Les Contes de Canterbury/Conte de la femme de Bath

La bibliothèque libre.
Traduction par prologue: Jules Derocquigny ; conte: E. Wahl.
Texte établi par Émile LegouisFélix Alcan (p. 271-306).


Groupe D


Conte de la Femme de Bath


Le Prologue du Conte de la Femme de Bath[1].


« Expérience, alors que nulle autorité
n’existerait au monde, suffirait bien pour que
je parle, moi, des maux qui sont en mariage.
Car, messeigneurs, depuis qu’ont sonné mes douze ans,
5grâces à Dieu de qui la vie est éternelle,
j’ai pris mari cinq fois, au porche de l’église.
Oui, messeigneurs, oui-dà, j’ai eu mes cinq maris.
Et, chacun en son rang, tous furent gens de bien.
Mais je me laissai dire, il n’y a pas longtemps,
10que puisque Christ alla une fois seulement
aux noces à Cana, ville de Galilée,
par cet exemple même il m’avait enseigné
que je ne me devais marier qu’une fois.
Écoutez donc aussi quelle verte parole
15au bord d’un puits Jésus, l’Homme-Dieu, prononça,
en réprobation de la Samaritaine :
« Tu as eu cinq maris, (dit-il à cette femme)[2],
et cet homme-là qui te possède aujourd’hui,
il n’est point ton mari ! » Ainsi dit-il sans faute.
20Ce qu’il a voulu dire par là, je ne le sais,
mais je voudrais savoir pourquoi le cinquième homme
ne fut point un mari pour la Samaritaine.
Combien en mariage pouvait-elle avoir d’hommes ?
Je n’ai encor jamais de ma vie entendu
25déterminer ce nombre.
On peut épiloguer et gloser haut et bas,
mais ce que sans mentir je sais expressément,

c’est que Dieu nous a dit : Croissez, multipliez,
Ce gentil texte-là je puis bien le comprendre.
30Et je sais bien aussi qu’il a dit que mon homme
doit laisser père et mère et m’emmener chez lui[3] ;
mais de nombre quelconque il n’a fait mention,
que ce soit bigamie ou bien octogamie.
Pourquoi faut-il qu’on vienne en dire vilenie ?
35Prenez le sage roi, Dom Salomon. Eh bien !
des femmes m’est avis qu’il en eut, lui, plus d’une[4].
Plût à Dieu qu’il me fût à moi-même loisible
de tâter du nouveau moitié aussi souvent !
Quel don de Dieu[5] il eut d’avoir toutes ces femmes !
40Un tel don nul ne l’a qui respire en ce monde.
Ce noble roi, à mon avis, Dieu sait s’il n’eut,
en la première nuit, plus d’un joyeux assaut
avec chacune d’elles, tant la vie lui fut bonne !
Béni soit Dieu que j’aie épousé cinq maris !
[Et des plus fins des cinq j’ai fort bien su vider
et la bourse d’en bas et mêmement le coffre[6].
Il n’est clerc accompli que d’écoles diverses,
et pratique diverse en maint divers ouvrage,
sans point de faute, fait l’ouvrier accompli :
de cinq maris divers je suis, moi, l’écolière[7].]
45Bienvenu le sixième le jour qu’il s’offrira !
Parbleu, je ne me veux maintenir toute chaste.
Quand mon mari aura passé hors de ce monde[8],
il faudra qu’un chrétien m’épouse incontinent,
car je suis libre alors, à ce que dit l’apôtre,
50de prendre selon Dieu le mari qu’il me plaît.
Prendre mari, dit-il, cela n’est point péché ;
mieux vaut prendre mari, pour lui, que de brûler[9].
Que n’importe après tout qu’on dise vilenie
de Lamech le maudit et de sa bigamie[10]?

55Je sais bien qu’Abraham a été un saint homme.
Et Jacob en fut un, pour autant que je sache.
Et ils ont eu pourtant chacun plus de deux femmes.
Et maint autre saint homme encore en eut plus d’une.
Quand vites-vous jamais en un âge quelconque
60les hauts décrets de Dieu défendre mariage
en mots qui soient exprès, de grâce, dites-moi ?
Et la virginité, où l’a-t-il commandée ?
Je sais tout aussi bien que vous, sans aucun doute,
ce que l’apôtre a dit touchant virginité.
65Il a dit n’avoir pas pour elle de précepte[11].
On peut bien conseiller femmes de rester vierges,
mais conseil, vous savez, n’est pas commandement
Il a laissé le point à notre jugement.
Car, dès que Dieu aurait enjoint virginité,
70par là même il aurait condamné mariage. ;
et certes, s’il n’était semé aucune graine,
virginité, alors d’où donc sortirait-elle ?
Paul, pour dire le moins, n’eût osé commander
chose sur quoi son maître n’avait point dicté d’ordre.
75Au but est mis le dard, prix de virginité[12] :
l’emporte qui pourra ! Voyons qui court le mieux.
    Mais ce précepte-là n’a point de lieu partout,
sauf où il plaît à Dieu lui prêter de sa force.
Je sais parfaitement que l’apôtre était vierge ;
80mais pourtant, quoiqu’il ait écrit et qu’il ait dit
qu’il eût voulu que tous fussent comme lui-même[13],
ce n’est tout que conseil prônant virginité,
et de me marier il m’a donné congé[14]
indulgemment : partant il n’y a point de crime
85à m’avoir, si de vie à trépas va mon homme,
sans qu’on puisse objecter que ce soit bigamie.
S’il est avantageux de ne point toucher femme[15], —

c’est, entendait l’apôtre, en son lit, en sa couche,
car d’assembler étoupe et feu c’est grand péril —
90vous savez ce que peut figurer cet exemple ;
Somme toute, il tenait virginité parfaite
plus que n’est mariage en la faiblesse humaine —
faiblesse, selon moi, c’est si mari et femme
passaient toute leur vie en gardant chasteté[16].
95Je reconnais pour moi qu’il ne me vient envie
à voir virginité exceller bigamie.
Il leur plaît d’être purs en leur corps et leur âme :
de ma condition, moi, je n’entends me vanter.
Car, comme vous savez, seigneur en sa maison
100n’a pas pour tous vaisseaux vaisseaux d’or seulement,
mais il en a de bois qui lui font bon service[17].
Dieu en plusieurs façons appelle à lui les gens
et chacun a de Dieu son don particulier[18] :
l’un ceci, cela l’autre — selon que Dieu le veut.
105    Virginité, au vrai, c’est perfection grande,
et continence aussi, avec dévotion.
Mais Jésus, de qui sourd toute perfection,
n’a jamais ordonné que chacun allât vendre
tout ce qu’il possédait et le donnât aux pauvres,
110et dès lors le suivit et marchât sur ses traces[19].
Il parlait à ceux-là qui veulent vie parfaite,
et, par votre congé, messeigneurs, je n’en suis.
Je veux, moi, consacrer la fleur de mon bel âge
aux actes et aussi aux fruits de mariage.
115De grâce, dites-moi encore à quelle fin
ont été faits les membres de génération[20].
Dites à quel propos l'on a été bâti.

Ces membres, croyez-m’en, ne sont pas pour néant,
en dépit des gloseurs qui disent haut et bas
120que, s’ils ont été faits, c’est pour purgation
d’urine et selon qui nos deux petites choses
sont là pour distinguer aussi mâle et femelle
et pour nulle autre fin. — Que non pas, dites-vous ?
Expérience sait qu’il n’en est point ainsi.
125Pour que clercs contre moi ne s’aillent courroucer,
je dirai donc qu’ils ont été faits aux deux fins,
à savoir pour office et ensuite pour aise
d’engendrure, en tels cas où l’on n’offense Dieu.
Autrement pourquoi donc marquerait-on aux livres
130qu’à sa femme mari doit acquitter son dû[21] ?
Or avec quoi mari ferait-il son paiement
s’il n’y employait pas son benoît instrument ?
Ils ont donc été faits au corps des créatures
et pour purger l’urine et à fin d’engendrure.
135    Mais je ne prétends point que chacun soit tenu,
parmi ceux-là qui ont tel harnois que j’ai dit,
d’aller en faire usage au métier d’engendrure.
De chasteté alors personne n’aurait cure.
Jésus-Christ était vierge et fait tout tel qu’un homme,
140et, depuis que le monde est monde, plus d’un saint.
Ils ont vécu pourtant en chasteté parfaite.
Je ne veux envier nulle virginité.
Que les chastes soient pain de pur grain de froment
et que nous autres femmes ne soyons que pain d’orge.
145Et pourtant de pain d’orge, à ce que nous dit Marc,
notre Seigneur Jésus restaura plus d’un homme.
Dans la condition où m’a appelée Dieu[22]
je veux persévérer, précieuse ne suis.
En épouse je veux user mon instrument
150sans le plaindre plus que Celui qui me le fit.
Si j’y fais des façons, Dieu me donne chagrin !
Et mon mari l’aura le matin et le soir,
tout dès qu’il lui plaira venir payer sa dette.
Il me faut un mari — je n’en démordrai pas —

155qui soit mon débiteur, qui soit aussi mon serf,
et qui, avec cela, ait tribulations
dans sa chair tout le temps que je serai sa femme[23].
En ma puissance j’ai, durant ma vie entière,
le corps de mon mari, dont il n’est plus le maître[24].
160C’est cela mémement que l’apôtre m’a dit.
Et il a commandé que nos maris nous aiment[25].
Cette sentence toute est très fort à mon gré. »

    Le Pardonneur alors tout soudain sursauta :
« Or ça, dame (dit-il), par Dieu et par Saint Jean,
165vous faites un prêcheur merveilleux sur ce cas.
J’étais, moi, sur le point de prendre femme : hélas !
faudra-t-il qu’à ma chair il en cuise si fort ?
Mieux me vaudrait alors remettre à prendre femme ! »
— « Attends ; mon conte encor n’est commencé (dit-elle).
170Par ma foi, tu boiras bien d’un autre tonneau[26],
devant que je m’en aille, et moins bon que cervoise,
et lorsque je t’aurai dit jusqu’au bout mon conte
de tribulations en cours de mariage,
où je me connais bien par ma vie tout entière
175— entends bien : le fléau, c’est moi qui l’ai été —
tu verras bien alors si tu veux t’abreuver
à ce même tonneau que je vais mettre en perce.
Sache-le bien avant que d’en approcher trop,
car je te citerai d’exemples plus de dix.
180Quiconque ne consent à apprendre d’autrui,
à autrui il sera un exemple lui-même[27].
Ce sont propres paroles qu’écrivit Ptolémée.
Lis en son Almageste et les y va trouver[28]. »
— « Dame, je vous en prie, si vous y consentez,
185(dit lors le Pardonneur), comme vous commençâtes,
contez nous votre conte et n’épargnez quiconque.
Montrez votre pratique à nous qui sommes jeunes. »
— « Je le veux (ce dit-elle), si cela peut vous plaire.

