Coran Savary/Vie de Mahomet

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Abrégé de la Vie de Mahomet
publié en introduction à la   traduction du Coran

1783


Note Wikisource : le texte de l’Abrégé de la Vie de Mahomet est présenté en continu, sans chapitres. Dans la première édition, une chronologie multiple (chute d’Adam, naissance de Jésus-Christ, hégire, âge de Mahomet) est indiquée en notes marginales. L’édition de 1821 reproduite ici reprend ces indications dans le corps du texte. Les raccourcis ci-dessous utilisent l’ère commune, depuis la naissance de J.-C.


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ABRÉGÉ
DE LA VIE
DE MAHOMET.


Tiré des meilleurs auteurs arabes et des traductions
authentiques de la Sonna [1].



(Depuis la chute d’Adam, suivant Abul-Feda. 6163. — Depuis la naissance de J.-C. 578. — Avant l’hégire. 53.)



Mahomet[2], honoré parmi les mahométans du titre glorieux d’apôtre et de prophète, naquit à la Mecque[3] au commencement de la guerre de l’Éléphant[4]. Il eut pour père Abd-Allah, fils d’Abd el Motalleb, et pour mère Amœnas, fille de Wahed, prince des zahrites. L’un et l’autre tiraient leur origine de l’illustre tribu des coreïshites, la première d’entre les Arabes. Cette nation, la plus jalouse qui fut jamais de compter une longue suite d’ancêtres, conserve avec le plus grand soin ses généalogies. Abul-Feda, prince de Hamah, un des plus célèbres auteurs arabes, nous a donné, dans son histoire générale, l’arbre généalogique de la maison de Mahomet. Il le fait descendre d’Adam, par Abraham et Ismaël. Nous nous contenterons de rapporter l’ordre qu’il établit en remontant jusqu’à ces deux patriarches[5]. Abul-Casem Mahammed, fils d’Abd-Allah, fils d’Abd et Motalleb, fils de Hashem, fils d’Abd-Menaf, fils de Caci, fils de Kelab, fils de Morra, fils de Caab, fils de Lowa, fils de Ghaleb, fils de Fehr, fils de Malec, fils de Nadar, fils de Kenana, fils de Khazima, fils de Modreca, fils d’Elias, fils de Modar, fils de Nazar, fils de Moad, fils d’Adnan.

Jusqu’ici l’arbre généalogique n’est point interrompu. Tous les chronologistes le regardent comme incontestable. Adnan fut un des descendants d’Ismaël, c’est encore une vérité consacrée par l’histoire ; mais les historiens remplissent différemment l’intervalle qui se trouve entre eux. Nous ne nous arrêterons point à des discussions peu intéressantes. Eljarra, cité avec éloge par Abul-Feda, continue ainsi : Adnan était fils d’Ad, fils d’Adad, fils d’Élicé, fils d’Elhomaïcé, fils de Salaman, fils de Nabet, fils de Hamal, fils de Kidar, fils d’Ismaël.

Ce patriarche des Arabes, chassé de la maison paternelle, vint s’établir à la Mecque avec sa mère Agar. Il y bâtit la Caaba[6] 2793 ans avant l’hégire. Les auteurs mahométans disent que le ciel lui envoya Abraham pour l’aider à la construire.

Ces détails font voir avec quel soin les Arabes conservent leurs généalogies. Le respect qu’ils ont pour la mémoire de leurs pères, la gloire qu’ils tirent de leurs vertus, leur font une loi de ce soin. Leur manière de vivre, divisés en tribus, et presque séparés du reste des nations, leur rend facile ce qui serait impossible aux peuples de l’Europe, où toutes les familles se mêlent, se confondent.

Les Orientaux mettent leur gloire dans le nombre de leurs enfans. Pour eux, la naissance d’un fils est un jour de fête. Abd-Elmotalleb voulut célébrer celle de son petit-fils[7]. L’intendance du temple de la Mecque lui donnait une grande autorité. Cette charge, la plus auguste de l’Arabie, il la devait à ses vertus, plus encore qu’à sa naissance. Il rassembla les principaux de sa tribu et leur donna un festin. Après que les convives l’eurent complimenté, ils lui demandèrent comment il avait nommé l’enfant qui faisait l’objet de leur joie. Je l’ai nommé Mahammed, répondit le vieillard. Ne valait-il pas mieux, reprirent les convives, lui donner un nom tiré de sa famille ? « J’espère, ajouta Elmotalleb, que ce nom comblera de gloire dans le ciel l’enfant qu’il vient de créer sur la terre ; j’ai voulu que Mahammed[8] fût le signe de cette espérance flatteuse. »

La naissance de Mahomet, comme celle des hommes fameux qui ont étonné la terre, fut annoncée par des prodiges. Les auteurs arabes ne se lassent point de les raconter. Si l’on en croit leur témoignage, à l’instant où il vint au monde, une lumière brillante éclaira les bourgades et les villes d’alentour ; les démons furent précipités des sphères célestes ; le palais de Cosroës fut agité par un violent tremblement de terre, et quatre de ses tours tombèrent ; le feu sacré des Perses, allumé depuis plus de mille ans s’éteignit, le lac Sawa[9] se dessécha tout à coup.

Quoi qu’il en soit de ces merveilles, Mahomet éprouva l’adversité en naissant. À peine âgé de deux mois il devint orphelin[10]. Abd-Allah, plus célèbre par sa beauté et la pureté de ses mœurs, que par ses richesses, possédait la tendresse et la confiance d’Elmotalleb. Ce sage vieillard l’avait envoyé pour acheter les provisions dont sa stérile patrie[11] manquait. Il s’avança jusqu’à Yatreb[12] où il mourut[13]. Il fut inhumé dans l’hospice d’Elhareth, oncle maternel d’Abd-Elmotalleb. Emporté à la fleur de ses ans, il ne laissa pour héritage à son fils, encore au berceau, que cinq chameaux, et une esclave éthiopienne nommé Baraca. Amœna se chargea d’abord d’allaiter son fils unique ; il eut ensuite pour nourrice Tawiba, esclave de son oncle Abulahab.

L’air de la Mecque n’étant pas salutaire pour les enfans, on était dans l’usage de les donner à des femmes qui les emportaient à la campagne[14]. Il était venu plusieurs de ces nourrices. Elles avaient été bientôt pourvues. Mahomet orphelin restait. Le peu d’apparence qu’une mère pauvre payât généreusement l’avait fait négliger. Halima, qui n’avait point trouvé de nourrisson, l’alla demander. L’ayant obtenu, elle l’emporta dans le désert des Saadites, son pays. Elle eut pour lui la tendresse d’une mère. Quelques mois après, les affaires de Halima l’obligèrent de retourner à la Mecque. Elle mena avec elle son nourrisson. Amœna, charmée de revoir son fils unique, voulait le retenir ; mais les instances de la nourrice prévalurent. Elle le ramena au pays des Saadites.

(Depuis la chute d’Adam, suivant Abul-Feda. 6166. — Depuis la naissance de J.-C. 581. — Avant l’hégire. 50. — De Mahomet. 3. — Jannab. Abmedben Joseph.)

Parmi les miracles nombreux dont les historiens arabes entremêlent la vie de leur prophète, ils citent le fait suivant avec confiance. Le jeune Mahomet et Masrouh son frère de lait, sortis dans la campagne, se livraient aux jeux de leur âge. Surviennent deux hommes vêtus de blanc. Ils saisissent le jeune coreïshite, le couchent à terre et lui ouvrent la poitrine. Masrouh courut raconter l’événement à sa mère. Halima, ignorant les desseins du ciel, en fut effrayée, et rendit à Amœna le dépôt qui lui avait été confié.

Bedawi dit que ces hommes vêtus de blanc étaient deux anges, que l’un d’eux était Gabriel, qu’il prit le cœur de Mahomet, le purifia, et le remplit de foi et de science. C’est ainsi que l’aveugle enthousiasme enfante des miracles qui sont reçus avidement par la crédule ignorance. Il semble que les hommes extraordinaires ne puissent naître comme le reste des mortels. Hercule, au berceau, étouffe des serpens. Romulus est allaité par une louve. Gabriel purifie le cœur de Mahomet enfant.

Amœna s’était chargée de l’éducation de son fils. À l’âge de six ans elle le mena à Médine où elle allait visiter les enfans d’Adi, fils d’Elnajjar, ses oncles[15]. Après avoir passé quelque temps auprès d’eux, elle retournait à la Mecque. La mort la surprit en chemin. Elle fut inhumée à Abowa, petite ville peu distante de Médine.

[16] Abd-Elmotalleb ayant appris ce triste événement retira son petit-fils dans sa maison. Il l’éleva au milieu de sa nombreuse famille, et le chérit comme ses propres enfans. Mahomet jouit peu de ses tendres soins. Abd-Elmotalleb était parvenu à l’extrême vieillesse, il mourut âgé de cent dix ans.

Abutaleb, frère utérin d’Abdallah, prit son neveu sous sa tutelle. Il faisait le commerce ainsi que tous les coreïshites. C’était l’unique ressource des habitants d’une terre ingrate qui se refusait à toute espèce de culture. Abutaleb apprit à son élève l’art d’entrenir, par des échanges avantageux, l’abondance au sein d’une contrée stérile. Lorsqu’il le crut assez instruit, il le conduisit avec lui en Syrie, où des intérêts de commerce l’appelaient. Mahomet n’avait que treize ans ; mais en lui, l’esprit et la réflexion avaient devancé l’âge.

(Depuis la chute d’Adam, suivant Abul-Feda. 6176. — Depuis la naissance de J.-C. 591. — Avant l’hégire. 40. — De Mahomet. 13.)

On s’avança jusqu’à Bosra[17], ancienne ville de la Syrie Damascène. Près de là se trouvait un monastère dont Bahira[18] était supérieur. Il donna l’hospitalité aux étrangers et les traita splendidement. Le moine habile ayant observé avec soin le jeune Coreïshite, dit à Abutaleb : « Retourne avec ton neveu à la Mecque ; mais crains pour lui la perfidie des juifs[19]. Veille sur ses jours. L’avenir présage des événemens glorieux au fils de ton frère. »

Cette prédiction qui a fait tant de bruit parmi les auteurs modernes n’a rien de bien merveilleux. Bahira put sonder le jeune coreïshite, et découvrir des indices de ce qu’il serait un jour. Les lumières qu’il acquit lui firent naître l’envie de prophétiser. Il fit donc une prédiction qui flattait ses hôtes, qui pouvait nuire aux juifs ses ennemis, et qui, sans lui laisser aucune crainte, lui donnait des espérances pour l’avenir. Il n’est pas difficile de faire le prophète à ce prix. Nous avons cru devoir laisser dans l’oubli les miracles dont plusieurs auteurs enthousiastes accompagnent cette entrevue. Nous avons cru devoir taire le sentiment de quelques modernes, qu’un zèle contraire égare[20]. En effet, le mot Bahira signifiant en arabe marin, ils font venir le moine Bahira de Rome. Ils le baptisent du nom de Sergius. Ils le donnent pour précepteur à Mahomet. Ils l’établissent héros de l’islamisme, et lui font dicter le Coran à l’apôtre des mahométans, apparemment sans savoir l’arabe. Libre de préjugés, nous avons suivi la narration simple et fidèle du savant Abul-Feda, qui s’accorde avec celle des historiens contemporains, et nous ne combattrons point le sentiment de ces écrivains préoccupés qui, sans respecter la vraisemblance et le silence de l’histoire, bâtissent sur un mot de nombreuses chimères.

Abutaleb avait ramené son neveu à la Mecque. Héritier de la préfecture du temple, il y jouissait d’un grand crédit. Sa maison était ouverte à tous les princes arabes. Il y recevait tout ce que la nation avait de plus distingué[21]. Mahomet se faisait aimer d’eux par les charmes de son caractère. Parvenu à l’adolescence, on admirait sa beauté ; on aimait les grâces de son esprit. Ingénieux dans ses réponses, vrai dans ses récits, sincère dans le commerce de la vie, plein de bonne foi, plein d’horreur pour le vice, il mérita aux yeux de ses concitoyens le surnom d’Elamin, l’homme sûr. Telle fut, au rapport de tous les historiens, la réputation qu’il s’acquit à la Mecque. Il la conserva jusqu’au temps où le peuple fut révolté de l’entendre prêcher contre l’idolâtrie et où les grands craignirent son ambition cachée sous le manteau de la religion.

À quatorze ans il fit ses premières campagnes[22]. Il combattit avec les parens de son père dans les guerres défendues[23]. Il se distingua dans les combats livrés entre les coreïshites et les kenanites. Il porta ensuite les armes contre les Hawazenites. Partout sa tribu fut victorieuse.

La paix avait succédé au tumulte des armes. Vainqueurs de leurs ennemis, les coreïshites songèrent à élever un monument à leur gloire[24]. La Caaba, ce sanctuaire antique, dont ils avaient la garde, ne pouvait contenir dans son étroite enceinte des tribus nombreuses. Ils voulurent l’agrandir[25]. Le temple fut démoli, et on le réédifia sur le même plan. Lorsque l’édifice fut élevé à la hauteur où l’on devait poser la pierre noire[26], ce monument sacré fit naître des différens entre les tribus[27]. Chacune voulait avoir l’honneur de la poser à sa place. Après bien des débats, on convint de s’en rapporter au jugement du premier qui entrerait dans le temple. Le hasard y conduisit Mahomet. On le choisit pour arbitre. Il décida qu’il fallait placer la pierre noire sur un tapis étendu ; qu’un homme de chaque tribu en tiendrait les extrémités, et qu’ils l’élèveraient tous ensemble. Lorsqu’elle fut suffisamment exhaussée, Mahomet la prit de ses propres mains et la mit à sa place. On acheva l’édifice, et on le couvrit de tapis magnifiques.

Rendu à ses occupations pacifiques, Mahomet s’étudiait à contenter son oncle Abutaleb. Il était à la fleur de l’âge. Sa probité et son esprit faisaient du bruit. Cadige, veuve riche et noble en entendit parler. Elle descendait comme lui de l’illustre tribu des coreïshites. Elle faisait un commerce étendu, et avait besoin d’un homme intelligent pour le conduire. Elle jeta les yeux sur Mahomet, et lui offrit des avantages considérables, s’il voulait se charger de la direction de ses affaires[28]. Il y consentit sans peine, et partit pour la Syrie où les intérêts de Cadige demandaient sa présence[29]. Maïsara, domestique de cette dame, l’accompagna pendant le voyage. Il vendit les marchandises qui lui avaient été confiées, fit des échanges avantageux, et revint chez Cadige chargé de richesses. La réputation de Mahomet l’avait prévenue en sa faveur. Son absence lui avait paru longue. Le succès de son entreprise la combla de joie. Elle sentit son cœur entièrement porté pour lui, (c’est l’expression d’Abul-Feda).

Loin de combattre un penchant légitime, elle s’y livra toute entière, et offrit sa main à celui qui l’avait fait naître. Mahomet accepta cette faveur avec reconnaissance. Abutaleb, accompagné des principaux coreïshites, fit la célébration du mariage. Il prononça cette formule qui mérite d’être rapportée parce qu’elle sert à faire connaître les mœurs des anciens Arabes.

« Louange à Dieu qui nous a fait naître de la postérité d’Abraham et d’Ismaël[30] ! Louange à Dieu qui nous a donné pour héritage le territoire sacré, qui nous a établis les gardiens de la maison du pèlerinage et les juges des hommes ! Mahammed, fils d’Abdallah, mon neveu, est privé des biens de la fortune, de ces biens qui ne sont qu’une ombre passagère, et un dépôt qu’on rendra tôt ou tard ; mais il l’emporte sur tous les coreïshites, en beauté, en vertu, en intelligence, en gloire, et en pénétration d’esprit. Mahammed, dis-je, mon neveu étant amoureux de Cadige, et Cadige amoureuse de lui, je déclare que, quelle que soit la dot[31] nécessaire pour la conclusion de ce mariage, je me charge de la payer. »

Ce discours prononcé, Abutaleb unit les deux époux, et donna vingt chameaux pour la dot de Cadige. On prépara ensuite le festin nuptial, et, pour augmenter la joie des convives, la nouvelle épouse fit[32] danser ses filles esclaves au son des timbales. Pendant ce temps Mahomet s’entretenait avec ses parens.

Il n’était âgé que de vingt-cinq ans[33]. Elle en avait quarante. Elle fut la première à croire à sa mission, et vécut encore dix ans après cette époque.

Cette alliance enrichissait Mahomet. Elle ne l’enivra point[34]. Il aima constamment celle à qui il devait sa fortune. Aussi long-temps qu’elle vécut, il résista à la loi de son pays qui lui permettait d’épouser plusieurs femmes. La prospérité ne changea point son cœur. Halima, sa nourrice, vint lui exposer sa pauvreté. Il en fut attendri, et sollicita pour elle la bienfaisance de Cadige qui lui donna un troupeau de quarante brebis. Halima s’en retourna joyeuse au désert des Saadites.

Ici l’histoire se tait. Quinze années de la vie de Mahomet sont couvertes d’un voile, et reposent sous le silence. On ignore ce qu’il fit depuis vingt-cinq ans jusqu’à quarante. Abul-Feda seul, nous dit un mot ; mais c’est un trait de lumière qui jette un grand jour sur l’histoire. Dieu, dit-il, lui avait inspiré l’amour de la solitude. Il vivait retiré, et passait tous les ans un mois dans une grotte du mont Hara[35].

C’était pendant ces années obscures que le législateur de l’Arabie jetait les fondemens de sa grandeur future. C’était dans le silence de la retraite qu’il méditait cette religion qui devait soumettre l’Orient. La dispersion du peuple hébreu après la ruine de Jérusalem, les guerres de religion allumées parmi les Grecs, avaient peuplé l’Arabie de juifs et de chrétiens. Il étudia leurs dogmes, et joignit à ces connaissances l’histoire de son pays. L’église d’Orient était divisée. Une foule de sectes nées de son sein le déchiraient. Les empereurs oubliant le soin de leur empire, mettaient leur gloire à soutenir des questions de théologie, tandis que les Perses, sous les drapeaux de Cosroës, portaient la flamme et le fer aux portes de Constantinople. Les Arabes ayant presque perdu l’idée d’un Dieu unique, étaient replongés dans les ténèbres de l’idolâtrie. Le temple de la Mecque, un des premiers que les hommes aient élevé à la gloire de l’être suprême, avait vu souiller son sanctuaire. Ismaël et Abraham y étaient peints, tenant en main les flèches du sort. Trois cents idoles en entouraient l’enceinte. Tel était l’état de l’Orient, lorsque Mahomet songeait à y établir l’islamisme, et à rassembler sous une même loi les Arabes divisés. Le conducteur des Israélites leur avait apporté le Pentateuque. Le rédempteur des hommes leur avait enseigné l’évangile. Mahomet voulut paraître avec un livre divin aux yeux de sa nation. Il se mit à composer le Coran. Connaissant le génie ardent des Arabes, il chercha plutôt à les séduire par les grâces du style, à les étonner par la magnificence des images, qu’à les persuader par la force du raisonnement. Un trait de politique auquel il dut principalement ses succès, fut de ne donner le Coran que par versets, et dans l’espace de vingt-trois ans. Cette sage précaution le rendit maître des oracles du ciel, et il le faisait parler suivant les circonstances. Quinze années furent employées à jeter les fondemens de son système religieux. Il fallait le produire au grand jour, et surtout cacher la main qui attachait au ciel la chaîne des mortels. Il feignit de ne savoir ni lire, ni écrire, et comptant sur son éloquence naturelle, sur un génie fécond qui ne le trompa jamais, il prit le ton imposant de prophète. Numa se faisait instruire par la nymphe Égérie. Mahomet choisit pour maître l’archange Gabriel.

(Depuis la chute d’Adam, suivant Abul-Feda. 6206. — Depuis la naissance de J.-C. 621. — Avant l’hégire. 13. — De Mahomet. 40.)

Le législateur de l’Arabie avait atteint sa quarantième année ; le moment qu’il avait choisi pour annoncer sa mission était venu. Il se retira, suivant sa coutume, dans la grotte du mont Hara, accompagné de quelques domestiques. La nuit qui devait le couvrir de gloire, suivant l’expression d’Abul-Feda, étant arrivée, Gabriel descendit du Ciel, et lui dit : Lis[36]. Je ne sais pas lire, répondit Mahomet.

[37] Lis, ajouta l’Ange, au nom du Dieu créateur.
Il forma l’homme en réunissant les sexes.
Lis au nom du Dieu adorable.
Il apprit à l’homme à se servir de la plume.
Il mit dans son âme le rayon de la science.

Mahomet récita ces versets, et s’avança jusqu’au milieu de la montagne[38]. Il entendit une voix céleste qui répétait ces mots : Ô Mahomet ! tu es l’apôtre de Dieu, et je suis Gabriel. Il resta en contemplation jusqu’au moment où l’ange disparut à ses yeux.

Mahomet n’avait point de confident. Il fallait qu’on le crût sur sa parole. Il s’adressa d’abord à son épouse. Sûr de son cœur, il séduisit facilement son esprit. Il lui fit le récit de sa vision, et n’oublia aucune des circonstances glorieuses qui l’accompagnaient. « Ce que vous m’apprenez, lui dit Cadige[39], me comble de joie. Cette vision est d’un heureux présage[40]. J’en jure par celui qui tient mon âme dans ses mains, vous serez l’apôtre de votre nation. » Dépositaire du secret de Mahomet, elle alla sur-le-champ le confier à Waraca, son parent. Il était versé dans les écritures, et connaissait les livres sacrés des juifs et des chrétiens. Il confirma Cadige dans son opinion, et l’assura que Mahomet serait l’apôtre des Arabes. Ce témoignage charma cette femme aimante. Elle ne put s’empêcher de le rapporter à son époux.

Elle fut la première à croire à sa mission, et à embrasser l’islamisme[41]. Mahomet ne fit point d’éclat d’abord. Il suivit pas à pas la route qu’il s’était tracée ; mais il la suivit constamment. Après la conversion de Cadige, il jeta les yeux sur Ali. C’était un des fils d’Abutaleb, son oncle. Il s’en était chargé dans un temps où la famine désolait le territoire de la Mecque. Depuis ce moment il l’élevait dans sa maison avec des soins paternels. Ayant reconnu dans son élève, un caractère impétueux, une imagination ardente, il fortifiait ses dispositions naturelles, et le rendait digne d’être le rival de ses exploits guerriers. La séduction d’un cœur où il régnait par ses bienfaits ne fut pas pénible. Ali crut à la seule parole de Mahomet, et jura de sceller de son sang sa croyance. Il n’avait alors, suivant la commune opinion, qu’onze ans[42].

Mahomet ne voulait point laisser d’incrédule dans l’intérieur de sa maison. Zaïd, fils d’Elharet, son esclave, annonçait des talens. Il se l’attacha par le lien puissant de la religion. Zaïd reconnut avec joie la mission d’un maître de qui il attendait la liberté. Il embrassa l’islamisme, et il fut affranchi.

Abubecr, citoyen puissant de la Mecque, renommé pour sa probité et ses richesses, lui parut propre à donner du poids à sa nouvelle religion. Il entreprit sa conversion. Le succès couronna ses efforts. Abubecr[43] devint zélé musulman. Ce fut une conquête. Il porta parmi ses amis l’ardeur dont il était embrasé, et en subjugua plusieurs. Il amena aux pieds du prophète Otman, fils d’Afan, Aberrohman, fils d’Hauf ; Saad, fils d’Abu-wacas[44] ; Zobaïr, fils d’Elawam ; et Telha, fils d’Abid-allah. Tous crurent et firent profession de l’islamisme. Tels furent les premiers prosélytes de la religion mahométane. Plusieurs autres suivirent leur exemple. Mahomet eut la joie de voir se ranger sous ses drapeaux, Abu-obeïda ; Saïd, fils de Zeid ; Abdallah, fils de Macoud ; et Amer, fils d’Iaser. Jusque-là le nombre de ses disciples n’était pas considérable ; mais leur naissance, leurs richesses, et les talens de plusieurs d’entr’eux, firent naître dans son cœur de flatteuses espérances. Trop faible pour paraître au grand jour, il résolut de ne se manifester qu’aux croyans. Il s’occupa à les instruire, et à les affermir dans leur foi. Pendant trois ans encore, il couvrit des ombres du mystère, et sa doctrine, et ses vastes desseins. Lorsqu’il crut pouvoir compter sur l’obéissance aveugle des nouveaux convertis, il annonça une nouvelle révélation. Gabriel lui apparut, et lui commanda de prêcher ses proches, et de les exhorter à se faire musulmans. Il appelle Ali, et lui dit : « Prépare-nous un festin. Apprête un agneau rôti. Fais remplir un grand vase de lait. Invite les enfans d’Abdel-elmotalleb. Il est temps que je leur déclare les volontés du ciel. »

(Depuis la chute d’Adam, suivant Abul-Feda. 6207. — Depuis la naissance de J.-C. 622. — Avant l’hégire. 9. — De Mahomet. 44.)

Ali obéit. Les convives se trouvèrent au nombre de quarante, tous parens d’Abutaleb. Tous furent rassasiés. Le repas fini, Mahomet voulut les entretenir, il commençait à leur parler de sa nouvelle doctrine, lorsqu’Abulahab, peu satisfait de cette réception, l’interrompit : « C’est trop long-temps retenir vos hôtes, lui dit-il malignement ; n’abusez point de leur complaisance. » À ces mots l’assemblée se sépara. Ce contre-temps ne découragea point Mahomet. « Avez-vous vu, dit-il à Ali, comme Abulahab m’a coupé la parole ? Mais préparez un semblable repas pour demain, et invitez les mêmes convives ». Ali exécuta ces ordres. La famille d’Abd-elmotalleb se rendit à l’invitation. À peine le repas fini, Mahomet leur parla en ces termes : « Jamais mortel n’offrit à sa nation un bien aussi précieux que celui que je vous apporte. Je vous offre le bonheur dans ce monde, et la félicité dans le ciel. Dieu m’a commandé de vous appeler à lui. Qui de vous partagera mon emploi, et sera mon visir[45] ? Qui de vous veut être mon frère, mon lieutenant et mon calife[46] » ? Les convives étonnés gardaient le silence. Aucun d’eux n’osait se déclarer. Ali indigné se leva, et dit : « Ô prophète ! ce sera moi. Je partagerai tes travaux, j’arracherai les yeux de tes ennemis ; je leur briserai les dents et leur fendrai la poitrine[47] ». Ce zèle peu mesuré, ne déplut point à Mahomet. Il embrassa Ali, et dit, en présence de ses parens : « Voilà mon frère, mon lieutenant et mon calife. Écoutez-le, et lui obéissez ». Toute l’assemblée éclatant de rire, tourna les yeux vers Abutaleb « C’est à toi désormais, s’écria-t-on, à recevoir les ordres de ton fils, et à lui prêter obéissance. »

Ce début peu favorable n’arrêta pas le nouvel apôtre. Inébranlable dans ses desseins, il marcha d’un pas ferme à leur exécution. Il continua d’exhorter ses parens et ses amis à embrasser l’islamisme. Il tonnait contre l’idolâtrie et la foudroyait de son éloquence victorieuse. Le peuple trembla pour ses dieux. Les grands craignirent pour leur puissance. La haine fut le fruit de son zèle. Toute sa famille l’abandonna. Ses disciples seuls lui restèrent fidèles.

Abutaleb soutenait en secret les intérêts d’un neveu qui lui était cher. Les chefs des Coreïshites vinrent le trouver. Otba, Abusofian, Abugehel et quelques autres choisis parmi les principaux de la tribu, lui parlèrent en ces termes. « Ô Abutaleb ! le fils de ton frère couvre nos dieux d’opprobre. Il accuse nos sages vieillards d’ignorance, et soutient que nos-pères ont vécu dans l’erreur. Arrête ses écarts. Réprime son orgueil de peur que la discorde ne vienne troubler la paix où nous vivons[48] ». Abutaleb parut touché de ces plaintes. Il parla avec douceur aux députés, et promit de mettre un frein à la violence de son neveu.

Ses représentations furent vaines. Mahomet n’en déclama qu’avec plus de force contre l’idolâtrie. Il démontra la vanité des idoles, et l’absurdité de leurs adorateurs. Ses discours étaient semés de traits de lumière qui portaient le jour à travers les ténèbres dont le peuple était environné. Les Coreïshites en furent alarmés. Ils craignirent de voir abolir un culte dont ils étaient les soutiens. L’autorité dont ils jouissaient à l’abri des autels, leur parut ébranlée. Ils se réunirent pour écraser celui qui en sapait les fondemens. Leurs chefs vinrent une seconde fois trouver Abutaleb, et lui tinrent ce discours : « Si tu n’imposes silence au fils de ton frère ; si tu ne réprimes son zèle audacieux, nous allons prendre les armes pour la défense de notre religion. Les liens du sang ne nous retiendront plus ; nous verrons de quel côté se déclarera la victoire. » Abutaleb, effrayé de ces menaces, se hâta d’en faire part à Mahomet[49]. Il en reçut cette fière réponse : « Ô mon oncle ! quand les Coreïshites armeraient contre moi le soleil et la lune ; quand je verrais ces deux astres, l’un à ma droite l’autre à ma gauche, je n’en serais pas moins inébranlable dans ma résolution. » Abutaleb, convaincu que les promesses et les menaces n’avaient aucun empire sur une âme aussi ferme, ne put s’empêcher de lui dire : « Que dois-je répondre aux Coreïshites ? Pour moi, quoique je désapprouve votre conduite, je sens bien que je ne vous abandonnerai jamais, quelque parti que prennent vos ennemis. »

Cependant la tribu, s’étant assemblée, prononça l’exil contre tous ceux qui avaient embrassé l’islamisme. Le crédit d’Abutaleb couvrit Mahomet pour un temps, et l’empêcha d’être enveloppé dans la proscription générale.

Le hasard fournit à son parti un soutien puissant. Il s’était retiré dans un château situé sur le mont Safa. Abugehel[50], l’y ayant rencontré, l’accabla d’injures. Mahomet garda le silence. Hamza[51], un des fils d’Abd el Motalleb, connu par sa bravoure, apprit l’insulte faite à son neveu. Il revenait de la chasse, et portait son arc sur ses épaules. Bouillant de colère il court à la vengeance. Il va droit à l’assemblée des Coreïshites. Il y aperçoit Abugehel, lève son arc, et lui en décharge un grand coup sur la tête. « Voilà, dit-il, le prix de l’affront que tu as fait à mon neveu ». Les Maksoumites, s’étant levés précipitamment, se disposaient à repousser la violence. Hamza, pour les braver, ajouta : « Je vous déclare à tous que je quitte les autels de vos dieux, et que je me fais musulman ». La conversion de Hamza fut un triomphe pour Mahomet. Elle éleva l’espoir de ses partisans, et abaissa l’orgueil des Coreïshites. Ils n’osèrent, pendant quelque temps, faire éclater publiquement leur haine. Elle n’en devint que plus dangereuse. Ils tramèrent dans les ténèbres la perte de l’apôtre des croyans. Ils ne cherchaient qu’un homme assez déterminé pour étouffer dans le berceau la religion naissante, en immolant son chef. Le féroce Omar[52] offrit son bras. On encouragea son audace. Il partit, tenant en main l’épée qu’il devait plonger dans le sein de Mahomet. Il rencontra en chemin Naïm, qui lui demanda où il allait ainsi armé. Omar ne lui en fit point mystère. Il lui déclara son dessein. « À quoi vas tu t’exposer ? lui représenta Naïm. Si tu commets ce crime, les enfans d’Abdmenaf[53] ne souffriront pas que le meurtrier de leur parent foule plus long-temps la terre. Que ne vas-tu plutôt trouver ta sœur et Saïd son mari ? Ils sont musulmans ». Omar, à cette nouvelle, sentit, redoubler son indignation, mais elle changea d’objet. Il tourna ses pas vers la maison d’Amena sa sœur. On y lisait le chapitre du Coran, qui a pour titre, T. H. Il entendit réciter quelques versets, et entra. Aussitôt qu’on l’aperçut, on cacha le volume, et tout le monde garda le silence. « Quel livre lisiez-vous ? » demanda-t-il à sa sœur. Elle refusa de le satisfaire. Omar, ne se possédant plus, lui donna un soufflet, et lui commanda d’obéir. « Vos outrages sont inutiles, lui répondit Amena. Nous ne pouvons vous accorder ce que vous désirez. Daignez-nous excuser. Ce refus est une loi nécessaire ». Omar, devenu plus calme, fit de nouvelles instances, et promit de rendre fidèlement le dépôt qu’on lui confierait. Amena ne résista pas plus long-temps, et lui remit le Coran. Il en lut plusieurs versets ; et, l’enthousiasme prenant la place de la violence, il s’écria : « Que cette doctrine est sublime ! Combien je la révère ! je brûle d’embrasser l’islamisme. Où est Mahomet ? » — « Au château de Safa[54]. » C’était-là qu’il s’était retiré pour éviter la persécution des Coreïshites. Environ quarante fidèles tant hommes que femmes, rassemblés autour de lui, s’instruisaient dans la nouvelle religion. Hamza, Abubecr et Ali, étaient de ce nombre. Le nouveau prosélyte s’y fit conduire. Il frappe à la porte. On ouvre. La vue d’Omar, couvert de ses armes, jeta l’effroi dans l’assemblée. Mahomet, inaccessible à la crainte, se leva, courut à lui, et le prenant par le bord de son manteau le pressa d’entrer. « Fils de Kettab, lui dit-il, avez-vous dessein de rester sous ce portique, jusqu’à ce que le toit vous tombe sur la tête ? Je viens, répondit Omar, croire en dieu et en son apôtre ». Il embrassa l’islamisme, et en devint un des plus zélés défenseurs. Sa férocité ne s’adoucit point. Il garda son caractère. Incapable de ménagemens, il bravait au milieu même du temple les Coreïshites assemblés. La désertion d’Omar, un des plus nobles citoyens de la Mecque, les éclaira sur la ruine prochaine de leur culte. On prit des mesures violentes pour la prévenir. La persécution devint générale. Trop faible encore pour défendre sa religion et ses disciples, Mahomet céda aux circonstances. Il permit à ceux qui n’avaient point de famille de se retirer dans le royaume d’Abasha[55].

(Depuis la chute d’Adam, suivant Abul-Feda. 6208. — Depuis la naissance de J.-C. 623. — Avant l’hégire. 8. — De Mahomet. 45. — De sa mission. 5)

La politique lui dicta ce conseil. C’était se préparer un refuge dans l’adversité. Douze hommes et quatre femmes prirent ce parti. Les plus distingués d’entre les transfuges, furent Otman et Rokaia, son épouse, fille de Mahomet ; Zobaïr, fils d’Awam ; Otman, fils de Matoun ; Abdallah, fils de Maçoud ; et Abd el Rohman, fils d’Auf[56]. Cette troupe de fugitifs s’embarqua sur la mer Rouge, et passa dans les états du Najashi[57]. Le roi leur fit un accueil favorable. Ils virent bientôt arriver Jafar, fils d’Abutaleb. D’autres transfuges le suivirent, et leur nombre se trouva de quatre-vingt-trois citoyens de la Mecque, et de treize femmes.

[58] Les Coreïshites, pour arrêter ces émigrations, et pour ôter un asile aux partisans de Mahomet, envoyèrent une ambassade au roi d’Abyssinie. Abdallah fils d’Abourabié, et Amrou fils d’Elas, furent chargés de lui porter des présens, et de lui redemander les fugitifs. Ils s’acquittèrent de leur mission ; mais le prince était prévenu en faveur des musulmans. Il avait écouté avec admiration ce que Jafar lui avait raconté de l’apôtre de l’Arabie. Il renvoya les ambassadeurs avec leurs présens. Ce mauvais succès ne rallentit point l’animosité des Coreïshites. N’ayant pu faire périr secrètement Mahomet, entouré de zélateurs qui veillaient sur ses jours, ils prononcèrent la proscription contre les enfans de Hashem[59]. Le décret passa au nom de toutes les tribus[60]. Toute alliance, toute communication leur furent interdites avec le reste des Arabes. Universellement proscrits, leur exil ne devait cesser qu’à l’instant où ils livreraient au ressentiment de la nation le novateur dangereux. L’arrêt écrit sur du parchemin fut affiché dans l’intérieur de la Caaba.

Les descendans de Hashem, tant idolâtres que croyans, ne trouvant plus de sûreté au milieu de leurs concitoyens, se réfugièrent dans le château d’Abutaleb. Ils y trouvèrent un asile. Abulahab[61], fils de Motalleb, fut le seul de cette famille qui passa du côté des Coreïshites. Les Hashemites demeurèrent enfermés l’espace de trois ans. Les avenues du château d’Abutaleb étant gardées par les ennemis, les exilés étaient obligés d’aller chercher des vivres les armes à la main. Les mois sacrés, où les hostilités sont suspendues, étaient le seul temps où ils jouissaient de quelque liberté. Leur exil durait encore lorsque le bruit se répandit, en Abyssinie, que les Mecquois avaient embrassé l’islamisme. À l’instant trente-trois des fugitifs s’embarquèrent et passèrent en Arabie. À peine descendus sur le rivage, ils connurent la fausseté de cette nouvelle, et se rembarquèrent sur-le-champ. Otman, fils d’Afan, Elzobaïr, fils d’Awam, et Otman, fils de Matoun, osèrent seuls pénétrer jusqu’à la Mecque.

Les hostilités continuaient entre les deux partis. On en venait souvent aux mains avec des succès différens. Un événement imprévu suspendit les discordes civiles. Le diplôme dicté par la vengeance des Coreïshites, fut rongé par les vers. Mahomet l’apprit, et, soit qu’il eût eu part à l’événement, soit qu’il fût un effet naturel, il sut en tirer parti. « Mon oncle, dit-il à Abutaleb, le ciel a donné la victoire à un ver sur le décret des Coreïshites[62]. Tout ce que l’injustice et la violence avaient enfanté vient d’être anéanti. Le nom seul de Dieu a été respecté[63]. »

Abulateb alla trouver les Coreïshites, et leur raconta ce qui était arrivé. « Si le fait est vrai, ajouta-t-il, éteignez le feu de vos haines ; levez l’anathême lancé contre nous. Si c’est une imposture, je consens à vous livrer mon neveu. » La condition fut acceptée. On se rendit au temple. Tout était conforme au rapport d’Abutaleb. La loi qui proscrivait les Hashemites fut abrogée. Rendus à la société, ils jouirent de ses droits comme auparavant.

Des historiens, amateurs du merveilleux, placent vers cette époque un miracle insigne opéré par Mahomet. Les chefs des Coreïshites, voulant le confondre aux yeux de la nation, avaient gagné Habib, fils de Malec. Ce Prince, âgé de cent vingt ans, connaissait toutes les religions. Il avait été successivement juif, chrétien, mage. On força Mahomet de comparaître devant lui. Le vieillard, entouré des princes arabes, était assis sur un trône au milieu de la campagne. Une foule de peuple l’environnait au loin. L’apôtre des musulmans s’avance avec confiance vers son juge, qui lui propose, pour prouver sa mission, de couvrir le ciel de ténèbres, de faire paraître la lune en son plein, et de la forcer à descendre sur la Caaba. La gageure est acceptée. Le soleil était au plus haut de son cours. Aucun nuage n’interceptait ses rayons. Mahomet commande aux ténèbres, et elles voilent la face des cieux. Il commande à la lune, et elle paraît au firmament. Elle quitte sa route accoutumée, et bondissant dans les airs, elle va se reposer sur le faîte de la Caaba. Elle en fait sept fois le tour, et vient se placer sur la montagne d’Abu-Cobaïs où elle prononce un discours à la louange du prophète. Elle entre par la manche droite de son manteau, et sort par la gauche ; puis, prenant son essor dans les airs, elle se partage en deux. L’une des moitiés vole vers l’orient, l’autre vers l’occident ; elles se réunissent dans les cieux, et l’astre continue d’éclairer la terre.

Ces rêveries, inventées par des visionnaires, longuement décrites par Gagnier, ridiculement combattues par Maracci, et par le docteur Prideaux, sont regardées comme apocryphes par les musulmans mêmes. Abul-Feda et les plus sages historiens, loin de les attribuer au législateur de l’Orient, n’en ont pas même parlé. Ils les ont jugées dignes d’un oubli éternel. Ce silence aurait dû rendre circonspects les écrivains modernes qui les citent avec emphase, soit pour exalter, soit pour déprimer Mahomet. Il doit être jugé sur ses actions et ses écrits, et non sur les visions que lui ont prêtées des fanatiques. Loin de s’attribuer le don des miracles, il déclare dans vingt endroits du Coran, que Dieu donne cette puissance à ceux qu’il veut de ses serviteurs, mais qu’il n’est chargé que de la prédication[64]. Ce n’est point l’aveu de la modestie, c’est celui de la nécessité. Il connaissait l’impossibilité de changer l’ordre établi dans l’univers par le Créateur suprême, ou d’en imposer par de faux prestiges à ses concitoyens clairvoyans et prévenus ; mais il se sentait né pour commander à ses semblables, et pour leur donner des lois. Il osa entreprendre cette tâche pénible, et à travers mille obstacles, il vint à bout de ses hardis desseins. Ces détails nous ont paru nécessaires. Nous déclarons que nous n’écrivons point les miracles de Mahomet (il assure qu’il n’en fit jamais), mais sa vie, et ses actions.

