Contes populaires de Basse-Bretagne/La Princesse Enchantée

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II


LA PRINCESSE ENCHANTÉE
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IL y avait, une fois, trois jeunes gens, trois frères, qui habitaient un vieux manoir, avec leur mère, qui était veuve. Depuis la mort de leur père, on entendait, chaque nuit, du bruit, dans la chambre où il était décédé, et on ne savait quelle pouvait en être la cause. Personne n’osait coucher dans cette chambre, et la veuve parlait d’abandonner le manoir. Mais, avant de prendre cette détermination, elle réunit, un jour, ses enfants et leur parla de la sorte :

— Nous ne sommes plus riches, mes pauvres enfants, et ce serait un grand dommage pour nous, s’il nous fallait abandonner cette maison, pour aller habiter ailleurs. Je voudrais auparavant qu’un de vous eût la hardiesse d’aller passer une nuit, dans la chambre où l’on entend le bruit, afin de savoir ce qui en est la cause.

— Moi, j’y irai, ma mère, dit l’ainé, nommé Fanch.

Et, après souper, et les prières faites en commun, Fanch se rendit à la chambre. C’était au mois de décembre, et il fit un bon feu, dans la vaste cheminée, et il se mit à fumer sa pipe, en buvant un verre de cidre, de temps en temps.

Dix heures étaient sonnées, qu’il n’avait encore entendu aucun bruit, si ce n’est quelques rats trotter dans le grenier. Onze heures sonnèrent, et toujours rien. Il s’endormit, dans son fauteuil, près du feu. Vers minuit, sa mère et ses frères, qui étaient en bas, entendirent le vacarme ordinaire. Fanch dormait profondément et n’entendit rien.

Le lendemain matin, quand il descendit, sa mère courut l’embrasser en disant :

— Dieu soit loué ! Tu es donc encore en vie, mon pauvre enfant ?

— Mais oui, ma mère, comme vous voyez ; pourquoi me demandez-vous cela ?

— C’est qu’il y a eu, cette nuit, tant de bruit et de vacarme, là-haut, que nous craignions pour ta vie.

— Je n’ai rien vu ni entendu, ma mère.

— Est-ce possible ? Nous n’en avons pas pu dormir, un instant.

— Quant à moi, j’ai bien dormi.

La nuit suivante, ce fut le second fils, nommé Jean, qui voulut veiller, dans la chambre hantée.

Il lui arriva absolument comme à son aîné. Il s’endormit aussi, et n’entendit ni ne vit rien, bien que le vacarme allât encore bon train.

— C’est mon tour, dit alors le cadet, nommé Alanic.

Et, la nuit venue, il monta aussi à la chambre ; mais, il n’emporta pas de cidre et ne s’endormit point.

Vers minuit, comme il lisait tranquillement, près du feu, il lui sembla entendre marcher derrière lui. Il tourna la tête, et fut bien étonné de voir son père, comme quand il était en vie. Il eut d’abord peur, puis il s’enhardit et dit :

— C’est vous qui êtes là, mon père ?

— Oui, mon enfant, c’est moi, répondit-il tristement.

— Puis-je quelque chose pour vous, mon père ? Parlez, je suis prêt à vous servir, quoi que vous puissiez me demander.

— Hélas ! mon enfant, quand je vivais encore sur la terre, j'ai promis, étant malade sur mon lit, d’aller en pèlerinage à Saint-Jean-de-Galice, si je recouvrais la santé. Je guéris et n’allai point à Saint-Jacques-de-Galice, et maintenant, je suis dans le Purgatoire, et je n’en puis sortir, que lorsqu’un de mes enfants aura accompli pour moi le pèlerinage promis.

— Je le ferai, mon père, et je partirai dès demain matin, dit Alanic.

— La bénédiction de Dieu soit sur toi, mon fils ! répondit le fantôme, qui s’évanouit aussitôt[1].

Le lendemain matin, quand Alanic descendit, sa mère lui demanda ;

— Est-ce que, comme tes frères, tu n’as aussi rien entendu ni rien vu, mon fils ?

— Si, ma mère, répondit-il, j’ai entendu et j’ai vu.

