Contes populaires de Basse-Bretagne/Péronic

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IV


PÉRONIC
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Selaouit hag e klevfet,
Ha credit, mar caret,
Pe it da velet.

Écoutez et vous entendrez,
Et croyez, si vous voulez,
Ou bien allez-y voir.


IL y avait autrefois une pauvre veuve, qui demeurait dans une misérable hutte, à Goaz-ann-ilis (le ruisseau de l’église), près du bourg de Plouaret, au bord de la route qui conduit à Lannion. Elle possédait pour tout bien sa hutte, une vache et un fils nommé Péronic. Elle filait, sur le seuil de sa porte, tout le long des jours, et, chaque mercredi, elle allait vendre son fil, au Vieux-Marché, d’où elle rapportait quelques sous, qui suffisaient pour les faire vivre, toute la semaine, de bouillie d’avoine et de galettes de sarrazin.

Péronic, qui avait de huit à dix ans, était un enfant intelligent, à la mine éveillée. Il faisait paître la vache de sa mère, dans les terrains vagues et les douves qui bordaient la route. Un jour de printemps qu’il la surveillait, comme d’habitude, en chantant et en écorchant avec son couteau une baguette de coudrier, il fut étonné de voir le ciel s’obscurcir tout d’un coup. Il leva la tête et aperçut un beau carrosse doré, attelé de deux chevaux blancs et conduit par une belle princesse. Le carrosse descendit près de lui et la princesse lui sourit et lui demanda[1] :

— Veux-tu venir avec moi, mon petit ami ?

— Je ne peux pas, répondit-il, abandonner ma vache et ma mère.

— Va dire à ta mère de venir me parler. Péronic courut à la maison et dit :

— Mère ! mère ! il y a là-bas une belle princesse qui veut m’emmener avec elle ; venez lui parler, vite, elle vous attend.

La vieille jeta là sa quenouille et suivit l’enfant.

— Voulez-vous, bonne femme, lui demanda la princesse, permettre à votre fils de venir avec moi, comme valet ? J’aurai bien soin de lui et vous pourrez être sans inquiétude, à son endroit. La mère hésitait et ne savait que répondre.

— Voici deux cents écus d’or, lui dit la princesse, en tendant une poignée d’or, et je donnerai à votre fils cent écus d’or, par an.

La pauvre femme n’avait jamais possédé ni même vu pareille somme, et elle tendit la main pour la recevoir et dit oui.

Alors, Péronic fit ses adieux à sa mère, puis il monta dans le carrosse, qui s’éleva en l’air et disparut. Vers le coucher du soleil, le carrosse se trouva dans une grande avenue de vieux chênes, avec un beau château à l’extrémité. La princesse et Péronic descendirent à terre et entrèrent dans le château, par une grande porte en fer.

Le lendemain matin, la princesse dit à Péronic :

— Je vais en voyage, et tu resteras seul ici, pendant mon absence, mais tu ne manqueras de rien, dans ce château. Viens, que je te montre, avant de partir, ce que tu auras à faire.

Elle le conduisit d’abord à l’écurie.

— Voici une jument, dont tu auras grand soin. Tu lui donneras du foin et de l’avoine à discrétion et la promèneras, deux fois par jour.

Et, lui montrant une autre jument, maigre et de mauvaise mine, autant que la première était grasse et luisante :

— En voilà une autre, dont tu n’auras pas à t’occuper, en aucune façon.

Puis, lui présentant un trousseau de clefs.

— Voici les clefs de tous les appartements du château. Tu pourras te promener par tout le château et entrer dans toutes les salles et les chambres, excepté une seule, celle qu’ouvre cette clef (et elle lui montra une clef) ; regarde-la bien et malheur à toi, si tu désobéis ou si tu te trompes.

— Fort bien, répondit-il, mais si je n’ai pas autre chose à faire, je m’ennuierai ici, tout seul. Donnez-moi quelque chose pour me divertir et m’aider à passer le temps.

— Que veux-tu que je te donne ?

— Des quilles et une boule d’argent, par exemple.

— Soit ; voilà des quilles et une boule d’argent.

