Comment nous ferons la Révolution/11

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Chapitre XI

SUS AUX BANQUES !


Sans désemparer, tous les comités d’organisations syndicales siégeaient. Ils restaient quasi en permanence, empoignés par une fièvre d’action qui grandissait avec les circonstances.

Ce n’était pas tout que d’avoir jeté bas l’État centralisé, militarisé, expression du droit romain et césarien. La véritable besogne commençait dès l’instant de cette chute : il fallait remettre la machine sociale en marche ; il fallait surtout, en grande hâte, assurer les subsistances, éviter la famine.

Sur ces difficultés de tout premier ordre vinrent se greffer les ennuis, — heureusement tout relatifs, — que suscitèrent les obstinés partisans de l’étatisme socialiste, s’entêtant à faire dévier la révolution dans des voies gouvernementales. Leur déception de n’avoir pu instaurer à l’Hôtel de Ville un pouvoir quelconque ne les avait pas guéris de leur projet. Ils étaient déconfits, mais non convertis. La fréquentation des milieux parlementaires et la pratique légiférante les empêchait de comprendre le mouvement ; son envergure les dépassait, — et ils croyaient la révolution perdue. Cependant, leur intervention ne fut pas néfaste, grâce aux habitudes de lenteur, de discussions oiseuses, se perpétuant sans aboutir, que leur avait inculqué le parlementarisme. Les syndicats les gagnèrent d’activité et de vitesse ; chez eux, les discussions étaient brèves, les décisions promptes et leur mise à exécution suivait, rapide. Cette supériorité annihila les parlementaires de la révolution qui, privés de points d’appui, s’agitaient dans le vide, s’épuisaient en efforts devant rester sans sanctions, puisque toutes les forces sociales avaient désormais fait retour aux organismes corporatifs.

La régression gouvernementale fut donc évitée et, — une fois le terrain déblayé de toutes les superfétations politiques, il appartint aux intéressés eux— mêmes, réunis dans leurs syndicats, les Bourses du travail, la Confédération, de réaliser directement les conditions de la vie nouvelle.


Le premier soin fut de ne pas retomber dans les errements de 1871. Le souvenir de la Commune, montant la garde aux caves de la Banque de France, dont les millions servirent à alimenter la répression versaillaise, était trop vivace et trop obsédant pour qu’on commît la même faute. Les révolutionnaires avaient le sens des réalités sociales et ils ne croyaient pas leur victoire parachevée, parce qu’ils avaient abattu la façade de la vieille société, — le parlementarisme. Aussi ; dans la nuit même qui suivit la victoire populaire, le Comité Confédéral, après entente avec le syndicat des employés de banque, décidait la prise de possession de la Banque de France, de la Caisse des dépôts et consignations, des grands établissements financiers, — sans établir de distinctions entre les maisons de banque ou de crédit, relevant de l’État ou de capitaux privés.

Il fut convenu que décharge provisoire serait donnée aux intéressés et que ces richesses, considérées comme propriété sociale, serviraient en attendant la réorganisation normale, à faire face aux besoins sociaux et à assurer la consommation. Il fut, en outre, stipulé qu’il serait tenu compte aux particuliers de leurs dépôts respectifs, dont ils pourraient continuer à user, pour des besoins d’échange, sous forme de chèques.

Ces opérations donnèrent lieu à des manifestations d’un caractère spécial. Les résidus des partis de réaction, — qu’on pouvait qualifier de préhistoriques, — crurent l’occasion propice pour se signaler à l’attention. Ces tardigrades, qui s’imaginaient faire accepter leurs cris de « vive le roi » en les entremêlant de « mort aux Juifs » suscitèrent des attroupements. Ils avaient espéré dévoyer le peuple en l’ameutant uniquement contre le capital juif, contre les banques sémites. L’accueil qui leur fut fait leur prouva combien ils retardaient : ils furent conspués et houspillés de vigoureuse façon par les travailleurs qui ne se laissèrent pas prendre à ces subtilités d’un autre âge. La leçon fut même assez dure et cette incartade réacteuse fut sans lendemain.


Un spectacle d’un ordre tout différent, — poignant parce qu’il mettait à nu de vieilles misères et réconfortant parce qu’il en annonçait la fin sans retour, — ce fut l’opération du dégagement des objets de toute valeur, grande ou faible, déposés au Mont-de-Piété. La procédure fut simple et expéditive : tous les dégagements s’opérèrent gratuitement.

Dans les foules faisant queue aux guichets n’étaient pas que des prolétaires ; nombreux aussi s’y pressaient des commerçants, des patrons, que les affres de l’échéance, les difficultés des affaires avaient acculés à l’emprunt sur gages. Or, chez ceux-ci, malgré que l’ordre de choses qui s’instaurait ne leur inspirât pas de grandes sympathies, au fond de leur regard luisait une flamme de satisfaction ; ils ne pouvaient s’empêcher de songer que, si la révolution leur réservait bien des déboires, du moins elle s’inaugurait aimablement.


Dès la victoire, une autre mesure fut prise spontanément : des équipes d’écrivains révolutionnaires ainsi que d’ouvriers d’imprimerie, avisèrent à assurer la réapparition des journaux. Il était normal que, les conditions sociales se trouvant bouleversées, les conditions d’édition le fussent aussi. Auparavant les quotidiens n’avaient guère été que des engins, précieux pour le capitalisme, — et ils s’asservissaient typographes et journalistes. Les uns et les autres devaient faire litière de leurs manières de voir, de leurs opinions, de leurs intérêts de classe et collaborer à répandre des idées que souvent ils considéraient comme fausses, délétères, pernicieuses ; la nécessité de recevoir du capital un salaire, — sans lequel ils ne pouvaient vivre, — les y obligeait.

Désormais, le travailleur n’étant plus serf du capitaliste, le salaire étant aboli, les conditions de fabrication des quotidiens devaient être différentes : ils ne pouvaient être que le produit de l’entente et de l’effort — autant au point de vue matériel, qu’intellectuel, — des ouvriers de toute catégorie, œuvrant pour les jeter dans la circulation. Par conséquent, ils ne pouvaient que traduire les aspirations et refléter les espérances du peuple.


Immédiatement, aussi, tous les syndicats prirent leurs dispositions pour la reprise du travail, dans toutes les branches. Ce fut la fin d’un cauchemar quand les quartiers délaissés par les ouvriers de l’assainissement furent nettoyés et que disparurent les pestilences qui les encombraient. Et ce fut une fête des yeux quand la lumière jaillit aux ampoules et arcs électriques et que le gaz flamba aux candélabres.

Surtout, le problème urgent à résoudre fut celui d’assurer l’alimentation !

On alla au plus pressé. La nécessité obligea souvent à se remettre à la besogne dans des conditions défectueuses. C’était un provisoire auquel il fallait se résoudre, — mais on eut hâte d’y remédier.

La prise de possession s’organisa avec méthode.

L’État aboli, aucune entrave ne pouvait plus contrarier l’épanouissement des instincts populaires : l’esprit d’entente et de concorde allait fleurir, ainsi que les tendances communistes, si longtemps comprimées par l’autorité.

Et la tradition allait se trouver renouée, entre la cité nouvelle et les communes du Moyen-Age, au sein desquelles avait germé un rudimentaire communisme, dont le centralisme gouvernemental avait arrêté le développement.