(Depuis la chute d’Adam, suivant Abul-Feda. 6213. — Depuis la naissance de J.-C. 628. — Avant l’hégire. 3. — De Mahomet. 50. — De sa mission. 10.)

L’abrogation de l’arrêt des Coreïshites avait suspendu les hostilités sans éteindre l’animosité qui subsistait entre les deux partis. Si Mahomet goûtait quelque repos, il le devait au crédit d’Abutaleb. La mort lui enleva cet appui. Lorsqu’il était sur le point d’expirer, Mahomet voulut profiter d’un moment de faiblesse, pour lui faire prononcer la profession de foi des musulmans : Il n’y a qu’un Dieu, et Mahomet est son prophète[65] ; mais le vieillard conserva assez de force d’âme pour lui répondre en ces mots : « Fils de mon frère, je me rendrais volontiers à vos désirs, si je ne craignais le déshonneur ; mais je ne veux pas laisser croire aux Coreïshites, que la peur de la mort m’a rendu musulman ». C’est ainsi qu’Abutaleb, âgé de plus de quatre-vingts ans, finit sa carrière. Mahomet déplorait encore sa mort, lorsque Cadige lui fut enlevée. Il lui était attaché par l’amour et la reconnaissance. Il la pleura. Cette double perte fut pour lui le signal des disgrâces. Les inimitiés se réveillèrent. Les Coreïshites, n’ayant plus rien à ménager, devinrent plus ardens à le tourmenter. Il se vit entouré de persécuteurs. Abulahab, Elhakem et Ocba, qui avaient été ses amis, ne perdaient aucune occasion de lui nuire. Ils l’insultaient à sa table ; ils l’insultaient lorsqu’il priait ; partout ils se déclaraient ses ennemis. Il s’en plaint en ces mots dans le Coran :

[66] Que penser de celui qui trouble
Le serviteur de Dieu lorsqu’il prie ;
Lorsqu’il accomplit l’ordre du Ciel ;
Lorsqu’il recommande la piété ?

[67] En butte à tous les traits, Mahomet quitta sa patrie. Il tourna ses pas vers Taïef. Cette ville, située dans les montagnes, à vingt lieues à l’orient de la Mecque, réunissait plusieurs avantages. C’était une place forte, habitée par une tribu puissante et belliqueuse. Son territoire était fertile. Ces raisons le déterminèrent à y chercher un refuge. Espérant que les Takifites recevraient plus volontiers sa nouvelle doctrine, il se rendit à leur assemblée. Elle était composée des plus nobles citoyens. Parmi eux, on distinguait Maçoud et Habib, deux fils d’Amrou. Il leur adressa la parole. Après avoir représenté l’absurdité de l’idolâtrie ; après leur avoir offert un tableau magnifique de la puissance du dieu unique qu’il adorait ; après avoir peint les merveilles de sa création[68], il ajouta : « Je suis le messager de ce dieu, et il m’a chargé de vous prêcher l’islamisme. » « Si dieu voulait nous convertir, lui dit froidement un des assistans, tu ne serais certainement pas l’apôtre qu’il eut choisi. Pour moi, continua un autre, je ne combattrai point tes argumens ; car si tu es véritablement l’apôtre de Dieu, ton caractère est trop auguste pour qu’un mortel ose disputer contre toi ; et si tu es un imposteur, tu ne mérites pas que je te réponde ». Mahomet garda le silence, et sortit de l’assemblée. Quelques Takifites, plus raisonnables, lui firent un meilleur accueil ; mais le peuple, dont il avait combattu les divinités, se déchaîna contre lui, et il fut chassé de la ville. « Dieu suprême, s’écria-t-il en quittant Taïef, les insensés vont t’attribuer ma faiblesse, l’impuissance de mon zèle, et l’opprobre dont ils m’ont couvert. Ô toi, dont la miséricorde est sans bornes ! tu es le seigneur des faibles, tu es mon seigneur. Que ta colère n’éclate pas contre moi, si l’homme superbe a dédaigné de m’entendre ! » Il retourna à la Mecque, où il arriva le 23 du mois elcaada[69].

Ces disgrâces ne lassaient point sa constance. Elle était au-dessus des revers. On célébrait les fêtes du pèlerinage[70]. Ces solennités attiraient à la Mecque un grand concours de peuple. Mahomet employait ce temps à prêcher contre l’idolâtrie. Sur les chemins, dans les places publiques, partout il élevait sa voix contre les faux dieux. « Enfans de telle tribu, criait-il aux diverses familles arabes, je suis l’apôtre de dieu[71] ; il vous commande de l’adorer, de ne point lui donner d’égal, de retrancher de son culte tout ce qui n’est pas lui, de croire à ma mission, et d’en attester la vérité ». Cette hardiesse avec laquelle il osait combatre les idoles au milieu de leurs adorateurs, mettait ses jours en danger ; mais la mort n’effraie point l’ambitieux. Cependant il s’adressait plus volontiers aux tribus étrangères, qu’aux citoyens de la Mecque. Un jour qu’il était sur une colline nommée Acaba[72], il rencontra six habitans d’Yatreb qui conversaient ensemble.

(Depuis la chute d’Adam, suivant Abul-Feda. 6014. — Depuis la naissance de J.-C. 629. — Avant l’hégire. 2. — De Mahomet. 51. — De sa mission. 11.)

Il s’approcha d’eux, et prit part à la conversation. La grâce avec laquelle il s’énonçait charma les étrangers. Ils reconnurent le langage poli, l’urbanité d’un Coreïshite[73]. Ils l’écoutèrent avec attention. Mahomet, s’apercevant de l’impression qu’il faisait sur eux, voulut achever de les convaincre. Il leur récita quelques versets du Coran, où il fait des peintures brillantes de la puissance divine, et où il invite tous les humains à embrasser le culte du seul dieu de l’univers. Les étrangers, frappés d’admiration, se soumirent au joug de l’islamisme, et crurent à la mission de Mahomet[74]. L’enthousiasme qu’il leur avait inspiré ne s’effaça point. De retour à Médine, ils devinrent les apôtres de la nouvelle doctrine, et la prêcheront à leurs concitoyens[75]. La ville était partagée entre les Awasites et les Cazregites. Les nouveaux convertis étaient de cette dernière tribu. Liés avec les Coraïdites et les Nadirites, deux tribus juives, qui occupaient des places fortes aux environs de Médine, ils leur avaient souvent entendu parler d’un prophète, qui devait soumettre à son empire toutes les nations de la terre. Sachant avec quelle ardeur les juifs désiraient sa venue, et ayant cru trouver dans Mahomet cet envoyé du ciel, ils s’étaient hâtés d’embrasser sa religion, afin de mériter ses faveurs. Ainsi Mahomet dut ce premier succès, autant à la politique qu’à son éloquence.

(Depuis la chute d’Adam, suivant Abul-Feda. 6215. — Depuis la naissance de J.-C. 630. — Avant l’hégire. 1. — De Mahomet. 52. — De sa mission. 12.)

L’histoire place un an avant l’hégire, le fameux voyage nocturne de Mahomet. Les plus graves historiens, ceux dont l’autorité doit faire loi, le regardent comme une vision. Mahomet l’imagina, pour donner du poids à la nouvelle manière de prier qu’il avait établie. Nous allons en donner la narration abrégée, d’après Elbokar et Abuhoreïra[76].

J’étais couché, dit Mahomet, entre les collines Safa et Merva[77], lorsque Gabriel, s’approchant de moi, m’éveilla[78]. Il conduisait avec lui Elborak[79], jument d’un gris argenté, et si vite, que l’œil a peine à le suivre dans son vol. Me l’ayant confiée, il me commanda de monter ; j’obéis. Nous partîmes. Dans un instant nous fûmes aux portes de Jérusalem. Elborak s’arrêta. Je descendis, et l’attachai aux anneaux où les prophètes avaient coutume d’attacher leurs montures. En entrant dans le temple, je rencontrai Abraham, Moïse, Jésus. Je fis la prière avec eux. Lorsqu’elle fut finie, je remontai sur Elborak, et nous continuâmes notre route. Nous parcourûmes avec la promptitude de l’éclair l’immense étendue des airs. Arrivés au premier ciel, Gabriel frappa à la porte. Qui est là, demanda-t-on ? — Gabriel. — Quel est ton compagnon ? — Mahomet. — A-t-il reçu sa mission ? — Il l’a reçue. — Qu’il soit le bienvenu ! À ces mots la porte s’ouvrit et nous entrâmes. Voilà ton père Adam, me dit Gabriel. Va le saluer. Je saluai Adam, et il me rendit le salut. Le ciel, ajouta-t-il, accomplisse tes vœux, ô mon fils honoré ! ô le plus grand des prophètes !

Nous partîmes. Je suivais mon guide à travers l’immensité de l’espace. Nous arrivâmes au second ciel, Gabriel frappa à la porte. Qui est là, demanda-t-on ? — Gabriel. — Quel est ton compagnon ? — Mahomet. — A-t-il reçu sa mission ? — Il l’a reçue. — Qu’il soit le bienvenu. La porte s’ouvrit et nous entrâmes. Je rencontrai Jésus et Jean. Je les saluai, et ils me rendirent le salut. Bonheur ! ajoutèrent-ils, à notre frère honoré, au plus grand des prophètes.

Mahomet, toujours volant sur Elborak, toujours conduit par Gabriel, parcourut toutes les sphères célestes avec les mêmes cérémonies. Au troisième ciel, il fut complimenté par Joseph ; au quatrième, par Henoc ; au cinquième, par Aaron ; au sixième, par Moïse ; au septième, il salua Abraham et reçut ses félicitations. De là il franchit une vaste étendue des cieux, et pénétra jusqu’au Lotos qui termine le jardin de délices. Les esprits célestes ne peuvent passer au delà. Cet arbre est si immense, qu’un seul de ses fruits nourrirait pendant un jour toutes les créatures de la terre. Du pied de cet arbre, sortent quatre fleuves, que l’imagination des orientaux s’est plu à embellir. Mahomet, après avoir parcouru toutes les beautés du séjour de délices, alla visiter la maison de l’adoration, où les esprits célestes vont en pèlerinage. Soixante-dix mille anges y rendent chaque jour leurs hommages à l’Éternel. Les mêmes n’y entrent jamais deux fois. Ce temple, bâti d’hyacinthes rouges, est entouré d’une multitude de lampes qui brûlent sans cesse. Après que Mahomet y eut fait sa prière, on lui présenta trois coupes remplies, l’une de vin, l’autre de lait, et la troisième de miel. Il choisit celle qui était remplie de lait. Gabriel le félicitant sur son choix, lui dit qu’il était d’un heureux présage pour sa nation. Après qu’il eut traversé des cieux d’une vaste étendue, des océans de lumière, il s’approcha du trône de Dieu, qui lui commanda de faire cinquante fois la prière par jour. Descendu au ciel de Moïse, il lui fit part de l’ordre qu’il avait reçu. Retourne vers le Seigneur, lui dit le conducteur des Hébreux, prie-le d’adoucir le précepte, jamais ton peuple ne pourra l’accomplir. Mahomet remonta vers le Très-Haut, et le pria de diminuer le nombre des prières. Il fut réduit à quarante. Moïse, engagea Mahomet à de nouvelles instances. Dieu diminua encore de dix, le nombre des prières. Enfin, après des messages plusieurs fois réitérés par le conseil de Moïse, le nombre des prières fut réduit à cinq. Le prophète consolé fit ses adieux au conducteur des Israélites, et reprit son vol vers la terre. Elborak le déposa au lieu où il l’avait pris quelques heures auparavant.

Les docteurs mahométans ont écrit des volumes sur le voyage nocturne. Livrés au délire d’une imagination exaltée, ils en ont fait des peintures extravagantes. Parmi quelques traits sublimes, et qui eussent fait honneur au pinceau de Milton, ils ont mêlé une foule de tableaux gigantesques et de contes puérils. Nous nous sommes bornés au récit que Mahomet, si l’on en croit quelques historiens, fit lui-même à ses concitoyens. Il n’eut pas le succès qu’il en attendait. Les Coréishites n’étaient pas faciles à persuader. Ils se moquèrent d’un visionnaire qui voulait être cru sur sa parole[80]. Ses disciples murmurèrent pour la première fois. Quelques-uns même, ne pouvant résister aux traits du ridicule lancés de toutes parts, doutèrent de leur prophète, et retournèrent à l’idolâtrie. Les autres étaient ébranlés ; Mahomet trouva le moyen de les raffermir dans leur croyance. Abubecr, dont le témoignage était d’un grand poids, donna de l’authenticité au voyage nocturne, en assurant qu’il y croyait, et qu’il en attestait la vérité. Ce témoignage calma les rumeurs, et laissa le temps au prophète de reprendre sur les esprits, l’empire qu’une indiscrétion avait manqué de détruire. Abubecr mérita le surnom glorieux d’Elseddik, le témoin fidèle.

Tandis qu’on disputait à la Mecque sur la vision de Mahomet, Médine retentissait de ses louanges. Le zèle des nouveaux convertis y avait fait des prosélytes. Douze fidèles en partirent, et vinrent le trouver au château d’Accaba. Ils le reconnurent pour leur chef, et lui prêtèrent serment d’obéissance et de fidélité. Ils jurèrent qu’ils ne donneraient point d’égal à Dieu, qu’ils éviteraient le vol et la fornication, qu’ils ne tueraient[81] point leurs propres enfans[82]. Ce serment fut nommé le serment des femmes, parce qu’elles en prêtaient un semblable[83], et qu’il n’engageait point à prendre les armes pour la guerre sacrée.

Reconnu chef suprême de la religion, Mahomet renvoya les[84] auxiliaires à Médine. Mosaab, disciple fervent, fut chargé de les accompagner et de les instruire. Il devait leur enseigner les cérémonies religieuses du nouveau culte, et leur lire le Coran. Il s’acquitta avec ferveur de cet emploi. À son arrivée, Açad, un des six premiers Cazregites qui avaient cru à la mission de Mahomet, alla le recevoir, et lui fit accepter un appartement dans sa maison. Osaid, seigneur arabe, craignant qu’on ne tramât quelque complot contre la patrie, vint les trouver. Il les aborda la lance à la main, et leur dit : « Quel dessein vous amène ici ? Êtes-vous venus reconnaître l’état de nos forces ? Quittez les murs de Médine, et si vos jours vous sont chers, partez promptement. » Asseyez-vous, lui répondit froidement Mosaab, et écoutez. Il prit le Coran, lui lut quelques versets, et lui exposa les principes fondamentaux de l’islamisme. Osaid trouva la doctrine admirable, et se fit musulman. Intimement lié avec Saad, prince des Awasites, il va le trouver, lui vante la nouvelle doctrine, et le conduit chez Açad, son parent. « Prince, lui dit celui-ci, si les liens du sang n’étaient des titres auprès de vous, je ne souffrirais pas qu’on vous entretînt dans ma maison d’une affaire qui peut vous être désagréable. Seigneur, ajouta Mosaab, daignez m’entendre ; si ma proposition vous agrée, je continuerai ; si elle vous déplaît, je m’arrête sur-le-champ. » Alors l’habile ministre prenant le Coran lut les passages les plus propres à faire impression sur l’esprit de Saad : il réussit au gré de ses désirs. Le prince des Awasites devint croyant.

[85] Nouvel enthousiaste, il se rendit à l’assemblée où se trouvaient les principaux de sa tribu ; il leur parla avec admiration du culte d’un dieu unique ; il leur vanta le bonheur de devenir ses adorateurs, et fit passer dans tous les cœurs son zèle et sa croyance. Le peuple, incapable de résister à l’exemple de ses chefs, se laissa entraîner. Aussitôt que les premiers de Médine eurent courbé leurs têtes sous le joug du mahométisme, semblable à un vaste incendie favorisé par le souffle des vents, il embrasa toute la ville. La seule famille d’Ommia, fils de Seïd, résista à l’empire de la nouveauté, et conserva ses dieux.

(Depuis la chute d’Adam, suivant Abul-Feda. 6216. — Depuis la naissance de J.-C. 631. — Avant l’hégire. 0. — De Mahomet. 53. — De sa mission. 13.)

Mosaab ne laissa point son ouvrage imparfait. Pour affermir ses prosélytes dans la foi, il les amena aux pieds de leur apôtre. Accompagné de soixante-trois des plus considérables, il se rendit à la Mecque pendant les fêtes du pèlerinage. Il fit savoir à Mahomet que la nuit d’après l’immolation des victimes, ils iraient le trouver au château d’Acaba où il s’était retiré. Mahomet les reçut à bras ouverts. Elabbas, son oncle, était encore idolâtre[86], mais le zèle pour sa religion n’avait point étouffé dans son cœur la voix de la nature. Connaissant le motif qui amenait les nouveaux disciples, il leur parla en ces termes : « Citoyens de Médine, vous savez quel est Mahomet. Sa naissance vous est connue. Nous l’avons séparé du peuple à cause de ses opinions. Rien de plus avantageux pour lui que votre accueil gracieux ; rien de plus favorable que l’asile que vous venez lui offrir. Si vos invitations sont sincères, soyez fidèles à vos engagemens. Défendez votre foi les armes à la main. Arrachez votre apôtre à la haine de ses ennemis. Mais si vous devez être parjures, éloignez-le de vous, et ne l’accueillez pas pour le trahir. » Les auxiliaires répondirent : « nous avons entendu, et nous serons fidèles à notre pacte ». Le silence régnait dans l’assemblée. Mahomet, pour disposer les esprits à la cérémonie qui devait s’opérer, fit lire un chapitre du Coran propre à la circonstance. Lorsque la lecture fut finie, il se leva, et dit : « Je vous prête serment, et je vous promets de ne vous abandonner jamais, à condition que vous me défendrez[87] contre mes ennemis avec la même ardeur que vous défendez vos femmes et vos enfans. » Si nous mourons en combattant pour toi, demandèrent les disciples, quelle sera notre récompense ? Le paradis, répondit Mahomet. Étends ta main, ajoutèrent-ils ; et il étendit sa main. Alors ils prêtèrent serment d’obéissance, et ils promirent de mourir plutôt que d’être parjures à Dieu et à son apôtre. Le ciel confirma ces promesses. « La récompense de ceux qui mourront pour la foi ne périra point[88]. » Dieu sera leur guide ; il rectifiera leur intention, et les introduira dans le jardin de délices dont il leur a fait la peinture. » Et dans un autre endroit : « Dieu a acheté la vie et les biens des fidèles. Le paradis en est le prix[89]… Réjouissez-vous de votre pacte. Il est le sceau de votre bonheur. »

L’inauguration finie, Mahomet voulut établir la paix parmi ses disciples. Médine était partagée entre les Awasites et les Cazregites. Ces deux tribus descendaient d’un même père[90]. Cette origine commune n’empêchait pas qu’elles ne fussent souvent divisées par des guerres civiles. Le prophète permit à ses prosélytes de parler, et d’exposer leurs plaintes mutuelles. Il éteignit les anciennes inimitiés, et prêcha l’union et la concorde. Ensuite il leur ordonna de choisir douze princes d’entr’eux pour veiller sur le peuple.[91] Neuf Cazregites[92] et trois Awasites furent élus. « Je vous établis, leur dit-il, les répondans du peuple avec la même puissance qu’eurent les disciples de Jésus, et moi je suis le répondant et le chef de tous les vrais croyans. » Lorsqu’il eut ainsi pourvu aux soins de la religion, il renvoya les auxiliaires à Médine. Il ordonna à tous les musulmans de s’y retirer. Il y fit conduire sa famille, et n’ayant plus à craindre que pour ses jours, il rentra dans les murs de la Mecque, accompagné seulement d’Abubecr et d’Ali.

Jusqu’à présent nous avons vu Mahomet luttant contre l’adversité, opposer aux invectives de ses ennemis, le silence ; à leurs décrets violens, la fermeté ; à leurs trames, la prudence ; et continuer, malgré leurs clameurs, à faire des prosélytes. Nous l’avons vu soumettre à l’islamisme les princes des tribus, gagner par ses émissaires l’esprit du roi d’Abyssinie, et se préparer par son adresse un asile à Médine. Jusqu’ici il n’a paru que derrière un voile. Proscrit à la Mecque, chassé de Taïef, environné d’ennemis puissans, il était forcé de couvrir sa marche de ténèbres. Bientôt il se montrera sur un plus grand théâtre. Aussi longtemps qu’il se crut trop faible pour paraître au grand jour, il n’imposa point à ses sectateurs la loi de prendre les armes. À peine put-il compter sur des succès, qu’il fit descendre du ciel l’ordre de combattre les idolâtres, et l’obligation de le défendre jusqu’à la mort. C’était à travers mille écueils qu’il était parvenu au point de pouvoir tourner contre ses ennemis leur haine et leurs complots. Il profita de la circonstance. En rentrant à la Mecque il risquait sa tête ; mais s’il échappait au fer de ses ennemis, il était sûr d’être reçu en triomphe à Médine, et devenait maître de la vengeance. Il ne balança pas à prendre ce parti dangereux. Ce qu’il avait prévu arriva. Les Coréishites savaient ses liaisons avec les habitans de Médine. La fuite de ses disciples et de ses proches, les avait instruits sur ses desseins. Reçu à Médine, il pouvait armer contr’eux deux tribus puissantes. Cette crainte leur fit prendre un parti violent. Ils résolurent d’étouffer l’ennemi de leurs dieux, et de leur puissance. On s’assembla. On tint conseil[93]. Tous d’une voix conclurent à la mort.[94] Afin de ne pas attirer sur eux seuls l’inimitié de la famille redoutable des Hashemites, il fut décidé qu’on choisirait un homme de chaque tribu, et que tous ensemble poignarderaient le coupable. L’exécution de l’arrêt sanglant fut remise à la nuit suivante. Mahomet, instruit du sort dont il était menacé, en fit part au généreux Ali. Il lui confia un dépôt précieux, avec ordre de ne le rendre qu’à son maître. Il lui commanda de coucher dans son lit, revêtu de son manteau vert, et sortit. Ayant trompé la vigilance de ses assassins, il se rendit à la maison d’Abubecr. « Le moment est venu, lui dit Mahomet ; il faut fuir. Le ciel l’ordonne. — Suivrai-je vos pas ? — Suis-moi. » Ils partirent, ayant pour guide un jeune idolâtre nommé Abdallah. Les ténèbres favorisèrent leur fuite[95].

(Depuis la chute d’Adam, suivant Abul-Feda. 6216. — Depuis la naissance de J.-C. 631. — Après l’hégire. 0. — De Mahomet. 53.)

Cependant les assassins avaient entouré la maison du proscrit. Chacun d’eux, le poignard à la main, n’attendait pour frapper, que l’instant où il serait livré au sommeil. N’ayant aperçu qu’Ali revêtu du manteau vert de Mahomet, ils attendirent le matin, afin de ne pas confondre l’innocent avec le coupable. Ils se croyaient sûrs de leurs victimes[96]. Le jour éclaira leur erreur. Ils s’aperçurent que Mahomet s’était échappé ; et comme ils n’avaient pas ordre de verser le sang d’Ali, ils le laissèrent pour courir après leur proie. Ils se répandirent sur le chemin de Médine ; mais Mahomet ayant prévu qu’il serait poursuivi avait pris une route détournée[97]. Retiré dans une caverne du mont Tour, située au midi de la Mecque, il y resta trois jours, pour laisser passer la première ardeur des conjurés[98]. Il en partit le quatrième, et suivant les côtes de la mer Rouge il marcha vers Médine à grandes journées. Abubecr et Abdallah étaient les seuls compagnons de sa fuite. Soraka, fils de Malec, un des meilleurs écuyers de l’Arabie, suivi d’une troupe d’élite, atteignit les fugitifs[99]. Il avait devancé ses gens, et courait, la lance à la main, sur Mahomet. « Apôtre de Dieu, s’écria Abubecr, voici le persécuteur. Ne crains rien, lui dit Mahomet, Dieu est avec nous. » Puis se tournant tout-à-coup vers son ennemi, il lui cria : Soraka. À ce cri, le cheval effrayé se renverse par terre ; le cavalier étourdi de la chute, croit voir du prodige dans un événement tout naturel, il demande grâce, et conjure l’apôtre des croyans d’implorer le ciel pour lui. Mahomet prie, et Soraka est sauvé. La générosité l’emporta sur la vengeance. Il arrêta la fureur de ses satellites, et leur commanda de se retirer. Le prophète, si l’on en croit l’histoire, lui fit cette prédiction[100] : « Ô Soraka ! quel sera un jour ton maintien, quelles seront tes pensées, lorsque tes bras seront décorés des bracelets de Cosroës Parviz ? » Échappé au péril, Mahomet continua sa route, et arriva à Coba, bourg situé près de Médine, un lundi, le douze du mois Rabié premier[101]. Coultoum, fils de Hadam, le logea dans sa maison. Il y demeura trois jours, et avant de sortir de Coba, il jeta les fondemens d’une mosquée qui fut nommée Eltacona, la piété[102]. Le vendredi, il fit son entrée à Médine. Le peuple vint en foule au-devant de lui. L’apôtre des musulmans s’avançait sous un dais de feuillage, porté par ses disciples. Chacun se disputait l’honneur de le loger. Les auxiliaires, surtout, le pressaient d’accepter un appartement dans leurs maisons. Quelques-uns prenant la bride de son chameau, l’entraînaient vers leur demeure. Laissez-le aller, leur disait-il, c’est un animal fantasque. Enfin, le chameau s’arrêta devant l’étable des fils d’Amrou[103]. L’apôtre descendit, et fendant la foule, alla loger chez Abou Aïoub auxiliaire.

Son premier soin fut de consacrer par la religion le lieu où il avait mis pied à terre en entrant à Médine. Il fit venir Moadh, tuteur de Sahal et Sohaïl, à qui ce terrain appartenait, et leur en fit proposer le prix. Les deux orphelins étant riches, voulurent lui en faire don[104]. Il refusa leur offre, et Abubecr paya la somme dont on était convenu[105].

Aussitôt qu’il eut acheté ce terrain, il y fit bâtir une mosquée et un hospice pour se loger. Il y travailla lui-même. Son exemple encouragea les musulmans. Tous voulurent avoir part au saint ouvrage. L’édifice fut achevé dans l’espace d’onze mois[106]. Pour s’attacher Abubecr par tous les liens, il avait épousé sa fille Aïeshd, encore enfant. Son extrême jeunesse ayant fait différer la cérémonie du mariage, il le consomma huit mois après l’hégire, lorsqu’elle n’avait encore que neuf ans[107]. Il fit bâtir à sa jeune épouse une maison à côté de la sienne. Il eut cette attention pour toutes les femmes qu’il épousa dans la suite.

L’amour du plaisir auquel il sacrifia toute sa vie ne suspendait point l’exécution de ses desseins. Un point important occupait son esprit. Il fallait unir les intérêts divers de ses disciples, éteindre les anciennes jalousies de tribu, et les faire toutes concourir au même but. Les musulmans étaient divisés en deux partis, les Mohagériens[108] et les Ansariens[109]. Les uns se glorifiant d’avoir les premiers embrassé l’islamisme, et d’avoir abandonné leur patrie pour suivre leur apôtre, prétendaient avoir le premier rang. Les autres, fiers de lui avoir donné un asile et de le posséder au milieu d’eux, croyaient mériter la préférence[110]. Ces prétentions firent naître des débats dont les suites eussent été funestes. Mahomet sut les concilier. Il établit parmi ses disciples l’ordre de la fraternité dont le principal statut était qu’ils se traiteraient et s’aimeraient en frères, et qu’ils uniraient leurs armes pour la défense de la religion. Il prit lui-même pour frère d’armes Ali, fils d’Abutaleb ; ensuite il unit les principaux chefs en cette manière :

Mohagériens ou fugitifs.     Ansariens ou auxiliaires.
Abubecr. Hareja, fils de Zaïd.
Abuobaïda, fils d’Elgerah. Saad, fils de Moadh.
Omar, fils d’Elkettab. Otban, fils de Malec.
Abderrohman, fils d’Auf. Saad, fils d’Elrabié.
Othman, fils d’Affan. Aus, fils de Tabet.
Telha, fils d’Abid Allah. Caab, fils de Malec.
Saïd, fils de Zeïd. Abba, fils de Caab.

Pour cimenter cette union, il fit descendre ce verset du ciel[111] : « Embrassez la religion divine dans toute son étendue. Ne formez point de schisme. Souvenez-vous des faveurs dont le ciel vous a comblés. Vous étiez ennemis, il a mis la concorde dans vos cœurs. Vous êtes devenus frères ; rendez-en grâce à sa bonté. »

L’ordre de la fraternité établit la concorde parmi les musulmans. Mohagériens, Ansariens, ne furent plus que des titres glorieux sans aucune idée de préférence. L’égalité fut le lien puissant qui les unit.

La religion occupa ensuite toute son attention. La prière étant la base du culte extérieur, il s’appliqua à la fixer d’une manière irrévocable. Il l’avait établie au commencement de sa mission ; mais il n’avait point marqué le lieu vers lequel on devait la faire[112]. Il s’était fondé sur ce verset magnifique : « L’orient et l’occident appartiennent à Dieu. Vers quelque lieu que se tournent vos regards, vous rencontrerez sa face. Il remplit l’univers de son immensité et de sa science[113]. » Voulant ensuite se concilier l’esprit des juifs et des chrétiens, il commanda qu’on se tournât en priant vers le temple de Jérusalem.

(Depuis la chute d’Adam, suivant Abul-Feda. 6217. — Depuis la naissance de J.-C. 632. — Après l’hégire. 2. — De Mahomet. 54.)

Cette condescendance n’eut pas tout le succès qu’il en attendait. Les circonstances l’avaient déterminée ; devenu chef de la loi divine et de la loi civile, il suivit ses principes, et chercha à gagner entièrement le cœur des Arabes. Gabriel lui apporta ce verset, où Dieu parle ainsi au dévot musulman sur le point de faire la prière : « Déjà nous te voyons lever les yeux vers le ciel. Nous voulons que le lieu où tu adresseras ta prière te soit agréable. Tourne ton front vers le temple Haram[114]. En quelque lieu que tu sois, porte tes regards vers ce sanctuaire auguste. Les juifs et les chrétiens savent que cette manière de prier est la véritable. L’Éternel a l’œil ouvert sur leurs actions[115]. » L’oracle divin fut reçu avec acclamations, et la loi a toujours subsisté depuis.

[116] Il était incertain sur le moyen qu’il mettrait en usage pour appeler le peuple au temple. La trompette dont se servaient les juifs, la crecelle des chrétiens ne le satisfaisaient pas. La voix humaine lui parut plus propre que de vains sons à faire impression sur des hommes. Il n’avait plus besoin que de la formule qu’on emploierait. Une prétendue révélation qu’eut Abdallah, fils de Zaïd, la lui enseigna. Il commanda à Belal, son crieur, de prononcer aux heures accoutumées ces paroles à haute voix[117] : « Dieu est grand. J’atteste qu’il n’y a qu’un Dieu. J’atteste que Mahomet est son apôtre. Venez à la prière. Venez à l’adoration. Dieu est grand. Il est unique. »

[118] Depuis cet instant, les mahométans entretiennent dans leurs mosquées des crieurs qui répètent cinq fois par jour ces paroles au peuple. Ce devoir rempli, il consacra par la religion le temps où le Coran était descendu du ciel. Le jeûne du mois[119] Ramadan fut institué[120]. Ces versets en firent un précepte fondamental de l’islamisme.

« Ô croyans ! il est écrit que vous serez soumis au jeûne comme le furent vos pères, afin que vous craigniez le Seigneur.

« Le mois Ramadan, dans lequel le Coran est descendu du ciel, pour être le guide, la lumière des hommes, et la règle de leurs devoirs, est le temps destiné au jeûne ; quiconque verra ce mois, doit observer le précepte[121]. »

Ce zèle avec lequel il s’occupait à régler le culte et les cérémonies religieuses ne l’empêchait pas de veiller sur les démarches de ses ennemis. Il avait déjà envoyé plusieurs partis en campagne ; mais on n’en était point encore venu aux mains. Pour suivre de plus près les mouvemens des Coreïshites, il fit partir Abdallah, fils d’Ajash, avec neuf soldats, et leur ordonna d’aller se poster à Nakla, vallée située entre la Mecque et Taief[122]. Tandis qu’ils s’acquittaient de leur mission, une caravane de Coreïshites passa près d’eux. Ils la pillèrent, et revinrent à la Mecque chargés de dépouilles. Ce léger avantage éleva l’espoir de leurs compagnons. Mahomet en profita pour les préparer à de plus grands succès. Ses espions lui rapportèrent que les Coreïshites revenaient de Syrie avec mille chameaux richement chargés. Abusofian, à la tête de trente hommes, escortait la caravane. Mahomet envoya un détachement pour l’enlever. Le chef idolâtre, instruit par ses coureurs que les ennemis étaient en embuscade, dépêcha un courrier à la Mecque, pour exposer le danger où il se trouvait. Les premiers de la ville, au nombre de neuf cent cinquante, volèrent à son secours. Cent cavaliers prirent les devans. Mahomet, de son côté, ayant laissé le gouvernement de Médine à Omar, fils d’Om Mactoum, en était parti au mois Ramadan[123]. Il n’avait avec lui que trois cent treize soldats ; mais cette petite troupe était entièrement composée de Mohagériens et d’Ansariens, tous déterminés à vaincre ou à périr. Deux chevaux et soixante-dix chameaux formaient toute leur cavalerie. Arrivé à Safra[124], port de la mer Rouge, il apprit que la caravane approchait de Beder, et que les idolâtres s’avançaient pour la défendre. Il partit sur-le-champ, et marcha avec tant de diligence, qu’il prévint les ennemis, et campa sur leur passage. Retranché près du puits de Beder, et maître de l’eau, il attendit les Coreïshites dans ce poste avantageux. Ils ne tardèrent pas à paraître. Assis avec Abubecr sous un dais de feuillage que ses soldats lui avaient élevé, il s’écria : « Seigneur ! voici les idolâtres. L’orgueil et le faste accompagnent leurs pas. Ils viennent pour accuser ton apôtre d’imposture. Seigneur, envoie-moi le secours que tu m’as promis. » Les deux armées ne furent pas plutôt en présence, que, du côté des Coreïshites, Otba, Shaïba et Walid, descendirent dans l’arène. Mahomet envoya contre eux Obaïda, Hamza et Ali. Les rivaux en vinrent aux mains, et combattirent vaillamment pour soutenir l’honneur de leurs partis. Hamza et Ali, vainqueurs de leurs adversaires, coururent au secours d’Obaïda, qui, quoiqu’il eût eu le pied coupé, se défendait courageusement[125]. Ils renversèrent son ennemi, et le laissèrent avec les deux autres, étendu sur le sable. Ce succès fut d’un heureux présage pour les croyans[126]. Ils conjurèrent leur apôtre de ne point exposer ses jours, et d’invoquer le ciel tandis qu’ils combattraient. Il parut céder à leurs instances. Les deux troupes, animées également par la haine et le fanatisme, se chargèrent avec fureur. Les idolâtres étaient trois fois supérieurs en nombre, mais Mahomet commandait les croyans. Tandis qu’ils repoussaient avec avantage les efforts de leurs ennemis, il adressait au ciel cette prière : « Seigneur, si tu laisses périr cette armée, tu ne seras plus adoré sur la terre ; Seigneur, accomplis tes promesses. » Tout à coup il se lève et s’écrie : Triomphe ! Albubecr, triomphe ! Voici le secours du ciel. Il semblait voir les esprits célestes voler à son secours. Son visage était radieux. Il court à la tête de ses guerriers ; il leur annonce le secours divin, et porte dans tous les cœurs l’enthousiasme qui l’enflamme. Les versets suivans les avaient disposés à tout croire ; « À la journée de Beder… lorsque tu disais aux fidèles, ne suffit-il pas que Dieu vous envoie un secours de trois mille anges ? Ce nombre suffit sans doute ; mais si vous avez la persévérance et la piété… il fera voler à votre aide cinq mille anges[127]. » Les Musulmans s’imaginant que les milices du ciel combattaient à leurs côtés, se crurent invincibles, et firent des prodiges de valeur. Leur général, maître de son âme au milieu du carnage, s’aperçut que les idolâtres commençaient à plier, et s’avisa d’un nouveau stratagème. Il prit une poignée de poussière, et la jetant contre les Coreïshites : « Que leurs yeux, s’écria-t-il, soient couverts de ténèbres. Courage ! compagnons : chargez les ennemis. La victoire est à vous. » À ces mots, les Musulmans firent un dernier effort, et renversèrent tout ce qui résistait encore. Les ennemis prirent la fuite. La victoire[128] fut complète, et un riche butin demeura au pouvoir des vainqueurs.

Les Coreïshites laissèrent soixante-dix hommes sur le champ de bataille. Un pareil nombre furent faits prisonniers. Vingt-quatre de leurs chefs, parmi lesquels se trouvait Abugehel, périrent dans le combat[129]. Mahomet les fit jeter dans une fosse. Il ne perdit que quatorze soldats qui reçurent le titre glorieux de martyrs. Il attribua la gloire de cette journée au Tout-Puissant.

« À la journée de Beder, dit-il, où vous étiez inférieurs en nombre, le Tout-Puissant se hâta de vous secourir[130]. »

« Lorsque vous implorâtes l’assistance du Très-Haut, il répondit : Je vous enverrai un secours de mille anges[131]. »

« Ce n’est pas vous qui les avez tués, ils sont tombés sous le glaive du Tout-Puissant[132]. »

C’était en nourrissant dans le cœur de ses soldats, l’idée d’un Dieu protecteur de ses armes, qu’il les rendait invincibles. Ali, son élève, âgé de vingt-deux ans, donna dans ce combat des preuves de cette vaillance qui le fit regarder comme le Mars de l’Orient. Il tua sept idolâtres de sa propre main. Mahomet demeura trois jours sur le champ de bataille. Les différens qu’occasiona le partage des dépouilles lui fit promulguer cette loi : « Souvenez-vous que vous devez la cinquième part du butin à Dieu, au prophète, à ses parens, aux orphelins, aux pauvres et aux voyageurs[133]. » Parmi les prisonniers, se trouvèrent Elnadar et Ocba, ses ennemis implacables. Il leur fit trancher la tête. Il retourna à Médine, où il fut reçu en triomphe. La nouvelle de sa victoire se répandit dans toute l’Arabie. Elle passa les mers. Le roi d’Abyssinie[134] en étant instruit, fit venir Jafar et ses compagnons, et leur apprit la défaite des Coreïshites[135].

Les juifs établis à Médine et dans les environs étaient puissans. Mahomet avait fait alliance avec eux. Une de leurs tribus, nommée Caïnoca[136], viola le traité. Le prophète, qui ne désirait rien tant que de les dompter en les attaquant séparément, profita de l’occasion. Il alla mettre le siége devant leur citadelle. S’y étant fortifiés, ils se défendirent courageusement pendant quinze jours. On leur livra de nouveaux assauts ; et obligés de céder à la force, ils se rendirent à discrétion. Pour jeter l’effroi parmi les autres tribus juives, Mahomet leur fit lier à tous les mains derrière le dos, et résolut de leur couper la tête. Ils étaient les alliés des Cazregites. Abdallah[137] l’incrédule, prince de cette tribu, intercéda pour eux, et ne désespéra point d’adoucir la rigueur de l’arrêt. Apôtre de Dieu, dit-il, faites-leur grâce. — Laissez-moi. — Je ne vous quitterai point que vous ne m’ayez écouté. Puis mettant la main sur le cœur de Mahomet : Prophète, ajouta-t-il, laissez-vous toucher. Mahomet n’y put tenir. Ils sont à vous, dit-il à Abdallah. Les juifs eurent la vie sauve, mais leurs biens furent partagés entre les vainqueurs.