— Merci ! Mais, je voudrais bien avoir encore des quilles et une boule d’or.

— Voilà encore des quilles et une boule d’or ; es-tu content ?

— Oui ; mais, je ferai autre chose que jouer aux quilles, je présume ?

— Que désires-tu encore ?

— Si j’avais un merle d’argent, par exemple. pour me chanter des airs de danse, quand je m’ennuierai à jouer aux quilles ?

— Soit ; voici encore un merle d’argent, qui te chantera, tant que tu voudras. Et maintenant je m’en vais : je ne sais pas combien de temps je serai absente.

Et elle s’éleva en l’air, sur son beau carrosse, et disparut.

Péronic alla donner à manger à la jument qui lui avait été recommandée, puis, il la promena, dans la grande avenue du château : elle était rapide comme le vent.

Quand il rentra de la promenade :

— Il faut, se dit-il, que je visite le château, puisque j’en ai toutes les clefs.

Il ouvre la porte d’une chambre et reste sur le seuil, immobile et ébloui, à la vue des tas d’argent, d’or et de pierres précieuses dont elle était remplie.

— Hola ! s’écria-t-il, la maîtresse de ce château n’est pas la première venue !

Il entre dans une autre chambre et la trouve remplie de vêtements de toute sorte, riches et pauvres, habits et robes de rois, de reines, de princes, de princesses, de ducs et de marquis, en velours et en soie, avec de riches passementeries et galons d’or et d’argent ; robes et vestes et blouses d’artisans, de paysans et de paysannes.

— Où donc suis-je ici ? se demanda-t-il, avec inquiétude ; il faut que je me tienne sur mes gardes.

Une troisième chambre était remplie de pièces de toile fine ; une quatrième contenait des jouets et des instruments de musique de toute sorte.

Tous les jours, après avoir promené la jument, joué un peu aux quilles, avec ses quilles d’argent et d’or, et écouté le chant du merle d’argent, il allait se promener par les salles et les chambres et, chaque fois, en passant devant la porte de la chambre défendue, il se disait :

— Que peut-il donc y avoir là-dedans ?

Et il était tenté de l’ouvrir. Il l’ouvrit enfin, au bout de huit jours, et vit avec étonnement un cheval, si maigre, si maigre, qu’à peine pouvait-il se tenir sur ses jambes, et dans le râtelier, devant lui, il y avait un fagot d’épines, et derrière était une botte de trèfle frais.

— La pauvre bête ! ne put-il s’empêcher de s’écrier ; je vais mettre la botte de trèfle à la place du fagot d’épines.

Et il prit la botte de trèfle, la mit dans le râtelier, et jeta le fagot d’épines dans un coin.

Le cheval, prenant alors la parole, comme un homme, lui dit :

— Merci, Péronic ! Je ne mange pas de cette nourriture, mais bien de celle dont tu manges toi-même. Tu ne sais pas où tu es, malheureux ! La princesse qui t’a amené ici est la reine des magiciennes. Il y a longtemps qu’elle me retient enchanté sous cette forme, et toi-même, si tu n’y prends garde, tu ne seras pas traité autrement que moi et une foule d’autres personnes de différentes conditions qu’elle a métamorphosées sous les formes les plus diverses. Tout espoir n’est pourtant pas perdu, et, si tu veux faire de point en point ce que je te dirai, nous pourrons sortir encore d’ici, sous notre forme naturelle, nous et les autres,

— Je ne demande pas mieux, répondit Péronic ; dites-moi, vite, ce qu’il faut faire.

— Eh bien ! hâtons-nous, alors, car la magicienne sait déjà que tu as ouvert la chambre défendue, et elle ne tardera pas à arriver. Va vite à la chambre au linge, et prends-y un linceul de trois aunes de long ; puis, tu passeras par la chambre où tu as vu des tas d’argent et d’or et de pierres précieuses ; tu en rapporteras le plus que tu pourras. Tu n’oublieras pas les quilles et les boules d’argent et d’or, et tu chargeras le tout sur mon dos. Quant au merle d’argent, tu l’emporteras dans ta poche. Puis, tu muselleras un grande doguesse, qui est dans sa niche, près de la porte (elle dort, à présent), et tu reviendras ensuite me rejoindre. Va, et dépêche-toi.