Mais pourtant je prierai toute la compagnie,
190si je devise ici selon ma fantaisie,
que l’on ne prenne à cœur chose que je dirai,
pour ce que mon propos n’est que de plaisanter.

« Or, messeigneurs, or donc, je conterai mon conte.
Puissé-je ne jamais boire vin ni cervoise
195si je ne vous dis vrai, les maris que j’ai eus,
comme trois furent bons, et mauvais les deux autres.
Ces trois maris étaient bons et riches et vieux :
à peine pouvaient-ils observer le statut
selon quoi ils étaient par devers moi tenus, —
200Ainsi m’assiste Dieu, je ris lorsque je pense
comme je les faisais peiner dur nuitamment,
et, par ma foi, de ce ne tenais-je nul compte.
Ils m’avaient tout donné, leur or et leur trésor ;
205plus ne m’était besoin de faire diligence
à gagner leur amour ni leur montrer égards.
Ils me chérissaient tant, par Dieu qui est là-haut,
que je ne faisais cas aucun de leur amour.
Femme sage toujours voudra se mettre en frais
210pour qu’elle soit aimée là où elle ne n’est pas.
Mais puisque dans ma main je les tenais très bien
et qu’ils m’avaient donné leur terre tout entière,
qu’avais-je à faire, moi, de songer à leur plaire,
à moins que ce ne fût pour mon profit et aise ?
215Mes maris, par ma foi, je les fis tant peiner
que mainte et mainte nuit ils chantèrent : « hélas ! »
Le bacon n’était pas pour eux, ce m’est avis,
que détiennent d’aucuns, en Essex, à Dunmow[29].
Si bien les gouvernai-je, en appliquant ma loi,
220que chacun d’eux était bien heureux et content
quand il me rapportait beaux habits de la foire.
Ils étaient bien contents d’avoir bonnes paroles,
car Dieu sait si bien fort je ne les grondais pas.
    Or écoutez comment je sus me gouverner,
225prudes femmes, ô vous qui saurez me comprendre.

Ainsi parlerez-vous et leur en ferez croire ;
car homme ne saurait aussi effrontément
que femme ni jurer ni mentir, il s’en faut[30] !
Je ne dis point cela pour qui est prude femme[31],
230sauf quand il lui advient d’être malavisée.
Prude femme qui sait ce qui est pour son bien
saura lui faire accroire que la corneille est folle[32]
et prendra à témoin sa propre chambrière
pour renfort. Mais oyez ce que je lui disais :
235    « Messire le cagnard, est-ce ainsi que tu fais ?
Dis, pourquoi la voisine est-elle ainsi parée ?
On la voit honorer en quelque lieu qu’elle aille.
Moi, je reste au logis ; je n’ai pas de bon drap.
Dis, qu’est-ce que tu vas faire chez la voisine ?
240Est-elle donc si belle ? Es-tu si amoureux ?
Que parlez-vous tout bas, grands dieux ! à la servante ?
Messire le paillard, laissez là tous vos tours.
Quand, moi, j’ai un compère ou que j’ai un ami,
en tout bien tout honneur, tu cries comme un beau diable
245si seulement je vais ou cours à sa maison !
Tu rentres au logis aussi soûl qu’une grive !
et prêches sur ton banc avec raisons mauvaises !
Tu me contes alors que c’est trop grand méchef
de prendre femme pauvre, attendu la dépense[33].
250Et si c’est femme riche ou bien de haut parage,
tu contes en ce cas que c’est trop grand tourment
de souffrir son orgueil et son humeur méchante.
Et si c’est femme belle, franc gredin que tu es,
le beau premier ribaud, dis-tu, aura la belle,
255car celle-là ne peut demeurer longtemps chaste
qui se voit assaillie de l'une et l’autre part.
    Tu contes que d’aucuns nous veulent pour richesses,
d’aucuns pour un beau corps, d’aucuns pour de beaux traits,
d’aucuns pour ce qu’on sait ou chanter ou danser,
260d’aucuns pour maintien noble et pour galants devis.

d’aucuns pour un bras rond et pour une main fine.
Ainsi donc, à ton compte, tout s’en va au malin.
Tu contes qu’on ne peut tenir mur de castel,
pour peu qu’il soit longtemps assailli de partout[34].
265    Et si c’est laideron, tu contes qu’elle va
convoiter le premier galant qu’elle verra[35]
et sautera sur lui comme fait épagneul,
tant qu’à trouver marchand laideron réussisse —
car il n’est oie si grise allant dessus l’étang
270qui, contes-tu toujours, ne rencontre son jars.
Et tu contes qu’il est bien dur de manier
chose que de son gré nul ne voudrait tenir —
ainsi vas-tu contant, butor, quand tu te couches —
et qu’homme de bon sens ne se doit marier,
275ni celui-là non plus qui veut gagner le ciel.
Que la foudre tonnante et le feu de l’éclair
te rompent ton vieux cou au cuir parcheminé !
    Tu contes que maison où tombe pluie, fumée,
femme encline à tancer, font s’ensauver les hommes
280de leur propre logis[36]. Ah, benedicite !
qui prend ce vieux mari de gronder de la sorte ?
    Tu contes que nous, femmes, savons cacher nos vices
tant qu’on rive la chaîne, puis après les montrons.
Oh ! comme voilà bien proverbe de grognon !
285    Tu contes que chevaux, bœufs, et ânes, et chiens,
on les met à l’essai à reprises diverses,
aiguières, bassins — devant qu’on les achète —
cuillers et escabeaux, et autres meubles tels,
comme aussi l’on fait pots, et linge, et vêtements.
290Mais femmes, contes-tu, on n’en fait point l’essai
qu’on ne soit marié, méchant vieux radoteur,
et alors, contes-tu, nous faisons voir nos vices.
    Et tu contes aussi que je prends du dépit
si jamais tu oublies de vanter ma beauté,

295si tu ne tiens tes yeux fichés sur mon visage
et si tu ne me dis : « Belle dame » en tous lieux ;
si tu ne fais encore une fête du jour
où je suis née, et moi vêtue de neuf et belle ;
si encore tu ne fais honneur à ma nourrice
300et à ma chambrière en mon appartement
et à tous les parents et alliés de mon père.
Ainsi vas-tu contant, vieux sac à menteries[37].
    Et encor, notre propre apprenti, Janequin,
pour ses cheveux frisés brillants autant qu’or fin
305et ce qu’il m’accompagne en guise d’écuyer,
tu as conçu de lui un injuste soupçon.
Je ne veux pas de lui, si tu crevais demain.
    Mais dis-moi donc ceci : Pourquoi cacher, que diable,
de ton coffre les clefs de peur que je n’y touche ?
310Eh, pardi, c’est mon bien tout autant que le tien.
Crois-tu que tu feras de ta femme une idiote ?
Non, non, par ce seigneur qu’on appelle Saint Jacques,
tu ne seras jamais, dusses-tu enrager,
et maître de mon corps et maître de mon bien.
315Tu t’en départiras, en dépit de tes yeux.
    De moi qu’est-il besoin t’enquérir et m’épier ?
Tu voudrais, que je crois, m’enfermer dans ton coffre !
Mais tu devrais me dire : « Femme, va où tu veux,
prends ton ébatement, je ne croirai nul conte :
320je vous sais, dame Alice, une épouse fidèle ».
Nous n’aimons pas celui qui prend soin et souci
du lieu où nous allons ; nous voulons être au large.
    Entre tous les humains il doit être béni
ce sage astrologien — voire Dom Ptolémée —
325qui dans son Almageste écrivit ce proverbe :
« Sur tous les autres hommes il s’élève en sagesse
qui ne se soucie point qui possède la terre ».
Tu dois par ce proverbe entendre ce qui suit :
Quand tu as suffisance, à quoi sert de songer
330quelle joyeuse vie peut bien mener autrui ?
    Certes, vieux radoteur, avec votre congé,
de mon bas vous aurez, la nuit, suffisamment.