[138] Abusofian, après la défaite de Beder, avait juré qu’il ne se parfumerait et n’approcherait de ses femmes qu’après avoir livré un second combat à Mahomet. Il sortit de la Mecque avec deux cents chevaux, et vint camper à trois milles de Médine. À cette nouvelle, l’apôtre des Musulmans monte à cheval, et court chercher l’ennemi. Abusofian ne tint pas parole. L’approche des vainqueurs de Beder l’effraya. Il prit précipitamment la fuite. Ses cavaliers, afin d’être plus légers, jetèrent des sacs de farine qu’ils portaient pour leur subsistance. Les Musulmans n’ayant pu les joindre, rentrèrent à Médine. Cette expédition fut nommée guerre de la farine.

À peine avaient-ils posé les armes, qu’ils les reprirent. Les Solaïmites et les Gatfanites s’étaient assemblés près de Carcarat Elcodr (c’est le nom d’un puits sur la route, par où les habitans des provinces voisines de l’Arac viennent à la Mecque)[139]. Il était important de ne pas laisser à leur parti le temps de se fortifier. Mahomet ayant remis le gouvernement de Médine à Ebn Om Mactoum, alla les attaquer. Les Solaïmites ne l’attendirent point ; ils se débandèrent, et laissèrent au pouvoir de l’ennemi leurs bergers et leurs troupeaux, qui furent emmenés à Médine.

Mahomet voulant récompenser l’attachement inviolable du généreux Ali, lui donna en mariage Fatime[140], sa fille chérie. Elle avait quinze ans[141]. Si l’on en croit les écrivains orientaux, elle possédait toutes les perfections, et elle mérita d’être mise au nombre des quatre femmes parfaites[142] qui ont illustré la terre.

La mort tragique d’Ommia, prince idolâtre, rendit célèbre la fin de cette année. Instruit par la lecture des livres sacrés, il avait nié hautement la mission de Mahomet. Réfléchissant ensuite sur les succès du novateur, et enflé de son propre savoir, il résolut de se faire passer lui-même pour prophète. La tête remplie d’idées de grandeur, il revenait de Syrie à la Mecque pour exécuter son projet. En passant près de Beder, on lui montra la fosse où les chefs des Coreïshites avaient été jetés. Otba et Shaïba, ses neveux, étaient de ce nombre[143]. À cette vue, Ommia mit pied à terre, coupa les oreilles de son chameau, et chanta une longue élégie dont Abul-Feda nous a conservé les vers suivans :

N’ai-je pas assez pleuré sur les nobles fils des princes de la Mecque ?

À la vue de leurs os brisés, semblable à la tourterelle cachée dans la forêt profonde, j’ai rempli l’air de mes gémissemens.

Mères infortunées, le front prosterné contre terre, mêlez vos soupirs à mes pleurs.

Et vous, femmes qui suivez les convois, chantez des hymnes funèbres entre-coupées de longs sanglots.

Que sont devenus à Beder les princes du peuple, les chefs des tribus ?

Le vieux et le jeune guerrier y sont couchés nus et sans vie.

Combien la Mecque aura changé de face !

Ces plaines désolées, ces déserts sauvages semblent eux-mêmes partager ma douleur.

Après avoir prononcé ces mots, Ommia s’abandonnant aux excès de la douleur et du désespoir, tomba mort sur les cadavres qu’il voyait entassés[144].

(Depuis la chute d’Adam, suivant Abul-Feda. 6218. — Depuis la naissance de J.-C. 633. — Après l’hégire. 3. — De Mahomet. 55.)

La troisième année de l’hégire, Fatime donna un fils à Ali. Il fut nommé Elhaçan. La même année, Mahomet proscrivit Caab, fils d’Elashraf, un des principaux juifs de Médine ; il s’était déclaré son ennemi. La poésie qu’il cultivait lui servait à satisfaire sa haine[145]. Il n’eut pas plus tôt appris la défaite des Coreïshites qu’il se rendit à la Mecque. Ses satires contre l’apôtre des Musulmans, ses élégies sur la mort des guerriers ensevelis à Beder, furent chantées publiquement. Elles rallumèrent dans les cœurs le désir de la vengeance. Après avoir soufflé à la Mecque le feu de la discorde, il revint à Médine, et s’efforça de soulever le peuple. Mahomet le fit mettre à mort[146].

Les vers de Caab avaient ému puissamment les Coreïshites. La plupart des citoyens criaient aux armes, Abusofian profita de ce moment de fermentation pour venger l’honneur de sa patrie. Il arma trois mille hommes parmi lesquels se trouvèrent sept cents cuirassiers et deux cents cavaliers, et partit à leur tête. Il conduisait avec lui Henda, son épouse, et quinze autres matrones qui portaient des tambours. Elles chantaient les vers élégiaques de Caab, déploraient le malheur de Beder, et exhortaient leurs guerriers à combattre vaillamment. L’armée des Coreïshites, sous les ordres d’Abusofian, marchait vers Médine sans trouver de résistance. Elle vint camper près d’Holaïfa, à six milles de la ville. Mahomet ne pouvant leur opposer que des forces bien inférieures, voulait rester dans les murs de Médine[147]. Abdallah l’incrédule, chef expérimenté, appuyait ce sentiment. Les autres officiers furent d’un avis contraire. Tous demandaient le combat. Leurs instances lui firent prendre un parti qui lui paraissait dangereux. Il sortit à la tête de mille soldats, et alla camper à peu de distance des ennemis. Abdallah le quitta avec trois de ses compagnons. « Devons-nous obéir, dit-il, lorsque la verge est levée sur nos têtes, lorsque la mort est certaine ? » Cette désertion n’effraya point Mahomet : il disposa sa petite troupe sur le penchant du mont Ahed[148], de la manière la plus avantageuse[149]. Il plaça au centre cent cuirassiers ; et comme il n’avait point de cavalerie, et qu’il craignait d’être enveloppé par des ennemis trois fois supérieurs en nombre, il posta derrière l’armée cinquante archers avec cet ordre formel : « Quelqu’événement qui arrive, tenez ferme dans ce poste ; ne le quittez point si nous sommes vainqueurs ; ne le quittez point si nous sommes défaits ; pas même pour nous porter du secours. Accablez de vos flèches la cavalerie ennemie, si elle veut nous prendre à dos. » On verra l’importance de ce commandement. L’habile général ayant fait ses dispositions, attendit les idolâtres de pied ferme. Ils s’avancèrent en bon ordre. Abusofian était au centre de l’armée. Khaled, fils de Wiald, commandait l’aile droite ; Acrema, fils d’Abugehel, commandait l’aile gauche. Chacun d’eux avait cent cavaliers sous ses ordres. Handa et ses héroïnes, dans les derniers rangs, excitaient l’ardeur de leurs guerriers. « Courage, enfans d’Abdeldar, criaient-elles, courage ! Frappez de toutes vos épées. » Les deux partis en vinrent aux mains. Hamza, oncle du prophète, qui combattait à la tête des croyans, animait leur vaillance, et leur en donnait l’exemple. Il avait étendu à ses pieds Arta, porte-enseigne des idolâtres ; il avait fait voler la tête de Seba. La terreur devançait ses pas. Tout pliait devant lui. Tandis qu’il se laissait emporter à son courage, Washa, esclave de Jobaïr, l’attaqua par derrière, et le tua d’un coup de lance[150]. Au même moment, Mosaab, fils d’Omar, qui portait l’étendard de l’islamisme, périt. Mahomet releva le drapeau sans s’émouvoir, et le confia aux mains du brave Ali. Le combat continuait avec fureur. La victoire penchait du côté des musulmans. Les Coreïshites commençaient à lâcher pied[151]. À cette vue, les archers placés sur la montagne ne purent résister à l’appât du butin, et quittèrent leur poste ; c’était une faute impardonnable. Mahomet s’en plaint amèrement dans le Coran : « Dieu, dit-il, réalisa ses promesses, quand vous poursuiviez les ennemis défaits ; mais écoutant les conseils de la lâcheté, vous disputâtes sur les ordres du prophète, vous les violâtes, après qu’il vous eut fait voir ce qui faisait l’objet de vos vœux (le butin). » Khaled, qui aperçut ce mouvement, en profita. Il partit à la tête de la cavalerie, et vint attaquer les ennemis par derrière. Dans un instant, ils furent enveloppés. Pour jeter l’épouvante dans leur âme, il cria d’une voix forte que Mahomet avait été tué. Les croyans perdirent courage. Plusieurs prirent la fuite. Les idolâtres percèrent jusqu’au centre, où entouré de ses plus braves soldats, l’apôtre des Musulmans disputait encore la victoire. Il fut assailli d’une nuée de traits et de dards. Le visage percé, les dents fracassées, tout couvert de sang, environné de toutes parts par l’image de la mort, il garda son sang-froid et son intrépidité[152]. Il criait aux amis généreux qui formaient un rempart autour de lui : « Comment des impies qui ont souillé de sang le visage de leur prophète, pourraient-ils prospérer ? » Telha sacrifiant ses jours pour sauver ceux de son apôtre, le revêtit d’une double cuirasse au plus fort de la mêlée. Il eut le bras cassé. Enfin, les efforts des Coreïshites ne purent empêcher les Musulmans de faire une retraite glorieuse et de sauver Mahomet. Les fers de deux dards lui étaient restés attachés aux lèvres ; lorsqu’on les retirait, il lui tomba deux dents. Abuseïd essuyait le sang qui coulait abondamment de ses blessures. « Ô Abuseïd ! lui dit-il, jamais ton sang ne sera la proie des flammes ». Les idolâtres, maîtres du champ de bataille, dépouillèrent les morts. Leurs héroïnes se portèrent à des excès inouïs ; elles coupèrent le nez et les oreilles des musulmans qui avaient péri, et s’en firent des colliers et des bracelets. Henda poussa plus loin l’horreur de la vengeance. Elle ouvrit la poitrine de Hamza, et dévora une partie de son cœur[153]. Abusofian attachant à sa lance la mâchoire de ce généreux guerrier, monta sur la colline et cria : « Les armes sont journalières. Tu triomphes, Hobal[154], tu triomphes. Le combat d’Ahed a succédé à la journée de Beder. » Ensuite il fit publier ce défi par un héraut : « Musulmans, trouvez-vous l’année prochaine à Beder. » « Nous vous y attendrons, leur fit répondre Mahomet. » Les Coreïshites n’ayant osé attaquer les ennemis dans le village où ils s’étaient retirés, reprirent la route de la Mecque[155]. Aussitôt qu’ils furent partis, Mahomet s’occupa du soin de faire enterrer les morts. Il fit chercher le corps de Hamza[156]. On le trouva mutilé. Les soldats pleuraient un de leurs meilleurs généraux. Le prophète, pour les consoler, leur dit : « Gabriel m’a révélé que Hamza était écrit parmi les habitans du septième ciel, avec ce titre glorieux : Hamza, lion de Dieu, lion de son apôtre. » Ayant fait revêtir son corps d’un manteau noir, il pria pour lui avec sept invocations. Il pria pour tous ceux qui avaient péri dans le combat, et les fit inhumer au lieu où ils avaient succombé. Ces devoirs funèbres remplis, il retournait à Médine, lorsqu’on vint lui annoncer que les ennemis approchaient[157]. En effet, Abusofian, fâché de n’avoir pas mieux profité de la victoire, avait persuadé aux vainqueurs de retourner sur leurs pas, et d’exterminer les Musulmans affaiblis par leur défaite. Mahomet leur épargna une partie du chemin, et parut devant eux à l’instant où ils ne s’y attendaient pas. Cette audace les étonna : loin de chercher à renouveler le combat, ils se retirèrent précipitamment.

(Depuis la chute d’Adam, suivant Abul-Feda. 6219. — Depuis la naissance de J.-C. 634. — Après l’hégire. 4. — De Mahomet. 56.)

La défaite de Mahomet ne diminua point son crédit. Les Musulmans ne pouvaient l’attribuer qu’à leur désobéissance. Ils conservèrent pour lui la même vénération, et ses volontés furent toujours des lois. Roi et pontife, à Médine, il réglait les affaires du gouvernement et de la religion. Des députés d’Edl et d’Elcara étant venus lui demander quelques-uns de ses disciples pour les instruire dans l’islamisme, il leur en accorda six[158]. Les perfides idolâtres en massacrèrent quatre, et vendirent les deux autres aux Coreïshites, qui les firent mourir. Khabib, un de ces captifs, avait tué Hareth au combat de Beder[159]. Ses enfans l’achetèrent. Charmés d’avoir une victime à offrir aux mânes de leur père, ils invitèrent toute leur famille à assister à sa mort. Khabib, enchaîné dans un coin de leur maison, attendait courageusement son heure dernière. Ayant obtenu un rasoir d’une des filles de Hareth, il se rasait la tête : au même instant, un jeune enfant échappé des bras de cette mère imprudente, s’approche du prisonnier ; il le saisit entre ses jambes, tenant d’une main le fer tranchant. La mère, à cet aspect, demeura immobile d’effroi ; elle ne put prononcer une seule parole. « N’avez-vous pas peur, lui dit le captif, que j’égorge votre fils ? Rassurez-vous, je ne sais point me venger sur un enfant » et il le laissa aller. Cette générosité ne lui sauva point la vie[160]. Tous les parens s’étant assemblés, on le conduisit hors du territoire sacré pour l’immoler. Parvenu au lieu du supplice, il demanda un instant pour prier ; on le lui accorda. Il fit une courte prière ; avec deux inclinations, et dit : « J’en aurais fait davantage, mais vous auriez pu attribuer ma ferveur à la crainte de la mort ; frappez. » Ainsi mourut le dernier des six apôtres de l’islamisme, accordés aux instances des habitans de Cara.

Leur perfidie avait rendu Mahomet défiant[161]. Amer, fils de Malec, lui ayant proposé d’envoyer de ses disciples aux peuples de la province de Najd, il le refusa. L’autorité d’Abubecr put seule le déterminer. Ce musulman zélé, trompé par Amer, osa garantir sa sincérité. Mahomet ne pouvant résister à son témoignage, fit partir Elmondar, ansarien, avec soixante-dix fidèles. Arrivés à Birmauna (le puits du secours), Elmondar envoya les lettres du prophète à Amer, prince de la contrée. Cet ennemi de l’islamisme fit tuer le messager, rassembla des troupes, surprit les croyans et les extermina. Caab, fils de Zaïd, qu’on avait laissé parmi les morts, échappa seul, et alla porter à Médine la nouvelle de cette perfidie. Mahomet en fut pénétré de douleur ; mais il remit à un autre temps la vengeance.

[162] Au mois de rabié premier, les Nadhirites, tribu puissante des juifs, lui demandèrent le prix du sang de deux hommes qu’Amrou avait tués en passant sur leurs terres. Il écouta leurs plaintes, et satisfit à la loi. Pour cimenter la réconciliation, les Nadhirites l’invitèrent à dîner à une de leurs maisons de campagne. Mahomet s’y rendit accompagné d’Abubecr, Omar, Ali, et de quelques autres officiers[163]. C’était un piége qu’on tendait à ses jours. Les juifs avaient rassemblé des pierres sur le toit, et devaient l’écraser pendant le festin avec ses compagnons. Tout était prêt pour l’exécution de ce dessein. Mahomet s’aperçut qu’ils tramaient une perfidie, et, feignant des besoins, sortit de l’appartement. Il retourna promptement à Médine, et revint en force attaquer les traîtres. Ayant manqué leur coup, ils s’étaient retirés dans un château fortifié. Il les assiégea, et fit le dégât à l’entour. La vue de leurs palmiers coupés abattit leur courage ; la crainte de ne pouvoir soutenir un assaut s’empara d’eux ; ils se rendirent à discrétion après six jours de blocus[164]. Ils obtinrent pour toute grâce, d’emporter de leurs richesses la charge d’un chameau. Le prophète, dérogeant à la loi qui ne lui accordait que la cinquième portion des dépouilles, se les réserva en entier. Le chapitre 59 autorise cette disposition. On y lit ces paroles : « Les dépouilles enlevées sur les juifs chassés de leur forteresse, appartiennent à Dieu et à son envoyé. Elles doivent être distribuées à ses parens, aux orphelins, aux pauvres et aux voyageurs. Il serait injuste que les riches les partageassent. Recevez ce que le prophète vous donnera, et ne prétendez point au delà. Craignez Dieu dont les vengeances sont terribles. » L’oracle divin ayant détruit les prétentions de son armée, il s’acquitta des devoirs de la reconnaissance. Depuis quatre ans, le dévouement généreux des Mecquois, qui avaient quitté pour le suivre leurs biens et leurs familles, était sans récompense. Il partagea entre ces disciples fervens, et deux citoyens de Médine, pauvres, tout le butin enlevé sur les Nadhirites[165]. Le reste de l’armée applaudit à cet acte de justice. La même année, il interdit l’usage du vin. La difficulté de s’en procurer en Arabie, les effets de cette liqueur enivrante sur le naturel bouillant des Arabes, les scènes d’horreur produites par l’ivresse dont il avait été témoin, lui firent promulguer cette loi : « Ô croyans ! le vin, les jeux de hasard, les statues et le sort des flèches, sont une abomination inventée par Satan. Abstenez-vous-en, de peur que vous ne deveniez pervers[166]. »

« Le démon se servirait du vin et du jeu pour allumer parmi vous le feu des dissensions, et vous détourner du souvenir de Dieu et de la prière. Voudriez-vous devenir prévaricateurs ? Obéissez à Dieu et à son apôtre, et craignez[167]. »

[168] Tour à tour général d’armée et législateur, il faisait succéder aux soins paisibles du gouvernement, le tumulte des armes. La trahison des habitans de la province de Najd pesait sur son cœur. Le moment de la vengeance était venu. Il part subitement de Médine, et va tomber brusquement sur un parti de Gatfanites. Surpris de cette attaque imprévue, les ennemis prirent la fuite, et se sauvèrent dans les montagnes. La vallée où il les rencontra, appelée dans la suite Zat-el-Reca (le lieu de l’infatuation), a transmis à la race future le souvenir de cette terreur panique. Durant cette expédition, un brave d’entre les Gatfanites offrit à sa nation de lui apporter la tête de l’ennemi commun. On applaudit à son dessein ; on l’encouragea. Il partit. Ayant épié le moment où Mahomet, fatigué, était assis à quelque distance de son armée, il s’approcha de lui sans armes. L’épée du guerrier reposait à ses côtés[169]. La poignée était d’argent artistement travaillé[170]. Le Gatfanite lui demande la permission de la voir. L’ayant reçue de ses mains, il la tire du fourreau, et va pour l’en frapper. Mahomet le regarde fixement sans s’émouvoir. Étonné de ce sang-froid, l’assassin suspend son coup ; puis, comme s’il n’avait eu dessein que de jouer : « N’avez-vous pas eu peur ? » lui demanda-t-il. Et qu’avais-je à craindre de toi ? lui répondit Mahomet. L’ennemi, confus, lui remit l’épée, et s’en retourna sans avoir rien exécuté[171].

À peine l’expédition était finie, que, songeant à remplir la promesse faite à Beder, il alla y camper au mois de Chaban[172]. Son armée était composée de quinze cents hommes aguerris. Ali portait devant lui l’étendard de la religion. Il attendit Abusofian pendant huit jours. Le général des Coreïshites était sorti de la Mecque ; mais, ne voulant pas risquer un second combat, il n’osa s’avancer jusqu’à Beder. Fatigué de l’attendre, Mahomet ramena ses troupes à Médine. Ali y célébra la naissance d’un second fils nommé Hoçaïn.

Les Nadhirites, chassés de leur citadelle, s’étaient retirés à Khaibar, ville forte des Juifs. Ils avaient sonné l’alarme parmi leurs confédérés. Ils avaient représenté la ruine prochaine de la nation, si elle ne réunissait ses forces contre l’ennemi commun. Plusieurs des fugitifs avaient porté à la Mecque les déplorables restes de leur ancienne puissance. Animés par le souvenir récent de leur désastre, ils peignaient Mahomet comme un tyran qui se servait du voile respecté de la religion pour accomplir ses desseins ambitieux. Ils faisaient voir les tribus arabes des environs de la Mecque subjuguées ; les Nadhirites chassés de leur territoire ; et le vainqueur infatigable prêt à donner des fers à tous les Arabes, à ces peuples généreux qui seuls parmi les nations de la terre ne connaissaient point encore la servitude. Ils montraient aux Coreïshites l’islamisme triomphant, leurs dieux renversés et leur autorité ensevelie sous les débris de leurs autels, s’ils ne se hâtaient d’unir leurs armes à celles des confédérés, pour écraser l’ennemi de la patrie, de la liberté et de la religion. La vérité de ces tableaux frappa les esprits. Les Coreïshites promirent de joindre leurs troupes à celles des Juifs. Les peuples des provinces de Najd et de Tehama, qui, outre la cause commune, avaient à venger des outrages récens, rassemblèrent leurs guerriers. Tous se préparèrent à marcher vers Médine.

(Depuis la chute d’Adam, suivant Abul-Feda. 6220. — Depuis la naissance de J.-C. 635. — Après l’hégire. 5. — De Mahomet. 57.)

Mahomet, instruit par ses émissaires des préparatifs immenses que l’on faisait contre lui, ne s’endormait pas. L’impossibilité de tenir la campagne devant des forces si supérieures lui fit prendre le parti de se renfermer dans les murs de Médine. Salman[173] le Persan, en qui il avait beaucoup de confiance, lui conseilla de creuser un fossé autour des remparts, afin d’arrêter le premier feu des ennemis. Le conseil fut approuvé, et dans un instant toute la ville se mit à l’ouvrage. On n’entendait de toutes parts que le bruit des marteaux, les cris des travailleurs[174]. Le sol était pierreux et difficile à creuser. Une roche fort dure résistait aux attaques des pionniers, et rebutait leur constance. Mahomet, s’apercevant de leur découragement, prit de l’eau dans sa bouche, et en répandit sur la pierre ; elle s’amollit, et céda aux coups redoublés des marteaux. Les Musulmans crièrent miracle, et attribuèrent à la vertu de cette eau merveilleuse un succès qu’ils devaient à leurs nouveaux efforts. Tel Annibal, se frayant une route à travers les Alpes, ranima le courage de ses soldats, en faisant répandre du vinaigre sur le rocher qu’il voulait percer. Partout le grand homme est le même ; partout il aplanit les obstacles sous ses pas, et fait céder la nature à ses efforts. Le charme invincible qu’il emploie pour produire des prodiges, est l’assurance du succès dont il enivre les cœurs des mortels. Pendant que les habitans de Médine, animés par l’exemple de leur chef[175], travaillaient malgré l’ardeur d’un soleil brûlant, pour opposer une barrière à leurs ennemis, une autre merveille fixa leur attention : Salman s’efforçait de briser une roche énorme ; Mahomet, lui prenant le marteau des mains, en frappa trois fois la pierre ; il en jaillit trois éclairs. « Que signifient ces éclairs ? » lui demanda le Persan. « Le premier, répondit le prophète, m’apprend que Dieu soumettra à mes armes l’Arabie Heureuse ; le second m’annonce la conquête de la Syrie et de l’Occident ; le troisième, la conquête de l’Orient[176]. » Cette explication est aussi bonne que celle de ce conquérant, qui, étant tombé par terre en débarquant sur le rivage ennemi, dit : Compagnons, le pays est à nous, je viens d’en prendre possession.

À peine le retranchement était achevé, que les confédérés parurent. Les Coreïshites, auxquels s’étaient joints les Kenanites, formaient un corps de dix mille combattans. Les Gatfanites et les autres habitans de la province de Najd, marchaient après eux. Les Coraïdites, commandés par Caab, fils d’Açad, composaient l’arrière-garde de l’armée. Les environs de Médine furent couverts de tentes et de drapeaux[177]. Les casques et les boucliers réfléchissaient au loin la lumière du soleil. Une forêt de lances semblait être sortie tout à coup de la terre. Cet appareil guerrier jeta la terreur parmi les Musulmans[178]. Les uns alarmés gardaient un morne silence ; les autres murmuraient. Les idolâtres qui se trouvaient encore à Médine, éclataient en reproches. Moatteb, un des plus séditieux, criait aux malintentionnés : « Mahomet nous promettait, il n’y a qu’un instant, les trésors de Cosroës et d’Héraclius, et il ne sait maintenant où se cacher. »

Immobile au milieu des clameurs d’un peuple consterné, le général des croyans leur offrait l’exemple de la constance. La sérénité paraissait sur son front, et il donnait ses ordres avec une tranquillité étonnante. Après avoir laissé le gouvernement de la ville à Ebn om Mactoum, il sortit à la tête de trois mille soldats, et les disposa entre les remparts et le retranchement. Résolu d’assaillir les ennemis à l’instant où ils voudraient franchir cet obstacle, il se tint sur la défensive. Les confédérés firent plusieurs tentatives pour le forcer ; mais ils furent repoussés avec perte[179]. Ils tentèrent de se rendre maîtres de la ville du côté où elle était moins gardée : leur projet fut éventé, et un renfort envoyé à propos le fit évanouir. Le siége traînait en longueur. On ne se battait qu’à coups de flèches et de dards. Quelques cavaliers Coreïshites, ennuyés de cette espèce d’inaction, voulurent essayer la bonté de leurs chevaux ; ils coururent à toute bride, et franchirent le fossé. Ali marcha contre eux. Amrou, l’ayant reconnu, lui cria : « Ô mon cousin ! avec quel plaisir je vais t’étendre sur le sable ! » « Pardieu, répondit Ali, j’en aurais bien davantage à te renverser à mes pieds[180]. » Amrou, furieux, descend, coupe les jarrets de son cheval, et va droit à Ali. Les deux rivaux se mesurent des yeux, et cherchent à se surprendre ; puis, s’approchant de plus près, se portent des coups terribles. Un nuage de poussière s’élève autour d’eux, et les dérobe aux regards des deux armées. On n’entendait que le cliquetis de leurs épées, et le bruit dont retentissaient leurs boucliers et leurs cuirasses. La victoire se déclara pour Ali. Le nuage s’étant dissipé, on vit le vainqueur, le pied sur son ennemi, lui enfoncer son épée dans la gorge. Les autres cavaliers avaient pris la fuite : l’un d’eux étant tombé dans le fossé, fut tué par Ali.

Après vingt jours de blocus, les confédérés, voyant toutes leurs tentatives inutiles, désespérèrent de forcer les croyans derrière leurs retranchemens. La division se mit dans leur camp. Mahomet l’entretint par ses émissaires. Ils songeaient à se retirer. Les vents violens du sud-est, ayant renversé leurs tentes, leur en fournirent le prétexte. Les juifs se débandèrent les premiers. Les Coreïshites et les Gatfanites suivirent cet exemple. Assuré de la retraite des confédérés, Mahomet rentra avec ses troupes à Médine.

Les Musulmans s’attendaient à se délasser de leurs fatigues. Ils avaient déposé l’attirail des guerriers, et songeaient à jouir, au sein de leurs familles, des douceurs de la paix. Ce n’était pas l’intention de leur apôtre. Il voulait qu’une prompte conquête leur fit oublier tant de travaux et d’alarmes. Les Coraïdites avaient soulevé contre lui une partie de l’Arabie ; il fallait punir cet exemple dangereux. Il fit, suivant sa coutume, parler le ciel. Au lever du soleil, il avait mis bas les armes ; à midi, Gabriel lui commanda de les reprendre. Il fit crier ces mots par un héraut : « Que quiconque entend et est obéissant, fasse la prière du soir contre les Coraïdites[181]. » L’ordre publié, il concerta l’expédition avec Ali, et partit sur-le-champ, suivi de ceux qui se trouvaient prêts[182]. Il alla camper à Dha Ena (le vase d’eau pure), puits appartenant aux Juifs. Ses soldats s’y rendirent à la file ; avant le coucher du soleil, toute l’armée avait rejoint le général. Le lendemain il se mit en marche, et alla assiéger la forteresse des Coraïdites. Ils se défendirent vaillamment, et livrèrent plusieurs combats sous leurs murs. L’impétueux Ali, suivi d’une troupe d’élite, les repoussait avec vigueur. Ses faits héroïques jetèrent l’effroi parmi eux. Ils n’osèrent plus sortir de leurs remparts. Bientôt la crainte de s’y voir forcés leur ôta le courage de se défendre. Caab, fils d’Açad, leur allié, les alarma sur leur situation. Il leur proposa de reconnaître Mahomet pour l’apôtre prédit par les écritures, et de remettre leur citadelle entre ses mains, à condition qu’il leur accorderait la vie sauve. Les Juifs suivirent ce conseil pernicieux, et après vingt-cinq jours de siége, ils se rendirent à discrétion. Mahomet, qui voulait leur perte, choisit pour arbitre de leur sort Saad, fils de Moad, prince des Awasites. Ils acceptèrent la proposition avec joie, espérant un traitement favorable de la part d’un allié. Les infortunés ignoraient que Saad, blessé dangereusement au siége de Médine, détestait les Juifs, auteurs de cette guerre, et faisait des vœux pour leur ruine générale[183]. On l’envoya chercher, et on l’apporta avec peine au lieu de l’assemblée. « Ô Saad ! lui dirent les Coraïdites, ô père d’Amrou ! montrez-vous compatissant et généreux envers vos alliés ». Tout le monde avait les yeux tournés vers Saad. On attendait en silence l’arrêt qu’il allait prononcer. Alors le prince des Awasites, souffrant encore de sa blessure, prit un air sévère et dit : « Que l’on mette à mort les hommes ; que l’on partage leurs biens ; que leurs femmes et leurs enfans soient emmenés en captivité ». « C’est l’arrêt de Dieu, s’écria Mahomet ; il a été porté au septième ciel, et vient d’être révélé à Saad. » Il fut exécuté à la rigueur[184]. Les hommes, au nombre de sept cents, furent égorgés ; les femmes, les enfans, et tous les biens des Coraïdites devinrent la proie des vainqueurs. Rihana, la plus belle des juives, échut en partage à Mahomet. Pénétrée du malheur de sa nation, elle en détestait l’auteur ; mais la haine ne put tenir long-temps, contre l’idée de devenir l’épouse d’un prophète[185]. La vanité séduisit son esprit ; l’ambition corrompit son cœur ; elle se fit musulmane pour l’épouser.

De retour d’une expédition, Mahomet en méditait une nouvelle. Le soin d’affermir sa religion et d’étendre sa puissance l’occupait sans cesse. Lorsque les affaires du gouvernement le retenaient à Médine, il envoyait des partis en campagne qui portaient l’effroi parmi ses ennemis, et qui revenaient toujours chargés de butin. Le temps que lui laissaient des travaux continuels, il l’employait à visiter ses compagnons d’armes et ses amis. Un jour qu’il s’était présenté chez Zaïd, son fils adoptif, dans un moment où il était absent, il aperçut Zainab, son épouse[186]. C’était la plus belle des Coreïshites. Elle joignait à la beauté les grâces de l’esprit. Tant de charmes avaient depuis long-temps fait une impression profonde sur le cœur du prophète ; mais dans cet instant Zainab, couverte d’habits légers qui dérobaient à peine la blancheur et la forme de son corps, lui parut si belle, qu’il trahit son secret, et s’écria : Louange à Dieu qui peut changer les cœurs ! Il se retira en prononçant ces mots. Zainab n’oublia point l’exclamation de Mahomet. Elle la rapporta à son mari. Zaïd, en homme politique, la répudia, et lorsque le terme prescrit fut expiré, elle passa dans la couche du prophète. Ce mariage excita des murmures. Les musulmans disaient qu’il avait épousé la femme de son fils. Un repas somptueux où les principaux citoyens de Médine furent invités, et où l’on prodigua les mets les plus rares, les parfums les plus exquis, n’arrêta point les clameurs. Mahomet eut recours aux oracles du ciel. Il fit descendre le chapitre 33 où on lit ce verset : « Lorsque tu dis à celui que Dieu avait enrichi de ses grâces, que tu avais comblé de biens, garde ton épouse, et crains le Seigneur, tu cachais dans ton cœur un amour que le ciel allait manifester ; tu appréhendais les discours des hommes, et c’est Dieu qu’il faut craindre. Zaïd répudia son épouse. Nous t’avons lié avec elle, afin que les fidèles aient la liberté d’épouser les femmes de leurs fils adoptifs, après leur répudiation. Le précepte divin doit avoir son exécution. »

Cette loi fit taire les murmures, et le complaisant Zaïd vit son nom écrit dans le Coran. C’est le seul des compagnons de Mahomet qui ait eu cet honneur.

(Depuis la chute d’Adam, suivant Abul-Feda. 6221. — Depuis la naissance de J.-C. 636. — Après l’hégire. 6. — De Mahomet. 58.)

Au commencement de cette année, Mahomet envoya Ebn Salama avec un détachement de cavalerie contre les enfans de Becr, rassemblés à d’Haria, bourg situé sur la route de la Mecque à Bosra. Cet officier, se reposant le jour et marchant la nuit, surprit les ennemis dispersés dans la campagne[187]. Il en tua quelques-uns, mit les autres en fuite, et fit prisonnier Themama, leur chef. Il revint à Médine avec cinquante chameaux et trois mille brebis qui furent partagés entre les soldats. Il présenta au prophète le prince des Becrites. Mahomet le traita avec bonté. Flatté de l’accueil qu’il avait reçu, Themama se fit musulman. Il eut sa liberté. De retour dans son pays, il devint un ennemi redoutable pour les Mecquois, attaquant et pillant toutes les caravanes qui passaient sur ses terres. Leur ayant enlevé plusieurs convois de blé, ils se trouvèrent réduits à la dernière extrémité. Pressés par la famine, ils eurent recours à Mahomet, et le prièrent d’arrêter les courses de Themama. Il lui écrivit ces deux mots : Conservez mon peuple, et laissez passer ses convois. Themama obéit. Ce trait de générosité envers des ennemis mérite de trouver place dans l’histoire.

Six mois s’étaient écoulés depuis la ruine des Coraïdites[188]. Mahomet avait laissé ce temps à ses troupes pour se reposer[189]. Au mois de Jomada, il partit de Médine pour punir les enfans de Lahian des violences commises envers ses alliés. Voulant les surprendre, il prit la route de Syrie, puis par une contre-marche, il parut tout à coup au milieu de leur pays. Cette ruse fut inutile. Au premier bruit de sa marche, les ennemis s’étaient retirés sur les montagnes, et il fut impossible de les y forcer. N’ayant pu rien entreprendre contre eux, il alla châtier les Gatfanites qui avaient enlevé une partie de ses chameaux, et retourna à Médine chargé de dépouilles[190].

Instruit par ses espions que la tribu puissante des Mostalekites rassemblait ses guerriers, il fondit sur eux sans leur laisser le temps de se fortifier. Il les attaqua près d’un puits appelé Elmoraïsi[191]. Elharêt, chef de la tribu, s’étant avancé pour le reconnaître, fut tué d’un coup de flèche. Sa mort ne découragea point les Mostalekites. Ils attendirent les musulmans de pied ferme, et combattirent pendant une heure à la portée du trait. Irrité de tant de résistance, Mahomet commanda à ses soldats de se jeter sur eux l’épée à la main. Les ennemis ne purent soutenir ce choc terrible. Ils prirent la fuite. Une partie demeura sur le champ de bataille. Les autres furent faits prisonniers. Mille chameaux, cinq mille moutons devinrent la proie des vainqueurs[192]. Jowaïra, fille du prince Elharêt, tombée en partage à Thabet, lui avait promis par écrit le prix de sa rançon. Mahomet la paya, et épousa la jeune captive. Les Musulmans ne voulurent pas qu’un si beau jour fût flétri par les larmes des vaincus[193]. L’apôtre de Dieu, se dirent-ils, vient de contracter une alliance avec les Mostalekites, en épousant leur princesse ; forçons-les à bénir ce mariage. Aussitôt ils donnèrent, de leur propre mouvement, la liberté à cent pères de famille.

Dans la chaleur du combat, un des soldats de Mahomet avait tué un de ses compagnons par mégarde. Mekias, frère du mort, qui était idolâtre, ayant appris cette nouvelle, se rendit à Médine[194]. Feignant de renoncer à l’idolâtrie, il se fit musulman. Ensuite il demanda le prix du sang de son frère suivant cette loi : « Il n’est pas permis à un Musulman d’en tuer un autre. Si le meurtre est involontaire, le meurtrier doit la rançon d’un fidèle captif, et à la famille du mort la somme fixée par la loi (cent chameaux[195]), à moins qu’elle ne lui en fasse grâce. Pour la mort d’un croyant, quoique d’une nation ennemie, on donnera la liberté à un prisonnier… Ces peines sont émanées du Dieu savant et sage. »

Le soldat qui avait tué le frère de Mekias étant pauvre, Mahomet acquitta sa dette, et satisfit à la loi. Le perfide idolâtre, ayant reçu l’argent, demeura à Médine jusqu’au moment où il put surprendre le meurtrier de son frère. L’ayant assassiné, il s’enfuit à la Mecque, et abjura l’islamisme aux autels de ses dieux.

Pendant cette expédition, un différent s’éleva entre les Musulmans, tandis qu’ils se pressaient autour d’un puits pour se désaltérer[196]. Les Mohagériens et les Ansariens étaient prêts à en venir aux mains. Abdallah l’incrédule, du parti des derniers, soufflait le feu de la rébellion. Il osa porter l’insolence jusqu’à tenir des propos injurieux au prophète, et jusqu’à menacer de le chasser de Médine. Mahomet en fut instruit. Omar lui conseillait d’abattre la tête du prince séditieux. « Que penserait-on de moi, lui répondit Mahomet, si je mettais à mort mes compagnons d’armes ? » Le fils d’Abdallah, fervent musulman, lui dit : « Ô prophète ! mon père t’a insulté ; commande, et je vais t’apporter sa tête. » « Bien loin de répandre son sang, lui répondit Mahomet, montre-lui le respect et la tendresse filiale que tu dois à un père. » Cette générosité, dictée par la prudence, calma les esprits. Abdallah reconnut son emportement, et le désavoua. Lorsque l’armée retournait à Médine, Aïesha, épouse chérie de Mahomet, fut accusée d’avoir commis un adultère avec Sawan, jeune officier qui commandait l’arrière-garde[197]. Elle raconte son histoire en ces mots : « Toutes les fois que le prophète entreprenait une expédition, il jetait le sort, et celle de ses femmes qui en était favorisée, l’accompagnait pendant le voyage. Aussi, lorsqu’on nous annonçait une guerre nouvelle, nos cœurs tressaillaient de crainte et d’espérance. Le sort s’était déclaré en ma faveur. L’apôtre de Dieu me couvrit d’un voile. Je partis. Un pavillon placé sur un chameau, me servait de voiture. L’expédition étant terminée, le signal du départ ayant été donné, l’armée se mit en marche vers Médine. Des besoins m’ayant forcée à descendre, j’attendais pour remonter que les troupes eussent défilé. Je m’aperçus que j’avais perdu mon collier, et je retournai sur mes pas. Pendant que je cherchais avec inquiétude, quelques soldats passant auprès de ma litière, la remontèrent sur le chameau. Ils ne furent point étonnés de sa légèreté. Il l’attribuèrent au soin que les femmes ont de ne pas se charger de mets dans de semblables voyages, et à ma grande jeunesse (Aïesha n’avait pas quinze ans). N’ayant donc pu soupçonner mon absence, ils partirent. Mes recherches avaient été heureuses. Mon collier retrouvé, je retournais joyeuse à l’endroit où j’avais laissé ma voiture. Il ne s’y trouva personne. J’appelai ; on ne me répondit point. Je remplis l’air de mes cris ; ils ne furent point entendus. J’espérais qu’on viendrait me chercher ; mon espoir fut déçu. Fatiguée de crier et d’attendre, je m’assis, et le sommeil s’empara de mes sens. Sawan, qui partagea mes malheurs, était resté à l’arrière-garde. Il passa de grand matin près du lieu où je reposais. M’ayant aperçue sans voile, il me reconnut. Je m’éveillai en l’entendant parler. Nous sommes les enfans de Dieu, disait-il, et nous retournerons à lui. J’atteste le ciel qu’il ne me tint aucun autre discours. Je me couvris d’un voile. Il fit approcher son chameau, m’aida à y monter, et le conduisit par la bride jusqu’à ce que nous eûmes rejoint l’armée. » Aïesha plaida sa cause devant son époux, devant Abubecr et Om-Rauman, son père et sa mère. Elle était jeune, jolie, éloquente : elle persuada. Mahomet, qui l’aimait tendrement, fut charmé de la trouver innocente. Ne voulant laisser aucun doute sur sa conduite, aucun nuage sur sa réputation, il fit descendre le chapitre vingt-quatrième du Coran, où ces versets la justifient pleinement.

