Deux Ans de vacances/Chapitre 9

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Hetzel (p. 123-134).

IX

Visite à la caverne. – Meubles et ustensiles. – Les bolas et le lazzo. – La montre. – Le cahier presque illisible. – La carte du naufragé. – Où l’on est. – Retour au campement. – La rive droite du rio. – La fondrière. – Les signaux de Gordon.


Briant, Doniphan, Wilcox et Service gardaient un profond silence. Quel était l’homme qui était venu mourir en cet endroit ? Était-ce un naufragé, auquel les secours avaient manqué jusqu’à sa dernière heure ? À quelle nation appartenait-il ? Était-il arrivé jeune sur ce coin de terre ? Y était-il mort vieux ? Comment avait-il pu subvenir à ses besoins ? Si c’était un naufrage qui l’avait jeté là, d’autres que lui avaient-ils survécu à la catastrophe ? Puis, était-il resté seul après la mort de ses compagnons d’infortune ? Les divers objets, trouvés dans la caverne, provenaient-ils de son bâtiment, ou les avait-il fabriqués de ses mains ?

Que de questions dont la solution resterait peut-être à jamais ignorée !

Et, entre toutes, une des plus graves ! Puisque c’était sur un continent que cet homme avait trouvé refuge, pourquoi n’avait-il pas gagné quelque ville de l’intérieur, quelque port du littoral ? Le rapatriement présentait-il donc de telles difficultés, de tels obstacles, qu’il n’avait pu les vaincre ? La distance à parcourir était-elle si grande qu’il fallût la considérer comme infranchissable ? Ce qui était certain, c’est que ce malheureux était tombé, affaibli par la maladie ou par l’âge, qu’il n’avait pas eu la force de regagner sa caverne, qu’il était mort au pied de cet arbre !… Et si les moyens lui avaient manqué pour aller chercher le salut vers le nord ou vers l’est de ce territoire, ne manqueraient-ils pas également aux jeunes naufragés du Sloughi ?

Quoi qu’il en fût, il était nécessaire de visiter la caverne avec le plus grand soin. Qui sait si on n’y trouverait pas un document donnant quelque éclaircissement sur cet homme, sur son origine, sur la durée de son séjour !… À un autre point de vue, d’ailleurs, il convenait de reconnaître si l’on pourrait s’y installer pendant l’hiver, après l’abandon du yacht.

« Venez ! » dit Briant.

Et, suivis de Phann, ils se glissèrent par l’orifice, à la clarté d’une seconde branche résineuse.

Le premier objet qu’ils aperçurent sur une planchette fixée à la paroi de droite, fut un paquet de grossières chandelles, fabriquées avec de la graisse et des effilés d’étoupe. Service se hâta d’allumer une de ces chandelles qu’il plaça dans le chandelier de bois, et les recherches commencèrent.

Avant tout, il fallait examiner la disposition de la caverne, puisqu’il n’y avait plus de doute sur son habitabilité. C’était un large évidement qui devait remonter à l’époque des formations géologiques. Il ne présentait aucune trace d’humidité, bien que l’aération ne se fît que par l’unique orifice ouvert sur la berge. Ses parois étaient aussi sèches que l’eussent été des parois de granit, sans la moindre trace de ces infiltrations cristallisées, de ces chapelets de gouttelettes qui, dans certaines grottes de porphyre ou de basalte, forment des stalactites. D’ailleurs, son orientation la mettait à l’abri des vents de mer. À vrai dire, le jour n’y pénétrait qu’à peine ; mais, en creusant une ou deux ouvertures dans la paroi, il serait aisé de remédier à cet inconvénient et d’aérer l’intérieur pour les besoins de quinze personnes.

Quant à ses dimensions – vingt pieds de largeur sur trente de longueur – cette caverne serait certainement insuffisante pour servir à la fois de dortoir, de réfectoire, de magasin général et de cuisine. En somme, il ne s’agissait que d’y passer cinq ou six mois d’hiver – après quoi, on prendrait la route du nord-est pour atteindre quelque ville de la Bolivie ou de la République Argentine. Évidemment, dans le cas où il eût été indispensable de s’installer d’une façon définitive, on aurait cherché à s’aménager plus à l’aise en creusant le massif, qui était d’un calcaire assez tendre. Mais telle qu’était cette excavation, on devrait s’en contenter jusqu’au retour de la saison d’été.

