Contes et fables/Le Chien enragé

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Traduction par Ely Halpérine-Kaminsky.
Contes et fablesLibrairie Plon (p. 154-157).


LE CHIEN ENRAGÉ

HISTOIRE VRAIE


Un barine acheta un jeune chien et l’emporta chez lui dans la manche de sa pelisse.

La barinia s’éprit du petit chien et lui prodiguait les plus tendres soins.

On lui donna le nom de Droujok[1].

Il allait à la chasse avec son maître, gardait la maison et jouait avec les enfants du barine.

Un jour, un autre chien s’introduisit dans le jardin ; il courait droit devant lui, la queue baissée, la gueule ouverte, d’où s’échappait la bave.

Les enfants se trouvaient dans le jardin.

Le barine, apercevant ce chien, leur cria :

— Enfants ! rentrez vite à la maison ; c’est un chien enragé !

Les enfants entendirent l’ordre ; mais n’apercevant pas le chien, ils se mirent à courir dans sa direction.

Le chien allait se jeter sur un des enfants ; mais, au même moment, Droujok s’élança et mordit l’animal.

Les enfants se sauvèrent ; mais lorsque Droujok revint à la maison, il geignait, et son cou portait les traces d’une morsure. Dix jours après, Droujok devint sombre. Il ne buvait pas, ne mangeait pas, et, un jour, il mordit un jeune chien ; alors, on l’enferma dans une chambre noire. Les enfants, ne comprenant pas pourquoi l’on enfermait Droujok, allèrent, en cachette, voir ce que faisait le petit chien.

Ils ouvrirent la porte et l’appelèrent.

Droujok faillit les renverser en s’élançant dans la cour, puis il alla se cacher dans le jardin, sous un arbre.

Lorsque la barinia vit Droujok, elle l’appela ; mais le chien ne vint pas, n’agita pas sa queue, et ne la regarda même pas.

Son regard était trouble, et la bave sortait de sa gueule.

La barinia appela son mari :

— Viens vite ! on a laissé échapper Droujok, il est complètement enragé. Pour l’amour de Dieu, fais-le abattre !

Le barine apporta son fusil et s’approcha de Droujok ; puis, il l’ajusta, mais sa main tremblait. Il fit feu ; la balle, au lieu de l’atteindre à la tête, pénétra dans les reins.

Le chien hurla de douleur et se débattît. Le barine se baissa pour voir la blessure.

L’animal avait les reins tout ensanglantés et les pattes de derrière fracassées.

Droujok rampa vers son maître et lui lécha le pied.

Le barine tressaillit, fondit en larmes et s’éloigna rapidement.

On appela un chasseur qui acheva Droujok et l’emporta.



  1. Ami.