De la désinfection au point de vue de la police sanitaire

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ÉCOLE VÉTÉRINAIRE DE TOULOUSE

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DE LA

DÉSINFECTION

AU POINT DE VUE

DE LA

POLICE SANITAIRE

PAR

Léopold COULÉ

De Clairac (Lot-et-Garonne)

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THÈSE
pour le diplôme de médecin-vétérinaire
Présentée le 20 juillet 1876

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CASTRES
IMPRIMERIE DU PROGRÈS
12, RUE MONTFORT, 12
1876



À MON PÈRE, À MA MÈRE
FAIBLE TÉMOIGNAGE
DE RECONNAISSANCE ET D’AMOUR FILIAL



À MON FRÈRE
TENDRESSE FRATERNELLE



À TOUS MES PARENTS
TÉMOIGNAGE D’AFFECTION



À MES PROFESSEURS



À MES AMIS



L. C.


JURY D’EXAMEN

MM. BOULEY O. ❄, Inspecteur-général.
LAVOCAT ❄, Directeur.
LAFOSSE ❄, Professeurs.
LARROQUE,
GOURDON,
SERRES,
ARLOING,
Maury, Chefs de Service.
Bidaud,
Laulanié,
Laugeron,
Labat.


PROGRAMME D’EXAMEN

instruction ministérielle
Du 12 octobre 1866.


THÉORIE Épreuves
écrites
1o Dissertation sur une question de Pathologie spéciale dans ses rapports avec la Jurisprudence et la Police sanitaire, en la forme soit d’un procès-verbal, soit d’un rapport judiciaire, ou à l’autorité administrative ;
2o Dissertation sur une question complexe d’Anatomie, de Physiologie et d’Histologie.
Épreuves
orales
1o Pathologie générale ;
2o Pathologie médicale ;
3o Pathologie chirurgicale ;
4o Maréchalerie, Chirurgie ;
5o Thérapeutique, Posologie, Toxicologie, Médecine légale ;
6o Police sanitaire et Jurisprudence ;
7o Agriculture, Hygiène, Zootechnie.
PRATIQUE Épreuves
pratiques
1o Opérations chirurgicales et Ferrure ;
2o Examen clinique d’un animal malade ;
3o Examen extérieur de l’animal en vente ;
4o Analyses chimiques ;
5o Pharmacie pratique ;
6o Examen pratique de Botanique médicale et fourragère.


ÉCOLES NATIONALES VÉTÉRINAIRES



Inspecteur général
M. H. BOULEY, O. ❄, membre de l’Institut, président de l’Académie de Médecine, etc.



ÉCOLE DE TOULOUSE

Directeur

M. LAVOCAT ❄, membre de l’Académie des sciences de Toulouse, etc.

Professeurs

MM. LAVOCAT ❄, Tératologie.
Anatomie des régions chirurgicales.
LAFOSSE ❄, Pathologie Médicale, Maladies parasitaires
Police sanitaire et Jurisprudence vétérinaire.
Clinique médico-chirurgicale.
LARROQUE, Physique.
Chimie.
Pharmacie et Matière médicale.
Toxicologie et Médecine légale.
GOURDON, Hygiène générale et Agriculture.
Hygiène appliquée ou Zootechnie.
Botanique.
Extérieur des animaux domestiques.
SERRES, Pathologie et Thérapeutique générales.
Pathologie chirurgicale et Obstétrique.
Manuel opératoire et Maréchalerie.
Direction des Exercices pratiques.
ARLOING, Anatomie générale et Histologie.
Anatomie descriptive.
Physiologie.

Chefs de service.
 
MM. MAURY, Clinique, Pathologie spéciale, Police sanitaire et Jurisprudence.
BIDAUD, Physique, Chimie et Pharmacie.
LAULANIÉ, Anatomie générale et descriptive, Histologie, Physiologie.
LAUGERON, Clinique chirurgicale et chirurgie, Pathologie générale, Histologie pathologique, Extérieur et Zootechnie.
LABAT, Clinique, Thérapeutique et Pharmacie.

AVANT-PROPOS

Les ravages considérables que l’on trouve décrits dans l’histoire des maladies contagieuses, l’expérience journalière que nous donnent ces maladies sur leurs moyens de transmission et surtout la négligence que semblent apporter les propriétaires dans l’exécution des moyens propres à en arrêter la propagation, m’ont donné l’idée de traiter ce sujet.

Il est en effet indispensable, lorsqu’une maladie contagieuse a sévi dans un lieu déterminé, de détruire tous les éléments virulents ou propagateurs susceptibles de pouvoir reproduire la maladie. Cette indication n’étant point remplie, on s’exposerait à voir renaître le foyer contagieux déjà éteint et, avec lui, la série des dommages, si considérables parfois, qu’il entraîne fatalement. La Désinfection est donc une mesure de police sanitaire d’une grande importance ; aussi ne doit-on jamais négliger de la pratiquer quand une maladie contagieuse a cessé ses ravages ou qu’elle tend à se prolonger.

Je serai donc très heureux si, dans ce petit opuscule, il m’est donné de faire comprendre à ceux dont la négligence en pareil cas serait si nuisible, l’obligation dans laquelle ils se trouvent d’user de ce moyen préservatif. Je me serai ainsi rendu utile à la société ; ce but atteint compensera de reste les défectuosités de mon premier travail, dont la valeur doit être exclusivement attribuée aux leçons de mes savants professeurs.


L. C.



DE LA DÉSINFECTION


Définition.

On désigne sous le nom de désinfection une mesure de police sanitaire ou de thérapeutique, ayant pour but de détruire, d’enlever ou de neutraliser les éléments organiques produits par la contagion, l’infection ou le parasitisme, et dont l’air, les corps solides ou liquides et l’économie même de nos animaux domestiques peuvent être imprégnés.

