Contes du lit-clos/L’Ânesse de Jésus

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Contes du Lit-ClosGeorges Ondet, Éditeur (p. 91-96).
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L’ÂNESSE DE JÉSUS




Voici la Pâque-Fleurie
Éclose au calendrier :
Bonne tante Anne-Marie,
Approchez-vous du foyer ;
Le « flip » bout dans la bouilloire
Mettez du cidre dessus,
Puis racontez-nous l’Histoire
De l’ânesse de Jésus !…


I


C’est chose bien lamentable
Petits enfants, de songer
Que c’est dans une humble étable
Creusée au flanc d’un rocher
Qu’en la Nuit la plus profonde
Du plus sombre des hivers
Naquit le Sauveur du Monde,
Le Maître de l’Univers !

Sans chemisette et sans langes
Il était nu sur le foin,
Plus nu que les petits anges
Chantant sa venue au loin,
Et chaque larme versée
Par le petit Roi des cieux
Était aussitôt glacée
Sur le rebord de ses yeux !

… Et c’est alors qu’une ânesse
Qui somnolait dans la nuit

Eut pitié de sa détresse,
S’approcha, souffla sur Lui,
Réchauffa de son haleine
Ses mains et son petit né,
Tendit sa mamelle pleine
Pour nourrir le nouveau-né !


II


Mais les bergers et les mages
Apportèrent en présents
Qui, les fruits et les fromages,
Qui, l’or, la myrrhe et l’encens ;
Puis, tous, de faire connaître
Au pauvre Monde éperdu
Qu’il venait enfin de naître,
Le grand Messie attendu…

La nouvelle vole, rôde,
Et le bruit des hosannahs
Vient aux oreilles d’Hérode
Qui fait venir ses soldats :
« Holà ! dit-il, que l’on sorte
Les grands glaives triomphants !
Qu’on aille, de porte en porte,
Égorger tous les enfants ! »

Mais un esprit de lumière
Au bon Joseph dit ceci :
« Prends Jésus avec sa Mère,
Et sauve-toi loin d’ici ! »
Pour obéir à l’invite
Joseph se lève aussitôt…

« Mais comment fuir assez vite ?
On nous atteindra bientôt ! »

Or, une ânesse pareille
À celle de l’autre nuit,
Cligna l’œil, tendit l’oreille,
Vit Joseph et l’entendit,
Hop là ! sortit de sa crypte
Et, trottant à petits pas,
Emporta jusqu’en Égypte
La Vierge… et son petit Gâs !


III


Puis, trente ans passent dans l’ombre…
Et le divin Charpentier
Dans une boutique sombre
Exerce un humble métier ;
Et c’est en poussant la scie
Au cœur du sapin doré
Que Jésus, le doux Messie,
Rendit le Travail sacré.

Mais, enfin, quand sonna l’heure
De remplir sa mission,
Il laissa dans sa demeure
Toute humaine affection :
Il s’en fut par la campagne,
Il pria dans le désert,
Il prêcha sur la montagne,
Il marcha dessus la mer…

Puis — à l’époque où nous sommes —
L’humble Enfant de Bethléem,
Acclamé par tous les hommes,
Entra dans Jérusalem :

« Voici le Dieu de victoire,
Disaient les Juifs à genoux,
Gloire au Fils de David ! Gloire !
Gloire au Dieu qui vient à nous ! »

Un coursier plein de noblesse
S’avança… Jésus dit : « Non ! »
Car il vit une humble ânesse
Avec son petit ânon :
« Je te connais, pauvre bête !
Tu me sauvas par deux fois ;
Aujourd’hui, c’est jour de fête :
Tends le dos… comme autrefois ! »

Et la vieille ânesse blanche,
Si bonne au temps des malheurs,
Sous l’odorante avalanche
Des rameaux verts et des fleurs,
Par tout un Peuple suivie,
Mena Jésus — sans remord —
Non plus, hélas vers la Vie,
Mais vers la Croix… et la Mort


… Voilà sa légende telle
Qu’on me la conta jadis…
Pauvre ânesse ! où donc est-elle ?
Je la crois… en Paradis ;
Car, pour qu’on la reconnaisse
Parmi tous les animaux,
Dieu voulut que chaque ânesse
Eût une croix sur le dos !








Cette poésie est éditée séparément. — G. Ondet, éditeur