Trop chiche serait-il qui ne voudrait permettra
qu’un autre à sa lanterne allumât sa chandelle[38].
335Après il n’en aura pas moins de feu, pardi.
Quiconque a suffisance il ne lui faut se plaindre.
    Et tu contes aussi que si nous nous parons
de cottes et de tels accoutrements de-prix,
c’est alors grand péril pour notre chasteté.
340Et puis, la peste ! il faut, pour renforcer ton dire,
que tu cites ces mots, empruntés à l’apôtre :
« D’habits qui soient toujours et chastes et modestes
vous vous revêtirez, ô femmes (a-t-il dit[39]) ;
point de cheveux tressés, point de gaies pierreries,
345comme perles, point d’or, point de riches atours ».
Sur ton texte, vois-tu, comme sur ta rubrique,
je prétends me régler autant que sur cela.
Tu as aussi conté que je ressemblais chatte :
car à chatte quiconque irait brûler la peau[40],
350chatte dorénavant resterait au logis ;
au contraire si chatte a peau luisante et belle,
elle ne restera demi-jour en l’hôtel,
mais elle en sera hors devant que le jour crève
pour étaler sa peau et aller au matou.
355D’où si j’ai beaux atours, messire le grognon,
je m’en irai courir pour montrer mon bureau.
    Messire le vieux sot, qui te prend d’épier ?
Quand tu prierais Argus, oui, Argus aux cent yeux[41],
de veiller sur mon corps du mieux qu’il le pourrait,
360voire, il ne me gardera qu’autant que je voudrai.
Je lui ferais la barbe à lui tout comme à toi.
    Tu as aussi conté qu’il existe trois choses,
lesquelles choses font le tourment de ce monde,
et que la quatrième on ne peut l’endurer[42].
365Cher sire le grondeur, Dieu abrège tes jours !
Tu sermonnes et dis que femme acariâtre

est comptée comme l’un de ces quatre fléaux.
Ne se trouve-t-il point d’autres similitudes
qui à tes paraboles offrent comparaisons,
370sans qu’une pauvre femme doive en faire les frais ?
    Tu compares l’amour de la femme à l’enfer,
à la terre stérile où nulle eau ne séjourne[43],
et puis tu le compares encore au feu grégeois,
lequel feu plus il brûle et plus il a désir
375de consumer tout ce qui peut être brûlé.
« Tout comme vers, dis-tu, causent la mort de l’arbre,
tout en même façon femme perd son mari[44] :
ceux-là le savent bien qui sont serfs d’une femme. »
    Et voilà, messeigneurs, comme vous l’avez-vu,
380ce que sans sourciller j’accusais mes maris
de m’avoir dégoisé sous le coup de l’ivresse ;
et c’était menterie, mais j’avais pour témoins
d’une part Janequin et d’autre part ma nièce.
Dieu ! la peine et les maux que je leur fis souffrir
385aux pauvres innocents, par les doux maux du Christ !
Car, comme fait cheval, je savais mordre et geindre.
Si j’étais en défaut, je savais bien me plaindre,
sans quoi, souventes fois, j’étais fort mal en point.
Qui premier au moulin arrive, premier doit moudre.
390Première je geignais, dont s’apaisait la noise.
Ils étaient trop heureux de s’excuser bien vite
de faute qu’en leur vie ils n’avaient point commise.
    De courir cotillons j’accusais mon mari,
quand à peine, malade, il se tenait debout.
395Cela ne laissait pas de chatouiller son cœur :
il croyait, en effet, que je l’avais si cher[45] !
Je jurais mes grands dieux que mes sorties de nuit
étaient pour épier filles qu’il caressait.
Moyennant ce prétexte, je goûtai maint déduit.
400Car tel esprit nous vient quand nous venons au monde :
tromper, pleurer, filer, sont les dons naturels
que, pour toute leur vie, Dieu a donnés aux femmes.
Et je puis sans mentir me vanter d’une chose :

je finissais en tout par avoir le dessus,
405fût-ce par ruse, ou force, ou par quelque autre biais,
comme continuel murmure ou gronderie.
C’était surtout au lit que mari pâtissait.
C’est là que je grondais et donnais peu de joie !
Je ne prétendais point rester couchée au lit,
410si je sentais son bras passer dessus mon flanc,
tant qu’il eût consenti à me payer rançon.
Alors il avait droit de faire la folie.
Et c’est pourquoi vous tous à qui je dis ce conte,
qui pourra gagner gagne, puisque tout est à vendre.
415On ne peut, les mains vides, affaiter épervier[46] :
pour gagner, j’endurais qu’il fît tout son plaisir
et savais me donner même un appétit feint ;
et pourtant pour le lard jamais je n’eus grand goût,
ce qui fit que toujours je grondai mes maris.
420Car le pape eût-il même été assis près d’eux,
je ne les aurais pas, à leur table, épargnés.
Car, soit dit sans mentir, je rendais mot pour mot.
Que Dieu omnipotent me refuse son aide
si, dussé-je aujourd’hui faire mon testament,
425je leur redois encore mot que je n’aie rendu.
Je menais tellement, par mon esprit, les choses
qu’il valait mieux pour eux de quitter la partie
ou sinon nous n’aurions jamais eu de repos.
    Car messire eût-il pris l’air d’un lion furieux
430qu’il n’eût pu davantage avoir le dernier mot.
    Et puis je lui disais : « Mon bon ami, regarde
quel aspect débonnaire a Guilquin notre agneau.
Viens ça, mon cher époux, que je baise ta joue !
Vous devez être tout patient, débonnaire,
435et avoir conscience et tendre et délicate,
vous qui tant nous prêchez de Job la patience.
Montrez-vous endurant, vous qui prêchez si bien.
Sinon soyez certain que nous vous apprendrons
qu’il fait toujours fort bon tenir sa femme en paix.
440Il faut, c’est trop certain, que l’un de nous deux plie,
et, puisqu’ainsi va-t-il qu’homme est plus raisonnable

que femme, c’est à vous qu’il sied d’être endurant.
Qui tous prend de grogner ainsi et de gémir ?
Vous voudriez avoir mon bas à vous tout seul ?
445Mais prenez le tout, là ! ayez-le tout entier.
Par Saint Pierre ! du diable ai vous ne l’aimez fort !
Eh ! si je voulais bien vendre ma belle chose[47],
je me pourrais montrer aussi fraîche que rose[48].
Mais on la gardera, sire, pour votre bec.
450Vous êtes à blâmer, pardieu, je vous dis vrai. »
    Tels étaient les propos qu’ensemble nous tenions.
Or de mon quart mari je vous veux deviser.
    Mon quart mari était coureur de guilledou,
ce qui revient à dire qu’il avait sa ribaude.
455Et j’étais jeune alors, pleine de fringuerie,
volontaire et gaillarde, et gaie autant que pie[49].
Bien savais-je danser à la petite harpe
et chanter, oui vraiment, ainsi que rossignol,
tout dès que j’avais bu un coup de vin sucré.
460Métellius[50], le vilain, le rustre, le pourceau,
qui à coups de bâton fit trépasser sa femme
pour avoir bu du vin, eusse-je été la sienne,
pour peur il ne m’eût pas fait renoncer à boire,
et je pense, après boire, aux plaisirs de Vénus.
465Car, aussi sûrement que froid engendre grêle,
qui dit friand au piot dit friand au déduit.
Chez femme qui a bu il n’est plus de défense[51] :
c’est ce que tout paillard sait par expérience.
    Mais, Seigneur Jésus-Christ, lorsque je me rappelle[52]
470le temps de ma jeunesse et ma joliveté[53],
je me sens chatouillée aux racines du cœur.
Aujourd’hui même encore mon cœur se rébaudit
de ce que, dans mon temps, j’ai joui de la vie.
Mais l’âge, hélas, qui vient pour empoisonner tout
475m’a désormais ôté et beauté et vigueur.

Or, soit ! n’y pensons plus ; le diable les emporte !
La farine s’en est allée, et voilà tout.
Il me faut désormais vendre le son au mieux.
N’empêche que je veux tâcher d’avoir bon temps.
480Je m’en vais vous conter maintenant de mon quatre.
    J’avais donc en mon cœur conçu fort grand dépit
de ce qu’avec une autre il prenait son déduit.
Mais il me le paya, par Dieu et par Saint Josse !
Oui-dà, du même bois je sus lui faire crosse[54].
485Non que, pour me venger, j’aie vilené mon corps.
Mais, certes, aux galants je faisais telles mines
que dans son propre jus je vous le faisais frire
de colère ainsi que de âne jalousie.
Sur la terre, pardi eu, je fus son purgatoire.
490Aussi ai-je l’espoir que son âme est au ciel.
Car très souventes fois, Dieu le sait, il chantait
quand fort cruellement son soulier le blessait.
Nul ne saura jamais, Dieu et lui exceptés,
comme en mille façons je le tourmentai dur.
495Il mourut — je venais lors de Jérusalem —
et il est enterré au-dessous du jubé,
encor qu’il n’ait tombeau curieusement fait
comme fut le sépulcre à cet autre, Darius,
qu’Apelle l’imagier ouvra subtilement.
500Sépulcre de grand prix pour lui c’était folie.
Qu’il soit heureux ; que Dieu donne paix à son âme.
Il est donc dans la tombe et dedans son cercueil.
    De mon cinq maintenant je m’en vais vous conter.
Dieu veuille que son âme échappe au feu d’enfer !
505Et pourtant il fut bien pour moi le plus méchant.
Mes côtes, à la file, encore s’en ressentent
et s’en ressentiront jusqu’à mon dernier jour.
Mais au lit il était si vaillant, si gaillard,
puis encore il savait si bien me cajoler,
510alors qu’il convoitait d’avoir ma belle chose[55],
que quand sur tous les os le traître m’eût battue
il aurait tout soudain reconquis mon amour.

