De la non-délivrance chez la vache au double point de vue de la pathologie et de la jurisprudence commerciale

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ÉCOLE IMPÉRIALE VÉTÉRINAIRE DE TOULOUSE

DE LA NON-DÉLIVRANCE
CHEZ LA VACHE
AU DOUBLE POINT DE VUE
De la Pathologie et de la Jurisprudence
commerciale.

THÈSE POUR LE DIPLÔME DE MÉDECIN-VÉTÉRINAIRE
Présentée le 23 Juillet 1875
PAR
DELRIEU (Émile)
De Sept-Fonds (Tarn-et-Garonne).
Séparateur
TOULOUSE
IMPRIMERIE DES ORPHELINS JULES PAILHÈS.
36, Rue des Filatiers, 36.
1875


ÉCOLES NATIONALES VÉTÉRINAIRES

inspecteur général
M. H. BOULEY, O. ❄, membre de l’Institut de France, de l’Académie de Médecine, etc.



ÉCOLE DE TOULOUSE

directeur

M. LAVOCAT ❄, membre de l’Académie des sciences de Toulouse, etc.

professeurs :

MM. LAVOCAT ❄, Tératologie.
Anatomie des régions chirurgicales.
LAFOSSE ❄, Pathologie spéciale.
Police sanitaire et Jurisprudence.
Clinique et Consultations.
LARROQUE, Physique.
Chimie.
Pharmacie et Matière médicale.
Toxicologie et Médecine légale.
GOURDON, Hygiène générale et Agriculture.
Hygiène appliquée ou Zootechnie.
Botanique.
Extérieur des animaux domestiques.
SERRES, Pathologie et Thérapeutique générales.
Pathologie chirurgicale et Obstétrique.
Manuel opératoire et Maréchalerie.
Direction des exercices pratiques.
ARLOING, Anatomie générale et Histologie.
Anatomie descriptive.
Physiologie.

chefs de service :
 
MM. MAURI, Clinique, Patholgie spéciale, Police sanitaire et Jurisprudence.
BIDAUD, Physique, Chimie et Pharmacie.
LAULANIÉ, Anatomie générale et descriptive, Histologie, Physiologie.
LAUGERON, Clinique chirurgicale et chirurgie, Pathologie générale, Histologie pathologique, Extérieur et Zootechnie.


JURY D’EXAMEN

MM. H. BOULEY O. ❄, Inspecteur-général.
LAVOCAT ❄, Directeur.
LAFOSSE ❄, Professeurs.
LARROQUE,
GOURDON,
SERRES,
ARLOING,
MAURI, Chefs de Service.
BIDAUD,
LAULANIÉ,
LAUGERON,

――✾oo✾――

PROGRAMME D’EXAMEN

Instruction ministérielle du 12 octobre 1866.
THÉORIE Épreuves
écrites
Dissertation sur une question de Pathologie spéciale dans ses rapports avec la Jurisprudence et la Police sanitaire, en la forme soit d’un procès-verbal, soit d’un rapport judiciaire, ou à l’autorité administrative ;
Dissertation sur une question complexe d’Anatomie, de Physiologie et d’Histologie.
Épreuves
orales
Pathologie médicale spéciale ;
Pathologie générale ;
Pathologie chirurgicale ;
Maréchalerie, Chirurgie ;
Thérapeutique, Posologie, Toxicologie, Médecine légale ;
Police sanitaire et Jurisprudence ;
Agriculture, Hygiène, Zootechnie.
PRATIQUE Épreuves
pratiques
Opérations chirurgicales et Ferrure ;
Examen clinique d’un animal malade ;
Examen extérieur de l’animal en vente ;
Analyses chimiques ;
Pharmacie pratique ;
Examen pratique de Botanique médicale et fourragère ;


À LA MÉMOIRE DE MON PÈRE


Regrets éternels.



À MA MÈRE

Faible témoignage de reconnaissance et de tendresse
filiale.



À TOUS MES PARENTS

Gage de mon attachement sincère.




À MES PROFESSEURS

En souvenir de leurs précieux conseils et de leurs
savantes leçons.




À MES AMIS.


AVANT-PROPOS


La non-délivrance consiste dans le séjour, anormalement prolongé, des enveloppes fœtales dans la matrice après la mise-bas. Quoique peu grave dans la plupart des cas, cette maladie est parfois suivie de complications assez fâcheuses pour nuire pendant long-temps à la principale destination des animaux, le travail, pour débiliter l’organisme, et amener même la mort. De plus, les suites qu’elle entraîne, classées parmi les vices rédhibitoires provoquant des procès toujours dispendieux, on comprendra facilement l’importance de cette affection.

Étudier d’abord les annexes du fœtus et la délivrance physiologique, examiner ensuite les différents points ayant trait à la pathologie ; faire connaître enfin dans un troisième et dernier chapitre, la jurisprudence de la maladie, tel est le plan que je me suis efforcé de suivre dans la rédaction de cette thèse.

Je n’ai rien négligé pour apporter le plus de clarté à mon travail et pour le rendre aussi complet que possible. Je regrette de n’avoir pu le traiter selon toutes les règles du bien dire ; mais si malgré les imperfections de style, le fonds fait passer la forme, mon but sera suffisamment rempli.

D.E.





CHAPITRE PREMIER

Partie anatomo-physiologique

DES ANNEXES DU FŒTUS.

Les annexes du fœtus, au moment de la parturition, comprennent : 1o trois membranes qui sont, en procédant de dehors en dedans ; le chorion, l’allantoïde et l’amnios ; 2o une expansion vasculaire qui établit les adhérences des enveloppes avec l’utérus, c’est le placenta ; 3o enfin un cordon composé de vaisseaux qui rattachent le fœtus aux enveloppes dans lesquelles celui-ci se trouve contenu, et qui vont se ramifier dans les houppes placentaires ; c’est le cordon ombilical.

CHORION.

Le chorion représente un sac parfaitement clos, dont la forme générale rappelle celle de la matrice. Comme celle-ci, elle présente un corps et deux cornes qui sont inégales ; celle dans laquelle s’est développé le fœtus est la plus grande. Sa surface interne est en rapport, en partie avec l’amnios, en partie avec l’allantoïde ; celle-ci la tapisse seule dans les prolongements qui forment les cornes. L’adhérence de ces membranes se fait au moyen d’un tissu cellulaire extrêmement lâche, glutineux et lamelleux. Cette face soutient les nombreuses ramifications vasculaires par lesquelles se termine l’extrémité utérine du cordon ombilical. L’externe est en contact avec la muqueuse utérine ; leur adhérence est empêchée par une humeur visqueuse qui lubrifie les deux surfaces en rapport. Elle est hérissée, de distance en distance, de petites masses rougeâtres qui l’unissent à la matrice ; ce sont les placentas.

ALLANTOÏDE.

