Constantinople sous Abdul-Medjid

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CONSTANTINOPLE

SOUS ABDUL-MEDJID.


Nous venions de traverser la Valachie[1] et nous étions arrivés à Braïlow, d’où nous pouvions nous embarquer pour Constantinople ; mais dans le dessein de visiter Galatz, le seul port de la Moldavie, nous préférâmes ne prendre le paquebot que dans cette dernière ville. Le trajet de Braïlow à Galatz se fait en deux heures et demie ; la route est assez pittoresque. Les forêts qui couvraient les collines furent dévastées pendant la guerre, mais les plantations nouvelles poussent avec une vigueur remarquable ; les campagnes commencent à être sillonnées par la charrue, les paysans paraissent moins pauvres que dans les autres districts, le commerce exerce enfin aux environs de Braïlow son heureuse influence. Le Sheret forme la ligne de démarcation des deux principautés. On passe cette rivière, assez importante, sur un pont volant qu’il est question d’établir d’une manière plus solide. La Moldavie s’annonce tout de suite comme un pays de montagnes, et quoique le nord-est de la Valachie soit assez accidenté, la transition semble brusque. La route, passablement entretenue, traverse une vallée fertile, abritée par des bois magnifiques et arrosée par des cours d’eau qui rendent le pays aussi propre à l’exploitation des usines qu’aux travaux agricoles.

On découvre Galatz d’assez loin. Cette ville se divise en deux parties ; la cité nouvelle occupe une colline élevée d’où le regard plane sur le Danube et sur les belles montagnes de la Bulgarie ; des maisons élégantes et construites en pierres donnent à ce quartier un aspect européen ; les inondations fréquentes du Danube forceront les habitans de la vieille ville à suivre l’exemple de ceux qui se sont établis sur la hauteur. Les masures qui obstruent le port une fois détruites, on pourra songer à profiter des carrières voisines pour construire quelques quais qui deviendront des remparts contre la crue des eaux et permettront de placer avec sécurité des magasins sur les bords même du Danube. On descend à ce fleuve par des rues tortueuses, remplies encore de vieilles constructions turques où les négocians ont provisoirement ouvert leurs comptoirs. Une population cosmopolite se presse dans les bazars et dans les nombreux cafés de Galatz. Les Moldaves, les Grecs, les Ioniens et les Génois, dont les relations commerciales avec l’Orient ont repris assez d’activité, se partagent en groupes où dix idiomes se confondent ; les juifs, méprisés de tous, traînent honteusement leurs souquenilles noires sur le port, dans l’attente des étrangers qu’ils persécutent de leurs offres de service et de leur opiniâtre persistance. Depuis 1832, quatre cents navires abordent chaque année à Galatz. Le Danube, en cet endroit de son cours, ne s’élève plus qu’à trois mètres au-dessus du niveau de la mer, et les bâtimens de trois cents tonneaux le remontent facilement depuis le mois d’avril jusqu’à la fin de novembre. Le bois, les blés, des huiles de diverses espèces, les meilleures cires de l’Europe, et entre autres une cire verte et parfumée particulière à la Moldavie, tels sont les principaux produits de la province. Ainsi que la Valachie, la Moldavie eut beaucoup à souffrir du gouvernement phanariote ; selon l’insolente expression des hatti-scherifs, les deux principautés étaient les fermes de Stamboul ; la seconde cependant fut toujours moins misérable que la première. Aujourd’hui encore, la Moldavie, moins étendue et moins peuplée que la Valachie, est cependant plus riche ; les boyards y vivent davantage sur leurs terres ; l’hospodar actuel, Michel Stourdza, connaît à merveille les ressources du pays, et si on peut lui reprocher un amour un peu prononcé pour le gain, il faut avouer aussi que, tout en augmentant sa fortune particulière, il donne à l’agriculture et au commerce une impulsion favorable aux intérêts généraux. Aleko Ghika, prince de Valachie, est un homme à imagination romanesque, plein de bonnes intentions, mais trop faible pour les exécuter, probe, et cependant incapable de réprimer la corruption qui l’entoure ; prudent à l’excès, il n’oserait agir sans les avis du cabinet russe, et guidé par ces conseils, il s’aliène toute la noblesse. Michel Stourdza, plus fin, plus hardi peut-être, s’il n’outrepasse jamais la limite de ses droits, sait aussi les faire respecter. La Russie, après avoir fondé Braïlow dans un instant d’illusion ou de générosité, entrevoit l’avenir de cette ville et craint d’y trouver une rivale pour Kerson et Odessa ; le gouvernement valaque n’ose pas poursuivre lui-même les travaux commencés et laisse ce soin aux particuliers. Stourdza, sans s’inquiéter des phrases ambiguës du consul impérial, s’intéresse ouvertement à la prospérité toujours croissante de Galatz. Les revenus de cette ville, qui en 1833 ne dépassaient pas 85 mille piastres, ont atteint en 1838 la somme de 116 mille piastres ; son port est de plus en plus fréquenté. Les Moldaves remarquent avec regret que le pavillon de France est celui qui s’y montre le moins. À Galatz, ainsi qu’à Braïlow, nous n’avons point de vice-consul ; cet état de choses apporte aux progrès du commerce français dans les principautés un obstacle fort grave. Nous n’avons encore malheureusement qu’un commerce très restreint avec la Moldo-Valachie, mais il importe à notre influence politique que des relations plus suivies s’établissent entre nos ports de la Méditerranée et ceux de la mer Noire. Le gouvernement l’a si bien senti, que le ministre du commerce du 15 avril, par une lettre remarquable adressée à la chambre de Marseille, a vivement engagé nos armateurs à diriger leurs navires vers les bouches du Danube ; pourquoi tarder alors à déployer comme une brillante enseigne à Braïlow et à Galatz le pavillon français à côté des drapeaux des autres nations ?

Le paquebot autrichien le Ferdinand, qui fait le trajet de Braïlow à Constantinople, arriva le 23 juin à Galatz. Sur la foi du prospectus, pensant partir le jour même, nous nous rendîmes à bord, mais il nous fallut attendre vingt-quatre heures la levée de l’ancre. Le Ferdinand avait pris des passagers sur la rive droite du fleuve ; les gardes du lazaret ne nous permettant plus de retourner à terre, nous n’eûmes rien de mieux à faire que d’observer la petite société dont le hasard nous rendait membres pour trois jours. Une princesse phanariote, petite-fille d’un hospodar de Moldavie, tenait sa cour sur le pont. Le costume de cette illustre dame était emprunté dans une égale proportion aux modes d’Europe et d’Asie : Brousse avait fourni la brillante étoffe du turban, et Vienne la toile à grands ramages d’une robe dont les manches à l’imbécille annonçaient chez celle qui les portait la prétention d’imiter, en 1838, les exagérations parisiennes de 1832. La princesse, assise sur un tapis de Smyrne, était flanquée de ses deux filles, petites personnes assez jolies et passablement coquettes, qui surent confier à chaque passager leur désir de visiter Paris, Londres ou Vienne, et de trouver promptement un mari.