Comme on le voit, dans l’énoncé de la définition que j’ai admise, il est donné à la désinfection un rôle plus grand que celui que lui ont déjà attribué la plupart des auteurs. En effet, le plus grand nombre d’entre eux n’admettent dans la désinfection que les gaz délétères, les miasmes méphitiques et les virus. Delafond va même plus loin : il exclut les virus du domaine de la désinfection, les considérant comme des causes spécifiques de maladies. Quoi qu’il en soit de cette diversité d’opinions, j’ai cru pouvoir ajouter, comme devant être classé dans la contagion à virus fixe et être soumis à la désinfection, le parasitisme. Les moyens de propagation de certaines maladies dues à des parasites, soit animaux, soit végétaux, ne différant que très peu des moyens de propagation des maladies contagieuses, que nous importe la nature de la maladie, puisque le but est toujours le même : détruire l’agent propagateur, qu’il soit virus ou parasite ? Je considérerai donc le parasitisme comme devant être soumis aux règles de la désinfection. D’un autre côté, les recherches modernes tendent à prouver l’existence de microzoaires ou de microphytes dans la plupart de nos maladies contagieuses ; si ces preuves se généralisent davantage, la désinfection passera en grande partie à la thérapeutique, qui désormais ne devra lutter que contre la pullulation de ces infiniments petits. Mais laissons au temps le soin de nous éclairer sur cette question si importante ; et, pour le moment, considérons les virus comme étant des éléments organiques, inconnus dans leur nature, mais qu’il s’agit de combattre dans leurs effets.

On appelle désinfectants des substances capables de pouvoir, par une action physique, chimique ou physiologique, enlever, détruire ou neutraliser les éléments organiques dont j’ai déjà parlé. Un désinfectant parfait serait celui qui annihilerait l’action de ces éléments organiques sans détruire les matières animales qui les renferment. À ce point de vue, il n’y a pas de désinfectants parfaits, puisque, comme nous le verrons plus loin, aucun n’est doué de cette propriété.

Historique.

La désinfection doit être une mesure très anciennement connue ; du jour où on a pu constater la contagion de certaines maladies, on a dû chercher à la combattre : de là l’emploi de moyens désinfectants. Ce n’est cependant que chez les Hébreux que nous trouvons des traces sur la pratique de désinfecter. On trouve, en effet, dans le Lévitique, des préceptes détaillés sur la manière de purifier les vêtements et les maisons souillés par la lèpre. Ces préceptes, les seuls que l’on puisse faire remonter à une époque aussi reculée, se réduisent, à part les cérémonies religieuses en vogue à cette époque, au lavage à grande eau des vêtements abandonnés pendant un certain temps, et au grattage ou récrépissage des maisons. Si la lèpre tendait à faire des progrès, les mesures étaient plus radicales et le feu était alors le désinfectant général : on brûlait les vêtements et on détruisait les habitations (Lévitique. Chap. 13. V. 47.). Hippocrate semble en avoir eu connaissance quand il parle des épidémies qui attaquent promptement un grand nombre d’individus, sans distinction d’âge, de sexe, d’état ; il en attribue la cause à l’altération de l’air ; et naturellement il a dû chercher à combattre cette altération. Pendant une longue série de siècles, on n’a fait que répéter les préceptes des anciens que je viens de faire connaître, et bien souvent encore ils ont été négligés ou méconnus. Ce n’est guère qu’en 1402 que cette pratique a été établie d’une manière méthodique à Milan, par son second duc ; mesure qui fut ensuite adoptée par le lazaret de Venise en 1484 et peu de temps après par toute l’Europe. Depuis lors on a procédé diversement pour désinfecter les principaux établissements sanitaires ; cette diversité dans les procédés provenait des idées différentes qu’on se faisait des virus ou des agents contagieux aux diverses époques qui se sont succédé depuis lors jusqu’à nos jours.

Lois régissant la désinfection

En France, vers la fin du siècle dernier, l’utilité de la désinfection fut si bien reconnue, que le législateur, s’armant de la connaissance des savants de l’époque, a cru en devoir rendre la pratique obligatoire. L’article 6 de l’arrêt du Conseil du Roi du 18 juillet 1774 est formel à ce sujet ; en voici la teneur : « Les écuries dans lesquelles auront séjourné des chevaux morveux, ainsi que les étables et les bergeries qui auront servi aux animaux attaqués de maladies contagieuses, seront (à la diligence des officiers municipaux et experts) aérées et purifiées ; lesdits lieux ne pourront être occupés par aucuns autres animaux que lorsqu’ils auront été purifiés, et qu’il se sera écoulé un temps suffisant pour en ôter l’infection ; les équipages, harnois, colliers, seront brûlés ou échaudés, conformément à ce qui sera prescrit par le procès-verbal d’abattage, et dont il sera laissé copie, pour, par les propriétaires ou autres, s’y conformer, ainsi qu’à toutes les précautions qui auront été indiquées par les experts, à l’effet d’éviter la contagion ; le tout sous la même peine de cinq cents francs d’amende. »

D’un autre côté, une ordonnance du préfet de police de la Seine, en date du 17 février 1831, applicable à toutes les maladies contagieuses, prescrit aussi d’une manière positive l’application de la désinfection ; voici comment elle est exprimée : « Les écuries et autres localités dans lesquelles auront séjourné les animaux atteins de maladies contagieuses, seront aérées et purifiées, à la diligence des maires et des commissaires de police, par les soins des personnes de l’art. Elles ne pourront être occupées par d’autres animaux qu’après qu’il aura été constaté, en présence d’un expert-vétérinaire, que les causes d’infection n’existent plus. Ces dispositions seront applicables aux équipages, harnais et colliers. »

Tels sont les deux arrêts qui obligent à désinfecter les locaux et autres objets que des maladies contagieuses ont infectés. Pour rendre l’application de ces mesures plus sûre, l’Assemblée Constituante a cru devoir lancer deux décrets que l’autorité peut invoquer quand il s’agira de faire exécuter la désinfection.

1o  Le décret de la Constituante, rendu sur l’organisation judiciaire du 16-24 août 1790. (Titre II, art. 3).

2o  Le décret de la Constituante, concernant les biens, usages ruraux et la police rurale du 6 octobre 1791 (p. 3, tit. I., art. 20). Ces deux décrets donnent à la vigilance des maires et des corps administratifs « les soins de prévenir et de faire cesser par des précautions convenables les maladies épizootiques » (1790) et « d’employer particulièrement tous les moyens de prévenir et d’arrêter les épizooties » 1791.

Comme on vient de le voir par les articles que je viens de citer, la législation sanitaire ne laisse aucun doute pour ce qui concerne la désinfection. Les maires peuvent donc l’exiger et la faire exécuter telle que le procès-verbal du vétérinaire délégué le portera, et cela sous peine d’une amende de 500 francs. Malgré toutes ces sages mesures de police sanitaire, il est déplorable de constater que les principes d’une bonne désinfection soient si peu mis en pratique dans nos campagnes. Il arrive même très souvent que si la maladie contagieuse est confinée à une seule étable ou écurie, on délaisse complétement cette pratique ; aussi ces maladies se propagent-elles rapidement, et ce n’est que lorsque le mal est général qu’on cherche à lui porter remède.

