne, dans son rapport, qu’il existait chez lui une malformation congénitale du pied et de la jambe gauches, avec pied-bot.

Mais l’éditeur Murray, qui possédait deux chaussures chirurgicales faites pour Byron quand il était enfant vient affirmer, contrairement à l’assertion précédente, que les deux souliers sont pour le pied droit, cheville et jambe ; et, présumant qu’ils étaient faits pour chausser le pied, il fait remarquer qu’ils seraient trop longs et minces pour un pied-bot. Pour Murray, Byron souffrait de paralysie infantile affectant les muscles internes du pied droit et de la jambe ; mais, remarque non sans ironie le docteur Leffmann, un éditeur n’est pas une autorité scientifique de grand poids !

Ceux-là seuls s’étonneront du développement donné à la discussion d’un pareil diagnostic, qui ignorent la place qu’a tenue cette infirmité dans les préoccupations de lord Byron.

À quelqu’un qui le félicitait de tous les dons dont l’avait gratifié la Providence, il répliquait tristement : « Ah ! si ceci (en portant la main à son front) me met au-dessus du reste des hommes, cela (en montrant son pied) me met au-dessous, bien au-dessous d’eux tous ! »

Certains ont attribué la mélancolie de Byron et aussi sa timidité[7], qui n’était que de l’orgueil exaspéré, à son infirmité. Ce n’est pas tout à fait sans raison.

Au cours d’une soirée, où il s’était montré brillant et animé, resté seul avec sa femme, quand tout le monde fut parti, et comme celle-ci lui faisait compliment sur l’éclat de sa conversation :

– Eh bien ! Bella, lui dit-il, on prétend que je suis mélancolique ; vous voyez combien on se trompe !

– On ne se trompe pas, répliqua Mrs. Byron ; du fond du cœur, vous êtes le plus triste des hommes !

Faut-il rappeler, à cet égard, ce qu’a écrit Metchnikoff[8] :

– La conception optimiste, dit ce philosophe, est corrélative à la santé normale, tandis que le pessimisme aurait pour cause quelque maladie physique ou mentale : aussi cherche-t-on, chez les prophètes du pessimisme, la source de leur conception dans quelque mal profond… Celle de Byron est attribuée à son pied-bot, (tandis) que le pessimisme de Léopardi est rattaché à la tuberculose. Ces deux promoteurs du pessimisme au XIXe siècle sont morts jeunes.

Pour Byron, dit le même auteur à une autre place, en dehors des maladies, de la mort et de l’esclavage, des maux que nous voyons il y a des maux bien pires : « les maux que nous ne voyons pas, qui s’élancent à travers l’âme, sans remède, avec un déchirement toujours nouveau. »

Dans nombre de ses écrits, Byron insiste sur le sentiment de satiété qu’il éprouvait presque continuellement : chaque sensation de plaisir dégénérait chez lui aussitôt en une sensation de dégoût plus forte que la première[9].

Existe-t-il une relation entre le pessimisme de Byron et son infirmité physique ? Et, au préalable, peut-on établir un rapport évident entre la maladie, en général, et le pessimisme ?

« Tout en rendant justice, poursuit Metchnikoff[10], à l’opinion qui établit un rapport entre la maladie et le pessimisme, il est facile de se convaincre que le problème est plus complexe qu’il ne paraît… Il est bien connu que les aveugles jouissent d’une bonne humeur constante… Il a été remarqué que des personnes atteintes de maladies chroniques, se distinguent souvent par leur conception optimiste de la vie ; tandis que les jeunes gens en pleine force deviennent tristes et mélancoliques et s’adonnent au pessimisme le plus outré. Ce contraste a été très bien tracé, par Émile Zola, dans son roman La Joie de vivre où un vieil arthritique, éprouvé par des crises atroces de goutte, conserve sa bonne humeur en face de son jeune fils qui, quoique vigoureux et bien portant, professe des idées des plus pessimistes… Tous ces exemples démontrent qu’il n’est pas du tout facile d’expliquer le pessimisme par les troubles de la santé. »

C’est que jouent aussi des facteurs moraux qui rendent moins simple le problème et plus compliquée sa solution. On peut être pessimiste sans souffrance personnelle, par la constatation de la douleur universelle, tant que l’expérience et le contact prolongé avec la vie n’ont pas insensibilisé les fibres et développé un égoïsme protecteur.