Anglais, Italiens, Allemands, venaient souvent faire cercle autour du noble groupe ; et le français devenait pour un moment le lien de cette réunion hétérogène, à tel point que ceux qui ne pouvaient parler notre langue, abandonnés de tous, n’avaient contre leur ennui d’autres remèdes que les douces rêveries excitées par le chibouk et le café d’Arabie. Un gros bourgeois de Hambourg entretenait la gaieté de l’assemblée par un feu continuel de quolibets et de grosses plaisanteries : ce brave homme, touriste de profession, avait parcouru le monde entier ; mais, comme beaucoup de monomanes de même espèce, lorsqu’il avait comparé les auberges d’Allemagne à celles d’Italie, et le bordeaux au porter, il se trouvait au bout de sa science.

Le lendemain de bonne heure nous quittâmes le port de Galatz. Les Balkans apparaissent à quelque distance de la rive droite du fleuve ; les steppes de la Bessarabie descendent jusqu’à la rive gauche, qui, de l’embouchure du Sheret à celle du Pruth, paraît presque entièrement déserte. La misérable ville de Réni est située à peu de distance de cette seconde rivière. Vers midi, nous arrivâmes devant Tuldscha, où la maladresse de notre capitaine, dont la tournure annonçait plutôt un maître-d’hôtel bien nourri qu’un marin consommé, faillit nous faire échouer. Tuldscha, bâtie sur le flanc d’une belle colline ; ressemble, comme toutes les villes turques, à une ravissante décoration de théâtre ; approchez, l’illusion s’enfuit. Chacune de ces maisons, qui, vues à distance, promettent un séjour délicieux, est un cloaque habité par la misère et par une malpropreté sans exemple. Tuldscha néanmoins ne manque pas d’une certaine importance ; elle fait un commerce assez considérable de poissons salés, de bois et de grains, qui profitera sans doute du réveil de l’industrie dans ces contrées où les hommes, abrutis par la crainte et la paresse, ont long-temps semblé prendre à tâche d’anéantir les bienfaits de la création. De Tuldscha jusqu’à son embouchure, le Danube est triste et monotone ; tantôt il coule resserré par des îles dont la solitude n’est troublée que par d’innombrables troupes de pélicans, tantôt il déploie au loin une énorme masse d’eau. Un assez grand nombre de navires se croisèrent avec notre paquebot ; de distance en distance, des carènes échouées et des agrès flottans rappellent que le Danube, comme la mer, a ses tempêtes et ses écueils. À trois heures, nous étions à Souliné. Le Danube se jette dans la mer Noire par six embouchures, dont les trois principales sont celles de Kilia, de Souliné et de Saint-George au midi. Les Génois, dont la puissance avait pris en Orient une si étonnante extension, avaient fondé un comptoir à Kilia ; cette bouche est presque complètement envasée ; celle de Saint-George n’est accessible qu’aux bâtimens pêcheurs ; le seul bras de Souliné, qui depuis le traité d’Andrinople est une dépendance de l’empire russe, livre passage aux navires de trois cents tonneaux. Toutefois, comme le lit du Danube n’a plus, aux approches de la mer, qu’une pente assez faible, il est à craindre que des amas de sable et de limon ne viennent entraver encore cette unique voie laissée au commerce et à la navigation ; il est à redouter surtout que cette circonstance ne fournisse à la Russie l’occasion de porter avec quelque apparence de justice une atteinte à la liberté des mers et des fleuves, liberté reconnue par le congrès de Vienne. En effet, si la Russie entreprend seule les grands travaux de curage et d’entretien nécessités par des envasemens périodiques, ne pourra-t-elle point se croire fondée à prélever un droit sur les navires à l’entrée et à la sortie du bras de Souliné ? N’a-t-elle pas essayé déjà d’établir ce péage ? Bien plus, l’Autriche, la première intéressée à la franchise du Danube, n’a-t-elle point pendant quelque temps subi la loi tyrannique de sa rivale ? Le traité de 1829, en reconnaissant nommément aux pavillons russe et turc la liberté d’entrer et de sortir par les bouches de Kilia et de Souliné, lorsqu’il proclame aussi cette liberté pour les vaisseaux marchands de toutes nations dans les passages des Dardanelles et du Bosphore, semblerait vouloir consacrer, dans le premier cas, une mesure restrictive du droit commun. La Russie est trop habile pour afficher ses ambitieuses prétentions : elle a nié l’établissement légal du péage et désavoué les officiers qui en avaient exigé l’acquittement ; mais elle n’a point perdu l’espoir d’arriver à ses fins par des voies détournées, et il sera fort difficile à la diplomatie européenne d’empêcher le czar sinon d’accroître encore sa puissance aux dépens de la Turquie, du moins de ne pas profiter des grands avantages que lui a concédés le traité d’Andrinople. L’article 3 de cette convention est ainsi conçu : « Le Pruth continuera de former la limite des deux empires, depuis le point où cette rivière touche au territoire de la Moldavie, jusqu’à sa jonction avec le Danube. De ce point, la ligne frontière suivra le cours du Danube jusqu’à l’embouchure de Saint-George, de sorte que, laissant toutes les îles formées par les divers bras du fleuve en possession de la Russie, la rive droite demeurera, comme anciennement, en possession de la Porte ottomane. Cependant il est convenu que cette rive droite restera inhabitée depuis le point où le bras de Saint-George se sépare de celui de Souliné. Aucune construction n’y sera faite non plus que dans les îles qui resteront au pouvoir de la cour de Russie, où, à l’exception des quarantaines qui pourront y être placées, il ne sera permis de fonder aucun établissement. » Cette dernière phrase, fort inoffensive en apparence, fournit à la Russie les moyens d’exercer ses prétentions à la souveraineté du delta du Danube. On élève une quarantaine, les bâtimens du lazaret sont assez vastes pour loger les passagers et subsidiairement un bataillon d’infanterie ; des pêcheurs, des pilotes-côtiers, des marchands de vivres et d’agrès, viennent tout naturellement se mettre sous la protection des soldats. Peu à peu l’île, naguère déserte, se trouve habitée, au grand profit de la civilisation sans doute, mais au grand mépris du sens des traités.