Des agents désinfectants.

Les agents employés jusqu’à ce jour à titre de désinfectants, sont des plus nombreux et des plus variés. Chacun de ces agents a eu spécialement sa vogue, en des époques plus ou moins éloignées, suivant qu’on se faisait une idée de la nature intime des virus. Le but vers lequel on tendait, était la destruction de l’agent contaminable ; et, suivant qu’il était supposé acide ou base, etc., on lui opposait des substances capables de les neutraliser. Ces diverses manières de procéder n’ont pas réussi à nous faire connaître un corps capable d’annihiler l’activité virulente, au moins sans détruire la substance organique qui renferme le virus. Il importe beaucoup de connaître cette imperfection des agents désinfectants, surtout quand il s’agit d’opérer sur des sujets malades.

Les procédés de désinfection peuvent être groupés sur trois chefs principaux : 1o Destruction des objets infectés ; 2o Purification à l’aide de moyens mécaniques ; 3o Désinfection proprement dite, en se servant des procédés physiques ou chimiques.

Le premier de ces moyens est le plus sûr, mais aussi le plus dispendieux et auquel on ne doit se livrer qu’à la dernière extrémité ; le second est long et exige trop de circonstances favorables pour qu’il puisse être préféré, bien qu’en apparence il soit le plus économique. Enfin, le troisième est celui qui est le plus généralement adopté ; il a l’avantage d’agir d’une manière prompte et avec assez de sûreté, surtout sur les parasites et les diverses émanations gazeuses.

Sous le rapport du rôle que ces agents ont à remplir dans la désinfection, on peut aussi les diviser en antivirulents, antimiasmatiques, antiputrides et antiparasitiques. Je ne les étudierai point sous ces divers titres en particulier pour ne point m’exposer à des répétitions, car il est beaucoup de ces agents qui réunissent à eux seuls les propriétés que je viens de signaler. Dans l’étude succinte que je vais faire des moyens de désinfection, je ne m’occuperai que de ceux le plus généralement employés depuis un siècle. Les préliminaires qui précèdent étant connus, je passe rapidement à la description des divers agents en particulier.

Du Calorique.

Je m’occuperai en premier lieu des fluides impondérables, et en particulier du calorique, qui est le plus important. Les expériences de Renault ont en effet prouvé qu’une température de 100°, agissant sur un corps infecté, suffisait pour enlever à celui-ci sa propriété contagieuse. Une température de 60° peut aussi agir avec efficacité, mais il faut que son action soit prolongée ; aussi vaut-il mieux élever la température si on veut agir avec plus de sûreté. Pour faire agir le calorique, on l’associe le plus généralement à l’eau ; c’est même avec ce liquide bouillant que Renault a expérimenté ; aussi a-t-il été conseillé par la plupart de nos auteurs comme étant un des agents les plus efficaces pour détruire l’action virulente. C’est, en effet, au calorique apporté par la cuisson que l’on doit la propriété de rendre inoffensives les viandes provenant d’animaux morts de maladies contagieuses. Une température semblable est exigée pour détruire les parasites vivant à l’état kystique au sein des tissus ; c’est ainsi que sont détruits les cysticerques et les trichines de la viande du porc. La propriété antivirulente de l’eau bouillante a tellement été reconnue, que le Congrès international de Vienne a cru devoir l’utiliser pour la désinfection des wagons de chemin de fer ; on la projette alors en jets de vapeur pour que son action soit plus étendue. Il résulte des expériences faites avec le calorique que cet agent est le plus sur des moyens désinfectants, au moins quand il s’agit de détruire l’activité virulente. Aussi, dans les cas de maladies très contagieuses, devra-t-on brûler les objets de peu d’importance ; l’eau bouillante servira pour laver les sols, les murs, les râteliers, les couvertures, etc. Quant aux objets en fer, ils seront suffisamment désinfectés en les portant au rouge.

Le Froid.

Le froid peut aussi, d’un autre côté, être considéré comme agent de désinfection, sans cependant être utilisé comme tel, car on n’est pas au juste fixé sur la température à laquelle il faut descendre pour qu’il puisse agir d’une façon certaine. Cet abaissement de température devrait toujours être considérable ; on sait en effet que certains parasites peuvent vivre soumis à une température de — 10° (Knoch), et que plusieurs maladies contagieuses ou miasmatiques ne cessent point de se produire en hiver.

L’air atmosphérique.

L’air atmosphérique, qui est l’agent transmetteur des virus et des miasmes par excellence, peut aussi être comme un agent désinfectant très puissant ; il n’a que l’inconvénient d’agir avec trop de lenteur et de nécessiter par cela même un temps précieux qu’on ne peut, le plus souvent, lui accorder. Son action désinfectante est expliquée de plusieurs manières. Ainsi il peut agir :

1o D’une manière mécanique, par les courants d’air, en étendant ou en divisant, pour ainsi dire à l’infini, l’air imprégné de virus ou de gaz méphitiques. Cette pratique, d’un bon usage pour les maladies infectieuses, est désavantageuse pour certaines maladies contagieuses en ce qu’elle est par le fait même un moyen de propagation des virus ;

2o D’une manière physique par son hygroscopicité. En effet, l’air est très avide d’humidité ; en enlevant celle-ci aux divers corps contaminés, il en produit la dessiccation et les rend par ce fait inactifs. Renault a, en effet, prouvé, par des expériences variées, que pour la morve, le charbon, la clavelée et la rage, une dessiccation de 12 à 15 jours des diverses matières animales enlevait tellement leur propriété contagieuse, que celles-ci ne communiquaient plus la maladie par inoculation. Il n’en est pas de même de la dessiccation à l’abri de l’air qui est quelquefois un procédé utilisé pour la conservation des virus ;

3o L’air peut aussi agir d’une manière chimique par son oxygène ; il active alors la composition des matières putrides en les modifiant ; et, au lieu de matières septiques, on a des corps plus oxygénés, mais moins offensifs, jusqu’à-ce que la combustion qui s’effectue alors soit terminée. Plusieurs auteurs admettent que cette modification serait plutôt due à l’ozone qu’à l’oxygène non modifié.

