Chants populaires de la Basse-Bretagne/La petite Mineure

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Édouard Corfmat (1p. 107-115).


LA PETITE MINEURE.
PREMIÈRE VERSION.
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I

J’étais une enfant toute jeune encore.
Quand moururent mon père et ma mère.

Je fus obligée de mendier mon pain,
Car je n’étais pas capable de le gagner.

On m’abandonna sur le grand chemin,
Sur le grand chemin, pour chercher ma vie.

Comme je marchais dans un chemin creux,
Je rencontrai des gens de bonne mine ;

Je rencontrai un monsieur et une dame,
Etant descendue dans un chemin creux ;

Et le monsieur dit à la dame :
— Voilà une enfant qui a bonne mine ;

Prenons-là avec nous dans notre maison.
Et traitons-la comme notre propre enfant. —

II

Quand j’eus été dix-huit mois dans leur maison.
On me fit un habit neuf :

J’étais entretenue, habillée
Et nourrie comme chacun d’eux.

Quand j’eus été dix-huit ans dans leur maison,
(J’avais alors vingt-trois ans)

Mon maître dit à ma maîtresse :
— Il est temps de marier la mineure.

Lui donner la noblesse des Fontaines,
La plus belle noblesse du pays ;

La plus belle noblesse du pays.
Avec une partie de nos biens. —

Et ma maîtresse dit alors :
— La mineure ne sera pas mariée ;

La mineure ne sera pas mariée.
Jusqu’à ce qu’elle ait été avec nous au pardon de Sainte-Agnès ;

Chaque année elle vient avec nous au pardon,
Parce qu’elle est une honnête fille —

En arrivant dans le bois,
Ma maîtresse fut prise de sommeil :


Je m’assis sur le gazon,
Et elle appuya la tête sur mes genoux ;

Elle appuya la tête sur mes genoux,
Et s’endormit aussitôt.

Quelque chose vint alors qui me dit :
— Obéis-moi et tue ta maîtresse ;

Crois-moi, tue ta maîtresse,
Et tu seras dame à sa place ! —

J’ai obéi à cette voix,
Et j’ai tué ma bonne maîtresse ;

J’ai tué ma bonne maîtresse,
Je lui ai donné sept coups de couteau !

Quand j’eus tué ma bonne maîtresse.
Je ne savais où la cacher.

Vint alors une chose qui me dit.
En voyant mon embarras :

— Porte-là au trou à charbon,
Et la couvre avec des feuilles de noisetier. —

J’allai alors au pardon,
Dieu seul connaissait ma pensée.

Je rencontrai mon bon maître,
Qui chantait et qui sifflait ;

Il chantait et il sifflait.
Et moi je lui navrai le cœur !

— Ma bonne maîtresse a été tuée.
Dans le bois, par les brigands !

Moi aussi je l’aurais été.
Si je n’avais couru hors du bois. —

— Si vous lui aviez été fidèle,
Vous eussiez été tuée comme elle ! —

Mon bon maître, à cette nouvelle.
Est tombé trois fois à terre ;

Il est tombé trois fois à terre.
Et à chaque fois je l’ai relevé :

— Mon bon maître, ne pleurez pas.
Je vous servirai comme toujours ;

Mais je n’irai pas coucher avec vous.
Jusqu’à ce que nous soyons fiancés et mariés.

III

Bientôt des propos s’élèvent entre eux,
Au sujet de mariage.

   Quand ils furent fiancés et mariés,
Prêts de se mettre au lit,

   Voilà que le corps mort entre dans la maison,
Précédé de sept cierges allumés ;

   Sept cierges allumés précédaient.
Et sur chaque blessure il y en avait un autre.

   — Levez-vous de là, mineure.
Vous avez tué votre maîtresse ;

   Vous avez tué votre bonne maîtresse,
Et vous en avez accusé les brigands du bois ! —

   À ces mots, son mari
A quitté son lit ;

   Il a saisi son fusil,
Avec l’intention de la tuer :

   Mais le corps mort a dit :
— Mon pauvre mari, ne la tuez pas.