L’allantoïde, membrane séreuse beaucoup plus fine que le chorion, est, chez les ruminants, l’unique prolongement de l’ouraque. Elle commence au point où l’amnios abandonne le cordon ombilical. À son origine, elle se présente sous la forme d’un petit canal qui s’élargit peu à peu et unit par un long boyau à deux branches inégales ; celles-ci se dirigent chacune vers une des cornes du chorion. Cette membrane présente donc aussi un corps et deux cornes ; le corps est compris entre une partie du chorion et de l’amnios ; et les deux cornes ne sont en rapport qu’avec le chorion. Partout l’union a lieu par un tissu lamelleux abondant. Chaque corne se termine par un petit ligament qui la fixe à l’extrémité de celle du chorion.

Quand on étudie l’allantoïde isolée et insufflée, on voit que chacune des cornes se contourne sur elle-même, de telle sorte que leur ensemble circonscrit environ les trois quarts d’un cercle. La corne la plus courte est aussi la plus grosse et se dirige du côté où se trouvé la tête du fœtus ; la plus longue correspond aux membres postérieurs du petit sujet. Chez les fœtus complètement développés et même au moment de la naissance, l’allantoïde est en communication directe avec la vessie au moyen de l’ouraque.

Cette cavité renferme un liquide trouble, d’une couleur jaune fauve, d’une saveur fade et légèrement salée. Durant les premiers mois de la vie du fœtus, il renferme une quantité de sucre assez considérable ; mais plus tard cette proportion diminue et l’analyse y démontre l’existence d’urée d’acide urique et d’urates. Aussi considère-t-on ce liquide comme étant le produit de la sécrétion urinaire du fœtus.

Cette humeur tient en suspension divers filaments blanchâtres et peu consistants. On y trouve aussi parfois, mais rarement des hippomanes, corps olivâtres, aplatis, plus ou moins gros et dont la substance mollasse, cérumineuse est composée de couches concentriques.

AMNIOS.

L’amnios est l’enveloppe la plus immédiate du fœtus. Cette membrane provient du pourtour de l’ouverture ombilicale, d’où elle s’élève, se prolonge sur le cordon jusqu’à l’origine de l’allantoïde, se réfléchit ensuite, forme un grand réservoir, clos de toutes parts, qui contient un liquide particulier, dans lequel se trouve plongé le jeune sujet.

Sa surface externe est en rapport à la fois avec le chorion et l’allantoïde ; l’interne, douce et perspirable, exhale une humeur accumulée dans le sac interne et se trouve en contact avec ce liquide.

L’humeur amniotique plus ou moins douce et albumineuse, environne le fœtus et sert, d’après plusieurs physiologistes, à sa nutrition par les voies de l’absorption cutanée et de la déglutition. Cette opinion n’est pas encore bien prouvée ; mais ce qui est incontestable, c’est qu’elle procure au petit sujet une température douce, toujours égale et concourt à le garantir des chocs extérieurs. La sécrétion de ce liquide diminue à mesure que la gestation avance.

Les eaux de l’amnios sont très visqueuses, légèrement alcalines, d’une odeur fade et d’une saveur salée. On y rencontre souvent, en suspension, des débris d’excréments sortis par l’anus. Ces débris ne se font remarquer que vers la fin de la gestation, et leur sortie de l’intestin paraît être due à des mouvements convulsifs particuliers.

PLACENTA.

L’appareil placentaire de la vache est constitué par un nombre variable de corps vasculaires, une soixantaine en moyenne, disséminés çà et là, engrenés par pénétration réciproque des reliefs et des cavités avec des corps analogues de la face interne de la matrice, qu’on désigne sous le nom de cotylédons.

Ceux ci ne sont que des points épaissis de la membrane muqueuse dont les follicules se sont énormément agrandis. Ils existent avant la gestation, mais l’observation démontre qu’il peut s’en former de toutes pièces surtout dans les cas où des circonstances tout à fait accidentelles rendent les premiers insuffisants. Les plus gros se rencontrent dans le corps de l’utérus, au sein des cornes, on les trouve d’autant plus petits qu’ils sont plus rapprochés de l’extrémité. Leur forme est généralement ellipsoïde ; ils tiennent à la surface utérine par un large pédoncule muqueux. Leur surface est convexe, criblée d’orifices dans lesquels pénètrent les villosités placentaires. On les observe toujours avec une couleur jaunâtre qui, jointe à leurs autres caractères extérieurs, les fait ressembler aux champignons appelés morilles.

Quant aux placentas, ils répètent, à la surface du chorion, la disposition présentée par les cotylédons sur la matrice. Ce sont des plaques vasculaires, concaves, embrassant exactement les cotylédons et offrant à leur surface une multitude de longues papilles ramifiées qui s’enfoncent dans les cavités cotylédonnaires. Ils tiennent au chorion par un pédicule vasculaire très épais et très court.

CORDON OMBILICAL.

Le cordon ombilical est constitué par l’ensemble des canaux qui mettent le fœtus en communication avec ses annexes. Quatre vaisseaux entrent dans la composition de ce cordon, deux artères et deux veines, tous enveloppés de tissu conjonctif embryonnaire (gélatine de Wharton) qui les fait paraître beaucoup plus volumineux qu’ils ne le sont réellement. Ces vaisseaux se réfléchissent sur le chorion immédiatement après leur sortie de la gaine amniotique sans être accompagnés, comme chez les solipèdes et les carnassiers, par un repli de l’allantoïde.

Les artères, qui émanent des artères bulbeuses, gagnent l’ombilic et vont se terminer au placenta par un grand nombre de ramifications. Les deux veines prennent naissance au placenta par les radicules capillaires de ses villosités. Deux branches succèdent à cet appareil radiculaire et elles ne se réunissent qu’au moment de franchir l’anneau ombilical. Le tronc qui en résulte va se jeter, au niveau du foie, tout à la fois dans la veine cave et dans la veine porte entre lesquelles il établit une communication au moyen de ce qu’on appelle le canal veineux.

Ces vaisseaux sont accompagnés par l’ouraque, espèce de conduit qui part du fond de la vessie, se dirige vers l’anneau ombilical, sort de l’abdomen, puis se dilate et constitue le sac allantoïde dont il a été déjà question. Généralement, ce conduit est oblitéré au moment de la naissance ; néanmoins il persiste quelquefois et alors l’urine s’écoule par l’ombilic.

C’est au moyen du cordon ombilical que la circulation fœtale s’exécute. La veine ombilicale, au moyen de ses radicules d’origine, pompe les sucs exhalés de la matrice, et prend également le sang étalé dans le placenta. Ces fluides mélangés, élaborés et riches en matériaux nutritifs sont transmis dans la veine cave postérieure. Ce sang parcourt toutes les parties du corps du petit sujet, sert à la nutrition, puis revient par différentes voies aux artères ombilicales qui le transportent au placenta. Là, grâce à un phénomène d’endosmose, il acquiert de nouvelles propriétés vivifiantes. Il est ensuite repris par les radicules d’origine des veines ombilicales et suit de nouveau le trajet sus indiqué.

