Contes populaires de Basse-Bretagne/Le Chat et les Deux Sorcières

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III


LE CHAT ET LES DEUX SORCIÈRES
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IL y avait une fois une jeune fille sage et jolie, qui avait une marâtre, laquelle ne lui voulait aucun bien. Elle se nommait Annaïc. Son père l’aimait, mais sa femme faisait tout ce qu’elle pouvait pour l’amener à la détester aussi. Elle alla, un jour, trouver sa sœur, qui était sorcière, et lui demanda conseil pour se débarrasser d’Annaïc.

— Dis à son père, répondit la sorcière, qu’elle mène une vie scandaleuse, et il la renverra.

Mais, le père ne voulut rien croire de tout le mal qu’on lui disait de sa fille, et la marâtre retourna consulter sa sœur la sorcière.

— Eh bien ! lui dit celle-ci, voici un gâteau de ma façon, que vous ferez manger à la jeune fille ; dès qu’elle l’aura mangé, son ventre gonflera, comme celui d’une femme enceinte, et alors le père sera obligé de croire ce que vous lui direz de la mauvaise conduite de sa fille.

La méchante s’en retourna avec le gâteau de la sorcière, et dit à Annaïc, en le lui présentant :

— Tenez, mon enfant, mangez ce gâteau de miel, que j’ai fait moi-même exprès pour vous.

Annaïc prit le gâteau et le mangea, sans défiance et avec plaisir, persuadée que c’était enfin une marque d’affection de sa marâtre. Mais, peu après, son ventre se gonfla tellement que tous ceux qui la voyaient la croyaient enceinte, et la pauvre fille en était tout honteuse et ne savait qu’en penser.

— Je vous avais averti, disait alors la marâtre triomphante au père, que votre fille se conduisait mal ; voyez dans quel état elle est !

Alors, le père mit Annaïc dans un tonneau, et l’exposa sur la mer, à la grâce de Dieu. Le tonneau alla se briser sur des rochers. Annaïc en sortit, sans mal, et se trouva dans une île aride et qu’elle crut déserte. Elle se retira dans une grotte souterraine, creusée dans la falaise, et fut étonnée d’y trouver une petite chambre, toute meublée, avec un lit, quelques vases de terre grossiers, et du feu au foyer. Elle pensa qu’elle devait être habitée ; mais, après avoir attendu longtemps, comme personne ne se montrait, elle se coucha dans le lit et dormit tranquille.

Le lendemain matin, en s’éveiilant, elle se trouva encore seule. Elle se leva et alla chercher des coquillages, parmi les rochers, pour son déjeûner ; puis, toute la journée, elle parcourut l’île et n’y rencontra aucune habitation ni aucun être humain. Le soir, elle rentra dans sa grotte et y dormit encore, tranquille ; et ainsi de suite, les jours suivants.

Quand le temps fut venu, elle accoucha d’un... petit chat. Grande fut sa douleur, quand elle vit l’être à qui elle avait donné le jour ; mais, elle finit par se résigner, en disant :

— Puisque c’est la volonté de Dieu !

Et elle éleva et soigna son petit chat, comme elle l’aurait fait d’un enfant.

Un jour, qu’elle se plaignait de son sort et pleurait, elle fut bien étonnée d’entendre le chat prendre la parole, dans le langage des hommes, et lui parler de la sorte :

— Consolez-vous, ma mère, j’aurai soin de vous, à mon tour, et je ne vous laisserai manquer de rien, ici.

Et le chat prit un sac, qui se trouvait dans un coin de la grotte, le mit sur son épaule et sortit. Il parcourut toute l’ile, et découvrit un château et y entra. Les habitants du château furent bien étonnés de voir un chat qui marchait droit sur ses deux pieds de derrière et portait un sac sur l’épaule, comme un homme. Il demanda du pain, de la viande et du vin, et on n’osa pas le refuser, tant la chose paraissait étrange. On lui remplit son sac, et il s’en alla. Il revint ensuite, tous les deux jours, au château, et chaque fois, il s’en retournait avec son sac plein, de façon que sa mère ne manquait de rien, dans sa grotte.

Un jour, le fils du château eut une querelle, dans un pardon, y perdit ses papiers et fut mis en prison. Tout le monde était désolé, au château, et quand le chat y vint, selon son habitude, il demanda la cause de la tristesse et de la douleur qu’il remarqua. On la lui fit connaître ; puis, on lui remplit son sac, comme d’ordinaire, et il s’en retourna. En arrivant à la grotte, il dit à sa mère :

— La tristesse et la désolation règnent au château.

— Qu’y est-il donc arrivé ?

— Le jeune seigneur a eu une querelle, dans un pardon ; il y a perdu ses papiers, et on l’a mis en prison ; mais, j’irai le trouver, demain, dans sa prison, et je lui dirai que, s’il veut épouser ma mère, je retrouverai ses papiers et les lui rendrai.