Le procédé consistant à employer l’air comme agent désinfectant est connu sous le nom d’aération. On procède à cette opération en ouvrant toutes les portes et fenêtres du local, de manière à établir un courant d’air continu pouvant déplacer celui qui se trouve dans les endroits les plus reculés de l’habitation. Afin d’agir avec plus de promptitude et de sûreté, on a le soin d’enlever la litière, les stalles, etc. Pour que le courant d’air soit plus actif, on peut utiliser les divers instruments de ventilation connus que je ne décrirai point ici.

Comme adjuvant de l’aération, on a aussi employé les feux, qu’on allumait soit à l’intérieur, soit au voisinage des opérations. Ce procédé dont le but était d’établir des courants d’air artificiels et de carboniser les particules virulentes, est complétement inusité de nos jours ; car, outre les dangers d’incendie auxquels il expose, il n’offre pas d’avantage marqué : le calorique qu’il émet n’est pas suffisant pour que son action puisse être de quelque utilité.

Un autre procédé venant aussi en aide à l’aération, et complétement abandonné de nos jours, consistait dans la détonation produite par des armes à feu. On supposait alors que l’ébranlement que subissait l’air du milieu infecté, par suite de la forte expansion du gaz détonant, mettait en mouvement les particules virulentes et les chassait au dehors en les détruisant. L’opinion qu’on se faisait de la détonation est en effet exagérée, car tout au plus si une bien faible partie d’air se trouve rejeté au dehors par l’expansion gazeuse. Les bons effets qu’on dit avoir obtenus de cette pratique doivent être attribués aux divers produits formés par la combustion de la poudre, tels que acide sulfureux, nitrique, carbonique, etc. La détonation est donc un procédé de peu d’importance et qui ne doit guère fixer l’attention.

Le sérénage est une opération qui se rattache à l’aération et qui la complète ordinairement. Elle consiste dans l’exposition en plein air, le plus ordinairement pendant la nuit, des divers corps contaminés. Cette pratique, qui passe généralement pour être désinfectante et a été mise en usage depuis bien longtemps. Dans l’histoire des maladies contagieuses de l’homme, on cite des cas où des pestiférés ont pu communiquer de nuit, alors que l’atmosphère était chargée d’humidité, avec des individus sains sans transmettre leur maladie. Cependant les expériences scientifiques n’ont pas été faites pour pouvoir admettre d’une manière absolue l’action destructive que posséderaient le serein et la rosée sur les virus. Malgré cela il ne faudrait pas nier complétement leur action ; tout le monde connaît leur influence sur les tissus de lin, chanvre, etc. Ces matières blanchissent, en effet, comme si elles avaient été soumises à l’action du chlore. Il est cependant un fait pratique militant en faveur de cette opération ; on a observé qu’un troupeau peut, après la rosée du matin, séjourner impunément sur un champ où le jour précédent auraient stationné des bêtes claveleuses. S’il est vrai que la rosée et le serein ont une telle influence sur le virus claveleux, pourquoi ne l’auraient-ils pas sur les autres ? C’est ce que l’expérience seule est destinée à nous apprendre. En attendant, on peut utiliser ce moyen pour les objets qui, tels que paille, fumier et autres matières ne peuvent guère bien être attaqués par d’autres moyens.

De l’Eau.

L’eau se rapproche beaucoup par son action désinfectante de l’air atmosphérique. Elle agit d’une manière tout-à-fait mécanique en délayant et en entraînant par les lavages les matières infectées ; c’est dans ce but qu’on l’utilise le plus ordinairement sur les objets qu’on ne craint pas de mouiller. L’eau qu’on peut faire tomber en particules très fines à l’aide de certaines pompes, entraîne les matières en suspension dans l’air et les attache au sol où elles peuvent plus facilement être attaquées : on s’explique ainsi l’efficacité reconnue de la pluie dans la marche de certaines maladies. L’eau est le plus souvent employée en lavages ou en lotions, mais rarement à l’état de nature, si ce n’est quand elle est bouillante ; on préfère lui ajouter certaines substances, telles que la chaux, l’acide phénique, etc. qui ne font qu’ajouter à sa propriété désinfectante. D’un autre côté, certains agents ne peuvent bien produire leurs effets que si les corps sur lesquels ils agissent sont imprégnés d’humidité : les fumigations de chlore sec, d’acide azotique sont dans ce cas. L’eau doit donc être prise en grande considération puisqu’elle joue un grand rôle soit comme véhicule de désinfectants, soit comme désinfectant elle-même.

Des lessives alcalines.

La pratique des lessives alcalines n’est qu’une application de ce que je viens de dire pour l’eau, à laquelle on associe des bases telles que la chaux, la potasse, la soude, souvent même des sels tels que carbonate, permanganate de potasse, etc. Ces lessives peuvent être employées chaudes ou froides ; chaudes elles sont plus actives. Elles agissent non en neutralisant les virus que certains auteurs considéraient comme acides, mais en dissolvant les matières animales et en s’emparant des divers acides qui rentrent dans leur composition. Bien qu’il ne soit pas établi que les alcalins agissent d’une manière directe sur les virus, ils ont au moins l’avantage de détruire leur véhicule ; ils facilitent de cette manière, par le lavage, le transport des particules virulentes. Ces lessives alcalines sont très employées ; le plus souvent on utilise l’eau saturée de carbonates de potasse, de soude, les eaux savonneuses. On en lave les mangeoires, harnais, couvertures, etc.

La chaux délayée dans de l’eau est plus spécialement employée pour blanchir les murailles, le sol des écuries, etc. Ce dernier agent est connu depuis très-longtemps et d’une grande efficacité vu son affinité pour les acides.

Je ne puis passer sous silence la description du permanganate de potasse, sel dont la valeur désinfectante n’est connue que depuis peu, puisque c’est à Condy que l’on doit de l’avoir utilisé le premier en 1859. En effet, dissous dans l’eau, ce sel se décompose très facilement en présence d’une matière organique : il se dégage de l’oxygène qui agit sur cette matière et il reste de l’oxide manganique. Il agit aussi sur les composés hydrogénés de soufre, de phosphore, de carbone en les décomposant. Suivant plusieurs auteurs il changerait complétement la nature de la putréfaction des matières animales, au moins quant aux effets de cette dernière, en empêchant l’ammoniaque de se dégager puisqu’il formerait des nitrates. On est même allé jusqu’à prétendre que son action destructive des microzoaires et des microphytes empêchait sur une plaie la formation des globules purulents. Il est probable que ces partisans de la doctrine allemande sont allés un peu loin. Quoi qu’il en soit, contentons-nous de regarder ce sel comme un excellent agent de désinfection, qu’on peut employer dans tous les cas où les lessives alcalines sont indiquées. À la dose de 1/1000 l’eau peut être désinfectée sans que les animaux qui boivent de cette eau en soient incommodés. Les pailles, les fumiers pourraient aussi être soumis à ce procédé s’il n’offrait l’inconvénient d’être un peu trop cher.

