Contes populaires de Basse-Bretagne/La Princesse Marcassa

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V


LA PRINCESSE MARCASSA


ET L'OISEAU DRÉDAINE
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IL y avait, une fois, un roi de France, qui avait trois fils.

Les deux aînés étaient de beaux garçons, forts et vigoureux. Le cadet, au contraire, était malingre et maladif. Il ne quittait que rarement le coin du feu, et on l’avait, pour cette raison, surnommé Luduenn, c’est-à-dire Cendrillon. Le vieux roi était malade. Tous les médecins du royaume l’avaient visité, et ils ne pouvaient rien contre son mal.

Un magicien, qu’on avait fait venir aussi, dit que le roi ne guérirait que s’il pouvait toucher l’oiseau Drédaine[1], dans sa cage d’or.

— Où se trouve cet oiseau ? demanda le roi.

— Dans le château de la princesse Marcassa, au delà de la Mer-Rouge, et le château est entouré de trois hautes murailles, avec trois cours défendues par des géants hauts de sept pieds, et des dragons qui lancent du feu à sept lieues à la ronde.

— Et qui ira me chercher l’oiseau dans ce château ? demanda le roi, avec un soupir.

— Moi, mon père, dit son fils aîné.

Et il prend de l’argent et de l’or à discrétion, monte sur le meilleur cheval des écuries du palais, et part en disant : « Si, dans un an et un jour, je ne suis pas de retour, c’est que je ne serai plus en vie. »

Bien ! Il marche et marche, tant et si bien, qu’il arrive dans le pays des Saxons[2]. Il demande où est le château où se trouve l’oiseau Drédaine, et l’on sourit et l’on se moque de lui.

Il descend dans un hôtel où il trouve de jolies filles et de joyeux compagnons, et y reste aussi longtemps que dure son argent.

Voilà l’an et le jour accomphs, et, comme il ne revient pas, le second fils va trouver son père et lui dit :

— Voilà l’an et le jour passés, mon père, et mon frère aîné ne revient pas. Je veux aller à sa recherche et aussi à celle de l’oiseau Drédaine, qui, seul, peut vous rendre la santé.

Et il part, emportant beaucoup d’argent et d’or. Il arrive au même hôtel que son aîné et v reste avec lui, menant le même train.

L’an et le jour se passent, et, comme il ne revient pas, Luduenn va trouver son père, dont l’état empirait chaque jour, et lui dit qu’il veut partir aussi à la recherche de ses deux aînés et de l’oiseau Drédaine.

— Toi aussi, mon enfant, répond le vieillard ; reste à la maison, pour me fermer les yeux, car tu ne réussiras jamais dans cette entreprise, puisque tes deux frères y ont échoué.

Luduenn persiste à vouloir partir. Son père lui donne un peu d’argent, mais beaucoup moins qu’aux autres. Il se rend aux écuries du palais, prend un dromadaire, qui faisait sept lieues à l’heure, et part.

Il arrive à la ville où s’étaient arrêtés ses deux aînés, et demande où est le château dans lequel se trouve l’oiseau Drédaine. On lui répond que personne n’en a jamais entendu parler, si ce n’est à deux jeunes princes étrangers, qui sont depuis quelque temps dans la ville et y mènent joyeuse vie. Il demande à les voir. On le conduit à l’hôtel, et il reconnaît ses deux frères et se réjouit de voir qu’ils sont encore en vie. Ils lui enlèvent son argent, puis le renvoient.

Le pauvre Luduenn continue sa route, le cœur gros d’être ainsi traité par ses frères.

Grâce à son dromadaire, il fait beaucoup de chemin, en peu de temps.

La nuit le surprend dans un grand bois. Il fait sombre et il entend de tous côtés les cris des bêtes fauves. Il monte sur un arbre et aperçoit une petite lumière, au loin. Il descend, se dirige vers cette lumière, et arrive à une pauvre hutte de branchages et d’herbes sèches. Il y trouve une petite vieille et lui demande à loger pour la nuit.

— Je ne puis vous loger, mon enfant, lui répond-elle, je n’ai pas de lit à vous donner.