Péronic apporte le linceul de toile, et un sac rempli d’or, d’argent et de pierres précieuses ; il y met aussi les quilles avec les boules d’or et d’argent et charge le tout sur le cheval. Puis, il muselle la doguesse, dans sa niche, met dans sa poche le merle d’argent et revient au cheval maigre.

— Vas encore, lui dit celui-ci, à la chambre de la magicienne, prends et emporte un petit livre rouge que tu y verras, sur la table, près de son lit, et sans lequel nous ne pouvons rien ; mais, vite, vite !...

Péronic va à la chambre de la magicienne et apporte le petit livre rouge.

— A présent, monte, vite, sur mon dos et partons, car la doguesse, qui est sœur de la magicienne et qui prend à volonté la forme humaine ou animale, va briser ses chaînes, en s’éveillant, et courir après nous.

Ils partent.

— Regarde derrière toi, ne vois-tu rien venir ? dit bientôt le cheval à Péronic.

— Si ! répondit celui-ci, je vois un grand chien qui court après nous... Il va nous atteindre.

— C’est la doguesse du château, la sœur de la magicienne. Par la vertu de mon petit livre rouge, qu’il y ait ici une belle fontaine et que nous soyons métamorphosés en deux grenouilles, au fond de l’eau.

Ce qui fut fait sur-le-champ.

La doguesse arrive aussitôt. Elle cherche et flaire et se demande :

— Où sont-ils donc passés ? Ils étaient ici, il n'y a qu’un instant, et je ne vois à présent qu’une fontaine, avec deux grenouilles, au fond de l’eau ! Il faut que j’aille le dire à ma sœur.

Et elle retourna au château.

— Comment, lui dit la magicienne, tu reviens seule !...

— Oui, je ne sais ce qu’ils sont devenus : en arrivant à l’endroit où je les avais vus et où je croyais les prendre, je n’ai plus trouvé qu’une fontaine, avec deux grenouilles au fond de l’eau.

— Malédiction ! s’écria la magicienne en colère, les deux grenouilles dans l’eau, c’étaient eux !

C’étaient eux !...

Dés que la doguesse fut partie, Péronic et son cheval revinrent à leur forme première, et continuèrent leur route.

— Regarde derrière toi, ne vois-tu rien venir ? demanda encore le cheval, un moment après.

— Si ! je vois venir la magicienne, écumante de rage !

— Par la vertu de mon petit livre rouge, qu’il s’élève ici une belle chapelle, et que nous soyons métamorphosés en deux statues de saints, une de chaque côté de l’autel.

Ce qui fut encore fait, sur-le-champ.

La magicienne arrive. Elle cherche, se répand en malédictions, trépigne de colère, ne trouve rien et s’en retourne encore.

Les deux fugitifs reprennent aussitôt leur forme première et se remettent en route, sans perdre de temps. Ils franchissent un fleuve et sortent du domaine de la magicienne ; elle n’a plus aucun pouvoir sur eux.

Il était temps ! Elle venait de s’apercevoir que son petit livre rouge lui avait été volé, et elle avait repris elle-même la poursuite, écumante de rage, criant, hurlant et faisant un vacarme d’enfer.

— Ma malédiction sur toi, Péronic, qui m’as enlevé mon petit livre rouge, où résident ma science et ma puissance ! hurla-t-elle, au bord de l’eau, qu’elle ne pouvait franchir, tandis que les deux fugitifs riaient de sa fureur, sur l’autre rive.

Péronic et son cheval se dirigèrent alors sur Paris. Avant d’entrer dans la ville, le cheval dit à Péronic :

— A présent, tu vas me tuer...

— Vous tuer !... Jamais je n’aurai le courage de faire cela !...

— Il le faut, pourtant, pour mener ton entreprise à bonne fin. Tu me tueras, te dis-je, puis tu m’écorcheras, et tu verras ensuite ce qui arrivera. Mais, aie confiance en moi, et ne crains rien.