Des fumigations.

La pratique des fumigations usitées pour désinfecter est depuis fort longtemps connue. On utilise cette manière d’appliquer les agents désinfectants quand on veut surtout agir sur les virus volatils ou sur les divers gaz mélangés à l’air atmosphérique.

Un procédé des plus anciens consistait à brûler des substances aromatiques, afin que les vapeurs qui se dégageaient pendant la combustion pussent se répandre dans le local. Pendant longtemps on a cru à l’efficacité de cette manière de procéder ; mais l’expérience a eu raison de cette idée et actuellement on n’emploie ces matières que pour masquer la mauvaise odeur de certains milieux.

Des Fumigations acides.

Les fumigations acides ont succédé aux fumigations aromatiques et se sont généralisées à cause de l’idée qu’on se faisait alors des virus. De même que Mitchill avait employé les substances alcalines dans le but de détruire l’acidité des miasmes et des virus, plus tard Boissieu et Smith employèrent les acides pour neutraliser l’alcalinité qu’ils leur supposaient.

Parmi les désinfectants acides usités, je citerai d’abord l’acide acétique ou vinaigre. Il est employé, soit en fumigations, soit en aspersion. Bien que ses vapeurs soient peu expansibles, il peut agir sur certains locaux où l’ammoniaque se trouve renfermée ; il la condense alors assez rapidement. C’est d’ailleurs sa principale propriété, car son action sur les matières virulentes est nulle, bien qu’on ait cru le contraire pendant très longtemps. Il produit cependant un effet rafraîchissant qu’il ne faut pas dédaigner ; aussi est-il souvent utilisé à ce titre. L’acide pyroligneux peut le remplacer dans les mêmes circonstances.

L’acide azotique, employé pour la première fois en France par Boissieu, en 1767, a eu beaucoup de vogue. Il s’est d’abord propagé en Angleterre et aux États-Unis, où Smith le fit connaître. Pour faire dégager l’acide, voici comment on opère : On met, par exemple, dans un vase de terre 100 gr. d’azotate de potasse, et, après avoir placé ce vase sur un réchaud au milieu de l’écurie, on y verse 90 à 100 gr. d’acide sulfurique. L’acide sulfurique décompose le sel, s’empare de la potasse et laisse dégager l’acide azotique sous forme de vapeurs blanches très expansibles. La proportion ci-dessus indiquée suffit pour opérer la désinfection d’un local de 20 m. c. Cette opération doit durer environ dix heures ; après ce temps on ouvre les portes et fenêtres et on renouvelle l’air par les procédés déjà connus.

L’acide chlorhydrique, de même que ce dernier, a été employé en fumigations. Ses vapeurs sont plus expansibles, mais son action destructive de la matière organique paraît être moindre. Ces deux acides agissent sur les matières organiques imprégnées de virus en détruisant ces matières, qui ne sont que le véhicule de ceux-ci. Ils facilitent ainsi le transport des virus par les divers agents physiques que j’ai déjà décrits ; les faits prouvent en effet leur efficacité. Ces acides neutralisent, en outre, avec facilité les gaz méphitiques de nature alcaline, et ils sont d’un bon usage pour désinfecter les matières organiques en voie de putréfaction.

L’acide sulfurique est aussi employé ; mais ses vapeurs, d’une densité considérable, font qu’on lui préfère l’acide azotique ou chlorhydrique qui, d’ailleurs, ont une plus grande action destructive. Quand on l’utilise, ce n’est guère que pour le fumier dont il peut fixer l’ammoniaque.

L’acide sulfureux est d’un plus grand usage, bien que ses vapeurs soient très irritantes ; mais la facilité avec laquelle elles se répandent l’ont fait souvent employer. Il est conseillé surtout par les auteurs qui croient à la nature parasitaire des virus. Son action antiparasitaire est en effet incontestable ; aussi mérite-t-il d’être utilisé à ce titre. On obtient les vapeurs d’acide sulfureux en projetant du soufre sur des charbons incandescents ou en brûlant des mèches de coton ou de fil imprégnées de ce corps. L’acide sulfureux a produit de bons effets surtout pour désinfecter les étables où régnait la péripneumonie contagieuse. Quel est donc son mode d’action ? Outre la propriété antiparasitaire que nous lui connaissons, l’acide sulfureux est très avide d’oxygène, et c’est en s’emparant de cet élément qu’il détruit les substances organiques. Je puis citer, comme exemple très remarquable, son action sur les matières colorantes et surtout sur la chlorophylle. Connaissant ces propriétés, il est facile de concevoir qu’il puisse, en se répandant si facilement au sein de l’atmosphère, aller à la recherche du principe contagieux, que celui-ci soit répandu dans le milieu ambiant ou sur la peau des animaux. L’acide sulfureux ainsi mis en contact avec le virus produira son action, dont l’efficacité doit exister, puisque des faits tendent à la prouver.

L’emploi en fumigation de l’acide sulfureux est désigné sous le nom de sulfurisation. Cette opération peut être pratiquée dans les écuries ou étables pendant que les animaux y séjournent ou qu’ils en ont été sortis. Dans le premier cas, 2 gr. de soufre par mètre cube d’air suffisent ; dans le second, on peut aller jusqu’à 6. Les bêtes soumises à la sulfurisation doivent être surveillées. Pendant qu’on opère, il convient de tenir les animaux prêts à être détachés en cas de suffocation, et on s’assure, en entrouvrant la porte à intervalles rapprochés, de l’état des animaux. La respiration agitée, des quintes de toux sont des signes indiquant l’urgence de sortir les animaux qui les présentent ; ils ne doivent guère y rester plus de vingt minutes. Les animaux étant sortis, l’opération peut se continuer, et ordinairement on la fait durer deux ou trois heures. Après ce délai, on doit ouvrir de manière à permettre les services et à rétablir l’aération usuelle. Quant au nombre de sulfurisations nécessaires, il n’a rien de fixe ; il convient cependant d’en faire six ou sept, une par jour, et le matin de préférence, alors que les animaux sont à jeûn. Dans le cas où on n’aurait pas à se préoccuper des animaux, une seule fumigation peut suffire en la prolongeant.