Je crois que je l’aimais surtout parce que lui
était de son amour avare à mon endroit.
515Nous, femmes, nous avons, s’il ne vous faut mentir,
en semblable matière étrange fantaisie.
Tout cela qu’il ne nous est point aisé d’avoir,
à grands cris tout le jour nous le réclamerons ;
défendez une chose et nous la désirons ;
520talonnez-nous de près, et alors nous fuirons.
Nous faisons cent façons pour sortir nos denrées.
Grande presse au marché fait chère marchandise,
et à trop bon marché on tient denrée pour vile.
Toute femme le sait pour peu qu’elle soit fine.
525    Mon cinquième mari, Dieu bénisse son âme !
que je pris par amour et non point pour richesse,
il avait été clerc jadis à Oxenford,
avait quitté l’école et prenait pension
chez ma commère, qui habitait notre ville,
530Dieu ait son âme ! Elle avait pour nom Alison.
    Elle savait mon cœur[56] et aussi mes secrets
mieux que notre curé, ainsi m’assiste Dieu !
Pour elle je n’avais nulle chose cachée.
Car mon mari eût-il fait de l’eau contre un mur,
535ou fait chose qui dût mettre en péril sa vie,
à ma commère et à une autre prude femme,
et à ma nièce, à qui je portais grand amour,
je leur aurais conté son secret de tous points.
Et c’est ce que je fis bien souvent, Dieu le sait,
540et qui bien souvent fit monter à son visage
le rouge de la honte, et il se voulait mal
de m’avoir confié un aussi grand secret.
    Et ainsi il advint un jour, en un carême
(j’allais souventes fois visiter ma commère,
545car je ne laissais pas d’aimer à me parer
et à courir ainsi, en mars, avril et mai,
de maison en maison afin d’ouïr nouvelles),
que Janequin, le clerc, Alison ma commère,
et moi, de compagnie nous allâmes aux champs.
550Pendant tout ce carême mon mari[57] fut à Londres ;

j’en eus plus de loisir à prendre mes ébats,
à aller voir galants et à me faire voir
d’iceux, car, sans cela, comment au rais-je su
où, en quel lieu, j’irais octroyer mes faveurs ?
555C’est pour cette raison que je fis mes visites,
aux fêtes de vigile, et aux processions[58]
aux prêches mêmement et aux pèlerinages,
aux miracles joués ainsi qu’aux mariages ;
et j’avais sur le dos gaies robes d’écarlate..
560Il n’y eut ver, il n’y eut teigne, il n’y eut mite,
j’en jure sur mon âme, qui en mangea un fil :
et la raison ? C’est que robes étaient portées !
    Or m’en-vais-je vous dire ce qui lors m’arriva.
Nous étions donc allés nous promener aux champs,
565si bien qu’en vérité nous eûmes tels devis,
ce clerc et moi, qu’enfin, par fine prévoyance,
je lui parlai et dis au galant comment lui,
si je me trouvais veuve, il serait mon mari :
car certes, je le dis sans vanité aucune,
570je n’ai jamais été sans avoir pourvoyance
de mariage ou bien d’autres choses encore.
Pour moi cœur de souris ne vaut pas un poireau,
qui n’aurait qu’un pertuis pour unique refuge[59],
car, s’il vient à manquer, du coup tout est perdu.
575    Je fis accroire au clerc qu’il m’avait enchantée[60].
C’était un de ces tours que je tiens de ma mère.
De lui, toute la nuit, j’avais rêvé, lui dis-je :
il voulait me tuer, moi couchée sur le dos,
et mon lit tout entier était couvert de sang.
580Et pourtant, je l’espère, il me fera du bien :
car sang est signe d’or, à ce qu’on m’a appris.
Tout était menterie, je n’avais rien rêvé,
mais je suivais toujours les leçons de ma mère
tant en ce point ici qu’en beaucoup d’autres points.
585    Mais, messire, voyons, qu’allais-je donc vous dire ?…
Ah, ah, pardieu, je tiens le fil de mon histoire.

Lorsque mon quart mari fut mis en son cercueil,
je pleurai sans arrêt et fit mine attristée,
comme épouse le doit, puisque l’usage est tel,
590et de mon couvrechef je couvris mon visage.
Mais pour ce que j’étais pourvue d’un épouseur,
je ne pleurai que peu, et vous pouvez m’en croire.
    A l’église on porta au matin mon mari.
Les voisins étaient là qui pour lui menaient deuil,
595et parmi les deuillants Janequin notre clerc.
Ainsi m’assiste Dieu, quand je le vis marcher
derrière le cercueil, il me parut avoir
et la jambe et le pied si bien tournés et beaux
qu’au jouvenceau mon cœur tout entier fut donné.
600Il avait, que je crois, vu passer vingt hivers,
moi quarante, s’il faut vous dire vérité.
Mais j’avais toujours, moi, gardé dent de pouliche.
J’avais dents écartées et cela m’allait bien.
J’étais marquée au sceau de madame Vénus.
605Ainsi m’assiste Dieu, j’étais une luronne,
et belle et riche et jeune et de joyeuse humeur ;
et au vrai, comme me le disaient mes maris,
j’avais le plus fameux quoniam[61] qu’on pût trouver.
Car, pour certain, je suis vénérienne toute
610de sentiment, tandis que mon cœur est martien.
Vénus m’a octroyé mon feu, ma paillardise,
et Mars m’a octroyé ma hardiesse intrépide.
Mon ascendant, ce fut le Taureau, où fut Mars.
Pourquoi faut-il, hélas, qu’amour ce soit péché ?
615J’ai sans cesse suivi mon inclination,
ma constellation exerçant sa vertu.
De là vient que jamais je n’ai su refuser
ma chambre de Vénus[62] à nul bon compagnon.
Et je porte de Mars le signe sur ma face[63]
620et aussi en un autre endroit qui est caché.
Car, vrai comme j’espère avoir de Dieu salut,
je n’ai jamais aimé avec discrétion,

mais j’ai, toute ma vie, suivi mon appétit,
que l’on fût court ou long, que l’on fût noir ou blanc[64] ;
625je ne regardais pas, quand le galant m’allait,
s’il était pauvre hère ou d’un rang qui fût bas.
    Que vous dirai-je plus ? A la fin de ce mois,
ce gaillard Janequln, ce clerc si gracieux,
et moi fûmes unis en solennité grande,
630et je lui apportai tout l’avoir et la terre
qu’à moi-même, devant, on avait apportés.
Mais avant bien longtemps il m’en repentit fort.
Il ne me passait point la moindre volonté.
Pardieu, il me donna un beau jour tel soufflet,
635pour ce que de son livre j’arrachai un feuillet,
que du coup j’eus l’oreille qui resta toute sourde.
J’étais une indomptable, j’étais une lionne,
et j’avais langue prête à toujours quereller,
et ne cessai d’aller, tout ainsi que devant,
640de maison en maison, quoi qu’il en eût juré.
C’est pourquoi bien souvent mon mari sermonnait
et des gestes parlait des Romains d’autrefois[65],
comment Simplicius Gallus quitta sa femme
et de toute sa vie ne la reprit jamais,
645pource que seulement il la vit tête nue
qui, par un beau matin, regardait à sa porte.
    Il me nommait encore certain autre Romain
qui, pour ce que sa femme fut à des jeux d’été,
à son insu, l’avait, lui aussi, délaissée,
650et puis dedans sa Bible il allait me chercher
ce diable de proverbe de l’Ecclésiaste
où l’écrivain enjoint cette défense étroite :
« Mari ne laissera femme courir la rue[66] ».
Puis il disait encore ce qui suit, sans nul doute :
655« Qui bâtit en osier sa maison tout entière,
et pique son cheval aveugle en les jachères,
et permet à sa femme de courir sanctuaires,
il est digne d’orner fourches patibulaires ».

Rien n’y fit ! Je n’aurais point donné une airelle
660de tous ses beaux proverbes ni de son vieux dicton,
ni d’être corrigée par lui n’avais-je envie.
Je hais celui-là qui me reproche mes vices,
et ainsi, Dieu le sait, font d’autres gens que moi.
Et cela contre moi le mettait hors du sens.
665Je ne lui passais rien, mais rien, en aucun cas.
    Or vais-je vous conter vraiment, par Saint Thomas,
pourquoi je déchirai un feuillet de son livre,
dont il me souffleta que j’en suis restée sourde.
    Il avait certain livre où toujours, nuit et jour,
670pour son ébatement», il se plaisait à lire.
Il disait que c’était Valère[67] et Théophraste[68].
Lequel livre toujours bien fort le faisait rire.
Et puis c’était un clerc qui fut jadis à Rome,
un cardinal, lequel avait nom Saint-Jérôme,
675qui contre Jovinien avait écrit un livre.
Et dans ce livre encore se trouvaient Tertullien,
Chrysippus, Trotula[69] et aussi Héloïse,
qui non loin de Paris autrefois fut abbesse.
Puis c’était Salomon avec ses paraboles,
680L’art d’Ovide, et plusieurs autres livres encore.
Et tout cela était relié en un volume.
Et, la nuit ou le jour, il avait pour coutume,
dès qu’il avait loisir et qu’il se trouvait libre
de toute autre besogne ou affaire mondaine,
685de lire là-dedans touchant femmes méchantes.
Il savait d’elles plus de légendes et vies
qu’en la Bible il n’en est de femmes vertueuses.
Car, vous pouvez m’en croire, il est tout impossible
que clerc qui soit consente à dire bien des femmes,
690hormis seul de la vie d’une benoîte sainte ;
mais de toute autre femme jamais il n’en dira.
Qui peignit le lion, hein, dites-le-moi[70] ?