La Porte ose-t-elle se plaindre, on lui répond : Vous nous avez donné le droit d’établir des quarantaines, et la convention n’a déterminé ni le plan du lazaret, ni le nombre des employés. C’est ainsi que les Russes sont parvenus à occuper militairement l’île de Souliné, position fort avantageuse, puisqu’elle leur laisse la faculté de fermer au besoin l’accès du fleuve, et d’exercer sans cesse une sorte d’inspection sur tous les navires. Les officiers hèlent les bâtimens, montent quelquefois à bord, et parviennent à s’instruire de ce qu’ils veulent savoir. Ils engagent les capitaines à prendre des pilotes, à se munir de cordages, à acquitter enfin un impôt déguisé que l’on compte bien remplacer un jour par un véritable péage. L’Autriche commence à comprendre qu’elle a suivi une fausse route en se livrant presque sans réserve à l’alliance russe : les intérêts nouveaux que la navigation du Danube a créés dans les plus fertiles provinces de son empire appellent aujourd’hui son attention, qui n’est plus, comme en 1831, tournée avec une inquiétude exclusive vers la France de juillet. L’Autriche a protesté contre l’établissement de Souliné, elle met même de l’amour-propre à nier que des navires aient jamais acquitté le droit de péage ; mais elle sent combien il est dangereux pour elle de laisser, pour ainsi dire, entre les mains d’autrui la clé de ses magasins ; elle comprend que l’avenir de la Hongrie et de la Transylvanie ne sera pas assuré tant que l’accès de la mer Noire pourra être fermé à leurs produits. De là les négociations entamées avec la Porte pour obtenir la faculté de percer, entre Rassova et Costendjy, un canal qui, outre l’avantage d’une navigation plus courte et plus facile, aurait surtout celui de paralyser les effets politiques de la cession à la Russie du delta du Danube. Quelques voyageurs pensent que l’une des branches de l’Ister se jetait dans le Pont-Euxin, à Costendjy. Il est inutile de discuter ici les fondemens de cette hypothèse ; mais il est certain que les travaux du canal n’offriraient pas de très grandes difficultés. L’Autriche, dit-on, a fait proposer à la Porte de les entreprendre à ses frais ; on ne lui a répondu que d’une manière évasive, et tant que le sultan ne sera pas soustrait à l’influence absolue de Saint-Pétersbourg, il n’osera pas participer à l’exécution d’une mesure hostile à son trop puissant allié.

Notre paquebot passa tranquillement du Danube à la mer Noire ; quelques passagers eurent à souffrir du mal de mer, mais le plus grand nombre y échappa. La soirée fut magnifique, et je ne me lassai point d’admirer le spectacle que l’immensité de l’onde offrait à mes regards pour la première fois. Le lendemain, le soleil se leva radieux, et bientôt les cieux et les flots, colorés des mêmes teintes, parurent se confondre à l’horizon. Nous entrâmes, à sept heures, dans la baie formée au sud par le cap Galata, et au nord par le cap Godrof ; quelques minutes après, nous jetions l’ancre devant Varna. Cette ville, dont la longue défense tint en suspens le succès de l’expédition russe de 1828, occupe, au fond de la baie, une fort belle position. Le paquebot devant s’arrêter quelque temps pour recevoir de nouveaux voyageurs, le capitaine nous laissa descendre à terre. Varna est à la fois le boulevart et le marché de la Bulgarie ; ses fortifications s’écroulèrent sous les bombes moscovites, mais elles ont été relevées depuis peu par les soins de quelques officiers prussiens. Elles ne consistent, au surplus, que dans une simple muraille de circonvallation qui serait tout-à-fait incapable de résister à un feu bien nourri. Varna ne doit donc être considérée que comme un camp retranché dont la possession néanmoins pourrait coûter du sang. Les Turcs, privés de discipline et de connaissances stratégiques, lâchent promptement pied en rase campagne ; mais, derrière les plus faibles bastions, ils combattent et meurent en héros. La nouvelle caserne, construite à l’extrémité d’une immense place d’armes, recevrait facilement six mille hommes ; c’est à peine si deux cents soldats l’habitent aujourd’hui, et déjà elle tombe en ruines. Les canons des remparts, placés sans aucun ordre, sont démontés et presque tous hors d’état de servir ; l’insouciance la plus complète préside à toutes les opérations des Turcs. Les rues semblent désertes ; nous ne rencontrâmes pas une seule femme ; les hommes, abrutis par l’opium et la pipe, encombrent les cafés. La paresse, cette lèpre des musulmans, d’autant plus incurable qu’ils la regardent comme une marque distinctive de puissance, règne partout en souveraine.

Au détour d’une ruelle, et en face du séraï du pacha, nous rencontrâmes notre capitaine, suivi d’un officier turc et d’un grand Anglais qui depuis deux jours avait promené sa mélancolie sur le pont, sans adresser la parole à personne. Les deux groupes se réunirent ; mais, au même instant, un esclave noir, richement costumé, parut à l’une des fenêtres du palais, et je m’arrêtai seul pour le considérer. Ce nègre était sans doute chargé de la garde des femmes du pacha, car, à la vue de mon lorgnon, il fit une horrible grimace, et prononça quelques mots avec un accent qui me les fit comprendre. Mes compagnons entraient alors dans la cour du séraï, et sans trop savoir où j’allais, je les suivis d’assez loin. Après avoir traversé un long corridor et une antichambre où un état-major plus nombreux que brillant reposait étendu sur des nattes de joncs, nous arrivâmes à la salle d’apparat. Le pacha, qui s’y trouvait, ne se leva point ; mais il nous invita du geste à prendre place sur le divan. J’essayai donc de me mettre à la hauteur des circonstances, c’est-à-dire de croiser mes jambes ainsi qu’un vrai fils de Mahomet. Satisfait de mes efforts, je reportai les yeux vers son excellence ; elle tirait une langue démesurée à notre taciturne insulaire. Je trouvai le salut grotesque. Mais lorsque je vis le pacha livrer son bras charnu aux doigts effilés de l’Anglais, je compris que nous ne devions l’honneur de notre réception qu’au titre de médecin de ce dernier. Le malade se plaignait en turc ; un juif répétait en italien les doléances de son maître, en n’oubliant pas d’y joindre les siennes, et le capitaine traduisait le tout en anglais au docteur, qui répondait par le même canal. Notre bon citoyen de Hambourg, habitué dans ses longs voyages à parler à tous les puissans de la terre, ne laissa pas échapper l’occasion de faire une nouvelle connaissance ; et quoique sa petite veste de nankin, son pantalon rose et ses pantoufles jaunes ne fussent pas d’une étiquette bien rigoureuse, il s’avança, saisit aussi le bras du pacha, et dit d’un air assuré : Vomitivo, purgativo, non è pericolo. Un fou rire nous suffoquait, l’Anglais seul ne déridait point sa longue et pâle figure. Deux noirs nous apportèrent fort à propos des chibouks et de la conserve de roses, au moment où notre gaieté, devenue expansive, allait faire une esclandre. Cette consultation, digne de M. Purgon, retarda notre départ, qui n’eut lieu que vers deux heures.

Nous courûmes jusqu’à la nuit des bordées le long des côtes ; le lendemain, à notre réveil, un beau soleil dorait les cimes élevées des montagnes de l’Asie. Le paquebot marchait rapidement ; bientôt il doubla le cap Fanaraki, et le Bosphore déploya devant nous son magnifique panorama. Bouyoukdéré est le premier de ces gracieux villages qui se succèdent sans interruption sur la côte d’Europe jusqu’au faubourg de Tophana. Thérapia, résidence habituelle de notre ambassadeur, se montre ensuite pittoresquement adossé à la croupe de cette riche et verdoyante colline où campa Godefroy de Bouillon. La côte d’Asie, moins habitée que celle d’Europe, la surpasse cependant par le luxe de sa végétation, la hardiesse de ses montagnes et la fraîcheur de ses délicieuses vallées. À chacune de ses sinuosités, le Bosphore, tranquille et majestueux comme un grand fleuve, découvre un nouveau tableau, une scène enchanteresse éclairée par un ciel admirable ; nulle part la nature prodigue n’a rassemblé plus de magnificences. Les murailles blanchies des deux châteaux de Mahomet commandent le passage le plus resserré du détroit, et ajoutent à la beauté des lieux qu’ils dominent la majesté des souvenirs antiques. Les palais du sultan, légers kiosques de bois soutenus par des colonnes de Paros, les élégantes demeures des pachas, celles des riches négocians, forment en Europe et en Asie la ville la plus charmante, la plus pittoresque, la plus originale du monde.