— Je coucherai sur la pierre du foyer, grand’-mère.

— Eh bien, entrez alors, car j’ai pitié de votre situation.

Luduenn attacha son dromadaire à un poteau et entra.

— Comme ça sent mauvais ici ! dit-il, en portant la main à son nez.

— Oui, c’est mon pauvre mari, mort depuis huit jours, et dont le corps est encore là, qui en est cause.

— Pourquoi ne le faites-vous pas enterrer ?

— Hélas ! mon enfant, je n’ai pas d’argent, et notre recteur ne fait rien que pour de l’argent.

— Combien demande-t-il ?

— Un écu, et je n’en ai pas le premier sou.

— Je ne suis pas riche, mais, demain matin je ferai enterrer votre mari, grand’mère

Le lendemain matin, il alla trouver le recteur et lui dit :

— Voici l’écu que vous demandez pour enterrer le mari de la pauvre vieille femme du bois; et enterrez-le tout de suite.

Le cadavre fut enterré, et Luduenn et la vieille formaient seuls le convoi.

Luduenn se remit aussitôt en route, à la grâce de Dieu. En traversant une grande plaine aride Il remarqua qu’il était suivi d’assez près par un renard blanc.

— Pourquoi donc cet animal me suit-il ainsi ? se demanda-t-il.

A l’extrémité de la plaine, le renard lui parla de la sorte, à son grand étonnement :

— Vous cherchez l’oiseau Drédaine ?

— Oui, vraiment, chère bête du bon Dieu-est-ce que vous pourriez m’en donner des nouvelles ?

— Oui : vous n’en êtes plus loin ; voyez-vous ce château, là-haut, sur la montagne ? C’est là qu’il se trouve, et voici comment vous devez vous comporter pour vous en emparer. Le château est précédé de trois cours, ceintes de hautes murailles, et qu’il vous faudra traverser. La première est pleine de serpents, crapauds et autres reptiles venimeux ; dans la seconde, il y a des serpents et des tigres, et dans la troisième, des serpents et des géants, qui défendent l’accès du château. Tout cela dort profondément, de onze heures jusqu’au dernier coup de midi, étendu pêle-mêle sur le sol, et la langue hors de la gueule. Vous pourrez vous avancer parmi eux et même marcher sur leurs corps, sans crainte de les voir s’éveiller, avant le dernier coup de midi. Une fois dans le château, vous traverserez, sans aucune difficulté, trois belles chambres, et dans une quatrième (je ne vous dis rien de ce que vous verrez dans les trois premières), vous verrez l’oiseau Drédaine, dans sa cage d’or, suspendue au plafond par trois chaînes d’or. Il dormira aussi. Près de là, un sabre sera appendu à un clou d’or au mur. Vous prendrez le sabre, en trancherez les trois chaînes et emporterez l’oiseau, dans sa cage. Mais, n’oubliez pas que tout cela devra être fait avant le dernier coup de midi, sinon les portes se refermeront sur vous, et vous n’en reviendrez jamais.

Luduenn remercia le renard de ses conseils, s’arma de courage et se remit en route.

Il arrive au château, comme onze heures sonnaient, et trouve la porte de la première cour ouverte. Il en franchit le seuil et voit le sol jonché d’énormes serpents et d’autres reptiles hideux ; dans la seconde et la troisième cours, le cœur faillit lui manquer, à la vue des monstres qui l’environnaient de tous côtés et exhalaient une odeur nauséabonde et suffocante. Enfin, il pénètre malgré tout dans le château. Il traverse une première salle, sans apercevoir aucun être vivant. Mais, il trouve une miche de pain blanc sur une table et, comme il a faim, il en coupe un bon morceau et le mange. Il s’étonne de voir que la miche ne diminue pas, quand on en coupe, et il la met dans sa poche, en se disant : — Cela pourra me servir, dans mes voyages.