Telles sont les annexes du fœtus dans leurs dispositions les plus essentielles à connaître au point de vue de notre sujet.


DE LA DÉLIVRANCE.

La délivrance est ce dernier temps du part qui consiste dans l’expulsion des annexes du fœtus. Celles-ci constituent le délivre encore appelé arrière-faix, secondines en termes d’accouchement et que les cultivateurs de nos pays désignent sous le nom de maïré.

L’accomplissement de cet acte comprend deux temps : 1er le décollement du placenta, 2° Son expulsion au dehors. Ces temps se confondent pour ainsi dire, puisqu’ils s’effectuent simultanément ; néanmoins nous les étudierons séparément parce qu’ils rendent l’étude de la délivrance plus facile.

1er temps. Décollement du placenta. — Au terme de la gestation, les rapports du fœtus avec la mère cessent d’une manière complète. Immédiatement après la sortie du petit sujet, l’utérus revient sur lui-même ; son intérieur perd par suite beaucoup de sa capacité. Les membranes fœtales, ne jouissant que d’une propriété rétractile très faible et ne possédant pas du tout de contractilité, se plissent à mesure que la matrice se resserre. Les rapports de la surface interne de la matrice avec la surface externe du chorion changent peu à peu. Il résulte de ces divers mouvements que les villosités se détachent des sinus des cotylédons, et ainsi s’effectue le décollement des annexes du fœtus.

2° temps. Expulsion — En même temps que se produit le décollement du placenta, des contractions utérines poussent le délivre vers le col utérin laissé entr’ouvert, et de là dans le vagin ; mais ce ne sont pas seulement les contractions de l’utérus qui chassent ainsi l’arrière-faix. Les muscles de l’abdomen y concourent aussi en se contractant ; on a une bonne preuve de ces contractions, quand on se rend compte des efforts auxquels se livre la vache au moment de la délivrance. D’un autre côté, à mesure que la sortie se produit, les parties de délivre qui sont au dehors entraînent celles qui viennent ensuite par leur poids. Grâce à ce concours d’efforts, on voit bientôt les secondines sur la litière.

Certains auteurs, Rainard entre autres, prétendent que par les contractions de son plan charnu, le vagin intervient dans cet acte. Mais ce rôle doit être bien faible si toutefois il existe. En effet, lorsque la femelle se délivre dans le décubitus, on voit l’arrière-faix repoussé dans le vagin où il séjourne en totalité. Ce n’est que lorsque la vache se lève qu’il est entraîné au-dehors par son propre poids.

La délivrance ainsi exécutée n’amène, chez la vache ni chez les autres femelles domestiques, la perte que d’une très petite quantité de sang, aussi n’a-t-on pas à redouter ces hémorrhagies si redoutables chez la femme. La cause de cette complication chez l’espèce humaine est l’inertie dans laquelle reste la matrice après l’expulsion du produit de la conception.

Chez les femelles autres que celles des ruminants, la délivrance a lieu presqu’aussitôt après la naissance du produit ; mais chez la vache elle est plus tardive, en raison du mode d’union du placenta avec les cotylédons. Elle ne s’effectue que deux, quatre, huit heures, quelquefois deux ou trois jours après la mise-bas.

Il y a souvent prolongation anormale pathologique du séjour d’une partie ou de la totalité de l’arrière-faix dans la matrice. Cette rétention des annexes du fœtus constitue la non-délivrance qui va faire le sujet de notre étude.



CHAPITRE II.

Pathologie.

DE LA NON-DÉLIVRANCE.

D’après ce qui a été dit précédemment, on appelle non-délivrance, l’état pathologique, où une femelle qui vient de mettre bas, n’a pas dans le temps voulu, expulsé les enveloppes du fœtus.

Pour l’étude de cette affection, nous suivrons l’ordre suivant : Nous nous occuperons ; 1° de l’étiologie, 2° de la symptômatologie, 3° de la marche, 4° des complications, 5° du pronostic, 6° des lésions anatomiques et 7° du traitement.

ÉTIOLOGIE.

La fréquence de la non-délivrance, les conditions si variées dans lesquelles on la remarque, n’ont pas manqué d’attirer l’attention des praticiens sur l’étiologie de cette affection. Chaque vétérinaire, se basant sur sa propre expérience, a donné son opinion ; mais nous devons le dire, ils sont loin d’être tous d’accord sur ce point. Quoi qu’il en soit, nous distinguerons les causes qui peuvent la provoquer en deux ordres : 1° les causes prédisposantes, 2° les causes efficientes.

Causes prédisposantes. — La cause prédisposante par excellence de cette affection chez la vache, est le mode d’union des enveloppes fœtales avec l’utérus. Les placentas dont le nombre peut varier de soixante à cent-vingt et quelquefois même au-delà, contractent, avec les cotylédons, des adhérences très intimes. Leur petit volume donne peu de prise aux contractions utérines pour produire le désengrénement des surfaces en contact, et par suite la délivrance est ralentie. L’âge avancé, la maigreur, la faiblesse, sont aussi considérés par quelques auteurs comme pouvant prédisposer à la non-délivrance. Ces causes paraissent assez plausibles, car on comprend que chez des femelles dans cet état, les contractions utérines soient moins fortes que chez celles qui sont jeunes et bien portantes.

Causes efficientes. — La cause la plus fréquente se trouve dans la parturition qui a lieu quelques jours avant le terme. La non-délivrance est à peu près constante à la suite des avortements. On admet qu’une vache qui a souffert de cette affection à son premier part, en souffrira encore aux parts suivants. Une mise-bas longue, laborieuse, peut la provoquer ; on l’a constatée aussi après un part rapide. Une mauvaise alimentation, l’influence des mauvaises saisons, de la pluie, des brouillards, l’ingestion d’eau froide, un travail trop pénible, les maladies chroniques ont été considérées comme causes de cette affection. Il en est de même de l’occlusion rapide du col utérin après la sortie du fœtus, d’où résulte l’incarcération du délivre dans la matrice.

En Allemagne, on croit généralement que cette maladie est provoquée par l’irritation des mamelles par la succion ou la mulsion. On admet que l’irritation à la mamelle a un effet sympathique sur l’utérus ; le col se resserre et renferme ainsi les enveloppes.

