Dictionnaire philosophique/Garnier (1878)/Bornes de l’esprit humain

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Éd. Garnier - Tome 18
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BORNES DE L’ESPRIT HUMAIN[1].

On demandait un jour à Newton pourquoi il marchait quand il en avait envie, et comment son bras et sa main se remuaient à sa volonté. Il répondit bravement qu’il n’en savait rien. Mais du moins, lui dit-on, vous qui connaissez si bien la gravitation des planètes, vous me direz par quelle raison elles tournent dans un sens plutôt que dans un autre ; et il avoua encore qu’il n’en savait rien.

Ceux qui enseignèrent que l’Océan était salé de peur qu’il ne se corrompît, et que les marées étaient faites pour conduire nos vaisseaux dans nos ports[2] furent un peu honteux quand on leur répliqua que la Méditerranée a des ports, et point de reflux. Musschenbroeck lui-même est tombé dans cette inadvertance.

Quelqu’un a-t-il jamais pu dire précisément comment une bûche se change dans son foyer en charbon ardent, et par quelle mécanique la chaux s’enflamme avec de l’eau fraîche ?

Le premier principe du mouvement du cœur dans les animaux est-il bien connu ? sait-on bien nettement comment la génération s’opère ? a-t-on deviné ce qui nous donne les sensations, les idées, la mémoire ? Nous ne connaissons pas plus l’essence de la matière que les enfants qui en touchent la superficie.

Qui nous apprendra par quelle mécanique ce grain de blé que nous jetons en terre se relève pour produire un tuyau chargé d’un épi, et comment le même sol produit une pomme au haut de cet arbre, et une châtaigne à l’arbre voisin ? Plusieurs docteurs ont dit : Que ne sais-je pas ? Montaigne disait : Que sais-je ?

Décideur impitoyable, pédagogue à phrases, raisonneur fourré, tu cherches les bornes de ton esprit. Elles sont au bout de ton nez.

Parle : m’apprendras-tu par quels subtils ressorts
L’éternel artisan fait végéter les corps ? etc.[3]

Nos bornes sont donc partout ; et avec cela nous sommes orgueilleux comme des paons, que nous prononçons pans.


  1. Questions sur l’Encyclopédie, troisième partie, 1770. (B.)
  2. L’abbé Pluche, dans le Spectacle de la nature. Voyez ci-après l’article Calebasse.
  3. Dans ses Questions sur l’Encyclopédie, Voltaire citait cinquante-quatre autres vers du quatrième de ses Discours sur l’homme.


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