Il pénètre dans la seconde salle, et voit un pot de vin sur une table, avec un verre à côté : — A merveille ! se dit-il. Et il boit un verre, puis deux, puis trois, sans que le vin diminue, aussi, dans le pot. Il le met dans sa poche avec le pain, et pénétre dans la troisième salle. Là, il tomba en extase, la bouche ouverte, à la vue d’une princesse, belle comme le jour, étendue sur un lit de pourpre et dormant profondément. Le vin qu’il avait bu l’avait enhardi et fait monter le sang à la tête, et il ôta ses souliers et baisa la princesse, sans qu’elle s’éveillât.

Il ne perdit pourtant pas de vue les conseils du Renard et pénétra dans la quatrième salle.

Là, il voit l’oiseau Drédaine, qui dort, dans sa cage d’or suspendue au plafond par quatre chaînes d’or. Il aperçoit le sabre, appendu au mur, et sur la lame duquel on lisait ces mots : « Celui qui me possède peut tuer dix mille hommes, en frappant du fil de la lame, et couper tout ce qu’il lui plaira, en frappant du revers. » — C’est bon ! dit-il. Et il saisit le sabre, coupe les trois chaînes d’or, de trois coups bien assénés : Dreim ! dreim ! dreim !... et s’enfuit avec l’oiseau et la cage, sans oublier le sabre. Il passe en courant sur les corps des serpents et des géants, qui dorment toujours, la langue hors de la gueule, et, comme il franchissait le seuil de la première cour, le premier coup de midi sonnait. — Tout va bien, jusqu’à présent, se dit-il. Et il monta sur son dromadaire, qui l’attendait à la porte, et partit avec la rapidité de l’ouragan.

Oiiand la princesse, les géants et les serpents et les autres reptiles s’éveillèrent, au dernier coup de midi, ils connurent aussitôt que l’oiseau avait été volé ; les serpents se mirent à vomir du feu, et les géants partirent à la poursuite du voleur. Les poils du dromadaire et les cheveux de Luduenn en furent brûlés. Mais, le dromadaire allait bon train, guidé par le Renard blanc, qui courait devant lui, et ils atteignirent les limites du domaine du magicien du château d’or, au-delà desquelles il n’avait plus aucun pouvoir. Ils étaient sauvés. Le renard blanc disparut alors, et Luduenn continua tranquillement sa route.

À l’extrémité de la grande plaine aride et désolée qu’il venait de traverser, il trouva un bel hôtel, au bord de la route, et y entra pour manger un peu et se reposer. Il demanda de tout ce qu’il y avait de meilleur dans l’hôtel. Le pain ne lui convient pas. Il demande le maître d’hôtel et lui dit :

— Votre pain ne vaut rien.

— Il n’y en a pas de meilleur, dans le pays, répond-il, et c’est celui dont mange le roi lui-même.

Luduenn tire de sa poche la miche qu’il a emportée du château d’or, en disant : — J’en ai de meilleur, moi ! Il en coupe un morceau et le présente au maître d’hôtel.

— Goûtez-moi cela, et dites-moi ce que vous en pensez.

Il goûte et trouve le pain si délicieux, qu’il en demande un autre morceau. Luduenn lui en coupe un autre et lui fait remarquer que sa miche ne diminue pas. — Si vous aviez du pain comme cela, lui dit-il, vous feriez vite fortune.

— C’est vrai ; où pourrai-je en trouver un semblable ? demanda l’hôtelier.

— Oh ! nulle part ; il est unique au monde.

— Si vous vouliez me le vendre, alors, je vous le payerais bien.

— Que voulez-vous m’en donner ?

— Cent écus.

— Donnez les cent écus et il est à vous, à la condition pourtant que vous le rendrez à qui il appartient, la princesse du château d’or, si jamais elle vient vous le réclamer.

L’hôtelier accepta, pensant bien que le pain ne serait jamais réclamé par la princesse du château d’or.

Luduenn se remit en route. Il s’arrêta, vers le coucher du soleil, dans une seconde hôtellerie, au bord de la route, et vendit aussi à son hôte, pour deux cents écus, le pot de vin inépuisable qu’il avait emporté du château d’or. Puis, il marcha et marcha, et arriva enfin au pays des Saxons. Il va chercher ses frères à l’hôtel où il les avait laissés. On lui en donne de mauvaises nouvelles. Après avoir follement dépensé tout leur argent, ils s’étaient faits voleurs. Ils avaient été pris et enfermés en prison, en attendant qu’on les mît à mort.