Le bateau nous faisait passer sans intervalle de merveille en merveille ; en moins d’une heure nous avions laissé à gauche Scutari, la ville des tombeaux, et nous entrions dans le port de l’ancienne capitale des Constantins. Là, de quelque côté que l’on tourne ses regards, on reste, je ne dirai pas ravi, mais stupéfait d’admiration.

Les collines de Constantinople et celles où s’élèvent, comme suspendus dans les airs, les faubourgs de Péra et de Galata, vont en se resserrant jusqu’à la vallée des eaux douces d’Europe, et comprennent cette partie du canal que l’on appelle la Corne d’Or : c’est le port sans cesse rempli d’une multitude de navires. Nous jetâmes l’ancre devant l’échelle de Tophana ; Scutari, avec ses magnifiques casernes, ses champs des morts et ses noirs cyprès, s’étend en face sur la côte d’Asie ; à gauche Péra, Tophana, Galata, trois villes immenses, superposées en gradins, étalent leurs innombrables étages de maisons bariolées et leurs quais animés par des passans nombreux, actifs, bruyans, séparés par leurs costumes comme leurs habitations le sont par leurs couleurs. À droite, c’est Constantinople, la grande cité trois fois reine, qui, entre Sainte-Sophie et la mosquée d’Hyoub, se déploie sur sept collines, et lance dans les airs comme autant de soleils les légères coupoles de ses mosquées. Le Bosphore, chargé de vaisseaux de guerre et de bâtimens de commerce, traversé en tous sens par quatorze mille barques qui se croisent, s’évitent, se dépassent, semble lui-même porter une ville flottante aussi peuplée, aussi belle que celles qui l’entourent. Nous étions tous impatiens de débarquer ; mais avant d’obtenir la libre pratique, il nous fallut passer à la quarantaine. Les journaux, depuis quelques mois, faisaient grand bruit de cette nouvelle réforme, et la fondation d’un lazaret à Constantinople était regardée comme le dernier monument de la victoire de la raison de Mahmoud sur les aveugles préjugés des ulémas. La raison est une si belle chose, surtout lorsqu’un sultan daigne s’en faire l’apôtre, que je me soumis, sans trop de regrets, aux ennuyeuses formalités que dédaignait naguère le fatalisme oriental. Je cherchais des yeux sur le rivage quel pouvait être le bâtiment destiné aux voyageurs suspects, lorsque notre caïque s’arrêta contre le flanc d’un vieux vaisseau démâté. Un Turc, armé d’une longue baguette blanche, nous fit signe de franchir une petite échelle assez mal assurée, et, pour faciliter notre ascension, il nous jeta un câble, excellent conducteur de la peste, que nous n’eûmes garde de toucher. Arrivés, non sans peine, dans l’entrepont, nous y trouvâmes un second employé qui nous fit entrer dans une chambre basse et obscure, au milieu de laquelle était un réchaud. Notre guide en ranima les charbons éteints, et les saupoudra d’un encens qui répandit dans la cabine un nuage tellement épais et d’une odeur si nauséabonde, que l’un de nous, pour mettre fin à la cérémonie, ouvrit brusquement la porte, et donna quelque monnaie au parfumeur, qui nous laissa tous fuir. Notre quarantaine était faite ! Cette première épreuve me fit soupçonner ce que mon séjour à Constantinople me démontra complètement, c’est-à-dire le ridicule ou l’impuissance des réformes de Mahmoud.

Constantinople est bien connue aujourd’hui. M. de Chateaubriand a écrit sur cette ville quelques lignes immortelles, M. de Lamartine a consacré à la décrire la meilleure partie de son voyage en Orient ; M. le maréchal de Raguse, enfin, a parlé du Bosphore en politique consommé et en habile écrivain. Les livres de ces voyageurs illustres ont été précédés et suivis d’un certain nombre de relations dont la plus intéressante est celle de MM. Michaud et Poujoulat. Je n’ai point la prétention de vouloir m’étendre sur un sujet déjà traité tant de fois et d’une manière si remarquable. Il est une de mes courses cependant dont je rendrai compte, parce que les voyageurs n’ont eu que bien rarement l’occasion de la faire ; je veux parler d’une visite au grand séraï. L’usage est d’accorder aux ambassadeurs nouvellement accrédités auprès de la Sublime-Porte le droit de voir les principales mosquées. M. le ministre de Belgique obtint pendant mon séjour un firman à cet effet, et en outre la faveur de pénétrer dans l’antique demeure des sultans. M. le baron O’Sullivan eut l’obligeance de prévenir les étrangers qu’ils pouvaient se joindre à son cortége ; heureux de saisir cette occasion de parcourir en détail des lieux que l’ombrageuse susceptibilité musulmane rend d’un accès si difficile, je me trouvai à l’heure convenue à l’échelle du séraï.

Au moment où l’ambassadeur descendit de son caïque pavoisé, une porte de bronze, surmontée d’un soleil d’or, s’ouvrit devant nous, et nous entrâmes dans une cour longue et étroite dont le fond est occupé par un palais d’une architecture assez lourde. Un péristyle soutenu par des colonnes d’ordres divers arrachées aux temples païens, et un escalier de marbre d’une remarquable élégance, conduisent à la première salle. Cette pièce, la plus belle du séraï, est circulaire et percée d’un grand nombre de croisées dont les embrasures sont remplies par de magnifiques glaces de Venise. Des fresques médiocres, où figurent des amours bouffis dignes de Boucher, surchargent les murs et le plafond. Un divan de soie, en forme de fer à cheval, où prend place le sultan, et quelques chaises de crin composent tout l’ameublement. Les autres chambres, fort nombreuses, sont en général petites et assez obscures ; devant toutes les fenêtres règne un treillage serré. Des panneaux ciselés et dorés, des ornemens répandus à profusion, mais sans goût, sur les portes et les boiseries, font de ces appartemens un assez mauvais pastiche du style Louis XV ; les cheminées seules sont d’un travail parfait. La salle de bains est charmante. Un marbre éblouissant comme la neige recouvre les murailles et le parquet ; la voûte est un damier de cristal brut qui laisse tomber un jour mystérieux et voilé sur une large cuve ornée de bas-reliefs admirables. Mahmoud n’habitait plus le grand séraï, qui lui retraçait sans cesse les plus tristes époques de sa vie passée ; aussi nous fut-il permis de pénétrer dans le harem. Ce célèbre et vaste appartement des femmes est formé de cinquante chambres environ, donnant toutes sur un long corridor sombre. Où sont les tapis de Smyrne, les somptueux divans, les magnifiques tentures de Perse ? Dans les Mille et une Nuits. Rien n’est triste comme la prison de ces malheureuses, livrées ordinairement par leurs mères aux caprices fantasques d’un homme. Quelques vieux eunuques se promenaient encore par habitude dans ces lieux jadis confiés à leur garde. Étonnés de nous voir, ils nous regardaient d’un air stupide. Du harem nous descendîmes dans un jardin divisé en plates-bandes aussi régulières et en allées aussi droites que si Lenôtre en eût tracé le plan. Un parterre couvert de fleurs qui firent commettre à plusieurs personnes un larcin sentimental, s’étend devant un kiosque dont l’intérieur est délicieux. Des parois de marbre de l’appartement jaillissent des fontaines qui retombent en cascatelles sur de larges coquilles garnies de fleurs, et vont ensuite alimenter un bassin et le plus gracieux jet d’eau que j’aie vu. C’est dans cette salle si fraîche et si jolie que l’on comprend tout le charme de la vie orientale, car l’existence des Turcs dans leurs frêles maisons de bois, exposées à la chaleur le jour, à l’humidité la nuit, et par surcroît à une effrayante quantité d’insectes, m’a paru, n’en déplaise à nos poètes, un enfer anticipé.

