Chants populaires de la Basse-Bretagne/La veuve pauvre

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Édouard Corfmat (1p. 81-85).


LA VEUVE PAUVRE
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S’il vous plaît, vous écouterez
Un gwerz nouvellement composé ;
Il a été fait à une jeune veuve,
Dont le mari est mort dernièrement.

Le mari est mort dernièrement,
Et sa veuve va mendier par le pays ;
Il lui faut aller mendier son pain, cette année,
Et elle va chez son propriétaire.

— Au nom de Dieu, un morceau de pain ;
Je n’ai rien mangé de la journée,
Et j’ai à la maison trois enfants,
Et rien à leur donner ! —

— Si tu as trois enfants,
Retourne à la maison et tues-en un ;
Retourne à la maison et tue un des trois,
Pour donner aux autres à manger ! —

La pauvre veuve s’en retourne chez elle,
Comme une femme désespérée ;
La pauvre veuve s’en retourne chez elle,
Dans l’intention de tuer son enfant.

— Au nom de Dieu, mère, un peu de pain !
Nous n’avons rien eu de la journée ;
Nous n’avons rien eu de la journée.
Et notre cœur est prêt de défaillir ! —

— Et d’où pourrais-ie vous donner du pain ?
Il n’y en a pas le moindre morceau dans la maison !
Il n’y en a pas le moindre morceau dans la maison.
Je vais vous tuer avec mon couteau ! —

Un jeune enfant était dans la maison.
Agé de deux mois, pas encore trois.
Et il a sauté de son berceau,
Et s’est mis à genoux devant sa mère.

Miracle ! et il s’est mis à parler :
— Au nom de Dieu, mère, ne nous tuez point.
J’irai dans l’année chercher mon pain.
Là où jamais vous ne me verrez ! —

La pauvre veuve se met au lit,
Etonnée de le voir parler ainsi ;
Elle s’endort dans son lit,
Et la Sainte-Vierge entre dans la maison :


La Sainte-Vierge entre dans la maison,
Précédée de sept cierges :
Elle place les cierges sur la table,
Et se rend près du berceau :

La pauvre veuve demandait,
Appuyée sur son coude, dans son lit :
— Qu’y a-t-il là, à cette heure de la nuit.
Quand je repose dans mon lit ? —

— C’est moi, veuve, la Sainte-Vierge,
Qui viens de la part de Dieu, mon fils,
Pour vous empêcher de tuer vos enfants.
Car vous aurez du pain à leur donner ;

Vous aurez du pain à leur donner,
Et vous en aurez aussi pour vous-même.
Le blé que votre propriétaire ensemença ce matin.
Sera mûr avant le jour. —

— Du seigle mûr à Noël !
Jamais personne n’a vu pareille chose. —
— Allez au champ et coupez-le.
Puis vous rapporterez sur l’aire et le battrez.

Portez-le ensuite au four, pour cuire ;
Et quand le pain sera cuit.
Portez-en un morceau au propriétaire, pour goûter,
Mais ne lui en portez pas beaucoup ;

Ne lui en portez pas beaucoup.
Car ce sera la son dernier morceau ! —
— Tenez, maître, un morceau de pain,
Fait avec du seigle nouveau de cette année ! —

— Et quand tu me le dirais éternellement,
Que c’est du pain nouveau que tu m’offres ;
Que tu m’offres du pain nouveau.
Non, jamais je ne te croirai.

Page, page, mon petit page,
Toi qui es alerte et vif.
Prépare moi ma haquenée,
Je veux savoir la vérité. —

Arrivé sur l’aire de la veuve
Il a vu le blé en meules
La terre s’est entr’ouverte sous ses pieds,
Et il est tombé au milieu du puits de l’enfer !

Dur eut été le cœur de celui
Qui n’eut pleuré, sur l’aire de la veuve,
En voyant encore l’homme brutal
Levant la tête hors de la terre ;


Levant la tête hors de la terre
fit disant avec douleur :
— Mes pauvres gens, si vous m’en croyez,
Vou donnerez l’aumône au pauvre ! —


Chanté par une vieille mendiante,
de Plounevez Moëdec, 1854.
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