— Quoi donc, mon fils ? Dis-moi, vite.

— J’ai vu mon père, comme quand il était en vie, et il m’a parlé, ma mère.

— Grand Dieu !... Et que t’a-t-il dit, mon enfant ?

— Il m’a dit que c’est lui qui fait, chaque nuit, le bruit que vous savez, et qu’il est dans le Purgatoire, et n’en sortira que lorsqu’un de ses enfants aura fait pour lui le pèlerinage de Saint-Jacques-de-Galice, qu’il avait promis de faire, étant gravement malade, et qu’il ne fit point, après sa guérison.

— Jésus mon Dieu !... Et que lui as-tu répondu, mon enfant ?

— Je lui ai répondu, ma mère, que je ferai le pèlerinage promis, à Saint-Jacques-de-Galice, et je veux me mettre en route aujourd’hui même.

— Nous t’accompagnerons, lui dirent ses deux aînés.

— Non, répondit-il, je veux être seul.

Et il prit son arc seulement et partit[2]. Il était bon tireur, et le gibier qu’il prenait suffisait à sa nourriture. Il avait fait vœu de ne s’arrêter dans aucune hôtellerie, pour manger ou pour dormir. Il marche et marche, mettant toujours un pied devant l’autre, et arrive à une grande forêt. Il y avait trois jours et trois nuits qu’il était dans cette forêt, sans pouvoir en sortir. Il arrive à un vieux château entouré de hautes murailles. Comme il considérait ce château et en cherchait la porte, un lièvre vint à passer près de lui. Il bande son arc, lance la flèche et abat le lièvre. Aussitôt un ramier passe au-dessus de sa tête, et il l’abat aussi à ses pieds.

— Voilà de quoi dîner, se dit-il.

Et, comme il s’apprêtait à ramasser son gibier, il vit tout à coup apparaître, à côté de lui, deux énormes géants. Cette vue le surprit et lui fit peur, un peu.

— Tu es un bon tireur, lui dit un des géants.

— On en peut trouver facilement de plus mauvais que moi, répondit-il.

— Ferais-tu d’un chat ce que tu as fait de ce lièvre et de ce pigeon ?

— Je pense que oui.

— Ce chat n’a qu’un œil, qui est au milieu du front, et il faudra le frapper dans cet œil, ou il te mettra en pièces.

— Alors, je préfère ne pas essayer.

— Si tu n’essaies pas, mon frère et moi nous te mettrons aussi à mort.

— Alors, j’essaierai. Où est le chat ?

— A midi juste, il paraîtra sur le mur du château et s’y promènera au soleil, pendant que sonneront les douze coups, et c’est dans cet intervalle que tu devras le tuer, sous peine d’être tué par lui.

— C’est bien !

Un moment après, frappa le premier coup de midi, et un grand chat blanc parut sur le mur et se mit à s’y promener, au soleil. Alanic tend son arc et vise ; la flèche part et le chat tombe du haut du mur, en criant : Miaou ! miaou !... d’une façon effrayante.

— C’est à merveille ! dit l’aîné des géants, et la princesse nous appartient, à présent. Cependant, il nous reste encore à pénétrer dans le château, ce qui n’est pas facile. Voici comment nous pourrons y arriver : Je vais m’adosser au nur, mon frère montera sur mes épaules, toi tu monteras sur les épaules de mon frère et atteindras ainsi le sommet, puis, tu descendras dans la tour par ce chêne qui est de l’autre côté et dont les branches touchent le mur, et alors tu nous ouvriras la porte.

Alanic pénétra, en effet, de cette façon, dans la cour du château. Mais, au moment où il allait ouvrir la porte, il aperçut, suspendu à un clou du mur, un beau sabre sur la lame duquel il lut ces mots :

« Celui qui pénétrera dans cette cour, et qui abattra avec moi les têtes des deux géants, deviendra le maître de ce château, où il trouvera de grands trésors. »

— C’est bien ! se dit Alanic, en s’emparant du sabre ; mais, je ne suis pas assez grand pour pouvoir frapper les géants à la tête ; comment faire ?