« Lorsque vous avez entendu l’accusation, les fidèles des deux sexes n’ont-ils pas pensé intérieurement ce qu’il était juste de croire ? N’ont-ils pas dit : Voilà un mensonge impudent[198] ? »

« [199] Si la miséricorde et la bonté divine ne veillaient sur vous, ce mensonge eût attiré sur vos têtes un châtiment épouvantable. Il a passé de bouche en bouche. Vous avez répété ce que vous ignoriez, et vous avez regardé une calomnie comme une faute légère ; et c’est un crime aux yeux de l’Éternel, etc. » L’oracle divin ayant rétabli l’honneur d’Aïesha, ses accusateurs furent punis chacun de quatre-vingts coups de fouet, Ali, consulté par Mahomet dans cette affaire délicate, lui avait conseillé d’interroger la suivante d’Aïesha. La jeune épouse n’oublia point ce conseil ; et dans la suite, ses intrigues ne contribuèrent pas peu à l’éloigner du califat.

Des guerres continuelles tenaient depuis long-temps les Musulmans éloignés du temple de la Mecque[200]. Ils soupiraient après la visite des lieux saints. Tout étant calme aux environs de Médine, Mahomet crut devoir satisfaire leur dévotion ; mais, comme il fallait que le ciel autorisât cette démarche éclatante, il annonça cet oracle : « La vérité éternelle a confirmé la révélation qu’eut le prophète, lorsqu’elle fit entendre ces mots : Vous entrerez dans le temple de la Mecque, sains et saufs, la tête rasée et sans crainte. Dieu sait ce que vous ignorez. Il vous prépare une victoire prochaine[201]. » Cette promesse répandit la joie dans tous les cœurs. Tous crurent voler à une nouvelle conquête. La visite sacrée ayant été publiée, Mahomet marcha vers la Mecque avec quatorze cents hommes choisis parmi les Mohagériens et les Ansariens. Soixante-dix chameaux, ornés de fleurs et de feuillage, suivaient l’armée ; c’étaient les victimes destinées au sacrifice[202]. Cet appareil religieux n’en imposa point aux idolâtres. Ils redoutaient un maître ambitieux, caché sous l’humilité de la religion ; ils résolurent de l’arrêter dans sa marche. Le prophète, ayant appris qu’ils l’attendaient en rase campagne, quitta la plaine, et, gagnant les hauteurs, vint camper à Hodaïbia[203]. Il fallut s’arrêter ou combattre. Les Coreïshites ayant réuni leurs troupes à celles de leurs alliés, étaient prêts à lui disputer le passage les armes à la main[204]. Ils députèrent vers lui Arwa, prince des Takisites, qui lui dit : « Les Coreïshites se sont couverts de la peau de léopard, et ils ont juré à la face du ciel que tu n’entrerais point à la Mecque sans violence. » Le prince idolâtre, s’entretenant familièrement avec Mahomet, lui passait la main sur la barbe[205] en signe d’amitié : « Respecte le visage de l’apôtre de Dieu, lui dit brusquement Elmoghaïra, qui se tenait debout en sa présence ; retire promptement ta main, et crains de n’être pas à temps pour le faire ». « Je ne te déchire pas, » lui répondit tranquillement Arwa. Étant resté quelque temps dans la tente du général, il remarqua avec étonnement le respect profond que les Musulmans avaient pour sa personne. S’il faisait l’ablution sacrée, ils recueillaient avec soin l’eau qui avait servi à cet acte religieux. S’il crachait, ils couraient essuyer sa salive[206]. Un cheveu qui tombait de sa tête, ils le serraient avec vénération. Il était comme un Dieu au milieu de ses semblables. L’ambassadeur, ayant rendu compte aux Coreïshites de sa mission, ajouta : « J’ai demeuré à la cour des empereurs ; j’ai vu Cosroës dans tout l’éclat de sa gloire ; j’ai vu Héraclius entouré de la pompe des Césars ; mais je n’ai point vu de roi respecté de ses sujets, comme Mahomet l’est de ses compagnons[207]. » Après le départ d’Arwa, le prophète voulut envoyer Omar porter des paroles de paix aux idolâtres. Omar s’en excusa, en représentant que les ennemis avaient à lui reprocher des traitemens injurieux, des actes de violences, et qu’il craignait leur ressentiment. Il leur députa Othman, fils d’Asan, et il le chargea de leur assurer qu’il n’était point venu pour commettre des hostilités ; que ses intentions étaient pacifiques, et que le seul désir de visiter les lieux saints l’avait amené. Othman s’acquitta de sa commission. Ses propositions furent rejetées. « Pour vous, lui dit-on, il vous est libre de remplir ce devoir sacré, et de faire les circuits autour du temple. » « À Dieu ne plaise, répondit l’ambassadeur, que je m’en acquitte avant que l’apôtre de Dieu m’en ait donné l’exemple. » Irrités de cette réponse, les idolâtres saisirent Othman, et le chargèrent de fers. Cet attentat contre le droit des gens favorisait les desseins de Mahomet. Voulant mettre le bon droit de son côté et paraître juste, lors même qu’il écrasait ses ennemis, il fut charmé qu’ils lui offrissent le prétexte d’une vengeance légitime. C’était ce motif qui lui avait fait d’abord jeter les yeux sur Omar. Ne pouvant contenir sa joie, il s’écria : « Nous ne sortirons pas d’ici sans combattre[208]. » Ayant assemblé ses soldats, il leur représenta l’injustice des idolâtres, qui les tenaient écartés du sanctuaire d’Abraham ; les traitemens indignes commis en la personne de son ambassadeur, et le peu de confiance que l’on devait avoir aux sermens d’un peuple violateur des droits les plus sacrés. À ce discours, le zèle des Musulmans s’enflamma. Tous crièrent aux armes ; et pour se dévouer plus particulièrement au service de leur apôtre, ils lui prêtèrent volontairement serment d’obéissance et de fidélité, et jurèrent de le servir jusqu’à la mort. Il promit de son côté qu’il leur serait fidèle aussi long-temps qu’ils formeraient une assemblée. Le ciel applaudit à cet acte généreux. « Dieu regardait d’un œil de complaisance les croyans, lorsqu’ils te prêtaient serment de fidélité sous l’arbre. Il lisait au fond de leurs cœurs. Il leur envoya la sécurité. Une victoire éclatante (la prise de Khaïbar) a couronné leur dévouement. Un riche butin en a été le prix[209]. » La violence des idolâtres n’avait servi qu’à cimenter la puissance de Mahomet. Satisfait d’avoir tiré un parti aussi avantageux d’un événement si contraire en apparence, il se disposait à venger l’affront fait à son ambassadeur ; mais les Coreïshites, revenus de leur premier emportement, avaient réfléchi à l’injustice de leur conduite, et aux maux qui allaient en être les suites. Ils rendirent la liberté à Otman, et envoyèrent Sohaïl pour demander la paix. L’apôtre des Musulmans ne pouvant s’y refuser sans manquer à ses principes et sans passer pour tyran aux yeux des Arabes, se détermina à la conclure. « Hé quoi ! lui dit Omar, de vrais croyans peuvent-ils contracter une alliance avec des idolâtres ? Je suis le serviteur et l’apôtre de Dieu, répondit Mahomet, puis-je sans craindre sa colère m’opposer à ses décrets. Il commande et j’obéis[210]. » Lorsque les articles furent réglés, il appela Ali, et lui dit, Écrivez : Au nom de Dieu clément et miséricordieux. Je ne connais point ce style, lui représenta Sohaïl ; qu’on écrive : En ton nom, ô Dieu ! Écrivez, ajouta Mahomet : Telles sont les conditions auxquelles Mahammed, apôtre de Dieu, fait la paix. Permettez, reprit Sohaïl, que je vous dispute ce titre. Si je vous reconnaissais pour l’apôtre de Dieu, je ne porterais pas les armes contre vous. Souffrez qu’on écrive simplement votre nom et celui de votre père. Mahomet céda. Ces contestations finies, il dit à Ali d’écrire : Telles sont les conditions auxquelles[211] Mahammed, fils d’Abdallah fait la paix avec Sohaïl, fils d’Amrou.

I. Une trêve de dix ans sera fidèlement observée entre les Musulmans et les Coreïshites.

II. Les tribus arabes seront libres de se ranger du parti de Mahomet ou de celui des Mecquois[212].

III. Mahomet et les siens quitteront le territoire sacré cette année même.

IV. Les Musulmans pourront, l’année prochaine, visiter les lieux saints au mois d’Elcaada.

V. Ils entreront à la Mecque sans autres armes que leurs épées dans le fourreau.

VI. Ils n’y séjourneront que trois jours, et ne forceront aucun citoyen d’en sortir contre sa volonté.

Ce traité, juré solennellement par les plénipotentiaires, fut ratifié par les mahométans et les idolâtres[213]. Les soldats du prophète qui, fondés sur une révélation, avaient cru marcher à un triomphe, furent pénétrés de douleur à la nouvelle de cette paix. Leur mécontentement éclata publiquement. Ils n’écoutaient plus la voix de leur chef. Vainement il leur commanda d’immoler les victimes pour se disposer à partir. Ils gardèrent un morne silence, et refusèrent d’obéir. Trois fois il répéta l’ordre, et trois fois ils demeurèrent immobiles. Alors, sans dire mot, il traverse l’armée, se rend à la tête du camp, prend le couteau sacré, égorge de ses propres mains les chameaux destinés au sacrifice, se rase la tête, et accomplit les cérémonies prescrites par la religion. La force de l’exemple triompha de leur obstination. À peine eurent-ils vu leur apôtre occupé à remplir ces devoirs religieux, qu’ils se hâtèrent de l’imiter. La terre fut inondée du sang des victimes. Tous les soldats se rasèrent, se purifièrent avec une émulation merveilleuse. Un zèle ardent avait pris la place de la tristesse. Pour la dissiper entièrement, Mahomet fit observer qu’on avait mal interprété la révélation divine, puisqu’elle est terminée par ces mots : Dieu sait ce que vous ignorez. Il vous prépare une victoire prochaine. Cette victoire, ajouta-t-il, doit précéder votre entrée à la Mecque. Courage donc, compagnons ; marchons où le ciel nous appelle. Sur-le-champ il fit donner le signal du départ, et ramena ses troupes à Médine. Aussitôt qu’il y fut rentré, il fit des préparatifs contre les Juifs. Il avait déjà détruit deux de leurs tribus et envahi leur territoire. Ces conquêtes ne suffisaient point à sa sûreté et à son ambition. La possession de plusieurs places fortes les rendait encore redoutables. Toujours prêts à se soulever, toujours prêts à offrir des secours aux idolâtres, ils opposaient partout une barrière à ses desseins. L’impossibilité de les rendre musulmans ou fidèles alliés lui fit prendre le parti d’en faire des esclaves.

(Depuis la chute d’Adam, suivant Abul-Feda. 6222. — Depuis la naissance de J.-C. 637. — Après l’hégire. 7. — De Mahomet. 59.)

Au mois de Moharam, Mahomet partit secrètement de Médine à la tête de quatorze cents hommes d’infanterie et de deux cents cavaliers. Il attaqua brusquement le château de Naëm et l’emporta d’emblée. Il alla ensuite mettre le siége devant la forteresse Elaçab ; les Juifs étaient préparés à le recevoir. Ils avaient fait le dégât autour de leur ville, et coupé leurs palmiers[214]. Ils opposèrent une vigoureuse résistance. Les Musulmans, accablés de fatigues et souffrant extrêmement par la disette des vivres, entourèrent la tente de leur général, et lui portèrent leurs plaintes[215]. Il se mit en prière, et levant les mains au ciel, il s’écria : « Seigneur, tu vois l’état où ils sont réduits. Les forces leur manquent. Ils meurent de besoin. Ouvre-leur les portes de cet immense château rempli de provisions et de richesses. » La prière produisit son effet[216]. Elle ranima le courage des soldats. Ils livrèrent l’assaut, et la place fut emportée. On y trouva des monceaux d’orge et de dattes ; beaucoup d’huile et de miel ; des amas d’armes ; des troupeaux de bœufs, de brebis et d’ânes. On apporta à Mahomet un large cuir de chameau rempli de ceintures, de bracelets, de jarretières, de pendans d’oreille et d’anneaux d’or ; outre une grande quantité de pierres précieuses. Ces dépouilles furent partagées entre les vainqueurs. Avant de laisser ralentir leur ardeur, il les mena contre le château Elcamous ; c’était la citadelle de Khaïbar[217]. Sa situation sur un rocher et les travaux que Kenana y avait ajoutés la rendaient presque imprenable. Ce prince, le plus riche et le plus puissant de la nation, prenait le titre de roi des Juifs. Il s’y était renfermé avec ses trésors. Il fallut l’assiéger en forme. On fit approcher les beliers et les autres machines de guerre. On battit la muraille sans relâche, malgré les efforts des assiégés. Encouragés par l’exemple de leur chef, qui s’exposait aux plus grands périls, les Musulmans montrèrent une ardeur incroyable. On fit brèche. Il s’y livra plusieurs combats ; mais les assiégeans, malgré leur bravoure, ne purent gagner les derniers retranchemens. Mahomet voyant leurs efforts inutiles fit sonner la retraite. Pendant deux jours il resta enfermé dans sa tente, méditant sur les moyens de se rendre maître de la forteresse[218]. Tandis qu’il combinait son plan, Abubecr prit l’étendard de l’islamisme, et, suivi d’une troupe d’élite, alla le planter sur la brèche. Il y combattit vaillamment ; mais la résistance opiniâtre des assiégés l’obligea de se retirer. Omar crut qu’il serait plus heureux. Il saisit le même étendard, et, appelant ses braves compagnons, il les mena contre l’ennemi. Malgré une grêle de dards et de flèches, ils montèrent sur les débris de la muraille, et firent des prodiges de valeur ; mais, après un rude combat, ils furent forcés à prendre la fuite. Les deux officiers rendirent compte à leur général du peu de succès de leurs armes. « J’en jure par l’Éternel, leur dit Mahomet ; demain je confierai cet étendard aux mains d’un brave, ami de Dieu et de l’apôtre qu’il aime, guerrier intrépide qui ne sait point tourner le dos à l’ennemi. » Le lendemain, les Mohagériens et les Ansariens avaient de grand matin entouré sa tente. Le cou penché en avant, l’œil fixe, ils pressaient leurs rangs pour découvrir sur qui tomberait le choix glorieux. Chaque brave s’en faisait honneur. Depuis plusieurs jours l’invincible Ali gémissait de voir son courage inutile ; un mal d’yeux le forçait à demeurer oisif. Il parut le front ceint d’un bandeau[219]. Mahomet l’ayant fait approcher lui frotta les yeux de sa salive, et le mal se dissipa. Après cette cure merveilleuse[220], il lui donna l’étendard de la religion, et l’envoya contre les assiégés. Ali le reçut avec joie, et marcha avec confiance. Il monta sur la brèche et y planta son drapeau. Les Juifs sortirent en grand nombre pour le repousser ; mais Ali, inébranlable dans son poste, renversait tous ceux qui osaient se mesurer avec lui. Il avait étendu à ses pieds Elhareth. Marhab, lieutenant du château, descendit pour venger la mort de son frère. Cet officier était renommé pour sa force et son audace[221]. Couvert d’une double cuirasse, ceint de deux épées, il portait deux turbans avec un casque où l’on voyait briller une pierre précieuse de la grosseur d’un œuf. Sa main était armée d’une lance en forme de trident. Les Musulmans n’osaient se mesurer avec lui. Il marcha fièrement contre Ali, qui l’attendait de pied ferme, et lui dit en l’abordant : Tu connais Khaïbar. Je suis Marhab. Mes armes sont bonnes, et j’ai le bras d’un héros. Et moi, lui répondit Ali, je m’appelle le lion ; c’est le nom que ma mère me donna en naissant. Je vais te mesurer avec cette épée à la mesure de Sandara. (C’est une grande mesure.)

À ces mots les deux rivaux en vinrent aux mains. Ils se portèrent des coups terribles. Ali, plus adroit, trompait le bras de son pesant adversaire. Ayant saisi l’instant où Marhab avait porté à faux, il lui fendit la tête d’un coup de sabre. Son casque, ses turbans, ne purent le garantir. Marhab, sans vie, roula sur la poussière. Ali ne s’arrêta point à cet exploit. Il poursuivit les Juifs, consternés de la mort de leur chef, et entrant avec eux dans le château, s’en rendit maître[222]. Mahomet en prit possession. Tous les habitans furent faits esclaves[223]. Parmi les captives on remarquait le belle Safia, fille d’un des principaux Juifs. Il la destina à devenir son épouse, et lui donna la liberté pour dot.

Tandis qu’il se délassait de ses travaux, et qu’il célébrait avec les chefs de son armée cette superbe conquête, Zaïnab, sœur de Marhab, qui avait succombé sous le bras d’Ali, préparait sa mort. Elle empoisonna un agneau rôti, et le fit servir à sa table. À peine Mahomet en eut-il mis un morceau dans sa bouche, qu’il le rejeta en disant : Ce mouton est empoisonné. Bashar, un de ses compagnons, qui en avait avalé une bouchée, mourut sur-le-champ. Malgré la promptitude avec laquelle Mahomet avait rejeté le morceau empoisonné, malgré les ventouses qu’il se fit appliquer aux épaules, la malignité du poison pénétra la masse du sang, abrégea ses jours, et lui fit éprouver de violentes douleurs jusqu’à la mort[224]. Cet événement n’était pas propre à diminuer la haine qu’il portait aux Juifs ; aussi continua-t-il à les dépouiller de leurs biens, et à les réduire en servitude. Les habitans de Khaïbar, voyant toutes leurs forteresses enlevées, ouvrirent au conquérant les portes de leur ville. Ils le prièrent de leur laisser la culture de leurs palmiers et de leurs terres, promettant de lui remettre la moitié du produit. Leur demande fut accordée. Ils demeurèrent en possession de Khaïbar jusqu’au califat d’Omar, qui chassa tous les Juifs d’Arabie, et les relégua en Syrie, où il leur donna des terres.

Les habitans de Fadac, effrayés du sort de leurs voisins, se soumirent, et obtinrent les mêmes conditions qu’eux. Mahomet devant cette conquête à la négociation et non à la force de ses armes, s’en réserva la propriété suivant cette loi du Coran : « Le butin qu’il (Dieu) a accordé au prophète, vous ne l’avez disputé ni avec vos chameaux ni avec vos chevaux[225]. » Résolu de ne pas laisser aux Juifs une seule place forte, il conduisit ses troupes victorieuses devant Wadi Elcora[226]. Les habitans refusèrent de se rendre. On les assiégea. La place ayant été prise d’assaut, ils furent emmenés en captivité.

Aussitôt qu’il eut pris possession de Wadi Elcora, il alla attaquer les forts de Watish et de Salalem[227]. On les emporta l’épée à la main. Durant cette campagne, il s’empara de toutes les places fortes des Juifs ; il les dépouilla de leurs richesses, et réduisit presque toute la nation en esclavage.

Couvert de gloire, chargé de butin, Mahomet ramena ses troupes triomphantes à Médine[228]. À peine était-il de retour, que Jafar, fils d’Abutaleb, revint d’Abyssinie avec le reste des fugitifs. Mahomet l’embrassa tendrement, et dit dans l’effusion de son cœur : « Je ne sais lequel de la prise de Khaïbar ou du retour de Jafar me cause plus de joie ? » Quelque temps auparavant il avait écrit au roi d’Abyssinie, pour le prier de renvoyer les transfuges, et de le marier avec Omm habiba, fille d’Abusofian. C’était un trait de politique. Il espérait que cette alliance désarmerait son plus redoutable ennemi. Le prince, environné de sa cour, fit lui-même la cérémonie des fiançailles[229]. Ayant fait approcher de son trône Omm habiba et Khaleb, fils de Laïd, cousin de Mahomet, il prononça ce discours : « Louange à Dieu ! roi, saint, sauveur, fidèle, véritable, puissant et grand. J’atteste qu’il n’y a qu’un Dieu, et que Mahomet est son envoyé. L’apôtre de Dieu m’a écrit pour me demander en mariage Omm habiba. J’accomplis avec joie ses désirs, et je donne pour dot à la nouvelle épouse quatre cents écus d’or. » Il compta la somme en présence du peuple, et ajouta des présens dignes de la magnificence royale, destinés pour Mahomet. Il les reçut des mains de Jafar, et consomma son mariage avec la fille d’Abusofian. Ayant proposé à ses soldats d’admettre les fugitifs au partage des dépouilles enlevées sur les Juifs, sa proposition fut reçue avec applaudissement. Ces malheureux trouvèrent dans la générosité des fidèles un dédommagement des biens qu’ils avaient abandonnés pour conserver leur religion.

Mahomet ayant subjugué une partie des Arabes et anéanti la nation juive, manifesta ses vues ambitieuses[230]. Respecté comme prophète, obéi comme général, il voulut essayer sa puissance, et envoyer des ambassadeurs aux rois. Pour cet effet il fit graver un sceau avec cette légende :

MAHOMET,
apôtre
de dieu.
MAHAMMED,
raçoul
Allah.

Cette démarche lui ayant paru de la dernière importance, il monta dans la tribune, d’où il avait coutume de haranguer le peuple, et déclara son dessein publiquement. Après avoir célébré les louanges de Dieu, et fait la profession de foi, il prononça ces mots : « Musulmans, j’ai dessein de choisir parmi vous des ambassadeurs pour les envoyer aux rois étrangers. Ne vous opposez point à mes volontés. N’imitez pas les enfans d’Israël qui furent rebelles à la voix de Jésus. » Les Mohagériens s’écrièrent : « Apôtre de Dieu, nous prenons le ciel à témoin que nous t’obéirons jusqu’à la mort. Ordonne, nous sommes prêts à partir. »

Le premier des souverains à qui Mahomet envoya des ambassadeurs fut Cosroës, roi de Perse. Abdallah, fils d’Ozafa, lui remit sa lettre de créance[231]. Le prince fit appeler un interprète pour la lire. Elle commençait par ces mots : Mahomet, apôtre de Dieu, à Cosroës, roi de Perse. Cette inscription l’irrita. Il avait conservé le faste des souverains de sa nation. Son orgueil fut humilié de voir un nom écrit avant le sien. Il prit la lettre et la déchira, en disant : Est-ce ainsi qu’un esclave ose écrire à son maître ? Ces paroles ayant été rapportées à Mahomet : Dieu, dit-il, mettra en pièces son royaume. Cosroës ne crut pas l’audace de celui qu’il traitait d’esclave assez punie. Il écrivit à Badhan, son vice-roi dans l’Arabie Heureuse, de lui envoyer sur-le-champ cet insensé qui faisait le prophète dans la province d’Elhejaz[232]. Badhan dépêcha deux courriers à Mahomet pour lui signifier les ordres de son maître. Les envoyés se présentèrent devant lui en tremblant, lui remirent la lettre du vice-roi, et voulurent lui déclarer le sujet de leur message. Il les renvoya au lendemain sans avoir daigné les entendre. Pendant la nuit même, si l’on en croit les écrivains arabes, il eut une révélation. Un messager céleste lui apprit la mort de Cosroës[233], assassiné par son fils[234] Siroës. De grand matin il fit venir les envoyés ; il leur annonça cette nouvelle, et leur dit : « Apprenez que ma religion et mon empire parviendront au faîte de grandeur où s’est élevé le royaume de Cosroës. Allez. Dites à Badhan que je l’invite à embrasser l’islamisme. » Ils partirent, et lui rendirent compte de leur mission[235]. Peu de jours après, Badhan reçut une lettre de Siroës, qui lui faisait part de la mort de son père, de son avénement au trône, et qui lui défendait d’inquiéter le prophète. Frappé du concours des circonstances, le vice-roi de l’Yémen crut y voir du miracle, et se fit musulman avec tous les Perses qui se trouvaient à sa cour.

Héraclius fut le second souverain à qui Mahomet envoya un ambassadeur[236]. Dohia lui présenta sa lettre de créance. César la reçut avec respect, et l’ouvrit ; elle était conçue en ces termes :

Au nom de Dieu clément et miséricordieux.
Mahomet, fils d’Abdallah, apôtre de Dieu, à Héraclius, empereur des Romains, salut[237].

« La paix soit avec celui qui marche au flambeau de la vraie foi. Je t’appelle à l’islamisme. Je t’invite à l’embrasser. Fais-toi musulman. Le ciel t’accordera une double récompense. Si tu refuses de te soumettre à ma religion, tu paraîtras, aux yeux de Dieu, coupable du crime des païens. Ô chrétiens ! terminons nos différens. N’adorons qu’un Dieu. Ne lui donnons point d’égal. N’accordons qu’à lui seul le nom de Seigneur. Si vous rejetez cette croyance, rendez au moins témoignage que nous sommes Musulmans[238]. »

Héraclius ayant lu la lettre, la posa avec respect sur un coussin, et s’entretint familièrement avec Dohia. Lorsque l’ambassadeur eut satisfait sa curiosité, il le renvoya avec de riches présens.

Hateb fut envoyé en ambassade vers Mokaukas[239], vice-roi d’Égypte pour l’empereur Héraclius. Ce gouverneur avait pris le titre de prince des Cophtes[240]. Appui secret de la secte des jacobistes, il haïssait les Grecs qui l’empêchaient de professer publiquement sa croyance. Profitant du désordre des guerres que son empereur eut à soutenir contre les Perses, il retint les tributs qu’il était chargé de faire passer à Constantinople. Craignant déjà pour sa tête, il ne voulut pas s’attirer un nouvel ennemi. Il reçut avec honneur l’ambassadeur de Mahomet, lut sa lettre, et lui fit cette réponse :

À Mahomet, fils d’Abdallah, Mokaukas, prince des Cophtes, salut.

« J’ai lu la lettre par laquelle vous m’invitez à embrasser l’islamisme[241]. Cette démarche mérite des réflexions. Je savais qu’il paraîtrait encore un prophète ; mais je croyais qu’il devait sortir de Syrie. Quoi qu’il en soit, j’ai reçu avec distinction votre ambassadeur. Il vous présentera de ma part deux jeunes filles cophtes d’une noble extraction. J’ai joint à ce présent une mule blanche, un âne[242] d’un gris argenté, des habits de lin d’Égypte, du miel excellent et du beurre. »

Quelque temps auparavant, Mahomet avait chargé Amrou, fils d’Omaïa, son ambassadeur auprès du roi d’Abyssinie, de lui remettre la lettre suivante :

Au nom de Dieu clément et miséricordieux.
Mahomet, apôtre de Dieu, à Najashi Ashama, empereur d’Abyssinie, salut.

« Gloire à Dieu ! au Dieu, unique, saint, pacifique, fidèle et protecteur. J’atteste que Jésus, fils de Marie, est l’esprit de Dieu et son verbe[243]. Il le fit descendre dans Marie, vierge bienheureuse et immaculée, et elle conçut. Il créa Jésus de son esprit, et l’anima de son souffle, ainsi qu’il anima Adam. Pour moi, je t’appelle au culte d’un Dieu unique, d’un Dieu qui n’a point d’égal, et qui commande aux puissances du ciel et de la terre. Crois à ma mission. Suis-moi. Sois au nombre de mes disciples. Je suis l’apôtre de Dieu. J’ai envoyé dans tes états mon cousin Jafar avec quelques Musulmans. Prends-les sous ta protection, et préviens leurs besoins. Dépose l’orgueil du trône. Je t’invite, toi et tes légions, à embrasser le culte de l’être suprême. Mon ministère est rempli. J’ai exhorté. Fasse le ciel que mes conseils soient salutaires ! La paix soit avec celui qui marche au flambeau de la vraie foi[244]. »

Le roi d’Abyssinie ayant reçu cette lettre, se l’appliqua sur les yeux, descendit de son trône, s’assit à terre, prononça la profession de foi des Musulmans, et répondit en cette manière :

Au nom de Dieu clément et miséricordieux.
À Mahomet, apôtre de Dieu, Elnajashi Ashama, salut.

« La paix soit avec toi, apôtre de Dieu ! qu’il te couvre de sa miséricorde ! qu’il te comble de ses bénédictions ! Il n’y a de Dieu que celui qui m’a conduit à l’islamisme. Ô prophète ! j’ai lu la lettre que tu m’as envoyée. Ce que tu dis de Jésus est la vraie croyance. Lui-même n’a rien ajouté de plus ; j’en atteste le souverain du ciel et de la terre. J’ai eu égard à ta recommandation. Ton cousin et ses compagnons ont été reçus avec honneur dans mes états. Ils y ont joui des droits de l’hospitalité. J’atteste que tu es l’apôtre de Dieu, véritable et véridique. Je t’ai prêté serment entre les mains de Jafar, j’ai professé l’islamisme en sa présence. Je me suis dévoué au culte du Dieu des mondes. Ô prophète ! je t’envoie mon fils Ariha. Si tu l’ordonnes, j’irai moi-même rendre hommage à la divinité de ton apostolat. J’atteste que tes paroles sont la vérité. »

Il ne reçut pas une réponse aussi favorable de Haret, fils d’Abu Shamar le Gassanite. Ce prince régnait sur une partie de l’Arabie Déserte. Son royaume s’étendait jusqu’aux confins de la Syrie[245]. Shajaa lui ayant présenté sa lettre de créance, il la lut, et lui dit : « Retourne vers ton maître. Je partirai dans peu, et je lui porterai ma réponse. » « Périsse son royaume ! » s’écria Mahomet.

Hawaza, souverain de la province d’Yemama, était venu lui-même trouver le prophète, et avait embrassé l’islamisme. De retour dans ses états, il apostasia. Mahomet lui envoya Solaït avec une lettre. Le prince l’ayant lue, dit à l’ambassadeur : « Je me suis déjà fait musulman, j’ai secouru le prophète ; mais j’irai porter la guerre à Médine s’il me parle encore de sa religion. » « Je ne lui ferai pas cet honneur, répondit Mahomet. Seigneur, arrête ses projets, et qu’il périsse ! »

[246] Un des derniers souverains à qui il envoya des ambassadeurs, fut Elmondar, roi de Bahraïn[247]. Il gouvernait le pays qui s’étend le long du golphe Persique. Oloa lui ayant remis la lettre de son apôtre, il la lut avec respect et embrassa l’islamisme[248]. Les peuples de ses états suivirent son exemple. Elmondar remporta dans la suite une victoire éclatante sur les Perses.

La paix régnait à Médine. Les Arabes d’alentour avaient embrassé l’islamisme. Les Juifs domptés n’osaient plus lever la tête. Mahomet choisit cet instant pour accomplir la visite des lieux saints. Le quatrième article du traité d’Hodaïbia lui en donnait le droit. Il partit de Médine au mois d’Elcaada. Un nombreux cortége l’accompagnait. Des soldats couverts de fer, une troupe de bergers conduisant des victimes parées de fleurs, offraient tout à la fois un spectacle guerrier et pacifique[249]. C’est dans cet appareil qu’il entra sur le territoire sacré. Abdallah, son grand écuyer, le précédait, tenant en main la bride de son chameau. Les Musulmans, les yeux attachés sur leur apôtre, observaient ses moindres mouvemens. Tout était intéressant pour eux ; tout était important pour lui. Il se rendit au temple, baisa religieusement la pierre noire, accomplit les circuits sacrés, visita les collines de Safa et de Merva, et fit proclamer la prière à la porte du sanctuaire d’Abraham. Il demeura trois jours à remplir les cérémonies prescrites par la religion, et après avoir immolé les victimes, il alla camper à six milles de la Mecque. La ville était déserte. La plupart des habitans s’étaient retirés sur les montagnes voisines. Il aurait pu s’en emparer ; mais la violation d’un pacte juré solennellement aurait sapé les fondemens de sa puissance. Son ambition, réglée par la politique, ne l’aveugla point. Ses ennemis n’eurent jamais l’avantage de le trouver parjure.

La religion ne permet pas de s’approcher des femmes pendant le temps du pèlerinage[250]. Mahomet, par un privilége attaché à la dignité d’apôtre, épousa Maimouna, lorsqu’il était encore revêtu de l’habit sacré de pèlerin ; mais il ne consomma le mariage qu’après l’accomplissement de son vœu. La piété des dévots musulmans étant satisfaite, il ramena ses troupes à Médine.

(Depuis la chute d’Adam, suivant Abul-Feda. 6223. — Depuis la naissance de J.-C. 638. — Après l’hégire. 8. — De Mahomet. 60.)

Khaled, fils d’Elwalid, Amrou, fils d’Elas, Othman, fils de Talha, ne tardèrent pas à s’y rendre. Le premier était le meilleur général des Arabes. À la journée d’Ahed où il commandait la cavalerie des coreïshites, il avait fait pencher la victoire de son côté. Amrou, fils d’Elas, le même qui dans la suite conquit l’Égypte[251], avait été envoyé deux fois en ambassade vers le roi d’Abyssinie[252], pour redemander les transfuges ; mais le prince, gagné par Jafar, avait rejeté sa demande. Othman, préfet du temple de la Mecque, jouissait d’une grande autorité parmi les idolâtres. Ces trois chefs coreïshites lisant dans l’avenir, prévirent que le vainqueur des Juifs, l’allié des têtes couronnées, le législateur de sa nation, en serait bientôt le conquérant. L’un, guerrier ambitieux, voyant la valeur des Coreïshites enchaînée, désirait de combattre sous un général intelligent, et de montrer ses talens sur un plus grand théâtre. L’autre, après deux ambassades où il avait demandé la tête des compagnons de Mahomet, craignait pour ses jours. Othman, revêtu de la plus belle charge de l’Arabie, voulait prévenir une disgrâce qui ne lui paraissait pas fort éloignée. Tous trois, poussés par des motifs différens, se firent musulmans, et prêtèrent à leur apôtre serment de fidélité. Il leur assura l’oubli du passé ; il flatta leur ambition, et leur accorda ses bonnes grâces.

[253] Mahomet avait envoyé Elharêt, fils d’Omaïr, au souverain de Bosra, pour l’engager à se faire musulman. L’ambassadeur, arrivé à Mouta, s’y reposait dans une parfaite sécurité. Il ignorait le sort qui l’attendait. Amrou, fils de Shoraïl, gouverneur de la ville pour l’empereur Héraclius, le surprit au sein de la paix, et l’assassina. C’est le seul des ambassadeurs de Mahomet qui ait été tué. Résolu de venger sa mort, il arma trois mille hommes, et leur ordonna de s’avancer jusqu’à Mouta, ville de Syrie, située vis-à-vis d’Elcarac[254], d’inviter les habitans à se soumettre à l’islamisme, et sur leur refus, de porter le fer et la flamme au sein de leurs foyers. Ce fut la première fois que les Arabes prirent les armes contre les Grecs. Cette étincelle produisit un vaste incendie qui, pendant huit cents ans, embrasa l’Orient. Depuis cet instant le flambeau de la guerre ne cessa presque d’être allumé entre les deux nations, jusqu’au temps où les Ottomans conduits par Mahomet II s’emparèrent de Constantinople[255].

Mahomet donna le commandement de l’armée à Zaïd son fils adoptif, et déclara en présence de ses soldats que, s’ils perdaient leur général, Jafar, fils d’Abutaleb, le remplacerait, et que s’il était tué, ils éliraient à sa place Abdallah, fils de Rowaha. Les Musulmans se mirent en marche sous les ordres de Zaïd[256]. Animés par la vengeance, ils traversèrent courageusement les sables brûlans et les vastes déserts de l’Arabie. Après des fatigues incroyables ils vinrent camper près de Mouta. À la nouvelle de leur approche les ennemis s’étaient rassemblés. Une armée de cent mille hommes était prête à fondre sur eux. On tint conseil. Le plus grand nombre était d’avis d’éviter le combat, et de dépêcher un courrier au prophète pour lui demander du secours[257]. Ce conseil timide déplut à Abdallah. Il se leva au milieu de l’assemblée, et dit : « compagnons, marchons contre les infidèles. Ouvrons-nous un passage à travers leurs bataillons. Il ne peut nous arriver que cette alternative, ou le martyre ou la victoire. » Ce sentiment prévalut. On se prépara au combat. Les croyans ne formaient qu’un corps de trois mille hommes ; mais chacun d’eux était endurci au métier des armes. Sept années de triomphes avaient élevé leurs âmes. À force de vaincre, ils étaient devenus invincibles. Cent mille hommes ne les effrayèrent point. Ils livrèrent la bataille. Elle fut longue et sanglante. Zaïd qui combattait dans les premiers rangs tomba couvert de blessures. Jafar releva l’étendard, et soutint la gloire du nom musulman. Un soldat lui ayant abattu la main qui le portait, il le prit de l’autre ; elle fut coupée. Il le serra entre ses bras jusqu’au moment où il tomba dessus percé de coups. Abdallah saisit l’étendard ensanglanté, et fit des prodiges de valeur pour empêcher les ennemis de s’en emparer. Il succomba sous le nombre comme les deux premiers généraux. Les Musulmans prenaient la fuite. Khaled accourut, releva l’étendard de l’islamisme, et rappela à l’entour les plus braves guerriers. Le combat recommença avec une nouvelle fureur. Khaled faisant un dernier effort, enfonça les bataillons ennemis, perça le centre de l’armée, et la mit en fuite. La nuit seule l’empêcha de poursuivre sa gloire. Élu général d’une voix unanime, il campa sur le champ de bataille. Avant le lever du soleil ses troupes étaient sous les armes, et s’avançaient en bon ordre. Lorsqu’il fut à la vue des ennemis, il eut recours au stratagème. Il élargit ses rangs ; il fit plusieurs marches et contre-marches, et par des manœuvres savantes parut déployer à leurs yeux surpris une armée nombreuse. Les Grecs étonnés crurent qu’il avait reçu de puissans renforts. L’épouvante s’empara de leurs âmes. L’impétueux Khaled les ayant attaqués, ils n’opposèrent qu’une faible résistance, et se débandèrent, laissant leurs bagages au pouvoir de l’ennemi. Khaled chargé de dépouilles, et couvert de gloire ramena ses troupes victorieuses. Il joignit à la science d’un grand capitaine une valeur héroïque. Pendant le combat neuf épées s’étaient rompues dans ses mains[258]. Les autres généraux n’avaient pas combattu avec moins de vaillance. On compta cinquante coup d’épée et de lance sur le corps de Jafar, tous reçus par devant.

[259] Mahomet ayant appris le succès de ses armes à Mouta assembla le peuple, et dit : « Zaïd portait l’étendard de l’islamisme à la tête de l’armée, et il a succombé. Jafar l’a pris, et il a succombé. Abdallah l’a relevé, et il a subi un pareil sort. » À ces mots les croyans fondirent en larmes. Lui-même était pénétré d’attendrissement ; mais reprenant son récit, il ajouta : « enfin un guerrier[260], l’épée des épées de Dieu ayant saisi l’étendard, a forcé la victoire à se déclarer pour les Musulmans. »

La joie de cette victoire fut troublée par la perte de trois généraux. On avait apporté leurs corps à Médine. On y voyait les glorieuses blessures dont ils étaient couverts. Ce spectacle fit verser des pleurs à tous les habitans. La ville fut couverte d’un deuil universel. Mahomet ne put retenir sa sensibilité. Il partageait la douleur publique, et regrettait deux amis élevés auprès de lui dès l’enfance. Il prit le fils de Jafar dans ses bras, et l’embrassant tendrement, le mouilla de ses larmes. Ayant rencontré la fille de Zaïd, il se jeta à son cou, et ne put étouffer ses sanglots. Saad l’apercevant dans cet état lui dit : « Ô prophète ! que vois-je ? — Ce sont, lui répondit Mahomet, les regrets d’un ami envers son ami »[261]. On fit de magnifiques funérailles aux généreux guerriers, et après la pompe funèbre, Mahomet voulant adoucir la tristesse commune, dit : « Ô Musulmans ! ne pleurez plus sur Jafar, son sort est digne d’envie. Dieu lui a donné deux ailes, et il s’en sert pour parcourir l’immense étendue des cieux ouverts à ses désirs. »

[262] Un événement qui eut de grandes suites fit diversion à la douleur et aux larmes. Les enfans de Becre, autorisés par le traité d’Hodaïbia, étaient entrés dans l’alliance des Coreïshites. Les Cozaïtes s’étaient rangés du côté de Mahomet. La haine qui divisait ces deux tribus leur avait fait prendre ces partis opposés. Les enfans de Becre voyant leurs ennemis endormis à l’ombre de la paix, sentirent renaître leur ancienne animosité. La facilité de la vengeance les fit passer sur la sainteté des lois. Ils demandèrent des troupes aux Coreïshites, et allèrent attaquer les Cozaïtes. Ils surprirent un de leurs bourgs, massacrèrent une partie des habitans, et mirent les autres en fuite[263]. Les malheureux alliés vinrent porter leurs plaintes à l’apôtre des croyans. Il leur promit son assistance.

