Climène

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Œuvres complètes, tome 4, Texte établi par Ch. Marty-LaveauxPagnerre (p. 119-149).

CLIMÈNE
COMÉDIE — 1671


Il semblera d’abord au Lecteur que la Comedie que j’ajouste icy n’est pas en son lieu ; mais s’il la veut lire jusqu’à la fin, il y trouvera un recit, non tout-à-fait tel que ceux de mes Contes, et aussi qui ne s’en éloigne pas tout-à-fait. Il n’y a aucune distribution de Scenes, la seule chose n’estant pas faite pour estre representée[1].

PERSONNAGES

APOLLON.

LES NEUF MUSES.

ACANTE[2].

La Scene est au Parnasse.

CLIMÈNE
COMÉDIE


Apollon se plaignoit aux neuf sœurs, l’autre jour,
De ne voir presque plus de bons vers sur l’amour.
Le siecle, disoit-il, a gasté cette affaire :
Luy nous parler d’amour ! Il ne la sçait pas faire.
Ce qu’on n’a point au cœur, l’a-t-on dans ses écrits ?
J’ay beau communiquer de l’ardeur aux esprits ;
Les belles n’ayant pas disposé la matiere,
Amours et vers, tout est fort à la Cavaliere.
Adieu donc, ô beautez ! je garde mon employ
Pour les sur-Intendans sans plus, et pour le Roy.
Je viens pourtant de voir, au bord de l’Hipocrene,
Acante fort touché de certaine Climene.
J’en sçais qui sous ce nom font valoir leurs appas ;
Mais, quant à celle-cy, je ne la connois pas :
Sans doute qu’en Province elle a passé sa vie.


Érato.

Sire, j’en puis parler ; c’est ma meilleure amie.
La Province, il est vray, fut toûjours son sejour ;
Ainsi l’on n’en fait point de bruit en vostre Cour.


Uranie.

Je la connois aussi.


Apollon.

Je la connois aussi. Comment, vous, Uranie !
Qui n’ont pas des employs du tout si relevez,
M’en apprendront encor plus que vous n’en sçavez.


Polymnie.

Oüy, Sire, nous pouvons vous en parler chacune.


Apollon.

Si ma priere n’est aux Muses importune,
Devant moy tour à tour chantez cette beauté ;
Mais sur de nouveaux tons, car je suis dégousté.
Que chacune pourtant suive son caractere.


Euterpe.

Sire, nous nous sçavons toutes neuf contrefaire :
Pour si peu laissez-nous libres sur ce point-là.


Apollon.

Commencez donc, Euterpe, ainsi qu’il vous plaira.


Euterpe.

Que ma compagne m’ayde, et puis en dialogue
Nous vous ferons entendre une espece d’Églogue.


Apollon.

Therpsichore, aydez-la : mais sur tout évitez
Les traits que tant de fois l’Églogue a repetez ;
Il me faut du nouveau, n’en fust-il point au monde.


Therpsichore.

Je m’en vais commencer ; qu’Euterpe me réponde
Quand le Soleil a fait le tour de l’Univers,
Ce n’est point d’avoir veu cent chef-d’œuvres divers,
Ny d’en avoir produit, qu’à Thetis il se vante,
Il dit : J’ay vue Climene, et mon ame est constante.


Euterpe.

L’Aurore vous veut voir ; Climene, montrez-vous :
Non, ne bougez du lit ; le repos est trop doux :
Tantost vous paroistrez vous-mesme un autre Aurore ;
Mais ne vous pressez point, dormez, dormez encore.


Therpsichore.

Au gré de tous les yeux Climene a des appas :
Un peu de passion est ce qu’on luy souhaite :
Pour de l’amitié seule, elle n’en manque pas :
Cinq ou six grains d’amour, et Climene est parfaite.


Euterpe.

L’amour, à ce qu’on dit, empesche de dormir :
S’il a quelque plaisir, il ne l’a pas sans peine.
Voyez la tourterelle, entendez-la gemir :
Vous vous garderez bien de condamner Climene.


Therpsichore.

Venus depuis long-temps est de mauvaise humeur.
Climene luy fait ombre ; et Venus ayant peur
D’estre mise au-dessous d’une beauté mortelle,
Disoit hier à son fils : Mais la croit-on belle ?
Et oüy, oüy, dit l’Amour, je vous la veux montrer.


Apollon.

Vous sortez de l’Églogue.


Euterpe.

Vous sortez de l’Églogue. Il nous y faut rentrer.
Amour en quatre parts divise son Empire :
Acante en fait moitié, ses rivaux plus d’un quart ;
Ainsi plus des trois quarts pour Climene soûpire :
Les autres Belles ont le reste pour leur part.


Therpsichore.

Tout ce que peut avoir un cœur d’indifference,
Climene le témoigne : elle en a destiné
Les trois quarts pour Acante ; heureux dans sa souffrance
S’il void qu’à ses rivaux le reste soit donné !


Euterpe.

Ne vous semble-t-il pas que nos bois reverdissent,
Depuis que nous chantons un si charmant objet ?


Therpsichore.

Oyseaux, Hommes et Dieux, que tous chantres choisissent
Desormais en leurs sons, Climene pour sujet !


Euterpe.

Pour elle le Printemps s’est habillé de roses.


Therpsichore.

Pour elle les Zephirs en parfument les airs.


Euterpe.

Et les oyseaux pour elle y joingnent leurs concerts.
Regnez, Belle, regnez sur tant d’aimables choses.


Therpsichore.

Aymez, Climene, aimez ; rendez quelqu’un heureux :
Vostre regne en aura plus d’appas pour vous-mesme.


Euterpe.

