Conspiration faite en Picardie, sous fausses et meschantes calomnies contre l’edict de pacification

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Conspiration faite en Picardie, sous fausses et meschantes calomnies contre l’edict de pacification.

1576



Conspiration faite en Picardie, sous fausses et meschantes
calomnies contre l’edict de pacification
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M.D.LXXVI1. In-8.

Les prelats, seigneurs, gentilshommes, capitaines, soldats, habitans des villes et plat pays de Picardie, n’estimans estre besoin de representer les preuves de leur très humble fidélité, servitude et obeissance, dont leurs grands, anciens et recommandables services ont rendu tant de suffisans et certains tesmoignages, que l’on n’en peut aucunement douter, supplient tous les bons sujets du roy de croire (comme la verité est) que le seul zèle et entière devotion qu’ils ont à l’honneur de Dieu, service de Sa Majesté, repos public et conservation de leur vie, biens et fortunes, et celles de leurs femmes et enfans, avec la prevoyance de leur inevitable malheur et ruine (s’il n’y estoit proprement pourveu), les a non seulement induits et poussez, mais davantage necessitez, à la resolution qu’ils ont esté contraints de prendre, laquelle ne tend à aucun changement ou innovation de l’ancienne et première institution et establissement de ce royaume, et pourtant ne peut estre notée et sugillée d’aucune mauvaise façon, soupçon ou defiance, ains sera tousjours cognu et demonstré par les effects que leurs conseils et intentions ne regardent que la seule manutention et entretenement du service de Dieu, de l’obeissance du roy et la seureté de son Estat.

Et voyant bien, par ce qui s’est passé jusques ici, que les ennemis n’ont et n’eurent onques autre but, sinon d’establir leurs erreurs et heresies en ce royaume, de tout temps très chrestien et catholique, aneantir la religion ancienne, exterminer ceux qui en font inviolable profession, miner peu à peu la puissance et auctorité du roy, changer en tout et partout son estat, y introduire autre et nouvelle forme, eux n’ont peu moins faire, pour le devoir de leur honneur et conscience, que d’obvier, par commun accord et saincte union2, aux sinistres desseins des rebelles, conjurez ennemis de Dieu, des majestés et de la couronne.

Mesme que pour le regard du faict particulier qui se presente, ils ont esté bien advertis et informez par les gentilshommes et soldats qui ont accompagné le prince de Condé, que si tost que la ville de Peronne seroit saisie et emparée de ses troupes, le dessein estoit d’y dresser le magasin des deniers et amas de ceux de la nouvelle opinion.

Que de là l’on proposoit envoyer et elancer les ministres par toutes les villes du gouvernement, despescher les mandemens et ordonnances, en cas du moindre refus proceder par arrests, emprisonnement des catholiques, saisies et degats de leurs biens, et toutes autres rigueurs que ledict sieur prince cognoistroit la promotion et avancement de sa cause le requerir.

De l’execution duquel dessein ne pouvans attendre que la totale ruine de la province et conséquemment de la capitale ville de Paris, le plus certain et ordinaire refuge du roy, et consideré qu’avec l’interest de Sa Majesté et du public leur subsistance y est très estroitement conjointe et que l’on peut dire Sa Majesté et ses bons sujets courre inseparablement une mesme fortune, outre ce qui est du zèle de l’honneur de Dieu, qui doit estre bien avant engravé et imprimé en nos cœurs : pour ces raisons très justes et plus que necessaires occasions, les susdicts prelats, seigneurs, gentilshommes, bons habitans, tous confrères et associez en la presente très chrestienne union, se sont resolu (après avoir prealablement appellé l’aide de Dieu, avec l’inspiration de son Saint-Esprit, par la communion et participation de son precieux corps) d’employer leurs biens et vies jusques à la dernière goute de leur sang, pour la conservation de ladite ville et de toute la province, en l’obeissance du roy et en l’observation de l’Eglise catholique, apostolique et romaine3.

Pour cest effect supplient Sa Majesté, avec toute l’humble reverence, respect et humilité qu’ils doyvent, que son bon plaisir soit de se ramentevoir avec quelle fidelité et devotion la noblesse de Picardie et citoyens de Peronne luy ont conservé et à ses predecesseurs icelle ville qui est frontière, tant contre les sieges et entreprinses des ennemis estrangers, que des embuches et conspirations domestiques.