Il aperçut alors, au bas de la porte, un trou rond comme une chatière, et comme les géants qui criaient déjà : — « Ouvre-nous la porte, » il leur répondit :

— Je ne puis pas, je ne trouve pas la clef, mais, je vais, avec un sabre que je vois ici, agrandir la chatière, jusqu’à ce que vous puissiez passer par là.

Et il agrandit le trou et dit ensuite aux géants :

— Voyez si le trou est assez grand, à présent, et mettez-y la tête.

Et l’aîné des géants passa sa tête par la chatière. Alanic lui déchargea de toutes ses forces un coup de sabre sur la nuque, et la tête roula sur le pavé de la cour.

— En voilà toujours un, qui ne fera plus de mal à personne, se dit-il.

Et il se tint en silence près de la porte. L’autre géant, qui ne savait pas ce qui venait de se passer, criait à son frère :

— Passe donc, vite !

Et comme il ne bougeait pas, il le tira à lui, et quand il vit qu’il n’avait plus de tête, il poussa un cri épouvantable ; puis il tomba sur la porte à coups de poings et de pieds ; mais, la porte était solide et ne cédait pas. Alanic ne soufflait mot, de son côté ; si bien que le géant pensa qu’il s’était rendu près de la princesse, que le chat blanc retenait captive, dans le château. Il mit aussi la tête à la chatière, et Alanic l’abattit, comme celle de son frère.

— Voilà qui est fait ! dit-il ; voyons, à présent, ce qu’il y a dans le château.

Et il entra dans le château.

Dans une première salle, il vit une table toute servie. Il avait faim, et il but et mangea, sans que personne vînt le contrarier, ni qu’aucun être vivant se montrât. Au-dessus d’une porte, qui donnait sur cette salle, il lut ces mots :

« C’est dans la quatrième salle qu’est le plus beau trésor : quiconque pénétrera jusque-là et donnera un baiser à la princesse qu’il y verra couchée et endormie sur un lit, possédera le château, avec tout ce qu’il enferme, même la princesse. »

— Voyons, se dit Alanic, si nous pourrons aller jusqu’à cette quatrième salle.

Et il entra dans la seconde salle, où il vit des monceaux de pièces de monnaie d’argent, toutes neuves. Tout était d’argent, dans cette salle, jusqu’aux murs. Il remplit ses poches et songea d’abord à s’enfuir. Mais, il lut au-dessus d’une autre porte ces mots : « Encore plus beau ! » et il entra dans la troisième salle. Là tout était d’or, et il jeta les pièces d’argent qui remplissaient ses poches, et les remplaça par des pièces d’or, puis il songea encore à s’enfuir avec son or. Mais, ses yeux tombèrent sur cette inscription, au-dessus l’une quatrième porte : « Encore plus beau ! » et il se dit :

— Il faut que je voie tout, pendant que j’y suis ; c’est là, sans doute, qu’est la princesse.

Et il entra dans la quatrième salle, et resta immobile, la bouche ouverte, et comme pétrifié, à la vue de la merveille qui s’y trouvait. C’était une jeune princesse, belle comme le soleil béni de Dieu, quand il se lève, un beau jour de printemps, et qui sommeillait sur un lit en or massif, enchâssé de diamants et de perles. Il s’approcha d’elle, tout doucement et sur la pointe du pied, de peur de l’éveiller. Il posa un baiser sur une de ses mains, qui pendait hors du lit. Elle ne fit aucun mouvement. Il s’enhardit et se coucha à côté d’elle, et lui donna le baiser qu’il fallait. Elle s’éveilla alors, ouvrit peu à peu les yeux et lui sourit doucement, en disant : « Mon amour ! »

Mais Alanic, effrayé de son audace, sauta à bas du lit, et, dans son trouble, chaussa un de ses souliers et une des pantoufles de la princesse, et s’enfuit, au plus vite.

La princesse se leva aussi, et le poursuivit, à travers les salles, puis la cour, puis hors de la cour. Elle le perdit de vue, dans le bois sombre qui entourait le château, et en éprouva une grande douleur.