Ceci reconnu, Briant fit un minutieux inventaire des objets qu’elle contenait. En vérité, c’était bien peu de choses ! Ce malheureux avait dû y arriver dans un dénuement presque complet. De son naufrage, qu’avait-il pu recueillir ? Rien que d’informes épaves, des espars brisés, des fragments de bordages, qui lui avaient servi à fabriquer ce grabat, cette table, ce coffre, ce banc, ces escabeaux – unique mobilier de sa misérable demeure. Moins favorisé que les survivants du Sloughi, il n’avait pas eu tout un matériel à sa disposition. Quelques outils, une pioche, une hache, deux ou trois ustensiles de cuisine, un petit tonneau qui avait dû contenir de l’eau-de-vie, un marteau, deux ciseaux à froid, une scie – ce fut seulement ce que l’on trouva en premier lieu. Ces ustensiles avaient été sauvés, évidemment, dans cette embarcation dont il ne restait plus que des débris près de la digue du rio.

C’est à quoi songeait Briant, c’est ce qu’il expliquait à ses camarades. Et alors, après le sentiment d’horreur qu’ils avaient ressenti à la vue du squelette, en songeant qu’ils étaient peut-être destinés à mourir dans le même abandon, la pensée leur vint que rien ne leur manquait de ce qui avait manqué à cet infortuné, et ils se sentaient portés à reprendre confiance.

Maintenant, quel était cet homme ? Quelle était son origine ? À quelle époque remontait son naufrage ? Nul doute que bien des années se fussent écoulées depuis qu’il avait succombé. L’état des ossements, qui avaient été trouvés au pied de l’arbre, ne l’indiquait que trop ! En outre, le fer de la pioche et l’anneau de l’embarcation rongés par la rouille, l’épaisseur du fourré qui obstruait l’entrée de la caverne, tout ne tendait-il pas à démontrer que la mort du naufragé datait de loin déjà ?

Par suite, quelque nouvel indice ne permettrait-il pas de changer cette hypothèse en certitude ?

Les recherches continuant, d’autres objets furent encore découverts – un second couteau dont plusieurs lames étaient cassées, un compas, une bouilloire, un cabillot de fer, un épissoir, sorte d’outil de matelots. Mais, il n’y avait aucun instrument de marine, ni lunette, ni boussole, pas même une arme à feu pour chasser le gibier, pour se défendre contre les animaux ou les indigènes !

Cependant, comme il avait fallu vivre, cet homme avait certainement été réduit à tendre des pièges. Au reste, un éclaircissement fut donné à ce sujet, lorsque Wilcox s’écria :

« Qu’est-ce que cela ?

— Cela ? répondit Service.

— C’est un jeu de boules, répondit Wilcox.

— Un jeu de boules ? » dit Briant, non sans surprise.

Mais il reconnut aussitôt à quel usage avaient dû être employées les deux pierres rondes que Wilcox venait de ramasser. C’était un de ces engins de chasse, appelés « bolas », qui se composent de deux boules reliées l’une à l’autre par une corde, et qu’emploient les Indiens de l’Amérique du Sud. Lorsqu’une main habile lance ces bolas, elles s’enroulent autour des jambes de l’animal, dont les mouvements sont paralysés et qui devient facilement la proie du chasseur.

Indubitablement, c’était l’habitant de cette caverne qui avait fabriqué cet engin, et aussi un lazo, longue lanière de cuir qui se manœuvre comme les bolas, mais à plus courte distance.

Tel fut l’inventaire des objets recueillis dans la caverne, et, à cet égard, Briant et ses camarades étaient incomparablement plus riches. Ils n’étaient que des enfants, il est vrai, et l’autre était un homme.

Quant à cet homme, était-ce un simple matelot ou un officier qui avait pu mettre à profit son intelligence préalablement développée par l’étude ? C’est ce qui eût été très difficile à établir, sans une découverte qui permit de s’avancer avec plus d’assurance dans la voie des certitudes.

Au chevet du grabat, sous un pan de la couverture que Briant avait rejetée, Wilcox découvrit une montre accrochée à un clou fixé dans la muraille.

