Deux allocutions au sujet de Peiresc

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I.

Mous amis, mous frais,[1]

Sèi ta countènt d’èste au mitan de bous, que ma joio me fai pòu. Caucun d’aciou m’escribèu, l’àutou semànou, qu’anàben me tua à forço de me douna de repas oumerique. Rìsqui enquèro mèi d’èste estoufat pèr lous moubomens trop bious de moun cur, que pèr las rebouluciouns de moun estoumac. Bous mountrèts ta bouns pèr jou, que me sèmblo que sets tous de ma familho. Pouirèi jamèi prou bous remercia d’èste tan amistous pèr boste coumpatrioto, car sèi presco tan proubençau que bous-aus, e quand lous gascouns me bésen un pau sounjur, mànquen pas de dise : « Tè ! lou bajou partit pèr las Boucos dau Rose ! Bai fini pèr mespresa nosto praubo Garouno ! » Nàni, mous amics, mespreserèi jamèi aquèlo ribèro qu’es pèr jou uno bielho amigo e presque uno mai. Toutjour bohi l’aima. Pòden bè aima tabé boste Rose e dise, coumo den la cansoun : « Entre lous dus moun cur balanço ».

Boulèts que bous àimi enquèro mèi, bous e boste tan bèt païs ? Fau m’aida tan que pouirrats den ma campagno pèr moun brabe Peiresc. Se bous i boutèts coumo balèns cassaires après uno lèbre, se i bats de la lengo, de la plumo et tabé de la pòchio, lou tèni, moun mounument. Bous-aus, qu’abèts en bosto naturo touto la flamo de bostes estious, se boulèts, aluquerats tout, enteberats tout. Acò sira coumo la grando victòrio que lou Marius gagnet proche d’aciou, quan escraset lous Teutouns.

Ah ! mous bouns amics, fau bube à nosto ta bello victòrio, que sira uno glòrio de mèi pèr moun païs d’adouptioun ! Fau, tous ensèmble, crida : « Bìbou Peiresc, lou rèi daus sabèns dau mitjour ! Bibo bosto terro, la rèino ensouleilhado e perfumado de toutos las terros de nosto douço France ! Bibo l’Escolo de Lar, ounte fan de la beroio musico e de la beroio pouésïou, e ounte i a tan d’aimables omes, que touto aquelo armounìou e touto aquelo bountat fan pensa à l’oustau dau boun Diou que bous souhèti d’ana tous abita, quand auras atrapa lous ans dau Matusalèn ! »

(Traduction littérale)
Mes amis, mes frères,

Je suis si content d’être au milieu de vous, que ma joie me fait peur. Quelqu’un d’ici m’écrivait, l’autre semaine, qu’on allait me tuer à force de me donner des repas homériques. Je risque encore plus d’être étouffé par les mouvements trop vifs de mon cœur, que par les révolutions de mon estomac. Vous vous montrez si bons pour moi, qu’il me semble que vous êtes tous de ma famille. Je ne pourrai jamais assez vous remercier d’être si affectueux pour votre compatriote, car je suis presque aussi provençal que vous autres, et quand les gascons me voient un peu songeur, ils ne manquent pas de dire : « Tiens ! le voilà parti pour les Bouches-du-Rhône ! Il va finir par mépriser notre pauvre Garonne ! »

Non, mes amis, je ne mépriserai jamais cette rivière qui est pour moi une vieille amie et presque une mère. Je veux toujours l’aimer mais on peut bien aussi aimer votre Rhône et dire comme dans la chanson « Entre les deux mon cœur balance. »

Voulez-vous que je vous aime encore plus, vous et votre si beau pays ? Il faut m’aider autant que vous le pourrez dans ma campagne pour mon brave Peiresc. Si vous vous y menez comme de vaillants chasseurs après un lièvre, si vous y allez de la langue, de la plume et tout aussi bien de la poche, je le tiens, mon monument.

Vous qui avez en votre nature toute la flamme de vos étés, si vous le voulez, vous allumerez tout, vous enlèverez tout. Ce sera comme la grande victoire que Marius remporta prés d’ici, quand il écrasa les Teutons.

Ah ! mes bons amis, il faut boire à cette si belle victoire, qui sera une gloire de plus pour mon pays d’adoption. Il faut tous ensemble crier : « Vive Peiresc, le roi des savants du Midi ! Vive votre terre, la reine ensoleillée et parfumée de toutes les terres de notre douce France ! Vive l’École de Lar, où l’on fait de si exquise musique et de si exquise poésie, et où il y a tant d’aimables hommes, que toute cette harmonie et toute cette bonté font penser à la maison du bon Dieu que je vous souhaite d’aller tous habiter, quand vous aurez atteint les années de Mathusalem ! »


II.