Péronic tua le cheval, l’écorcha et fut bien surpris de voir sortir de sa peau un beau prince, qui lui dit :

— Ma bénédiction sur toi, Péronic, car tu m’as délivré de l’enchantement de la magicienne, et tu as délivré, en même temps, une foule d’autres malheureux. Tous les vêtements divers que tu as vus, dans une salle du château, appartenaient à autant de personnes de différentes conditions, métamorphosées et retenues captives par la magicienne et qui, aujourd’hui, ont recouvré leur forme naturelle et leur liberté, comme moi. Je suis le fils de l’empereur de Turquie ; viens avec moi à la cour de mon père, et tu épouseras ma sœur, la plus belle princesse qui soit sous l’œil du soleil, et tu seras empereur de Turquie, à la mort de mon père.

— Merci ! répondit Péronic, mais, je ne veux pas me marier encore ; je veux voyager et voir du pays, pendant que je suis jeune ; plus tard, nous pourrons nous retrouver et alors, peut-être...

Et ils se firent leurs adieux et allèrent chacun de son côté[2].

Péronic se rendit à Paris et alla loger dans une hôtellerie, située près du palais du roi. Comme son éducation première avait été assez négligée, il prit des leçons de français, d’écriture, de danse et d’escrime, et il fit des progrès si rapides, qu’au bout de trois mois, ses maîtres n’eurent plus rien à lui apprendre. Alors, il se présenta chez le roi et demanda qu’on voulût bien lui confier quelque emploi, au palais. On le prit comme aide-jardinier. De six heures du matin à six heures du soir, il travaillait, dans les jardins du palais, et, comme il était intelligent et laborieux, il plaisait beaucoup au maître-jardinier.

Au bout de quelque temps, il demanda :

— Quand donc aura lieu la fête des jardiniers, maître ?

— Dans trois semaines, lui répondit le maître jardinier.

— Trois semaines, c’est bien long !... Si l’on devançait cette date ? Moi, j’ai de l’argent et je payerai tous les frais ; j’ai hâte de connaître tous les jardiniers de Paris.

— Soit, répondit le maître-jardinier, puisque vous vous chargez de tous les frais, je ne vois pas de difficulté à cela.

On s’occupa donc des préparatifs de la fête, et on dressa des tentes et des tables, dans la grande allée du jardin. Tous les jardiniers de Paris reçurent des invitations et la fête fut magnifique.

En se levant de table, on joua à différents jeux, aux boules, à la galoche, aux quilles. Péronic alla chercher ses quilles et sa boule d’argent, qui excitèrent l’admiration de tout le monde.

Le roi vint se promener dans le jardin, avec sa fille au bras, et la princesse convoita les quilles et la boule d’argent de Péronic. Quand elle fut rentrée au palais, elle envoya sa femme de chambre lui demander s’il voulait les lui vendre.

— Volontiers, répondit-il, je n’ai rien à refuser à la princesse.

— Combien en demandez-vous ?

— Oh ! je ne veux ni argent ni or.

— Quoi donc ?

— Un baiser seulement de la princesse.

— Insolent ! songez donc à ce que vous dites ; demandez de l’or et de l’argent et vous en aurez, mais cela, jamais !

— Peut-être ; faites toujours part de ma demande à la princesse.

La femme de chambre retourne vers sa maîtresse.

— Eh bien ? lui demanda celle-ci.

— Je n’ose pas vous rapporter sa réponse, princesse.

— Pourquoi donc ? Dites, sans crainte.

— Eh bien ! il a dit qu’il ne donnera ses quilles ni pour de l’argent ni pour de l’or.

— Pour quoi donc les donnera-t-il ?

— Pour un baiser de vous.

— Ah ! vraiment ? Dites-lui de venir me parler. La chambrière retourna vers Péronic, et lui dit :

— Venez parler à la princesse, et apportez vos quilles et votre boule d’argent.

Péronic se rend auprès de la princesse, qui lui demande :

— Comment, jeune jardinier, est-il donc vrai que vous ne voulez donner vos quilles ni pour de l’argent ni pour de l’or ?