Après avoir traversé plusieurs cours encaissées dans de grandes murailles blanchies, nous pénétrâmes dans le vieux palais de Mahomet II, abandonné depuis long-temps aux icoglans et aux domestiques. Dans la première pièce est enfoui, perdu peut-être, un trésor inappréciable, la bibliothèque des empereurs bysantins. Dans des placards hermétiquement grillés et cadenassés depuis des siècles, pourrissent de précieux manuscrits qui combleraient sans doute bien des lacunes dans la littérature, la jurisprudence et l’histoire. Un homme aussi spirituel qu’instruit, et dont le nom est aimé de toute la jeunesse, M. Saint-Marc Girardin, a dû, cette année même, essayer de visiter ce poudreux sanctuaire. Pour moi, je dus accepter de bonne grace le rôle du renard de la fable. — La bibliothèque s’ouvre sur une chambre assez petite et tellement sombre, que les yeux ont besoin de s’habituer aux ténèbres pour y distinguer quelque chose. Ce réduit mystérieux est la salle du trône. Dans la partie la plus obscure reluit un divan tout éclatant d’émeraudes et de pierreries. C’était de cette place que jadis le sultan, vêtu de la tunique blanche, recevait les ambassadeurs européens, ou plutôt assistait à leur entrevue avec son grand-visir. Les représentans des plus fiers monarques, annoncés à l’héritier de Mahomet, à la loi vivante, comme de pauvres diables à demi morts de faim et de froid, étaient amenés devant une fenêtre basse et grillée. On leur apportait une pelisse de soie, des sorbets et des conserves ; une fois rassasiés et vêtus, il leur était permis de décliner, mais du dehors seulement, leurs titres et qualités que le grand-visir faisait connaître au sultan. Sa hautesse daignait alors se lever à demi et congédier du geste le ministre chrétien. Depuis les menaces de la république française, cet étrange cérémonial appartient à l’histoire ancienne. Mahmoud recevait lui-même les envoyés des rois ses bons cousins et de son grand ami l’empereur Nicolas.

La salle du trône donne sur une galerie dégradée, mais qui cependant n’a point perdu toute sa magnificence. Les pilastres qui la soutiennent étaient entièrement dorés. C’est dans cet endroit que fut massacré Sélim, pendant que Mahmoud, caché sous de vieilles tapisseries, entendant l’horrible tumulte de l’émeute et les cris déchirans de son ami, croyait toucher plutôt à la dernière heure de sa vie qu’à la première de sa puissance et de sa liberté. Que de drames se sont passés là ! Mais qui pourrait les raconter ? Les pierres sont muettes, elles ne conservent même pas les traces du sang. Les jardins règnent derrière le vieux palais, ils sont immenses : ici de grandes pelouses, là des bosquets de platanes et de cyprès à travers lesquels apparaissent les dômes dorés des kiosques ; on les parcourt pour arriver à l’hôtel des monnaies. Cet établissement est vaste, mais sous tous les rapports inférieur à ceux du même genre que j’ai visités en Europe ; il est dirigé par des Arméniens qui depuis long-temps, pour satisfaire aux exigences des derniers padischas, n’ont émis que de la fausse monnaie. La valeur de la piastre, qui s’élevait, il y a cinquante ans, à un écu, est tombée au-dessous de 25 centimes ! Que l’on juge d’après ce seul fait de l’affreuse misère de l’empire !

L’ambassadeur et son cortége quittèrent le séraï par la porte de l’Atmeidan, où l’on exposait autrefois les têtes des pachas rebelles. Ce pilori privilégié chôme depuis plusieurs années, et néanmoins (je ne fus pas le seul à faire cette remarque), il a conservé une odeur de cadavre en putréfaction.

La mosquée de Sainte-Sophie est voisine du séraï. Pour nous y rendre, nous traversâmes une petite portion de l’Atmeidan, ou marché aux chevaux de Stamboul, qui fut l’hippodrome de Constantinople. L’Atmeidan rappelle cette terrible journée où Mahmoud ordonna le massacre des janissaires, mesure énergique sans doute, mais en général mal comprise ; car, si elle sauva la vie du sultan, elle priva l’empire de sa meilleure milice. L’hippodrome aussi fut souvent ensanglanté par les querelles des rouges et des bleus, à l’époque où les Grecs, sans force contre leurs ennemis, s’entretuaient pour un cocher ou une courtisane. Le centre de cette vaste place est occupé par un obélisque moins élevé, mais d’un plus beau granit que le nôtre. Derrière ce monument, on voit les restes informes d’une colonne de bronze formée jadis par deux serpens enlacés, dont, s’il faut en croire la tradition, Mahomet II trancha les têtes d’un coup de cimeterre. L’une des extrémités de la lice était marquée par une autre colonne recouverte d’airain et considérée comme l’une des merveilles du monde ; elle est encore debout, mais dépouillée de son enveloppe, et sa chute paraît imminente. Les ruines du Bas-Empire manquent de grandeur ; ce mot ne doit cependant pas s’appliquer à Sainte-Sophie. On connaît l’histoire de ce temple célèbre : fondé par Constantin, détruit en partie par les flammes, il fut relevé sous Justinien, et la conquête musulmane l’a laissé subsister jusqu’à nos jours. L’architecture extérieure de Sainte-Sophie a perdu de sa majesté et de son harmonie par suite des mutilations que les ingénieurs turcs lui ont fait subir pour lui donner, autant que possible, l’aspect ordinaire des mosquées. Des minarets sans grace écrasent les coupoles ; la porte principale a été supprimée, mais à peine a-t-on franchi le magnifique vestibule qui précède le sanctuaire, que l’on est saisi d’une respectueuse admiration. Peut-être dois-je attribuer la vivacité de mes impressions à l’étrangeté de notre visite et au sentiment pénible que tout chrétien doit éprouver à la vue d’un lieu saint profané. Toujours est-il que nulle église ne produisit sur moi plus d’effet que la vieille basilique de Justinien. La nef est vaste et soutenue de chaque côté par une double colonnade de marbre et de porphyre ; les chapiteaux des piliers et les cintres qui les réunissent sont recouverts de mosaïques étincelantes d’or et d’azur ; le grand dôme est d’une hardiesse remarquable ; je l’entendais comparer autour de moi à la coupole de Saint-Pierre. Toutes les anciennes peintures ont disparu sous les versets du Coran ; il ne reste plus que les images bizarres de deux évangélistes, qui ne donnent pas une très haute idée de l’art du Bas-Empire. L’autel a été détruit et remplacé par la chaire où l’iman fait la prière. Au moment où nous entrâmes, la cérémonie finissait. Plusieurs Turcs étaient encore à genoux, se frappant la poitrine et baisant la terre. Les bas-côtés étaient remplis par des groupes de ces malheureux qui, en tout pays, n’ont d’autre asile que la maison de Dieu. On parvient aux galeries par un escalier en spirale d’une pente si douce, qu’il est facile de le gravir à cheval. Le jour de l’assaut de Constantinople, le dernier empereur grec, suivi de ses officiers, le monta de cette manière, et reçut les sacremens avant de courir à la mort glorieuse qu’il trouva près de la porte d’Andrinople. La brèche sur laquelle les soldats de ce malheureux prince firent tardivement honneur à leur illustre origine est encore reconnaissable. Les murailles de Constantinople n’ont pas été réparées depuis 1453.