Les Coreïshites, en fournissant des troupes contre les Cozaïtes, avaient violé le traité d’Hodaïbia. Ils ne tardèrent pas à sentir l’inconséquence de cette conduite. Pour en prévenir les suites, ils députèrent Abusofian à la Mecque, avec ordre d’offrir toutes les satisfactions imaginables : démarche inutile. Charmé de trouver une occasion si favorable à ses desseins, Mahomet voulait en profiter. Sous prétexte de venger la cause de ses alliés, il avait juré dans son cœur d’abaisser l’orgueil des idolâtres, et de se rendre maître de la Mecque. Abusofian, en arrivant à Médine, descendit chez Omm Habiba, sa fille, épouse de Mahomet. Il la pria d’intercéder pour lui ; mais ayant voulu s’asseoir sur son lit[264], elle le plia promptement. « Ô ma fille ! lui dit-il, préférez-vous ce lit à votre père ? » « C’est la couche de l’apôtre de Dieu, répondit Omm Habiba, et vous êtes idolâtre. » Abusofian, indigné, sortit en maudissant sa fille. Il entra dans l’appartement du prophète, et après l’avoir complimenté, lui parla de négociation. Il ne put en obtenir une parole[265]. Ce silence obstiné lui fit sentir la grandeur du mal. Il chercha des médiateurs. Abubecr et Ali, sollicités de parler en sa faveur, refusèrent de l’entendre. L’ambassadeur humilié retourna à la Mecque, et rendit compte du mauvais succès de sa mission.

Tandis que les Coreïshites, incertains, délibéraient sur le parti qu’il fallait prendre, Mahomet faisait de grands préparatifs. Ses confédérés étaient avertis de se rendre à Médine. Tous les Musulmans devaient prendre les armes. Résolu de fondre à l’improviste sur les idolâtres, il défendit d’entretenir aucune communication avec eux. Hateb, pressé par le désir de sauver sa famille, transgressa la loi. Il écrivit ces mots : « Hateb, fils de Battea, aux Mecquois, salut. Apprenez que l’apôtre de Dieu se dispose à vous attaquer. Préparez-vous à la défense. » Sara, servante des fils de Hashem, se chargea pour dix écus d’or de porter la lettre. Mahomet découvrit la trahison[266]. Il envoya Ali et Zobaïr à la poursuite de Sara. Ils l’atteignirent à quelque distance de la Mecque. On lui demande la lettre. Elle proteste qu’elle n’en a point ; on la fouille ; les recherches sont vaines. Ali, indigné, lève son sabre, et dit qu’il va lui abattre la tête. Sara, effrayée, déploie ses longs cheveux, et rend l’écrit caché dans leur épaisseur. Mahomet montrant à Hateb le gage de sa perfidie, lui demanda quel motif avait pu le porter à violer sa défense. « Apôtre de Dieu, répondit le coupable, je prends le ciel à témoin que je n’ai point oublié l’obéissance que je vous ai jurée, et que mon cœur n’a point changé de religion[267]. Mais étranger à la Mecque, j’ai laissé au milieu des idolâtres une femme et des enfans. Ils y sont sans parens, sans amis. Je voulais qu’un service signalé leur fit trouver des protecteurs. » « Apôtre de Dieu, s’écria Omar, Hateb est un hypocrite et un incrédule ; permettez que je lui coupe la tête. » — « Arrêtez, Omar. Épargnez le sang de mes compagnons. Hateb est un de ceux qui ont combattu à la journée de Beder. Il est absous. » Mais, afin d’arrêter un exemple dont les suites eussent été dangereuses, il fit descendre ce verset du ciel : « Ô croyans ! n’entretenez aucune liaison avec mes ennemis et les vôtres. Vous leur montrez de la bienveillance, et ils ont abjuré la vérité qu’on leur a enseignée. Ils vous ont rejetés, vous et le prophète, du sein de leur ville, parce que vous aviez la foi. Si vous les combattez pour la défense de ma loi et pour mériter mes faveurs, devez-vous conserver de l’amitié pour eux ? Je connais ce qui est caché au fond de vos cœurs, et ce que vous produisez au grand jour. Celui qui trahira mes intérêts aura abandonné la justice[268]. »

[269] Les préparatifs étant achevés, Mahomet partit de Médine le 10 du mois Ramadan[270]. Les Mohagériens, les Ansariens, et quelques escadrons arabes, composaient une armée formidable[271]. Elle fut grossie dans sa marche par plusieurs détachemens des tribus confédérées. Le même général qui, à la journée de Beder, n’avait pu réunir que trois cent treize soldats, comptait dix mille combattans rassemblés sous l’étendard de l’islamisme. Il avait marché avec tant de promptitude et de secret, qu’il était aux portes de la Mecque avant que les Coreïshites eussent appris son départ de Médine. Il campa sur le soir à[272] Morr el Dahran, et attendit le lever du soleil pour fondre sur les idolâtres. Dix mille feux furent allumés par son ordre. Omar, établi mestre de camp, fit une garde si exacte, que toute communication fut interrompue avec les ennemis. Elabbas, touché de compassion et alarmé du sort qui menaçait sa patrie, sortit du camp pendant la nuit, cherchant quelqu’un qui pût apprendre aux Coreïshites que l’orage grondait sur leurs têtes. Il rencontra Abusofian, Hakim et Bodaïl, sortis de la ville pour prendre des informations de l’ennemi. Ayant aperçu à travers les ténèbres une multitude de feux, ils s’en retournaient épouvantés. « Où courez-vous ? leur cria Elabbas. — Est-ce Elabbas ? dit Abusofian. — C’est moi-même. — Qu’aperçois-je derrière vous ? — Mahomet qui vient vous visiter à la tête de dix mille hommes. — Que me conseillez-vous de faire ? — De venir sur-le-champ lui demander sûreté, autrement c’est fait de vous. » Le conseil fut suivi. Omar, qui veillait à la garde du camp, ayant reconnu le chef des idolâtres, s’écria : Dieu soit loué ; voici Abusofian entre nos mains sans pacte ni alliance[273]. Il courut vite demander sa tête à Mahomet. Elabbas intercéda pour son prisonnier, et le prophète lui donnant sa parole pour sauve garde, dit à son oncle : Emmenez-le à votre quartier ; vous me le présenterez demain matin. Au point du jour il était dans sa tente. « Hé bien ! lui dit le général des croyans, n’est-il pas temps de reconnaître qu’il n’y a qu’un Dieu ? — Je n’en doute nullement. — N’est-il pas temps aussi de reconnaître que je suis son apôtre ? — Pardonnez à ma sincérité, jusqu’à présent j’ai pensé différemment. » « Malheur à vous ! lui dit Elabbas. Rendez hommage à la vérité, ou votre tête… » La fierté d’Abusofian céda. Il embrassa la religion du plus fort, et prononça la double profession de foi. Hakim et Bodaïl imitèrent son exemple. Mahomet ayant tiré Elabbas à l’écart, lui dit : « Conduisez Abusofian à l’entrée de la vallée, afin qu’il voie défiler mes troupes. » « Volontiers ; mais il est ambitieux ; il aime la gloire. Accordez-lui quelque titre qui puisse flatter son amour-propre, et le distinguer aux yeux de ses compatriotes[274]. » L’avis fut approuvé, et l’on proclama cet ordre : « Quiconque entrera dans la maison d’Abusofian, qu’il soit sauvé. Quiconque se réfugiera dans le temple, qu’il soit sauvé. Quiconque fermera sa porte, qu’il soit sauvé. Quiconque se retirera dans la maison de Hakim, qu’il soit sauvé. » Elabbas ayant conduit le chef idolâtre au lieu indiqué, parut s’y arrêter sans dessein. À mesure que les Musulmans défilaient sous leurs yeux, il satisfaisait sa curiosité sans affectation. Lorsque la garde du prophète vint à passer, Abusofian apercevant des soldats hérissés de fer, dont l’œil farouche, la démarche fière inspiraient la terreur, demanda qui étaient ces guerriers. Ce sont, lui répondit Elabbas, les Mohagériens et les Ansariens qui accompagnent partout l’apôtre de Dieu. — « Le royaume du fils de ton frère est parvenu à un haut degré de puissance. — Telle est la majesté du caractère auguste d’apôtre. » À ces mots, il congédia Abusofian, qui, ayant fait aux idolâtres le rapport de ce qu’il avait vu, répandit parmi eux la consternation.

Mahomet ayant renvoyé Hakim et Bodaïl, disposa son armée de la manière suivante : Il donna un détachement à Zobaïr, avec ordre de gagner, par le chemin de Cada, les hauteurs qui dominent la Mecque. Il commanda à Saad de se rendre maître des collines que traverse le chemin de Coda. Ali, à la tête de la cavalerie, portant en main l’étendard de l’islamisme, devait s’arrêter sur le mont Hajoun, jusqu’au moment où Saad crierait ces mots menaçans : « Voici le jour de deuil et de carnage ; voici le jour où les lieux saints seront violés s’il est nécessaire[275]. » Khaled, commandant les confédérés, était chargé de descendre dans la plaine, et de marcher vers les murs de la ville. Mahomet se tenait à l’arrière-garde prêt à envoyer des ordres partout où le besoin l’exigerait. Tous les généraux avaient défense de combattre, à moins qu’ils ne fussent attaqués. Ces ordres donnés, les différens corps se mirent en mouvement. Zobaïr n’ayant point trouvé d’ennemis du côté des montagnes, arriva aux portes de la ville sans coup férir. Khaled éprouva de la résistance dans la plaine. Plusieurs bataillons de Coreïshites lui disputèrent le passage, et décochèrent leurs flèches. Khaled les attaqua l’épée à la main, les mit en fuite, et les poursuivit jusque dans les murs de la Mecque. Mahomet ayant aperçu le carnage du sommet de la montagne, s’écria : « Ciel ! que vois-je ? N’avais-je pas défendu de combattre ? » Les idolâtres, lui répondit-on, ont attaqué Khaled, et il se défend. Il lui envoya ordre d’épargner le sang[276]. Il descendit du mont Hajoun, et fit son entrée à la Mecque au moment où le soleil paraissait sur l’horison. Ali portait devant lui l’étendard de l’islamisme ; Abubecr était à sa droite, Ozaïd à sa gauche. Derrière lui marchait Osama, fils de Zaïd. Il s’inclina profondément pour remercier le ciel qui le rendait maître du territoire sacré et du sanctuaire d’Abraham. Il récita à haute voix le chapitre quarante-huitième, qui commence par ces mots : « Nous t’avons accordé une victoire éclatante. Dieu t’a pardonné tes fautes ; il a accompli ses grâces, et il te conduira dans le sentier de la justice. Sa protection est pour toi un bouclier puissant, etc. » Tandis qu’il soumettait un peuple qui n’avait jamais connu de maître, il ne paraissait occupé que d’idées religieuses. La tête ceinte d’un turban noir, le corps couvert du manteau de pèlerin, il semblait plutôt un fervent musulman que le conquérant de la Mecque. Il marcha droit au temple. Son premier soin fut de faire abattre trois cent soixante idoles placées à l’entour. Il les frappait de la canne qu’il portait à la main, en prononçant ces mots : « La vérité a paru, le mensonge va disparaître et il ne se montrera plus[277]. » Et cet autre verset : « La vérité a paru, le mensonge s’est dissipé comme une vapeur légère[278]. » Lorsque les divinités des Arabes eurent couvert la terre de leurs débris, il accomplit les sept circuits sacrés autour du temple, et toucha avec un respect religieux l’angle de la pierre noire[279]. Avant d’y entrer, il en fit arracher des portraits[280] de femmes, objets d’un culte sacrilége. À la vue des tableaux où Abraham et Ismaël étaient représentés tenant en main les flèches du sort, il s’écria : « Malheur aux idolâtres ! Ils ont peint nos respectables patriarches d’après leurs idées superstitieuses. Qu’ont de commun avec Abraham et Ismaël, les flèches du sort ? » Après avoir détruit tous les objets encensés par la superstition, il entra dans le temple, prononça la formule, Dieu est grand, etc., et fit la prière avec deux inclinations. De là il se rendit au puits de Zemzem, découvert par l’ange à Agar. Il s’y désaltéra, et fit l’ablution sacrée. Ces diverses cérémonies remplies, il assembla les Coreïshites, et leur dit[281] : « Il n’y a qu’un Dieu. Il a accompli ses promesses, et a secouru son serviteur. Lui seul a renversé les bataillons ennemis. Il m’a donné l’empire sur vous, et s’est servi de mon ministère pour vous faire abjurer l’idolâtrie. Vous n’accorderez plus les honneurs divins à des pierres insensibles. Vous ne décernerez plus un culte sacrilège à nos pères Abraham et Ismaël, qui sont des hommes comme nous. Mortels ! nous vous avons formés d’un homme et d’une femme ; nous vous avons partagés en peuples, en tribus, afin que l’humanité règne au milieu de vous. Le plus estimable aux yeux de l’Éternel, est celui qui le craint[282]. » Il devait la prise de la Mecque à la force de ses armes[283]. La conquête lui donnait le droit de réduire tous les habitans en esclavage. S’étant donc tourné vers l’assemblée, il leur dit : « Qu’attendez-vous de moi ? Comment prétendez-vous que je vous traite ? » Comme un frère généreux, lui répondit-on. — Allez : vous êtes affranchis ; reprenez votre liberté.

Le même jour Mahomet fit usage du pouvoir que lui donnait l’emploi de chef suprême de la religion[284]. L’heure de midi étant venue, il ordonna à Belal, son crieur, de monter sur la Caaba et de proclamer la prière. La charge importante d’intendant du temple était sollicitée par Elabbas. Othman, le même qui était venu embrasser l’islamisme à Médine, la possédait. Mahomet l’obligea de lui remettre les clefs, et allait en gratifier son oncle ; le mécontentement d’Othman l’arrêta. Sentant combien il lui importait de gagner les principaux chefs des Coreïshites, il lui renvoya les clefs. Pour consoler Elabbas, il le mit en possession du gobelet avec lequel les pèlerins boivent l’eau du puits de Zemzem. La famille d’Elabbas possède encore aujourd’hui ce monument antique conservé avec un respect religieux[285]. Un acte qui assurait la puissance de Mahomet, termina ce jour glorieux. Tous les habitans de la Mecque vinrent lui prêter serment d’obéissance. L’inauguration se fit sur la colline Elsafa. Il était assis sur une éminence, entouré de ses officiers. Les citoyens s’étant avancés, il leur promit serment de fidélité. Ils jurèrent entre les mains d’Omar qu’ils lui seraient fidèles et obéissans jusqu’à la mort. Les femmes se présentèrent ensuite, et il reçut lui-même leur serment. Parmi les dames coréïshites se trouvait Henda, l’épouse d’Abusofian, la même qui, au combat d’Ahed, avait dévoré le cœur de Hamza[286]. Elle était déguisée. Mahomet, qui l’avait proscrite crite, la chercha des yeux et la reconnut. Se voyant découverte, elle se jeta à ses pieds, et lui dit : « Je suis Henda. Oubliez le passé. Pardonnez. » Il lui pardonna.

Mahomet, comme nous l’avons vu, avait défendu à ses généraux de verser le sang ; mais il avait nommé un certain nombre de coupables qu’ils devaient immoler partout où ils les rencontreraient. Pour préparer les Coreïshites à cet attentat, il leur tint ce discours[287] : « Citoyens de la Mecque, le même jour où le créateur suprême tira les cieux et la terre du néant, il établit la Mecque pour être un sanctuaire inviolable. Ce temple, cette ville, ce territoire sont sacrés. Personne ne souillera de sang humain l’asile des mortels. On ne pourra pas même y couper un arbre. Ces attentats ne furent jamais permis. Ils ne le seront jamais. Un privilége particulier me dispense aujourd’hui de la loi générale. Je n’en userai plus dans la suite. La Mecque sera toujours pour moi sacrée et inviolable ; j’en prends à témoin le Dieu invisible que j’adore. Je garderai religieusement ma promesse. »

Les auteurs varient sur le nombre des proscrits[288]. Abul-Feda n’en compte que dix, six hommes et quatre femmes : ce sont les principaux. Acrema, fils d’Abugehed, était le premier dont le sang devait être répandu. Le jour de la prise de la Mecque il s’enfuit dans l’Arabie Heureuse. Il venait d’épouser Om Hakim. Cette jeune dame, désolée de la perte de son mari, alla se jeter aux genoux du prophète, et les mouilla de ses larmes. Elle obtint la grâce qu’elle sollicitait, partit sur-le-champ, alla trouver Acrema et lui porta la nouvelle de son pardon[289]. Elle vint ensuite le présenter à Mahomet, qui le reçut avec bonté, et le fit colonel des Hawazenites. Devenu musulman, Acrema combattit avec autant de courage pour sa nouvelle religion, qu’il l’avait fait pour ses idoles[290]. Il fut tué à la bataille de Bermuc, sous le califat d’Abubecr.

Le second proscrit fut Hobar. C’était un homme riche, qui avait outragé Mahomet, et insulté ses filles de concert avec Hawaïret. Il se cacha avec tant de soin, qu’il se déroba aux recherches des satellites. Dans la suite, pressé par le repentir, et par la crainte d’être découvert, il se rendit à Médine, et se fit musulman. Comme il sollicitait l’oubli du passé, Mahomet lui dit : « ô Hobar ! je vous ai pardonné. L’islamisme efface tous les crimes commis dans le temps d’ignorance. »

[291] Le troisième fut Abdallah, fils de Saad, un des chefs les plus distingués de la tribu des Coreïshites. D’abord musulman et secrétaire de Mahomet, il écrivait les versets du Coran sous sa dictée. Enflé de ses connaissances, il devint le censeur de son maître. Il changeait des mots, tronquait des versets, et se moquait du Coran avec ses amis. La fraude ayant été découverte, il abjura l’islamisme. Après la prise de la Mecque, Othman l’amena au prophète et sollicita sa grâce[292]. Il ne l’obtint qu’après des instances réitérées. Lorsqu’il se fut retiré, Mahomet dit à ses officiers : « Je n’opposais une si longue résistance, que pour vous laisser le temps de me défaire de ce fourbe. » Ne deviez-vous pas, lui répondirent-ils, nous marquer par un signe votre intention ? Un signe perfide, ajouta Mahomet, est indigne d’un prophète[293]. Abdallah vécut jusqu’au califat d’Othman, qui le fit gouverneur d’Égypte. Il était excellent écuyer, et aimait passionnément les chevaux. Il récita en mourant le chapitre des coursiers[294].

Le quatrième fut Mekias. Nous avons parlé de son crime. Apostat et assassin, il méritait la mort. Oubliant au milieu des verres le danger qui le menaçait, il se livrait à la joie avec quelques idolâtres. Tamila l’apprit, l’alla trouver, et lui coupa la tête.

Le cinquième fut Abdallah, fils de Khatal. Envoyé par Mahomet, pour recueillir les aumônes des fidèles, il avait tué le musulman qui lui servait de domestique. N’osant plus reparaître à Médine, il apostasia, et prit à son service deux comédiennes qui le suivaient partout, chantant des vers satiriques contre le prophète[295]. Espérant trouver un asile à l’abri des autels, il s’était caché dans le temple. On le découvrit, et il fut mis à mort.

Elhawaïret fut le dernier des proscrits. Il était de la tribu des Coreïshites. Fier de ses richesses et de sa naissance, il avait souvent insulté le prophète. Un crime plus atroce le lui avait rendu odieux[296]. Sur le point de s’enfuir de la Mecque, Mahomet avait chargé Elabbas de conduire ses deux filles à Médine. Elhawaïret les ayant rencontrées en chemin, les heurta brutalement, et les renversa par terre. Cette indignité n’avait point été oubliée. Elle fut punie. Aly ayant rencontré le coupable, lui abattit la tête.

Henda, épouse d’Abusofian, Sara domestique des fils de Hashem, Fariata et Cariba, les deux comédiennes d’Abdallah, furent les seules femmes proscrites. Les trois premières obtinrent leur grâce. Fariata seule fut punie de mort.

[297] La prise de la Mecque arriva un vendredi le 21 du mois Ramadan[298]. Mahomet y resta environ quinze jours pour régler les affaires du gouvernement et de la religion. Pendant ce temps, ses lieutenans parcouraient les provinces voisines, appelaient les peuples à l’islamisme, et renversaient les idoles[299].

Ismaël avait apporté à la Mecque le culte d’un Dieu unique, et élevé un temple à sa gloire. Ses descendans le conservèrent long-temps dans la pureté ; mais leur nombre s’étant augmenté, la ville ne put plus les contenir dans son étroite enceinte. Des colonies sorties de son sein, se répandirent dans les provinces voisines. Elles emportaient avec elles des pierres du sanctuaire d’Ismaël. Ces monumens sacrés ne servirent d’abord qu’à leur rappeler leur origine, et la religion de leurs pères. Peu à peu la présence de l’objet vénéré fit oublier les motifs qui le rendaient vénérable. La pierre devint dieu ou déesse. On lui décerna un culte et des sacrifices. La corruption s’étendit. La Mecque elle-même reçut les divinités de ses voisins, et devint le foyer de l’idolâtrie. Mahomet s’était armé contre ce culte sacrilége. Soit qu’il mît sa gloire à faire adorer un Dieu unique, soit qu’il envisageât une seule religion comme le moyen le plus propre pour réunir les forces des Arabes divisés, il combattit l’idolâtrie avec un zèle ardent, et parvint à la détruire. Si, en forçant les peuples à changer de croyance, il leur faisait embrasser de nouvelles erreurs, au moins établissait-il parmi eux l’idée sublime d’un Être Suprême vengeur du crime, et rémunérateur de la vertu ; au moins abolissait-il les sacrifices affreux, où le père, étouffant dans son cœur le cri de la nature, inondait du sang de ses enfans les autels de ses dieux. Il est vrai que les apôtres qu’il envoyait pour convertir les idolâtres, n’étaient pas des hommes de paix. Ils prêchaient l’épée à la main ; et proposaient ou l’islamisme, ou l’esclavage.

Khaled, un de ces missionnaires armés, était allé prêcher les Jadimites. Ils avaient tué et dépouillé Auf, son oncle, lorsqu’il revenait de l’Yemen, avec de grandes richesses. Ce souvenir était gravé dans son cœur, et le désir de la vengeance l’animait plus encore que le zèle de la religion. Il campa près d’un de leurs puits. Les Jadimites s’y étaient rassemblés en armes, il leur proposa de se faire musulmans, et sur leur refus il leur livra combat. Ils furent vaincus. Une partie resta sur le champ de bataille. Les autres prisonniers devaient être emmenés en captivité[300]. Khaled leur ayant fait lier les mains derrière le dos, en immola plusieurs aux mânes de son oncle. Il proposa à ses compagnons d’égorger le reste. Salem, qui commandait une partie de l’armée, s’opposa à l’exécution de cet ordre barbare. Sa fermeté sauva les captifs. Mahomet blâma hautement la conduite de son général. Il leva les mains au ciel, et dit : « Seigneur, je suis innocent du crime qu’il a commis. » Il envoya sur-le-champ Ali avec une somme d’argent pour payer le sang des Jadimites. Lorsque l’envoyé eut acquitté tout ce que la loi exigeait, il demanda aux parens de ceux qui avaient été tués injustement, s’ils étaient satisfaits. Nous le sommes, répondirent-ils. La somme n’étant pas épuisée, il distribua à ces malheureux le reste de l’argent. Mahomet donna de grands éloges à la générosité d’Ali.

Les idolâtres se rendaient en foule à la Mecque, et prêtaient serment d’obéissance au vainqueur. Les Hawazenites, commandés par Malec, et les Takifites osèrent s’opposer au torrent[301]. Ces tribus belliqueuses engagèrent leurs alliés à s’armer pour défendre leur liberté et leurs dieux. Les Saadites et les Jochmites se rendirent à leur invitation. Ces derniers avaient pour chef Doraïde, vieillard de plus de cent ans, qui, sous les débris d’un squelette ambulant, conservait la vigueur d’âme et le courage d’un jeune guerrier. Tout aveugle qu’il était, il se fit porter dans une litière à la tête de ses soldats, et éclaira leur courage par son expérience. « Plût à Dieu, s’écriait-il à la veille de subir le joug, que j’eusse achevé ma carrière, et que mon corps reposât sous l’ombre d’un tombeau ! »

Instruit par ses espions, et du nombre des ennemis, et de leurs desseins, Mahomet sortit de la Mecque le six du mois de Chaval. Aux dix mille hommes qu’il avait amenés de Médine, il avait joint deux mille Mecquois. C’était l’armée la plus nombreuse qu’il eût commandée. À cette vue un des chefs ne put s’empêcher de dire : il est impossible que tant de braves guerriers soient vaincus par des troupes inférieures en nombre. Ces paroles déplurent à Mahomet, parce qu’elles inspiraient de la vanité à ses soldats, et qu’elles pouvaient leur faire négliger les moyens de vaincre. Il s’en plaint, en ces mots, dans le Coran : « Souvenez-vous de la journée de Honein, où le nombre de vos soldats vous enflait le cœur. À quoi vous servit cette armée formidable ! La terre vous sembla trop étroite dans votre fuite précipitée[302]. » Le général des croyans alla camper à Honein, vallée située à trois lieues de la Mecque. Il s’avança dans les gorges des montagnes pour aller au point du jour surprendre les ennemis campés à Autas[303]. Ils tournèrent contre lui son stratagème. Malec, profitant des ombres de la nuit, vint investir la vallée où les Musulmans étaient enfermés. Il plaça un corps de troupes à l’entrée, et leur recommanda de tenir ferme dans ce poste[304]. Il disposa le reste de ses soldats sur les collines et dans les creux des rochers. Au lever de l’aurore les Musulmans, déployant leurs drapeaux, se mirent en marche. Malec donna le signal, et ils furent assaillis d’une grêle de dards et de flèches. Cette attaque imprévue les déconcerta. Environnés de toutes parts, ils perdirent courage, et prirent la fuite avec tant de précipitation qu’il n’en resta pas deux ensemble. Mahomet exposé au plus grand danger qu’il eût couru de sa vie, se vit prêt à perdre en un instant le fruit de vingt années de travaux, de huit années de conquêtes. Entouré d’ennemis, presque seul au milieu des bataillons, il conserva son sang-froid et son intrépidité. Il se replia promptement vers la droite de l’armée, et s’arrêta dans un poste avantageux. Un petit nombre d’Ansariens et de Mohagériens se rassemblèrent autour de lui. Abubecr, Omar, Elabbas, et l’invincible Ali, résolurent de verser leur sang pour sa défense. Au milieu du désordre général, il criait : « Je suis Mahomet ; je suis l’apôtre de Dieu ; compagnons, où fuyez-vous ? revenez sous vos étendards. » Les ennemis, entendant sa voix, dirigèrent leurs coups de son côté. Ils pressaient vivement le petit bataillon où il faisait des prodiges de valeur. Aïman, Abdallah, fils de Zobaïr, et Ocaïl, frère d’Ali, tombèrent morts à ses côtés. Désespérant de pouvoir long-temps soutenir les assauts d’une armée victorieuse, il voulait se précipiter à travers les ennemis, et mourir glorieusement. Elabbas, voyant son dessein, se jeta à la bride de sa mule et l’arrêta. Puisque vous m’empêchez d’entrer dans la mêlée, lui dit Mahomet, rappelez mes soldats. Aussitôt, Elabbas qui avait la voix forte, cria : « Ô Musulmans ! revenez autour de votre apôtre, revenez sous vos drapeaux. » Les vallons répétèrent ces mots : les fuyards les entendirent. Ils s’arrêtèrent. Leur première terreur s’étant dissipée, ils rougirent de leur lâcheté, et accoururent en foule pour sauver leur prophète. Le combat recommença avec une nouvelle fureur. Les Hawazenites voulaient conserver leur avantage, les Musulmans effacer leur honte. Mahomet encourageait ses soldats. Considérant le choc des deux armées : « Voilà, dit-il, la fournaise qui s’enflamme. » S’apercevant que la victoire penchait de son côté, il employa, pour la décider, le même stratagème dont il s’était servi à Beder. Il prit une poignée de poussière, et la jetant vers les idolâtres : « Que leurs yeux, s’écria-t-il, soient couverts de ténèbres ! Courage ! compagnons, la victoire est à vous. » Au même moment les Musulmans poussèrent les ennemis avec tant de vigueur qu’ils les mirent en fuite[305]. Les Takifites tinrent ferme sous leurs drapeaux, et aimèrent mieux se faire hacher que de les abandonner. Malec, général des Hawazenites, se retira dans le château de Taïef avec les débris de son armée. Doraïd, chef des Jochmites, s’arrêta dans la plaine d’Aulas. Abu Amer, détaché à la poursuite des fuyards, l’atteignit et lui livra combat. Animés par la présence de leur vieux général, les Jochmites se défendirent courageusement. Enfin, après bien des efforts, les Musulmans remportèrent l’avantage. Il en coûta la vie à leur général[306]. Au fort de la mêlée il eut la cuisse percée d’une flèche. Abu Mousa, son neveu, le vengea. Il s’élança sur le soldat qui l’avait blessé, et le renversa à ses pieds. Abu Amer, consolé par la victoire, se fit arracher le fer meurtrier, et mourut dans l’opération. Près d’expirer, il dit à son neveu : « Saluez le prophète de ma part, et le priez d’implorer le pardon de mes fautes. » L’infortuné Doraïd eut une fin plus tragique. Ses troupes étant dispersées, il fuyait dans sa litière. Rabieh, jeune Musulman plein de feu, l’atteignit. Il le tira de la voiture, et le frappa de son épée ; mais il ne pouvait parvenir à lui ôter la vie[307]. « Prends, lui dit le vieux guerrier, mon sabre qui pend derrière avec mon bagage. » Rabieh détacha le sabre pesant, et lui fendit la tête.

Abu Mousa n’ayant plus d’ennemis à combattre, ramena son détachement au quartier général. Il se présenta devant Mahomet qu’il trouva assis sur un trône enrichi d’or et de pierres précieuses. Il lui rendit compte de son expédition, et lui rapporta les dernières paroles d’Abu Amer. Le prophète descendit de son trône, fit l’ablution sacrée, et levant les mains au ciel, lui adressa cette prière : « Seigneur, pardonne les péchés d’Abu Amer. Accorde-lui une place glorieuse au jour de la résurrection. Qu’il soit élevé au-dessus de la plus excellente partie de la création ! »

Poursuivant le cours de ses exploits, Mahomet alla mettre le siége devant TaïefMalec s’était retiré avec les Hawazenites. La place était forte. Il fallut l’assiéger dans les règles[308]. On ouvrit la tranchée, on fit approcher les beliers, les catapultes, les pierriers ; les murailles furent battues pendant vingt jours. Lorsque les brèches furent praticables, on donna l’assaut. Les Musulmans montèrent avec leur intrépidité ordinaire. Ils combattirent vaillamment ; mais ils trouvèrent une résistance insurmontable. Malec, à la tête des Hawazenites, les repoussa avec perte. Irrité du peu de succès de ses armes, Mahomet fit le dégât autour de la ville. Toutes les vignes furent coupées. On y mit le feu. Ce spectacle n’abattit point le courage des Takifites. L’amour de la liberté leur fit tout supporter[309]. Ce stratagème n’ayant pas réussi, Mahomet en employa un autre qui pouvait leur devenir funeste. Il fit publier autour des remparts qu’il donnerait la liberté à tous les esclaves qui se rendraient à son camp. Les assiégés firent si bonne garde, qu’il ne s’en échappa que vingt-trois. Ils furent déclarés libres. La ruse et la force devenant inutiles, Omar, par l’ordre du général, commanda aux troupes de plier bagage. Un murmure universel s’éleva. Hé quoi ! disaient les Musulmans, quitterons-nous prise avant que Taïef nous ait ouvert ses portes ? Témoin du mécontentement de l’armée, Mahomet fit publier l’assaut pour le lendemain. Les soldats, satisfaits, s’y portèrent avec ardeur. Ils gagnèrent la brèche l’épée à la main, et combattirent en désespérés sur les débris de la muraille ; mais les assiégés, retranchés dans un poste avantageux, présentant un front hérissé de lances et d’épées, tandis que leurs archers faisaient pleuvoir une grêle de dards et de flèches, formèrent derrière leurs murs renversés, un rempart impénétrable. Après des efforts inouïs, les assiégeans ayant perdu beaucoup de monde, voyant la plupart de leurs officiers blessés, furent obligés de se retirer. Mahomet fit donner une seconde fois l’ordre du départ, et personne ne murmura[310]. L’armée s’étant mise en marche, s’arrêta à Gerana, bourg situé entre Taïef et la Mecque[311]. C’était le dépôt de toutes les dépouilles enlevées à la bataille d’Hanein et d’Autas. On en fit le dénombrement. Il se trouva six mille captifs, hommes, femmes et enfans, vingt-quatre mille chameaux, quarante mille moutons et quatre mille onces d’argent. Les Hawazenites ne tardèrent pas à envoyer des députés au camp de Gerana. Mahomet se leva à leur arrivée, et leur fit un accueil gracieux. Ils embrassèrent l’islamisme, et le prièrent de leur rendre leurs prisonniers et leurs biens. « Mes soldats, leur dit-il, ne consentiraient jamais à vous accorder votre demande en entier ; choisissez de l’un ou de l’autre. » Ils retournèrent vers leurs compatriotes, et revinrent dix jours après demander les captifs de leur nation. Avant de les leur rendre, Mahomet assembla ses soldats, et leur fit cette courte harangue : « Ô Musulmans, vos frères sont venus vers vous, conduits par le repentir[312]. Ils m’ont conjuré de rendre la liberté à leurs pères, leurs mères, leurs enfans. » Je n’ai pu résister à leurs instances. Je serais charmé que vous approuvassiez ma conduite ; mais si quelqu’un de vous se croit lésé, qu’il parle ; je promets de le dédommager à la première rencontre où le ciel nous accordera de nouvelles dépouilles. » Ô prophète ! s’écrièrent le plus grand nombre, nous approuvons ce que vous avez fait. L’acclamation n’ayant pas été générale, il ordonna aux tribuns de recueillir les voix de chaque soldat, et de lui faire leur rapport. Ils l’assurèrent que toute l’armée avait approuvé sa générosité. La certitude d’un consentement unanime lui fit convoquer une nouvelle assemblée. Les députés des Hawazenites y ayant été introduits, il leur dit : « Tous les captifs qui sont tombés en partage à moi et aux enfans d’Abd Elmotalleb, sont à vous. » Les Mohagériens et les Ansariens dirent : « Tous ceux qui nous sont échus appartiennent à l’apôtre de Dieu. À l’instant les six mille prisonniers furent rendus aux Hawazenites. Un trait de munificence fit oublier aux croyans le sacrifice qu’ils venaient de faire. Il leur céda la cinquième portion du butin qui lui était due par droit de conquête. Avant de congédier les députés, il leur fit entendre que si Malec, leur général, venait embrasser l’islamisme, il lui rendrait sa famille, ses richesses, et qu’il ajouterait à ces bienfaits un présent de cent chameaux. Attiré par ces flatteuses promesses, le prince se rendit au camp de Gerana, et se fit musulman. Son attente ne fut point trompée. Flatté de l’accueil qu’il reçut, charmé d’avoir recouvert ce qu’il avait de plus cher au monde, Malec épousa avec chaleur les intérêts d’un vainqueur bienfaisant, et devint l’ennemi le plus redoutable des Takifites. Le commandement de tous ses compatriotes fut le prix de son zèle.

Ces négociations terminées, Mahomet partagea les dépouilles. Il lui importait de s’attacher les principaux chefs des tribus[313]. Tout ce que le droit des armes lui avait acquis, fut sacrifié pour gagner leur affection. Abusofian, ses deux fils, Yezid et Moavia[314] ; Sahal, fils d’Amrou ; Acréma, fils d’Abugehel ; Elharet et Sawan, fils d’Omia, les plus distingués d’entre les Coreïshites, furent comblés de ses faveurs. Les princes des autres tribus eurent aussi part à ses largesses. L’un d’eux, nommé Elabbas, fils de Mardas, mécontent des chameaux qu’il avait reçus en présent, s’en plaignit hautement. « Il faut, dit Mahomet, couper la langue à cet homme. » Il le combla de tant de dons, qu’Elabbas, confus et charmé, demeura muet. Les Ansariens, témoins de tant de grâces sans les avoir partagées, se crurent en droit de porter d’humbles plaintes à leur apôtre. Ils lui témoignèrent leur douleur respectueuse[315]. « Ô Ansariens ! leur dit-il, vous murmurez de ce que je répands les biens de la terre pour attirer les chefs du peuple à l’islamisme. Vous à qui la profession de la vraie foi a déjà assuré la félicité éternelle, pouvez-vous envier des chameaux, des dépouilles qui me servent à gagner le cœur des idolâtres, et à opérer leur conversion ? Gardes de l’apôtre de Dieu, retournez à votre quartier. J’en jure par celui qui tient mon âme dans ses mains, lorsque je vous vis pour la première fois sur le mont Acaba, vous m’inspirâtes une telle confiance, que je me serais livré entre vos mains, si je n’avais espéré que le ciel me fournirait les moyens de sortir de la Mecque. Si les Coreïshites avaient forcé le château d’Abutaleb où je m’étais retiré, je serais allé chercher un asile parmi vous. Ô Dieu ! fais miséricorde aux Ansariens et aux enfans des Ansariens. » Honorés de tant de confiance, pénétrés de ces tendres reproches, les gardes de Mahomet se retirèrent satisfaits. Lorsque tout fut terminé, un Musulman dont l’histoire ne nous a conservé que le surnom de Zou el Khowisara (auteur de la calomnie), osa dire en face à son général, qu’il n’en avait pas usé avec équité dans le partage du butin. « Malheureux ! lui dit Mahomet, si la justice n’est pas chez moi, où se trouvera-t-elle[316] ? » Omar voulut abattre la tête de l’insolent. « Laissez-le, ajouta le prophète, il doit donner le jour à une race qui sortira du sein de la religion, comme la flèche sort de l’arc, et qui n’y rentrera plus[317]. »

La victoire ayant soumis à l’islamisme la plupart des tribus arabes, leurs chefs, entraînés par des bienfaits, étant devenus ses appuis, Mahomet alla rendre grâces au ciel de ses succès. Il se rendit à la Mecque avec un cortége peu nombreux. Il visita les lieux saints, et accomplit les cérémonies d’usage. Partout il fit paraître ce respect religieux qui, imprimant dans les esprits une idée sublime du Dieu que l’on sert, réfléchit sur le ministre une partie de sa gloire. Ces devoirs sacrés étant remplis, il s’occupa des affaires du gouvernement, et nomma aux principaux emplois, Otab, fils d’Ozaïd, qu’il avait établi son lieutenant ; et Moadh, qu’il avait créé ïman, ou grand pontife, furent confirmés dans leurs charges. Le premier présidait aux affaires civiles ; l’autre, chef de la religion, devait enseigner au peuple la manière de célébrer les fêtes du pèlerinage. Pendant que ces soins le retenaient, les Ansariens, fidèles compagnons de ses travaux, murmuraient entre eux. Ils appréhendaient que leur apôtre n’établît à la Mecque le siége de son empire. Ils attendaient impatiemment son retour. Chaque moment qu’il y restait leur paraissait long. Mahomet était loin de justifier leurs alarmes. Il n’ignorait pas que la présence d’un maître eût réveillé les haines mal éteintes des Coreïshites ; qu’à la Mecque il n’eût été que le premier de ses concitoyens, tandis qu’à Médine il était roi, pontife, prophète. Il se hâta de retourner au camp de Gerana, et ramena ses troupes triomphantes à Médine. La joie de tout un peuple le flatta davantage que l’aspect des fiers Coreïshites humiliés. La naissance d’un fils nommé Ibrahim, combla ses vœux. Marie l’Égyptienne, cette jeune Cophte que lui envoya Mokaukas, le mit au monde quelque temps après son arrivée[318]. Il célébra cet heureux jour dans un festin qu’il donna à ses amis.

La même année, l’Arabie perdit Hatem, un de ses poëtes les plus distingués. Il était chrétien, et seigneur d’une ville nommée Khader, située dans la province de Najd, entre les monts Ajja et Salma. Il chantait dans ses vers, la vaillance et la bienveillance, vertus dont il était le modèle. Voici l’éloge qu’en fait Elmaïdan, auteur du livre des proverbes arabes : « Hatem fut généreux, vaillant, poëte distingué et toujours victorieux. Livrait-il un combat, il en sortait couvert de lauriers. Poursuivait-il une proie, il l’atteignait. Lui demandait-on une grâce, elle était accordée. S’il jouait au jeu de hasard, le sort le favorisait. S’il disputait le prix de la course, il fournissait le premier la carrière. S’il faisait des prisonniers, il leur rendait la liberté. » Les livres des Arabes sont remplis des exemples de sa générosité. Je ne puis me refuser au plaisir d’écrire le trait suivant, rapporté par le même auteur. Hatem, déguisé, traversait le territoire d’Anzirate. Un prisonnier chargé de fers le reconnut. Persuadé que s’il pouvait se faire entendre, ses liens allaient tomber, il s’écria : Abou Sofana[319] ! la captivité et la vermine m’ont rongé. Mon ami, lui dit Hatem, il ne fallait pas me nommer dans une terre étrangère. Cependant, il s’approcha du malheureux ; il le fit déchaîner et se mit à sa place. Étant connu, il ne put obtenir sa liberté qu’à prix d’or. Il resta dans les fers jusqu’à ce qu’il eût payé sa rançon, qui fut très-considérable.

