Dictionnaire de Trévoux/6e édition, 1771/CADENCE

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Jésuites et imprimeurs de Trévoux
(2p. 139-140).
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CADENCE. s. f. Suivant les anciens Musiciens qui ont écrit de la théorie, c’est une suite d’un certain nombre de notes de Musique dans un certain intervalle, qui frappe agréablement l’oreille, & sur-tout à la fin d’un couplet. Numerus, modus. Elle est ordinairement composée d’une quarte & d’une quinte, pour faire une octave, qui est la plus excellente des consonances. On fait aussi des doubles cadences. Quand la cadence est imparfaite on la peut terminer par la quinte, ou par l’une des tierces ou des sixtes. La cadence doit être composée ordinairement de trois notes. On appelle clausule, ou conclusion, ou cadence finale, la cadence principale par laquelle on termine le chant. L’autre est appelée entrée, ou médiation, & quelquefois attendante, parce qu’on attend toujours la parfaite cadence qui finit.On l’appelle aussi cadence médiane ou médiante. La cadence dominante est celle qui tient le plus haut entre les deux autres, & c’est pour cela qu’on l’a appelée dominante, comme la médiante a eu son nom, parce qu’elle tient le milieu entre la dominante & la finale. Voyez le P. Parran dans son Traité de Musique. Mais les Musiciens modernes appellent simplement cadence, la relation de deux notes qu’on chante ensemble, comme ut, re, & ils disent qu’il y a double cadence, quand la dernière de ces notes est suivie de deux doubles croches. En général la cadence est une certaine conclusion de chant, qui se fait de toutes les parties ensemble en divers endroits de chaque pièce, & qui la divise comme en ses membres & périodes ☞ c’est la terminaison d’une phrase harmonique par un repos. Cela se fait lorsque les parties viennent tomber & terminer sur une corde, que l’oreille, ce semble, attend naturellement.

La cadence parfaite est celle qui consiste en deux notes chantées tout de suite, ou par degrés conjoints en chacune des deux parties. Elle s’appelle parfaite, parce qu’elle contente mieux l’oreille que les autres. La cadence est imparfaite, quand son dernier temps n’est pas à l’octave ni à l’unisson, mais à la sixte, ou à la tierce. Cela se fait quand la basse au lieu de descendre par la quinte, ne le fait que par la tierce : ou quand en descendant par la quinte, ou en montant par la quarte, ce qui fait le même effet, elle fait avec le dessus au premier temps une octave, & au second une tierce majeure. On l’appelle imparfaite, parce que l’oreille, au lieu d’acquiescer à cette conclusion, attend encore la continuation du chant. La cadence est rompue, quand la basse, au lieu de descendre à la quinte où l’oreille l’attend, monte d’une seconde mineure ou majeure. Toute cadence se fait en deux temps. Quelquefois elle est suspendue, & alors elle s’appelle repos, & n’a qu’un temps. Cela se fait quand les deux parties ’demeurent à la quinte, sans achever la cadence. Les cadences sont au chant, ce que les points & les virgules sont au discours. Nivers.

Selon M Rameau, on appelle cadence parfaite, toutes les conclusions de chant, qui se font sur une note tonique précédée de sa dominante. Cette note tonique doit être toujours entendue dans le premier temps de la mesure, pour que la conclusion puisse se faire sentir ; & sa dominante qui la précède en ce cas, doit toujours porter l’accord de la septième, ou au moins le parfait, parce que la septième peut y être sous-entendue. Il y a aussi des cadences imparfaites, qui se font par renversement. Id. Cadence rompue. Si nous changeons la progression de l’un des sons compris dans le premier accord d’une cadence parfaire, il est certain que nous en interromprons la conclusion ; aussi est-ce de cette interruption causée par ce changement de progression que la cadence rompue tire l’on origine. Cette cadence ne differe pas beaucoup de la parfaite, puisque l’une & l’autre sont également composées, ou des mêmes accords, ou de la même base fondamentale, qui dans la cadence parfaite devant descendre de quinte, montera diatoniquement dans celle-ci, & si la base fondamentale est la même dans l’une & l’autre cadence, l’accord parfait qui termine la cadence parfaite, sera changé ici en un accord de sixte. Id. Cadence irrégulière. Au lieu que la cadence parfaite se termine de la dominante à la note tonique, celle-ci au contraire se termine de la note tonique à sa dominante, d’où nous lui donnons le nom d’irrégulière. Id. Il y a une imitation des cadences par renversement. Lorsque nous voulons imiter une cadence par renversement, il faut en retrancher ordinairement la basse fondamentale, & prendre pour basse, telle autre partie que l’on juge à propos, en diversifiant même la progression des sons qui ne font point dissonance ensemble, comme le son fondamental & sa quinte. Id. Eviter les cadences. C’est éviter les cadences que de ne les imiter qu’en partie, mais nous nous servons plus précisément du terme d’éviter (dans les accords où il est permis d’altérer ceux dont se forment les cadences). L’accord consonant peut être altéré par l’addition d’une tierce, qui y introduit la dissonance de la septième, & le dissonant peut l’être en rendant mineure la tierce, qui se trouve naturellement majeure dans les dominantes, pouvant ainsi conduire une assez longue suite de chant & d’harmonie sans y introduire aucune conclusion. Id. On évite aussi les cadences avec des accords par supposition & par emprunt. Id.