— Oui, princesse, c’est vrai.

— Pour quoi donc les céderiez-vous bien ?

— Pour ce que j’ai dit à votre femme de chambre, princesse, et pas pour autre chose.

— Mais c’est déraisonnable ; vous savez bien que cela ne se peut pas.

— Alors, princesse, vous n’aurez pas mes quilles d’argent.

— Et c’est bien là votre dernier mot ?

— C’est bien là mon dernier mot, princesse.

— Eh bien, puisqu’il le faut…

Et la princesse se laissa prendre un baiser, sur la joue, et Péronic lui donna ses quilles d’argent, en échange.

Trois semaines plus tard, arriva le jour de la fête des jardiniers, et Péronic dit encore au maître jardinier :

— Voici la fête des jardiniers qui arrive et nous allons la célébrer, j’espère bien.

— Encore ? répondit le maître.

— Mais oui ; notre première fête a été si belle !

— C’est vrai ; mais, les frais, qui les paiera ?

— Ne vous inquiétez pas de cela ; je me charge de tout, comme l’autre fois.

— Oh ! alors, je ne vois pas d’inconvénient à recommencer.

Et l’on célébra de nouveau la fête des jardiniers.

Après le repas, on joua encore à différents jeux et entre autres aux quilles, avec les quilles et la boule d’or de Péronic.

La princesse vit les quilles et la boule d’or, et envoya de nouveau sa femme de chambre vers le propriétaire, pour en négocier l’achat.

— Combien voulez-vous me vendre vos quilles d'or, avec la boule ? demanda-t-elle à Péronic.

— Pour qui ?

— Pour ma maîtresse.

— Eh bien ! je ne les donnerai encore ni pour de l’argent ni pour de l’or.

— Pour quoi donc les donnerez-vous ?

— Pour voir seulement le genou de la princesse.

— Insolent ! Jamais elle ne consentira à cela, vous pouvez en être certain.

— Peut-être ; demandez-lui toujours.

La chambrière revint vers sa maîtresse.

— Eh bien ? lui demanda celle-ci.

— Je n’ose vous dire ce qu’il m’a répondu.

— Pourquoi ? Dites toujours.

— Eh bien ! il a dit qu’il ne voulait ni argent ni or, mais seulement voir votre genou.

— Il est bien osé, ce jeune homme ! Dites-lui pourtant de venir me parler, et d’apporter ses quilles et sa boule.

Péronic se rendit auprès de la princesse, qui lui dit :

— Ce que vous m’avez demandé, par ma femme de chambre, n’est pas possible, mais, demandez-moi de l’argent et de l’or, autant que vous en voudrez, et vous l’aurez.

— Non, princesse, répondit-il ; de l’argent et de l’or, j’en ai à discrétion, et il me faut ce que j’ai demandé, ou rien.

— Vous êtes vraiment déraisonnable, jeune homme ; pourtant... puisqu’il le faut

Et elle leva promptement sa robe, jusqu’au genou, et la laissa retomber aussitôt.

— Vous avez vu ? demanda-t-elle, en rougissant.

— Oui, mais pas assez ; vous avez laissé retomber votre robe, trop vite.

— Il n’entrait pas dans nos conditions que je devais la tenir relevée plus longtemps, et vos quilles et votre boule d’or m’appartiennent.

— C’est vrai, et les voici.

Et il lui remit les quilles et la boule d’or. Huit jours plus tard, Péronic dit encore au maître jardinier :

— J’ai régalé, deux fois, les jardiniers de la ville, mais leurs femmes, leurs mères, leurs sœurs et leurs enfants n’ont pas pris part à nos fêtes, et je désire les régaler aussi.

— L’idée est louable, répondit le vieux jardinier, et je l’approuve fort.

On célébra donc une troisième fête, plus belle que les autres, à laquelle furent invités, avec les jardiniers, leurs mères, leurs sœurs, leurs femmes et leurs enfants. Après le repas, vinrent encordes jeux, et Péronic proposa de danser.