Hatem laissa en mourant un fils nommé Adi, et la belle Sofana[320]. Ils suivaient la religion chrétienne ; mais une partie des Taïtes qui formaient leur tribu adorait encore les faux dieux. Mahomet envoya Ali avec des troupes, pour renverser Elfatas, leur principale idole. Adi prit la fuite, et se retira en Syrie avec une partie de ses richesses. Sofana était restée à Khader. Elle fut emmenée à Médine. Confondue dans la foule des captives, elle se trouva exposée au milieu de la place publique. Tandis que les compagnes de son infortune s’abandonnaient aux larmes et au désespoir, elle réfléchissait aux moyens de sortir de l’abîme. Ayant aperçu le prophète qui passait, elle se leva précipitamment, et lui dit : « Ô apôtre de Dieu ! celui qui m’a donné le jour n’est plus ; mon patron a pris la fuite ; faites-moi participer à la grâce que Dieu vous a accordée. » « Quel est votre patron ? lui demanda Mahomet. — C’est Adi, fils de Hatem, lui répondit Sofana. — Que le ciel vous accorde votre demande, comme je le fais moi-même. Il fit ôter ses liens, lui rendit la liberté, la combla de présens, et la renvoya à son frère. Adi fut si touché de cette générosité, qu’il partit pour Médine et embrassa l’islamisme.

(Depuis la chute d’Adam, suivant Abul-Feda. 6124. — Depuis la naissance de J.-C. 639. — Après l’hégire. 9. — De Mahomet. 61.)

La neuvième année de l’hégire fut célèbre par le concours des ambassadeurs, qui vinrent s’humilier devant le prophète de l’islamisme. La plupart des princes arabes, avaient jusqu’alors été simples spectateurs des combats livrés entre la Mecque et Médine. Ils attendaient pour se déclarer, l’arrêt de la victoire[321]. Lorsqu’elle eut prononcé ; lorsque les Coreïshites, respectés comme les dépositaires de la religion et les gardiens, du territoire sacré, eurent courbé leur front sous la loi du mahométisme, les idolâtres vinrent en foule rendre hommage au vainqueur, et lui prêtèrent serment de fidélité. Cette prophétie s’accomplit : « Lorsque Dieu enverra son secours et la victoire, vous verrez les hommes embrasser à l’envi l’islamisme[322]. » Mahomet fit un accueil favorable aux envoyés des peuples. Il les traita chacun suivant sa dignité, et les renvoya avec de riches présens. Un des principaux fut Moseïlama, prince d’Yemama, ville qui a donné son nom à la province dont elle est capitale. Il se fit musulman et prêta serment de fidélité. À peine fut-il de retour dans ses états, qu’il apostasia. Souverain d’une grande ville, honoré parmi ses sujets, il crut pouvoir jouer avec succès le rôle de prophète. Il se mit à prêcher. Un nombre de partisans assez considérable s’étant rangés sous ses drapeaux, il se regarda comme l’égal de Mahomet, et lui écrivit en ces mots : « Moseïlama, apôtre de Dieu, à Mahomet, apôtre de Dieu, salut. Que la moitié de la terre soit à toi, et l’autre moitié à moi. » Trop bien affermi pour avoir besoin d’un associé, Mahomet lui fit cette réponse : « Mahomet, apôtre de Dieu, à Moseïlama, le menteur. La terre appartient à Dieu. Il en donne l’héritage à qui il lui plaît. La victoire accompagnera ceux le craignent. » Les talens de Moseïlama ne répondaient pas à son ambition. Son règne fut passager. Il périt dans une grande bataille que lui livra Khaled, sous le califat d’Abubecr, et son parti fut anéanti.

Arwa, prince des Takifites, était absent lorsque les Musulmans assiégèrent Taïef. Il vint à Médine, et embrassa l’islamisme. Il voulut devenir l’apôtre de son peuple[323]. Mahomet lui représenta l’opiniâtreté des Takifites, et les dangers de son apostolat. Malgré ces avertissemens, Arwa alla prêcher ses compatriotes. La mort fut le prix de son zèle. Il fut tué d’un coup de flèche.

Caab, fils de Zohaïr, dont la tête avait été proscrite, osa retourner à Médine. Choisissant le moment où Mahomet était à la mosquée entouré d’un peuple nombreux, il parut au milieu de l’assemblée. Il prononça la profession de foi des Musulmans, et récita le poëme fameux que les Arabes regardent comme un chef-d’œuvre de l’art, et qui commence par ces mots : Ma félicité commence. Le jour désiré brille à mes yeux, etc. Mahomet fut si flatté des louanges du poëte, qu’il se dépouilla de son manteau et l’en revêtit[324]. C’est avec ce Caab que le docteur Prideaux confond le satirique de même nom, mis à mort la troisième année de l’hégire.

La paix régnait en Arabie. Les peuples, séduits ou domptés, révéraient, ou craignaient leur apôtre, leur conquérant. Quelques petits princes idolâtres n’avaient point encore subi le joug. Ils ne parurent pas assez formidables à Mahomet pour lui faire suspendre l’exécution de ses desseins. C’était peu pour lui d’avoir soumis les Arabes, s’il n’employait leurs forces réunies, pour renverser les trônes des voisins, et pour envahir leurs états. La Syrie avait attiré ses regards. Cette riche contrée était à sa bienséance. Il en médita la conquête, et si la mort ne lui laissa pas le temps d’exécuter ce projet, il traça du moins à ses successeurs la marche qu’ils devaient suivre. Ayant appris que les Grecs levaient des troupes sur la frontière, il publia contr’eux la guerre sainte. N’ayant eu jusqu’alors que des tribus divisées à combattre, il avait couvert du mystère toutes ses démarches. Le secret de ses expéditions, la rapidité de ses attaques, n’avaient pas laissé aux ennemis le temps de se reconnaître. Presque tous avaient été défaits avant d’avoir pu réunir leurs forces. C’est à cette politique qu’il devait tant de succès. Contre les Grecs rassemblés sous une même domination la surprise devenait inutile. Il fallait de grandes batailles pour les réduire ; il changea de plan, et manifesta son intention. Afin que les Musulmans fissent des efforts proportionnés, il leur dévoila les fatigues et les obstacles qu’ils auraient à surmonter, le nombre et le courage des ennemis qu’il faudrait combattre[325]. Les préparatifs se faisaient au mois de Rajeb. La chaleur était extrême. La sécheresse et la stérilité désolaient le territoire de Médine. L’attente des nouveaux fruits, l’espoir d’une récolte prochaine enchaînaient les courages. Une armée formidable entraînait des dépenses extraordinaires. L’éloquence et la fermeté de Mahomet triomphèrent de tous ces obstacles. Abubecr donna tous ses biens pour la guerre sainte. Omar sacrifia la moitié de ses richesses. Elabbas fournit de grandes sommes d’argent. Ohtman apporta mille écus d’or, fit tuer trois cents chameaux, et se chargea d’entretenir trois régimens pendant la campagne.

Tout étant prêt, Mahomet se mit en marche et alla camper à quelques lieues de Médine. Abdallah, l’incrédule, y demeura avec ses partisans. Ils se moquaient des croyans qui, poussés par un zèle superstitieux, allaient s’exposer à tant de périls pendant l’excès des chaleurs. Mahomet leur répond ainsi dans le Coran : « Satisfaits d’avoir laissé partir le prophète, ils ont refusé de soutenir la cause du ciel, de leurs biens et de leurs personnes, et ils ont dit : N’allez pas combattre pendant la chaleur. Réponds-leur : Le feu de l’enfer sera plus terrible que la chaleur. S’ils le comprenaient[326] ! »

Parmi les Musulmans, Caub, fils de Malec ; Merara, fils de Rabié ; Helal, fils d’Omaïa, furent les seuls qui refusèrent de se rendre aux ordres de leur général[327]. En son absence, il avait confié le gouvernement de Médine, et le soin de sa famille au brave Ali. Les idolâtres, qui redoutaient sa fermeté, frémirent de dépit, et cherchèrent à jeter des soupçons dans son cœur. Ils publièrent que Mahomet l’avait laissé derrière parce qu’il était jaloux de ses exploits. Ces discours affligèrent Ali. L’amour de la gloire se réveilla. Il prit ses armes, se rendit au camp, et apprit au prophète les bruits injurieux qui couraient sur son compte. « Ce sont des imposteurs, lui dit Mahomet. Retournez à Médine. Soyez-y mon vicaire, et prenez soin de ma famille. Refuseriez-vous de remplir auprès de moi la place qu’Aaron occupait auprès de Moïse ? » Ali, consolé, se rendit à son poste, et fit taire l’envie.

L’armée des croyans, forte de vingt mille hommes d’infanterie et de dix mille hommes de cavalerie, se mit en marche. Les chaleurs étaient excessives. Brûlés par un soleil ardent, étouffés par la poussière, dévorés par la soif, les soldats succombaient sous l’excès de la fatigue. L’exemple d’un général qui marchait à leur tête sans se plaindre, soutenait seul leur courage[328]. Lorsqu’ils furent arrivés à Hegr[329], vallée située à une station de Wadi Elcora, ils voulurent se désaltérer à une de ses sources. « Gardez-vous de boire de cette eau, leur cria Mahomet : elle est infectée, ; des impies s’y sont désaltérés. Gardez-vous d’entrer dans ces maisons ; les peuples qui les habitaient furent injustes et sacriléges. Pleurez sur eux, et craignez de mériter le châtiment qui les fit périr. » En prononçant ces mots, il se couvrit le visage de son manteau, et franchit la vallée au galop[330]. Après avoir traversé de vastes déserts, et supporté des fatigues incroyables, il arriva à Tabuc[331], où il trouva des eaux et des palmiers. Il s’y arrêta pour prendre des informations de l’ennemi. Ayant appris que les Grecs s’étaient retirés, il se borna à soumettre les petits princes des environs, afin de s’assurer des frontières de la Syrie. Comme il était sur les terres de l’empereur Héraclius, il lui écrivit une seconde lettre pour l’engager à embrasser l’islamisme. L’empereur reçut son ambassadeur avec honneur, et le renvoya avec de bonnes paroles.

[332] Cependant les habitans des bourgs et des villes voisines, effrayés par l’approche d’une armée formidable, se hâtèrent de conjurer l’orage. Ils envoyèrent des députés au camp de Tabuc, et rendirent hommage au chef des Musulmans[333]. Yohanna, seigneur d’Aïla, prince chrétien, y vint lui-même. Il obtint la paix, à condition qu’il paierait par an un tribut de trois mille écus d’or. Le prophète lui accorda ce diplôme en forme de lettres-patentes : « Au nom de Dieu clément et miséricordieux[334]. Que ces lettres accordées au nom de Dieu et de Mahomet, son apôtre, servent de sauvegarde à Yohanna, et aux citoyens d’Aïla[335]. Que leurs vaisseaux et leurs caravanes parcourent la mère et la terre, sous la protection de Dieu et de Mahomet, son prophète. Que les habitans de Syrie, de l’Yémen et des côtes maritimes qui commerceront avec eux, jouissent des mêmes priviléges. Si quelqu’un d’eux acquiert de nouvelles richesses, qu’il ne les préfère pas au salut de son âme. S’il fait des captifs, qu’il les traite avec humanité, leur accordant la nourriture et les secours dont ils auront besoin, et qu’ils promettront de payer lorsqu’ils seront devenus libres. » Les habitans d’Aïla ont gardé précieusement cet écrit, et le conservent encore de nos jours. Non content de cette faveur, le prophète fit présent aux citoyens d’Aïla du manteau[336] qu’il portait alors.

[337] Mahomet reçut favorablement les députés d’Adroh et de Jarha, villes situées sur les frontières de Syrie, et leur accorda la paix, à condition qu’ils lui paieraient un tribut de deux cents écus. Tous les petits souverains des environs qui refusèrent d’embrasser l’islamisme, devinrent ses tributaires. Ocaïder, prince chrétien de la tribu de Kenda, refusa de rendre hommage au conquérant. Fier du titre de roi de Doumat Elgendal, ville située à cinq stations de Damas, il n’envoya point d’ambassadeurs au camp de Tabuc. Retiré dans la forteresse de Madhen avec ses trésors et sa famille, il se crut à l’abri de la tempête ; mais Mahomet craignait de laisser derrière lui un ennemi dangereux. Il dépêcha Khaled avec quatre cents chevaux, et lui commanda d’enlever le prince rebelle. Tout le pays jusqu’aux frontières de Syrie étant subjugué, il partit de Tabuc après y avoir séjourné vingt jours. Tandis qu’il ramenait ses troupes à Médine, Khaled volait vers Madhen. Ayant trop peu de monde pour employer la force ouverte, il fit usage de la ruse. Posté en embuscade à quelque distance du château, il épia le moment où Ocaïder sortit pour la chasse, et l’enleva avec son cortége. Hasan, un des frères du prince, ayant fait quelque résistance, fut tué. Il était revêtu d’une cotte d’armes de brocard, couverte de lames d’or. Elle fut envoyée au prophète pour gage de la victoire. Cette riche dépouille attira les regards de toute l’armée. Chaque soldat voulait la voir, la toucher. Témoin de leur admiration stupide, Mahomet la fit cesser[338]. « Vous contemplez avec étonnement, leur dit-il, la richesse de cette cotte d’armes. Apprenez que les essuie-mains dont Saad se sert dans le paradis, sont infiniment plus précieux. » Cependant Khaled, aussi adroit négociateur que vaillant capitaine, se fit remettre les clefs du château de Madhen, avec mille chameaux, huit cents chevaux et quatre cents cuirasses. Il amena Ocaïder et son frère Masoud aux pieds de l’apôtre qui leur pardonna, leur imposa tribut, et les renvoya dans leur pays avec des lettres de sauvegarde.

En ramenant son armée à Médine, Mahomet passa près du territoire des Ganamites[339]. Ces Arabes, chrétiens dissimulés, avaient élevé un temple pour l’opposer à celui de Koba, dont il avait fait la dédicace en y priant solennellement. Désirant d’attirer chez eux le concours des peuples, ils sollicitèrent un pareil honneur[340]. Le prophète était prêt à le leur accorder, lorsqu’il apprit qu’Abu Amrou devait être le pontife de ce temple. Ce moine fervent, voulant s’attirer la vénération des peuples, marchait toujours couvert d’un cilice[341]. Le zèle du christianisme, la haine qu’il portait à Mahomet, le déterminèrent à partir pour Constantinople. Il demanda des troupes à Héraclius pour combattre l’ennemi de sa religion ; mais l’empereur refusa de lui accorder sa demande. Voici le tableau que le Coran nous offre de ce temple : « Ceux qui ont bâti un temple, séjour du crime et de l’infidélité, sujet de discorde entre les fidèles, lieu où ceux qui ont porté les armes contre Dieu et son ministre dressent leurs embûches, jurent que leur intention est pure ; mais le Tout-Puissant est témoin de leur mensonge. Garde-toi d’y entrer. Le vrai temple a sa base établie sur la piété[342]. » La défense était formelle. Mahomet envoya des troupes qui renversèrent le temple[343] des Ganamites.

De retour à Médine au mois Ramadan, il punit sévèrement les trois Ansariens qui avaient refusé de se rendre sous ses drapeaux. Ils furent bannis de la société, privés de tous leurs droits. Il fut défendu d’entretenir aucun commerce avec eux, même de leur parler. On fuyait leur approche avec horreur. Ce châtiment terrible dura cinquante jours. Lorsqu’il les crut assez punis, il fit descendre du ciel ce verset qui annonce leur crime, leur punition et leur pardon. « Trois d’entre eux étaient restés derrière. Bannis de la société, en exil au milieu de leurs concitoyens, ils pensèrent dans leur détresse qu’ils n’avaient de refuge qu’en Dieu. Il les regarda avec bonté, parce qu’ils se convertirent, et qu’il est indulgent et miséricordieux[344]. »

À peine était-il de retour à Médine, qu’il eut la joie d’apprendre la soumission des Takifites. Cette tribu guerrière avait jusqu’alors résisté à ses armes ; mais, sans alliés, entourée d’ennemis, harassée sans cesse par les troupes de Malec, chef des Hawazenites, elle se vit contrainte de suivre le torrent. Elle envoya dix ambassadeurs à Médine[345]. Admis à l’audience du prophète, ils proposèrent d’embrasser l’islamisme, à condition qu’ils conserveraient encore trois ans leur idole el Lat (c’était la grande déesse des Arabes ; mais les Takifites lui rendaient un culte particulier) ; leur proposition fut rejetée. Ils demandèrent qu’il leur fût permis de la garder au moins un mois. Mahomet refusa d’y consentir. Ils le conjurèrent de les exempter de la prière. Il leur répondit qu’une religion sans prière n’avait rien de bon. Forcés de céder aux circonstances, ils se soumirent et se firent musulmans. Pour s’assurer de leur conversion, le prophète envoya avec eux Moghaïra et Abusofian, fils de Harb, chargés de détruire l’idole el Lat. Le peuple de Taïef, persuadé que la déesse allait foudroyer les deux sacriléges, s’assembla pour être témoin de la vengeance céleste[346]. Abusofian prit un énorme marteau, et en frappa la statue ; mais, soit qu’il eût asséné le coup avec trop de force, soit que la frayeur l’eût saisi, il fut renversé par terre. Les cris de joie et les huées des Takifites célébrèrent sa défaite. El Mogharia, prenant le marteau d’un bras plus sûr, en déchargea plusieurs coups sur l’idole, l’abattit, et la mit en pièces. Les acclamations se changèrent en cris de douleur. Les vieilles femmes, les yeux baignés de larmes, chantèrent en sanglotant cet hymne funèbre : Pleurez, jeunes enfans qui sucez encore le lait de vos mères[347]. Faites vos derniers adieux à la grande déesse. Vous ne verrez plus voltiger autour d’elle les petits oiseaux qui lui étaient consacrés.

[348] Au mois de Chawal, Abubecr, chargé de présider à la célébration du pèlerinage de la Mecque, partit avec un cortége de trois cents hommes. S’étant arrêté à Delholaïfa, bourg situé à quelques milles de la Mecque, il vit arriver Ali avec des préceptes nouvellement descendus du ciel. En effet, le prophète ne croyant plus avoir besoin de ménager les idolâtres, publia[349] le chapitre de la conversion, où on lit ces mots : « Dieu et son envoyé déclarent qu’après les jours du pèlerinage, il n’y a plus de pardon pour les idolâtres. Il vous importe de vous convertir. Si vous persistez dans l’incrédulité, souvenez-vous que vous ne pourrez suspendre la vengeance céleste. Annonce aux infidèles des supplices douloureux, etc.[350]. »

Ali devait lire ce chapitre fulminant dans l’assemblée du peuple. Abubecr, jaloux de son ministère, retourna à Médine, et dit à Mahomet : Le ciel ne vous a-t-il rien révélé pour moi ? « Rien, répondit le prophète. Tous les préceptes que Gabriel m’a apportés, j’ai dû les publier moi-même, ou charger quelqu’un de ma famille de cet emploi. Ô Abubecr ! qu’il vous suffise d’avoir été mon compagnon dans la grotte du mont Tour, et de vous être assis à mes côtés, sous le dais que l’on m’éleva à la journée de Beder. » Je n’oublierai jamais cet honneur, répondit Abubecr. Il s’en retourna consolé. Arrivé à la Mecque, il présida à la solennité du pèlerinage, et enseigna aux peuples les cérémonies que l’on devait observer pendant ces fêtes. La veille de l’immolation des victimes, Ali lut le chapitre de la conversion[351]. Le lendemain il fit un discours aux Arabes, et déclara qu’après cette année, nul mortel ne pourrait accomplir les circuits sacrés autour du sanctuaire d’Ismaël, sans être revêtu de l’habit de pèlerin. Il ajouta que désormais il serait défendu sous peine de mort aux idolâtres de célébrer la fête du pèlerinage, et de s’approcher du temple. Le Coran confirme cette défense[352]. « Ô croyans ! les idolâtres sont immondes. Qu’ils n’approchent plus du temple de la Mecque après cette année. Si vous craignez l’indigence, le ciel vous ouvrira ses trésors. Dieu est savant et sage[353]. » Lorsque la solennité fut finie, Abubecr et Ali retournèrent à Médine.

(Depuis la chute d’Adam, suivant Abul-Feda. 6225. — Depuis la naissance de J.-C. 640. — Après l’hégire. 10. — De Mahomet. 62.)

La publication de ces lois menaçantes porta le dernier coup à l’idolâtrie. Les peuples vinrent en foule se soumettre à l’islamisme. Les rois d’Hémiar[354], entraînés par l’exemple et séduits par les lettres que Mahomet leur avait écrites, lui répondirent qu’ils avaient renversé les autels de leurs dieux, et que, soumis à la vraie religion, ils étaient prêts à combattre l’idolâtrie de toute leur puissance. Ces nouvelles le flattèrent. Il félicita les princes sur le bonheur qu’ils avaient eu d’ouvrir les yeux à la lumière, et les exhorta à la fidélité envers Dieu et son apôtre[355]. Pour s’assurer de ces riches contrées, il envoya deux lieutenans y commander en son nom. Abou mousa eut le gouvernement de Zabid et d’Aden. Moadh alla faire sa résidence à Jand. Intimement lié avec ce dernier, Mahomet lui donna des preuves de son amitié à son départ. Il lui ceignit la tête d’un turban ; il l’aida à monter sur sa mule, et le conduisit à pied un espace de chemin assez long[356]. Moadh, confus, voulait descendre. « Restez, mon ami, lui dit le prophète. Ne croyez pas que je manque à ma dignité ; j’accomplis l’ordre du ciel, et je satisfais mon cœur. Il faut que celui qui est revêtu du commandement soit honoré. Hélas ! ajouta-t-il en soupirant, si je pouvais espérer de vous revoir un jour, j’abrégerais les ordres que j’ai à vous donner ; mais c’est la dernière fois que je m’entretiens avec vous. Nous ne nous réunirons qu’au jour de la résurrection. » Les deux amis se quittèrent en versant des larmes. Ils ne se revirent plus.

La joie des nouvelles agréables qu’il avait reçues fut troublée par un événement douloureux[357]. Il n’avait qu’un fils âgé de dix-sept mois. C’était l’unique rejeton qui pût transmettre son nom à la postérité. La mort lui enleva cette flatteuse espérance. Le jeune Ibrahim mourut. Ce fut un jour de deuil pour Médine. La nature parut aux yeux du peuple, sensible à cette perte. Une éclipse de soleil, qui couvrit de ténèbres la face des cieux, fut attribuée à la mort d’Ibrahim. Mahomet, quoique pénétré d’une douleur profonde, voulut détruire cette erreur. « Citoyens, leur dit-il, le soleil et la lune sont des monumens de Dieu, et l’ouvrage de ses mains ; mais ils ne s’éclipsent ni pour la mort ni pour la naissance des mortels. »

Non content d’avoir établi deux lieutenans dans l’Arabie Heureuse, il envoya Ali prêcher les peuples de cette riche province, et lui recommanda la justice et la modération[358]. « Apôtre de Dieu, lui représenta Ali, je suis jeune, et vous m’envoyez commander à des tribus parmi lesquelles se trouvent des personnages respectables par leur âge et leur savoir. Comment oserais-je prononcer des jugemens en leur présence ? » Mahomet lui mettant la main sur la bouche, puis sur le cœur, fit cette invocation : « Ô Dieu ! délie sa langue, et éclaire son esprit. » Il ajouta ces paroles mémorables : « Ô Ali ! en quelque circonstance que tu te trouves, lorsque deux parties se présenteront devant toi, ne prononce jamais en faveur de l’une, sans avoir entendu l’autre. » Muni de ces instructions, Ali partit. Arrivé dans l’Arabie Heureuse, il lut aux peuples les lettres de son apôtre, et les pressa d’embrasser l’islamisme. Il prêchait à la tête d’une armée, et combattait ceux qu’il ne pouvait convaincre. Cette manière de persuader lui réussit. Toute la tribu de Hamdan se convertit en un jour. Il dépêcha un courrier pour porter cette nouvelle à Médine. La gloire de son nom, que tant d’exploits guerriers avaient rendu fameux, devançait ses pas. Dans tous les lieux où il passait, les Arabes, ou redoutant la force de son bras, ou persuadés par son éloquence, se soumettaient à l’islamisme. Le torrent se répandait de tous côtés, et l’épée levait les obstacles qu’il rencontrait dans son cours. La seule tribu de Najran conserva son culte. Fidèle à l’Évangile, elle aima mieux devenir tributaire que d’abandonner sa religion. Tandis que le brave Ali remplissait les fonctions de son apostolat guerrier, Mahomet ne demeurait pas oisif à Médine. Occupé à recevoir les ambassadeurs des têtes couronnées, à envoyer ses lieutenans dans les provinces conquises, à exécuter par ses généraux des expéditions nécessaires à sa grandeur, et à lier ensemble les membres épars de cette grande monarchie, dont la force combinée devait subjuguer une partie du monde, il paraissait aussi grand dans les soins paisibles du gouvernement qu’à la tête des armées. Voyant sa puissance établie sur une base inébranlable, il se disposa à faire le pèlerinage de la Mecque d’une manière plus solennelle. Cette cérémonie, dont l’antiquité remonte au temps d’Ismaël, avait toujours été pratiquée depuis par les Arabes ; mais l’idolâtrie l’avait changée en un culte superstitieux. Mahomet, à qui il importait de la conserver, retrancha les abus, et en fit le cinquième article fondamental de sa religion. Le Coran[359] la prescrit en ces mots : « Accomplissez le pèlerinage de la Mecque, et la visite du temple en l’honneur de Dieu. » Le bruit s’étant répandu qu’il devait présider à la solennité, un concours prodigieux de peuples se rendit à Médine. Il en partit le 25 du mois d’Elcaada, accompagné de quatre-vingt-dix mille pèlerins, et suivi d’un grand nombre de victimes ornées de fleurs et de banderolles[360]. On alla camper à d’Elholaïfa. Ce bourg, dont nous avons déjà parlé, a un hospice pour les voyageurs. Ali y possédait un puits renommé pour la salubrité de son eau. Il avait fait bâtir une maison auprès. Le prophète y passa la nuit. Le lendemain au lever de l’aurore, il entra dans la mosquée et y pria. Lorsqu’il eut rempli cet acte religieux, il monta sur une chamelle nommée Elcasoua, et courut rapidement jusqu’à la plaine de Baïda. Là il se dévoua solennellement à l’accomplissement du pèlerinage, et, après avoir prononcé la profession de foi, il dit : Me voilà, Seigneur, prêt à t’obéir ; j’atteste que tu n’as point d’égal. Le quatrième jour du mois d’Elhajj, il arriva à la Mecque. Son premier soin fut de se rendre au temple. Il baisa respectueusement l’angle de la pierre noire, et accomplit les sept circuits sacrés autour du sanctuaire d’Ismaël ; les trois premiers d’un pas précipité, et le reste plus lentement. Il s’approcha du marche-pied d’Abraham, et retournant à l’angle de la pierre noire, il la baisa une seconde fois. Sorti de la ville par la porte des fils des Mahdoun, il monta sur la colline de Safa. Arrivé au sommet, il se tourna vers le temple, et professa l’unité de Dieu en ces mots : « Il n’y a qu’un Dieu. Il n’a point d’égal. La domination lui appartient. La louange lui est due. Sa puissance embrasse l’univers. Il a secouru son serviteur. Lui seul a renversé les armées ennemies. » Après avoir glorifié le Tout-Puissant, il descendit vers le mont Merva, pressa sa marche dans la vallée, et monta lentement. Parvenu au haut de la colline, il tourna vers le mont Arafat[361]. Y étant arrivé un peu avant le coucher du soleil, il fit un discours au peuple, et lui apprit le sens de toutes ces cérémonies. Il continua sa route jusqu’à ce que l’astre eût entièrement disparu. Il vint ensuite à Mozdalefa (le lieu du concours), situé entre le mont Arafat et la vallée Mena. Il y publia la prière du soir et celle de la nuit. Il y coucha sur la terre, et dès le point du jour il annonça la prière de l’aurore. Il se rendit à l’enceinte d’Elharam, et s’y tint debout jusqu’au lever du soleil. Alors, pressant le pas, il descendit dans la vallée Mohasser (profonde) ; de là passant à la vallée Mena, il prit sept pierres et les jeta contre Satan en prononçant cette formule : Dieu est grand, etc. Ces rites accomplis, il se rendit au lieu de l’immolation des victimes, où, après avoir harangué le peuple, il en égorgea soixante-trois de sa propre main, pour rendre grâce au ciel du nombre de ses années. Il chargea Ali, nouvellement arrivé de l’Yemen, d’immoler le reste jusqu’à cent, donna la liberté à soixante-trois captifs, se rasa la tête, et jeta ses cheveux[362] que l’on ramassa comme une relique. Ce fut alors que ces paroles célèbres descendirent du ciel[363] : « Aujourd’hui j’ai mis le sceau à votre religion[364]. Mes grâces sur vous sont accomplies. » Il m’a plu de vous donner l’islamisme[365]. » Lorsque les victimes eurent été immolées, tous les fidèles se nourrirent de leur chair. L’apôtre donna l’exemple. Il prit son repas en public, et n’admit qu’Ali à sa table. Après le repas, il alla au temple où il fit la prière de midi. De là il se rendit au puits de Zemzem, et but à longs traits de cette eau miraculeuse. Il fit ensuite les sept circuits autour de la maison sainte, et fournit la carrière entre les collines de Safa et de Merva.

Le neuvième jour de la solennité, il alla prier sur le mont Arafat[366]. Ce lieu est consacré à la pénitence en mémoire d’Adam et d’Ève, qui, après une séparation de cent vingt ans, s’y rencontrèrent. Dans le dernier discours qu’il prononça devant le peuple, il réforma le calendrier arabe, et ramena l’année à sa forme primitive, qui est lunaire. « Quand le Tout-Puissant, ajouta-t-il, créa les cieux et la terre, il écrivit l’année de douze mois. Ce nombre fut gravé dans le livre saint. Quatre de ces mois sont sacrés. C’est la vraie croyance. Fuyez pendant ces jours l’iniquité ; mais combattez les idolâtres en tout temps, comme ils vous combattent. Sachez que le Seigneur est avec ceux qui le craignent[367]. » À la fin de sa harangue, il dit adieu au peuple. Et l’on appela cette solennité le pèlerinage de l’adieu[368].

(Depuis la chute d’Adam, suivant Abul Feda. 6226. — Depuis la naissance de J.-C. 641. — Après l’hégire. 11. — De Mahomet. 63.)

Connaissant l’importance du culte extérieur, l’empire qu’il a sur les hommes, Mahomet en avait rempli tous les devoirs avec cette piété noble et simple qui imprime dans les esprits une haute idée de la divinité. Partout l’exemple avait accompagné le précepte. Le respect profond avec lequel il avait accompli les moindres cérémonies, avait appris au peuple à vénérer les choses saintes. De retour à Médine, il se glorifiait d’avoir donné une religion à ses semblables. Il voyait réunis sous un chef, sous une loi, les Arabes, cette nation indomptable, qui, à l’abri de ses déserts, avait bravé la puissance des Égyptiens, le faste des Perses et l’orgueil des Romains. À la tête d’un peuple nouveau, enflammé de son enthousiasme, enorgueilli de ses succès, il se préparait à combattre la lâcheté et la mollesse des Grecs. Il se flattait de rendre leur empire ou tributaire, ou musulman. La mort vint détruire ces flatteuses espérances. « Il tomba malade au mois de Safar. La fièvre le surprit chez l’une de ses femmes nommée Zaïnab[369]. Chacune d’elle avait sa maison particulière, et il les visitait tour à tour. Le lendemain se trouvant dans l’appartement de Maïmouna, et le mal augmentant, il rassembla ses épouses, et leur demanda la permission de passer le temps de sa maladie chez l’une d’elles. Toutes allèrent au-devant de ses vœux, et la maison de la tendre Aïesha lui fut désignée. Il s’y fit transporter sur-le-champ. « Ô ma chère Aïesha ! lui dit-il, depuis que j’ai mis dans ma bouche le fatal morceau de Khaïbar, je n’ai cessé de ressentir les funestes effets du poison ; mais dans ce moment-ci il dévore mes entrailles, il déchire les veines de mon cœur. » Au plus fort de la douleur, il méditait une expédition dont il désirait ardemment le succès. La mort de Zaïd n’avait point été vengée. Il fallait des ruisseaux de sang pour apaiser les mânes d’un ami. Il fit venir son fils Oçama, et lui commanda de faire une irruption dans la Palestine, à la tête d’un corps de cavalerie, et de ravager tout le pays depuis Balca et d’Aroum, jusqu’à Obna, où Zaïd avait succombé[370]. Cet officier n’avait que vingt ans ; mais il avait à venger la mort d’un père, et Mahomet ne balança pas à lui confier le commandement de l’armée. Malgré de violens accès de fièvre, il s’occupa des préparatifs, et nomma les officiers et les soldats qui devaient être de l’expédition. Le lendemain de grand matin, il se fit apporter l’étendard de l’islamisme, et le remettant au jeune général, il lui dit : « Prenez les armes pour la cause de Dieu ; faites vaillamment la guerre sainte, et passez les idolâtres au fil de l’épée[371]. Oçama partit, et alla camper à Jorf, peu distant de Médine. Ayant appris que la maladie devenait plus grave, il s’y arrêta. La mort du prophète fit différer l’expédition jusqu’au mois de Rabie. Ce fut alors qu’Oçama, ayant porté par l’ordre d’Abubecr le fer et la flamme en Syrie, tua de sa propre main le meurtrier de son père.

Tandis que Mahomet était aux prises avec la douleur, on vint lui annoncer la révolte d’Aswad, surnommé Aïala (le changeant)[372]. Sa naissance et son esprit avaient acquis une grande considération parmi les Arabes de l’Yemen. Badhan, qui en était vice-roi pour Mahomet, étant venu à mourir, il leva l’étendard de la rébellion, tua son fils, et s’empara du gouvernement. Devin habile et grand faiseur d’enchantemens, il se disait inspiré par deux esprits[373], qui lui apportaient la révélation divine. Tandis qu’il en imposait par des prestiges grossiers aux yeux de la multitude, il soumettait par ses armes les diverses tribus. Ses premiers succès furent brillans ; mais l’apôtre des croyans prit de sages mesures pour les arrêter. Il écrivit à ses partisans, et Firous, dont le devin Aswad avait tué l’oncle, le mit à mort. L’Yemen rentra sous l’obéissance de Mahomet.

Le mal faisait des progrès rapides. Les Musulmans tremblaient pour les jours de leur apôtre. Fatime vint lui rendre visite. Elle s’avança au milieu de sa chambre avec cette majesté qui caractérisait la fille du prophète. Mahomet la voyant s’approcher de son lit, s’inclina vers elle et lui dit : « Ô ma fille ! soyez la bienvenue. » Il la fit asseoir à ses côtés, et lui dit à l’oreille[374] : « Ô Fatime ! Gabriel avait coutume de m’apparaître une fois tous les ans, il m’a visité deux fois cette année. Je ne le reverrai plus qu’au moment où je partirai de ce monde. Cet instant n’est pas éloigné, et je suis charmé de vous précéder. » Fatime fondait en larmes. Mahomet, s’apercevant de l’impression profonde qu’il avait fait sur son cœur, tâcha de la consoler. « Ô ma fille ! ajouta-t-il, pourquoi vous abandonner à la tristesse ? Ne devez-vous pas vous réjouir d’être la princesse des femmes des fidèles, la première de votre nation ? » Fatime sourit. Sa douleur n’en était pas moins vive. Elle suivit de près son père.

Le même jour il se leva, et appuyé sur le bras de Fadl et d’Ali, il se rendit à la mosquée. Étant monté dans la tribune, il publia les louanges de Dieu à la manière accoutumée, et parla ainsi[375] : « Ô Musulmans ! si j’ai fait flageller un seul d’entre vous, voilà mon dos, qu’il frappe. » Si j’ai flétri sa réputation, qu’il déchire la mienne ; si je lui ai fait souffrir un affront, qu’il me traite de la même manière ; si je lui ai demandé de l’argent injustement, voilà ma bourse. Que personne ne soit arrêté par la crainte de mon ressentiment ; l’injustice n’entre point dans mon caractère. » Ce discours prononcé, il descendit de la tribune, et fit la prière de midi. Lorsqu’elle fut finie, un homme vint demander trois drachmes qui lui étaient dues. Mahomet les lui remit avec l’intérêt, en disant : « Le déshonneur de ce monde est plus facile à supporter que l’opprobre de l’autre. Dieu, ajouta-t-il, a donné le choix de cette vie ou de la vie éternelle à l’un de ses serviteurs ; et il a préféré la vie éternelle. » Alors, faisant approcher les Ansariens, ces braves compagnons, ces gardes fidèles qui l’avaient reçu si généreusement, si vaillamment défendu, il leur déclara ses dernières volontés. « Chassez, leur dit-il, tous les idolâtres de la péninsule d’Arabie ; accordez aux nouveaux convertis tous les droits dont jouissent les Musulmans, et soyez fidèles à la prière[376]. Ces ordres, regardés comme les articles les plus essentiels du testament du prophète, ont été suivis exactement. Nulle autre religion que la mahométane n’est tolérée en Arabie. Les prosélytes qu’elle fait jouissent des mêmes priviléges que les Turcs ; et, à la Porte-Ottomane, ils parviennent aux premières dignités de l’état. Quant à la prière, la piété des Musulmans, le respect profond qu’ils portent dans leurs temples, font voir qu’ils sont persuadés de la présence d’un Être Suprême. Mahomet termina son discours par une imprécation contre les Juifs, à la perfidie desquels il devait la mort qui couvait dans son sein. « Que les Juifs, s’écria-t-il, soient maudits de Dieu ! Ils ont changé en temples les sépulcres de leurs prophètes. »

Une des dernières actions de sa vie fut de donner la liberté à ses esclaves[377]. Tout le temps qu’il se sentit assez de force pour se rendre à la mosquée, il fit constamment la prière au peuple. Lorsque le mal l’eut altéré, il chargea Abubecr de le remplacer dans cet emploi. Il voyait s’approcher la mort sans effroi, et s’entretenait tranquillement avec sa famille des apprêts de ses funérailles[378]. Un jour que ses parens éplorés environnaient son lit, « Apôtre de Dieu, lui demanda l’un d’eux, si nous avons le malheur de vous perdre, qui priera pour vous ? » « Je vais vous le dire, » répondit-il. Alors des pleurs coulèrent de tous les yeux, et il ne put retenir les siens. Les ayant essuyés, il continua ainsi[379] : « Lorsque vous m’aurez lavé, enseveli et mis dans le cercueil, vous poserez mon corps sur le bord de la fosse que vous creuserez à la place où je suis. » Ces devoirs remplis, vous sortirez et vous me laisserez seul. Le premier qui viendra prier pour moi, sera Gabriel, mon fidèle ami. Michel et Asraphel le suivront. L’ange de la mort, accompagné de ses légions, priera ensuite auprès de mon tombeau. Les autres anges, à la tête des milices célestes, fermeront la marche. Lorsqu’ils m’auront rendu ces derniers devoirs, vous entrerez par troupes, vous prierez pour moi, et vous me souhaiterez la paix. Ma famille mènera le deuil, et sera suivie du reste des fidèles. Mais, je vous en conjure, qu’aucunes plaintes, qu’aucuns gémissemens ne viennent troubler mon repos. Quant à vous qui entourez mon lit, dès ce moment je vous donne la paix. Je vous prie de la souhaiter en mon nom à mes compagnons absens. Je vous prends à témoin que je la souhaite à tous ceux qui embrasseront l’islamisme jusqu’au jour de la résurrection. — À qui sera-t-il permis de descendre dans votre tombeau ? — À ma famille. Vous y serez environnés d’anges qui vous verront, quoique vous ne puissiez les apercevoir. »

C’est ainsi que Mahomet, luttant contre la mort, soutenait jusqu’au dernier moment le rôle de prophète, qu’il avait commencé à quarante ans : c’est ainsi que maître de son âme au plus fort de la douleur, comme il l’avait été au milieu des combats, il accomplissait avec une présence d’esprit étonnante la dernière scène de la vie humaine. Toutes ses paroles étaient mesurées sur l’idée qu’on devait avoir de lui. Dans ces momens où la faiblesse humaine est accablée sous le bras terrible de la mort, il recueillait toutes les forces de son intelligence pour ne rien dire qui fût indigne du caractère auguste qu’il s’était imprimé. Un seul instant son esprit égaré par la violence du mal se perdit dans les espaces imaginaires. « Apportez-moi, s’écria-t-il, de l’encre et du papier, afin que j’écrive un livre qui vous empêchera de retourner jamais à l’erreur[380]. » Le prophète est dans le délire, dirent les plus sages. N’avons-nous pas le Coran ? Ce livre divin nous suffit. D’autres voulaient qu’on le satisfît. On disputait avec chaleur. Le bruit le rendit à lui-même. « Retirez-vous, dit-il aux assistans ; il n’est pas bienséant de disputer devant un prophète. »

Le malade recevait de fréquentes visites. Ses parens, ses amis, les premiers de la ville se rendaient en foule dans son appartement. Ce concours l’importuna. Sentant que sa tête s’affaiblissait, il feignit d’être profondément occupé des idées éternelles, et défendit de laisser entrer personne. Aïesha eut seule la permission de rester auprès de lui. Sûr de son affection, il craignit moins de laisser échapper quelque faiblesse devant elle. C’est de cette épouse aimée que nous tenons les dernières circonstances de sa vie. En voici une des plus remarquables. Les trois derniers jours de sa maladie, Gabriel lui rendit de fréquentes visites[381]. Il lui demandait familièrement des nouvelles de sa santé. Le lundi, jour où il termina sa carrière, l’ange de la mort se présenta à la porte. Gabriel l’apercevant, dit à son ami : « Voilà l’ange de la mort[382] qui demande la permission d’entrer[383] Tu es le premier des mortels pour qui il ait eu cette déférence. Il ne l’aura pour aucun autre. » « Qu’il entre, » répondit Mahomet. Le messager terrible entra ; mais quittant son air menaçant, il dit : « Ô apôtre de Dieu ! ô Ahmed ! l’Éternel m’a envoyé vers toi. Il m’a ordonné d’exécuter tes volontés. Soit que tu me commandes de prendre ton âme, soit que tu me commandes de la laisser, j’obéirai. Prends-la, ajouta Mahomet. Puisque c’est ta volonté… Dieu, ajouta Gabriel, désire ardemment ta présence. Pour moi, voilà la dernière fois que mes pieds fouleront la terre. Je m’envole pour jamais de ce monde. » À l’instant l’ange de la mort remplit son redoutable ministère.