En ce nombre d’Amans qui voulez-vous qu’elle aime ?


Therpsichore.

Acante.


Euterpe.

Acante. Et pourquoy luy ?


Therpsichore.

Acante. Et pourquoy luy ? C’est le plus amoureux.
Sire, estes-vous contant ?


Apollon.

Sire, estes-vous contant ? Assez. Que Melpomene
Sur un ton qui nous touche introduise Climene.
Vous, Thalie, il vous faut contre-faire un Amant
Qui ne veut point borner son amoureux tourment.


Melpomene.

Mes sœurs, je suis Climene.


Thalie.

Mes sœurs, je suis Climene. Et Moy, je suis Acante.


Apollon.

Fort bien ; nous écoutons ; remplissez nostre attente.


Climene.

Acante, vous perdez vostre temps et vos soins.
Voulez-vous qu’on vous aime, aimez-nous un peu moins.
Ostez ce mot d’Amour, c’est ce qu’on vous conseille.


Acante.

Que je l’oste ! Est-il rien de si doux à l’oreille ?
Quoy ! de vous adorer Acante cesseroit !
Contre sa passion il vous obeïroit !
Ah ! laissez-luy du moins son tourment pour salaire.
Suis-je si dangereux ? Helas ! non ; si j’espere,
Ce n’est plus d’estre aimé ; tant d’heur ne m’est point dû :
Je l’avois jusqu’icy follement pretendu.
Mourir en vous aimant est toute mon envie :
Mon amour m’est plus cher mille fois que la vie.
Laissez-moy mon amour, Madame, au nom des Dieux.


Climene.

Toûjours ce mot ! toûjours !


Acante.

Toûjours ce mot ! toûjours ! Vous est-il odieux ?
Que de Belles voudroient n’en entendre point d’autre !
Il charme également vostre sexe et le nostre :
Seule vous le fuyez ; mais ne s’est-il point vû
Quelque temps où peut-estre il vous a moins déplû ?


Climene.

L’Amour, je le confesse, a traversé ma vie :
C’est ce qui, malgré moy, me rend son ennemie.
Aprés un tel aveu, je ne vous diray pas
Que votre passion est pour moy sans appas,
Et que d’aucun plaisir je ne me sens touchée
Lorsqu’à tant de respect je la vois attachée.

Aussi peu vous diray-je, Acante, écoûtez bien,
Que par vos qualitez vous ne meritez rien ;
Je les sçais, je les vois, j’y trouve de quoy plaire :
Que sert-il d’affecter le titre de severe ?
Je ne me vante pas d’estre sage à ce point,
Qu’un merite amoureux ne m’embarasse point.
Vouloir bannir l’amour, le condamner, s’en plaindre,
Ce n’est pas le haïr, Acante, c’est le craindre.
Des plus sauvages cœurs il flate le desir.
Vous ne l’osterez point sans m’oster du plaisir :
Nous y perdrons tous deux : quand je vous le conseille,
Je me fais violence, et preste encor l’oreille.
Ce mot renferme en soy je ne sçais quoy de doux,
Un son qui ne déplaist à pas une de nous ;
Mais trop de mal le suit.


Acante.

Mais trop de mal le suit. Je m’en charge, Madame :
Ce mal est pour moy seul ; j’en garentis vôtre ame.


Climene.

Qui vous croiroit, Acante, auroit un bon garent.
Mais non, je connois trop qu’Amour n’est qu’un tyran,
Un ennemy public, un démon, pour mieux dire.


Acante.

Il ne l’est pas pour vous, cela vous doit suffire :
Jamais il ne vous peut avoir causé d’ennuy :
Vous en prenez un autre assurément pour luy.
S’il a quelques douceurs, elles sont pour les Belles,
Et pour nous les soucis et les peines cruelles.
Vous n’éprouvez jamais ny dédain ny froideur :
Quant à nous, c’est souvent le prix de nostre ardeur.
Trop de zele nous nuit.


Climene.

Trop de zele nous nuit. Et pourquoy donc, Acante,
Ne moderez-vous pas cette ardeur violente ?
Aimez-vous mieux souffrir contre mon propre gré,

Que si, m’obeïssant, vous estiez bien traité ?
Je vous rendrois heureux.


Acante.

Je vous rendrois heureux. Selon vostre maniere,
Du bon-heur d’un amy, d’un parent, ou d’un frere ;
Que sçais-je ? de chacun : car vous sçavez qu’on peut
Faire ainsi des heureux autant que l’on en veut.


Climene.

Non, non, j’aurois pour vous beaucoup plus de tendresse,
Vous verriez à quel point Climene s’interesse
Pour tout ce qui vous touche.


Acante.

Pour tout ce qui vous touche. Et pour moy-mesme aussi ?


Climene.

Quelle distinction mettez vous en cecy ?


Acante.

Tres-grande : mais laissons à part la difference :
Aussi bien je craindrois de commettre une offense,
Si j’avois entrepris de prouver contre vous
Qu’autre chose est d’aimer nos qualitez ou nous.
Je vous diray pourtant que mon amour extrême
A pour premier objet vostre personne mesme :
Tout m’en semble charmant ; elle est telle qu’il faut :
Mais, pour vos qualitez, j’y trouve du défaut.


Climene.

Dites-nous quel il est, afin qu’on s’en corrige.


Acante.

Vous n’aimez point l’Amour ; vous le haïssez, dis-je ;
Ce Dieu prés de vostre ame a perdu tout crédit.


Climene.