Tellement que pour marque et recognoissance de cette ancienne et incorruptible fidelité, les feus roys et Sa Majesté à present regnant ont honoré les habitans de plusieurs grands et speciaux priviléges, entre lesquels leur est ottroyé qu’ils ne peuvent estre distraits ny desmembrez de la couronne.

C’est donc en substance qu’ils desirent demeurer très humbles, très obeissans serviteurs et sujets du roy zelateur de l’ancienne et vraye religion : en laquelle eux et leurs majeurs, depuis le règne de Clovis4, ont esté baptisez, nourris et enseignez, et pour ces deux occasions protestent ne vouloir non plus espargner leurs vies à l’avenir, comme nostre Sauveur très liberalement s’est offert à exposer la sienne pour nostre redemption, nous conviant et appelant à l’imitation de son exemple.

C’est qu’ils somment et interpellent les bons sujets du roy de continuer et perseverer en ceste mesme recognoissance de l’honneur de Dieu et du service de Sa Majesté, sans ceder pour peu que soit aux vents, orages et tempestes de rebellion et desobeissance, et encore moins s’estonner des empeschemens et traverses que les ministres de Satan donnent journellement à la liberté de la saincte catholique religion, à l’authorité du roy et au repos de la France.

Pour lesquelles choses remettre et restablir en leur dict premier estat, splendeur et dignité, et rompre toutes les pratiques qui se bastissent à leur ruine, ils croyent leurs biens ne pouvoir estre mieux employez ny leur sang plus justement et sainctement respandu ; et estant en ceste ferme deliberation, à laquelle l’evident péril de cest estat les a finalement attirez, ils s’asseurent, outre les graces et faveurs qu’ils esperent recevoir de Dieu, suyvant ses infaillibles promesses et la profession du roy leur souverain seigneur, d’estre assistez, soustenus, aidez et confortez universellement par toutes les provinces, prelats, seigneurs de ce royaume, d’autant que la mort des Majestez et de Monsieur fils et frère de roy, l’aneantissement de la saincte religion, la ruine du peuple françois estant conjurée, monopollée et designée par les rebelles, et le royaume par eux exposé en proye à tous les barbares du monde, il est desormais plus que temps d’empescher et destourner leur finesse et conspiration par une saincte et chrestienne union, parfaicte intelligence et correspondance de tous les fidèles, loyaux et bons sujets du roy, qui est aujourd’hui le vray et seul moyen que Dieu nous a reservé entre nos mains pour restaurer son sainct service, et l’obeissance de Sa Majesté, pour la manutention de laquelle nous ne pouvons que bien prodiguer nos vies et acquerir une mort très glorieuse et asseuré repos à jamais.



1. Au mois de mai de cette année-là, la paix s’étant faite entre le nouveau roi Henri III et les huguenots, un édit de pacification, très favorable à ceux-ci, avoit été rendu à Paris. Le prince de Condé, l’un des chefs du parti calviniste, avoit obtenu, entre autres avantages, le droit d’occuper Péronne, ce qui privoit de son gouvernement M. d’Humières, déjà fort attaché à la maison de Lorraine. Le duc de Guise profita de cette nouvelle cause de mécontentement pour envoyer au gouverneur dépossédé la copie du traité d’union, qu’il avoit depuis long-temps élaboré, et dans lequel se trouvoient jetées les premières bases de la Sainte-Ligue. Il le prioit d’y souscrire. M. d’Humières n’eut garde d’y manquer. Sa signature entraîna celle de la plupart des gentilshommes de la noblesse picarde. On en fit grand bruit dans le parti du roi, car l’on crut voir dans cette adhésion une sorte de révolte contre la volonté royale, dont l’édit étoit l’expression. C’est alors que fut lancée, comme justification et en même temps comme manifeste, la pièce que nous reproduisons ici. Elle est la première qu’il faille placer dans les archives de la Ligue. Elle précède en effet l’acte d’association faite entre les princes, seigneurs, gentilshommes et autres, tant de l’état ecclésiastique que de la noblesse et tiers etat, et habitans du païs de Picardie, acte signé à Péronne par plus de deux cents gentilshommes, et qui fut la véritable charte de l’Union. Maimbourg l’a donné à la fin de son Histoire de la Ligue, 1683, in-4, p. 129 ; mais, comme nous le montrerons plus loin, il semble avoir eu aussi connaissance de ce premier manifeste. Dès lors, les progrès de la Sainte-Union ne s’arrêtèrent plus. Du Midi, où depuis 1550 on lui recrutoit des adhérents pour un premier formulaire conservé dans les manuscrits de Béthune, nº 8823, elle s’étendit par toute la France. La nouvelle charte, copiée sur parchemin, fut portée de maison en maison et couverte de signatures. (Ruby, Hist. de Lyon, liv. 3, ch. 64.) Ce fut à qui mettroit le ruban noir sur son habit (L’Estoille, 6 juin 1591) et la croix blanche à son chapeau. (Ruffi, Hist. de Marseille, liv, 7, ch. 2.)