Tout cet entretien n’était point sans fondement. Mahomet, gardant toujours la majesté de son caractère, voulait confirmer ce qu’il avait souvent répété, qu’avant d’enlever un prophète de ce monde, Dieu lui montrait la place qu’il devait occuper dans l’autre, et le laissait maître du choix. Aïesha, la dépositaire de ses dernières paroles, nous l’apprend en ces mots : « Lorsque le moment de son agonie fut venu, j’étais assise près de lui. Sa tête penchée reposait sur mes genoux. Il s’évanouit ; mais bientôt revenu à lui-même, il ouvrit les yeux et les fixa vers le toit de la maison. Ses paupières étaient immobiles. Je l’entendis prononcer d’une voix faible : Avec les citoyens des cieux. Alors je compris qu’il avait choisi le séjour éternel. Le cœur brisé de douleur, je lui serrai la main et je l’entendis répéter ce verset : Tels sont entre les fils d’Adam, de Noé, d’Abraham et d’Ismaël, les prophètes que Dieu combla de ses grâces. Il les choisit parmi ceux qu’il éclaira du flambeau de la foi. Lorsqu’on leur récitait les merveilles du miséricordieux, le front prosterné, les yeux baignés de larmes, ils adoraient sa majesté suprême[384]. » Il rendit l’âme en prononçant ces derniers mots. « Alors, continue Aïesha, je posai sa tête sur un coussin, je me frappai la poitrine, je me meurtris le visage en poussant de longs gémissemens. Ses autres épouses, partageant ma douleur, remplirent l’air de leurs cris lugubres, et déchirèrent leurs vêtemens. »

Aussitôt que la nouvelle de sa mort se fut répandue dans la ville, un cri universel s’éleva : Le prophète n’est plus[385] ! La consternation devint générale. Les hommes, frappés d’un étonnement stupide, semblaient être en délire. Les uns levaient au ciel des yeux égarés ; les autres, semblables à des convulsionnaires, poussaient des hurlemens ; ceux-ci, couvant une douleur profonde, gardaient un morne silence ; ceux-là, agités de vertige, se roulaient à terre. La populace, ne pouvant se persuader qu’elle eût perdu pour jamais son apôtre, se rendit en foule à la porte de sa maison. Les plus fanatiques s’écrièrent : Il n’est pas mort. Il est ravi en extase. Omar, emporté par son zèle bouillant, accrédita cette opinion. « Non, dit-il, le prophète n’est pas mort : il est allé vers le Seigneur, comme le fit Moïse, qui s’absenta du peuple pendant quarante jours. » Il menaça de tuer quiconque oserait soutenir le contraire. Cette assertion, favorable aux préjugés de la multitude, augmenta le désordre. Abubecr eut besoin de toute son autorité pour l’apaiser. S’étant avancé au milieu du peuple assemblé, il parla ainsi : « Ô vous qui proférez des sermens si peu raisonnables, daignez m’entendre de sang-froid. » À ce début, Omar s’assit[386]. Abubecr, après avoir prononcé la formule de prière accoutumée, continua : « Ô Musulmans ! si votre vénération profonde pour Mahomet vous l’a fait croire immortel, vous êtes dans l’erreur. Il est mort. Dieu seul vit toujours. Lui seul a droit à vos adorations. L’Éternel a prononcé, en parlant au prophète, l’arrêt qui doit lever vos doutes : Tu mourras, et ils mourront[387]. Il ajoute dans un autre verset : Mahomet n’est que l’envoyé de Dieu. D’autres apôtres l’ont précédé ; s’il mourait ou s’il était tué, abandonneriez-vous sa doctrine[388] ? Ces paroles, tirées du Coran, opérèrent la conviction. Les clameurs et le tumulte firent place aux larmes et aux gémissemens. Tout le monde fut persuadé que le prophète n’était plus. La multitude étant calmée, on procéda à l’élection d’un successeur. Il s’éleva de grands débats entre les contendans. Ali, désigné calife par Mahomet lui-même ; Ali, son gendre et son cousin, avait plus de droits qu’aucun autre à cette haute dignité. Sa jeunesse et les intrigues d’Aïesha l’en firent exclure. Abubecr l’emporta. Il fut salué calife. Les Musulmans le reconnurent en cette qualité, et lui prêtèrent serment d’obéissance et de fidélité. Ayant pris en main les rênes de l’état, son premier soin fut de rendre les derniers devoirs au prophète. Il y avait déjà trois jours qu’il était mort, et l’enflure commençait à gagner. Elabbas, son oncle, éleva une tente dans l’appartement, et fit mettre le corps au milieu[389]. Il appela dans l’intérieur Ali, Elfaldl et Cottam, ses deux fils, Oçama, ami du défunt, et Socran, son domestique. On lava le corps, couvert d’une chemise et d’une saie que l’on fit sécher en exprimant l’eau ; on l’embauma avec du camphre, et l’on oignit d’aromates les parties qui touchent la terre lorsqu’on se prosterne pour l’adoration ; on finit par l’ablution sacrée du visage, des bras, des mains et des pieds ; ensuite on le revêtit de deux robes blanches et d’un manteau rayé. On sema à l’entour du bois odoriférant, et l’on jeta dessus une composition d’ambre, de musc et d’aloès. Lorsque le corps eut été mis dans le cercueil, on le laissa exposé aux regards de la multitude.

Les Hashemites, conduits par Elabbas, furent les premiers à prier pour le prophète. Les Mohagériens et les Ansariens, compagnons de ses victoires, vinrent ensuite lui rendre leurs derniers devoirs. Les principaux citoyens de Médine les suivirent. Le peuple se rendit par troupes autour de son cercueil, et pria avec beaucoup d’ordre et de décence. On voyait couler les larmes de tous les yeux ; mais on n’entendait ni plaintes ni gémissemens. La vénération qu’on avait pour ses dernières volontés, avait mis un frein à la douleur publique.

Lorsqu’il fallut mettre le corps en terre, il s’éleva de grandes contestations[390]. Les Mohagériens voulaient qu’on le transportât à la Mecque, et qu’on l’inhumât dans sa patrie[391] ; les Ansariens soutenaient qu’il devait rester à Médine, puisque cette ville lui avait offert un asile contre la persécution. Un troisième parti était d’avis qu’on le portât à Jérusalem, lieu de la sépulture des prophètes. Abubecr termina ces différens, en rapportant ces mots recueillis de la bouche de Mahomet : Un prophète doit être enterré au lieu où il est mort. Ces paroles firent loi. On creusa la terre à l’endroit où il avait terminé sa carrière, et l’on y descendit son cercueil[392]. Ali, Elfadl et Cottam entrèrent dans le tombeau, et mouillèrent pour la dernière fois de leurs larmes les restes mortels de leur apôtre. On couvrit le corps de terre, et le peuple se retira.

Lorsque les funérailles furent finies, Fatime, la fille chérie de Mahomet, vint pleurer sur sa tombe. Elle prononça ce discours entrecoupé de sanglots[393] : « Ô mon père ! ô ministre du Très-Haut ! ô prophète du Dieu miséricordieux ! c’en est donc fait ! la révélation divine est ensevelie avec toi. L’ange Gabriel a pris pour jamais son essor dans les cieux. Être Suprême, exauce mes derniers vœux ; hâte-toi de réunir mon âme à la sienne ; fais que je revoie sa face ; ne me prive pas du prix de ses mérites et de son intercession au jour du jugement. » Puis prenant un peu de la poussière qui couvrait le cercueil, et l’approchant de son visage, elle ajouta : « Lorsque l’on a senti la poussière de sa tombe, peut-on trouver de l’odeur aux parfums les plus exquis ? Hélas ! toutes les sensations agréables sont éteintes pour mon cœur. Les nuages que la tristesse élève autour de moi, changeraient en nuit sombre les plus beaux jours. »

Les souhaits de Fatime furent exaucés ; elle ne survécut que quelques mois à son père.

Aïesha, d’un autre côté, renfermée dans son appartement, s’abandonnait aux larmes et aux regrets. Au milieu du deuil universel, Sofia, tante de Mahomet, qui avait l’âme forte et élevée, proposa des consolations à sa famille, en prononçant cet éloge funèbre[394] : « Ô apôtre de Dieu ! vous êtes, même sous la tombe, notre plus chère espérance. Vous vécûtes au milieu de nous, pur, innocent et juste. Tous trouvaient en vous un guide sage et éclairé. Pleure sur vous celui qui peut verser des larmes. Pour moi, j’en jure par la félicité dont vous jouissez, le malheur d’avoir perdu le prophète ne me fera point gémir sur sa tombe. Qu’avons-nous à craindre de son absence ? Le Dieu de Mahomet suspendra-t-il pour nous le cours de ses bénédictions ? Au contraire, il les versera en plus grande abondance par son intercession. Tranquille dans cet asile, sans crainte auprès de son tombeau, je coulerai paisiblement le reste de mes jours à Médine… Ô apôtre de Dieu ! que l’Éternel vous accorde la paix dans toute son étendue ! Introduit dans le séjour de délices, vous goûtez déjà les plaisirs ineffables de félicité éternelle. »

Les auteurs arabes ont pris plaisir à nous représenter leur prophète avec toutes les perfections de l’esprit et du corps. Abul-Feda, plus sage et moins partial, nous a laissé ce tableau tracé par la main d’Ali. Mahomet était d’une taille moyenne. Il avait la tête grosse, la barbe épaisse, les paumes des mains et les plantes des pieds fortes et rudes, les os gros et compactes, le teint vermeil, les yeux noirs, le contour des joues gracieux, les cheveux sans frisure, et le cou blanc et uni comme l’ivoire.

Le même auteur nous peint ainsi ses qualités personnelles et ses vertus morales. Mahomet avait reçu de la nature une intelligence supérieure, une raison exquise, une mémoire prodigieuse[395]. Il parlait peu, et se plaisait dans le silence. Son front était toujours serein. Sa conversation était agréable, et son caractère égal. Juste envers tous ; un parent, un étranger, l’homme puissant où le faible ne faisaient jamais pencher la balance dans ses mains. Il ne méprisait point le pauvre à cause de sa pauvreté, et ne révérait point le riche à cause de ses richesses. Il employait le charme de son entretien à gagner le cœur des grands, et réservait sa familiarité pour ses amis. Il écoutait avec patience celui qui lui parlait, et ne se levait jamais le premier. Si quelqu’un lui serrait la main en signe d’amitié, il ne la retirait point avant qu’on ne l’eût prévenu. Il visitait fréquemment ses compagnons d’armes, et s’informait de leurs affaires. Conquérant de l’Arabie, il s’asseyait souvent à terre, allumait son feu, et préparait de ses propres mains à manger à ses hôtes.

Maître de tant de trésors, il les répandait généreusement, et ne gardait pour sa maison que le simple nécessaire[396]. On dit de lui qu’il surpassa les hommes en quatre choses, en valeur, en libéralité, à la lutte, et en vigueur dans le mariage. Il disait souvent que Dieu avait créé deux choses pour le bonheur des humains : les femmes et les parfums.

Suivant la loi mahométane dictée par lui-même, il n’est permis d’avoir que quatre femmes à la fois[397]. Il en épousa quinze, et eut commerce avec douze. Il croyait qu’il était de la dignité d’un prophète de n’être point limité comme le reste des mortels ; aussi fait-il parler le ciel en ces mots : « Ô prophète ! il t’est permis d’épouser les femmes que tu auras dotées, les captives que Dieu a fait tomber entre tes mains, les filles de tes oncles et de tes tantes qui ont pris la fuite avec toi, et toute femme fidèle qui te livrera son cœur[398]. »

« Nous connaissons les lois du mariage que nous avons établies pour les fidèles. Ne crains point d’être coupable en usant de tes droits. Dieu est indulgent et miséricordieux[399]. »

De toutes ces femmes, excepté Marie l’Égyptienne, dont il eut Ibrahim, Cadige fut la seule qui lui donna des enfans. Il en eut quatre fils, Elcasem, dont il prit le surnom, Eltaïeb, Eltaher et Abdallah, qui moururent tous en bas âge ; et quatre filles, dont les noms sont Zaïnab, Rokaïa, Omm Colthoum et Fatime. Elles furent toutes mariées ; mais Fatime seule lui survécut.

Nous terminerons cet abrégé par un tableau des traits qui caractérisent particulièrement le législateur de l’Arabie. Mahomet fut un de ces hommes extraordinaires qui, nés avec des talens supérieurs, paraissent de loin à loin sur la scène du monde pour en changer la face, et pour enchaîner les mortels à leur char. Lorsque l’on considère le point d’où il est parti, le faîte de grandeur où il est parvenu, on est étonné de ce que peut le génie humain favorisé des circonstances. Né idolâtre, il s’élève à la connaissance d’un Dieu unique, et, déchirant le voile du paganisme, il songe à donner un culte à ses semblables. L’adversité qu’il éprouve en naissant, ne sert qu’à affermir une âme faite pour braver tous les revers. Instruit par ses voyages, il avait vu les Grecs divisés dans leur croyance, se charger d’anathèmes ; les Hébreux, l’horreur des nations, défendre avec opiniâtreté la loi de Moïse ; les diverses tribus arabes plongées dans les ténèbres de l’idolâtrie. Frappé de ce tableau, il se retire dans la solitude, et médite pendant quinze années un système de religion qui pût réunir, sous un même joug, le chrétien, le juif et l’idolâtre. Ce plan était vaste, mais impossible dans l’exécution. Il crut en assurer le succès en établissant un dogme simple qui, n’offrant à la raison rien qu’elle ne puisse concevoir, lui parut propre à tous les peuples de la terre : ce fut la croyance d’un Dieu unique, vengeur du crime et rémunérateur de la vertu. Mais comme il lui fallait, pour faire adopter sa doctrine, se dire autorisé du ciel, il ajouta l’obligation de le regarder comme le ministre du Dieu qu’il prêchait. Cette base posée, il prit de la morale du christianisme et du judaïsme, ce qui lui sembla le plus convenable aux peuples des climats chauds. Les Arabes ne furent point oubliés dans son plan. C’était principalement pour eux qu’il travaillait. Il leur rappela la mémoire toujours chère d’Abraham et d’Ismaël, et leur fit envisager l’islamisme comme la religion de ces deux patriarches. Savant dans l’étude de sa langue, la plus riche, la plus harmonieuse de la terre, qui, par la composition de ses verbes, peut suivre la pensée dans son vol étendu, et la peindre avec justesse ; qui, par l’harmonie de ses sons, imite le cri des animaux, le murmure de l’onde fugitive, le bruit du tonnerre, le souffle des vents ; savant, dis-je, dans l’étude d’une langue que tant de poëtes ont embellie, et qui existe depuis le commencement du monde, il s’appliqua à donner à sa morale tout le charme de la diction, à ses préceptes la majesté qui leur convenait, aux fables accréditées de son temps une touche originale qui les rendît intéressantes. Lorsque le moment qu’il avait choisi pour annoncer sa mission fut venu, il environna sa marche de ténèbres, et se borna d’abord à convertir ceux qui se trouvaient dans l’intérieur de sa maison. Sûr de son domestique, il gagna, soit par artifice, soit par la supériorité de ses lumières, quelques-uns des principaux citoyens de la Mecque. Lorsqu’il vit que son parti se fortifiait, il tonna contre l’idolâtrie. Les disgrâces, l’exil, la proscription ne servirent qu’à fortifier son courage. S’étant préparé par ses émissaires une retraite à la cour du roi d’Abyssinie, un asile à Médine, il annonça ses desseins ambitieux, et parut au grand jour. Les chrétiens démasquèrent ses erreurs, et crièrent à l’imposture ; les Juifs ne reconnaissant point dans un simple citoyen de la Mecque ce Messie brillant de gloire qu’ils attendaient, rejetèrent sa doctrine, et se déclarèrent ses ennemis ; les Coreïshites, tremblant pour un culte qui était la base de leur puissance, mirent sa tête à prix. Ce concours de clameurs et de haine ne l’effraya point. Sa constance était au-dessus des revers, et son génie était fait pour aplanir les obstacles. Profitant de l’asile que ses intrigues lui avaient procuré parmi les Cazregites, il arma Médine contre la Mecque, et résolut de dompter par les armes ceux qu’il n’avait pu soumettre par la force de la persuasion. Désespérant de surmonter l’attachement des juifs et des chrétiens à leur religion, il abrogea les lois établies en leur faveur, et tourna toutes ses vues du côté des Arabes. Il changea le lieu vers lequel ils priaient, et leur ordonna de se tourner du côté de la Mecque. Ce précepte fut reçu avec de grandes acclamations, et tandis que le peuple le regardait comme une faveur du ciel, le législateur y voyait un moyen de fixer la pensée de ses disciples sur un lieu dont il désirait ardemment la conquête. Un point important était d’unir par des liens sacrés des tribus que divisaient d’anciennes haines. Il créa l’ordre de la fraternité : cet ordre fit des citoyens désunis, une même famille, dont tous les efforts concouraient à la grandeur du chef qui la dirigeait. Il fallut s’opposer à ses ennemis, et les repousser les armes à la main. Ce fut alors qu’il montra cette intrépidité dont il avait donné des preuves dans les combats livrés sous les yeux d’Abutaleb ; ce fut alors qu’il déploya les talens d’un grand général. La victoire ou le martyre fut l’alternative qu’il proposa à ses soldats. L’espoir d’un butin toujours partagé fidèlement enflamma leur courage. L’assurance d’un secours divin toujours présent les rendit invincibles. Obligé de combattre contre l’Arabie entière avec les seuls citoyens de Médine, la rapidité de ses attaques, les positions avantageuses qu’il sut choisir, la valeur héroïque des guerriers qu’il forma, le rendirent supérieur à ses ennemis. Tandis qu’il soufflait dans tous les cœurs le feu du fanatisme, froid au milieu du carnage, il apercevait tous les mouvemens de l’armée opposée, et profitait d’une faute, ou avait recours au stratagème pour lui arracher la victoire. La journée d’Ahed, la seule où la fortune lui fut contraire, fit voir les ressources de son génie, et l’empire qu’il avait sur les esprits. Les idolâtres, vainqueurs, n’osèrent poursuivre leur avantage, et aucun des Musulmans ne se détacha de son prophète. Lorsque la ruine des Juifs et la soumission de plusieurs tribus arabes eurent étendu sa puissance, il envoya des ambassadeurs aux souverains étrangers. Il ne se flattait pas de les voir tous embrasser l’islamisme ; mais il se préparait un prétexte pour les attaquer quand le temps serait venu. Après huit ans de combats et de triomphes, la Mecque, forcée de céder au torrent, ouvrit ses portes au vainqueur, et il y commanda en maître. De retour à Médine, il s’occupa à lier ensemble les membres épars de sa monarchie naissante, et à lui donner de la consistance. Profond dans la connaissance du cœur humain, les gouverneurs, les généraux qu’il choisit furent presque tous de grands hommes. Abubecr, Omar, Othman et Ali, ses amis les plus distingués, lui succédèrent à l’empire, et en reculèrent fort loin les limites. Ses regards ambitieux se tournaient avec complaisance du côté de la Syrie. Déjà Khaled, traversant les sables brûlans de l’Arabie, était allé venger la mort de l’ambassadeur, que la lâcheté des Grecs avait immolé au sein de la paix ; déjà ce vaillant capitaine avait remporté sur eux une des plus étonnantes victoires dont les annales de la postérité fassent mention. Le sang de plusieurs milliers de Grecs suffisait à la vengeance, et non pas à l’ambition. Mahomet avait dessein de démembrer l’empire d’Héraclius ; mais, aussi sage dans ses mesures que prompt dans l’exécution, il sentit qu’avant de l’attaquer il fallait s’assurer des petits princes qui régnaient sur l’Arabie Pétrée. Le même général qui, huit ans auparavant, n’avait pu rassembler sous ses drapeaux que trois cents treize soldats, marcha vers la Syrie à la tête de trente mille hommes. Après avoir traversé comme un éclair des déserts et des sables dévorans, il établit son camp à Tabuc. Vingt jours lui suffirent pour soumettre tous les peuples jusqu’aux frontières de la Syrie. Ayant imposé tribut à ceux qui ne voulurent pas abandonner leur religion, il retourna à Médine chargé de dépouilles et couvert de gloire. À son retour il apprit la soumission des rois d’Hemiar qui gouvernaient différentes provinces de l’Yemen. Les petits princes idolâtres vinrent tour à tour s’humilier devant le conquérant de la Mecque, et embrassèrent sa religion. Toute cette grande péninsule qui s’étend entre la mer Rouge et le golfe persique obéit à ses lois. Il se préparait à pénétrer dans l’empire des Grecs ; plus de quarante mille guerriers rassemblés sous ses étendards allaient ébranler le trône des Césars, lorsque la mort arrêta ses projets et le cours de ses prospérités. À cette nouvelle, Médine fut couverte d’un deuil universel. La peinture que nous offrent les auteurs contemporains de la consternation générale où cette ville fut plongée, est effrayante, et prouve quel ascendant Mahomet avait sur les esprits. Aussi profond politique que grand capitaine, il avait établi sa puissance sur une base si solide, que l’Arabie demeura fidèle à l’islamisme, et que ses successeurs n’eurent qu’à suivre la route qu’il avait tracée. Il avait si fort exalté l’âme des compagnons de ses exploits, que plusieurs d’entre eux devinrent d’excellens généraux, et que bientôt, sous le nom de Sarrazins, ils renversèrent le trône des Perses, démembrèrent l’empire d’Orient, conquirent l’Égypte, la Syrie, l’Afrique, subjuguèrent l’Espagne, et, à force de combats et de victoires, menacèrent de donner des fers au monde entier. Tel fut l’effet de l’enthousiasme que Mahomet sut inspirer aux guerriers élevés à son école. Les grandes monarchies que formèrent ses successeurs se sont écroulées, parce que les talens ne se succèdent pas comme les rois ; mais les lois qu’il fit ont survécu à la ruine des empires. Tandis qu’enflammés par un zèle plus louable qu’éclairé, tant d’historiens nous peignent Mahomet comme un imbécile, depuis douze cents ans une partie de la terre révère sa mémoire, et suis aveuglément sa religion. Les sages d’entre les Orientaux qui, s’élevant au-dessus de la faible vue du vulgaire, lui refusent avec raison le titre de prophète, le regardent comme un des plus grands hommes qui aient existé. Une foule de faux prophètes qui ont voulu marcher sur ses traces sans avoir son génie et ses lumières, ont tous fait une chute plus ou moins éclatante à proportion de leurs talens. Tel est le portrait fidèle que l’histoire nous offre de Mahomet. Tous les traits qu’il présente sont fondés sur des faits ; et je les ai rassemblés avec impartialité.

Fin de la vie de Mahomet.


  1. La Sonna est une compilation de traditions dont l’autorité, chez les Mahométans, est égale à celle de la loi orale chez les Juifs.
  2. Les Arabes prononcent Mahammed, mais ils ont tant de vénération pour ce nom, qu’ils ne le profèrent jamais sans ajouter : Elnabi, le prophète, ou Racoul-Allah, l’apôtre de Dieu.
  3. La Mecque est située dans une vallée stérile. Sa longueur est d’environ une lieue ; sa largeur de moitié. Ses environs n’offrent que des déserts et des rochers arides. Le puits de Zemzem, que l’Ange découvrit à Agar, est la seule source dont l’eau est potable. Les habitans suppléent à cette disette par des citernes où ils recueillent la pluie. Plusieurs entreprises pour y conduire les eaux des montagnes voisines n’avaient pas eu un heureux succès. Une des femmes de Soliman, empereur des Turcs, l’entreprit à ses frais, et eut la gloire de réussir.
  4. Cette guerre fut ainsi nommée, parce que Abraha, vice-roi de l’Arabie Heureuse, ayant déclaré la guerre aux coreïshistes vint, monté sur un éléphant, pour détruire le temple de la Mecque. Il périt avec son armée. Abul-Feda.
  5. Mahomet ayant eu de Cadige, sa première femme, un fils nommé Elcasem se fit appeler Abul-Casem-Mahammed (Mahomet, père de Casem), suivant la coutume des Arabes, qui prennent le nom de leur fils aîné.
  6. Les Arabes regardent le temple de la Mecque comme le premier que les hommes aient élevé à la gloire de l’Éternel. L’histoire place sa fondation neuf-cent quatre-vingt-treize ans avant celle du temple de Jérusalem, c’est-à-dire, plus de deux mille ans avant l’ère chrétienne : son nom Elcaaba le Carré annonce qu’il fut bâti dans un temps où les hommes ignoraient l’architecture. Toute leur science se bornait à élever quatre murailles qui formaient un carré. Tels ont dû être les premiers édifices bâtis par la main des hommes.
  7. Abul-Feda, vie de Mahomet, page 2.
  8. Mahammed est le participe passé du verbe Hamad, et signifie loué, comblé de gloire.
  9. Ce lac, qui avait plus de six parasanges de circonférence, portait de gros navires. Il fut entièrement desséché, et l’on bâtit une ville nommée Sawia. Ces derniers événemens étant les effets de causes naturelles ont pu concourir avec la naissance de Mahomet, sans qu’on puisse en rien conclure.
  10. Elhafed au livre Delail-Elnebouat, les preuves de la prophétie.
  11. Les environs de la Mecque n’offrant que des rochers arides et des sables brûlans, ses habitans étaient obligés d’aller acheter au loin leur subsistance. Depuis que Mahomet a rendu cette ville fameuse, depuis qu’il en a fait le sanctuaire de sa religion, l’Égypte, la Syrie, l’Arabie Heureuse, la fournissent abondamment de tout ce qui est nécessaire aux commodités de la vie.
  12. Yatreb ayant donné un asile à Mahomet fut nommée Medinet-Elnabi la ville du prophète, ou simplement Médine-la-Ville. Elle est moitié moins grande que la Mecque, mais son territoire est plus fertile.
  13. Abul-Feda, Vie de Mahomet.
  14. Abul-Feda, page 8. Jannab. Ahmedben Joseph.
  15. Abul-Feda, Vie de Mahomet, page 20.
  16. Elmacin Abul-Feda.
  17. Cette ville, appelée par les Grecs Bosra, et par les Hébreux Béestera ou Astarot (la maison d’Ester), est située environ à quatre journées au midi de Damas. Abul-Feda, dans sa géographie, en fait la métropole du pays d’Hauran.

    Les monastères ont toujours été regardés dans l’orient, comme des lieux d’hospitalité. Dans l’île de Candie, où les Turcs leur ont laissé de grandes possessions, les voyageurs y sont encore reçus, nourris et couchés gratuitement.

  18. Le docteur Prideaux prétend que Bahira est le même que Sergius, moine nestorien. Il le fait chasser de son monastère pour des crimes énormes, et l’envoie à la Mecque dicter le Coran à Mahomet. Il est vrai qu’il ne cite aucun auteur pour garant d’une opinion dont le silence de tous les historiens contemporains fait voir la fausseté.
  19. Abul-Feda, page 11.
  20. Vicentius Bellovacensis, Petrus Paschasius, Martyr. Historia Mahumetica, cap. 8.
  21. Abul-Feda, page 11.
  22. Abul-Feda, page 11.
  23. Les Arabes ont quatre mois qu’ils nomment sacrés, ce sont, Moharram, Rajeb, del Caada, del Hajj. Les guerres qui se font alors sont nommées impies, défendues.
  24. La garde de la Caaba, dont Ismaël fut le premier pontife, passa à son fils Nabetp9. Les ghorjamites lui succédèrent dans cet emploi le plus auguste de l’Arabie. La violation des lieux sacrés le leur fit perdre. Après eux, les cozaïtes eurent l’intendance du temple. Les coreïshistes la leur enlevèrent, et la possédèrent jusqu’au temps de Mahomet.

    * (Abul-Feda, page 13.)

  25. Eljouzi, au livre des rites, des cérémonies du pèlerinage, chap. 68.
  26. La pierre noire, suivant les auteurs arabes, était dans l’origine une hyacinte blanche. Lorsqu’Abraham et Ismaël bâtissaient le temple, Gabriel la leur apporta. Dans la suite, une femme qui n’était pas pure l’ayant touchée, elle perdit son éclat, et devint noire.
  27. Abul-Feda, page 13.
  28. Idem, page 12.
  29. Au rapport de Maïsara, cité par Jannab, dévot musulman, ce voyage fut fécond en merveilles. Tout le temps que le voyageur protégé du ciel traversait les déserts brûlans de l’Arabie, un ange étendant ses ailes le mettait à l’abri des rayons du soleil. Il marchait sous cet ombrage miraculeux. À Bosra, s’étant assis sous un arbre desséché, l’arbre reverdit, se couvrit de feuilles et de fleurs. Ce prodige opéré en présence de Nestor et de Bahira, ces deux moines au sujet desquels les modernes ont débité tant de fables, les convertit, et ils reconnurent Mahomet pour prophète. Jannab.

    Ces miracles, attestés par un domestique, n’en ont point imposé au savant Abul-Feda, qui, quoique musulman, n’a pas voulu faire de la vie de son prophète une mauvaise légende.

  30. Ebn-Hadoum, septième partie du livre Tedhcarah des matières curieuses.
  31. Les Arabes n’épousaient point de femme sans lui assigner une dot dont elle jouissait en cas de répudiation. Cet usage, sagement établi dans un pays où la polygamie régna de tout temps, a été confirmé par plusieurs versets du Coran, et est devenu loi parmi les mahométans.
  32. Les Égyptiens célèbrent leurs mariages à peu près de la même manière. Le jour fixé pour la cérémonie, les amies et les parentes de la nouvelle épouse vont la prendre à la maison paternelle, et la conduisent en pompe à celle du mari. Le cortége est précédé de musiciens et de danseuses. La mariée, couverte d’or et de diamans, s’avance à pas lents sous un dais magnifique. Elle est voilée ainsi que ses compagnes. Lorsque le cortége est arrivé à la maison du mari, les femmes se retirent dans l’appartement d’en haut, d’où elles voient les hommes à travers des jalousies. Après le festin, les convives, assis en rond sur des sophas, conversent gravement, fument, écoutent de la musique, et s’amusent à voir danser de jeunes filles qui saisissent avec une souplesse étonnante, les attitudes les plus voluptueuses, les postures les plus lascives. De temps en temps, les femmes font entendre leur cri d’allégresse. Les Almé (c’est-à-dire les filles savantes), chantent des vers à la louange des nouveaux époux, et des hymnes à l’amour. On se sépare, et le bon musulman voit, pour la première fois, le visage de son épouse.
  33. Maracci, vie de Mahomet, page 15, assure que Cadige mourut à quarante-neuf ans, et que Mahomet en avait alors quarante-trois. Le témoignage de tous les historiens détruit cette assertion. Voyez Jannab, Elcoda, Abul-Feda.
  34. Abul-Feda. Ahmed. Joseph, sect. Ire, ch. 40.
  35. Abul-Feda, page 13.
  36. Abul-Feda, page 14. Elmacin.
  37. Le Coran, chap. 96, versets premier et suivant.
  38. Abul-Feda, pages 15 et 16.
  39. Le docteur Prideaux, page 13, ne veut pas que Mahomet, l’idole et la gloire de Cadige, ait pu abuser de sa crédulité. Il fait intervenir son moine Bahira, et cet agent inconnu à tous les auteurs contemporains, est employé pour triompher de la résistance d’une femme. C’est Mahomet lui-même qui le charge du soin de séduire son épouse. Quand le silence de l’antiquité ne détruirait pas cette opinion ridicule, le docteur Prideaux eût dû balancer à l’écrire ; elle est trop contraire aux mœurs des Orientaux.
  40. Ahmedben Joseph, Hist. part. prem. chap. 9.
  41. Le mot islamisme vient du verbe eslam. Il ne veut pas dire, comme l’a prétendu le docteur Prideaux, page 28, la religion qui sauve, mais il signifie consécration à Dieu.
  42. L’auteur du livre Elscirat.
  43. Abubecr se nommait Abd el Caaba (serviteur de la Caaba). Il changea ce nom en celui d’Abdallah (serviteur de Dieu). Ayant ensuite donné sa fille Aïesha en mariage au prophète, il prit par honneur le nom d’Abubecr (le père de la Vierge), qu’il porta depuis. Elkoda.
  44. Abul-Feda, page 18.
  45. Visir vient du mot arabe ouzir, qui signifie conseiller. Ali fut le premier qui porta ce titre que les Ottomans donnent au premier officier de la couronne.
  46. Calife vient du mot kalef successeur. C’est le titre que prirent ceux qui succédèrent à Mahomet. Ali, malgré son adoption, n’obtint le titre de calife qu’après Abubecr, Omar et Otman. Cette injustice a élevé un schisme entre les Perses et les Turcs. Les Perses regardent les trois premiers successeurs de Mahomet comme des usurpateurs, et n’accordent qu’à Ali le titre de calife. Les Ottomans soutiennent le contraire. De là ces guerres sanglantes qui ont déchiré les deux empires.
  47. Abul-Feda, page 19.
  48. Abu-Feda, page 10.
  49. Abul-Feda, page 21.
  50. Son nom propre était Amrou, fils de Hesham, son surnom Abu el Hocm (le père de la sagesse). La haine éternelle qu’il voua à Mahomet, le fit appeler Abugehel (le père de la folie). Les mahométans ne prononcent jamais son nom sans ajouter Laano Allah (Dieu le maudisse). Abul-Feda, généalogie des Coreïshites. Maracci le confond maladroitement avec Gehel, oncle de Mahomet. C’étaient deux hommes bien différens.
  51. Les fils d’Abd el Motalleb étaient : Abutaleb dont le nom propre était Abdmenaf, Zobaïr, Abdallah, père de Mahomet, Elabbas, Hamza, Elharet, Gehel, Elmacoum, Deraz, Abulahab. Les seuls qui se firent musulmans furent Elabbas et Hamza. Abul-Feda, Généalogie des Coreïshites.
  52. Omar, dont le nom seul jetait l’épouvante dans les esprits, fut surnommé Elfarouk (le diviseur), parce qu’il fendit en deux un musulman qui refusait de s’en rapporter à la sentence de Mahomet. Eltabar.
  53. Abdmenaf était le nom propre d’Abutaleb.
  54. Abul-Feda, page 25.
  55. Abasha, autrement l’Abyssinie, a tiré son nom d’Abash, le même que Cush, fils de Canaan, fils de Ham, fils de Noé. Abd el Baki, dans son livre sur l’excellence des Abyssins.

    Abasha, écrit par les Grecs Άβασσανοί, par les Latins Abasseni, signifie en arabe un assemblage de nations. Ces peuples pénétrèrent dans l’Abyssinie par l’Égypte. Ils y fondèrent un empire, et firent souvent des incursions dans l’Arabie-Heureuse. Soixante-dix ans avant Mahomet, ils y établirent un royaume dont la capitale était Sanaa. Abraha, qui en était vice-roi, entreprit contre les Mecquois la guerre de l’Éléphant. Son armée fut entièrement détruite. Cet événement arriva l’année de la naissance de Mahomet. Abd el Baki.

  56. Cette première, hégire ou fuite peu connue parmi nous, est très-célèbre parmi les mahométans. Elcona et Jannab la rapportent à la cinquième année de la mission de Mahomet.
  57. El Najashi, mot abyssin, signifie le roi. Ce nom était commun aux souverains d’Abyssinie, comme Pharaon à ceux d’Égypte. Abd el Baki, Histoire d’Abyssinie, page 1, chap. 2. C’est de ce nom mal prononcé que les historiens français ont fait celui de Negus.
  58. Abul-Feda, page 25.
  59. Les enfans de Hashem formaient la famille la plus distinguée de la tribu des Coreïshites. Ils possédaient l’intendance du temple de la Mecque. Mahomet était de cette famille.
  60. Abul-Feda, Vie de Mahomet, page 26. Jannab place cet événement deux ans plus tard.
  61. Abulahab, oncle de Mahomet, fut toujours son implacable ennemi. Om Gemil, son épouse, fille d’Abusofian, partagea sa haine. Elle semait des épines dans les lieux où Mahomet devait passer. Le cent onzième chapitre du Coran les dévoue aux feux éternels. Abulahab signifie père de la flamme. Ce surnom lui fut donné par allusion au sort qui l’attendait. Son vrai nom était Abd el Ozza. Abul-Feda.
  62. Abul-Feda, page 27. Jannab.
  63. La formule du diplôme commençait par ces mots, en ton nom, ô Dieu ! ces paroles seules demeurèrent en leur entier ; tout le reste fut rongé. Abuseïd, Abd el Rohman, au livre El Anouar. Maracci rapporte une autre tradition sur la foi d’Ahmed, Abd el Rahim, où il est dit que les vers avaient rongé tous les endroits où le nom de Dieu était écrit, et laissé le reste en entier. Cette tradition, rejetée par Elbokar, auteur de la Sonna, n’a aucune authenticité parmi les mahométans ; mais elle était favorable au dessein de Maracci, et il s’en est servi.
  64. Quelque signe divin distingue-t-il le prophète ? demandent les incrédules. Tu n’es chargé que de la prédication. Le Coran, page 239, chap. 13, t. Ier.

    Si l’on exigeait de toi que tu fisses paraître un trésor, ou qu’un ange t’accompagnât, ne t’afflige point, ton ministère se borne à la prédication. Page 225, t. Ier.

    Ils ne veulent, disent-ils, y ajouter foi que lorsqu’ils y seront autorisés par des miracles. Réponds-leur : Les miracles sont dans les mains de dieu, je ne suis chargé que de la prédication. Ch. 29, tome 2.