Telles sont les causes qu’ont invoquées un grand nombre de praticiens pour expliquer la fréquence de la non-délivrance. Mais par contre, beaucoup d’observateurs consciencieux, M. Schaack entre autres, disent l’avoir observée durant toutes les saisons indistinctement, sous les différents états de l’atmosphère et de la température, comme aussi sur des sujets vigoureux, jeunes ou dans la force de l’âge et après des parturitions très naturelles. Aussi devons-nous dire que l’étiologie de la non-délivrance demande une nouvelle étude. Néanmoins dans certaines années, ou durant une période de temps sans qu’on sache pourquoi, on voit cette affection être très commune tandis que dans d’autres périodes et sous une constitution atmosphérique en apparence semblable, cet accident devient très rare.

SYMPTÔMATOLOGIE.

La maladie est ordinairement facile à reconnaître. On constate, en effet, une partie plus ou moins considérable des enveloppes, quelquefois seulement du cordon ombilical qui pend hors de la vulve, logée entre les deux lèvres de cet organe. Quelquefois le délivre forme un paquet plus ou moins volumineux qui descend derrière les fesses jusqu’aux jarrets ou même plus bas. Cette masse à une teinte fraîche ressemblant un peu aux intestins, quand le part n’a eu lieu que peu de temps auparavant. Lorsqu’elle est restée quelque temps en contact avec l’air, surtout quand la température est élevée, comme durant les fortes chaleurs d’été, elle est grise, un peu gluante souvent salie par les excréments ou par le fumier. On y remarque parfois des poches remplies de liquide amniotique ou allantoïde. Dans certains cas, l’arrière-faix n’apparaît à l’extérieur que lorsque la vache est couchée sur son ventre, que la matrice soulevée est refoulée en arrière et que le col utérin se montre vers la vulve. Dans ces circonstances, le plus communément le délivre s’est rupturé et il n’en reste qu’une partie dans la cavité utérine.

D’autres fois, on ne peut, par la vue, constater la présence de l’arrière-faix ; il faut alors recourir à la fouille vaginale et celle-ci ne donne même pas toujours les résultats voulus, parce que le col utérin est trop resserré pour laisser passer la main. On dit dans ce cas que le délivre est séquestré dans la matrice. Mais d’autres signes extérieurs peuvent mettre sur la voie pour le diagnostic. Les lèvres de la vulve sont tuméfiées, le vagin est toujours plus ou moins rouge, ce qui indique un peu d’irritation et fait présumer que la matrice est dans le même état. Il se fait, par l’ouverture vulvaire, un écoulement de mucus grisâtre, brunâtre, plus ou moins mêlé de sang, ayant une certaine ressemblance avec les lochies de femmes. Ces lochies ne sont qu’une sécrétion morbide de l’utérus enflammé par le séjour des enveloppes fœtales.

De temps en temps, la vache se campe, lève la queue et fait des efforts comme pour uriner ou pour fienter ; c’est alors qu’elle rejette par la vulve, des matières fétides. Ces efforts, indices de tranchées, de contractions utérines, d’ailleurs peu intenses et de courte durée, se reproduisent à des intervalles qui n’ont rien de régulier, mais toujours plusieurs fois dans la même journée.

Le plus ordinairement, la vache reste bien portante, mange et rumine convenablement ; elle se couche, se relève sans s’apercevoir de son état les mamelles se gonflent par le travail de la nouvelle sécrétion lactée. Néanmoins lorsque la portion sortante du délivre est volumineuse, elle peut lorsque la bête est levée, appuyer sur le méat urinaire et gêner la sortie de l’urine.

Quelquefois, la femelle parvient à se délivrer d’elle-même sans le secours de l’art. Cette délivrance spontanée se fait attendre deux ou trois jours et même plus longtemps. Suivant M. Denebourg, vétérinaire belge, elle s’accomplirait à des périodes fixes, et suivant son expression, assez régulièrement tiercées, c’est-à-dire que si elle n’a pas lieu dans les vingt-quatre heures qui suivent la mise-bas, elle aura lieu le troisième jour et que si elle n’est pas effectuée le troisième jour, elle se fera le sixième, le neuvième, le douzième etc, mais le plus souvent le neuvième. Quoi qu’il en soit de cette remarque ingénieuse, mais qui paraît un peu douteuse, une fois la totalité du délivre expulsée, les efforts cessent, l’écoulement disparaît, enfin tout rentre promptement dans l’ordre physiologique.

Il ne faudrait pas croire que les choses se passent toujours d’une manière aussi simple et aussi favorable. Souvent au contraire, la non-délivrance a des conséquences sérieuses et quelquefois fort graves ainsi que nous allons le voir.

MARCHE.

On ne peut considérer comme maladie, la non-délivrance qui ne dure que deux ou trois jours, et dont les symptômes ne sont pas plus alarmants que ceux précédemment décrits. Malheureusement, il n’en est pas toujours ainsi. Au bout de deux ou trois jours, les enveloppes qui n’ont pas été expulsées entrent en décomposition. Celles qui sont dans le vagin ou la matrice, à l’abri de l’air, n’éprouvent pas la véritable décomposition putride, mais elles se ramollissent comme sous l’influence d’un savonule ammoniacal ; la portion située au-dehors de l’orifice vulvaire se putréfie et d’autant plus vite qu’elle est imprégnée de liquide et que la température ambiante est plus élevée. Les voies génitales irritées sécrètent une matière brunâtre très fétide, qu’on a comparée à une eau de chair lavée, souvent mêlée de débris du délivre. Cette matière répandant une odeur nauséabonde, d’une puanteur insupportable, s’écoule par la vulve, salit les cuisses, les jarrets, les crins de la queue ; l’écoulement se manifeste surtout au moment où l’animal se campe pour uriner. Parfois, cette matière devient irritante et alors les bords de la vulve, et les fesses sont excoriées. Par la fouille du vagin, on constate des portions plus ou moins considérables, quelquefois de rares débris d’enveloppes fœtales plus ou moins altérées.

La vache est alors tourmentée par des efforts violents très rapprochés ; les mamelles sont flétries ; la sécrétion dont elles sont chargées, tout à fait inactive ; l’appétit est mauvais, le pouls fébrile, la respiration, accélérée ; le regard annonce l’abattement ; des plaintes se font entendre.

COMPLICATIONS.

À la suite de la non-délivrance, il peut survenir de nombreuses complications que l’on définit généralement sous le nom de suites de la non-délivrance.

Les efforts expulsifs sont quelquefois assez intenses pour produire le renversement du vagin ; rarement on observe celui de l’utérus.

Souvent, on constate une métrite, voire même une métro-péritonite grave et facilement mortelle. L’animal éprouve des frissons, des tremblements généraux ; les flancs sont tendus, douloureux, le pouls est dur, petit, fréquent ; l’animal parfois se couche et se relève aussitôt, il se livre à quelques mouvements désordonnés et éprouve de la douleur par la compression des parois abdominales. La sécrétion lactée disparaît ; la rumination ne se fait plus, l’appétit est nul ; les excréments sont rares et très durs.

Quelquefois le calme semble renaître au bout d’un certain temps ; mais la bête reste triste, abattue, le pouls devient intermittent, inexplorable. Ces symptômes sont le prélude de la gangrène.