Si femmes, de par Dieu, eussent écrit histoires,
ainsi que clercs ont fait dedans leurs oratoires,
695elles eussent prêté aux hommes plus de mal
que tous les fils d’Adam n’en sauraient corriger.
Les enfants de Mercure et ceux-là de Vénus[71]
sont à se gouverner entièrement contraires.
Car il faut à Mercure et sagesse et science,
700et il faut à Vénus et orgie et dépense.
Chaque astre étant divers en disposition,
l’exaltation d’un est la chute de l’autre.
Et ainsi, Dieu le sait ! Mercure est désolé
dans les Poissons, là où Vénus est exaltée[72] ;
705et Vénus est déchue là où monte Mercure.
Aussi n’est-il de femme qui soit de clerc louée.
Clerc, quand il se fait vieux et ne peut plus rien faire
aux travaux de Vénus qui son vieux soulier vaille,
il se met à sa table et, vieil enfant, écrit
710que femmes ne sauraient être épouses fidèles.
    Mais venons au propos : comment, je te l’ai dit,
je fus jadis battue pour un livre, pardi.
Un beau soir, Janequin, qui était notre époux,
lisait donc en son livre, assis au coin du feu,
715d’Eve premièrement, dont la méchanceté
fit tomber tout le genre humain dans la misère,
ce pour quoi Jésus-Christ même fut mis à mort,
qui nous a rachetés au prix de tout son sang.
Voilà qui de la femme dit d’expresse manière
720que la femme a perdu l’humanité entière.
    Puis il me lut comment perdit sa chevelure
Samson. Dormant, sa femme au ciseau la coupa[73],
trahison par laquelle il perdit ses deux yeux.
    Puis il me lut encore, à ne vous point mentir,
725l’aventure d’Hercule et de sa Déjanire[74]
qui fut cause que lui se consuma tout vif.

    Point n’eut-il en oubli la peine et le tourment
que Socrate endura avec ses deux épouses ;
comme il reçut le pot de Xantippe à la tète.
730Le sot ne remua non plus que s’il fût mort.
Il s’essuya la tête et il n’osa mot dire
hormis : « Tant tonne-t-il qu’à la fin pluie descend ».
    Quant à Pasiphaë, qui fut reine de Crète,
dans sa méchanceté, il goûtait son histoire.
735Fi, ne me parlez pas — c’est chose repoussante —
de son horrible envie et de son goût pervers.
Celle de Clytemnestre, avec sa paillardise,
qui fit traîtreusement trépasser son époux,
fort dévotieusement il se mit à la lire.
740    Il me conta encore quelle fut la raison
pourquoi Amphiaras perdit la vie à Thèbes.
Mon mari possédait l’histoire de la dame,
Eriphile, laquelle, au prix d’un collier d’or,
alla perfidement dire aux Grecs le secret
745du lieu dont son mari avait fait sa cachette,
dont il advint grand mal à Thèbes au pauvre homme.
    De Livie conta-t-il, et de Lucilia.
Elles firent, ces deux, trépasser leur mari :
l’une agit par amour et l’autre agit par haine.
750Livie, elle, le sien, avant dans la soirée,
elle l’empoisonna, étant son ennemie.
Lucilia, paillarde, aima tant son mari
que, pour que constamment sa pensée fût à elle,
elle lui donna philtre amoureux ainsi fait
755qu’avant que le matin parût il était mort.
Et c’est ainsi toujours que deuil vient aux maris.
    Et puis il me conta comment Latumius
venait chez Arrius son compère se plaindre
de ce qu’en son jardin il poussait arbre tel
760que, à ce qu’il contait, tour à tour ses trois femmes,
ayant cœur dépiteux, étaient allées s’y pendre.
« O mon cher compagnon, repartit Arrius,
donne-moi donc un plant de cet arbre béni
et dedans mon jardin je m’en vais le planter[75]. »

765De date moins ancienne alors vinrent des femmes,
femmes qui dans leur lit tuèrent leur mari»
et puis par leur ribaud se laissèrent trousser,
cependant que le corps gisait sur le plancher ;
femmes qui ont percé la cervelle d’un clou
770à l’homme qui dormait et ainsi l’ont occis ;
femmes qui lui ont mis poison dans son breuvage.
Il disait plus de maux qu’on n’en pourrait rêver.
Et puis il connaissait proverbes plus nombreux
que ne sont ici-bas brins de gazon ni herbes.
775    « Il vaut mieux (disait-il), il vaut mieux habiter
avec un lion cruel, ou un dragon affreux,
qu’avec femme qui est de gronder coutumière[76]. »
« Il vaut mieux (disait-il), loger haut sous le toit
qu’en bas dans la maison avec femme colère[77] :
780si méchant est ce peuple et si contrariant ;
cette engeance hait toujours ce que mari approuve, u
« Femme (encor disait il), met sa vergogne bas
alors qu’elle met bas sa chemise », et aussi :
« Femme belle qui n’est aussi chaste que belle,
785c’est comme un anneau d’or au groin d’une truie[78] ».
Qui pourrait supposer, qui pourrait concevoir
la peine que j’avais au cœur et le tourment ?
    Et quand je m’avisai qu’il ne comptait finir
de lire en ce maudit livre toute la nuit,
790voilà que tout soudain j’arrache trois feuillets
du livre, tandis qu’il lisait, et que de plus
je lui donne du poing un tel coup sur la joue
qu’à l’envers dans le feu il s’en alla tomber.
Lui de bondir, ainsi que lion en furie,
795et du poing il m’assène un tel coup sur la tête
que je restai pour morte étendue sur le sol.
Et quand il me vit là qui restais sans grouiller,
il demeura stupide et s’en serait sauvé
si enfin je n’étais sortie de pâmoison :
800« Oh ! m’as-tn donc tuée, faux larron ? (lui criai-je),
et pour avoir mes biens m’as-tu ainsi occise ?

Devant mourir pourtant il faut que je te baise. »
    Et lui de s’approcher et de s’agenouiller
et de dire : « Alison, chère sœur Alison,
805Dieu m’est témoin, jamais je ne te frapperai.
De ce que j’ai fait là la faute est à toi-même.
Pardonne-le-moi donc, pardonne, je t’en prie ! »
Et moi incontinent je le frappe à la joue
et dis : « Vilain larron, d’autant suis-je vengée.
810Or veux-je trépasser, je ne puis plus parler. »
Mais pourtant l’on finit, à grand peine et tourment,
par conclure un accord, passé entre nous deux.
Il dut abandonner la bride en ma main toute.
J’eus le gouvernement du logis et des biens
815et celui de sa langue et celui de sa main,
et je lui fis brûler son livre incontinent.
Et dès le moment où je me fus assurée,
grâce à ce maître coup, souveraineté pleine,
du moment qu’il eut dit : « Ma chère et bonne femme,
820fais ce que tu voudras tant que tu auras vie ;
garde bien ton honneur et garde aussi mes biens »,
à partir de ce jour jamais on n’eut querelle.
Ainsi m’assiste Dieu, je lui fus aussi bonne
comme femme qui soit de Danemark en Inde
825et tout aussi fidèle, et lui en fit autant.
Je prie Dieu qui là haut trône en sa majesté
qu’il bénisse son âme, en sa miséricorde !
Or dirai-je mon conte, si vous voulez l’ouïr. »


S’ensuivent les propos échangés entre le Semoneur et le Frère,


Ayant ouï cela, Frère se mit à rire :
830« Oh ! oh ! dame (dit il), ainsi sois-je sauvé
comme voilà un long préambule à un conte. »
Et quand le Semoneur entend crier le frère :
« Là (dit le Semoneur), par les deux bras de Dieu !
frère toujours prétend fourrer son nez partout.
835Oui, bonnes gens, oui-dà, il faut que mouche ou frère
se fourrent dans tout plat comme dans toute affaire.
Eh ! que parles-tu donc de préambulation ?

Eh ! va l’amble, le trot, le pas[79], ou va t’asseoir ;
tu troubles nos plaisirs avec ces façons-là. »
840     — « Ah ! c’est ainsi, messire Semoneur (dit le Frère),
eh bien, ma foi, je veux, avant que je m’en aille,
conter d’un semoneur un petit conte ou deux
qui feront rire un brin tous les gens qui sont là. »
    — « Or bien-, mon Frère, or bien, que le diable t’emporte,
845(dit lors le Semoneur), et qu’il m’emporte aussi,
si je ne conte, moi, deux contes ou bien trois
de frères, devant que j’arrive à Sidingborne,
et qui feront, je crois, quelque peine à ton cœur ;
car, je le sais assez, ta patience est morte. »
850     Notre hôte s’écria : « Paix donc et tout à l’heure »,
et dit : « Laissez conter son conte à cette femme.
Vous vous gouvernez là comme gens soûls de bière.
Allez, dame, contez, et cela vaudra mieux. »
— « Messire, volontiers, tout comme il vous plaira,
855pourvu que j’aie congé de cet honnête frère. »
— « Oui-dà, dame (dit-il), contez, je vous écoute. »


Ici finit le Prologue de la Femme de Bath.


*
*   *


Le Conte de la femme de Bath[80].


Jadis, au temps de ce roi Arthur
que les Bretons célèbrent et grandement honorent,
tout ce pays était rempli de fées.
860La reine des Elfes avec sa joyeuse compagnie
dansait très souvent en maint pré vert ;

c’était l’ancienne croyance, à ce que je lis ;
je parle d’il y a bien des centaines d’années ;
mais aujourd’hui on ne peut plus voir d’Elfes du tout.
Car maintenant la grande charité et les prières
des limitours[81] et d’autres saints frères,
qui visitent toutes les terres et toutes les eaux,
et foisonnent comme poussières dans le rai du soleil,
bénissant salles, chambres, cuisines, chambres des dames,
870villes, bourgs, castels, hautes tours,
villages, granges, étables, laiteries,
ceci fait qu’il n’y a point de fées.
Car là où avait coutume d’aller un elfe,
là va maintenant le limitour lui-même
dans les après-midi et dans les matinées,
et il dit ses matines et ses saintes oraisons
tout en cheminant dans son territoire.
Les femmes peuvent aller en sécurité par toute la contrée ;
sous tous les halliers ou sous tous les arbres
880il n’y a pas d’autre incube que lui,
et il ne leur fera rien que déshonneur[82].