Mais quelque intérêt que puissent offrir en tout temps des souvenirs de Constantinople, on s’étonnerait sans doute qu’en présence des grands évènemens qui tiennent le monde entier dans l’incertitude sur ses propres destinées le voyageur ne songeât qu’à compter des tronçons de colonnes et des statues mutilées. Ce qu’il faudrait montrer, c’est cet empire se débattant dans sa lente agonie, sous le coup d’une protection insolente autant qu’oppressive, compromis en même temps et par les aveugles sectateurs du passé, et par les maladroites imitations de l’Europe occidentale. Ceci nous convie à apprécier brièvement la portée des réformes essayées par Mahmoud et continuées par son faible successeur ; car, par la fatalité des circonstances, ces réformes sont devenues pour l’empire ottoman le plus redoutable des dangers.

La population des états du grand-seigneur situés en Europe s’élève environ à douze millions d’hommes dont deux millions à peine sont d’origine musulmane ; le reste est un mélange confus de Grecs, d’Arméniens, de Bulgares, de Juifs, séparés par leurs usages, leurs langues et leurs religions. Il y a peut-être encore plus d’antipathie entre les rayas de races différentes qu’il n’en existe entre eux et les Turcs, entre l’abrutissement du vaincu et l’insolence du vainqueur. Les querelles religieuses ne sont envenimées que parmi les diverses sectes chrétiennes. Les Arméniens catholiques et les Grecs soumis au patriarche vivent dans un état continuel d’hostilité et de défiance. Le clergé du rit non uni est composé d’hommes ignorans et corrompus ; les prêtres arméniens, au contraire, ont plus d’austérité et de véritable foi. Ils obéissent à toute la rigueur des canons de l’église romaine et observent la loi du célibat ; les popes grecs ont la faculté de se marier. Cependant (le fait est remarquable, car il vient à l’encontre de certaines théories philosophiques), les premiers partagent et exploitent les vices de la foule, les seconds mènent une conduite exemplaire. Ils forment la tête de leur nation, qui est aussi la plus saine portion des classes opprimées. Le czar, en sa qualité de chef de la religion, possède la confiance des rayas grecs, et c’est en lui qu’ils espèrent. Il serait peut-être possible à une puissance européenne de créer un contre-poids à cette influence énorme en excitant les sympathies religieuses des rayas arméniens. Mais quelle n’est pas la faiblesse d’un pouvoir, lorsque les peuples qu’il devrait réunir sont assez divisés d’intérêts et de mœurs pour que les gouvernemens étrangers aient la faculté d’ourdir leurs intrigues, non-seulement dans les cabinets ministériels, mais pour ainsi dire sur la place publique ? Telle est la position désespérée des Turcs. Le célèbre hémistiche de Lucain sur Pompée : Stat magni nominis umbra, est la seule explication de leur existence politique. Ils ne sont plus que l’ombre d’eux-mêmes. La question d’Orient n’est donc nullement, au fond, celle de savoir si Abdul-Medjid l’emportera sur Méhémet-Ali, ou s’il subira la loi de cet orgueilleux vassal ; il s’agit de fondre vingt peuples dans une régénération sociale. Or, les Turcs ne semblent destinés qu’à paralyser les progrès du Levant par leur lente agonie. Lorsqu’un peuple a tenu sa place dans l’histoire, lorsqu’il a jeté de vives lueurs sur le monde, il est triste d’apercevoir à ses destinées une fin prochaine et déplorable ; aussi nous faut-il une conviction profonde pour nous décider à écrire ces lignes. En Turquie, le vice est radical et sans remède. Tous les ressorts du gouvernement sont détendus, la corruption gagne tous les jours du terrain, la religion de Mahomet elle-même, malgré les principes élevés qu’elle enseigne, est dans l’état actuel de l’Europe un véritable anachronisme. Elle prêche la guerre, et le monde veut la paix. Jusqu’au dernier sultan, la Turquie a ressemblé à un arbre encore majestueux resté debout par la seule force de son poids ; Mahmoud y a porté la hache, il ne croyait qu’émonder le branchage, il a fendu le tronc, et l’arbre est mort. La presse française, abusée par quelques écrits, a, pendant un temps, grandi outre mesure le génie du sultan ; les ouvrages de MM. de Lamartine et de Raguse auraient dû éclairer l’opinion.

L’histoire tiendra compte à Mahmoud des difficultés insurmontables de sa position, mais elle le fera descendre du piédestal où on a voulu l’élever. Rien dans la conduite de ce prince n’a révélé un homme supérieur, capable d’animer, pour ainsi dire, tout un peuple de son souffle puissant ; supposons d’ailleurs qu’il ait eu le noble cœur et les grandes pensées qu’on lui a prêtés, qui donc pouvait seconder ses efforts ?