Quoiqu’il en soit du mode d’action de l’acide sulfureux sur les virus et sans en tenir compte, je dirai qu’il a produit de bons résultats comme désinfectant entre les mains de notre savant professeur M. Lafosse, dans le cas de péripneumonie contagieuse, et qu’il doit être utilisé à ce titre, surtout dans les étables où cette maladie sévit.

Procédé Balcells

Je ne puis passer sous silence un procédé de désinfection depuis peu employé, puisque ce n’est qu’en 1821 que J. Balcells l’utilisa le premier, et qui a fait un grand bruit dans le monde scientifique. Voici en quoi il consiste : Après avoir constaté l’insuffisance de l’eau de chaux, des lessives alcalines, des lotions d’acide acétique et autres moyens, Balcells proposa à la municipalité de Barcelonne, qui l’avait requis en cette circonstance, l’usage combiné ou isolé du bichlorure de mercure, du binitrate de mercure et de l’acide nitrique. Il s’appuie sur ce que « à l’exception du potassium, du fluor et de quelques autres corps qui ne sauraient être employés dans des opérations en grand, ceux qui agissent le plus sur les substances organiques sont le perchlorure de mercure (sublimé corrosif), le pernitrate de mercure et l’acide nitrique. » Et ces propriétés sont prouvées d’une manière évidente par « la promptitude avec laquelle le premier précipite l’albumine, la rapidité avec laquelle le second l’oxyde et la déazotise, et par la saveur insupportable du troisième et la facilité avec laquelle il tue les êtres animés. » Partant de ces principes, Balcells emploie une solution de binitrate de mercure qu’il affaiblit par 30 ou 60 fois son poids d’eau. Avec cette solution on lave les objets infectés, et, après les avoir fait sécher, on les expose à une fumigation d’acide chlorhydrique. « Au moyen de ces deux opérations successives, dit Balcells, on appliquerait trois agents de désinfection, car le gaz chlorhydrique décomposant une partie du pernitrate de mercure, il se formerait du perchlorure de mercure et de l’acide nitrique. » On pourrait employer les trois désinfectants séparément ; mais Balcells accorde la préférence au premier moyen, qui, selon lui, a l’avantage d’économiser et le temps et les dépenses.

Le procédé que je viens de décrire n’est propre que pour la désinfection des objets qui peuvent être lavés sans inconvénient, comme les murs, crèches, etc. ; il n’en est pas de même pour la désinfection de l’eau. C’est pourquoi Balcells imagina un second procédé qui semble lui avoir été suggéré par celui que le père Léon employa le premier en France de 1666 à 1669. Voici en quoi il consiste : Il s’agit « de faire détonner dans le local une quantité déterminée de cinabre et d’oxyde d’arsenic, mêlés à de la poudre à canon ou à tout autre mélange fulminant. » De cette manière ces deux corps se répandent dans toute l’atmosphère ambiante « le premier, partie à l’état de sulfure de mercure et partie à l’état de mercure coulant ; le second, partie à l’état d’oxyde et partie à celui de sulfure d’arsenic. » Tel est le procédé Balcells. Dans notre médecine il offre des inconvénients considérables qui font qu’on le néglige le plus ordinairement. En effet bien que ses réactions chimiques soient justes, il n’a été fait aucune expérience capable de prouver qu’il détruit réellement l’activité virulente, d’un autre côté, son application est longue, difficile et surtout d’un prix trop considérable en médecine vétérinaire pour qu’il soit préféré aux autres procédés.

Du Chlore et des Chlorures alcalins.

Le chlore est le désinfectant dont la réputation semble le mieux être établie, bien que sa propriété antivirulente ne soit pas suffisamment prouvée. Il est le plus habituellement employé en fumigations ; Guyton de Morveau les préconisa le premier ; aussi les désigne-t-on souvent sous le nom de fumigations guytoniennes. On peut aussi l’incorporer à l’eau ; il constitue ainsi l’eau chlorée employée en lavages ou en aspersions.

Le chlore est depuis longtemps et encore de nos jours considéré, par la plupart des auteurs, comme le désinfectant par excellence. Nous verrons plus loin, jusqu’à quel point on doit lui accorder cette faculté. Le mode d’action du chlore et des chlorures alcalins est le même pour ces divers agents. Ils agissent en s’emparant de l’hydrogène des matières organisées et les décomposent ainsi pour former de l’acide chlorhydrique. Ils neutralisent ou décomposent les gaz méphitiques en s’emparant des principes ammoniacaux qu’ils renferment et sont par cela même de puissants désinfectants des fosses d’aisances.

Il y a plusieurs manières de préparer le chlore quand on veut l’employer en fumigations. Si on veut faire agir le chlore sec, bien plus actif que lorsqu’il est saturé d’humidité, on emploie la préparation suivante :

Sel marin · · · · · · · · · · 750 gr.
Péroxyde de Manganèse 250 —
Acide sulfurique · · · · · · 500 —

Le sel marin et le peroxyde sont mis dans un vase de terre qu’on chauffe légèrement ; puis on y ajoute peu à peu l’acide sulfurique. On peut aussi traiter directement le peroxyde de manganèse par l’acide chlorhydrique. Le chlorure de chaux traité par un acide peut aussi être utilisé ; traité par l’acide sulfurique, le dégagement de chlore se ralentit peu à peu et finit par cesser tout à fait parce qu’il se forme une pâte consistante de sulfate de chaux qui empêche le dégagement. On remplace parfois dans ce dernier cas l’acide sulfurique, par l’acide acétique ou vinaigre ; mais alors le chlore qui se dégage contient une certaine quantité de vapeur d’eau qui amoindrit ses effets.