Pessimisme et neurasthénie font, cependant, bon ménage, a tenté de montrer, dans un mémoire fameux le professeur Régis ; mais, peut-être conviendrait-il de ne pas trop généraliser et de retenir cette remarque d’un psychiatre allemand[11], que le pessimisme est une étape du jeune âge, à laquelle succède plus tard une conception plus sereine.

Byron n’a pas assez vécu pour qu’on puisse dire que son tempérament a poursuivi jusqu’au bout son évolution. Peut-être, avec les ans, son pessimisme eût-il fait place à une conception moins sombre de l’existence ? À quoi on peut répliquer, que Bouddha, Schopenhauer, Hartmann, ont atteint les limites de la vieillesse sans que leur conception de la vie en fût le moins du monde changée.

Tout ce qu’on peut dire de positif, en ce qui concerne Byron, c’est que son pied claudicant occupe une place notable dans la genèse de son caractère ; c’est cette défectueuse conformation qui l’a rendu de bonne heure irritable[12].

Cet outrage à la beauté de son corps lui était un affront, dont son amour-propre saignait en toute occasion.

On raconte que la nurse d’un de ses camarades de jeux ayant laissé échapper devant lui cette exclamation : « Quel joli petit garçon ce serait s’il n’avait pas une pareille jambe ! » À ces mots, l’enfant rougit, ses yeux étincelèrent et, faisant claquer le fouet qu’il tenait à la main : « Ne parlez pas de cela », s’écria-t-il d’un air de défi.

Comment aurait-il pu oublier ce que la douleur, qu’il supportait, du reste, stoïquement, se chargeait de lui rappeler à tout instant ?

Loin de s’améliorer, son infirmité n’avait fait que s’aggraver par les traitements auxquels on avait recours pour y remédier.

Mrs. Byron avait confié son fils aux soins d’un charlatan, dont toute la thérapeutique consistait à frotter le pied, pendant un temps assez long, avec de l’huile, sorte de massage préalable, puis à tordre le membre avec force, pour le ramener à sa position naturelle ; enfin, à le visser dans un brodequin de bois.

On devine les sensations douloureuses qu’éprouvait l’enfant, quand il avait son pied dans cet appareil de torture.

Son maître de pension lui dit un jour : « Je me sens mal à l’aise, milord, de vous voir assis là, avec les souffrances, que je sais que vous endurez. » – « Ne faites pas attention, Monsieur, répondit George Byron, vous n’en verrez plus aucun signe en moi. » Et il tint parole, mettant son amour-propre à ne point paraître souffrir. Car déjà était en lui ce qui fut le fond de son caractère, tout souffrir plutôt que de donner une marque de faiblesse, tout oser plutôt que de donner un signe de soumission.

Cependant, la guérison promise par l’empirique ne se produisait pas ; on fit appel à un médecin de Londres, qui prescrivit un régime de patience et d’immobilité, dont s’accommodait mal ce « jeune poulain » indompté.

Sous la direction du docteur, un mécanicien entreprit de construire un appareil propre à fortifier le pied. On recommanda, en outre, à l’enfant, une grande modération dans ses jeux mais il se moquait de la prescription, se montrant encore plus turbulent que ses camarades.

On a prétendu que l’homme de génie répugnait aux exercices du corps. De nombreux exemples pourraient être cités, qui vont à l’encontre de cette opinion. Horace était mauvais cavalier, mais il était passionné d’équitation ; Virgile jouait à la paume ; Dante était grand chasseur au faucon, autant qu’homme d’épée ; Le Tasse se flattait d’être très fort en escrime et danseur infatigable ; Alfieri était un parfait écuyer ; Klopstock patinait à merveille. Quant à Byron, il excellait à peu près dans tous les exercices athlétiques : paume, football, boxe, et surtout natation.