Mesdames, Messieurs[2]

C’est pour moi un bien grand honneur de présider une assemblée où l’on compte tant d’hommes distingués et de femmes charmantes. J’en suis tout confus et même un peu troublé. Étant placé si haut, moi qui n’en ai pas l’habitude, je ressemble à quelqu’un qui, escaladant pour la première fois une montagne, éprouve, quand il est arrivé au sommet, un commencement de vertige. En cette situation critique, et qui me montre l’inconvénient des grandeurs, je réclame votre plus gracieuse indulgence. Si vous daignez par vos sympathies m’encourager et me fortifier, ma joie ne sera plus mêlée d’inquiétude, et, de même que M. Prud’homme, dans son enthousiasme de garde national, s’écriait : Ce sabre est le plus beau jour de ma vie, je m’écrierai, dans ma vive reconnaissance pour le plus aimable des auditoires : Ce fauteuil est le plus beau jour de ma vie.

Moi qui aime déjà tant Peiresc, soit pour lui-même, soit pour les précieuses amitiés que je lui dois, je vais l’aimer plus encore puisqu’il me procure la bonne fortune de causer aujourd’hui — car ceci n’a rien d’oratoire, comme vous le voyez, et n’est qu’une simple et cordiale causerie avec l’élite de la ville si intelligente, si littéraire, qui a été justement surnommée l’Athènes du midi. Ô Athéniennes et Athéniens, permettez-moi de vous adresser tout d’abord un respectueux reproche : vous n’êtes pas assez fiers de ce grand homme qui s’appelle Fabri de Peiresc. Je sais bien que vous êtes très riches en gloires régionales et que l’on peut comparer la Provence à une de ces anciennes reines de Golconde qui voyaient — comme d’étincelantes rivières — ruisseler autour d’elles des milliers de diamants et qui avaient le droit de dire avec insouciance : un de plus un de moins, qu’importe ? Mais Peiresc est un diamant de si belle eau que l’on ne saurait trop l’apprécier et l’admirer. Vous donc, Provençaux, que l’on accuse parfois de mêler à des qualités aussi brillantes que votre magnifique soleil, un léger défaut, vous que l’on accuse..... comment dirai-je ?..... d’être un peu gascons par la vanité, vous faites preuve d’infiniment trop de modestie en ne mettant pas Peiresc à sa véritable place, parmi les plus illustres du XVIIe siècle. J’ose déclarer, moi qui, depuis près de vingt ana, vis sans cesse dans l’intimité de votre compatriote, que je n’ai jamais connu un cœur plus noble et un esprit plus élevé. Par ses travaux personnels, qui touchent à tout, et par les travaux de ceux qui reçurent de lui ce que j’appellerai le coup d’aiguillon et le coup de main, c’est-à-dire l’excitation la plus électrique et la protection la plus généreuse, il a exercé sur son époque une influence des plus considérables et des plus fécondes. Il faut vénérer en lui un de ces hommes qui, à force de lumières, de zèle et de dévouement, font avancer non seulement la science, mais encore la civilisation, et devant lesquels on s’incline comme devant un bienfaiteur de l’humanité.

Mais un éditeur est toujours suspect de faiblesse et de partialité, et on le compare sans hésiter au poète qui fatalement porte aux nues son incomparable héroïne. Je ne louerai donc plus Peiresc moi-même et je me contenterai de vous parler d’une manifestation en son honneur qui le loue plus que toute parole. Vous avez deviné qu’il s’agit de la réponse faite en France et à l’étranger à l’appel publié sous ce titre : Pour Peiresc, S. V. P. Vous ne sauriez croire combien de témoignages d’admiration pour le grand Provençal j’ai eu le bonheur de récolter, venus de tous les points de l’horizon et accompagnés de mandats postaux qui représentaient les sommes les plus diverses, depuis la modeste pièce de vingt sous jusqu’aux séduisants billets de cent francs. Pendant plusieurs semaines, c’était pour moi, presque chaque jour, double fête, d’encaisser des offrandes et de savourer les exquis compliments adressés à mon héros et, par ricochet, à moi même.

Les hommages ainsi rendus à Peiresc, signés parfois des plus grands noms de la science, formeraient, s’ils étaient rapprochés les uns des autres, le plus éloquent et le plus glorieux des recueils qui lui aient jamais été consacrés. La beauté de son talent n’y resplendirait pas moins que la beauté de son caractère. Il semble qu’une noble rivalité, pour le bien dire comme pour le bien faire, ait régné entre Peiresciens et Peiresciennes. Parmi ces dernières ma reconnaissance distingue une de vos concitoyennes dont la générosité pour la ville d’Aix a été admirable et que je n’ai pas besoin de nommer, car son nom, qui est gravé dans tous les cœurs, est sur toutes les lèvres.