Une autre complication fréquente est l’infection purulente ou la septicohémie qui peut se présenter sous les formes les plus variées. Dans certains cas, elle se présente comme une cachexie qui dure longtemps ; la bête maigrit, dépérit lentement et finit par mourir dans le marasme le plus complet, si on n’y rémédie pas avant que le mal n’ait fait trop de progrès. D’autres fois, la septicohémie se présente comme un empoisonnement sur-aigu qui tue l’animal presque apoplectiquement.

On remarque aussi parfois à la suite de la non-délivrance un état comateux avec paralysie du train postérieur (paraphlégie). Certains auteurs ont observé du tétanos et surtout un trismus qui peut durer très longtemps ; d’autres, parmi lesquels se trouve Gunther, ont vu des maladies de poitrine métastatiques. M. Zundel a constaté des arthrites du même genre. Enfin, il reste souvent une irritation locale, une vaginite ou métrite chronique qui donne lieu à de la leucorrhée plus ou moins franche.

PRONOSTIC.

Quand on lit tout ce qui a été écrit sur le pronostic de la non-délivrance, on est frappé des divergences qui existent sur ce point, entre les meilleurs praticiens. Certains prétendent que chez la femelle qui nous occupe, la rétention de l’arrière-faix n’est jamais dangereuse et que la délivrance doit dans tous les cas être laissée aux seuls efforts de la nature. D’autres croient qu’il y a de grands dangers si quarante-huit heures après le part, l’expulsion du délivre ne s’est pas effectuée. Ces opinions sont un peu trop absolues, le pronostic devant varier suivant les conditions dans lesquelles on observe l’affection.

La non-délivrance qui ne dure que deux ou trois jours n’a que très exceptionnellement des suites fâcheuses. Il en est de même en général quand la parturition a été naturelle, alors que la vache ne paraît pas souffrir ; que les efforts auxquels elle se livre sont rares et peu intenses, qu’elle conserve son appétit, sa gaieté et que la lactation s’établit bien. Il est peu fâcheux encore lorsqu’une portion notable des enveloppes pend par la vulve et que la température est douce. Le pronostic devient plus grave si l’accouchement a été difficile, si les organes génitaux sont irrités, s’il y a fièvre, si la bête souffre, piétine des pieds de derrière, si les efforts sont fréquents, si la température ambiante est élevée. Sa gravité augmente encore, lorsque le délivre est séquestré dans la matrice ; quand il a commencé à se décomposer et que le liquide qui s’écoule par la vulve est fétide et irritant.

LÉSIONS ANATOMIQUES.

Les principales lésions que l’on constate à l’autopsie d’une vache morte à la suite de la non-délivrance, sont celles de la métro péritonite. La muqueuse utérine est épaissie, ecchymosée, elle contient un liquide sanieux, des débris de placenta dans un état de décomposition plus ou moins avancé ; c’est le plus souvent alors que des gaz fétides sont accumulés dans la matrice plus ou moins dilatée. Celle-ci est parfois gangrenée dans une étendue plus ou moins considérable ; les débris d’enveloppes fœtales sont alors complétement putréfiées. Le sang est noir, dissous, formant des pétéchies, des stases dans tous les organes, comme, dans les maladies dépendant de l’infection septique.

À ces lésions se joignent celles des diverses complications qui ont été signalées.


DU TRAITEMENT.

Les moyens propres à combattre cet état maladif sont de deux sortes : Les uns médicamenteux, les autres chirurgicaux ; ceux-ci sont, suivant les cas, employés seuls ou avec le concours d’autres agens pharmaceutiques.

MOYENS MÉDICAMENTEUX.

Les médicaments mis en usage contre cette affection appartiennent à la classe des emménagogues ou utérins. Voici ceux qui paraissent avoir donné les meilleurs résultats :

M. Zundel emploie le breuvage suivant : baies de laurier 120 gr., anis 60 gr., bicabornate de soude 120 gr. ; le tout infusé dans quatre litres d’eau. Il donne cette dose en deux fois dans l’espace de 24 heures ; on peut même la répéter le lendemain ; mais il est rare, dit ce praticien, que la délivrance naturelle ne suive de 24 heures, l’administration du remède. Delnart et Rainard ont eu à se louer de l’emploi du seigle ergoté ; le premier l’administre, dans une décoction d’absinthe, à la dose de 32 gr. ; pour le second, cette quantité serait trop forte ; il pense qu’il ne faut pas dépasser la dose de 18 grammes. M. Garreau dit avoir obtenu de bons résultats de la teinture de Caramija dont voici la formule d’après M. Tabourin :

Sabine pulvérisée.... 250 gr.
Thériaque........ 190 »
Curmin pulvérisé... 125 »
Essence du rue aa 80 »
» de sabine
Alcool......... 2 kilogr.

Traitez par déplacement.

M. Garreau prescrit cette teinture à la dose de 100 gr. dans deux litres d’infusion de sabine ; il assure que ce breuvage lui a toujours réussi, même sur des vaches qui n’étaient pas délivrées deux mois après l’accouchement. Enfin le regrettable Cruzel de Grenade-sur-Garonne présente également comme remèdes d’une efficacité assurée, des breuvages composés par décoction dans un litre d’eau, de 30 à 40 gr. de rue verte, ou de 10 gr. de seigle ergoté et 20 gr. de sabine en poudre.

Lorsqu’on a à combattre cette affection sur des vaches mal nourries, vieilles, affaiblies par un travail trop pénible, il faut ajouter aux médicaments sus-indiqués, des aliments toniques, reconstituants, tels que des aliments féculents, des boissons salées, des bouillies faites avec du vin, de la bière, du pain grillé ou du cidre.

En Allemagne et en Suisse, les carbonates alcalins jouissent aussi d’une grande réputation. Baumeister et Rueff conseillent le carbonate de potasse à la dose de 45 gr. par jour donné en trois fois.

Malgré l’efficacité qu’ont bien voulu leur attribuer, les praticiens qui les ont préconisés, ces médicaments sont loin d’être infaillibles. Souvent, ils restent sans effet. Force est alors d’avoir recours à la délivrance artificielle, aux moyens chirurgicaux.

MOYENS CHIRURGICAUX.

Quand on se propose d’opérer la délivrance artificielle, il faut bien choisir le moment opportun. La personne chargée de donner ses soins à l’animal malade doit savoir tenir le milieu entre une médecine trop active et une expectation trop lente. En opérant trop tôt, on s’expose à trouver le placenta trop adhérent et les efforts auxquels se livre la femelle peuvent amener des accidents fâcheux. En attendant trop longtemps, il y a à craindre le développement de la métrite et l’infection purulente.