Il avait une telle passion pour les armes de toute espèce qu’il faisait placer auprès de son lit une petite épée, avec laquelle il s’amusait à « espadonner » dès son réveil, frappant les rideaux d’estoc et de taille. Il conserva longtemps l’habitude de porter sur lui une paire de pistolets qu’il mettait dans la poche de sa veste.

Les victorieuses parties de coups de poing (n’oublions pas que nous sommes en Angleterre), les duels de paume ou de boxe occupent une place considérable dans ses souvenirs de jeunesse. Dans le recueil de ses premières poésies, on trouve plus d’une allusion à ces dramatiques joutes, dont il sortait presque toujours assez mal en point.

Parlant du temps où il était sur les bancs de l’école, Alfieri écrit : « Quoique je fusse le plus petit de tous les grands, c’était précisément mon infériorité de taille, d’âge et de force, qui me donnait plus de courage et m’engageait à me distinguer. » Byron ressemblait sur ce point au tragique Italien : l’écolier d’Harrow se livrait, avec un emportement fébrile, aux amusements de son âge, comme s’il n’eût voulu perdre aucune occasion, en se surpassant, de faire oublier son infirmité.

Il était encore enfant, que sa mère, qui était très superstitieuse, alla consulter une devineresse de village, sur l’avenir de son fils. Afin de calmer les inquiétudes maternelles, la maligne créature tira de la difformité qu’on lui exposait, le pronostic de la grandeur future de celui qui en était atteint.

Byron tenait de sa mère l’amour du merveilleux, cette foi en l’inconnu, qu’il se flattait d’avoir commune avec Napoléon[13].

Il se plaisait aux histoires de revenants. Avec ses amis Shelley, il s’exaltait peu à peu dans une demi-hallucination et, quand ils étaient en compagnie, pour emprunter les termes de Villemain, « ils croyaient au diable, tout en doutant de Dieu ».

Byron ajoutait aussi créance aux pressentiments et à la vertu de certains charmes. Une jeune dame, qu’il voyait souvent à Southwell, avait un grain d’agate, détaché d’un collier et qui était traversé d’un fil de laiton. Byron lui en ayant demandé la provenance, la dame lui répondit que c’était une amulette, dont la puissance devait la garantir de l’amour, tant qu’elle l’aurait en sa possession. « En ce cas, s’écria vivement le jeune homme, donnez-la moi ; c’est précisément ce qu’il me faut ! » Elle refusa d’accéder à sa prière. Quelques jours après, le grain d’agate ayant disparu, ses soupçons se portèrent sur Byron. Il ne se défendit pas d’avoir pratiqué ce larcin, bien au contraire, il signifiait à la dame que plus jamais elle ne reverrait son talisman.

Un autre trait du caractère de Byron, c’est son amour excessif des bêtes. Dans sa Correspondance, qui le réfléchit comme un miroir, il est souvent question de compagnons hérissés, de gardiens aux crocs puissants, qui ont nom Savage, Damon, Bran, Smith ; il s’inquiète à plusieurs reprises de sa ménagerie ; mais l’animal qui a sa prédilection est son chien Boatswain, que ses vers ont immortalisé et auquel il fit élever un monument. Il composa, pour l’« ami » qu’il venait de perdre, cette épitaphe mémorable : « Ici, son déposés les restes d’un être, qui posséda la beauté sans vanité, la force sans insolence, le courage sans férocité et toutes les vertus de l’homme sans ses vices. » Et il ajoute, avec plus d’amertume encore, dans un sombre accès de misanthropie : « Ces pierres furent élevées sur les restes d’un ami ; je n’en connus qu’un seul et c’est ici qu’il dort. »

Toute sa vie, Byron fera entendre cette note mélancolique. « Le fond de misanthropie de ce grand homme, écrit Stendhal, avait été aigri par la société anglaise… Si l’on met l’humeur noire à la place des accès de colère puérile, l’on trouvera que le caractère de lord Byron avait les rapports les plus frappants avec celui de Voltaire. »

Fanfaron de vices[14], il ne se plongeait dans le tourbillon des plaisirs que pour s’étourdir. Il se livrait, a dit un de ses meilleurs biographes, à la dissipation avec toute l’ardeur de la jeunesse et de son caractère, et comme à un exercice de ses forces.