Sur la lisière du bois, était un grand chemin, par où passaient tous ceux qui se rendaient en Espagne. Elle se dit :

— Tôt ou tard, il passera par ce chemin, — car elle savait qu’il devait aller en Espagne.

Par son art magique, elle bâtit un château magnifique, au bord de la route, avec cette inscription, au-dessus de la porte principale :

« Ici l’on héberge gratuitement tous les passants, à la seule condition de dire à la maîtresse de la maison qui ils sont, d’où ils viennent, où ils vont, et enfin tout ce qui leur est arrivé d’extraordinaire, dans leurs voyages. »

Un jour, vers le coucher du soleil, Alanic arriva devant cette maison, en revenant de Saint-Jacques-de-Galice. Il était tout poudreux, exténué de fatigue, avait faim et point d’argent. Il lut l’inscription et s’écria :

— Dieu soit béni !

Il entra et fut bien accueilli par la princesse. Il ne la reconnut pas ; mais elle le reconnut, à première vue. Elle lui servit elle-même à manger et à boire et eut pour lui toutes les attentions possibles, ce qui l’étonna.

Quand il fut restauré et un peu remis de sa fatigue, il la regarda attentivement et eut un souvenir vague de l’avoir vue quelque part, mais, il ne pouvait se rappeler où. La princesse lui dit alors :

— Vous avez sans doute lu, jeune voyageur, l’inscription qui est au-dessus de la porte de ma maison.

— Oui, je l’ai lue, répondit Alanic, et je suis prêt à m’y conformer.

Et il raconta le motif de son départ de la maison paternelle, et son aventure du château du bois, mais, sans entrer dans tous les détails.

La princesse lui demanda :

— N’avez-vous pas aussi rencontré, dans une salle de ce château, une jeune princesse qui dormait sur un lit, et profitant de son sommeil, ne l’avez-vous pas embrassée ?

— Oui, répondit-il en rougissant.

— Reconnaîtriez-vous bien cette princesse, si vous la revoyiez ?

— Je pense que oui, dit-il, en la regardant plus attentivement.

— N’avez-vous rien emporté aussi du château ?

— Non..., si ce n’est pourtant une petite pantoufle d’or.

— Qu’avez-vous fait de cette pantoufle ?

— Je l’ai encore ; la voici !

Et, la tirant de sa poche, il la posa sur. la table.

— Moi aussi, dit la princesse, j’ai une pantoufle d’or, de tout point pareille à la vôtre.

Et elle posa sur la table une seconde pantoufle, absolument semblable à la première. Les deux faisaient la paire. Puis elle les chaussa, et elles lui allaient parfaitement. Et elle sauta au cou d’Alanic et l’embrassa, en disant :

— C'est vous qui m’avez délivrée, en tuant le chat blanc qui me retenait enchantée, dans son château, au milieu du bois, et en me donnant le baiser qui m’a réveillée et a rompu le charme. Vous serez désormais mon époux, et ce château vous appartient, avec tous les trésors qu’il renferme.

Alanic fit venir sa vieille mère et ses deux frères, et son mariage avec la princesse fut célébré, avec pompe et solennité, et il y eut, à cette occasion, de grands festins et des fêtes et des réjouissances publiques, pendant quinze jours entiers.

La trisaïeule de ma bisaïeule était employée dans la cuisine du château, et c’est grâce à elle que le souvenir s’est conservé dans ma famille de cette belle histoire et que j’ai pu vous la raconter

<poem> Sans mensonge aucun, Si ce n’est peut-être un mot ou deux[3].


Conté par François Flouriot, laboureur, de
Prat (Côtes-du-Nord). Septembre 1874.





  1. Tout ce début doit être une interpolation moderne, dans une fable entièrement payenne, à l’origine.
  2. Ici commence un autre conte, d’un tout autre caractère et entièrement payen. Les deux récits ont été réunis et confondus par le conteur populaire, comme cela se voit souvent, pour allonger son conte, et dans l’intention d’en augmenter l’intérêt. Je donne son récit tel que je l’ai recueilli.
  3. ... Hep lavaret gaou, Met marteze eur ger pe daou.