Mais, le roi avait une guerre terrible avec l’empereur de Russie, et il avait fort à faire et ne songeait plus à ses prisonniers.

Luduenn résolut d’aller trouver le roi pour lui offrir ses services.

Le portier voulut l’arrêter, à la porte du palais. Mais, il lui montra son sabre et passa. Il pénètre jusqu’au roi et lui montre aussi son sabre, en fait connaître toute la puissance et lui promet son secours contre ses ennemis, s’il veut remettre ses frères en liberté.

Le roi accepte, et les deux princes sont rendus à la liberté. Luduenn marche alors contre les Russes, à la tête de l’armée, et, grâce à son sabre, dont la vue seule suffit pour mettre en déroute les meilleurs soldats, il remporte une victoire complète.

Comme ses frères avaient des dettes partout, mais principalement à leur hôtel, pour les payer, Luduenn vendit son sabre au maître de l’hôtel, et toujours à la condition de le rendre à son propriétaire, la princesse du château d’or, si elle venait elle-même le réclamer.

Les trois frères partirent alors, pour retourner en France, et avec eux l’oiseau Drédaine, dans sa cage d’or. Luduenn portait toujours la cage et ne s’en désaisissait jamais. Ses deux aînés étaient jaloux de son succès et complotèrent de se défaire de lui, afin de s’emparer de l’oiseau et de le présenter à leur père comme leur propre conquête. Comme ils passaient près d’un puits profond, au bord de la route, ils se penchèrent sur l’ouverture et s’écrièrent :

— Oh ! la jolie fleur que voilà ! Viens voir, Luduenn, tu n’as jamais rien vu de semblable.

Luduenn déposa sa cage à terre et accourut et se pencha aussi sur l’ouverture du puits. Mais, les deux autres le prirent par les pieds et le précipitèrent dedans, puis ils partirent, emmenant l’oiseau, dans sa cage d’or, et le dromadaire.

Quand ils arrivèrent chez leur père, le vieux roi était bien bas. Il se ranima un peu, à la nouvelle de l’arrivée de l’oiseau merveilleux, qui devait lui rendre la santé, et il y eut, à cette occasion, des fêtes et des festins.

Cependant l’oiseau était tout triste, et quand on le portait dans la chambre du roi, il s’emportait, poussait des cris terribles et ne voulait pas se laisser toucher par lui. Le vieux monarque s’affaiblissait chaque jour, et l’on était très inquiet, autour de lui.

Mais occupons-nous, à présent, de Luduenn, et voyons ce qu’il devient, dans son puits.

Heureusement que l’eau n’y était pas profonde. Le Renard blanc ne tarda pas à lui venir aussi en aide. Il descendit dans le précipice sa queue, qui s’allongea jusqu’à atteindre l’eau, puis il dit à Luduenn de la tenir ferme, et il le retira ainsi du puits. Il lui parla alors de la sorte :

— Tu vas continuer ta route, pour t’en retourner auprès de ton père, où tu arriveras, à présent, sans difficulté. Tu rencontreras, à peu de distance d’ici, un vieux mendiant à qui tu donneras tout ce que tu as d’argent sur toi. Tu échangeras aussi tes habits contre les siens et te présenteras ainsi chez ton père, où tu demanderas un emploi quelconque, le plus humble possible. Ne t’inquiète pas du reste, tout ira bien, et les méchants seront traités comme ils le méritent. Te souviens-tu d’avoir logé, une nuit, dans la misérable hutte d’une pauvre femme où pourrissait le corps de son mari défunt, parce qu’elle n’avait pas d’argent pour le faire enterrer, et d’avoir payé les frais de sépulture ?

— Oui, je me le rappelle fort bien.

— Eh bien ! je suis l’âme de ce pauvre homme à qui tu as fait rendre les derniers devoirs, de tes propres deniers, et je suis venu, sous cette forme, te payer ma dette de reconnaissance. A présent, je te dis adieu, car tu ne me reverras plus, dans ce monde.

Et le Renard disparut alors.