Le jour de l’enterrement de sa mère, tandis qu’on transportait le corps au cimetière, il se mit à faire, avec son domestique, la partie de boxe accoutumée ; seulement, ses coups étaient plus forts qu’à l’ordinaire, comme s’il eût voulu trouver, dans une excitation et une fatigue physiques, un dérivatif à ses peines intérieures.

Les excentricités de lord Byron ont été le thème de longues déclamations où l’hypocrisie tient une place plus large que la sincérité[15]. Il faut se mettre en garde contre les déclarations du poète et le défendre contre lui-même et ses propres calomnies. La curiosité, l’orgueil, le goût de l’étrange étaient dans son sang et il agit le plus souvent par bravade ou par dégoût, quand le vertige ne lui tourne pas la tête au bord de l’abîme.

Il se plaît dans la compagnie des maîtres à danser, des acteurs et des boxeurs de profession ; il prodigue au roi du pugilat des autographes familiers ; il joue, il maquignonne, il se grise[16].

Il place des crânes polis sur les guéridons et en dispose comme ornement dans son cabinet de travail. N’eut-il pas la fantaisie de faire monter en argent et de convertir en coupe à boire un des crânes trouvés, en creusant la terre, sur son domaine ? Mais ce sont là enfantillages d’une imagination vive et morbide, cynisme affecté, qui prépare et annonce le romantisme.

Il se plaisait à ces contrastes : mêlant le macabre à ses plaisirs profanes, de même qu’après l’orgie, il se remettait au régime par lequel il essayait de combattre une obésité toujours menaçante.

Dès son entrée à Cambridge, il avait adopté, pour maigrir, un système d’exercices violents et d’abstinence excessive. Entre-temps, il faisait un fréquent usage de bains chauds.

Il fut une époque où il ne vivait que de petits biscuits secs très minces, n’en mangeant pas plus de deux par jour, et souvent un seul, avec la tasse de thé qu’il buvait ordinairement à une heure de l’après-midi. C’était toute la nourriture qu’il absorbait dans les vingt-quatre heures. Il prétendait que, grâce à ce régime, il se sentait plus léger, plus vif, qu’il gardait un plus grand empire sur soi.

Il avait l’habitude de mâcher perpétuellement du mastic : on a reconnu depuis que c’était une excellente pratique, dont se trouvent bien les dyspeptiques.

Il ne mangeait pas de viande, ayant remarqué que les personnes qui donnaient trop d’importance à l’alimentation carnée, étaient généralement colères et stupides. En réalité, il avait surtout peur d’engraisser, regardant la corpulence comme aussi laide à la vue que pernicieuse à l’intelligence. Dans une de ses lettres, il se déclare enchanté d’avoir maigri de deux livres et grandi d’un pouce : double victoire, dont il se montre fier. Une autre de ses fiertés était sa réputation de nageur ; il aurait donné tous ses succès littéraires pour la conserver. Contraint par son infirmité native à modérer son allure sur terre, il semblait prendre une orgueilleuse et voluptueuse revanche à glisser sur l’eau et ne perdait aucune occasion de se livrer à son sport favori. Dans tous les pays qu’il traverse, il renouvelle ses prouesses, devenues légendaires.

Sur la foi du poétique récit de Musée et d’Ovide, imitant Léandre, il traverse l’Hellespont à la nage. Étant en Portugal, il voulut traverser le Tage, domptant à la fois le vent, la marée, le courant. En Suisse, il allait souvent de la villa Diodate, près Genève, où il séjournait, à Coppet, chez Mme de Staël, à la nage.

À Brighton, il aurait péri, victime d’un déraisonnable pari, si on le l’eût sauvé à temps. Ce fanatisme nautique, cette folie de l’eau, jamais il ne s’en défit ; à plusieurs reprises il y revient, il insiste. Ses crises hypocondriaques ne cèdent qu’au charme, enivrant pour lui, de la perspective du Bosphore ou de quelque grand fleuve, dont il savoure à l’avance l’enveloppement glacé.