   Mais laissez-la chercher son pain
Entre Gavan et Tonquédec,

   Là où personne ne la connaîtra,
Afin que son corps expie son crime ! —


Chanté par Jeanne Le Gall.
Plouaret, 1853.
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LA PETITE MINEURE.
SECONDE VERSION.
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I

   — J’étais bien jeune d’âge ,
Quand moururent ma mère et mon père ;

   Et je me mis à courir le monde,
Cherchant quelqu’un pour me prendre chez lui.

   Comme je cheminais sur la grande route,
Je rencontrai deux jeunes gens ;

   Une jeune fille, mise comme une dame,
Et un gentilhomme, comme un baron.


Et ils se dirent l’un à l’autre :
— Emmenons cette enfant ;

Elle nous divertira maintenant,
Puis nous servira plus tard. —

II

Le maître disait à la maîtresse :
— Marions le domestique à la servante. —

— Mariez votre domestique quand il vous plaira,
Quant à ma servante, elle ne se mariera pas.

Avant de marier ma servante,
Je veux la pourvoir d’un ménage ;

Je veux la pourvoir d’un menace.
Quatre bœufs et quatre vaches à lait,

Deux mesures de chaque sorte de grain ;
Chez sa mère vous ne les trouveriez pas. —

III

Quand ma maîtresse va au pardon.
Je vais avec elle, comme de raison ;

Je vais avec elle, comme de raison.
Parce que j’étais une honnête fille.

Comme nous passions dans le bois,
Nous nous reposâmes à l’ombre ;

Je m’assis sur le gazon,
Et elle appuya la tête sur mes genoux.

Une chose vint alors qui me dit :
— Prends ton couteau, et tue-la.

Tu seras mise à sa place
Et tu seras la femme du ménage ;

Cache-là parmi les feuilles.
Mais ne cache pas sa chaussure et ses bas —

IV

La mineure disait
A son maître, en arrivant à la maison :

— Sainte-Vierge de la Trinité !
Ma pauvre maîtresse a été tuée.

Ma pauvre maîtresse a été tuée,
Par les brigands, dans le bois ! —

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .


— Consolez-vous, mon bon maître, ne pleurez pas,
Je vous servirai comme devant ;

Je vous servirai comme devant,
Mais je ne coucherai pas avec vous;

Je ne coucherai pas avec vous.
Et pourtant, je le ferai aussi, s’il le faut. —

V

Quand ils furent fiancés et mariés.
Que l’heure de se coucher fut arrivée

Une femme entra dans la maison,
Précédée de sept cierges ;

Quatre cierges étaient devant elle,
Et un autre sur chaque blessure !

— Vous avez donc épousé
Celle qui m’a tuée ?

Elle m’a ensuite cachée sous les feuilles,
A l’exception de ma chaussure et mes bas ! —

— Et que faut-il lui faire ? —
— Amenez quatre chevaux pour l’écarteler !

Amenez quatre chevaux pour l’écarteler,
Et faites chauffer le four, pour la brûler ;

Et quand elle sera consumée par le feu.
Ses cendres seront jetées au vent ! —


Une vieille mendiante de la commune de Plougonver. — 1855.


On trouve une situation analogue dans le recueil de M. Jérôme Bujeaud, Chants et chansons populaires des provinces de l’Ouest (tome II, page 239), à la pièce qui porte le titre de : Le Mari assassiné :

….. Quand fut au lit, le soir des noces.
Elle aperçut un ange blanc,
Qui avait l’coeur couvert de sang.

— Ah ! tiens-le bien, ma chère femme.
Ah ! tiens-le bien entre tes bras,
Celui qui m’a mis au trépas.

Garde-le bien, ma chère femme.
Garde-le bien toute ta vi’,
Moi, je m’en vais dans l’ paradis ! —