    Or donc il advint que ce roi Arthur
avait en sa maison un gaillard bachelier
qui un jour revenait à cheval de voler en rivière[83] ;
et il arriva que, seule et sans nulle compagnie[84]
il vit une fille marchant devant lui,
à laquelle fille, aussitôt, malgré sa résistance,
de force il ravit sa virginité ;
et pour cette violence fut faite telle clameur
890et telle plainte auprès du roi Arthur,
que ce chevalier fut condamné à mourir
suivant la loi, et eût perdu sa tête,
par aventure, telle était la règle alors,

n’était que la reine et d’autres dames encore
implorèrent si longtemps la grâce du roi
qu’il lui laissa la vie en ce lieu,
et le donna à la reine tout à sa discrétion,
pour choisir si elle le voulait sauver ou faire mourir.
La reine remercia le roi de tout son cœur,
900et après cela elle parla ainsi au chevalier,
quand elle vit son moment, un certain jour :
« Tu es toujours (dit-elle), en tel état
que tu n’es point encore assuré de ta vie.
Je t’accorde la vie sauve si tu peux me dire
quelle est la chose que les femmes désirent le plus.
Penses-y bien et garde ta nuque du fer.
Et si tu ne peux le dire à cette heure,
eh bien ! je te donnerai loisir d’aller
douze mois et un jour pour chercher et apprendre
910une réponse convenable à cette question.
Et avant que tu partes, je veux avoir caution
que tu livreras ton corps en ce lieu. »
Le chevalier fut bien affligé et soupira tristement,
mais quoi ! il ne peut faire tout comme il lui platt.
Et à la fin il choisit de partir
et de revenir sûrement à la fin de l’année,
avec la réponse que Dieu lui voudrait fournir ;
puis prend son congé et se met en route.
Il cherche par toutes maisons et tous endroits
920où il espère avoir l’heur
d’apprendre quelle chose les femmes aiment le plus ;
mais il ne réussit à aborder sur aucune côte
où il pût découvrir sur ce point
deux personnes pour s’accorder ensemble.
Les uns dirent que les femmes aiment mieux la richesse,
d’aucuns dirent l’honneur, d’aucuns dirent les plaisirs,
les uns, riches atours, les autres mener déduit au lit
et plusieurs fois se trouver veuves et se remarier.
Les uns dirent que nos cœurs sentent le plus d’aise
930quand nous nous voyons flattées et chatouillées ; —
qui dit cela touche de près la vérité, je l’avoue ;
un homme nous gagnera le mieux par la flatterie ;
c’est par les attentions et par les services

que nous sommes engeignées, grandes dames et petites. —
Et d’aucuns disent que nous aimons sur toute chose
être libres et faire tout ce qui nous plaît,
et que nul ne nous reproche nos vices,
mais qu’on dise que nous sommes sages et en rien sottes ;
car vraiment il n’y a nulle de nous toutes,
940si on nous égratigne sur la plaie,
qui ne regimbe de ce qu’on a dit vrai ;
qu’on essaie et verra bien qui le fait.
Car si vicieuses que nous soyons en dedans,
nous voulons être tenues pour sages et nettes de péché.
Et d’aucuns disent qu’il nous fait grand plaisir
d’être estimées stables, et discrètes aussi,
et fermes et constantes en une résolution prise,
et incapables de trahir un secret qu’on nous dit ;
mais cette opinion ne vaut pas seulement un manche de râteau ;
950pardieu ! nous autres femmes ne savons rien cacher ;
témoin Midas ; voulez-vous en ouïr le conte ?
Ovide, entre autres petites histoires,
a dit que Midas avait, sous ses longs cheveux,
croissant sur sa tête, deux oreilles d’âne,
lequel défaut il cachait du mieux qu’il pouvait
avec grande subtilité aux yeux de tous,
de façon que, sauf sa femme, nul autre n’en savait rien.
Il l’aimait par-dessus tout et aussi se fiait à elle ;
il la supplia qu’à âme qui vive
960elle ne dit qu’il était ainsi défiguré.
Elle lui jura que certes, fût-ce pour tout le royaume du monde,
elle ne voudrait commettre cette vilenie ou péché,
de faire porter à son mari si laide renommée ;
elle ne le voudrait dire par honte pour elle-même.
Mais pourtant il lui sembla que c’était mourir
de cacher si longtemps un secret ;
il lui sembla que cela enflait si fort autour de son cœur
que par force il lui faudrait en lâcher quelque mot ;
et, puisqu’elle ne l’osait dire à qui que ce fût,
970à un marais tout proche elle courut ;
jusqu’à ce qu’elle y fût, son cœur était en feu,
et, comme un butor tonne dans la vase,
elle coucha sa bouche en bas jusqu’à l’eau :

« Ne me trahis pas, eau, par ton bruit,
(dit-elle), je te le dis à toi et à nul autre :
mon mari a deux longues oreilles d’âne !
Voici mon cœur tout remis, maintenant que c’est sorti ;
je ne le pouvais garder plus longtemps, vraiment. »
Par ceci vous pouvez le voir, quoiqu’un temps nous résistions,
980il faut que cela sorte, nous ne pouvons cacher de secret ;
si vous voulez ouïr le reste du conte,
lisez Ovide, et là vous le pourrez apprendre[85].
Ce chevalier, qui est le sujet de mon conte,
quand il vit qu’il ne pouvait réussir,
c’est-à-dire, à savoir ce que les femmes aiment le plus,
en sa poitrine son âme fut tout affligée ;
mais il revient en son pays, il ne pouvait demeurer.
Le jour était arrivé qu’il devait s’en retourner,
et chemin faisant il lui advint de chevaucher,
990en tout ce souci, sous l’orée d’un bois,
où il vit se mouvoir en danse
vingt-quatre dames, et davantage encore ;
vers laquelle danse il se dirigea tout empressé,
dans l’espoir d’y pouvoir trouver quelque instruction.
Mais certes avant qu’il arrivât tout auprès,
cette danse s’était évanouie, il ne savait où.
Il ne vit nul être qui eût vie,
sauf que sur la prairie il vit assise une femme ;
créature plus horrible ne se peut imaginer.
1000Devant le chevalier cette vieille femme se leva
et dit : « Sire chevalier, il n’y a pas de chemin par ici.
Dites-moi ce que vous cherchez, en toute vérité.
D’aventure vous vous en trouverez fort bien ;
nous autres vieilles gens savons beaucoup de choses », dit-elle.
« Ma chère mère (dit le chevalier), certes,
je suis homme mort, si je ne peux pas dire
quelle est la chose que les femmes désirent le plus ;
si vous pouviez m’instruire, j’en payerais bien le prix. »
« Engage-moi ta foi, ici, dans ma main (dit-elle),
1010que la première chose que de toi je requerrai,
tu la feras, si elle est en ton pouvoir ;

et je vais te le dire avant qu’il soit nuit. »
« Reçois ici ma foi (dit le chevalier), je te la donne. »
« Alors (dit-elle), j’ose bien me vanter
que ta vie est sauve, car je me fais forte
sur ma vie, que la reine dira comme moi.
Voyons quelle sera la plus glorieuse d’elles toutes
qui porte sur la tête couvre-chef ou réseau,
1020qui osera contredire à ce que je vais t’apprendre ;
allons, en route sans plus de discours. »
Lors, elle lui chuchota sa leçon en l’oreille,
et lui dit de se réjouir et de n’avoir crainte.
Quand ils furent arrivés à la cour, le chevalier
dit qu’il revenait au jour fixé, comme il l’avait promis,
et sa réponse était, disait-il, prête.
Mainte noble dame et mainte fille
et mainte veuve, car celles-ci sont avisées,
la reine elle-même siégeant comme juge,
sont assemblées, pour ouïr sa réponse ;
1030et ensuite le chevalier reçut l’ordre de paraître.
A tout le monde fut commandé silence,
et le chevalier fut invité à dire en l’audience
quelle chose les femmes de ce monde aiment le mieux.
Le chevalier ne se tint pas muet comme fait une bête,
mais à la question aussitôt répondit,
d’une voix forte, si bien que toute la cour l’entendit :
« Ma dame suzeraine, partout (dit-il),
les femmes désirent avoir souveraineté
aussi bien sur leur mari que sur leur amant,
1040et d’être les maîtresses et de les dominer ;
c’est là votre plus grand plaisir, dussiez-vous me faire mourir,
faites ce que vous voudrez, je suis entre vos mains. »
En toute la cour il n’y eut ni femme ni fille
ni veuve qui contredit son dire,
mais toutes s’écrièrent qu’il était digne d’avoir la vie.
Et sur ce mot se leva la vieille femme
que le chevalier avait ue assise en la prairie :
« De grâce (dit-elle), madame ma reine souveraine,
avant que votre cour se sépare, faites moi droit.
1050J’ai enseigné cette réponse au chevalier,
pour laquelle il m’a juré sa foi là-bas,