Byron fut, a écrit quelqu’un, un « sublime bilieux au milieu d’un peuple de sanguins ». Il protestait, par une sobriété d’anachorète, contre l’insatiable et carnivore appétit de ses compagnons de débauche, de même que le moindre de ses actes protestait contre les mesquins préjugés et l’hypocrisie qui sont les deux vices de la société anglaise et tout cela sans jamais cesser de rester indubitablement anglais.

Son caractère, comme sa vie, est tout en contradiction : tantôt gai jusqu’à l’enthousiasme, à d’autres moments, triste et sombre, n’aspirant qu’à la mort : étant enfant, il avait tenté de se suicider : on était arrivé à temps pour lui ôter des mains le couteau tourné déjà contre sa poitrine.

Plus tard, partagé entre le dégoût des autres et de lui-même, il arrivera, de déception en déception, de satiété en satiété, aux degrés extrêmes de l’exaltation intellectuelle et de l’angoisse morale. « Souvent oppressé d’une sombre et triste mélancolie, présage d’avenir, écrit-il dans ses Souvenirs d’enfance, je suis venu m’asseoir sur notre tombe favorite. » C’était un tertre commandant toute la vue de Windsor que ses camarades ne désignaient pas autrement que la « tombe de Byron ». Là, il s’asseyait des heures entières, seul, abîmé dans sa contemplation et ses rêveries.

S’il erra en tous lieux, s’il voyagea en tous pays, avant d’aller, héroïquement toujours, braver, en Grèce, la Mort qui cette fois le vainquit, était-ce seulement pour échapper « à ce vautour de l’ennui dont il devait être le Prométhée » ?

Qui oserait juger à la commune mesure une âme de cette trempe, risquerait fort de s’égarer.

De cette sombre mélancolie qui accable certains êtres dans leur jeunesse, Bernardin de Saint-Pierre (comme on la comparait devant lui à la petite vérole) disait : « Et moi aussi j’ai eu cette maladie, mais je n’en suis pas resté marqué. »

Byron, lui, en fut à jamais gravé : mais quelle possibilité de réactions de même ordre chez l’auteur de Paul et Virginie et chez celui dont retentissent toujours à nos oreilles les poignantes et hautaines strophes de Manfred :


Ma joie était dans la solitude, pour respirer
L’air difficile de la cime glacée des montagnes
........................................
Car, si les créatures de l’espèce dont j’étais,
Avec dégoût d’en être, me croisaient dans mon sentier,
Je me sentais dégradé et retombé jusqu’à elles, et

[je n’étais plus qu’argile.
........................................

Et ce cri d’orgueil jeté aux puissances infernales :

Tu n’as point de pouvoir sur moi, cela je le sens ;
Tu ne me posséderas jamais, cela je le sais :
Ce que j’ai fait est fait ; je porte en moi
Une torture qui ne peut s’augmenter des tiennes ;
L’âme qui est immortelle, se donne elle-même
Le prix de ses bonnes ou de ses diaboliques pensées –
Elle est l’origine et la fin de son propre mal –
Et son propre lieu et temps ; – Son essence intime
Quand elle est dépouillée de cette mortalité, ne tire
Aucune couleur des choses fugitives du dehors –
Mais s’absorbe dans la souffrance ou dans la joie
Venues de la conscience de ses propres mérites.
Tu ne m’as pas tenté, et tu ne pouvais me tenter,
Je n’ai pas été ta dupe, et je ne suis pas ta proie –
Mais je fus mon propre destructeur et le serai
Jusque dans la vie future. – Arrière, démons bafoués !
La main de la mort est sur moi – Mais non la vôtre[17] !


