Chateaubriand (Pécontal)

La bibliothèque libre.

 
Ab Jove.....


QUAND la terre des rois manque même à leur cendre,
Quel est donc cet homme puissant,
Qui dit : Voilà la tombe où j’aspire à descendre,
Et qui, plein de gloire, y descend ?

Cet homme ! il est de ceux dont le génie ordonne,
De ces monarques sans états,
Qui portent le seul sceptre et la seule couronne
Que les peuples ne brisent pas.

À travers le granit sa volonté s’est faite ;
Et s’y creusant son dernier port,
A la mer qu’il domine il a pris la tempête
Pour être gardé dans sa mort.

Il est là ! De ses jours il a fermé le livre ;
Sa voix au temps a dit adieu.
L’œuvre humaine est finie ! Hommes, il vous la livre,
Comme il livre son âme à Dieu.


Il aborda la vie à travers les alarmes :
Son berceau sortit d’un écueil ;
Et sur les flots de sang de sa patrie en larmes
Il a vu venir son cercueil.

Chaque bruit du combat le tenait en haleine ;
L’éclair partait de son œil creux,
Le sang avec regret se glaçait dans la veine
De ce dernier fils de nos preux.

Tu l’aurais répandu ce sang, comme le Juste,
O des Martyrs chantre inspiré !
Tu serais mort ainsi que ce Pontife auguste
Qu’avec toi la France a pleuré.

Dieu ne l’a pas voulu : sublime exemple à suivre !
A l’héroïsme de mourir
Il fallait joindre aussi l’héroïsme de vivre,
Alors que vivre c’est souffrir.

Ces deux grandes leçons nous ont été données :
Le Seigneur suscite toujours
Le prêtre et le poëte au bord des destinées,
Quand il veut en changer le cours.

Heureux qui suit sa voie, et malheur aux doctrines
D’où s’est enfui le Dieu vivant !
Elles ne font jamais que déserts et ruines,
Et rien n’y grandit que le vent.


Gloire donc a celui qui, lorsque tout succombe,
L’antique foi, l’amour du beau,
Vient soulever encor la pierre de sa tombe
En montrant ce double flambeau !

Il n’est pas mort : partout lui survit sa pensée ;
L’œil peut la suivre pas a pas :
Comme tout grand poëte, il a son Odyssée
Qui ne finit point au trépas.

Aiglon longtemps captif dans une étroite règle,
Son aire manquait d’horizon,
Quand tout k coup un cri de l’aiglon fit un aigle,
Et ce cri brisa sa prison.

Il part : son vol puissant a franchi l’Atlantique ;
L’inconnu bout dans son cerveau ;
Où va-t-il ? Que veut-il ? Il veut au monde antique
Ajouter un monde nouveau.

Salut, terre d’amour, ciel bleu, vertes savanes,
Forêts vierges, nouvel Eden,
Solitudes de Dieu, lointaines caravanes,
Bords sacrés comme le Jourdain ;

Salut, heureux pays, Natchez, sainte nature,
Et vous, ô filles de candeur,
Dont les grâces à peine ont noué la ceinture,
Dont l’innocence est la pudeur.


Vous nous appartenez, ô merveilleux rivages,
Arbres géants, vastes abris ;
Lianes dans vos nœuds mariant les feuillages
Pleins de fleurs et de colibris.

A nous tous vos parfums et vos fraîches haleines,
A nous l’ombre des lataniers,
Et vos fleuves si grands, et vos immenses plaines,
Et vos doux fruits de bananiers.

Oui, tout nous appartient, horreurs pleines de charmes,
Mystères pleins de profondeurs,
Nuits ruisselant de feux, aurores tout en larmes,
Soleils couronnés de’ splendeurs.

Nous avons tout conquis jusqu’à votre silence ;
Jusqu’à ces bruits non entendus,
Quand tremble votre sol, quand l’ouragan s’élance
Dans les éléments éperdus.

Le poëte à qui Dieu dit le nom des étoiles
Et fait entendre leurs accords,
De vos chastes beautés a soulevé les voiles,
A révélé tous les trésors.

Il nous a rapporté vos richesses sans nombre ?
Mais le sort longtemps l’éprouva ;
L’exil et le malheur lui firent le ciel sombre,
Quand son astre enfin se leva.


Il entra dans le siècle ainsi que Bonaparte,
En vainqueur grave et soucieux ;
Tous les deux de la terre ils méditaient la carte,
Mais l’un regardait plus les cieux.

Le poëte voulait, en les rouvrant au monde,
Régénérer l’esprit humain ;
Il voulait refouler le cataclysme immonde
Qui débordait par tout chemin.

Et des sommets de l’art cherchant le saint refuge,
Où Dieu de tout temps l’appela,
Il laissa son esprit Botter sur le Déluge,
Puis son cœur conçut Atala.

Et du sein paternel la colombe envolée
Lui rapporta l’olivier vert ;
La terre relevait sa tête consolée,
L’Ararat s’était découvert.

Alors, tout rayonnant de l’antique croyance,
Il jeta, dans la nue en feu,
L’arc-en-ciel du génie, en signe d’alliance,
Pour relier l’homme avec Dieu.

Et les peuplée émus, devant ces grands spectacles,
Longtemps restèrent éblouis :
L’art ne rendit jamais plus d’éclatants oracles,
Dans des accents plus inouïs.


Il ne s’arrêta point à cette œuvre sublime :
De tous les monts, de tous les flots,
De la Grèce à l’Égypte, et de Rome à Solime,
Sa voix réveilla les échos.