On n’est guère d’accord sur la quantité de chlore suffisante pour obtenir un effet désinfectant convenable ; plusieurs auteurs expliquent même par ce défaut de quantité les résultats douteux que l’on a obtenus dans quelques circonstances. C’est pourquoi, dans les cas graves surtout, il ne faut pas négliger d’en saturer l’atmosphère d’une manière complète. La proportion indiquée ci-dessus suffit pour obtenir de bons effets dans un local de 20 à 25 mètres cubes. Avant de faire dégager les vapeurs de chlore, il y a indication d’aérer, de râcler, de laver toutes les parties solides à l’aide des divers moyens déjà indiqués ; puis, les issues étant parfaitement closes, on doit commencer la fumigation. L’appareil est placé au milieu du local en ayant le soin de le tenir assez élevé pour faciliter l’expansion du gaz qui est assez lourd. Au bout de deux ou trois heures, on pourrait arrêter la fumigation ; mais il est toujours plus avantageux de n’ouvrir les portes et fenêtres que lorsque les vapeurs se sont entièrement dissipées d’elles-mêmes, par exemple après vingt-quatre heures.

On peut considérer le chlore comme un excellent désinfectant, car ses effets ne sauraient être niés quand il agit sur les gaz produits par la décomposition des matières animales, mais il n’en est pas de même pour son action antivirulente ; le plus grand désaccord règne en effet sur ce point. D’après M. Reynal, prétendre que le chlore à la propriété de détruire les virus, c’est tomber dans l’exagération, c’est méconnaître les enseignements de la pratique et de l’expérience. Et il cite des faits nombreux appuyant cette conclusion. C’est d’abord Nysten en 1804 qui reconnaît son inutilité dans les épidémies qui ont régné à Malaga et à Carthagène, Vic-d’Azir en 1774 et 1775 contre le typhus contagieux et Gronier en 1816. Plus récemment Jessen, Husson, Verheyen, Triollet, Bousquet et surtout Renault, en ont encore reconnu l’inefficacité dans la morve, la rage, le charbon, etc. M. Reynal l’a plusieurs fois employé sans résultats dans la péripneumonie du gros bétail. Cependant des expériences de Labarraque, de Weïss, d’Hertroig, du Rueff, de Gerlach sont diamétralement opposées aux premières et viennent confirmer l’opinion de Guyton de Morveau, de Hallé, de Chaussier et d’Hurtrel d’Arboval sur la valeur désinfectante du chlore et de ses composés.

Je n’entre point en discussion sur la valeur des opinions présentées par des auteurs aussi recommandables. Il me suffit de les avoir signalées. Quoi qu’il en soit du doute qui règne sur la valeur désinfectante de ce corps, je crois qu’il est utile d’employer les fumigations de chlore pour la désinfection des locaux inhabités ; l’eau chlorée pourra aussi être utilisée pour le lavage des divers ustensiles ; mais on devra le rechercher surtout pour détruire les effets nuisibles produits par la putréfaction des matières animales.

Quant aux divers chlorures alcalins tels que ceux de chaux et de soude, ils sont employés au même titre que le chlore ; ce n’est d’ailleurs que par ce corps qu’ils ont une propriété réellement active. Le chlorure de chaux est préféré dans la pratique au chlorure de soude pour deux raisons : d’abord il est d’un plus bas prix et ensuite il laisse dégager quand il est sec une partie du chlore combiné à la chaux. On les emploie particulièrement pour désinfecter à l’aide de lavages les murailles, mangeoires, râteliers, instruments de pansage, etc. D’après M. Raynal un litre de chlorure de soude concentré, préparé suivant le procédé Labarraque et mélangé à dix ou douze fois son poids d’eau, est considéré comme suffisant pour la désinfection d’une écurie de 3 à 4 chevaux. Pour le chlorure de chaux sec on l’emploie dans la proportion de un à deux kilogrammes pour 600 m. c. d’air environ.

La conservation facile et surtout le bon marché font de ces agents de précieux désinfectants qu’on ne doit pas négliger d’utiliser en médecine vétérinaire.

De l’acide phénique.

Il me reste maintenant, pour compléter l’étude des moyens désinfectants, à m’occuper d’un corps qui, quoique découvert depuis peu, a fait grand bruit dans le monde médical et comme traitement des maladies septiques et comme agent de désinfection : je veux parler de l’acide phénique. Cet acide passe actuellement comme un des désinfectants les plus certains, et son application se généralise de plus en plus. Son action se porte d’un côté sur les matières albuminoïdes qu’il coagule ; d’un autre, sur les parasites animaux ou végétaux, dont il est le destructeur par excellence. En empêchant la formation des infiniment petits et en coagulant les matières albuminoïdes, il enraye la décomposition putride des matières animales ou végétales et peut être considéré comme un des plus puissants conservateurs de ces substances. Il agirait, en outre, comme désoxydant et provoquerait, d’après certains auteurs, la formation d’ozone dans l’air atmosphérique. La puissance antiseptique de cet agent est un fait acquis à la science. Il empêche la formation de bactéridies dans le sang en putréfaction, et l’action qu’il exerce sur les microzoaires et les microphytes, qu’ont mise en évidence MM. Lemaire et Desmartis, nous permet de croire à ses effets sur les miasmes et les effluves. Il est donc considéré, par les auteurs qui croient à la nature parasitaire des maladies virulentes, comme un des meilleurs désinfectants. On peut utiliser l’acide phénique à ce titre, mais non d’une façon isolée. L’eau phéniquée pourra donc être employée avant la pratique des fumigations désinfectantes ci-dessus signalées ; cette opération faite au préalable sera même excellente, puisqu’elle ajoutera à la valeur désinfectante des fumigations elles-mêmes.

Le goudron, le coaltar, qui rentre dans la composition de la poudre de Corne, peuvent être utilisés au même titre que l’acide phénique, mais ils ont moins d’efficacité que ce dernier. On pourrait aussi employer le tannin, l’alun, le sulfate et le perchlorure de fer, le chlorure de zinc et la plupart des sels de cuivre ; mais le prix de revient de ces divers agents, mis en face de leur valeur désinfectante, fait qu’on ne les emploie que dans des cas exceptionnels ; c’est pourquoi je ne les décrirai point ici, étant d’ailleurs avantageusement remplacé par ceux dont je me suis occupé.

Manière de désinfecter

Il me reste à indiquer aussi brièvement que possible, les objets divers sur lesquels doit porter la désinfection et les règles générales à suivre pour la pratique de cette opération.