Je ne hais point l’Amour, je vous l’ay déja dit :
Je le crains seulement, et serois plus contente
Si vous vouliez changer vostre ardeur vehemente,

En faire une amitié ; quelque chose entre-deux ;
Un peu plus que ce n’est quand un cœur est sans feux ;
Moins aussi que l’estat où le vostre se treuve.


Acante.

Tout de bon, voulez-vous que j’en fasse l’épreuve ?
Que demain j’aime moins, et moins le jour d’aprés,
Diminuant toûjours, encor que vos attraits
Augmentent en pouvoir ? Le voulez-vous, Madame ?


Climene.

Oüy, puisque je l’ay dit.


Acante.

Oüy, puisque je l’ay dit. L’avez-vous dit dans l’ame ?


Climene.

Il faut bien.


Acante.

Il faut bien. Songez-y ; voyez si vostre esprit
Pourra voir ce déchet sans un secret dépit.
Peu de femmes feroient des vœux pareils aux vostres.


Climene.

Acante, je suis femme aussi bien que les autres ;
Mais je connois l’Amour, c’est assez : j’ay raison
D’en combattre en mon cœur l’agreable poison.
Voulez-vous procurer tant de mal à Climene ?
Vous l’aimez, dites-vous, et vous cherchez sa peine.
N’allez point m’alleguer que c’est plaisir pour nous.
Loin, bien loin tels plaisirs ; le repos est plus doux :
Mon cœur s’en défendra ; je vous permets de croire
Que je remporteray malgré moy la victoire.


Apollon.

Voilà du patetique assez pour le present :
Sur le mesme sujet donnez-nous du plaisant.


Melpomene.

Qui ferons-nous parler ?


Apollon.

Qui ferons-nous parler ? Acante et sa maistresse.


Melpomene.

Sire, il faudroit avoir pour cela plus d’adresse.
Rendre Acante plaisant ! C’est un trop grand dessein.


Apollon.

Il est fou ; c’est déja la moitié du chemin.


Thalie.

Mais il est dans l’excés.


Apollon.

Mais il est dans l’excés. Tant mieux ; j’en suis fort aise,
Nous le demandons tel : je ne vois rien qui plaise,
En matiere d’Amour, comme les gens outrez.
Mille exemples pourroient vous en estre montrez.


Melpomene.

Nous obeïssons donc. Tu te souviens, Thalie,
D’un matin où Climene, en son lit endormie,
Fut, au bruit d’un soûpir, éveillée en sursaut,
Et se mit contre Acante en colere aussi-tost,
Sans le voir, croyant mesme avoir fermé la porte.
Mais qui pouvoit, que luy, soûpirer de la sorte ?
Vrayment vous l’entendez, avecque vos helas,
Dit la Belle ; apprenez à soûpirer plus bas.
Il eut beau s’excuser sur l’ardeur de son zele.
Une forge feroit moins de bruit, reprit-elle,
Que vostre cœur n’en fait : ce sont tous ses plaisirs.
Si je tourne le pied, matiere de soûpirs.
Je ne vous vois jamais qu’en un chagrin extrême :
C’est bien pour m’obliger à vous aimer de mesme.


Acante.

Je ne le prétens pas.


Climene.

Je ne le prétens pas. Seyez-vous sur ce lit.


Acante.

Moy ?


Climene.

Moy ? Vous, sans repliquer.


Acante.

Moy ? Vous, sans repliquer. Soufrez…


Climene.

Moy ? Vous, sans repliquer. Soufrez… C’est assez dit.
Là ; je vous veux voir là.


Acante.

Là ; je vous veux voir là. Madame…


Climene.

Là ; je vous veux voir là. Madame… Là, vous dis-je.
Voyez qu’il a de mal ! Sa Maistresse l’oblige
À s’asseoir sur un lit ; quelle peine pour luy !
Sçavez-vous ce que c’est ? je veux rire aujourd’huy.
Point de discours plaintifs : bannissez, je vous prie,
Ces soûpirs à la voix du sommeil ennemie ;
Témoignez, s’il se peut, vostre amour autrement.
Mais que veut cette main, qui s’en vient brusquement ?


Acante.

C’est pour vous obeïr, et témoigner mon zele.


Climene.

L’obeïssance en est un peu trop ponctüelle,
Nous vous en dispensons ; Acante, soyez coy.
Si bien donc que vostre ame est tout en feu pour moy ?


Acante.

Tout en feu.


Climene.

Tout en feu. Vous n’avez ny cesse ny relasche ?


Acante.

Aucune.


Climene.

Aucune. Toûjours pleurs, soûpirs comme à la tâche ?


Acante.

Toûjours soûpirs et pleurs.


Climene.

Toûjours soûpirs et pleurs. J’en veux avoir pitié.
Allez, je vous promets…


Acante.

Allez, je vous promets… Et quoy ?


Climene.

Allez, je vous promets… Et quoy ? De l’amitié.


Acante.

Ah ! Madame, faut-il railler d’un miserable ?


Climene.

Vous reprenez toûjours vostre ton lamentable.
Oüy, je vous veux aimer d’amitié malgré vous ;
Mais si sensiblement, que je n’aye, entre nous,
De là jusqu’à l’amour rien qu’un seul pas à faire.


Acante.

Et quand le ferez-vous ce pas si necessaire ?


Climene.

Jamais.


Acante.

Jamais. Reprenez donc l’offre de vostre cœur.


Climene.

Vous en aurez regret ; il a de la douceur.
Vous feriez beaucoup mieux d’éprouver ses largesses.
Je baise mes amis, je leur fais cent caresses :
À l’égard des Amans, tout leur est refusé.


Acante.

Je ne veux point du tout, Madame, estre baisé.
Vous riez ?


Climene.

Vous riez ? Le moyen de s’empescher de rire !
On veut baiser Acante ; Acante se retire.