Abdul-Medjid, dès ses premiers pas, chancèle sous le poids énorme de l’héritage paternel. Exposé à un grand nombre de périls extérieurs que ne dissiperait point l’accord de Constantinople et d’Alexandrie, le nouveau padischa, par un acte imprudent, vient encore d’irriter les plaies intérieures de son empire. Je veux parler de cet étrange hatti-scheriff de Gulhamé, revêtu par nos journaux du titre pompeux de charte ottomane. La presse française a, pendant quelques jours, fait trêve à ses querelles intestines pour exécuter un bruyant concert d’éloges en l’honneur de ce jeune souverain qui a senti la nécessité de poser lui-même des bornes à sa puissance. Les organes de l’opinion la plus avancée voient déjà, grace au régime constitutionnel, les arts, l’industrie et l’agriculture fleurir à l’envi sous le beau ciel du Levant. Des feuilles plus modérées, sur un ton moins pastoral, il est vrai, mais aussi singulier, établissent un rapprochement burlesque entre la Turquie de 1840 et la France de 1789, oubliant que dans le premier de ces pays il n’y a ni aristocratie, ni bourgeoisie, mais une nation tout entière courbée sous le niveau de la misère et de l’ignorance. J’ai exposé brièvement la triste situation des Turcs ; pour preuve de la fidélité du tableau, je renvoie simplement le lecteur au hatti-schériff du 3 novembre. En présence de pareils faits, si disposé qu’on soit à former des vœux ardens pour l’amélioration prochaine des affaires de la Turquie, l’espérance devient presque impossible. Examinons rapidement la charte d’Abdul-Medjid et jugeons les conséquences probables de ses principales dispositions. Ce monument législatif se compose de deux parties distinctes : la première est un préambule en deux paragraphes où le gouvernement turc, avec une franchise poussée jusqu’à l’humilité, confesse et son impéritie et les maux qu’elle a causés, c’est-à-dire une administration sans force et un appauvrissement général. La seconde partie annonce des réformes et promet un nouveau système financier, un mode plus régulier de recrutement, des garanties capables d’assurer aux sujets ottomans une parfaite sécurité quant à leur vie, leur honneur et leurs biens ; en un mot, une révolution sociale complète. Que cette œuvre soit nécessaire en Turquie, ce n’est une question pour personne ; mais on peut douter qu’il soit prudent de la vouloir accomplir, pour ainsi dire en bloc, et par des moyens si peu appropriés à l’Orient. Lorsque du sein d’un peuple industrieux les siècles ont fait surgir d’immenses fortunes, de grands talens et de légitimes ambitions, un gouvernement qui se sent près de crouler sous ses décombres, peut faire un appel à la nation tout entière, et s’il est enlevé dans la tourmente, le pays, après des secousses plus ou moins longues et douloureuses, n’en reprendra pas moins son équilibre. Or, en Turquie, quels seront les soutiens de l’ordre ? Les rayas ? mais ils sont travaillés en tous sens par les influences étrangères. Les Turcs ? ils avaient des priviléges, et le hatti-schériff les leur enlève. — Les tentatives de Mahmoud avaient échoué, mais elles avaient eu du moins pour résultat de familiariser les musulmans avec certaines idées de réforme ; l’immobilité n’était plus la loi suprême, et il n’eût pas été aussi difficile, disons mieux, aussi impossible au nouveau sultan qu’à son prédécesseur d’introduire dans ses états quelques améliorations. Selon l’expression de Joseph II, il devait essayer d’inoculer la révolution à ses peuples, déraciner secrètement les honteux abus de la chancellerie, choisir des gouverneurs de provinces probes et capables, sans annoncer à son de trompe que jusqu’ici les pachas avaient acheté à beaux deniers comptans le droit de ruiner l’empire. Les traités récemment faits avec la France, l’Angleterre et la Belgique ouvraient aux produits du pays des débouchés nouveaux, et détruisaient implicitement des monopoles ruineux ; il suffisait de veiller sévèrement à leur loyale exécution pour ranimer le commerce du Levant. Le recrutement militaire s’opérait avec une cruauté inouie ; des ordres formels adressés aux pachas par le séraskier, et au besoin des châtimens exemplaires eussent arrêté cette hideuse exploitation des classes pauvres. La patience est la courageuse compagne de la force. Par une téméraire précipitation à tout vouloir abattre, lorsque rien n’est préparé pour reconstruire, Abdul-Medjid a donné la mesure de sa faiblesse. On ne régénère pas un peuple ex abrupto ; on ne transforme pas ses mœurs, on ne corrige point ses vices, on ne lui crée pas des forces avec une charte ou un hatti-schériff.

Nos journaux, trop enclins à juger les étrangers d’après leurs propres idées, sans examiner si elles sont applicables hors de France, se sont laissés surprendre par ce mot magique de constitution, ils ont répondu à l’appel qui leur était fait. Les feuilles françaises ont assez de force à Constantinople pour ébranler le crédit des courtisans ; sous le règne de Mahmoud, un favori fut disgracié sur la simple lecture d’un numéro de la Revue de Paris. Les ministres de la Porte ont eu sans nul doute pour but, en conseillant à leur maître le hatti-schériff de Gulhamé, de se créer, au préjudice de Méhémet-Ali, une sorte de popularité dans les comités rédacteurs de nos journaux ; ils y sont parvenus. Les articles les plus louangeurs auront été traduits et commentés en plein divan ; mais il est un autre cabinet dont les intérêts auront été mieux servis encore, c’est celui de Saint-Pétersbourg. Le gouvernement russe, avec une habileté machiavélique, se sert au besoin des chartes comme des firmans ; c’est au moyen d’une constitution qu’il a renversé le prince Milosch, dont le noble caractère lui faisait ombrage. Nous souhaitons sincèrement que l’avenir nous démente, mais nous craignons fort que la Russie ne sache profiter du hatti-schériff du 3 novembre, comme d’un nouvel aliment pour ourdir ses intrigues à Péra.

Comment la presse française ne louerait-elle pas à outrance ce qu’elle appelle la charte turque, lorsque Constantinople devient un faubourg de Paris, et que des journalistes émérites ou sans travail s’acheminent des bords de la Seine à ceux du Bosphore ? Le dernier paquebot vient de transporter dans la capitale des Osmanlis une petite colonie littéraire qui va exploiter les idées libérales en Turquie, et se propose bien de ne pas revenir avant d’avoir assisté à une discussion parlementaire au sein d’une chambre musulmane, ou fait élever des barricades dans les rues tortueuses de Stamboul.

Efforts impuissans, pastiches ridicules d’une nationalité qui succombe sous une civilisation qu’elle est aussi incapable de comprendre que de supporter ! Il est difficile que la France intelligente applaudisse à ces tentatives de décomposition si contraires aux vues de conservation désintéressée qu’elle manifeste sur l’Orient. Délivrer le pays de toute tutelle exclusive, y laisser les choses à leur cours naturel, tant à Constantinople qu’à Alexandrie, faire durer, sinon pour bien des siècles, du moins pour des années encore, un état de choses dont la Russie et l’Angleterre ont un égal intérêt à voir la chute, telle est évidemment son intérêt comme sa pensée, et c’est parce qu’un libéralisme de contrebande et une presse exploitée par des hommes sans moralité sont un obstacle à ces vues loyales, qu’elle ne peut applaudir à ces symptômes d’une décadence imminente. La France doit désirer consacrer en Turquie comme en Égypte les faits qui résultent de la force des choses, faits qui ont en ce moment la sanction de la victoire, et jusqu’à un certain point de la volonté des peuples. C’est précisément parce qu’elle entend laisser l’Orient à lui-même qu’elle appuie et qu’elle seconde la division si naturelle de cet empire, dont un lien nominal peut-être, mais sacré, pourrait encore rattacher les deux parties au centre de l’unité nationale. Dans l’intérêt même de l’empire ottoman, la France doit vouloir une division qui le rende plus fort, et elle fait de la politique turque en garantissant les destinées nouvelles de l’Égypte, non moins qu’en interdisant à la Russie l’accès, des rives du Bosphore.