Luduenn continua sa route et rencontra bientôt le vieux mendiant qu’on lui avait annoncé. Il lui donna tout son argent, et échangea ses habits contre ses guenilles. Il marche et marche, sans se décourager, et finit par arriver au palais de son père. Son frère aîné, qui était dans la cour, quand il y entra, dit : — Qu’on l’envoie garder les pourceaux ! — Ce qui fut fait. Peu après, il devint garçon d’écurie, et, comme il soignait bien ses chevaux, ils devinrent gras et luisants et pleins d’ardeur. Le roi était très content de ses services et parlait souvent de lui. Aussi, ses frères, qui l’avaient reconnu, cherchaient-ils le moyen de se débarrasser de lui. Ils conseillèrent à leur père de l’envoyer porter sa nourriture à l’oiseau Drédaine. L’oiseau était de si mauvaise humeur, depuis son arrivée au palais, qu’il mordait tous ceux qui l’approchaient. Mais, quand il vit Luduenn, il se mit à chanter et à battre des ailes, en signe de joie. Luduenn le prit sur son doigt et alla avec lui dans la chambre du roi, qui se trouva mieux, dès qu’il l’entendit chanter. Mais, pour être tout à fait guéri, il lui fallait coucher avec la princesse Marcassa.

La princesse avait eu un fils, un enfant superbe, neuf mois après la visite que lui avait faite Luduenn, dans son château d’or. Un jour, l’enfant demanda à sa mère qui était son père, et elle lui répondit qu’elle ne le savait pas elle-même.

— Je veux aller à la recherche de mon père, reprit l’enfant, et je ne m’arrêterai que lorsque je l’aurai trouvé.

Et il part, et sa mère l’accompagne.

Ils s’arrêtent, pour se restaurer, dans l’hôtellerie où Luduenn avait laissé son pain qui ne diminuait pas quand on en coupait. On leur sert ce pain. La princesse reconnaît à ce signe que Luduenn a passé par là.

— Donnez-moi ce pain, dit-elle à l’hôtelier.

— Je ne le donnerai pour rien au monde, répondit-il, si ce n’est pourtant à la Princesse au château d’or, si elle me le réclame, quelque jour.

— Je suis la Princesse au château d’or et le pain m’appartient et je l’emporte.

Et elle le mit dans sa poche. L’hôtelier, du reste, avait déjà fait sa fortune avec lui.

La princesse et son fils se remirent en route, et arrivèrent à la seconde hôtellerie où s’était arrêté Luduenn. Ils s’y arrêtèrent aussi, y trouvèrent le pot à vin inépuisable, laissé par lui, et l’emportèrent encore.

Ils arrivèrent alors au pays des Saxons et descendirent à l’hôtel où Luduenn avait laissé son sabre enchanté. Ils l’emportèrent aussi.

— Courage, mon fils, dit la princesse à l’enfant, nous approchons de ton père.

Ils continuèrent leur route et arrivèrent en France, à Paris.

La princesse se fait annoncer au palais du roi. Grande est la joie du vieux monarque, à cette nouvelle, et, quoique malade, il vient au-devant d’elle, dans la cour, et lui offre la main pour descendre de son carrosse doré.

— Je ne descendrai, dit-elle, de mon carrosse, que lorsque celui qui a enlevé l’oiseau Drédaine de mon château viendra me présenter la main,

— C’est moi ! dit le fils aîné, en s’avançant,

— Dites-moi, alors, comment mon château est gardé.

Et comme il ne répondait autre chose sinon que le château était entouré de hautes murailles, la princesse lui dit :

— Ce n’est pas vous ! retirez-vous.

— C’est moi ! dit aussi le puîné, en s’avançant.

— Comment est gardé mon château ? lui demanda aussi la princesse.

Et comme il ne répondait pas mieux que l’autre :

— Ce n’est pas vous non plus ; éloignez-vous. Qu’on m’amène l’homme qui a enlevé l’oiseau Drédaine de mon château, ou je m’en vais.

Luduenn s’avança alors, avec ses habits de valet d’écurie et dit :

— C’est moi, princesse.

