De la nature/Notes du livre VI

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Traduction par divers traducteurs sous la direction de Charles Nisard.
Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètesFirmin Didot (p. 152-153).


LIVRE VI.


v. 1. Primæ frugiparos fœtus mortalibus ægreis
        didicerunt quondam præclaro nomine Athenæ.

On croyait que les habitants d’Athènes avaient découvert l’art de l’agriculture. Diodore de Sicile nous apprend que ces peuples se vantaient d’avoir, les premiers, formé une société régie par des lois : telle était du moins l’opinion commune ; mais, à l’époque de la fondation d’Athènes, plusieurs peuples orientaux étaient civilisés dès longtemps, et peut-être les Athéniens faisaient-ils partie d’une colonie envoyée d’Asie pour s’établir dans les plus riantes contrées de l’Europe.

v. 86. Ne trepides cœli divisis partibus amens. Lucrèce parle ici de la division que les prêtres devins, appelés fulguratores, assignaient à la voûte céleste, afin de déterminer les différents effets du tonnerre, d’après lesquels ils rendaient leurs oracles.

v. 346. Forsitan ipso veniens trahat aere quædam
      Corpora, quæ plagis incendunt mobilitatem
.

On ne peut assez admirer le discernement de Lucrèce, qui pressentit une partie des propriétés de l’air. L’expérience a confirmé plusieurs de ses hypothèses sur l’action de ce fluide, dont les effets restèrent ignorés jusqu’au moment où Pascal, Torricelli, Boyle, Otto et autres démontrèrent sa pesanteur, sa compressibilité et ses ressorts ; mais on ne savait pas encore que l’atmosphère est un mélange de deux fluides qui, pris séparément, sont transparents, compressibles, pesants, élastiques à peu près comme l’air atmosphérique, et qui néanmoins ont des qualités physiques très-différentes,

v. 424. Πρηστῆρας Graici quos ab re nominitarunt. Lucrèce croit devoir rapporter l’origine du mot prester, qui, en effet, a pour racine le verbe πρήθω, brûler, enflammer, gonfler, souffler. Le dangereux phénomène que les Grecs appelaient πρηστήρ était nommé par les Latins typho et scypho ; les Français lui donnent le nom de trombe. Les anciens et les modernes ne sont pas absolument d’accord sur les causes des trombes ; les uns et les autres l’expliquent d’une manière vraisemblable ; la description donnée par Lucrèce est très-ingénieuse, et fait connaître l’idée qu’en avaient conçue les physiciens de son temps,

v. 524. Hic ubi sol radiis, tempestatem inter opacam,
        Advorsa fulsit nimborum adspergine contra ;
        Tum color in nigris existit nubibus arqui.

Cette définition de l’arc-en-ciel est assez heureuse ; la véritable cause de ce phénomène fut pour les anciens un problème insoluble. Les modernes ne l’ont deviné qu’après de longues et minutieuses recherches.

« L’iris ou l’arc-en-ciel ne paraît que dans un air chargé d’un nuage fondant en pluie. Il est occasionné par la lumière du soleil, réfléchie une ou plusieurs fois dans les petites gouttes dont le nuage est formé. Suivant la position de ces gouttes, les unes envoient à l’œil de l’observateur les rayons rouges de la lumière décomposée ; d’autres, les rayons oranges, ou jaunes, ou violets, etc. ; de sorte que chaque goutte qui concourt à former l’iris paraît de la couleur de la lumière qu’elle envoie à l’œil.

« Le météore, pris dans toute son étendue, est un cercle entier, dont il n’y a de visible que la partie qui est au-dessus de l’horizon. Il se dérobe absolument à notre vue lorsque le soleil dépasse une certaine hauteur : ainsi, dans les longs jours d’été, on ne voit pas d’arc-en-ciel entre neuf heures du matin et trois heures du soir ; dans l’hiver, on peut en voir à toutes les heures, lorsque le soleil est sur l’horizon, et que les autres circonstances sont favorables.

« La lumière de la lune produit aussi des iris plus faibles que celles du soleil, subordonnées aux mêmes lois. »

v. 535. Nunc age, quæ ratio terrai motibus exstet, Percipe. Lucrèce donne pour cause des tremblements de terre, l’eau, l’air et la terre elle-même, et n’y fait point participer le feu, qui, dans les causes d’un pareil phénomène, semble devoir se présenter le premier ; le poëte se rapproche, en quelque sorte, de l’opinion de plusieurs physiciens modernes. Au surplus, tous les moyens supposés par Lucrèce sont ingénieux, et sans cesse revêtus des ornements d’une poésie aussi pittoresque qu’harmonieuse. Voici quelles sont les conjectures des savants modernes sur ce phénomène :

La terre est, en une infinité d’endroits, remplie de matières combustibles ; presque partout s’étendent des couches immenses de charbon de terre, des amas de bitume, de tourbe, de soufre, d’alun, de pyrites, etc., qui se trouvent enfouis dans l’intérieur de notre globe. Toutes ces matières peuvent s’enflammer de mille manières, mais surtout par l’action de l’air, qui est répandu, comme on n’en peut douter, dans tout l’intérieur de la terre, et qui, dilaté tout à coup par ses embrasements, fait effort en tous sens pour s’ouvrir un passage. Personne n’ignore les effets qu’il peut produire quand il est dans cet état. L’eau contenue dans les profondeurs de la terre contribue aussi de plusieurs manières à ces tremblements, parce que l’action du feu réduit l’eau en vapeurs ; et l’on sait que rien n’approche de la force de ces vapeurs. Il faut observer aussi que l’eau, en tombant tout à coup dans les amas de matière embrasée, doit encore produire des explosions terribles ; elle anime les feux souterrains, parce que, dans sa chute, elle agite l’air, et fait la fonction des soufflets de forge. Enfin elle peut concourir aux ébranlements de la terre, par les excavations qu’elle fait dans son intérieur, par les couches qu’elle entraîne après les avoir détrempées, et par les chutes et les écroulements qu’elle occasionne.

v. 849 Esse apud Hammonis fanum fons luce diurna
        Frigidus, et calidus nocturno tempore fertur.