Humain surhumain… Il est des surhumains qui jamais ne purent s’adapter à leur humaine condition : Byron fut un de ceux-là…


◄   CHATEAUBRIAND SHELLEY   ►

Notes :
  1. M. de Lescure, Lord Byron, histoire d’un homme (1788-1824). Paris, Achille Faure, 1866.
  2. Philarète Chasles, Étude sur la littérature et les mœurs de l’Angleterre au dix-neuvième siècle.
  3. Mémoires de lord Byron, par Thomas Moore (1830), édition française.
  4. Vingt fois pour ses amis, note Taine, il se mit dans l’embarras, offrant son temps, sa plume, sa bourse. Un jour, à Harrow, un grand brimait son cher Peel, et, le trouvant récalcitrant, lui donnait une bastonnade sur la partie charnue du bras, qu’il avait tordu afin de le rendre plus sensible. Byron, trop petit et ne pouvant combattre le bourreau, s’approcha de lui, rouge de fureur, les larmes aux yeux, et d’une voix tremblante demanda combien il voulait donner de coups. « Qu’est-ce que cela te fait, petit drôle ? » – « C’est que, s’il vous plaît, dit Byron en tendant son bras, j’en voudrais recevoir la moitié. » La générosité surabondait chez lui comme le reste. Jamais au dire de Moore il ne rencontrait un malheureux sans le secourir. Plus tard, en Italie, sur cent mille francs qu’il dépensait il en donnait vingt-cinq mille. Les sources vives de son cœur étaient trop pleines et dégorgeaient impétueusement le bien, le mal, au moindre choc. (Cf. Histoire de la littérature anglaise, tome IV, 310.)
  5. Cf. British med. journal, 28 février 1903.
  6. « Son défaut, dit Galt, dans La Vie de lord Byron, était bien peu visible. Il avait une manière de marcher qui le rendait à peine sensible, et même qui le rendait tout à fait imperceptible. J’ai passé plusieurs jours à bord d’un vaisseau avec lui, sans lui découvrir ce défaut ; et réellement, il était si peu visible, qu’il y a eu toujours le doute qu’il fût l’effet d’un accident temporaire ou d’une mauvaise conformation de son pied. »
  7. La moindre allusion à ses amours, même les plus frivoles, le faisait rougir comme une femme et le décontenançait.
  8. Essais optimistes, p. 318 et suiv.
  9. Op. cit., 309.
  10. P. 319.
  11. Mobius, Gœthe, t. I (1903).
  12. « C’est peut-être à cet état de colère et de malheur habituel, écrit Stendhal, qu’il dut sa sensibilité pour la musique, qui adoucissait son chagrin en lui faisant verser des larmes. Lord Byron était sensible à la belle musique, mais sensible comme un débutant. Après avoir entendu des opéras nouveaux pendant un an ou deux, il eût été fou de choses qui, en 1816, ne lui faisaient aucun plaisir et que même il blâmait hautement comme insignifiantes et contournées… »
  13. Lord Byron, écrit Stendhal, était à la fois enthousiaste et jaloux de Napoléon Bonaparte. Il disait : Nous sommes les seuls, lui et moi, qui signions N. B. (Noël Byron).
  14. « Je passai, écrit-il, avec une effrayante rapidité par tous les degrés du vice, et cela sans jouir. » Il dit ailleurs qu’« il ne trouvait aucun plaisir à ces excès, et qu’il pouvait se rendre la justice de n’avoir séduit aucune femme ».
  15. « Pendant un tiers de son temps, chaque semaine, il nous semblait fou. » Stendhal.
  16. L’auteur des Conversations de lord Byron écrit, en août 1823 :
     « Je vois avec peine qu’il est tombé dans une sorte d’indolence. Il a presque renoncé à ses promenades à cheval, et ne mange presque plus ; il a beaucoup maigri et ses digestions sont pénibles. Afin de se soutenir, il boit peut-être trop de vin, et de sa boisson favorite, le genièvre, dont il consomme maintenant près d’une pinte tous les soirs. Il me disait avec gaieté : “Pourquoi ne buvez-vous pas, Medwin ? Le genièvre mêlé avec de l’eau est la source de toutes mes inspirations. Si vous buviez autant que moi, vous feriez des vers aussi bons que les miens : soyez certain que c’est le véritable Hippocrène.” »
     Quand les idées ne lui venaient pas, il prenait beaucoup de ce grog ; mais, nous assure Beyle, ce vice aussi, il l’a exagéré en s’accusant, il ne fut point, à vrai dire, buveur immodéré.
  17. Trad. libre de l’auteur.