Et vous dont il chanta l’éternelle jeunesse,
Muses, qui ne mourez jamais ;
Du Pinde et de Sien, afin que l’art renaisse,
Unissez mieux les hauts sommets.

Eudore avec René vous ont ouvert la voie ;
Velléda vous dit le chemin ;
C’est une Muse aussi que le ciel vous envoie,
Une sœur qui vous tend la main.

Oh ! vous ne savez point, heureuses immortelles
Qui buvez le nectar des Dieux,
Quels calices d’amour, quelles sources nouvelles
Coulent encor sous d’autres cieux.

Là, sur chaque souffrance, un dictame ineffable
Répand la vie et la beauté ;
Là vous pourrez briser les langes de la fable
Pour grandir dans la vérité.

Là vous connaîtrez mieux le sens caché des choses,
Et mieux les mystères humains,
Et pourquoi nous trouvons tant d’épines aux roses,
Tant de ronces sur nos chemins.


N’oubliez pas surtout, parmi ces fleurs divines,
Celle qui s’abreuve de pleurs :
C’est la mélancolie, amante des ruines,
C’est la volupté des douleurs.

Celui que vous pleurez et que la France pleure
A cueilli, le premier de tous,
Cette fleur de la tombe et de la dernière heure,
Et dont les parfums sont si doux»

Comme le pélican, pensif, le long des grèves,
Il s’emplissait d’afflictions,
Et de son propre sang il nourrissait des rêves,
Immortelles créations.

Que de fois, jeune encore, avant que l’Amérique
Eut reçu ce noble banni,
Assis sur les rochers de la sombre Armorique,
Son œil plongea dans l’infini !

Il aimait l’Océan et les flots en écumes ;
Ses tristesses étaient sans fond ;
La mer semblait jeter toutes ses amertumes
Dans ce cœur comme elle profond.

C’est là, dans ces torrents, qu’ont été retrempées
Ces grandes âmes de héros,
De guerriers inconnus aux vieilles épopées,
Martyrs, vainqueurs de leurs bourreaux.


Ah ! c’est qu’il sut dompter sa propre véhémence ;
C’est que ses ongles de lion,
Doux au faible, s’ouvraient devant la violence,
Sublimes de rébellion.

Sa pensée habitait les sphères les plus hautes ;
Premier ministre, ambassadeur,
Il n’en descendait point, et tout, jusqu’à ses fautes,
Porta le sceau de sa grandeur.

À plus d’un crime heureux sa voix fut importune ;
Ce Caton des partis vaincus,
Comme on sert le bonheur, cultivait l’infortune,
Et gardait les espoirs déçus.

Il laissa des faveurs le champ toujours inculte ;
Après le ciel et la beauté,
Deux idoles, surtout, disputèrent son culte,
L’honneur avec la liberté !

A ces Dieux de famille il sut être fidèle ;
Ils étaient son frère et sa sœur :
De l’un, jusqu’à la mort, il resta le modèle,
Et de l’autre le défenseur.

Mais sur l’autel des rois ces vertus consumées
N’obtenaient qu’un bien froid retour ;
Ses écrits tout-puissants leur valaient des armées,
Et ne gagnaient point leur amour.


Eh bien, sois consolé ! Le souverain suprême
Un jour te vengera des rois ;
Le peuple triomphant, en triomphe toi-même
Te portera sur son pavois.

Et pourtant dans ses bras la faveur qui t’enlace
Ne pourra point te retenir :
Le Poëte est peu fait pour la gloire qui passe ;
Son règne, à lui, c’est l’avenir.

L’avenir !... Dieu parfois convie à cette fête
Des rois d’un jour, fils des hasards ;
Mais des siècles sans fin dont ils font la conquête,
Les Homères sont les Césars.

Comme eux tu régneras ; et quoique ton génie
Se dérobe au rhythme des cieux,
Ta voix avec tant d’art épanche l’harmonie
Qu’on croit ouïr parler les Dieux.

On dit qu’à ton déclin, comme l’oracle antique,
Gardant un silence sacré,
Ta lèvre ne s’ouvrait qu’a l’esprit fatidique
Dont le ciel t’avait pénétré.

Et le vulgaire, épris d’un langage frivole,
À peine comprenait le tien ;
Il aimait mieux jouer au mot léger qui vole
Que de garder ton entretien.,


O Peuple ami du bruit, il est des voix intimes !
Tout grand cœur a son gouffre amer ;
Plus ce gouffre est profond, plus ses cris sont sublimes :
Le génie est comme la mer.

Ah ! quand viendra lé jour où, nos gloires insignes
Nous trouvant plus hospitaliers,
Nous pourrons tous ouïr les aigles et les cygnes
Ainsi que des Dieux familiers !

Ce jour brillera-t-il ? Pour les peuples encore
Sera-t-il bien lent a venir ?
Nos révolutions seraient-elles l’aurore
D’où sortira cet avenir ?

Mais quel que soit le sort que le ciel nous prépare,
O toi, qui fus Chateaubriand,
Tu resteras toujours, dans nos nuits, comme un phare,
Pans nos jours comme l’Orient.

Dors en paix, ombre auguste, au bruit de la tempête ;
Laisse-toi bercer dans ses plis ;
Comme la vague émue écoute la mouette
Et le chant plaintif des courlis.

L’oubli ne fera point sur ton roc solitaire
Monter son flot audacieux ;
L’ancre que tu jetas plonge au fond de la terre,
Et ses anneaux touchent aux cieux.