Cadence, se dit aussi de la voix & des instrumens, & signifie un tremblement soutenu, qui se fait ordinairement à la fin d’une mesure.

Les Maîtres à chanter disent que la cadence est un don de nature. Il faut battre du gosier les deux notes dont la cadence est composée, & l’une aptes l’autre de même que sur le clavessin, en battant des deux doigts les deux touches qui font le tremblement.

M. Rousseau, dans son Traité de la viole, distingue par rapport à cet instrument deux sortes de cadences ; la cadence avec appui, & la cadence sans appui. La cadence avec appui se fait lorsque le doigt qui doit trembler la cadence appuie un peu, avant que de trembler, sur la note qui est immédiatement au-dessus de celle qui demande une cadence. La cadence sans appui se fait comme l’autre, en retranchant l’appui. Il y a des cadences simples ; des cadences doubles de plusieurs manières : les plus doubles cadences sont celles qui se font sur une note longue, les moins doubles se font sur une note brève. Il y a une double cadence, qu’on appelle renversée : on la pratique au lieu de la double cadence, lorsque la disposition de la main ne permet pas de faire autrement. La cadence finale doit être précédée de la double cadence. La cadence avec appui ou sans appui, est propre pour tous les jeux de la viole. Il faut varier les cadences suivant les divers caractères des airs. La double cadence fait un bel effet quand elle est bien ménagée.

Ce mot vient de cadentia, qui veut dire chute y parce que la cadence est la chute, ou la conclusion de chant ou d’harmonie, propre à terminer, ou tout-à-fait, ou en partie, une pièce.

On dit cadence double, étrangère, feinte, évitée, hors du mode, imparfaite, ou attendante, irrégulière, parfaite, régulière, simple, trompeuse, fleurie, &c.

Cadence est aussi l’observation des mêmes mesures, qui se fait en dansant, lorsque les pas & le mouvement du corps suivent les notes & les mesures des instrumens ; ainsi la cadence est la fin d’un temps ou d’une mesure. On dit entrer en cadence, sortie de cadence, n’être point en cadence ; pour dire, suivre ou ne suivre pas les mouvemens du violon, du hautbois, du chant, &c. Intra aut extra numerum movere se, saltare, &c. In numerum canere, ad numerum saltare.

Cadence, dans le discours oratoire & la poësie, se dit de la marche harmonieuse de la prose & des vers, qu’on appelle autrement nombre ; mesure que doit garder l’Orateur, pour former des sons qui contentent l’oreille. Le style périodique & soutenu, gardant un juste milieu entre le style rapide & haché, & le style traînant & languissant, est le plus propre à flater agréablement l’oreille, & conséquemment le plus convenable aux Orateur. Isocrate fut le premier qui reconnut qu’on devoit garder quelque cadence dans la prose même. C’est un vice dans le discours que de faire trop sentir la cadence mesurée des périodes. S. Evr. Une cadence trop harmonieuse, & trop régulière, ennuie enfin l’Auditeur. P. Rap.

☞ La cadence des vers dans la poësie grecque & latine, dépend du nombre & de l’entrelacement des pieds qui entrent dans la composition des vers, des césures. Elle varie suivant les différentes espèces de vers. La cadence des vers saphiques est bien différente de celle des vers héroïques ou ïambique.

☞ Dans la poësie Françoise, la cadence résulte du nombre de syllabes qu’admet chaque vers, de la richesse, de la variété & de la disposition des rimes.

Ayez pour la cadence une oreille sévère. Boil.

Enfin Malherbe vint, & le premier en France
Fit sentir dans les vers une juste cadence. Id.

Cadence, en termes de Manège, est la mesure égale que le cheval doit garder dans tous ses mouvemens, soit qu’il manie au galop, ou terre à terre, ou dans les airs, en telle sorte qu’un de ses temps n’embrasse pas plus de terrain que l’autre, & qu’il y ait de la justesse dans tous ses mouvemens. Ainsi on dit qu’un cheval manie toujours la même cadence, qu’il suit sa cadence, entretient sa cadence, n’interrompt point sa cadence, ne change point sa cadence ; pour dire, qu’il observe régulièrement son terrain, & que ses mouvemens se soutiennent toujours également.

Cadence, se dit aussi de tous les mouvemens égaux qui se font dans les autres professions. ☞ Les Maréchaux battent le fer en cadence sur l’enclume. Ce que Virgile exprime heureusement dans ces vers, où il parle des Cyclopes :

Illi inter se se magnâ vi brachia tollunt
In numerum, versantque tenaci forcipe ferrum.