Vous apprendrez avec plaisir, vous qui êtes à l’unanimité des amis de Peiresc, que mon cher et très zélé auxiliaire, M. Paul Mariéton, à Paris, et votre dévoué serviteur, en province, nous avons déjà recueilli près de deux mille francs qui, dans l’intention des donateurs seront exclusivement appliqués à la restauration de la chapelle funéraire de la Madeleine, tout le produit des futures offrandes devant être consacré au monument qui se dressera sur une de vos places publiques. Les deux mille francs déjà recueillis constituent, dans les temps déjà si durs où nous vivons, et où chacun, selon le pittoresque mot de nos pères, es paure coumo un rat de glèiso, constituent, dis-je, un magnifique résultat. Sans doute nous avons eu à déplorer, au milieu de nos joies triomphales, de fâcheuses abstentions. Mais peut être ne sont-elles pas définitives et ne doit-on pas confondre des retardataires, des traînards, avec des déserteurs !

Je disais, dans mon appel de l’an dernier, qu’un de mes amis, trop confiant, m’avait surtout fait espérer le concours des douairières, à cause de leur culte pour le chat angora dont Peiresc fut le père, je veux dire l’importateur et le propagateur. Il y a eu là pour moi une cruelle déception, et, si vous me permettiez d’employer une expression familière, je vous avouerais que la douairière n’a pas donné et que cet article a été le plus stérile et le plus ingrat de tous. Mais que de consolations nous sont venues et nous viendront d’ailleurs ! et combien nos regrets ont été adoucis et vont l’être encore par de généreux élans ! Combien nos blessures ont été pansées et le seront encore par des mains bienfaisantes, avec application, en guise de baume, de ces petits morceaux de papier multicolores que la Banque et la Poste mettent à la disposition des âmes charitables !

À ce propos, mes chers auditeurs, laissez-moi, en vertu du pouvoir discrétionnaire — et parfois indiscret — que possède tout président, aborder ici une question délicate, imprévue, oui imprévue, car les amis qui m’entourent et qui sont pourtant les meilleurs des amis, ne connaissaient pas mes intentions et seront étonnés de voir surgir cet article secret de mon programme, d’autant plus étonnés que plusieurs d’entre eux m’ont écrit : « Ne venez pas ici en frère quêteur. Apportez, si vous le voulez, votre lyre, mais non pas votre tire-lire. » De lyre, je n’en ai jamais eu, même en mes Printanières années, et je ne suis hélas ! qu’un vil prosateur. Comment, d’ailleurs, même poëte, aurais-je jamais osé faire caracoler mon Pégase sur la terre classique des troubadours, sur ce sol privilégié de la Provence où, comme la fleur d’un arbre immortel et sacré, s’épanouit toujours la poésie, où, de notre temps, ont retenti les chants inoubliables des Aubanel, des Berluc, des Félix Gras, des Roumanille et de tant d’autres harmonieux et célèbres oiseaux parmi lesquels — je le place le dernier coumo lou curat à la couè de la proucessien — je salue avec une admiration particulière le cygne de Maillane, pour moi l’égal du cygne de Mantoue ?

Donc, Mesdames et Messieurs, pour revenir aux deux mots de tout à l’heure, vous n’avez pas à redouter ma lyre, mais bien ma tire-lire. Donnez-moi peu ou beaucoup, comme vous le voudrez, mais, je vous en conjure, donnez-moi quelque chose pour le monument de Peiresc, ce monument qui, dans votre ville si belle déjà, sera une nouvelle décoration, le mot étant pris dans ses deux sens, car, œuvre d’un habile artiste, il ornera dignement une de vos places publiques, et, produit de vos patriotiques libéralités, il sera pour les Aixois un impérissable titre d’honneur.


  1. Ce toste a été prononcé, le 9 mai 1894, au banquet de bienvenue offert à l’auteur, en sa qualité de Majoral du Félibrige d’Aquitaine, par ses confrères et amis les Félibres de l’École d’Aix (Escolo de Lar), sous la présidence de leur capiscol, M. François Vidal, assisté des majoraux L. de Berluc Perussis, président d’honneur de l’École, et Léopold Constans, professeur de littérature romane à la Faculté des Lettres d’Aix.
  2. Lu, le surlendemain, 11 mai, à la séance d’inauguration du Comité pour l’érection d’un monument à Peiresc, tenue solennellement dans la grand’salle de l’ancienne Université d’Aix, à la Faculté de Droit, en présence de Monseigneur l’archevêque d’Aix, de M. Leydet, député de l’arrondissement, de M. le premier président, de M. le maire Abram, et de l’élite de la société aixoise. Ce discours d’ouverture a été suivi de remarquables lectures, toutes relatives au héros de la fête : Peiresc historien, par M. le doyen Georges Guibal, président du Comité ; Peiresc et l’Université d’Aix, par M. le recteur Belin ; Iconographie de Peiresc, par M. Hipp. Guillibert, de l’Académie d’Aix, Peiresc et les Fleurs, par M. Joret, membre correspondant de l’institut ; Pour Peiresc, par M. Xavier de Magallon, de l’Académie d’Aix. Ces divers travaux vont être réunis, en une publication collective, qui aidera puissamment, nous l’espérons, à faire connaître Peiresc et à favoriser la souscription en faveur de son monument. Disons à ce sujet que les plus minces offrandes seront reçues avec gratitude chez M. Mouravit, de l’Académie d’Aix, notaire, trésorier du Comité.