2. Voici bien déjà la Ligue toute créée et baptisée.

3. Dans cette résolution de la noblesse picarde nous retrouvons les instigations de M. d’Humières, jaloux de conserver le gouvernement que l’édit de pacification faisoit passer au prince de Condé. « Il fit si bien, dit Maimbourg, p. 26, par le grand crédit qu’il s’étoit acquis dans toute la province, que, comme d’ailleurs les Picards ont toujours été fort zelez pour l’ancienne religion, il obligea presque toutes les villes et la noblesse de Picardie à declarer hautement qu’on ne vouloit point du prince de Condé, parceque, disoit-on dans le manifeste que l’on publia pour justifier ce refus, on sçavoit de toute certitude que ce prince avoit résolu d’abolir la foy catholique et d’établir universellement le calvinisme dans la Picardie. En effet, on ne voulut jamais le recevoir ni dans Péronne, ni dans le reste du gouvernement ; et pour se maintenir contre tous ceux qui voudroient entreprendre de faire observer par force cet article de paix, qu’on ne vouloit pas accepter, les Picards furent les premiers à recevoir d’un commun accord et à publier dans Péronne le traité de la Ligue en douze articles, où les plus sages mesme d’entre les catholiques, après l’illustre Christophe de Thou, remarquèrent beaucoup de choses qui choquoient directement les plus saintes loix divines et humaines. »

4. Dans l’acte signé le 10 février 1577, cette époque de Clovis est aussi rappelée. Les associés jurent de défendre la religion, « de remettre les provinces aux mêmes droits et franchises et liberté qu’elles avoient au temps de Clovis. » (Coll. Petitot, 2e série, t. 1, p. 66.) C’est une chose à remarquer que les ligueurs, dans leurs actes solennels, affectoient toujours de parler des dynasties mérovingienne et carlovinvingienne, et jamais de celle de Hugues-Capet. Il étoit, en effet, dans les idées des Guise de faire passer celle-ci pour usurpatrice et de préparer ainsi l’avénement au trône de leur propre famille, qu’ils donnoient pour la descendante directe de Charles de Lorraine, dernier héritier de Charlemagne. Partout ils faisoient répéter ce qui se trouvoit en substance dans le Discours qu’avoit prononcé l’avocat David, l’année précédente, à la petite assemblée des quarteniers tenue dans le Parloir aux Bourgeois : « Combien que la race des Capet ait succédé à l’administration temporelle du royaume de Charlemagne, elle n’a point toutefois succédé à la bénédiction apostolique affectée à la postérité de Charlemagne tant seulement, mais au contraire, en usurpant la couronne par outrecuidance téméraire, elle avoit acquis sur soi et sur les siens une malédiction perpétuelle… Au contraire, les rejetons de Charlemagne sont verdoyants, aimant la vertu, pleins de vigueur en esprit et en corps ; ils rentreroient dans l’ancien héritage du royaume avec le gré, consentement et eslection de tout le peuple. » C’est assez clair. Voici qui l’est davantage encore : « On fera punition exemplaire du frère du roy, et finalement, par l’advis et permission de Sa Sainteté, on enfermera le roy et la reine dedans un monastère…, et, par ce moyen, M. de Guise réunira l’héritage temporel de la couronne à la bénédiction apostolique qu’il possède pour tout le reste de la succession de Charles-le-Grand. » Tels étoient les desseins, d’abord clandestins, puis bientôt hautement déclarés, de la Ligue.