— Dites-moi comment mon château est gardé.

— Votre château, princesse, est entouré de trois hautes murailles et précédé de trois cours. Dans la première cour, il y a des serpents et toutes sortes de reptiles venimeux ; dans la seconde, il y a encore des serpents et des tigres et des lions ; et dans la troisième, des serpents et des géants énormes, et ils lancent du feu à sept lieues à la ronde.

— Vous savez quelque chose, vous, lui dit la princesse ; mais après ?

— Toutes ces bêtes et ces monstres, reprit Luduenn, dorment profondément, étendus sur le pavé des cours, de onze heures à midi, et j’ai profité de ce moment pour passer au milieu d’eux, sans mal. Dans la première salle du château, j’ai trouvé un pain qui ne diminuait pas pour en couper ; j’en ai mangé et je l’ai emporté ; dans la seconde salle, il y avait un pot rempli de vin et qui ne diminuait pas non plus pour en boire ; j’en ai bu et je l’ai aussi emporté ; dans la troisième salle, j’ai vu une princesse, belle comme le jour, qui dormait profondément, sur un lit d’or et de pourpre.

— Et qu’avez-vous fait alors ? demanda la princesse.

— Après l’avoir contemplée, pendant quelque temps, bouche béante, comme le vin m’avait un peu porté à la tête, j’étais audacieux et je me couchai à côté d’elle, dans son lit, et lui donnai un baiser.

— C’est bien cela, dit la princesse, et voici votre fils ! — et elle lui montra son enfant ; — mais continuez.

— Je passai ensuite dans une quatrième salle, où était l’oiseau Drédaine, qui dormait aussi, dans sa cage d’or, suspendue au plafond par quatre chaînes d’or. Je vis appendu au mur, à un clou d’or, un sabre que je saisis et avec lequel je coupai les chaînes qui retenaient la cage. Alors, je m’enfuis, au plus vite, emportant l’oiseau, le sabre, le pot à vin et le pain.

— Et où sont-ils ? demanda la princesse.

— L’oiseau est ici ; quant au pain, au pot à vin et au sabre, je les ai laissés dans les hôtelleries où j’ai logé, sur la route.

— Je les y ai retrouvés et les ai rapportés, dit la princesse ; mais, l’oiseau, qu’on me montre l’oiseau.

Luduenn alla chercher l’oiseau, dans sa cage d’or.

A la vue de la princesse, il se mit à battre des ailes, en signe de joie, et à chanter si harmonieusement et si fort, que tous les échos du palais en retentissaient et tous les cœurs étaient réjouis, — sauf ceux des deux frères aînés, cependant.

La princesse le retira de sa cage, le prit sur son doigt et le présenta au roi en lui disant de le caresser de la main.

L’oiseau, si intraitable jusqu’alors, se laissa toucher et caresser par le vieux roi, qui aussitôt se trouva complètement guéri et rajeuni.

Alors la princesse raconta, devant toute la cour réunie, la trahison dont Luduenn avait été victime de la part de ses deux aînés, et demanda que ceux-ci fussent traités comme ils le méritaient.

Le vieux monarque, furieux, s’écria :

— Qu’on fasse chauffer un four et qu’on les y jette !

Ce qui fut fait.

Luduenn fut ensuite marié à la princesse Marcassa, et il y eut, à cette occasion, des fêtes magnifiques et des festins continuels, où le vieux roi s’oublia, dit-on, et mourut d’indigestion.

Luduenn fut alors couronné roi, à sa place.


Conté par Marie Manac’h, servante, de Plougasnou.
— Mars 1875.


Ce conte, qui pourrait aussi bien rentrer dans le cycle de la Princesse aux Cheveux d’Or, a des ressemblances frappantes avec un conte slave publié par M. Alexandre Chodzko, sous le nom de Ohnivak ou l’Oiseau de feu, dans son très intéressant recueil : Contes des paysans et des pâtres Slaves.




  1. Ce nom doit être altéré, mais je ne vois pas bien quelle pouvait en être la forme première.
  2. Bro-Saoz, pays des Saxons, c'est le nom que les Bretons donnent à l’Angleterre, dans leur langue.