— Oui, dansons ! crièrent toutes les femmes, avec un accord parfait.

— Mais, qui nous fera de la musique ? car nous ne voyons ni biniou, ni bombarde, ni tambourin, ni violons.

— Soyez sans inquiétude à cet égard, répondit Péronic, vous ne manquerez pas de musique ; je m’en charge, moi.

Il alla chercher son merle d’or, le posa sur la branche d’un oranger et lui dit :

— Faites votre devoir, mon beau merle d’or ! Et aussitôt le merle se mit à chanter, d’une voix si mélodieuse, qu’au Paradis même, on n’entend rien de plus beau. Tous les cœurs étaient ravis, et hommes et femmes, même les plus vieux et les plus vieilles, entraient en danse et se trémoussaient et tournaient, avec un entrain irrésistible.

La princesse était à la fenêtre de sa chambre, qui donnait sur le jardin, et elle s’écria :

— Dieu, la belle musique ! Mais, qui donc la fait ? car je ne vois pas le musicien. Ah ! c’est sans doute ce beau merle d’or, qui est là-bas sur l’oranger !... Dieu, le bel oiseau !... Il doit appartenir encore au jeune jardinier.

Et, s’adressant à sa femme de chambre :

— Allez lui proposer de le lui acheter, son merle d’or, à quelque prix que ce soit.

Et la chambrière alla encore trouver Péronic, et lui demanda :

— Voulez-vous vendre votre merle d’or à ma maîtresse ?

— Volontiers, lui répondit-il, mais, je vous avertis qu’il lui coûtera cher.

— Combien en demandez-vous ?

— Je ne veux encore ni argent ni or ; j’en ai à discrétion.

— Quoi donc, dites ?

— Coucher trois nuits avec la princesse.

— Insolent ! Il faut que vous ayez perdu la raison pour parler de la sorte ; si le roi le savait !... Soyez donc plus raisonnable, et faites-moi une autre demande.

— Non, ce sera comme je vous ai dit, ou je garderai mon merle.

La femme de chambre revint vers sa maîtresse.

— Eh bien ! demanda celle-ci, qu’a-t-il dit ?

— Rien de raisonnable, princesse.

— Mais encore ? Dites-moi, vite,

— Je n’ose pas.

— Dites, je vous prie, et ne craignez rien ; que demande-t-il de son merle d’or ?

— Eh bien !... coucher trois nuits avec vous, puisque vous me forcez à vous le dire.

— Ah ! vraiment ?... Il ne doute donc de rien, ce jeune homme ? Allez lui dire de venir, néanmoins, et d’apporter son merle, car j’espère bien l’avoir à de meilleures conditions.

Péronic vient, avec son merle d’or, sur le doigt.

— Comment ! jardinier, lui dit la princesse, il n’est pas possible que vous ayez fait à ma femme de chambre la demande qu’elle m’a rapportée.

— Laquelle, princesse ?

Et la princesse, se tournant vers sa femme de chambre :

— Répétez ce que vous m’avez dit.

Et elle répéta.

— C’est bien cela, princesse, dit Péronic.

— Comment pouvez-vous faire une demande si insensée ? Demandez-moi de l’or et de l’argent, autant que vous en voudrez, et nous pourrons nous entendre ; mais, quant à cela, n’espérez pas...

— Alors, princesse, il ne me reste qu’à m’en retourner, avec mon merle d’or.

Et il salua et s’en alla.

Mais, il n’était pas encore sorti de la cour, que la princesse lui fit dire de revenir.

— Voyons, jardinier, lui dit-elle, vous allez me faire des conditions plus raisonnables.

— Non, princesse, ce sera cela ou rien.

— Eh bien ! puisqu’il le faut pourtant... donnez-moi votre merle d’or... Ce soir, quand tout le monde sera couché, au palais, vous viendrez tout doucement frapper à la porte de ma chambre... Mais, surtout faites bien attention que personne ne vous voie.

La princesse se promenait alors, tous les jours, dans le palais et les jardins, avec son merle d’or sur le doigt, et elle en était tout heureuse et toute fière, et tous ceux qui entendaient chanter l’oiseau en étaient ravis.