Il ressort des considérations générales que j’ai déjà exposées sur les moyens désinfectants, que la dessiccation et le calorique ont seuls la propriété d’annihiler l’action virulente d’une manière certaine. Ce fait est d’une grande importance et sert de base aux moyens à employer pour opérer la désinfection. Le meilleur procédé sera donc celui qui permettra de désinfecter les matières animales en détruisant les virus dont elles sont le plus souvent imprégnées. L’expérience ayant appris que le chlore, les chlorures et les diverses fumigations acides sont les corps qui ont le plus d’action sur ces matières animales, il suffira de les associer au calorique ou à la dessiccation pour obtenir les effets désirés. C’est le plus habituellement à l’eau qu’on associe la chaleur nécessaire. — D’après ces données, pour bien pratiquer la désinfection, il faut agir sur tous les corps qui ont été en contact avec les foyers contagieux ou qui ont pu se charger des particules virulentes. — L’homme et les divers animaux domestiques peuvent être dans ce cas ; outre les animaux malades ou morts de maladies contagieuses, je citerai les fumiers, excréments, pailles, fourrages, harnais, etc. et surtout les habitations qui ont servi à ces animaux. — L’air du local doit être aussi désinfecté avec soin, surtout dans le cas de maladies contagieuses se propageant par virus volatil. — Dans les maladies infectieuses ou miasmatiques on doit porter toute son attention sur l’air, l’eau et les aliments destinés aux animaux.

Voici maintenant l’ordre que l’on suit le plus habituellement quand il s’agit de désinfecter un local infecté. On déplace d’abord les animaux et on enlève ensuite tous les matériaux directement en contact avec ceux-ci tels que les fumiers, la litière et les débris de fourrages. On a conseillé de brûler ces diverses substances, je crois qu’il vaut mieux les enfouir et attendre qu’elles soient complètement transformées en fumier, à moins cependant qu’elles n’aient été en rapport avec des animaux atteints d’une maladie très contagieuse, comme le typhus par exemple. Dans ce cas, pour éviter les émanations qui peuvent se dégager du sein de la terre et pour agir avec plus de sûreté contre une si grave affection, il est préférable d’employer le premier moyen. — On réunit ensuite les ustensiles d’écurie ; les pelles, fourches, balais, brouettes, etc., et les instruments de pansage tels que brosses, étrilles, éponges, couvertures ; les harnais, les licols, les linges, etc. enfin tous les objets qui sont destinés à l’usage des animaux. Ces objets divers étant réunis, on conserve pour la désinfection ceux qui ont encore quelque valeur ; quant aux autres on les enfouit avec le fumier ou on les brûle.

Ces opérations premières terminées, toute l’attention de l’opérateur doit se porter sur le local. On pratique d’abord l’aération suivant les règles précédemment indiquées ; le renouvellement de l’air étant effectué, on fait balayer avec beaucoup de soin l’intérieur de l’écurie ou de l’étable : la poussière et les toiles d’araignées doivent être soigneusement enlevées des murailles. On procède ensuite au raclage du sol ; si ce sont des pavés on les dégarnit par le grattage ; si le sol de l’écurie est en terre on en enlève une couche qui peut varier entre 10 et 15 centimètres, qu’on remplace ensuite par une couche fraîche.

Ces opérations minutieusement exécutées, on lave avec de l’eau bouillante pure ou chargée de sels alcalins, les murs, les auges, les râteliers, etc. On se sert ensuite de balais ou de brosses rudes pour frotter les objets ainsi inondés. Pendant le cours de cette dernière opération et surtout après qu’elle a été faite on a le soin de laisser les fenêtres et les portes ouvertes, afin que l’action dessiccative de l’air puisse s’exercer d’une manière plus prompte et plus efficace. Il est même bon, quand on veut agir avec plus de sûreté, de laisser les écuries sous l’influence de cette dessiccation pendant deux ou trois semaines.

Les divers ustensiles d’écurie et de pansage pourront être traités de la même manière. On passera à la lessive les couvertures et autres objets susceptibles de pouvoir être ainsi lavés.

Quant aux harnais on se borne le plus souvent à les laver à l’eau bouillante à laquelle on ajoute parfois du chloruré de chaux ou de soude qui augmentent sa propriété désinfectante. Comme le cuir devient cassant après cette opération, on a le soin, après la dessiccation ou bien avant qu’elle ne se soit complétement produite de l’imprégner de substances grasses, comme l’huile de pied de bœuf, qui lui donnent de la souplesse et lui conservent son humidité.

Quand on est en présence de maladies très-contagieuses, telles que le typhus, la morve ou la péripneumonie, il est bon, par surcroît de précaution, d’ajouter à ces divers lavages des fumigations de chlore, d’acide sulfureux, etc. Les murs peuvent être passés à l’eau de chaux ainsi que les divers ustensiles sus-indiqués.

Quant aux divers produits des animaux, comme les peaux, on les soumet à l’action simultanée de la rosée et de l’air. Ces deux agents en produisant la dessiccation suffisent pour enlever aux matières animales leur propriété contagifère. Mais si la présence des habitations voisines ou la saison empêchent une pareille opération, on a conseillé, en pareil cas, de les soumettre à une forte salaison, de les exposer aux fumigations acides ou chlorées, préférablement celles de chlore.

Telle est résumée, aussi succinctement que possible, la règle que l’on doit suivre pour la pratique de la désinfection en général. Cette opération devra être pratiquée avec d’autant plus de soin que la maladie sera plus contagieuse ; ces distinctions sont tout à fait du ressort du praticien et appartiennent à la police sanitaire de chaque maladie en particulier. Ce sera donc au vétérinaire d’appliquer, dans leur juste mesure, les considérations générales précédemment indiquées.


CONCLUSION

Il ressort des considérations auxquelles je me suis livré sur la désinfection, que cette opération est une des plus délicates, parce qu’avant tout elle doit être complète et des plus importantes, quand on considère les effets qu’il s’agit d’obtenir. Elle doit combattre en effet des agents qui semblent, pour ainsi dire, en lutte continuelle contre l’économie animale, et tout en respectant celle-ci elle doit détruire ceux-là. L’opération est surtout minutieuse en ce sens qu’elle doit être générale : son action doit s’étendre en effet tant sur les êtres organisés que sur les êtres inanimés. Enfin, c’est une mesure tout à fait pratique que tout propriétaire devrait savoir comprendre et pratiquer.

L’opération exige pour qu’elle soit appliquée d’une manière intelligente, des connaissances solides de chimie, de physique, d’hygiène générale et spéciale. C’est, par le fait même, une des opérations les plus avantageuses pour poser un jeune praticien, comme aussi une des plus propres à le discréditer, si, par son incurie, il ne déploie toute l’énergie nécessaire pour la conduire à bonne fin.

L. C.

IMPRIMERIE
DU PROGRÈS
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CASTRES (Tarn).