Quinte-Curce décrit ainsi cette fontaine, liv. iv, ch. 7 :

« Au milieu de la forêt d’Ammon se voit une fontaine qu’on appelle l’Eau du soleil. Au lever de cet astre, elle est tiède ; à midi, lorsque la chaleur est au plus haut degré, elle devient très-fraîche ; à mesure que le jour décline, elle s’échauffe, de manière qu’à minuit elle est presque bouillante ; et plus l’aurore s’approche, plus l’eau perd de sa chaleur, jusqu’à ce qu’au matin elle retrouve sa tiédeur accoutumée. »

v. 880. Frigidus est etiam fons…… Cette fontaine est celle de Jupiter Dodonien, et Pline la décrit en ces termes, Hist. Nat., liv. II, ch. 103 :

« La fontaine de Jupiter, à Dodone, quoique assez froide pour éteindre les flambeaux allumés qu’on y plonge, a pourtant la propriété de les rallumer quand on les en approche. »

v. 908. … Lapis hic ut ferrum ducere possit,
        Quem Magneta vocant patrio de nomine Graiei.

L’aimant fut et dut être longtemps une merveille pour les hommes. Les anciens n’avaient trouvé cependant qu’une partie de ses propriétés ; elles sont si connues, qu’il est inutile d’en offrir l’explication : je remarquerai seulement qu’au temps de Lucrèce, une partie de l’enthousiasme pour cette pierre existait encore ; c’est à cette raison qu’on doit attribuer la peine qu’il se donne d’en expliquer si longuement la nature et les effets. Cependant les commentateurs reconnaissent qu’une partie de ce passage a été supprimée ; et en effet Lucrèce, après avoir accumulé tant de notions préliminaires, semble atteindre la conclusion un peu brusquement. Le Blanc de Guillet, s’appuyant sur les réflexions de Gassendi, a imaginé de suppléer à la lacune qu’il croyait remarquer dans Lucrèce par des vers latins de sa façon, qu’il a interpolés dans le texte publié en 1788. L’entreprise était bizarre et hardie ; malheureusement Apollon ne favorisait pas plus ce poëte en latin qu’en français. Loin de chercher à ajouter des vers à cette partie du poëme, il faudrait souhaiter que Lucrèce fût arrivé plus promptement à l’admirable épisode qui termine ce dernier chant.

« Épicure, dit Creech, expliquait la force magnétique de deux manières. Il est étonnant que Lucrèce n’en donne qu’une. Il se peut pourtant qu’il les ait données toutes les deux, et qu’il s’en soit perdu une par la négligence des copistes. »

Voici un passage où Gassendi développe l’idée de Lucrèce sur le magnétisme :

« Ipsum Galenus ita refert, a lapide quidem Herculeo, ferrum ; a succino vero paleas attrahi, etc. Quippe effluentes atomos ex lapide illo ita figuris congruere cum illis, quæ ex ferro effluunt, ut in amplexus facile veniant. Quamobrem impactas utrinque (nempe in ipsa tam lapidis, quam ferri corpora concreta) ac resilientes deinde in medium circumplicari invicem, et ferrum simul pertrahi. Sic Epicurus apud illum. Haud abs re vero insinuavi præmissa illa a Lucretio videri huic modo potissimum accommodata. Imprimis enim, juxta ipsum, constabunt, tam magnes, quam ferrum, ex corpusculis consimilibus, consimiliaque etiam inania spatiola habebunt ; et maxime quidem quum, ut Alexander subolfecit, et ipsi alibi dicimus, magnes et ferrum ex eadem sint vena. Quare et effluentes ex magnete atomi, quum in ferrum incurrent, ita subibunt ejus substantiam, ut consimilibus hærentes, partim resiliant, cohærentesque abducant ; partim hæ alias exsilituræ ipsas compellant, et consequantur : adeo ut, quum reciproce atomi, ex ferro incurrentes in magnetem simile quid præstent, necesse sit atomos utrimque partim regredientes, sed implicitas tamen, in medium confluere, et propter cohæsionem utrarumque cum iis exquibus ipsæ magnetis et ferri in medium coire. Et dicitur tamen, aut censetur ferrum ad magnetem potius, quam magnes ad ferrum accedere, ex communi usu, vulgaribusque experimentis, quibus lapidi magnæ molis, aut manu detento, ferri frustula apponuntur : ita nimirum necesse est, ut, quia vel major ex magnete quam ex ferro emanat vis, vel lapis cohibetur vi ne ad ferrum properet, idcirco ferrum non in medium solum, sed in manetem etiam immotum feratur ; nequicquam certe Alexander requirit ex antiquis illis, cur, si effluxus mutui veri sunt, non tam magnes ad ferrum, quam ferrum ad magnetem tendat ? quippe si ipse rem explorasset, sese id absurde quærere novisset. »

(Gassendi, Op., t. ii, p. 125.)