Mais, environ neuf mois après, il lui fallut garder le lit. Elle reçut les soins du médecin ordinaire du palais, qui ne comprit rien à sa maladie. On fit venir d’autres médecins, qui n'y virent pas plus clair, ou peut-être n’osèrent rien dire. Le vieux roi était fort inquiet, car il n’avait pas d’autre enfant, et il l’aimait beaucoup.

Péronic, qui connaissait bien la nature de la maladie de la princesse, se rendit chez un vieux savetier, qu’il connaissait en ville, et lui parla de la sorte :

— Si vous voulez, je vous enseignerai la manière de gagner beaucoup d’argent, sans aucun mal, et vous n’aurez plus besoin de rapiécer les vieilles savates, pour vivre ?

— Je ne demande pas mieux, répondit le savetier.

— Eh bien ! écoutez-moi et faites comme je vais vous dire. Vous vous revêtirez d’une lévite de Monsieur, avec un chapeau entouré d’un large ruban sur lequel seront écrits, en gros caractères, ces deux mots : « Maître Chirurgien ». Vous vous présenterez ainsi au palais, vous demanderez à parler au roi et lui direz que, ayant appris la maladie de sa fille, vous êtes venu de loin, et que vous vous faites fort de pouvoir la guérir. Vous demanderez une barrique d’argent pour vos honoraires, si vous réussissez, et on vous l’accordera facilement. De plus, vous ferez promettre au roi et signer même qu’il ne vous sera point fait de mal, quoi que vous puissiez dire.

Le vieux savetier suit de point en point les instructions de Péronic. Le roi signe, sans difficulté. Il se rend alors à la chambre de la princesse, tâte son pouls, examine son eau...

— Eh bien! lui demande le roi, que dites-vous ?

— Votre fille, sire, n'est pas dangereusement malade, et son mal lui sourit[3].

— Comment ! Comment !... s'écria le roi, qu'est-ce que cela veut dire ?

Et le voilà de rudoyer sa fille.

— Qui est le coupable ? lui demanda-t-il.

— Péronic, avec son merle d'or, répondit la princesse.

— Un jardinier !... Eh bien ! pour votre punition, ma fille, vous le prendrez pour époux.

Or la princesse ne demandait pas mieux.

Et voilà comment Péronic épousa la fille unique du roi de France, et devint roi lui-même, quand son beau-père mourut, ce qui ne tarda pas à arriver.


C'est là qu'il y eut alors un festin !
Il n'y manquait ni massepains ni macarons,
Ni crêpes épaisses ni crêpes fines,
Ni bouillie cuite ni bouillie non cuite,
Pâte fermentée et non fermentée.


Un homme faisait le tour de la table avec une cuiller à pot, demandant:

— Vous faut-il de la bouillie, par-là ?

On y voyait jusqu'à un cochon, cuit par un bout, vivant de l'autre.


<poem> J'étais par-là aussi, avec mon bec frais, Et, comme j'avais faim, je mordis tôt; Mais, un grand diable de cuisinier qui était là, Avec ses sabots à pointe de Saint-Malo, Me donna un coup de pied dans le derrière, Et me lança sur le haut de la montagne de Bré, Et je suis venu de là jusqu'ici, Pour vous raconter cette histoire[4].


(Conté par Marguerite Philippe, de Pluzunet (Côtes-
du-Nord). — Janvier 1868.)




  1. C’est ordinairement un géant magicien qui remplit le rôle attribué ici à une princesse magicienne.
  2. Ordinairement le héros, au lieu d’un prince, délivre une princesse, qu’il épouse plus tard. Les épisodes qui suivent semblent appartenir à un autre cycle de récits.
  3. C'hoarzin a ra he c'hlenved out-hi, locution populaire pour donner à entendre qu'une femme est enceinte.
  4. Cette formule finale est rimée, en breton. Il doit s'y trouver une petite lacune ; ailleurs, en effet, le cochon cuit a un couteau et une fourchette en croix sur le dos, pour que chacun puisse couper, où il lui plaira, et de la moutarde dans le cul.