Contes populaires de Basse-Bretagne/Le Berger qui eut la Fille du Roi

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VIII


LE BERGER


QUI EUT LA FILLE DU ROI POUR UNE PAROLE
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IL y avait une fois un roi, qui prétendait qu'il n’avait jamais fait un mensonge ; et comme il entendait souvent les gens de sa cour qui se disaient :

— Ce n’est pas vrai ! Vous êtes un menteur ! cela lui déplaisait beaucoup.

Si bien qu’il dit un jour :

— Vous m’étonnez et me faites de la peine. L’étranger qui vous entendrait croirait facilement que je suis le roi des menteurs. Je veux que cela cesse. Vous ne m’entendez jamais parler de cette façon, et je donnerais volontiers la main de ma fille à celui qui me surprendrait disant à qui que ce soit :

— « Ce n’est pas vrai ! » ou : — « Vous mentez ! »

Un jeune pâtre, qui avait aussi entendu ces paroles du roi, se dit en lui-même :

— C’est bien !... J’aurai la fille du roi, s’il est homme de parole !...

Le vieux monarque aimait à entendre chanter des gwerziou et des soniou, et conter des contes merveilleux et plaisants, et souvent, le soir, après souper, il venait s’asseoir au large foyer de la cuisine, et prenait plaisir aux conversations, aux chants et aux récits de toute sorte des gens de sa maison. Là, chacun chantait ou contait quelque chose, à son tour.

— Et toi, petit, tu ne sais donc rien, dit le roi, un soir, au jeune pâtre dont il a été parlé plus haut.

— Si fait, sire, répondit le jeune homme.

— Voyons donc ce que tu sais. Et le pâtre commença ainsi :

— Un jour, que je passais par un bois, je vis un superbe lièvre. Il courait sur moi, comme s’il ne me voyait pas. J’avais à la main une boule de poix. Je la lui lançai et l’atteignis au front, où elle se colla. Le lièvre continua de courir et alla donner du front contre le front d’un autre lièvre, qui venait à l’encontre de lui, si bien qu’ils collèrent l’un contre l’autre, sans pouvoir se dégager, et je les pris facilement tous les deux. Comment trouvez-vous cela, sire ?

— C’est fort, répondit le roi, mais possible, après tout : que nous diras-tu encore ?

— Avant de venir à votre cour comme pâtre, sire, j’étais garçon meunier, au moulin de mon père. Un jour, je chargeai tellement mon âne, qu’il se brisa l’échine.

— La pauvre bête ! s’écria le roi.

— J’allai à une haie voisine, reprit le pâtre, et j’y coupai avec mon couteau un bâton de coudrier, que je lui introduisis dans le corps, pour lui servir d’échine. Il se releva alors, et porta allègrement sa charge au moulin.

— C’est fort, ça, dit le roi, mais après ?

— Le lendemain matin, je fus bien étonné (c’était au mois de décembre) de voir que, pendant la nuit, il avait poussé, sur le bout du bâton qui était resté dehors, des branches, des feuilles et même des noisettes, et quand je sortis mon âne de l’écurie, les branches continuèrent de pousser, à vue d’œil, et s’élevèrent si haut, si haut, qu’elles allaient jusqu’au ciel.

— C’est bien fort, cela, dit le roi, mais après ?

— Ma foi, voyant cela, je me mis à y grimper, de branche en branche, tant et si bien que j’arrivai dans la lune.

— C’est très fort, cela, dit le roi, mais après ?

— Arrivé dans la lune, j’y remarquai des vieilles femmes qui vannaient de l’avoine, et je les regardai longtemps. Quand je voulus redescendre sur la terre, je ne retrouvai plus mon coudrier, car l’âne s’en était allé ailleurs. Comment faire ? Je me mis à nouer ensemble des pelures d’avoine, et je fis ainsi une corde pour descendre.

— Très fort ! dit le roi, mais après ?

— Hélas ! ma corde n’était pas assez longue, de sorte que, arrivé au bout, il me fallut me laisser choir, et je tombai, la tête la première, sur un rocher à fleur de terre, et m’enfonçai jusqu’aux épaules.

— Très fort, dit le roi, et après ?

— Je me démenai si bien, que mon corps se détacha de ma tête, laquelle resta engagée dans le rocher, et je courus chercher un levier de fer, pour l’en dégager.

— Très fort ! très fort ! dit le roi, mais après ?

— Quand je revins avec mon levier de fer, un énorme loup était occupé à manger ma tête. Je lui déchargeai sur le dos un coup si violent, de mon bâton de fer, que je l’aplatis, et une lettre lui jaillit du derrière.

— Très fort ! très fort ! dit le roi, mais qu’y avait-il d’écrit sur cette lettre ?

— Sur cette lettre, sire, il était écrit que votre grand-père avait été, autrefois, garçon meunier chez mon grand-père.

— Tu en as menti par la gorge, fils de p... ! écria le roi, en se levant.

— Holà, sire, j’ai gagné, et votre fille est à moi ! dit le pâtre.

Comment cela ? Que veux-tu dire ? demanda le roi.

— N’avez-vous pas dit, sire, que vous donneriez la main de votre fille au premier qui vous surprendrait disant à quelqu’un : — « Tu as menti ! »

— C’est vrai ! un roi ne doit avoir qu’une parole, et jamais aller contre elle. Ma fille est à toi ; les fiançailles auront lieu demain, et les noces, dans la huitaine.

Et voilà comment le pâtre obtint la main de la fille du roi, pour une seule parole.


Plouaret, 1872.