Acante.

Et le pourriez-vous voir traiter de son amour
Pour un simple baiser, souvent froid, toûjours court ?


Climene.

On redouble en ce cas.


Acante.

On redouble en ce cas. Ouy, d’autres que Climene.


Climene.

Éprouvez-le.


Acante.

Éprouvez-le. Dequoy vous mettez-vous en peine ?


Climene.

Moy ? de rien.


Acante.

Moy ? de rien. Cependant je vois qu’en vostre esprit
Le refus de vos dons jette un secret dépit.


Climene.

Il est vray, ce refus n’est pas fort à ma gloire.
Dédaigner mes baisers ! cela se peut-il croire ?
Acante, je le vois, n’est pas fin à demy :
Il devoit aujourd’huy promettre d’estre amy :
Demain il eust repris son premier personnage.


Acante.

Et Climene auroit pû souffrir ce badinage ?
Un baiser n’auroit pas irrité ses esprits ?


Climene.

Qu’importe ? L’on s’appaise, et c’est autant de pris.
Vous en pourriez déja conter une douzaine.


Acante.

Madame, c’en est trop : à quoy bon tant de peine ?
Pour douze d’amitié donnez m’en un d’Amour.


Climene.

C’est perdre doublement ; je le rendrois trop court.


Acante.

Mais, Madame, voyons.


Climene.

Mais, Madame, voyons. Mais, Acante, vous dis-je.
L’amitié seulement à ces faveurs m’oblige.


Acante.

Et bien ! je consens d’estre amy pour un moment.


Climene.

Sous la peau de l’amy, je craindrois que l’Amant
Ne demeurast caché pendant tout le mystere.
L’heure sonne, il est tard ; n’avez-vous point affaire ?


Acante.

Non ; et quand j’en aurois, ces momens sont trop doux.


Climene.

Je me veux habiller ; adieu, retirez-vous.


Apollon.

Vous finissez bien-tost !


Melpomene.

Vous finissez bien-tost ! Point trop pour des Pucelles.
Ces discours leurs sieent mal, et vous vous moquez d’elles.


Apollon.

Moy, me moquer ! pourquoy ? J’en ouïs l’autre jour
Deux de quinze ans parler plus sçavamment d’Amour.
Ce que sur vos Amans je trouverois à dire
C’est qu’ils pleuroient tantost, et vous les faites rire.
De l’air dont ils se sont tout-à-l’heure expliquez,
Ce ne sçauroient estre eux, s’ils ne se sont masquez.


Melpomene.

Vous vouliez du plaisant, comment eust-on pû faire ?


Apollon.

J’en voulois, il est vray, mais dans leur caractere.


Thalie.

Sire, Acante est un homme inégal à tel point,
Que d’un moment à l’autre on ne le connoist point :
Inégal en amour, en plaisir, en affaire ;
Tantost gay, tantost triste ; un jour il desespere ;
Un autre jour il croit que la chose ira bien.
Pour vous en parler franc, nous n’y connoissons rien.
Climene aime à railler : toutefois, quand Acante
S’abandonne aux soûpirs, se plaint et se tourmente,
La pitié qu’elle en a luy donne un serieux
Qui fait que l’amitié n’en va souvent que mieux.


Apollon.

Clio, divertissez un peu la compagnie.


Clio.

Sire, me voila preste.


Apollon.

Sire, me voila preste. Il me prend une envie
De gouster de ce genre où Marot excelloit.


Clio.

Et bien, Sire, il vous faut donner un triolet.


Apollon.

C’est trop ; vous nous deviez proposer un distique.
Au reste, n’allez pas chercher ce stile antique
Dont à peine les mots s’entendent aujourd’huy :
Montez jusqu’à Marot, et point par delà luy :


Climene.

Mesme son tour suffit.


Clio.

Mesme son tour suffit. J’entends : il reste, Sire,
Que vostre Majesté seulement daigne dire
Ce qu’il luy plaist, Balade, Épigramme, ou Rondeau.
J’ayme fort les dixains.


Apollon.

J’ayme fort les dixains. En un sujet si beau
Le dixain est trop court ; et, veu vostre matiere,
La Balade n’a point de trop ample carriere.


Clio.

Je pris de loin Climene l’autre fois
Pour une Grace en ses charmes nouvelle :
Grace, s’entend, la premiere des trois ;
J’eusse autrement fait tort à cette Belle :
Puis approchant, et frotant ma prunelle,
Je me repris, et dis soudainement :
Voila Venus ; c’est elle assurément :
Non, je me trompe, et mon œil se méconte.
Cyprine là ? je faille lourdement ;
Telle n’est point la Reine d’Amatonte.

Voyons pourtant ; car chacun, d’une voix,
En fait d’appas, prend Venus pour modelle.
Je me mis lors à compter par mes doigts
Tous les attraits de la gente Pucelle ;
Afin de voir si ceux de l’immortelle
Y quadreroient, à peu prés seulement :
Mais le moyen ? Je n’y vins nullement,
Trouvant icy beaucoup plus que le conte.
Qu’est-cecy, dis-je, et quel enchantement ?
Telle n’est point la Reine d’Amatonte.

Acante vint tandis que je contois.
Cette beauté le fit asseoir prés d’elle.
J’entendis tout ; les zephirs estoient cois.
Plus de cent fois il l’appela cruelle,
Inexorable, à l’Amour trop rebelle ;
Et le surplus que dit un pauvre Amant.
Climene oyoit cela negligemment.
Le mot d’Amour luy donnoit quelque honte.
Si de ce Dieu la cronique ne ment,
Telle n’est point la Reine d’Amantonte.