À quels signes peut-on reconnaître qu’il est temps d’intervenir ou qu’on peut attendre encore ? Il est difficile de poser à ce sujet des règles très précises ; l’habitude, le tact du vétérinaire sont des guides plus sûrs que les préceptes les plus rigoureusement déduits de la théorie. L’époque à laquelle on doit intervenir varie suivant la force, la santé, l’âge de la vache et le degré de la température ambiante. En général, il ne faut pas opérer avant le deuxième ou le troisième jour, temps en quelque sorte normal pour la délivrance naturelle. On ne doit pas cependant attendre jusqu’au septième jour. Du troisième au quatrième jour après la mise-bas pendant l’été, du quatrième au sixième pendant l’hiver, est croyons-nous le moment le plus favorable à l’opération.

Une fois les indications de l’opération reconnues, on peut recourir à divers procédés dont les principaux sont les suivants :

Premier procédé. — Lorsque les enveloppes pendent hors de la vulve, on y fixe un poids pour en solliciter la sortie. Ce procédé, conseillé par Chabert, a été modifié par Fabre de Genève. Celui-ci réunit en un seul faisceau tous les lambeaux du délivre pendant au-dehors de la vulve, les lie au niveau de cet orifice, les coupe à quelques centimètres au-dessous du lien et attache à celui-ci le corps pesant destiné à entraîner l’arrière-faix. Ce poids doit être, de 500 à 750 gr. au plus. Ce moyen est pour ainsi dire primitif et n’est employé aujourd’hui que par quelques empiriques.

2e Procédé. — Un autre procédé consiste en des tractions manuelles exercées du dehors sur la portion des enveloppes visibles à l’extérieur. On peut agir de deux manières. Le plus ordinairement, on saisit à pleines mains, soit directement, soit avec un linge, les enveloppes déjà sorties et on tire doucement sur elles afin d’entraîner les portions encore contenues dans la cavité utérine.

Au lieu de saisir directement le délivre avec les mains, M. Denneubourg emploie deux bâtons de la longueur et de la grosseur d’une canne ordinaire. Il prend le cordon entre ces deux instruments, puis il le roule jusqu’au niveau de la vulve ; ensuite, il exécute de légères tractions, en continuant de rouler l’arrière-faix sur les bâtons au fur et à mesure qu’il sort.

3e Procédé. — Une autre méthode consiste dans l’extraction par énucléation des cotylédons ; elle est basée sur la disposition anatomique de la région, aussi peut-on dire que c’est le procédé classique, en même temps que celui le plus généralement employé. Nous l’avons vu mettre en pratique à l’École de Toulouse et je m’en suis aussi servi moi-même dans maintes circonstances.

On commence par s’assurer de l’état du rectum ; on le vide avec les mains ou par des lavements suivant le cas, puis on introduit la main dans la cavité utérine.

Lorsqu’une portion des enveloppes pend au-dehors de la vulve, elle sert de conducteur à la main pour pénétrer dans l’utérus dont le col, resté entr’ouvert, n’oppose qu’une faible résistance. Quand rien n’apparaît à l’extérieur et qu’on est appelé tardivement, le col est revenu sur lui-même, complètement fermé, et il n’est pas toujours facile d’y entrer. Il faut alors introduire d’abord un doigt dans l’orifice, puis deux, puis trois, les écarter doucement afin de l’entrouvrir, y glisser les autres doigts à mesure que l’espace le permet, puis les réunissant en cône, forcer doucement le passage en leur imprégnant un mouvement de térébration, jusqu’à ce qu’enfin la main toute entière pénètre dans l’utérus.

Cette opération préliminaire est quelquefois assez difficile et longue ; il faut y apporter des ménagements pour ne pas irriter, meurtrir, blesser l’organe délicat dont il s’agit de vaincre la résistance. Il est rare néanmoins qu’on n’y parvienne pas avec de la patience, du temps et de la persévérance.

La main étant parvenue à franchir le col, on la glisse entre le chorion et la face interne de l’utérus, de telle sorte que sa face dorsale touche à la surface utérine et que sa face palmaire réponde au chorion et au placenta. On la glisse ainsi toujours devant soi détachant successivement avec le bout des doigts qui sont juxtaposés et non plus en cône. On procède à ce décollement du col vers le fond de l’utérus. Arrivé aux cotylédons, on en prend un à sa base entre deux doigts (l’index et le médius) en appuyant le pouce sur son sommet, et relevant les doigts en glissant doucement du pédoncule à la partie libre. En agissant ainsi, successivement on parvient à désunir tous les cotylédons de leur placenta.

Pendant que l’opérateur à la main engagée dans la matrice, un aide est chargé de tendre et d’attirer au-dehors le cordon ombilical avec les parties du placenta qui sont détachées. Cela permet au praticien de mieux saisir les portions encore adhérentes en les débarrassant de toutes celles qui sont détachées. C’est surtout lorsqu’on arrive au pourtour de la corne dans laquelle le fœtus avait les membres postérieurs engagés, que ce soin est utile, parce que la traction rapproche de la main, cette région qui est située profondément.

Si le décollement du placenta est long et les contractions de l’utérus fortes, le bras de l’opérateur est lassé, engourdi par la compression que le col exerce sur lui. Le praticien doit s’arrêter, prendre du repos et même changer le bras qui opère. Du reste il doit choisir, pour exécuter cette manœuvre, le moment où l’organe ne se contracte pas.

Quand on a détaché le délivre de toutes parts, on l’extrait tout entier en le saisissant à pleine main. On est aidé dans ce mouvement par les efforts de la vache ; on peut exciter ces derniers par le bouchonnement ou des frictions.

Lorsque le placenta est depuis longtemps retenu, qu’il s’est décomposé et ramolli, on ne peut l’enlever en entier ; une partie a été entraînée spontanément et le reste ne s’obtient que par lambeaux.

DIFFICULTÉS DE L’OPÉRATION.

D’après la description qui vient d’être faite de la délivrance artificielle, on comprend que cette opération est longue, et pénible pour le praticien. De plus, elle n’est pas exempte de difficultés.

Parfois on trouve des cotylédons offrant un tel degré d’adhérence que les manœuvres indiquées ne suffisent pas pour le désengrener : d’autres fois un ou plusieurs cotylédons, se trouvent enlacés dans l’anse d’une duplicature des membranes fœtales et les tiraillements les amènent jusqu’au près du col et même au-dehors.

Pour surmonter ces difficultés M. Schaak conseille : Dans le cas d’adhérence trop prononcée des cotylédons, de faire agir l’extrémité du pouce ou celle des autres doigts de manière soulever avec l’ongle, un des bords adhérents que l’on écarte ensuite pour achever le décollement sur tous les points. Dans le second cas, le même praticien coupe avec les ciseaux et près de la vulve, la portion pendante du délivre ; cela fait, il lui est, dit-il, facile de dégager les cotylédons enlacés.

ACCIDENTS.