Cette montre, moins commune que les montres de matelots, était de fabrication assez fine ; elle se composait d’un double boîtier d’argent, auquel pendait une clef, attachée par une chaîne de même métal.

« L’heure !… Voyons l’heure ! s’écria Service.

— L’heure ne nous apprendrait rien, répondit Briant. Probablement, cette montre a dû s’arrêter bien des jours, avant la mort de ce malheureux ! »

Briant ouvrit le boîtier, avec quelque peine, car les jointures en étaient oxydées, et il put voir que les aiguilles marquaient trois heures vingt-sept minutes.

« Mais, fit observer Doniphan, cette montre porte un nom… Cela peut nous fixer…

— Tu as raison, » répondit Briant.

Et, après avoir regardé à l’intérieur du boîtier, il parvint à lire ces mots, gravés sur la plaque :

Delpeuch, Saint-Malo – le nom du fabricant et son adresse.

« C’était un Français, un compatriote à moi ! » s’écria Briant avec émotion.

Il n’y avait plus à en douter, un Français avait vécu dans cette caverne, jusqu’à l’heure où la mort était venue mettre un terme à ses misères !

À cette preuve s’en joignit bientôt une autre, non moins décisive, lorsque Doniphan, qui avait déplacé le grabat, eut ramassé sur le sol un cahier, dont les pages jaunies étaient couvertes de lignes tracées au crayon.

Par malheur, la plupart de ces lignes étaient à peu près illisibles. Quelques mots, cependant, purent être déchiffrés, et entre autres, ceux-ci : François Baudoin.

Deux noms, et c’étaient bien ceux dont le naufragé avait gravé les initiales sur l’arbre ! Ce cahier, c’était le journal quotidien de sa vie, depuis le jour où il avait échoué sur cette côte ! Et, dans des fragments de phrases que le temps n’avait pas complètement effacés, Briant parvint à lire encore ces mots : Duguay-Trouin – évidemment le nom du navire qui s’était perdu dans ces lointains parages du Pacifique.

Puis, au début, une date : – la même qui était inscrite au-dessous des initiales, et, sans doute, celle du naufrage !

Il y avait donc cinquante-trois ans que François Baudoin avait atterri sur ce littoral. Pendant toute la durée de son séjour il n’avait reçu aucun secours du dehors !

Or, si François Baudoin n’avait pu se porter sur quelque autre point de ce continent, était-ce donc parce que d’infranchissables obstacles s’étaient dressés devant lui ?…

Plus que jamais, les jeunes garçons se rendirent compte de la gravité de leur situation. Comment viendraient-ils à bout de ce qu’un homme, un marin, habitué aux rudes travaux, rompu aux dures fatigues, n’avait pu accomplir ?

D’ailleurs, une dernière trouvaille allait leur apprendre que toute tentative pour quitter cette terre serait vaine.

En feuilletant le cahier, Doniphan aperçut un papier plié entre les pages. C’était une carte, tracée avec une sorte d’encre, probablement faite d’eau et de suie.

« Une carte !… s’écria-t-il.

— Que François Baudoin a vraisemblablement dessinée lui-même ! répondit Briant.

— Si cela est, cet homme ne devait pas être un simple matelot, fit observer Wilcox, mais un des officiers du Duguay-Trouin, puisqu’il était capable de dresser une carte…

— Est-ce que ce serait ?… » s’écria Doniphan.

Oui ! C’était la carte de cette contrée ! Du premier coup d’œil, on y reconnaissait Sloughi-bay, le banc de récifs, la grève sur laquelle avait été établi le campement, le lac dont Briant et ses camarades venaient de redescendre la rive occidentale, les trois îlots situés au

Gordon avait imaginé de lancer quelques fusées. (Page 134.)


large, la falaise qui s’arrondissait jusqu’au bord du rio, les forêts dont toute la région centrale était couverte !

Au-delà de la rive opposée du lac, c’étaient encore d’autres forêts, qui s’étendaient jusqu’à la lisière d’un autre littoral, et ce littoral… la mer le baignait sur tout son périmètre.

Ainsi tombaient ces projets de remonter vers l’est pour chercher le salut dans cette direction ! Ainsi Briant avait eu raison contre Doniphan ! Ainsi la mer entourait de toute part ce prétendu continent… C’était une île, et voilà pourquoi François Baudoin n’avait pu en sortir !