Ne recours plus, Acante, au changement.
Loin de trouver en ce bas élement
Quelqu’autre objet qui ta Dame surmonte,
Dans les Palais qui sont au firmament
Telle n’est point la Reine d’Amatonte.


Apollon.

Vostre tour est venu, Calliope : essayez
Un de ces deux chemins qu’aux Auteurs ont frayez
Deux Écrivains fameux ; je veux dire Malherbe,
Qui loüoit ses Heros en un stile superbe ;
Et puis Maistre Vincent, qui mesme auroit loüé
Proserpine et Pluton en un stile enjoüé.


Calliope.

Sire, vous nommez là deux trop grands Personnages.
Le moyen d’imiter sur le champ leurs ouvrages ?


Apollon.

Il faut que je me sois sans doute expliqué mal ;
Car vouloir qu’on imite aucun original
N’est mon but, ny ne doit non plus estre le vostre,
Hors ce qu’on fait passer d’une langue en une autre.
C’est un bétail servile et sot, à mon avis,
Que les imitateurs ; on diroit des brebis
Qui n’osent avancer qu’en suivant la premiere,
Et s’iroient sur ses pas jetter dans la riviere[3].
Je veux donc seulement que vous nous fassiez voir,
En ce stile où Malherbe a montré son sçavoir,
Quelque essay des beautez qui sont propres à l’Ode ;
Ou si, ce genre-là n’estant plus à la mode,
Et demandant d’ailleurs un peu trop de loisir,
L’autre vous semble plus selon vostre desir,
Vous louïez galamment la Maistresse d’Acante,
Comme Maistre Vincent, dont la plume élegante

Donnoit à son encens un goust exquis et fin,
Que n’avoit pas celuy qui partoit d’autre main.


Calliope.

Je vais, puisuq’il vous plaist, hazarder quelque Stance.
Si je débute mal, imposez-moy silence.


Apollon.

Calliope manquer !


Calliope.

Calliope manquer ! Pourquoy non ? Tres souvent
L’Ode est chose penible, et sur tout dans le grand.

Toy, qui soûmets les Dieux aux passions des hommes :
Amour, souffriras-tu qu’en ce siecle où nous sommes,
Climene montre un cœur insensible à tes coups ?
Cette Belle devroit donner d’autres exemples :
Tu devrois l’obliger, pour l’honneur de tes Temples,
D’aimer ainsi que nous.


Uranie.

Les Muses n’ayment pas.


Calliope.

Les Muses n’ayment pas. Et qui les en soupçonne ?
Ce nous n’est pas pour nous ; je parle en la personne
Du Sexe en general, des devotes d’Amour.


Apollon.

Calliope a raison, qu’elle acheve à son tour.


Calliope.

J’en demeureray là, si vous l’agreez, Sire.
On m’a fait oublier ce que je voulois dire.


Apollon.

À vous donc, Polymnie ; entrez en lice aussi.


Polymnie.

Sur quel ton ?


Apollon.

Sur quel ton ? Je vois bien que sur ce dernier cy

L’on ne réussit pas toûjours comme on souhaite,
Calliope a bien fait d’user d’une défaite ;
Cette interruption est venuë à propos :
C’est pourquoy choisissez des tons un peu moins hauts.
Horace en a de tous ; voyez ceux qui vous duisent :
J’aime fort les Auteurs qui sur luy se conduisent ;
Voila les gens qu’il faut à present imiter.


Polymnie.

C’est bien dit, si cela pouvoit s’executer :
Mais avons-nous l’esprit qu’autrefois à cet homme
Nous sçavions inspirer sur le déclin de Rome ?
Tout est trop fort décheu dans le sacré valon.


Apollon.

J’en conviens, jusque mesme au mestier d’Apollon :
Il n’est rien qui n’empire, hommes, Dieux ; mais que faire ?
Irons-nous pour cela nous cacher et nous taire ?
Je ne regarde pas ce que j’estois jadis,
Mais ce que je seray quelque jour, si je vis.
Nous vieillissons enfin, tout autant que nous sommes
De Dieux nez de la Fable, et forgez par les hommes.
Je prévois par mon art un temps où l’Univers
Ne se souciera plus ny d’Autheurs, ny de Vers,
Où vos divinitez periront, et la mienne.
Joüons de nostre reste avant que ce temps vienne.
C’est à vous, Polymnie, à nous entretenir.


Polymnie.

Je songeois aux moyens qu’il me faudroit tenir :
À peine en rencontray-je un seul qui me contente.
Cecy vous plairoit-il ? Je fais parler Acante.

Qu’une belle est heureuse, et que de doux momens,
Quand elle en sçait user, accompagnent sa vie !
D’un costé le miroir, de l’autre les Amans,
Tout la louë ; est-il rien de si digne d’envie ?

La loüange est beaucoup, l’Amour est plus encor :
Quel plaisir de conter les cœurs dont on dispose !

L’un meurt, l’autre soûpire, et l’autre en son transport
Languit et se consume ; est-il plus douce chose ?

Climene, usez-en bien : vous n’aurez pas toûjours
Ce qui vous rend si fiere et si fort redoutée :
Caron nous passera sans passer les Amours ;
Devant ce temps-là mesme ils vous auront quittée.

Vous vivrez plus long-temps encor que vos attraits ;
Je ne vous réponds pas alors d’estre fidelle ;
Mes desirs languiront aussi bien que vos traits ;
L’Amant se sent déchoir aussi bien que la Belle.

Quand voulez-vous aimer que dans vostre Printemps ?
Gardez-vous bien sur tout de remettre à l’Automne :
L’Hyver vient aussi-tost ; rien n’arreste le temps ;
Climene, hastez-vous, car il n’attend personne.