— Comment peux-tu croire qu’il consente jamais à me prendre pour sa femme, mon enfant ?

— Peut-être, mère ; laissez-moi faire.

Le lendemain, le chat se rendit donc à la prison et demanda à parler au jeune seigneur. Mais, le geôlier prit son balai, pour le chasser. Le chat lui sauta à la figure et lui arracha un œil, puis, il grimpa sur le mur et entra par la fenêtre dans la prison et dit au prisonnier :

— Mon bon seigneur, vous nous avez nourris, ma mère et moi, depuis que nous sommes dans votre île, et, en reconnaissance de ce service, je vous retirerai de prison et vous ferai retrouver vos papiers, si vous voulez me promettre d’épouser ma mère.

— Comment, pauvre bête, vous parlez donc aussi ? demanda le jeune seigneur, étonné.

— Oui, je parle aussi, et je ne suis pas ce que vous croyez ; mais, dites-moi, voulez-vous épouser ma mère ?

— Épouser une chatte, moi, un chrétien ! Comment pouvez-vous me faire une pareille proposition ?

— Épousez ma mère, et vous ne le regretterez pas, c’est moi qui vous le dis. Je vous laisse jusqu’à demain pour y réfléchir ; je reviendrai demain.

Et il s’en alla.

Le lendemain, il revint, muni des papiers du jeune seigneur, et lui dit, en les lui montrant :

— Voici vos papiers ; promettez-moi d’épouser ma mère, et je vous les rendrai, et de plus, je vous ferai remettre en liberté, sur-le-champ.

Le prisonnier promit, et il fut rendu à la liberté.

La mère du chat avait pour marraine une sorcière, qui connaissait bien leur situation. Elle vint la trouver, en l’absence du chat, et lui parla de la sorte :

— Ses papiers ont été rendus au jeune seigneur, qui a promis de vous épouser. Quand le chat rentrera, prenez un couteau et ouvrez-lui le ventre, sans hésiter, car aussitôt il deviendra un beau prince, et vous-même, vous deviendrez une princesse, d’une beauté merveilleuse. Alors, vous épouserez le jeune seigneur, et moi, je vous enverrai cinquante beaux chevaliers, pour vous faire cortège, le jour des noces.

Quand le chat rentra, sa mère lui ouvrit le ventre. Aussitôt un beau prince, magnifiquement paré, sortit de sa peau, et elle-même devint une princesse, d’une beauté merveilleuse. Les cinquante chevaliers arrivèrent aussi, et un beau carrosse tout doré descendit du ciel. Le prince et la princesse y montèrent, et se rendirent au château, accompagnés des cinquante chevaliers.

Le jeune seigneur, qui était à sa fenêtre, fut fort étonné de voir arriver un tel équipage, qu’il ne connaissait point. Il s’empressa de descendre, pour le recevoir. Le prince s’avança à sa rencontre, tenant la princesse par la main, et la présenta en ces termes :

— Voici ma mère, que vous m’avez promis d’épouser ; comment la trouvez-vous ?

Le jeune seigneur fut tellement troublé et bouleversé par tout ce qu’il voyait et entendait, qu’il en perdit la parole et ne put que balbutier ces mots :

— Dieu, la belle princesse !... Oui certainement !... Comment donc ?... Trop d’honneur !...

Le mariage fut célébré, sur-le-champ. Pendant le festin de noces, qui fut superbe, on entendit, sans rien voir, une musique ravissante et comme on n’en entend qu’au Paradis seulement. C’était la marraine de la nouvelle mariée, la sorcière, qui lui envoyait ses musiciens invisibles. Elle lui donna aussi son beau carrosse doré et lui dit :

— Vous n’aurez qu’à faire : Psiit... et mes chevaux enchantés s’élèveront avec vous dans les airs et vous porteront où vous voudrez. Mais, si vous retournez chez votre père, gardez-vous bien de vous laisser embrasser par votre marâtre ; par votre père, je ne dis pas, tant que vous voudrez.

Ils montèrent aussitôt dans le carrosse, qui s’éleva par-dessus les nuages, et les porta tout droit chez le père d’Annaïc. Celui-ci reconnut bien sa fille, et témoigna une grande joie de la revoir, et l’embrassa tendrement. La marâtre était furieuse ; pourtant elle dissimula, la méchante, et voulut l’embrasser aussi. Mais, le prince lui cria :

— Holà ! vous, vous n’embrasserez pas ma mère ! mais, vous serez récompensée selon vos mérites.

Et on alluma un grand bûcher et l’on y précipita la marâtre et sa fille et aussi la sorcière.

Puis, pendant huit jours entiers, ily eut de belles fêtes, avec des jeux de toute sorte, de la musique, des danses et de grands festins, tous les jours.


Conté par Marguerite Philippe. — Plouaret,
mars, 1869