Il était aisé de voir, sur cette carte, que les contours généraux de l’île avaient été reproduits assez exactement. Assurément, les longueurs n’avaient dû être relevées qu’à l’estime, par le temps employé à les parcourir et non par des mesures de triangulation ; mais, à en juger d’après ce que Briant et Doniphan connaissaient déjà de la partie comprise entre Sloughi-bay et le lac, les erreurs ne pouvaient être importantes.

Il était démontré, en outre, que le naufragé avait parcouru toute son île, puisqu’il en avait noté les principaux détails géographiques, et, sans doute, l’ajoupa comme la chaussée du creek devaient être son ouvrage.

Voici les dispositions que présentait l’île, telle que l’avait dessinée François Baudoin :

Elle était de forme oblongue et ressemblait à un énorme papillon, aux ailes déployées. Rétrécie dans sa partie centrale entre Sloughi-bay et une autre baie qui se creusait à l’est, elle en présentait une troisième beaucoup plus ouverte dans sa partie méridionale. Au milieu d’un cadre de vastes forêts se développait le lac, long de dix-huit milles environ et large de cinq – dimensions assez considérables pour que Briant, Doniphan, Service et Wilcox, arrivés sur son bord occidental, n’eussent rien aperçu des rives du nord, du sud et de l’est. C’est ce qui expliquait comment, au premier abord, ils l’avaient pris pour une mer. Plusieurs rios sortaient de ce lac, et, notamment, celui qui, coulant devant la caverne, allait se jeter dans Sloughi-bay près du campement.

La seule hauteur un peu importante de cette île paraissait être la falaise, obliquement disposée depuis le promontoire, au nord de la baie, jusqu’à la rive droite du rio. Quant à sa région septentrionale, la carte l’indiquait comme étant aride et sablonneuse, tandis qu’au-delà du rio se développait un immense marécage, qui s’allongeait en un cap aigu vers le sud. Dans le nord-est et le sud-est se succédaient de longues lignes de dunes, lesquelles donnaient à cette partie du littoral un aspect très différent de celui de Sloughi-bay.

Enfin, si l’on s’en rapportait à l’échelle tracée au bas de la carte, l’île devait mesurer environ cinquante milles dans sa plus grande longueur du nord au sud, sur vingt-cinq dans sa plus grande largeur de l’ouest à l’est. En tenant compte des irrégularités de sa configuration, c’était un développement de cent cinquante milles de circonférence.

Quant à savoir à quel groupe de la Polynésie appartenait cette île, si elle se trouvait ou non isolée au milieu du Pacifique, il était impossible de formuler de sérieuses conjectures à ce sujet.

Quoi qu’il en fût, c’était une installation définitive, et non provisoire, qui s’imposait aux naufragés du Sloughi. Et, puisque la caverne leur offrait un excellent refuge, il conviendrait d’y transporter le matériel, avant que les premières bourrasques de l’hiver eussent achevé de démolir le schooner.

Il s’agissait maintenant de revenir au campement et sans retard. Gordon devait être très inquiet – trois jours s’étant écoulés depuis le départ de Briant et de ses camarades – et il pouvait craindre qu’il leur fût arrivé malheur.

Sur le conseil de Briant, on décida que le départ s’effectuerait le jour même, à onze heures du matin. Il était inutile de gravir la falaise, puisque la carte indiquait que le plus court serait de suivre la rive droite du rio qui courait de l’est à l’ouest. C’était au plus sept milles à faire jusqu’à la baie, et ils pouvaient être franchis en quelques heures.

Mais, avant de partir, les jeunes garçons voulurent rendre les derniers devoirs au naufragé français. La pioche servit à creuser une tombe au pied même de l’arbre sur lequel François Baudoin avait gravé les lettres de son nom, et dont une croix de bois marqua la place.

Cette pieuse cérémonie terminée, tous quatre revinrent vers la caverne, et ils en bouchèrent l’orifice, afin que les animaux n’y pussent pénétrer. Après avoir achevé ce qui restait des provisions, ils descendirent la rive droite du rio, en longeant la base de la falaise. Une heure plus tard, ils arrivaient à l’endroit où le massif s’écartait pour prendre une direction oblique vers le nord-ouest.