  65. Abul-Feda, page 28. Jannab.
  66. Le Coran, chap. 96, verset 9.
  67. Voyez le géographe el Edris.
  68. Abul-Feda, Vie de Mahomet, page 29.
  69. Jannab.
  70. Le pèlerinage de la Mecque était établi long-temps avant Mahomet. Les Arabes y venaient célébrer la mémoire d’Abraham et d’Ismaël : ce n’était qu’un usage. Le législateur en fit un précepte.
  71. Abul-Feda, page 30.
  72. Acaba est le nom d’une colline à peu de distance de la Mecque. Les enfans de Tafr y avaient une maison de campagne où Mahomet se retirait souvent. Abul-Feda.
  73. Les Coreïshites formaient la tribu la plus distinguée et la plus puissante de toute l’Arabie. Ils parlaient l’arabe le plus pur et le plus élégant.
  74. Abul-Feda, page 30.
  75. Lorsque Moïse traversait, à la tête du peuple hébreu, les déserts de l’Arabie, il envoya une armée combattre les Amalécites qui habitaient Yatreb et Khaibar, et quelques places voisines de la province del Hejaz. Il leur commanda de passer tous les ennemis au fil de l’épée. L’ordre fut exécuté à la rigueur. Les Israélites, ayant remporté la victoire, exterminèrent ces peuples. Ils vinrent ensuite occuper des villes où ils n’avaient point laissé d’habitans. Ils en demeurèrent en possession jusqu’au temps où l’Aram, ayant rompu ses digues, inonda l’Arabie-Heureuse. Ce fut alors que les Awasites et les Cazregites, échappés aux eaux, se sauvèrent dans l’Hejaz. Ils chassèrent les Juifs d’Yatreb ; mais ils leur laissèrent Khaibar et plusieurs autres forteresses. Abul-Feda. Histoire universelle, prem. part., au chap. des Amalécites.
  76. Abul-Feda, chap. 19.
  77. Ces deux collines sont situées près de la Mecque.
  78. Ahmed ben Joseph, Hist. chap. 40.
  79. Elborak signifie étincelant.
  80. Abul-Feda.
  81. Les Arabes tuaient leurs enfans pour les soustraire à la pauvreté ; ils les immolaient aussi aux autels de leurs dieux pour les rendre propices. Mahomet abolit ces usages barbares.
  82. Ô prophète ! si des femmes fidèles viennent te demander un asile après t’avoir promis avec serment qu’elles fuiront l’idolâtrie, qu’elles ne voleront point, qu’elles éviteront la fornication, qu’elles ne tueront point leurs enfans, qu’elles ne mentiront point, et qu’elles ne te désobéiront en rien de ce qui est juste, donne-leur ta foi, et prie Dieu pour elles. Il est indulgent et miséricordieux. Le Coran, chap. 60, verset 12.
  83. Abul-Feda. p. 41.
  84. Les habitans de Médine, qui embrassèrent l’islamisme, qui prêtèrent serment d’obéissance à Mahomet, et s’enrôlèrent sous ses étendards, furent nommés Elansar, les auxiliaires.
  85. Abul-Feda, Vie de Mahomet, page 42.
  86. Idem, page 85.
  87. « Dieu a permis à ceux qui ont reçu des outrages de combattre, et il est puissant pour les défendre. » Le Coran, ch. 22, verset 40. Ce verset est, suivant les commentateurs, le premier où Dieu ait permis à Mahomet de prendre les armes pour sa défense. Cette permission est répétée dans plusieurs autres versets.

    « Ô prophète ! combats les incrédules et les impies, traite-les avec rigueur. L’enfer sera leur affreuse demeure. Chap. 9, verset 74. »

    « Combattez-les jusqu’à ce qu’il n’y ait plus de schisme, et que la religion sainte triomphe universellement, Chap. 8, verset 40, etc. »

  88. Le Coran, chap. 47, verset 5.
  89. Le Coran, chap. 9, verset 112.
  90. Les Awasites et les Cazregites tiraient leur origine d’Elazd, fils de Cohlan, fils de Saba, fils de Yesjab, fils de Cohtan (nommé Joctan dans la Genèse), fils d’Eber. Abul-Feda, Histoire universelle.
  91. Ebn Ishac, au livre Elanouar.
  92. Ebn Ishac nous a conservé les noms de ces douze apôtres de l’islamisme. Les Cazregites : Açad, Saad, fils d’Elrabé, Abdallah, fils de Rowaba, Rabé, Elbera, Abdallah, fils d’Omar, Obada, Saad, fils d’Obada, Elmondar ; les Awasites : Osaïd, Saad, fils de Khoutama, Rafaë.
  93. Abul-Feda, Vie de Mahomet, page 50.
  94. Des auteurs, amis du merveilleux, disent que le diable entra au conseil, sous la forme d’un vieillard, et combattit tous les avis qui ne tendaient pas à la mort ; ils ajoutent qu’Abugehel ayant prononcé la peine capitale, le vieillard applaudit, et que l’arrêt passa d’une voix unanime.
  95. Cette époque, si célèbre parmi les mahométans, est nommée Hégire, du mot arabe Hejara, qui signifie fuite. C’est l’ère* des Orientaux ; c’est d’elle qu’ils datent leurs événemens. Elle arriva la douzième année de l’empire d’Héraclius. Abul-Feda, au chapitre des empereurs romains ; Abul-Faraj, au livre de la démonstration ; Théophanes, dans sa chronologie, page 256.

    *Le mot Ère est aussi arabe. Il vient d’Erkhé, qui signifie un temps marqué, une époque.

  96. Les musulmans dévots qui ne veulent pas qu’une seule action de la vie de leur prophète se soit passée sans miracle, disent qu’il avait endormi ses assassins en leur jetant de la poussière sur la tête, et en récitant quelques versets du Coran.
  97. Abul-Feda, page 51.
  98. Quelques-uns d’eux, prêts à pénétrer dans la grotte, s’aperçurent que l’entrée en était fermée par des toiles d’araignée, et qu’une colombe y avait déposé ses œufs. À cette vue, ils retournèrent sur leurs pas. Ce prétendu miracle, accrédité parmi les mahométans, leur a laissé une grande vénération pour les colombes.
  99. Abul-Feda, pag. 51 et 52.
  100. La quinzième année de l’hégire, les généraux d’Omar ayant remporté une célèbre victoire sur Yesdegerd, dernier roi de Perse, apportèrent au calife les bracelets et le diadème de ce malheureux prince. Omar fit appeler Soraka, qui était alors musulman, et pour lui montrer combien il honorait sa bravoure, il le revêtit de ces ornemens. Ce fut un spectacle amusant de voir les cheveux gris du guerrier Soraka, et ses bras couverts de poil, constrater avec l’or, les perles et les diamans. Jannab.
  101. Abul-Feda, page 52.
  102. Jannab.
  103. Abul-Feda, page 53.
  104. Jannab, page 74. Elbokar.
  105. Le docteur Prideaux, emporté par son zèle, dit que ce terrain appartenait à deux orphelins, que Mahomet le leur enleva par violence, et les en chassa avec inhumanité. Vie de Mahomet, page 116.

    Le docteur Prideaux n’a cité aucun auteur pour appuyer un fait qui avait si grand besoin d’autorités. Abul-Feda, Jannab, Elbokar, disent positivement le contraire. Ils assurent que Mahomet refusa le don qu’on voulut lui faire de ce terrain. Ahmed ben Joseph ajoute qu’Abubecr en paya le prix. Mahomet était trop politique pour commettre une injustice criante en entrant à Médine. Les ambitieux ne sont point injustes quand ils ont tant d’intérêt de paraître équitables.

  106. Abul-Feda, Vie de Mahomet, page 53.
  107. La chaleur du climat de l’Arabie rend les femmes nubiles à cet âge. Les Cophtes, anciens habitans de l’Égypte, épousent souvent des filles de six et sept ans. Ils les élèvent chez eux jusqu’à l’âge où elles sont nubiles ; alors ils accomplissent la cérémonie du mariage.
  108. Mohagériens vient de mohagerin fugitifs. Les musulmans qui abandonnèrent la Mecque pour suivre Mahomet, furent ainsi nommés.
  109. Ansariens vient du mot ansar, qui signifie auxiliaire. Les habitans de Médine qui embrassèrent l’islamisme, se firent un honneur de porter ce nom.
  110. Abul-Feda, page 53. Jannab, page 75.
  111. Le Coran, chap. 3, tome prem.
  112. Les juifs se tournent en priant vers le temple de Jérusalem, les Arabes vers la Mecque, et les Sabéens vers l’étoile du nord. Les anciens Persans, adorateurs du feu, se tournaient vers l’orient.
  113. Le Coran, chap. 2, tome prem.
  114. Le mot Haram signifie défendu. Le temple de la Mecque fut ainsi nommé, à cause du respect profond que tout mortel doit apporter en y entrant ; ou suivant d’autres, parce qu’une femme s’y étant présentée dans un temps où elle n’était pas purifiée, l’entrée en fut interdite aux femmes.
  115. Le Coran, chap. 2, tome prem.
  116. Ebn Ishak.
  117. Allah Acbar. Echhed en la ila ella Allah. Echhed en Mahammed Raçoul Allah. Haï ala Elsalat. Haë ala Elfalah. Allah Acbar. La ila ella allah. Telles sont les paroles que le crieur fait entendre au peuple du haut des minarets, au lever de l’aurore, à midi, à trois heures, au coucher du soleil et environ deux heures après.
  118. Abul-Feda, page 55.
  119. Ramadan vient de ramad brûlant. Ce mois fut ainsi appelé, parce que, dans l’année solaire des anciens Arabes, il tombait au temps des plus grandes chaleurs.
  120. Le Coran, chap. 2, tome prem.
  121. Le Coran, chap. 2, verset 180.
  122. Abul-Feda, Description de l’Arabie, page 55.
  123. Abul-Feda, page 56. Ebn Ishak.
  124. Le géographe el Edris.
  125. Abul-Feda, page 58.
  126. Jannab.
  127. Le Coran, chap. 3, page 64, tome Ier.
  128. Plusieurs historiens arabes attribuent cette victoire au miracle. Des anges vêtus de longues robes flottantes portant des turbans jaunes, montés sur des chevaux tachetés de blanc et de noir, combattirent à la tête des croyans. Gelaleddin.

    Deux idolâtres qui observaient le combat du haut d’une colline, aperçurent un nuage qui renfermait des escadrons d’anges. Ils entendirent le hennissement des chevaux et la voix de Gabriel qui criait : Approche, Haïsoum (c’était le nom de son cheval). L’un des curieux fut percé d’un trait ; l’autre manqua de mourir d’effroi. Ebn Ishac.

    Tel était l’empire de Mahomet sur l’esprit des Arabes, qu’ils attribuaient au miracle des succès dus au fanatisme qu’il savait leur inspirer.

  129. Abul Feda, page 59.
  130. Le Coran, chap. 3, p. 64, tom. Ier.
  131. Chap. 8, p. 169, tom. Ier.
  132. Chap. 8, p. 170, tom. Ier.
  133. Le Coran, chap. 8, p. 173, tom. Ier.
  134. Aussitôt que le roi d’Abyssinie eut appris la défaite des Coreïshites à Beder, il descendit de son trône, se couvrit d’un double manteau, s’assit à terre, et fit venir Jafar et ses compagnons. Qui de vous, leur demanda-t-il, connaît Beder ? Nous connaissons parfaitement cette vallée, répondirent les fugitifs. Et moi aussi, continua le prince. Berger autrefois, j’y gardai les troupeaux le long du rivage de la mer (Elnajashi, chassé de son royaume, s’était réfugié en Arabie sous l’habit de berger) : hé bien, ajouta-t-il le Tout-Puissant a secouru son apôtre à Beder. Il lui a donné la victoire sur ses ennemis. Rendez-lui des actions de grâces. Abu-Seïd, au liv. Elanouar.
  135. Abul-Feda place cet événement la seconde année de l’hégire. Jannab, Elcoda, Elmacin, le rejettent à la troisième.
  136. Un orfévre de la tribu de Caïnoca avait fait subir un traitement indigne à une femme arabe qui vendait du lait au marché. Un musulman lava l’outrage dans le sang de l’infâme. Les juifs le tuèrent. La discorde s’éleva entre les deux partis. Mahomet se rendit à leur quartier, et leur proposa d’embrasser l’islamisme pour obtenir le pardon de leur crime. Ils refusèrent opiniâtrement. On prit les armes contre eux. Tel fut, suivant Jannab, le sujet de cette guerre.
  137. Abdallah, fils de Solul, prince de la tribu des Cazregites, fut tantôt l’ami, tantôt l’ennemi de Mahomet. Il contraria ou servit ses projets suivant les circonstances. Son obstination à refuser de se faire musulman lui fit donner le nom d’incrédule. Plusieurs officiers du prophète lui proposèrent d’abattre la tête de l’infidèle ; il refusa constamment d’y consentir.
  138. Abul-Feda, Vie de Mahomet, p. 61.
  139. Abul-Feda, p. 61. Jannab.
  140. La nuit où le mariage devait se consommer, le prophète conduisit sa fille au jeune fils d’Abutaleb. Il marchait devant elle. Gabriel était à sa droite, et Michel à sa gauche. Soixante-dix mille anges formaient le cortège de la nouvelle épouse. Ils chantèrent des hymnes à la louange du Très-Haut, jusqu’au lever de l’aurore. Ahmed ben Joseph, hist. gén., sect. 40.
  141. Ahmed ben Joseph, hist. gén., sect. 40.
  142. Ces quatre femmes sont, suivant les Arabes, l’épouse de Pharaon, la vierge Marie, Cadige et Fatime.
  143. Abul-Feda, Vie de Mahomet, p. 63.
  144. Les Arabes nés sous un ciel brûlant sont extrêmes en tout. Ils aiment ou haïssent avec passion. En 1778, pendant que j’étais en Égypte, une femme arabe ayant appris la maladie d’un fils qu’elle avait à Damiette, fit trente lieues pour le venir voir. En débarquant, elle demanda des nouvelles de son fils, on lui dit qu’il était mort. L’infortunée se précipita dans le Nil.
  145. Jannab.
  146. Le docteur Prideaux, page 86, soutient que Caab ne fut point mis à mort, et qu’il évita tous les piéges que Mahomet lui tendit. Ce sentiment s’oppose à la vérité de l’histoire. Le savant Prideaux confond le Caab dont nous parlons avec un autre poëte de même nom, également proscrit pour avoir écrit des satires contre Mahomet. Ce dernier vint la neuvième année de l’hégire se jeter à ses pieds ; il lui présenta un poëme composé à sa louange. Le prophète en fut si flatté, qu’il lui pardonna, et lui accorda ses bonnes grâces. Si le docteur Prideaux eût fait attention aux noms des pères de ces deux proscrits, il n’eût pas tombé dans cette méprise. Le premier se nommait Caab, fils d’Elashraf, le second Caab, fils de Zohaïr.
  147. Abul-Feda, p 64.
  148. Ahed signifie un. On a donné ce nom à la montagne, parce qu’elle est isolée, s’élevant seule du milieu de la plaine.
  149. Jannab.
  150. Abul-Feda, Vie de Mahomet, p. 65.
  151. Abul-Feda, p. 66.
  152. Abul-Feda, p. 67.
  153. Si quelque chose peut diminuer l’atrocité de ce crime, c’est qu’elle avait perdu à la journée de Beder, Hantala, son fils aîné, et que les femmes arabes ne pardonnent point la mort de leurs enfans.
  154. Hobal était la principale idole des Coreïshites.
  155. Jannab.
  156. Abul-Feda, p. 68.
  157. Jannab, p. 111.
  158. Abul-Feda, ch. 33, p. 68.
  159. Elbocar, d’après la tradition d’Abu-Horeïra, dans la Sonna.
  160. Les Arabes ne pardonnent point la mort de leurs proches parens. Les mères font sucer à leurs enfans la haine avec leur lait. À peine ont-ils le sentiment de leur existence, qu’elles leur inspirent le désir de la vengeance. Près de Giza, à une lieue du grand Caire, une femme avait conservé la tête de son époux assassiné. Tous les jours elle mouillait ces tristes restes de ses pleurs, et les montrait à sa fille unique. Mon enfant, lui disait-elle, vois-tu cette tête ? c’est celle de ton père ; un barbare lui ôta la vie. Si j’avais un fils, il serait mon vengeur ; il effacerait dans son sang notre malheur et notre honte. Ces plaintes, souvent répétées, firent une impression profonde sur le cœur de la jeune fille. Elle pleurait avec sa mère ; elle frémissait d’horreur au nom de l’assassin. Le désir de la vengeance l’emporta bientôt sur la faiblesse et la timidité de son sexe. Elle s’habilla en homme, s’introduisit en qualité de domestique dans la maison du meurtrier de son père, et, profitant du moment où il dormait, elle l’égorgea au milieu de sa famille.
  161. Abul-Feda, ch. 35, p. 70.
  162. Abul-Feda, p. 71.
  163. Abu-Seïd, au livre Elanouar.
  164. Abul-Feda, p. 71.
  165. Abul-Feda, p. 72.
  166. Le Coran, tom. Ier.
  167. Idem.
  168. Abul-Feda, p. 72.
  169. Abul-Feda, p. 73.
  170. Jannab, p. 119.
  171. Les auteurs arabes crient au miracle. Ils disent que Dieu renversa par terre l’ennemi de leur apôtre. Qu’est-il besoin de faire intervenir le ciel ? Le sang-froid de Mahomet, la mort levée sur la tête de l’assassin s’il manquait son coup, mille considérations ne purent-elles pas l’arrêter ? Mais les enthousiastes n’écoutent point la raison. Tout est prodige pour eux.
  172. Abul-Feda, p. 73.
  173. Ce Salman était fils du gouverneur d’une ville de Perse. Après avoir beaucoup voyagé, il se rendit en Arabie. Séduit par l’éloquence de Mahomet, il embrassa l’islamisme. Il l’aida de ses conseils, et servit à la gloire de ses armes. Ebn Ishac. Le docteur Prideaux le confond avec Abdallah, fils de Salam, juif fameux, à qui selon lui, Mahomet dut en partie ses succès. La prévention avec laquelle ce savant écrit, le fait souvent tomber dans de semblables méprises.
  174. Abul-Feda, p. 74.
  175. Si l’on en croit le récit des auteurs mahométans, leur apôtre nourrit tous les travailleurs avec un panier de dattes qui multiplièrent miraculeusement entre ses mains. Une autre fois il leur donna à souper avec un agneau rôti et un pain d’orge. Plus de trois mille hommes furent rassasiés.
  176. Abul-Feda, p. 75.
  177. Abul-Feda, p. 76.
  178. Le Coran, chap. 33, verset 10, offre un tableau frappant de ces alarmes.

    « Enveloppés par les ennemis, vous détourniez vos regards consternés ; vos cœurs, en proie aux plus vives alarmes, formaient de Dieu des pensées différentes. »

    « Les fidèles furent tentés, et éprouvèrent de violentes agitations. Les impies et ceux dont le cœur est gangrené disaient : Dieu et le prophète ne nous ont annoncé que des mensonges. »

  179. Jannab.
  180. Abul-Feda. Jannab.
  181. Jannab, p. 130.
  182. Abul-Feda, p. 77.
  183. Abul-Feda, p. 78.
  184. Le Coran fait mention de cette conquête, ch. 33, verset 26. « Il (Dieu) a forcé les Juifs qui avaient secouru les infidèles à descendre de leurs citadelles. Il a jeté l’épouvante dans leurs âmes. Vous en avez tué une partie, et vous avez emmené les autres en captivité. »
  185. Jannab.
  186. Jannab.
  187. Jannab, p. 139. Course contre les Becrites.
  188. Abul-Feda, p. 80.
  189. Jannab, p. 140.
  190. Abul-Feda, p. 80.
  191. Ce puits est situé dans le territoire de Codaïd, à cinq milles de la mer, et à vingt-quatre milles d’Osfan. Jannab.
  192. Jannab.
  193. Elhaçan.
  194. Abul-Feda, p. 81.
  195. Le Coran, ch. 4, tom. prem.
  196. Abul-Feda, p. 81. Jannab.
  197. Elbokar, dans la Sonna, ou Recueil des traditions authentiques.
  198. Le Coran, chap. 24, p. 99.
  199. Verset 14, p. 100.
  200. Abul-Feda, page 84.
  201. Le Coran, chap. 48, verset 27.
  202. Jannab.
  203. Hodaïbia, ville située en partie sur le territoire sacré, en partie sur le territoire profane, est éloignée de la Mecque d’une journée de chemin. Abul-Feda, description de l’Arabie, page 12. Quelques auteurs prétendent qu’elle a tiré son nom d’hodba, arbre qui croît dans les environs. Ce mot signifie bossu, voûté. Le tronc tortueux de cet arbre, ses branches qui s’étendent horizontalement en forme de voûte, l’on fait nommer ainsi.
  204. Abul-Feda, page 85.
  205. Lorsque deux Turcs concluent un traité, ils se prennent mutuellement la barbe, et jurent, par cette noble partie de leur visage, qu’ils accompliront fidèlement leurs engagemens. Ce serment est sacré, et ceux qui le violent sont déclarés infâmes.
  206. Abul-Feda, page 85.
  207. Pendant que l’armée campait à Hodaïbia, la sécheresse ayant tari toutes les sources, les soldats mourant de soif vinrent porter leurs plaintes au prophète. Il ordonna qu’on décochât une flèche au fond d’un puits. Le trait part et s’enfonce dans la vase. À l’instant on vit jaillir une source abondante qui fournit à tous les besoins. Jannab, p. 156.
  208. Abul-Feda, page 86.
  209. Le Coran, ch. 48, verset 18.
  210. Abul-Feda, page 87.
  211. Mahomet ayant dit à Ali d’effacer apôtre de Dieu, Ali jura qu’il ne commettrait jamais une semblable profanation*. Mahomet, prenant la plume, raya ces mots, et écrivit à leur place : Mahammed, fils d’Abdallah. Il oublia dans ce moment qu’il ne savait ni lire ni écrire, et cet oubli fut un miracle. L’ignorance qu’il affectait était un voile dont il s’enveloppait, afin de donner à son livre un caractère divin. Il est bien probable que pendant les quinze années passées dans la solitude et la retraite, il avait acquis les connaissances nécessaires à ses desseins.

    * Abul-Feda, p. 87. Jannab.

  212. Abul-Faraj, Histoire des dynasties, p. 12.
  213. Abul-Feda, p. 87. Jannab, p. 161.
  214. Abul-Feda, page 88.
  215. Ebn Ishac.
  216. Jaber, témoin oculaire.
  217. Khaibar signifie en hébreu un château. Cette place est située à six jours de marche, au nord-est de Médine. Les environs sont fertiles en palmiers et en moissons. Abul-Feda, description de l’Arabie, p. 43.

    Cette ville est très-ancienne, puisque, suivant le même auteur, Moïse, après le passage de la mer Rouge, envoya une armée contre les Amalécites qui habitaient Yatreb et Khaïbar.

  218. Abul-Feda, p. 89.
  219. Abul-Feda, p. 89.
  220. Il est bien probable que cette cure merveilleuse, si célèbre parmi les auteurs mahométans, était concertée entre le beau-père et le gendre.
  221. Moallem el Tanzil.
  222. Aburafé rapporte ce trait qu’Abul-Feda juge lui-même incroyable. Nous marchions, dit-il, sous les ordres d’Ali, contre les habitans de Khaïbar ; une partie de la garnison sortit pour nous repousser. Tandis que notre chef combattait avec une valeur plus qu’humaine, un Juif lui porta un si rude coup, qu’il lui fit tomber le bouclier des mains. Ali, furieux, arracha la porte du château, et s’en servit comme de bouclier, jusqu’à ce qu’il se fût rendu maître de la place. J’ai vu, ajoute l’historien, cette porte. Huit hommes avaient peine à la remuer.
  223. Abul-Feda.
  224. Jannab.
  225. Le Coran, chap. 59, verset 6.
  226. Wadi Elcora signifie la vallée des villes. Cette place a tiré son nom de la multitude de bourgs et de villages qui sont dans les environs. Elle est située à deux journées de Khaïbar, du côté de la Syrie. Jannab.
  227. Abul-Feda. Jannab.
  228. Abul-Feda, p. 91.
  229. Abd el Baki, Histoire d’Éthiopie, 2e. partie, chap. 3.
  230. Abul-Feda, p. 92.
  231. Abul-Feda, p. 93.
  232. Elhejaz est une partie de l’Arabie Petrée. C’est dans cette province qu’est située Médine.
  233. Cosroës était le vingt-troisième roi de Perse de la famille des Sassanides. L’hégire ou la fuite de Mahomet arriva la trente-deuxième année de son règne, qui répond à la douzième de l’empire d’Héraclius. Abul-Feda.
  234. Avant de faire mourir ce prince, qui, dans les premières années de son règne, avait rempli l’Orient du bruit de ses victoires, Siroës lui dit : Ne sois point surpris si je trempe mes mains dans ton sang. Tu m’as donné l’exemple du parricide. Souviens-toi qu’après avoir fait brûler avec un fer rouge les yeux de ton père Hormoz, tu le mis à mort. Si tu avais respecté les jours d’un père, ton fils respecterait les tiens. À ces mots il donna le signal, et ses satellites le massacrèrent. Abul-Feda, Vie de Cosroës Parviz.
  235. Abul-Feda, p. 94.
  236. Idem.
  237. Ahmed ben Joseph.
  238. Abul-Feda, p. 94.
  239. La dix-neuvième année de l’hégire, sous le califat d’Omar, les Arabes subjuguèrent l’Égypte. Mokaukas, trahissant le parti des Grecs, passa du côté d’Amrou, fils d’Elas, général des Musulmans, avec tous les Cophtes. Il obtint le libre exercice de la religion chrétienne pour lui et les siens, à condition qu’ils paieraient tribut aux califes. Eutichès.

    Les Ottomans leur ont conservé les mêmes priviléges aux mêmes conditions. Les Cophtes possèdent des églises où ils célèbrent l’office divin. J’y ai assisté dans une jolie chapelle qu’ils ont au vieux Caire. Ils suivent l’ancien rit. Le peuple communie sous les deux espèces, et en sortant du banquet divin, se met à table dans l’église.

  240. Ebn Patrik. Eutrichès, t. 2, p. 302.
  241. Ahmed ben Joseph, Histoire générale, sect. 54, ch. 11.
  242. Les ânes d’Égypte sont renommés pour leur force et leur vitesse. On les exerce de bonne heure à la course. Ils vont le trot et le galop comme des chevaux. C’est la monture ordinaire du peuple. Il y en a qui se vendent six cents livres.
  243. Abn Elbaki, 2e. part, du livre sur l’excellence des Abyssins.
  244. Idem, Histoire d’Abyssinie.
  245. Abul-Feda, page 96.
  246. Idem.
  247. Jannab.
  248. Abul-Feda, page 98.
  249. Jannab, page 182.
  250. Idem, page 184.
  251. C’est cet Amrou qui, par l’ordre d’Omar, brûla la fameuse bibliothéque d’Alexandrie, perte à jamais irréparable pour les arts et les connaissances humaines.
  252. Jannab.
  253. Abul-Feda, page 100.
  254. Ce château fut nommé, par les Français, Crac de Mont-Réal. Il est situé au delà du Jourdain. Ils s’en rendirent maîtres après la prise de Jérusalem, en 1098 (l’an quatre cent quatre-vingt-douze de l’hégire). Quatre-vingt-neuf ans après, le grand Salah-Eddin ayant battu l’armée française près du lac de Tiberiade, reprit ce château avec plusieurs autres forteresses. Ce fut dans cette bataille que Régui (Lusignan, roi de Jérusalem), son frère Haimar, le seigneur du Mont (de Mont-Ferrat), Geoffroi, le prince Renaud, seigneur du château de Carac, furent faits prisonniers. Elmacin.
  255. Ils s’en emparèrent en 1453, l’an 857 de l’hégire.
  256. Jannab.
  257. Jannab, page 190.
  258. Jannab, page 190.
  259. Elbokar.
  260. Khaled porta dans la suite le nom d’épée de Dieu. Ce général fameux, vainqueur de Mahomet au combat d’Ahed, vainqueur des Grecs à Mouta, continua, sous le califat d’Abubecr et d’Omar, le cours de ses exploits glorieux. Le surnom que lui donna Mahomet ne fut point inconnu à ses ennemis. Théophane, p. 378, parle d’un émir nommé Khaled, et appelé l’épée de Dieu.
  261. Jannab.
  262. Abul-Feda, page 102.
  263. Idem, ibidem.
  264. Les Arabes n’ont ni chaises ni fauteuils dans leurs appartemens. Un sopha qui règne à l’entour forme leurs siéges. Le soir ils y étendent des matelas qui leur servent de lits. On les plie le matin, et la chambre à coucher devient salon de compagnie.
  265. Abul-Feda, page 102 et 103.
  266. Des écrivains enthousiastes disent que Gabriel, descendit du ciel pour l’en instruire.
  267. Abul-Feda, page 103.
  268. Le Coran, chap. 60, verset 1.
  269. Abul-Feda, page 103.
  270. Jannab, page 202.
  271. Abul-Feda, page 104. Jannab.
  272. Morr el Dahran est situé à quatre lieues de la Mecque.
  273. Abul-Feda, page 104 et 105.
  274. Idem, page 105.
  275. Abul-Feda, page 106.
  276. Jannab, page 208.
  277. Le Coran, chap. 34, tom. 2.
  278. Idem.
  279. Abul-Feda, page 107.
  280. Les Arabes croyaient que les anges étaient les filles de Dieu. Ils les représentaient sous la forme d’une femme, et leur rendaient des honneurs divins.
  281. Jannab.
  282. Le Coran, chap. 40, verset 13, tome 2.
  283. Abul-Feda, page 107.
  284. Jannab, page 213.
  285. Idem, page 214.
  286. Abul-Feda, p. 110.
  287. L’auteur du livre Chafa Elgeran.
  288. Jannab en compte seize.
  289. Idem.
  290. L’auteur du livre Chafat Elgeran.
  291. Jannab.
  292. Abul-Feda, page 109.
  293. Jannab.
  294. Le Coran, chap. 10.
  295. L’auteur du livre Chafa Elgeren.
  296. Idem.
  297. Abul-Feda, page 106.
  298. Jannab, page 205.
  299. Ebn. Ishak.
  300. Abul-Feda, page 111.
  301. Idem, page 112.
  302. Le Coran, chap. 9, tome Ier.
  303. Autas est le nom d’une vallée située entre Honein et Taïef. Jannab.
  304. Abul-Feda, page 114.
  305. Mahomet attribua l’honneur de cette victoire au secours divin.

    « Dieu couvrit de sa sauvegarde le prophète et les croyans. Il fit descendre des bataillons d’anges invisibles à vos yeux, pour punir les infidèles. Tel est le sort des prévaricateurs. » Le Coran, ch. 9, page 180, tome Ier.

  306. Jannab.
  307. Abul-Feda. Elbokar.
  308. Abul-Feda, page 117.
  309. Jannab.
  310. Abul-Feda, p. 120.
  311. Jannab, p. 238.
  312. Elbokar.
  313. Abul-Feda, p. 118.
  314. Moavia, sixième calife, fut la tige de la famille des Ommiades qui tirèrent leur nom d’Omaïa, son aïeul. Cette famille occupa l’empire jusqu’à la cent trente-deuxième année de l’hégire, qu’il passa aux Abassides.
  315. Abul-Feda, p. 119.
  316. Abul-Feda, p. 119. Jannab, p. 240.
  317. Si l’on en croit les historiens arabes, la prédiction s’accomplit. Zou Elkowisara donna le jour à Harkoud, surnommé Zou Elmezma (digne de blâme), qui fut le chef des Kharegites ou schismatiques, révoltés contre l’autorité de l’iman, grand pontife de la religion.
  318. Jannab, p. 244. Abul-Feda, p. 120.
  319. Abou Sofana signifie père de la perle. Hatem avait pris ce nom par amour pour sa fille nommée Sofana.
  320. Ebn Ishak.
  321. Abul-Feda, p. 121. Jannab, p. 345.
  322. Le Coran, chap. 110, tome 2.
  323. Abul-Feda, p. 122.
  324. Le calife Moavia offrit à Caab dix mille drachmes de ce manteau, sans pouvoir l’obtenir. À la mort du poëte, il l’acheta de ses enfans pour vingt mille drachmes. Ce manteau devint un ornement des califes. Ils le portaient aux fêtes solennelles Elmostasem en était revêtu lorsqu’il parut devant Holagu, grand khan des Tartares. Il portait aussi à la main la canne de Mahomet. Holagu ayant fait brûler l’un et l’autre dans un bassin, fit jeter leurs cendres dans le Tigre. Ce n’est point le mépris, dit-il, qui m’a porté à brûler ces deux monumens précieux, c’est le désir de conserver leur pureté, leur sainteté. Elmoslasem fut le trente-sixième calife et le dernier de la famille des Abassides. Holagu, après avoir emporté Bagdad d’assaut, et passé les habitans au fil de l’épée, le fit périr. Ahmed ben Joseph, Hist. gén., sect. 40.
  325. Abul-Feda, p. 123.
  326. Chap. 9, tom. Ier.
  327. Abul-Feda, p. 123.
  328. Ebn Houkel. El Edris, le géographe.
  329. Cette vallée est actuellement déserte. Les montagnes qui l’environnent sont nommées par les Arabes, Elateleb, les fragmens de rochers. Ebn Haukal.

    Les Thémudéens, ses anciens habitans, furent anéantis par la vengeance divine, pour avoir tué une femelle de chameau que Saleh, leur apôtre, avait fait sortir miraculeusement d’un rocher. Mahomet qui, fondé sur la tradition, rapporte dans plusieurs endroits du Coran, leur crime et leur punition, voulut, par sa conduite, affermir sa doctrine, et refusa de se désaltérer à un puits qui avait servi à des impies.

  330. Abul-Feda, p. 124.
  331. Tabuc offre l’aspect riant de la fertilité au milieu du désert. Cette ville est située à six stations de Madian, vers l’orient, et à quatre stations de la Syrie. El Edris. Jannab dit que Tabuc est un lieu fort connu sur la route de Médine à Damas.
  332. Jannab.
  333. Abul-Feda, page 125.
  334. L’auteur du livre Elanouar.
  335. Aïla, ville située au fond de la mer Rouge, était anciennement habitée par des Juifs. Les pèlerins d’Égypte passent auprès pour aller à la Mecque. De nos jours, dit Abul-Feda, les environs sont incultes. L’ancienne citadelle, bâtie dans la mer, est détruite, et le gouverneur égyptien qui y résidait, s’est retiré dans la ville élevée sur le rivage, à cinq journées de Madian, située sur la même côte. Abul-Feda, Description de l’Arabie, page 41.

    Si l’on en croit le Coran, Dieu punit rigoureusement les Juifs, anciens habitant d’Aïla, devenus idolâtres. « Que vous peindrai-je de plus terrible que la vengeance que Dieu a exercée contre vous ? Il vous a maudits dans sa colère. Il vous a transformés en singes et en porcs, parce que vous avez brûlé de l’encens devant les idoles, et que vous êtes plongés dans les plus profondes ténèbres. » Le Coran, chap. 5, tome Ier.

  336. Les sultans ottomans possèdent ce manteau. Mourad Khan, fils de Selim Khan qui régnait l’an neuf cent quatre-vingt-deux de l’hégire, la mille cinq cent soixante-quatorzième année de notre ère, fit faire une cassette d’or où il renferma cette relique précieuse. Les Turcs lui attribuent la prospérité de leur empire, le succès de leurs armes, et surtout la vertu de guérir tous les malades qui boivent de l’eau où on l’a trempée. Ahmed ben Joseph, Hist. gén.
  337. Ahmed ben Joseph. Abul-Feda, Jannab.
  338. Abul Feda, page 226.
  339. Jannab.
  340. Gelaleddin.
  341. C’est ainsi que les auteurs arabes nous peignent Abu Amrou. C’était sans doute un de ces religieux zélés qui faisaient tous leurs efforts pour soutenir en Arabie le christianisme chancelant.
  342. Chap. 9, verset 18.
  343. Le temple dont Mahomet avait fait la dédicace à Coba, se nommait Eltacoua (la piété). Voyez première année de l’hégire.
  344. Le Coran, chap. 9, tom. Ier.
  345. Abul-Feda, p. 127.
  346. Jannab.
  347. El Sohaïl.
  348. Abul-Feda, p. 227 et 228.
  349. C’est le dernier que Mahomet ait publié ; mais ceux qui ont rassemblé les morceaux épars du Coran, ayant eu égard plutôt à la longueur des chapitres qu’au temps où ils ont été donnés, l’ont placé le neuvième. Elbokar. Voyez la préface.
  350. Le Coran, chap. 9, tome Ier.
  351. Jannab, p. 372.
  352. Elle est observée à la rigueur. Un étranger qui oserait s’approcher de la Mecque serait mis à mort s’il était reconnu.
  353. Le Coran, chap. 9, tom. Ier.
  354. Ces petits souverains étaient au nombre de cinq. Ils régnaient sur différentes provinces de l’Arabie Heureuse. Ils descendaient de Hemiar, fils de Seda, qui chassa Themod de l’Yémen dans l’Elhejaz, et qui ceignit le premier son front d’un diadème. Jannab. Ahmed ben Joseph. Plusieurs auteurs croient que les Hemiarites sont les Homerites dont parle Ptolomée Ludolphe, Commentaire sur l’Histoire d’Éthiopie.
  355. Ebn Ishac.
  356. Jannab, page 273.
  357. Elbokar.
  358. Abul-Feda, p. 129. Jannab.
  359. Chap. 2, tome Ier.
  360. Jaber, fils d’Abdallah, qui était du pèlerinage, le décrit ainsi.
  361. Arafat signifie connaissance. Ce mont fut ainsi nommé, parce que Gabriel y apprit à Abraham les cérémonies saintes de la religion. Elhaçan. D’autres auteurs prétendent qu’Adam et Ève, bannis du paradis terrestre et séparés l’un de l’autre, errèrent pendant cent vingt ans sur la terre : ils se cherchaient sans pouvoir se réunir. Enfin ils se rencontrèrent, et se reconnurent sur le mont Arafat, où ils célébrèrent cet heureux jour ; ce qui fit donner à la montagne le nom de connaissance. Jannab.
  362. Khaled se hâta de les recueillir. Il les attacha à son turban en forme d’aigrette, et attribua à leur vertu toutes les victoires qu’il remporta dans la suite.
  363. Lorsque ces paroles descendirent du ciel, la chamelle du prophète, accablée sous le poids de la révélation, fléchit le genoux, et se prosterna à terre. Jannab.
  364. Abul-Feda, page 131. Jannab, page 281.
  365. Le Coran, chap. 5, tome Ier.
  366. Jannab, page 282.
  367. Le Coran, chap. 9, tome Ier.
  368. El Gouzi, au livre des rites du pèlerinage.
  369. Abul-Feda, page 133. Jannab, page 284.
  370. Mousa, fils d’Ocba.
  371. Jannab.
  372. Jannab.
  373. Ces deux esprits se nommaient Sohaik et Choraik, le frottant et le resplendissant. Le premier lui avait vendu un âne accoutumé à faire mille tours de souplesse. Le second faisait paraître des fantômes merveilleux et des spectres qui étonnaient la multitude. C’était ainsi que le devin Aswad en imposait par des prestiges aux faibles yeux du vulgaire.
  374. Elbokar.
  375. Abul-Feda, p. 134.
  376. Elbokar.
  377. Jannab.
  378. Eltabar.
  379. Idem.
  380. Abul-Feda, pages 102 et 136.
  381. Elsohaïl.
  382. Idem.
  383. Il est parlé de cet ange redoutable dans le Coran. « L’ange de la mort qui veille sur vos démarches, tranchera le fil de vos jours, et vous reparaîtrez devant Dieu. » Le Coran, chap. 32, tome 2.
  384. Le Coran, chap. 19, tome 2.
  385. Elsohaïl.
  386. Elbokar.
  387. Le Coran, chap. 39, tome 2.
  388. Le Coran, chap. 3, tome Ier.
  389. L’auteur du livre el Chasa.
  390. Ces débats ont donné occasion à des écrivains peu scrupuleux dans la recherche de la vérité, de dire que Mahomet avait son tombeau à la Mecque. Quant à l’opinion vulgaire qui place son corps dans un cercueil de fer suspendu en l’air par des pierres d’aimant attachées à la voûte du temple, elle doit le jour à quelques géographes qui n’ont jamais voyagé que dans leur cabinet. L’un et l’autre sentiment sont démentis par les auteurs qui ont été sur les lieux. Voyez Jannab, Abul-Feda, Abul-Faraj.

    Les Turcs que j’ai vus en Égypte m’ont tous confirmé la description que je viens de donner sur le témoignage de ces écrivains. Lorsque je leur racontais les fables que nous débitons au sujet de leur prophète, ils ne pouvaient s’empêcher de rire de notre crédulité.

  391. Abul-Feda.
  392. Abul-Feda, page 141.
  393. Jannab, page 303.
  394. Idem, page 304.
  395. Abul-Feda, page 144.
  396. Anas ben Malec.
  397. Abul-Feda. Jannab.
  398. Le Coran, chap. 33, tome 2.
  399. Idem, ibidem.