Sire, je m’en tiens-là ; bien ou mal il suffit :
La Morale d’Horace, et non pas son esprit,
Se peut voir en ces Vers.


Apollon.

Se peut voir en ces Vers. Érato, que veut dire
Que vous, qui d’ordinaire aimez si fort à rire,
Demeurez Taciturne, et laissez tout passer ?


Érato.

Je rêvois, puisqu’il faut, Sire, le confesser.


Apollon.

Sur quoy ?


Érato.

Sur quoy ? Sur le debat qui s’est émeu n’aguere.


Apollon.

Sçavoir si vous aimez ?


Érato.

Sçavoir si vous aimez ? Autrefois j’estois fiere.

Quand on disait que non ; qu’on me vienne aujourd’hui
Demander aimez-vous, je répondrai que oui.


Apollon.

Pourquoy ?


Érato.

PourquoyPour éviter le nom de Précieuse.


Apollon.

Si cette qualité vous paraît odieuse,
Du vœu de chasteté l’on vous dispensera.
Choisissez un galant.


Érato.

Choisissez un galantNon pas, Sire, cela.
Je veux un peu d’hymen pour colorer l’affaire.


Apollon.

Un peu d’Himen est bon.


Érato.

Un peu d’Himen est bonJ’en veux, et n’en veux guère


Apollon.

Vous vous marierez donc ainsi qu’au temps jadis
Oriane épousa Monseigneur Amadis ?


Érato.

Ouy, Sire.


Apollon.

Ouy, SireLa méthode, en effet, en est bonne[4].
Mais encore avec qui ? car je ne vois personne
Qui veuille dans l’Olympe à l’hymen s’arrester :
Les Sylvains ne sont pas des gens pour vous tenter.


Érato.

Je prendrais un Auteur.


Apollon.

Je prendrais un AuteurUn auteur, vous déesse ?
Aux auteurs Erato pourrait mettre la presse ?
Ce n’est pas votre fait pour plus d'une raison.
Rarement un auteur demeure à la maison.


Erato.

Justement cela qui m'en plaît davantage.


Apollon.

Nous nous entretiendrons de votre mariage
A fond une autre fois. Cependant chantez-nous
Non pas du serieux, du tendre, ni du doux
Mais de ce qu’en français on nomme bagatelle;
Un jeu dont je voudrais Voiture pour modèle.
Il excelle en cet art: Maître Clément et lui
S'y prenaient beaucoup mieux que nos gens d’aujourd’hui.


Erato.

Sire, j'en ai perdu peu s'en faut l'habitude;
Et ce genre est pour moi maintenant une étude.
Il y faut plus de temps que le monde ne croit.
Agréez, en la place, un dixain.


Apollon.

Agréez, en la place, un dixainDixain soit.


Erato.

Mais n'est-ce point assez célèbre notre belle ?
Quand j'aurai dit les jeux, les ris, et la séquelle
Les grâces, les amours, voilà fait à peu près.


Apollon.

Vous pourrez dire encor les charmes, les attraits,
Les appas.


Erato.

Les appasEt puis quoy ?


Apollon.

Les appas Et puis quoyCent et cent mille choses.

Je ne vous ai compté ni les lis ni les roses.
On n’a qu’a retourner seulement ces mots-là.


Erato.

La satire en fournit bien d’autres que cela.
Pour un trait de louange. il en est cent de blâme.


Apollon.

Et bien blâmez Clymène à qui d’aucune flamme
On ne peut désormais inspirer le désir.


Erato.

Ce sujet est traité ; I’on vient de s’en saisir ;
Il a servi de thèse a ma sœur Polymnie.


Apollon.

Cela ne vous fait rien ; la chose est infinie ;
Toujours notre cabale y trouve à regratter,


Erato.

Sire puisqu’il vous plaît je m’en vais le tenter.
Ma sœur m’excusera si j’enchéris sur elle.


Polymnie.

Voilà bien des façons pour une bagatelle.


Erato.

C’est qu’elle est de commande.


Apollon.

C’est qu’elle est de commandeEt que coûte un dixain ?


Erato.

Tout coûte : il faut pourtant que je me mette en train.

Clymène a tort : je suis d’avis qu’elle aime
Notre vassal dès demain au plus tard,
Dès aujourd’hui, dès ce moment-ci même :
Le temps d’aimer n’a si petite part
Qui ne soit chère ; et surtout quand on treuve
Un bon amant, un amant a l’épreuve.
Je sais qu’il est des amants à foison ;

Tout en fourmille ; on n’en saurait que faire ;
Mais cent méchants n’en valent pas un bon ;
Et ce bon-là ne se rencontre guère.


Apollon.

Il ne nous reste plus qu’Uranie, et c’est fait.
Mais quand j’y pense bien, je trouve qu’en effet
Tant de louange ennuie ; et surtout quand on loue
Toujours le même objet : enfin je vous avoue
Que pour peu que durât l’éloge encor de temps
Vous me verriez bailler. Comment peuvent les gens
Entendre sans dormir une oraison funèbre ?
Il n’est panégyriste au monde si célèbre
Qui ne soit un Morphée à tous ses auditeurs.
Uranie, il vous faut reployer vos douceurs :
Aussi bien qui pourrait mieux parler de Clymène
Que l’amoureux Acante ? allons vers l’Hippocrène ;
Nous l’y rencontrerons encore assurément.
Ce nous sera sans doute un divertissement.
La solitude est grande autour de ces ombrages.
Que vous semble ? on croirait au nombre des ouvrages
Et des compositeurs (car chacun fait des vers)
Qu’il nous faudrait chercher un mont dans l’univers,
Non pas double mais triple, et de plus d’étendue
Que l’Atlas, cependant ma cour est morfondue ;
Je ne rencontre ici que deux ou trois mortels,
Encor très peu dévots à nos sacrés autels.
Cherchez-en la raison dans les Cieux, Uranie.