Tant qu’ils suivirent le cours du rio, leur marche fut assez vive, car la berge n’était que peu encombrée d’arbres, d’arbrisseaux et d’herbes.

Tout en cheminant, dans la prévision que le rio servait de communication entre le lac et Sloughi-bay, Briant ne cessait de l’examiner avec attention. Il lui sembla que, sur la partie supérieure de son cours tout au moins, une embarcation ou un radeau pourraient être halés à la cordelle ou poussés à la gaffe – ce qui faciliterait le transport du matériel, à condition d’utiliser la marée dont l’action se faisait sentir jusqu’au lac. L’important était que ce cours ne se changeât pas en rapides, et que le manque de profondeur ou de largeur ne le rendît point impraticable. Il n’en était rien ; et, sur un espace de trois milles depuis sa sortie du lac, le rio parut être dans d’excellentes conditions de navigabilité.

Cependant, vers quatre heures du soir, le chemin de la berge dut être abandonné. En effet, la rive droite était coupée par une large et molle fondrière sur laquelle on n’aurait pu s’engager sans risques. Aussi, le plus sage fut-il de se porter à travers la forêt.

Sa boussole à la main, Briant se dirigea alors vers le nord-ouest, de manière à gagner Sloughi-bay par le plus court. Il y eut alors des retards considérables, car les hautes herbes formaient à la surface du sol d’inextricables fouillis. En outre, sous le dôme épais des bouleaux, des pins et des hêtres, l’obscurité se fit presque avec le coucher du soleil.

Deux milles furent parcourus dans ces conditions très fatigantes. Quand on eut contourné la fondrière, qui s’étendait assez profondément vers le nord, le mieux, certainement, eût été de rejoindre le cours du rio, puisque, à s’en rapporter à la carte, il se jetait dans Sloughi-bay. Mais le détour aurait été si long que Briant et Doniphan ne voulurent point perdre de temps à revenir dans sa direction. Ils continuèrent à s’engager sous bois, et, vers sept heures du soir, ils eurent la certitude qu’ils s’étaient égarés.

Seraient-ils donc contraints à passer la nuit sous les arbres ? Il n’y aurait eu que demi-mal, si les provisions n’eussent manqué, au moment où la faim se faisait vivement sentir.

« Allons toujours, dit Briant. En marchant du côté de l’ouest, il faudra bien que nous arrivions au campement…

— À moins que cette carte ne nous ait donné de fausses indications, répondit Doniphan, et que ce rio ne soit pas celui qui se jette dans la baie !

— Pourquoi cette carte serait-elle inexacte, Doniphan ?

— Et pourquoi ne le serait-elle pas, Briant ? »

On le voit, Doniphan, qui n’avait pas digéré sa déconvenue, s’obstinait à n’accorder qu’une médiocre confiance à la carte du naufragé. Il avait tort, néanmoins, car, dans la partie de l’île déjà reconnue, on ne pourrait nier que le travail de François Baudoin ne présentât une réelle exactitude.

Briant jugea inutile de discuter là-dessus, et l’on se remit résolument en route.

À huit heures, impossible de s’y reconnaître, tant l’obscurité était profonde. Et la limite de cette interminable forêt qu’on n’atteignait point !

Soudain, par une trouée des arbres, apparut une vive lueur qui se propageait à travers l’espace.

« Qu’est-ce que cela ?… dit Service.

— Une étoile filante, je suppose ? dit Wilcox.

— Non, c’est une fusée !… répliqua Briant, une fusée qui a été lancée du Sloughi.

— Et, par conséquent, un signal de Gordon !… s’écria Doniphan, qui y répondit par un coup de fusil.

Un point de repère ayant été pris sur une étoile, au moment où une seconde fusée montait dans l’ombre, Briant et ses camarades se dirigèrent dessus, et, trois quarts d’heure après, ils arrivaient au campement du Sloughi.

C’était Gordon, en effet, qui, dans la crainte qu’ils ne se fussent égarés, avait imaginé de lancer quelques fusées afin de leur signaler la position du schooner.

Excellente idée, sans laquelle cette nuit-là, Briant, Doniphan, Wilcox et Service n’auraient pu se reposer de leurs fatigues dans les couchettes du yacht.