La délivrance, quand elle est bien faite, n’amène aucun écoulement sanguin puisque les deux systèmes circulatoires utéro-cotylédonaire et fœto-placentaire, n’ont entre eux aucune communication. L’hémorrhagie utérine est toujours accidentelle ; elle est due soit à la déchirure de la muqueuse utérine, soit à l’arrachement ou au froissement de quelques cotylédons. Il arrive assez souvent, surtout quand l’opération est pratiquée par une main brutale, inhabile comme celle de quelques empiriques ignorants, qu’un certain nombre de ces organes délicats sont meurtris. Quelquefois même ces prétendus guérisseurs, les considérant comme des productions morbides, se font un devoir de les arracher.

C’est là une complication grave et d’autant plus qu’un plus grand nombre de cotylédons ont été lésés. Il en résulte une irritation de la muqueuse utérine, une métrite, peut-être même une véritable phlébite utérine, toutes, complications très sérieuses et assez graves quelquefois pour amener la mort. Cependant quelques observateurs Gella, Blavette et autres praticiens prétendent, que les conséquences de ces accidents ne sont pas aussi fâcheuses quand on y porte remède assez tôt.

De trop fortes tractions, exercées au moment où la femelle fait des efforts, peuvent amener le renversement du vagin ou de la matrice.

Il est un autre danger, non plus pour la femelle, mais pour celui qui pratique la délivrance. C’est une espèce d’éruption pustuleuse très douloureuse qui survient au bras de l’opérateur, et à laquelle on donne le nom d’Ectchyra de la parturition. Elle a été décrite par MM. Patté, Benjamin et autres vétérinaires.

Jusqu’ici cette affection ne paraît pas avoir eu des suites funestes ; mais elle a donné parfois d’assez sérieuses inquiétudes. On l’attribue, le plus souvent, au contact du liquide sanieux et putride dont nous avons parlé. Pourtant elle a été observée à la suite des manœuvres d’une parturition difficile, alors que les liquides qui baignaient les bras de l’opérateur, n’avaient rien de putride. Toutefois, l’opérateur devra, avant d’introduire son bras dans la matrice, l’enduire d’une épaisse couche protectrice de graisse, de beurre ou d’huile. Quand l’opération sera longue, il devra même l’enduire plusieurs fois.

SOINS CONSÉCUTIFS.

Une fois la délivrance opérée, on doit s’assurer que les enveloppes ont été extraites en entier. Dans ce but, on les étend sur une table ou à terre sur la paille et on les examine convenablement. D’après la description qui a été faite de l’arrière faix, nous savons que nous pouvons le comparer à une grande vessie représentant la forme de la matrice, contournée en fer à cheval, offrant deux branches et un corps ; celui-ci est plus large et correspond à la pince du fer. C’est cet endroit que le fœtus déchire au moment de sa sortie. Ce déchirement s’opérant sans perte de substance, il est facile de s’assurer si cette vessie est entière en rapprochant les parties divisées.

Quand le délivre s’est décomposé et ramolli dans la matrice, il en reste toujours quelques lambeaux. En outre, après l’extraction, on trouve toujours dans l’utérus un liquide trouble, épais, diversement coloré, le plus souvent grisâtre, plus ou moins odorant, provenant des eaux fœtales, du sang qui s’est écoulé par le cordon au moment de sa rupture, et des annexes déjà en parties décomposées.

Le séjour de ces détritus ne peut qu’être nuisible, aussi doit-on les évacuer autant que possible. À cet effet, on forme avec la main, une espèce de cuillère à l’aide de laquelle, on nettoie et on débarasse l’organe de toute matière étrangère. On injecte ensuite une ou deux seringues d’eau tiède dans la matrice pour faire évacuer tout ce que la main n’a pu extraire. M. Henri Bouley, inspecteur général des Écoles vétérinaires, engage à recourir à un courant continu d’eau tiède qu’on établit au moyen d’une sonde creuse par laquelle on pousserait doucement l’injection. On devrait continuer jurqu’à ce que le liquide sortirait à peu près pur. Ce moyen a donné d’excellents résultats en médecine humaine.

Si la délivrance a été longue, fatiguante et douloureuse, on devra recourir aux injections émollientes dans le vagin et donner des lavements de même nature dans le but de diminuer l’inflammation. Dans le cas où les efforts expulsifs persistent, il faut tenir la croupe haute en mettant beaucoup de litière sous les membres postérieurs, afin de prévenir le renversement du vagin. Quand celui-ci se produit, on en fait la réduction.

Enfin, lorsque les enveloppes sont déjà décomposées, on a recours aux injections désinfectantes. Autrefois, on employait les chlorures alcalins ; aujourd’hui, ces médicaments sont avantageusement remplacés par une solution d’acide phénique ou de permanganate de potasse à la dose de 2 à 4 gr. du premier, de 5 à 7 gr. du second, par litre d’eau tiède.

Il faut, en outre, bien couvrir la vache et la surveiller après l’opération.

On juge que la maladie se terminera bien, si l’écoulement vaginal diminue et cesse bientôt, si les mamelles s’emplissent, si l’appétit est bon et si la mère s’occupe affectueusement de son petit. On redoutera, au contraire, une métrite, une métro-péritonite, dans le cas où les mamelles resteront flétries, que la sécrétion lactée sera peu abondante, que l’écoulement vaginal se supprimera tout d’un coup, et que le ventre sera tendu, ballonné, douloureux.

On combattra cette inflammation par les boissons délayantes, les fomentations et les embrocations calmantes sous le ventre, les cataplasmes sur les lombes, les fumigations sous le ventre, les injections émollientes et narcotiques dans le vagin.

La saignée précédera cette médication si la femelle est jeune et en état d’embonpoint.



CHAPITRE III.


JURISPRUDENCE.

Dans les anciens usages de Paris, les suites de la non délivrance faisaient l’objet de la garantie. Le vendeur était garant des suites du vêlage à moins de stipulation contraire entre les parties.

Dans le but de conserver cet usage, la loi du 20 mai 1838 a classé les suites de la non-délivrance, après le part chez le vendeur, parmi les vices rédhibitoires avec neuf jours de garantie. Cette loi a voulu rendre le vendeur responsable des accidents qui surviennent, après le part, à la suite des mauvaises manœuvres, accidents que l’acheteur n’a pu ni connaître ni prévenir.

Trois conditions sont essentielles pour que la rédhibition puisse avoir lieu : 1° la non-délivrance,les suites de la non-délivrance,le part chez le vendeur.

I. NON-DÉLIVRANCE.

Nous savons, d’après ce qui a été dit à l’article symptômatologie, que cette affection consiste dans le séjour de la totalité ou d’une partie du délivre dans l’utérus. Que le vendeur ait, avant la vente, arraché le plus possible de l’arrière-faix, qu’il n’en ait même laissé que quelques faibles débris, peu importe. Il n’est même pas nécessaire pour que l’expert puisse affirmer la non-délivrance, qu’il rencontre des débris d’enveloppes fœtales ; il lui suffit de constater la présence de matières fétides que la vulve laisse écouler. Ces dernières ne sauraient provenir que des annexes du fœtus.