que la première chose que je requerrais de lui
il la ferait, si elle était en son pouvoir.
Devant la cour donc, je te prie, sire chevalier,
(dit-elie), de me prendre pour femme ;
car tu sais bien que tu me dois la vie.
Si j’en ai menti, dénie-le sur ta foi. »
Le chevalier répondit : « Hélas et malheur !
Bien sais-je que telle fut ma promesse.
1060Pour l’amour de Dieu je te prie de choisir une autre
prends tout mon bien et renonce à moi. »
« Si je le fais (dit-elle), malédiction sur toi et sur moi !
Car bien que je sois vieille et laide et pauvre,
je ne voudrais pour tout le métal et tout le minerai
qui sous la terre est enfoui, ou qui gît au-dessus,
renoncer à être ta femme et aussi ton amante ! »
« Mon amante (dit-il), non, ma damnation !
Hélas ! qu’aucun de ma race
fasse jamais si hideuse mésalliance ! »
1070Mais tout fut vain ; la fin est qu’il
fut contraint : il lui fallut l’épouser ;
or prend sa vieille femme et se met au lit.
   A présent d’aucuns diraient d’aventure
que c’est par paresse que je ne prends soin
de vous dire la joie et toute l’ordonnance
de la fête qui se fit en ce jour-là.
Et à ce reproche je répondrai brièvement :
je dis qu’il n’y eut ni fête ni joie du tout ;
il n’y eut que tristesse et grande affliction ;
1080car en secret il l’épousa un matin,
et tout le jour ensuite se cacha comme un hibou,
tant il était marri, si laide était sa femme.
Grande fut la peine que le chevalier eut en son cœur,
quand avec sa femme il fut couché au lit ;
il se tourne et se roule d’un côté et de l’autre.
Sa vieille femme était couchée ne cessant de sourire,
et disait : « Cher mari, benedicite !
Tout chevalier agit-il comme vous avec sa femme ?
Est-ce la règle dans la maison du roi Arthur ?
Tous ses chevaliers sont-ils aussi dédaigneux ?
1090Je suis votre propre mie et aussi votre femme ;

je suis celle qui vous a sauvé la vie ;
et certes jamais je ne vous fis nul tort ;
pourquoi me traitez-vous ainsi cette première nuit ?
Vous agissez comme homme qui aurait perdu l’esprit.
Quelle est ma faute ? pour l’amour de Dieu, dites-le,
il y sera porté remède, si c’est en mon pouvoir. »
« Remède (dit le chevalier), hélas ! nenni !
Il n’y aura pas de remède, non jamais !
1100Tu es si hideuse et si vieille aussi,
et avec cela issue de si basse extraction,
que ce n’est pas merveille si je me tourne et me roule.
Plût à Dieu que mon cœur pût éclater ! »
« Est-ce là (dit-elle), ce qui vous agite ? »
« Oui, bien (dit-il), et ce n’est pas merveille. »
« Or ça, messire (dit-elle), je pourrais amender tout ceci,
s’il me plaît, avant qu’il fût trois jours,
pourvu qu’envers moi vous agissiez bien.
Mais pour ce que vous dites de la noblesse
1110qui vient par descendance de richesse ancienne,
et que cela fait qu’on est gentilhomme,
une telle prétention ne vaut pas seulement une poule.
Voyez qui est le plus vertueux toujours
en sa conduite publique et privée, et qui toujours s’emploie
à faire les nobles actions qu’il peut,
et celui-là regardez-le comme le meilleur gentilhomme.
Christ veut que sur lui nous fondions notre noblesse,
et non sur nos ancêtres pour leur ancienne richesse,
car bien qu’ils nous transmettent tout leur héritage,
1120ce pourquoi nous prétendons être de haut parage,
pourtant ils ne peuvent nous léguer en rien
à aucun de nous leur vie vertueuse,
qui fait qu’ils furent appelés gentilshommes,
et par laquelle nous leur succédons en leur condition.
   Bien sait le sage poète de Florence,
qui s’appelait Dante parler en ce sens ;
voici en quels vers s’exprime Dante[86] :
« Bien rarement monte jusqu’aux rameaux derniers
l’excellence humaine ; car Dieu, en sa bonté,

1130veut que sur lui nous fondions notre noblesse ; »
car de nos ancêtres nous ne pouvons rien prétendre
que biens temporels que l’homme peut endommager ou mutiler.
Chacun sait ceci tout aussi bien que moi,
que si noblesse était plantée par nature
en une certaine lignée et descendait dans ce lignage,
en leur vie publique et privée, ils ne pourraient jamais cesser
de faire beaux offices de noblesse ;
ils ne pourraient faire chose vilaine ou vicieuse.
Prends du feu et porte-le dans la maison la plus sombre
1140entre ce pays et le mont du Caucase,
et qu’on ferme les portes et qu’on s’en aille ;
pourtant le feu brûlera et flambera aussi clair
que si vingt mille hommes le pouvaient regarder ;
il fera toujours son propre office naturel,
je l’affirme sur ma vie, jusqu’à ce qu’il meure.
Par ceci vous pouvez bien voir comment la noblesse
n’est point liée à la possession
puisque les hommes ne font pas leur œuvre
toujours comme fait le feu, voyez, selon sa nature !
1150Car Dieu le sait, on peut voir bien souvent
le fils d’un seigneur faire vilaine action honteuse ;
et celui qui veut avoir la louange de sa noblesse
parce qu’il est né d’une noble maison,
et qu’il a eu des ancêtres nobles et vertueux,
et ne veut faire lui-même de nobles actions,
et imiter ses nobles ancêtres qui sont morts,
il n’est point noble, qu’il soit duc ou comte ;
car les actions mauvaises de vilain font un manant.
Car la noblesse n’est que le bon renom
1160de tes ancêtres pour leur haute vertu,
qui est chose étrangère à ta personne.
Ta noblesse provient de Dieu tout seul ;
donc notre vraie noblesse vient par la grâce,
et ne nous a été nullement léguée avec notre manoir.
Pense combien noble, comme dit Valérius[87],
fut ce grand Tullus Hostilius,
qui de pauvreté s’éleva à haute noblesse.

Lis Sénèque, et lis aussi Boêce,
là vous verrez clairement qu’il n’est point douteux
1170qu’il est noble celui qui fait des actions nobles ;
et en conséquence, cher mari, je conclus ainsi :
quand même il serait que mes ancêtres furent vilains,
pourtant le Dieu céleste peut, et c’est mon espoir,
m’accorder la grâce de vivre vertueusement.
Donc suis-je noble si je m’adonne
à vivre vertueusement et renonce au péché.
Pour le reproche que vous me faites de pauvreté,
le Dieu céleste auquel nous croyons
en pauvreté volontaire élut de passer sa vie.
1180Et certes tout homme, fille ou femme,
peut comprendre que Jésus, Dieu du ciel,
ne voulut point choisir une vie vicieuse.
La pauvreté acceptée est une chose honorable, certes ;
Sénèque[88] et d’autres clercs le disent.
Quiconque se tient pour content de sa pauvreté,
je l’estime riche, n’eût-il point de chemise.
L’homme pauvre est celui qui convoite[89],
car il voudrait avoir ce qui n’est point en son pouvoir.
Mais celui qui n’a rien et ne convoite rien
1190est riche, quand même vous ne le compteriez que pour un croquant.
La vraie pauvreté, elle chante par nature ;
Juvénal[90] dit de la pauvreté plaisamment :
« Le pauvre homme quand il va par les routes,
devant les voleurs il peut chanter et s’ébattre ».
La pauvreté c’est un bien mal gracieux et, comme je crois[91],
elle sait bien vous tirer hors du souci,
elle sait bien aussi rendre la sagesse
à celui qui la prend en patience.
Pauvreté c’est ceci, quoiqu’elle semble peineuse :
1200une possession que personne ne veut vous disputer[92]. ;
Pauvreté très souvent quand un homme est abaissé,
lui fait connaître son Dieu et se connaître soi-même.
La pauvreté est une lunette, comme il me semble,

avec laquelle il peut voir ses vrais amis.
Et c’est pourquoi, messire, puisque je ne vous fais nul mal,
ne me faites plus un reproche de ma pauvreté.
Maintenant, messire, vous me reprochez d’être vieille ;
et certes, messire, quand aucun texte
ne le dirait en aucun livre, vous, gentilshommes d’honneur,
1210dites que l'on doit rendre hommage à un vieil homme
et l’appeler père, par courtoisie ;
et je trouverais des autorités, je pense.
Or de ce que vous me dites que je suis laide et vieille,
donc ne craignez point d’être fait cocu ;
car laideur et vieillesse sur mon salut
sont de puissants gardiens de la chasteté.
Mais néanmoins puisque je sais ce qui vous plaît
je contenterai votre appétit de nature.
Choisissez donc (dit-elle), l’une de ces deux choses,
1220de m’avoir laide et vieille jusqu’à ma mort,
et d’être pour vous une femme humble et fidèle,
et ne vous déplaire jamais de toute ma vie,
ou autrement de m’avoir jeune et belle,
et courir l’aventure de la foule qui viendra
en votre maison, attirée par moi,
ou en quelqu’autre endroit, il se peut bien.
Or choisissez vous-même ce que vous préférez. »
Le chevalier délibère et soupire bien fort,
mais à la fin il s’exprima ainsi :
1230« Ma dame et ma mie et ma très chère femme,
je me remets à votre sage discrétion ;
choisissez vous-même, ce qui sera pour notre plus grand plaisir
et notre plus grand honneur à vous comme à moi ;
il ne m’importe lequel des deux,
car ce que vous déciderez me conviendra. »
« Donc j’ai obtenu d’être la maîtresse (dit-elle),
puisque je peux choisir et gouverner à mon gré.
— Oui, certes, femme (dit-il), je le tiens pour le mieux.
— Baise-moi (dit-elle), nous ne sommes plus fâchés ;
1240car, sur ma foi, je veux être pour vous l'une et l’autre,
c’est-à-dire, oui bien, et belle et bonne.
Je prie Dieu qu’il me fasse mourir folle,
si je ne suis envers vous aussi loyale et fidèle

que fut jamais femme depuis que le monde fut fait.
Et si je ne suis demain aussi belle à voir
qu’aucune dame, empérière ou reine,
qui vit entre l’orient et l’occident,
prononcez sur ma vie et sur ma mort comme vous voudrez.
Levez la courtine, voyez ce qu’il en est. »
1250Et quand le chevalier vit vraiment ceci,
qu’elle était si belle et si jeune aussi,
de joie il la prit entre ses deux bras,
le cœur tout baigné d’un bain de félicité ;
il se mit à la baiser mille fois de suite.
Et elle lui obéit en toute chose
qui pouvait lui donner agrément ou plaisir.
Et ainsi ils vivent jusqu’à la fin de leur vie,
en parfaite joie ; et Jésus-Christ nous envoie
des maris obéissants, jeunes et frais au lit,
1260et la grâce de survivre à ceux que nous épousons.
Et aussi je prie Jésus d’accourcir la vie
de ceux qui ne veulent être gouvernés par leurs femmes ;
et aux vieux courroucés chiches à la dépense,
que Dieu envoie bientôt sa male peste.