Uranie.

Sire, il n’est pas besoin ; et sans l’astrologie
Je vous dirai d’où vient ce peu d’adorateurs.
II est vrai que jamais on n’a vu tant d’auteurs ;
Chacun forge des vers ; mais pour la poésie,
Cette princesse est morte, aucun ne s’en soucie.
Avec un peu de rime on va vous fabriquer
Cent versificateurs en un jour sans manquer.
Ce langage divin, ces charmantes figures,
Qui touchaient autrefois les âmes les plus dures,

Et par qui les rochers et les bois attirés
Tressaillaient à des traits de l’Olympe admirés,
Cela, dis-je n’est plus maintenant en usage.
On vous méprisé, et nous, et ce divin langage.
Qu’est-ce, dit-on ? des vers ; suffit, le peuple y court
Pourquoi venir chercher ces traits en notre cour ?
Sans cela l’on parvient à l’estime des hommes.


Apollon.

Vous en parlez très bien. Mais qu’entends-je ? nous sommes
Auprès de l’Hippocrène : Acante assurément
S’entretient avec elle : écoutons un moment :
C’est lui, j’entends sa voix.


Acante.

C’est lui, j’entends sa voixZéphyrs de qui l’haleine
Portait à ces Echos mes soupirs et ma peine
Je viens de vous conter son succès glorieux.
Portez en quelque chose aux oreilles des dieux.
Et toi mon bienfaiteur, Amour, par quelle offrande
Pourrai-je reconnaître une faveur si grande ?
Je te dois des plaisirs compagnons des autels,
Des plaisirs trop exquis pour de simples mortels.
O vous qui visitez quelquefois cet ombrage
Nourrissons des neuf Sœurs…


Apollon.

Nourrissons des neuf SœursSans doute il n’est pas sage :
Sachons ce qu’il veut dire. Acante !


Acante., parlant seul.

Sachons ce qu’il veut dire. AcanteAdorez-moy ;
Car si je ne suis dieu, tout au moins je suis Roy.


Erato.

Acante !


Clio.

AcanteD’aujourd’hui pensez-vous qu’il réponde ?
Quand une rêverie agréable et profonde
Occupe son esprit, on a beau lui parler.


Erato.

Quand je m’enrumerois à force d’appeler,
Si faut-il qu’il entende. Acante !


Acante.

Si faut-il qu’il entende. AcanteQui m’appelle ?


Erato.

C’est vostre bonne amie Erato.


Acante.

C’est vostre bonne amie EratoQue veut-elle ?


Erato.

Vous le scaurez ; venez.


Acante.

Vous le scaurez ; venezDieux ! je vois Apollon,
Sire, pardonnez-moy ; dans le sacré valon
Je ne vous croyois pas.


Apollon.

Je ne vous croyois pasLevez-vous et nous dites
Quelles sont ces faveurs, soit grandes ou petites,
Dont le fils de Venus a payé vos tourmens.


Acante.

Sire, pour obeïr à vos commandemens,
Hier au soir, je trouvay l’Amour près du Parnasse :
Je pense qu’il suivoit quelque Nymphe à la trace
D’aussi loin qu’il me vit : Acante, approchez-vous,
Cria-t-il : j’obéis. Il me dit d’un ton doux :
Vos vers ont fait valoir mon nom et ma puissance :
Vous ne chantez que moi : je veux pour récompense
Dès demain sans manquer obtenir du destin
Qu’il vous fasse trouver Clymène le matin
Dans son lit endormie, ayant la gorge nue,
Et certaine beauté que depuis peu j’ai vue.
Sans dire quelle elle est. il suffit que l’endroit
M’a fort plu ; vous verrez si c’est à juste droit.
Vous êtes connaisseur. Au reste en habile homme
Usez de la faveur que vous fera le somme.

C’est à vous de baiser ou la bouche, ou le sein,
Ou cette autre beauté : mesme j’ay fait dessein
D’en parler à Morphée, afin qu’il vous procure
Assez de temps pour mettre à profit l’avanture.
Vous ne pourrez baiser qu’un des trois seulement :
Ou le sein, ou la bouche, ou cet endroit charmant.


Erato.

Ne nons le nommez pas, afin que je devine.


Acante.

Je vous le donne en deux,


Erato.

Je vous le donne en deuxC’est… c’est, je m’imagine…


Acante.

Quoy ?


Erato.

QuoyLe bras entier ?


Acante.

Quoy Le bras entierNon.


Erato.

Quoy Le bras entier NonLe pied ?


Acante.

Quoy Le bras entier Non Le piedVous l’avez dit.
Je l’ay vu, dit l’Amour ; il est sans contredit
Plus blanc de la moitié que le plus blanc yvoire.
Climene s’éveillant, comme vous pouvez croire ?
Voudra vous témoigner d’abord quelque courroux :
Mais ie seray present, et rabatray les coups ;
Le sort et moy rendrons mouton vostre tigresse.
Amour n’a pas manqué de tenir sa promesse.
Ce matin j’ay trouvé Climene dans le lit.
Sire, jusqu’au demaln je n’aurois pas décrit
ses diverses beautez. Une couleur de roses,
Par le somme appliquée, avoit, entre antres choses ?,
Rehaussé? de son teint la naïve blancheur.