SUITES DE LA NON-DÉLIVRANCE.

Par ces mois, l’expert doit comprendre tous les accidents qui résultent du séjour du délivre dans la matrice. Ces accidents sont variables par rapport à leur gravité ; mais l’acquéreur n’a pas à rechercher s’ils constituent une inflammation simple ou compliquée, ou une infection générale dont le point de départ se trouve dans la putréfaction de l’arrière-faix. Leur cause est la non-délivrance, et la loi a voulu les atteindre tous sans exception.

La constatation des suites de la maladie est généralement facile, comme nous l’avons vu ; néanmoins, elle nécessite quelquefois la fouille rectale.

PART CHEZ LE VENDEUR.

Les suites de la non-délivrance ne peuvent se montrer que peu de jours après la mise-bas. Aussi, quoique la loi ne dise pas si le part doit être récent ou ancien, il est hors de doute qu’il ne peut s’agir que d’un part récent.

Après le mot part, la loi ajoute chez le vendeur, c’est-à-dire que le vice n’est rédhibitoire qu’autant que la vache a vêlé chez la personne qui l’a vendue.

Il peut arriver que dans le but de se soustraire à la garantie, on simule une première vente. L’acheteur fictif revend ensuite la vache, et si le vice est reconnu par le dernier acheteur, le premier soutient que le part n’ayant pas eu lieu chez lui, il n’est tenu à aucune garantie.

L’acquéreur, dans ce cas, a-t-il perdu tous ses droits ? Non ; mais les démarches qu’il doit faire varient suivant que le délai de neuf jours, à partir de la vente fictive, n’est pas ou est expiré. Dans le premier cas, c’est-à-dire quand les neuf jours ne sont pas écoulés depuis la première vente, la personne lésée est en droit d’actionner à la fois et l’acheteur fictif qui est devenu son vendeur, et le vendeur primitif et réel. Le demandeur peut même remonter jusqu’au premier vendeur, celui chez lequel la vache a mis bas, lors même que l’animal soit passé dans plusieurs mains, à la condition que le délai de la garantie ne sera pas expiré.

Ainsi, supposons une vache affectée des suites de la non délivrance, conduite sur un champ de foire. Elle est d’abord vendue à une personne qui la revend ; deux ou trois jours après, elle fait encore l’objet de plusieurs autres ventes, puis elle se trouve entre les mains d’un propriétaire qui veut la garder. Celui-ci s’apercevant du vice, a le droit d’intenter l’action au premier vendeur.

Il n’en est pas de même lorsque le délai est expiré. Dans ce cas, le demandeur doit prouver qu’il y a eu fausse vente ; les tribunaux accueilleront alors favorablement sa demande, la fraude ne pouvant, être un moyen de se soustraire à l’application des lois.

Cette manière d’interpréter la loi est celle de MM. Lafosse, Déjean, Gallisset et Mignon ; mais pour quelques auteurs elle paraît un peu restreinte. Généralement, on est disposé à admettre la rédhibition pourvu que le part n’ait pas eu lieu chez l’acheteur, quel que soit d’ailleurs le lieu où la vache a vêlé. M. Rey prétend que les mots après le part chez le vendeur signifient, dans l’esprit du législateur : quand le part n’a pas eu lieu chez l’acheteur.

L’interprétation de l’honorable professeur de l’École de Lyon est sans doute excellente, en ce sens qu’elle ne permet pas aux vendeurs de mauvaise foi de tromper impunément les acheteurs. Mais à côté de cet avantage, il y a un grave inconvénient. Comme le fait remarquer notre savant professeur M. Lafosse, plusieurs vendeurs interposés entre le demandeur et la personne chez laquelle la vache a mis bas, bien qu’ayant agi de bonne foi, pourraient être successivement condamnées à la reprise de l’animal, sans pouvoir exercer l’action récursoire contre le vendeur originel, si le délai de la garantie était expiré à son égard.

Cet inconvénient, contre lequel la loi n’a aucun remède, serait donc plus grave que celui résultant d’une simulation de la vente, la loi donnant les moyens d’avoir raison des fraudeurs. Du reste, un vendeur mal intentionné trouvera rarement, pour ne pas dire jamais, un complice assez mal avisé pour s’exposer aux pénalités de la fraude.

D’ailleurs notre opinion a été sanctionnée par le jugement de plusieurs tribunaux, ceux-ci s’en tenant à la lettre de la loi.

DIFFICULTÉS.

Il peut arriver que l’animal meure des suites de la non délivrance dans le délai de la garantie. Dans ce cas, on doit appliquer l’art. 7 de la loi du 20 mai 1838. Voici comment il est conçu : « Si pendant la durée des délais fixés par l’art. 3 l’animal vient à périr, le vendeur ne sera pas tenu de la garantie, à moins que l’acheteur ne prouve que la perte de l’animal provient d’une des maladies spécifiées dans l’art. 1er. »

La garantie donnée par l’art. 7, en cas de mort est donc subordonnée à plusieurs conditions : il faut que l’animal ait succombé aux suites de la délivrance et que l’acheteur prouve que la perte en est le résultat. Si l’animal meurt d’une maladie non-rédhibitoire, le vendeur n’est pas tenu de la garantie.

Dans ces conditions l’acheteur doit faire nommer un expert qui constate la cause de la mort. Le vétérinaire commis doit constater les lésions de la métrite, accompagnée ou non de complications, et en outre la présence du délivre putréfié ou ses débris dans l’utérus. Néanmoins cette dernière lésion peut manquer et le vice n’en est pas moins rédhibitoire, si l’expert appelé pendant la vie de l’animal, a bien constaté que les secondines n’étaient nullement ou qu’en partie seulement rejetées alors que la métrite était déjà développée.

On comprend, en effet, que l’expulsion de l’arrière-faix puisse se produire pendant le temps écoulé entre le début de l’expertise et le moment de la mort. Dès lors il n’y a plus possibilité d’en trouver les vestiges dans la matrice, bien qu’il ait provoqué et accompagné pendant un certain temps l’inflammation de cet organe.

Quelquefois, l’une des parties, soit dans le but de guérir l’animal, soit pour toute autre raison, opère diverses manœuvres dans l’utérus, l’irrite et en provoque l’inflammation. L’expert doit relater dans son rapport tout ce qui s’est passé et laisser aux juges le soin de tirer les conséquences légales qui résultent des faits constatés. Toutefois avant de laisser engager les parties dans un procès toujours dispendieux, il doit faire ses efforts pour amener une conciliation.

DELRIEU Émile.