Ici finit le conte de la Femme de Bath.



  1. Les principales sources du Prologue sont l’Épitre de saint Jérôme contre Jovinien et le Roman de la Rose.
  2. Saint Jean, IV, 18.
  3. Saint Mathieu, XIX, 5.
  4. I, Rois, XI, 3.
  5. I, Cor., VII, 7.
  6. Rom. de la Rose, 7 441, éd. elzév.
  7. Ces six derniers vers ne figurent pas dans tous les manuscrits.
  8. I, Cor., VII, 39 ; Rom., VII, 3.
  9. I, Cor., VII, 9, 28.
  10. Gen., IV, 19.
  11. I, Cor., VII, 6, 25. Saint Paul dit qu’il parle sur ce sujet en son nom et non en celui de Dieu.
  12. 1, Cor., IX, 24. — Il semble qu’une arme, javelot ou dard, ait été parfois donnée au gagnant pour prix de la course. Le vers de Chaucer pourrait d’ailleurs couvrir une équivoque.
  13. I, Cor., VII, 7.
  14. I, Cor., VII, 6.
  15. I, Cor., VII, 4.
  16. Skeat, imprimant but-if(tandis que nous lisons but (= only) if comprend : > Fragilité s’entend, mais non pour homme et femme qui passeraient leur vie entière en chasteté » et cette interprétation est d’accord avec ce que les théologiens déduisent de l’Épître de saint Paul : « L’état de mariage n’est pas mauvais, mais l’état de chasteté dans le mariage est plus agréable au Seigneur ». Cependant le mouvement du passage nous a imposé notre interprétation. La réflexion égrillarde que lui suggère le double sens de frailty est bien dans le caractère, dans les allures de la bonne commère. Le clepe I d’ailleurs n’indique-t-il-pas qu’elle ne donne pas à ce frailty le sens que l’apôtre y aurait attaché ?
  17. II, Tim., II, 20.
  18. I, Cor., VII, 7.
  19. Saint Math., XIX, 21. — Roman de la Rose, 11923, éd. elzév.
  20. Rom. de la Rose, 7257-7270, elzév.
  21. I, Cor., VII, 3.
  22. I, Cor., VII, 20.
  23. I, Cor., VII, 28.
  24. I, Cor., VII, 4.
  25. Éphés., V, 25.
  26. Rom. de la Rose, 7096, elz. ; aussi 11012.
  27. Cf. Rom. de la Rose, 8313, elz.
  28. Cf. Rom. de la Rose, 7330, elz.
  29. Où l’on récompensait d’une flèche de bacon ou moitié d’un porc salé, le ménage qui avait vécu un an et un jour sans querelle. (Nares, s. v. Dunmow.)
  30. Rom. de la Rose, 18817, elz.
  31. Rom, de la Rose, 10261, elz.
  32. Allusion à la corneille d’un conte. Elle eut la langue trop longue et jasa de
    sa maîtresse. D’aucuns disent que ce fut un perroquet. Voir le Conte du Manciple.
  33. Rom. de la Rose, 8905, elz.
  34. Rom. de la Rose, 8925, elz.
  35. Rom. de la Rose, 8927, elz.
  36. Fumus et mulier et stillicidia Expellunt hominera a domo propria, etc. (Vers des Goliards. V. Edélestand Duméril ; Poésies populaires latines du Moyen Age). — Fumée et pluye, Et femme tençant sans raison Chacent l’homme de sa maison (Les Lamentations de Matheolus, II, 68, éd. Van Hamel).
  37. « Vieux baril plein de lie », dit la commère, avec un jeu de mots sur l’anglais lyes = lie et mensonges.
  38. Rom. de la Rose, 7711, elz.
  39. Tim., II, 9.
  40. Cf. : « Escourlez sa cowe, e copés les orailles, e broillés la peel, e elle demorra a meison. » N. Bozon, Contes moralisés (Soc. des anc. text. fr.), p. 74. Cf. aussi, Matheolus, II, 3871.
  41. Rom. de la Rose, 9469 et 14983, elz.
  42. Prov., XXX, 21-23.
  43. Prov., XXX, 16.
  44. Prov., XXV, 20 (Vulgate).
  45. Cf. Rom. de la Rose, 14435, elz.
  46. Rom. de la Rose, 7820, elz.
  47. En français dans le texte.
  48. Cf. Rom. de la Rose, 14327, elz.
  49. Rom. de la Rose, 9511, elz.
  50. Valère Maxime, lib. VI, cap. 3.
  51. Rom. de la Rose, 14030, elz.
  52. Rom. de la Rose, 13520, elz.
  53. Rom. de la Rose, 13330, elz. : mon tens jolis.
  54. Cf. Rom. de la Rose, 44820, elz., et Testament de Jean de Meung, 464 : « Si li refait sovent d’autel fust une croce ».
  55. En français dans le texte.
  56. « Dit à son oncle son cuer et sa pensée. » Ronc. dans Littré.
  57. Celui-là, c’est seulement le quatrième.
  58. Rom. de la Rose, 9364, elz.
  59. Rom. de la Rose, 13742, elz. et Cotgrave : La souris qui n’a qu’une entrée est incontinent happée ; et, Tost attrapée est la souris qui n’a pour giste qu’un pertuis.
  60. Rom. de la Rose, 14289, elz
  61. Cf. Cent Nouv., LXXVIII : « Sa bonne femme ne fut pas si oiseuse qu’elle ne presta son quoniam à trois compaignons ».
  62. Rom. de la Rose, 13938, elz.
  63. Quicunque Martem ascendentem habet, omnino cicatricem in facie habebit.
  64. Rom. de la Rose, 8838, elz.
  65. Quoique l’allusion soit à la collection appelée Gesta Romanorum (dont on trouvera des extraits traduits dans Medieval Tales de la Morley’s Universal Library), Chaucer puise à plusieurs sources, Valerius Maximus, etc.
  66. Ecclesiasticus, XXV, 25.
  67. Epistola Valerii ad Rufinum de non ducenda uxore, attribuée par Wright à Walter Mapes (Skeat).
  68. Un certain Theophrastus, auteur de l’Aureolus Liber de Nuptiis, dont un long extrait se trouve dans le livre de Jérôme contre Jovinien (Skeat).
  69. « Trotule, ou l’emperris de Rome, Es secres qu’elle mist en somme, Dit qu’on doit les femmes doubter, Et qu’on n’y doit foy adjouster ». (Matheolus, II, 3519).
  70. Allusion à la fable d’Esope.
  71. Les enfants de Mercure sont les lettrés, les clercs ; ceux de Vénus sont les femmes.
  72. Mercure était supposé être a son exaltation, a son plus haut degré
    d’influence, dans le signe de la Vierge, signe où Vénus, dont l’exaltation était dans les Poissons, atteignait son moindre degré d’influence ou déclin.
  73. Rom. de la Rose, 9539, elz.
  74. Rom. de la Rose, 9523, elz.
  75. On trouvera cette anecdote dans le volume Medieval Tales de la collection Morley’s Universal Library sous le titre The Tree of Palatinus, p. 132.
  76. Ecclesiasticus, XXV, 16. Cf. Prov., XXI, 19.
  77. Prov., XXI, 9, 10.
  78. Prov., XI, 22.
  79. En disant « le pas », nous corrigeons le texte, qui porte « la paix ». Le premier copiste a dû écrire pees au lieu de pace, comme il semble bien que, plus loin (G, 762), il a mis papeer pour peper.
  80. Le même conte est donné par Gower dans Confessio amantis. Livre 1. — Gower a dû, comme Chaucer, imiter des originaux français.
    Cf. The weddynge of Syr Gawen and Dame Ragnell, imprimé par Sir F. Madden dans son Syr Gawaine.
    Cf. Ballad of King Henrie, inséré par Walter Scott dans « Minstrelsy of the Scottish Border ». Voir l’étude de M. W. H. Clouston (Originale and Analogues, Chaucer Society, 1887, p. 483). M. Clouston cite des contes islandais, gaéliques, turcs qui ont la même donnée.
    Cf. la version de Dryden et le conte de Voltaire : Ce qui plait aux dames.
  81. Frères mendiants auxquels était assigné un certain territoire pour leurs quêtes.
  82. Une variante du texte donne cet autre sens : « Et ce n’est pas avec lui qu’il leur adviendrait déshonneur. »
  83. C’est-à-dire d’aller chasser au faucon sur le bord de la rivière. — Cf. le conte de Sire Topaze, vers 1927. — Cr. Froissart, V. 1, c. 140. Le comte de Flandre estoit tousjours en rivière, un jour advint qu’il alla voler en la rivière.
  84. Le texte dit : « seule comme au jour de naissance. » Voir la note : Conte du Chevalier, vers 1633.
  85. Dans Ovide, c’est le barbier de Midas qui trahit le secret. Chaucer adapte le conte à sa satire de la femme.
  86. Purgat., VII, 121-123. « Rade volte risurge per le rami humana probitate »,etc.
  87. Valérius Maximus, lib. III, cap. 4.
  88. Sénèque, Êpîtres, II, 54.
  89. Roman de la Rose, 18166.
  90. Juvénal, Sat.. X, 22.
  91. Vincent de Beauvais, Speculum historiale, X, 71.
  92. Traduit l’expression « absque calumnià » de Vincent de Beauvais.