Ses lis ne laissaient pas d’avoir de la fraîcheur.
Elle avait le sein nu : je n’ai point de parole
Quoique dès ma jeunesse instruit dans cette école
Pour vous bien exprimer ce double mont d’attraits.
Quand j’aurais là-dessus épuisé tous les traits,
Et fait pour cette gorge une blancheur nouvelle
Encor n’auriez-vous pas ce qui la rend si belle
La descente, le tour, et le reste des lieux
Qui pour lors m’ont fait roi (j’entends roi par les yeux
Car mes mains n’ont point eu de part à cette joie).
Le sort à mes regards a mis encore en proie
Les merveilles d’un pied sans mentir fait au tour.
Figurez-vous le pied de la mère d’Amour,
Lorsqu’allant des Tritons attirer les œillades
Il dispute du prix avec ceux des Naïades.
Vous pouvez l’avoir vu ; Mars peut vous l’avoir dit :
Quant à moi, j’ai vu, Sire, au pied dont il s’agit
Du marbre, de l’albâtre, une plante vermeille :
Thétis I’a, que je pense, ou doit l’avoir pareille.
Quoi qu’il en soit ce pied hors des draps échappé
M’a tenu fort longtemps à le voir occupé.
Pour en venir au point ou j’ai poussé l’affaire :
Quel des trois, ai-je dit, faut-il que je préfère ?
J’ai, si je m’en souviens, un baiser à cueillir,
Et par bonheur pour moi je ne saurois faillir.
Cette bouche m’appelle à son haleine d’ambre.
Cupidon là-dessus est entré dans la chambre :
Je ne sais pas comment ; car j’avais fermé tout.
J’ai parcouru le sein de l’un à l’autre bout.
Ceci me tente encore, ai-je dit en moi-même :
Et quand je serais prince, et prince à diadème,
Une telle faveur me rendrait fortune.
Par caprice à la fin m’étant déterminé,
J’ai réservé ces deux pour la première vue
Le pied par sa beauté qui m’était inconnue
M’a fait aller à lui. peut-être ce baiser
M’a paru moins commun, partant plus à priser.
Peut-être par respect j ai rendu cet hommage.

Peut-être aussi j’ai cru que le même avantage
Ne reviendrait jamais, et qu’on ne baise pas
Un beau pied quand on veut, trop bien d’autres appas.
La rencontre après tout me semblait fort heureuse.
Même à mon sens la chose était plus amoureuse :
De dire plus friponne et d’aller jusque-là,
Je n’ai gardé, c’est trop, j’ai, Sire, pour cela
Trop de respect pour vous ainsi que pour Clymène.
Elle s’est éveillée avec assez de peine ;
Et m’ayant entrevu, la belle et ses appas
Se sont au même instant cachés au fond des draps.
La honte l’a rendue un peu de temps muette.
Enfin sans se tourner ni quitter sa cachette,
D’un ton fort sérieux et marquant son dépit :
Je vous croyais plus sage, Acante, a-t-elle dit.
Cela ne me plaît point ; sortez, et tout a l’heure.
Amour, ai-je repris, me dit que je demeure ;
Le voilà ; qui croirai-je ? accordez-vous tous deux.
Qui l’Amour ? pensez-vous avec vos Ris, vos Jeux,
Vos Amours, m’amuser ? a reparti Clymène.
Tout doux, a dit l’Amour. Aussitôt l’inhumaine,
Oyant la voix du dieu, s’est tournée, et changeant
De note, prenant même un air tout engageant :
Clymène, a-t-elle dit, tu n’es pas la plus forte.
C’est a toi de fermer une autre fois la porte.
Les voilà deux ; encore un dieu s’en mêle-t-il.
Afin qu’Acante sorte, et bien que lui faut-il ?
Qu’il dise les faveurs donc il se juge digne.
J’ai regardé l’Amour ; du doigt il m’a fait signe
Je n’ai pas entendu d’abord ce qu’il voulait.
Mais me montrant les traits qu’une bouche étalait,
Il m’a fait à la fin juger par ce langage
Qu’un baiser me viendrait si j’avais du courage.
Or je n’en eus jamais en qualité d’amant.
Amour m’a dit tout bas : Baisez-la hardiment ;
Je lui tiendrai les mains ; vous n’aurez point d’obstacle.
Je me suis avancé. Le reste est un miracle.
Amour en fait ainsi ; ce sont coups de sa main.


Apollon.

Comment ?


Acante.

Comment ? Climene a fait la moitié du chemin.


Polymnie.

Que vous autres mortels estes fous dans vos flames !
Les Dieux obtiennent bien d’autresdons de leurs Dames
Sans triompher ainsi.


Acante.

Sans triompher ainsi.Polymnie, ils sont Dieux.


Apollon.

Je l’estois, et Daphné ne m’en traita pas mieux :
Perdons ce souvenir. Vous, triomphez, Acante :
Nous vous laissons, adieu ; nostre troupe est contante.


FIN.
  1. Cet avertissement se trouve à la suite du conte intitulé Le petit Chien qui secouë de l’argent et des pierreries, p. 147 des Contes et Nouvelles en vers, 1671, in-12. Le dixième vers de cette comédie fait allusion au temps où Fouquet étoit surintendant. Cela prouve qu’elle a été composée avant 1661.
  2. Il ne faut pas oublier que ce nom est celui que La Fontaine s’étoit choisi.
  3. Allusion à l’histoire des moutons de Panurge, que La Fontaine a racontée tout au long, d’après Rabelais, dans un de ses Contes, t. II, p. 240.
  4. Ainsi dans les Œuvres diverses de 1729. L’édition originale porte, mais à tort :
    ___La méthode en effet est bonne,