Ce n’est pas que les esprits prévoyans se fassent trop d’illusions sur l’avenir des deux nations musulmanes, en admettant même que le cours de leurs destinées ne soit pas violemment interrompu par l’ambition hâtive de deux cabinets européens, dont l’un est pressé par ses intérêts et l’autre par ses haines, et qui semblent se rapprocher pour s’assurer une part également belle dans le grand partage. L’œuvre fondée par Méhémet-Ali n’offre pas sans doute tous les caractères de durée que la France serait heureuse d’y trouver ; il est difficile de ne pas concevoir quelques doutes sur sa consolidation, en admettant même que les journalistes ne s’abattent pas en masse sur le Caire, comme ils paraissent vouloir le faire sur Constantinople. Mais quelles que soient les incertitudes de l’avenir, il est évident qu’elle doit favoriser de tous ses efforts la chance de l’établissement d’un gouvernement national en Égypte, aussi bien que le maintien du pouvoir vénéré qui siége encore dans la capitale de l’islamisme. C’est dans ce sens que paraissent avoir été conduites les négociations de ces derniers temps, sur lesquelles la discussion parlementaire va bientôt jeter un grand jour ; et si cette politique honorable rencontre à chaque instant des difficultés nouvelles, à quoi l’attribuer, si ce n’est à des vues moins désintéressées que les nôtres ? La Russie ne peut vouloir fixer définitivement une situation de l’incertitude de laquelle elle est plus que tout autre appelée à profiter ; l’Angleterre, dans sa résistance à l’Égypte, est stimulée à la fois par ses antipathies et par ses espérances, et l’Autriche n’ose embrasser énergiquement une pensée qui la lierait trop ouvertement à la France. Ainsi le provisoire se prolonge, et les complications deviennent chaque jour plus inextricables.

Mais de tels intérêts ne sauraient être appréciés incidemment, et je reviens à ma tâche de voyageur, dont la gravité des circonstances m’a pour un instant écarté.

Constantinople est le point militaire d’où les sultans, appuyés à la fois sur l’Europe et l’Asie, ont fait trembler le monde civilisé ; mais les musulmans croient à une ancienne et menaçante prophétie qui leur annonce qu’un jour leurs armées vaincues repasseront le Bosphore, et Brousse alors redeviendrait de nouveau leur capitale. Cette ville a servi de théâtre à de grands évènemens, elle est encore la seconde cité de l’empire ; cette double raison me décida à la visiter. Par une belle soirée du mois de juillet, je m’embarquai dans un caïque rapidement mené par quatre rameurs grecs. Nous devions souper à l’île des Princes. On nomme ainsi l’une des quatre îles qui forment un groupe à l’entrée de la mer de Marmara, parce que souvent les empereurs y reléguaient les hauts personnages dont l’influence eût pu devenir dangereuse. Ce petit coin de terre, placé aux portes de Constantinople, n’a pas souffert de la conquête ; il a été long-temps l’apanage du patriarche, et, sous cette double tutelle, il a échappé à la misère qui, comme une maladie contagieuse, a étendu sa lèpre sur le reste de l’empire.

Un gros bourg, où les négocians européens viennent chercher un refuge contre les chaleurs pestilentielles de l’été, occupe le contrefort d’une montagne située au centre de l’île. La vue que l’on découvre de ce point est admirable. Les murailles de Constantinople, Scutari et la côte de Chalcédoine ferment, à droite, l’horizon qui s’étend, à gauche, aussi loin que la paisible Propontide. Après avoir joui d’un splendide coucher de soleil, nous descendîmes au village où, dans une auberge tenue par un Marseillais, nous attendait un bon repas provençal. Vers onze heures, la brise de nuit souffla, et nos marins nous firent remonter dans la barque. Un ciel étoilé et une lune brillante comme le soleil du nord guidèrent notre marche ; le lendemain de bonne heure nous arrivions à Moudania. Cette misérable ville possède une bonne rade. Voisine de Brousse, dont elle est l’échelle, elle doit à cette position assez d’importance. Grace à notre firman de poste, nous obtînmes facilement des chevaux ; mais pour des coursiers arabes, ils étaient fort dégénérés.

Brousse est à cinq lieues environ de Moudania. Le pays que l’on parcourt pour s’y rendre est d’une admirable fertilité ; les Turcs, plus actifs dans cette contrée que dans les autres parties de l’empire, se livrent aux travaux de l’agriculture ; la campagne offre un aspect d’aisance et de prospérité qui étonne le voyageur dont les yeux sont attristés à quelques toises même de Constantinople par une nature entièrement morte. De nombreux plants de mûriers annoncent de loin l’industrie de Brousse, si célèbre en Orient par ses manufactures de soieries. Avant d’arriver à la grande vallée de Brousse, qui passe avec raison pour être l’une des plus belles du monde, nous traversâmes plusieurs vallons fertiles où les lauriers-roses croissent sur les bords des ruisseaux, et où les grenadiers aux fleurs écarlates se mêlent aux tristes cyprès ; le fond du tableau est majestueusement dominé par l’Olympe, dont Brousse occupe les premiers mamelons. Cette ville très considérable, puisque sa population s’élève à plus de cent mille habitans, sectateurs de Mahomet pour la plupart, n’est belle que par sa position. Elle remonte à une haute antiquité ; sous le nom de Prusée, elle était la capitale de la Bithynie. Les craintes du roi Prusias se réalisèrent, les aigles romaines poussèrent leur vol hardi jusqu’à l’Olympe, et on en voit encore les empreintes sur les ruines d’un vieux château dont la cour à demi comblée sert aujourd’hui d’arsenal. Trois canons dont le premier est démonté, le second encloué, et le troisième en aussi bon état que les autres, composent tout le matériel de l’artillerie ; néanmoins il nous fallut pour le visiter une permission spéciale. Les Romains dégénérés en Grecs du Bas-Empire durent reculer devant les Turcs. Brousse devint le centre des conquêtes d’Othman, et Orcan fut assez puissant pour forcer un Cantacuzène à lui donner sa fille comme concubine. Les tombes de ces vaillans fondateurs de la puissance turque s’élèvent dans un hameau voisin de leur ville de prédilection.

Brousse fait un grand commerce de soieries. Les étoffes que l’on y fabrique sont d’une grande richesse ; mais pour la finesse du tissu et surtout pour le goût des dessins, elles restent bien en arrière de celles de Lyon. Telles qu’elles sont du reste, on a peine à concevoir qu’elles puissent sortir des métiers informes en usage dans le pays. Un métier à la Jacquard y produirait une révolution, et il faut ici prendre ce mot dans son acception rigoureuse. Un négociant français voulut introduire à Brousse un simple métier à dévider ; les femmes qui étaient chargés de cette opération préparatoire s’ameutèrent contre lui à tel point qu’il jugea prudent d’éloigner de la ville sa malencontreuse mécanique. Il la fit fonctionner dans la campagne ; peu à peu les Turcs en comprirent les avantages et l’adoptèrent en dépit de leurs femmes.

Des contreforts de l’Olympe jaillissent des sources d’eaux chaudes d’un goût insipide, mais dans la composition desquelles existe cependant du sulfate de soude et du soufre. Dans un des faubourgs de Brousse, il existe de vastes établissemens thermaux d’où cette ville tire son nom.

De Brousse nous regagnâmes Constantinople assez à temps pour y prendre le paquebot français le Tancrède en partance pour Smyrne.


Édouard Thouvenel.
  1. Voyez les livraisons du 15 mars et 15 mai 1839.