Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle/Barbacane

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BARBACANE, barbequenne. s. f. On désignait pendant le moyen âge, par ce mot, un ouvrage de fortification avancé qui protégeait un passage, une porte ou poterne, et qui permettait à la garnison d’une forteresse de se réunir sur un point saillant à couvert, pour faire des sorties, pour protéger une retraite ou l’introduction d’un corps de secours. Une ville ou un château bien munis étaient toujours garnis de barbacanes, construites simplement en bois, comme les antemuralia, procastria des camps romains, ou en terre avec fossé, en pierre ou moellon avec pont volant, large fossé et palissades antérieures (voy. Architecture Militaire). La forme la plus ordinaire donnée aux barbacanes était la forme circulaire ou demi-circulaire, avec une ou plusieurs issues masquées par la courbe de l’ouvrage. Les armées qui campaient avaient le soin d’élever devant les entrées des camps de vastes barbacanes, qui permettaient aux troupes de combiner leurs mouvements d’attaque, de retraite ou de défense. Au moment d’un siège, en dehors des murs des forteresses, on élevait souvent des barbacanes, qui n’étaient que des ouvrages temporaires, et dans lesquels on logeait un surcroît de garnison.

« Hordéiz ot et bon et bel,
Par defors les murs dou chastel
Ses barbacanes fist drecier
Por son chastel miauz enforcier.
Sodoiers mande por la terre
Qu’il vaingnent à li por conquerre.
Sergens à pié et à cheval :
Tant en y vint que tot un val
En fu covert, grant joie en fist
Renart, et maintenant les mist
Es barbacanes por deffense[1]. »

Mais, le plus souvent, les barbacanes étaient des ouvrages à demeure autour des forteresses bien munies.

« Haut sont li mur, et parfont li fossé,
Les barbacanes de fin marbre listé,
Hautes et droites, ja greignors ne verrés[2] »

Parmi les barbacanes temporaires, une des plus célèbres est celle que le roi saint Louis fit faire pour protéger la retraite de son corps d’armée et passer un bras du Nil, après la bataille de la Massoure. Le sire de Joinville parle de cet ouvrage en ces termes : « Quant le roy et ses barons virent celle chouse, et que nul autre remède n’y avoit (le camp était en proie à la peste et à la famine), tous s’accordèrent, que le roy fist passer son ost devers la terre de Babilonne, en l’ost du duc de Bourgoigne, qui estoit de l’autre part du fleuve, qui alloit à Damiette. Et pour retraire ses gens aisément, le roy fist faire une barbacane devant le poncel, dont je vous ai devant parlé. Et estoit faite en manière, que on pouvoit assez entrer dedans par deux coustez tout à cheval. Quant celle barbacanne fut faite et apprestée, tous les gens de l’ost se armèrent ; et là y eut ung grant assault des Turcs, qui virent bien que nous en allions oultre en l’ost du duc de Bourgoigne, qui estoit de l’autre part. Et comme on entroit en icelle barbacanne, les Turcs frappèrent sur la queue de nostre ost : et tant firent, qu’ils prindrent messire Errart de Vallery. Mais tantoust fut rescoux par messire Jehan son frère. Toutesfoiz le roy ne se meut, ne toute sa gent, jusques à ce que tout le harnois et armeures fussent portez oultre. Et alors passâmes tous après le roy, fors que messire Gaultier de Chastillon, qui faisoit l’arrière garde en la barbacanne. Quant tout l’ost fut passé oultre, ceulx qui demourerent en la barbacanne, qui estoit l’arrière garde, furent à grant malaise des Turcs, qui estoient à cheval. Car ilz leur tiroient de visée force de trect, pour ce que la barbacanne n’estoit pas haulte. Et les Turcs à pié leur gectoient grosses pierres et motes dures contre les faces, et ne se povoient deffendre ceulx de l’arrière garde. Et eussent été tous perduz et destruitz, si n’eust esté le conte d’Anjou, frère du roy, qui depuis fut roy de Sicille, qui les alla rescourre asprement, et les amena à sauveté[3]. »

Cette barbacane n’était évidemment qu’un ouvrage en palissades, puisque les hommes à cheval pouvaient voir par-dessus. Dans la situation où se trouvait l’armée de saint Louis à ce moment, ayant perdu une grande partie de ses approvisionnements de bois, campée sur un terrain dans lequel des terrassements de quelque importance ne pouvaient être entrepris, c’était tout ce qu’on avait pu faire que d’élever une palissade servant de tête de pont, pouvant arrêter l’armée ennemie, et permettre au corps d’armée en retraite de filer en ordre avec son matériel.
La vue à vol d’oiseau que nous donnons ici (1) fera comprendre l’utilité de cet ouvrage. Une des plus importantes barbacanes construites en maçonnerie était celle qui protégeait le château de la cité de Carcassonne, et qui fut bâtie par saint Louis (voy. Architecture Militaire, fig. 11, 12 et 13). Cette barbacane, très-avancée, était fermée ; c’était un ouvrage isolé. Mais le plus souvent les barbacanes étaient ouvertes à la gorge et formaient comme une excroissance, un saillant semi-circulaire, tenant aux enceintes extérieures, aux lices. C’est ainsi que sont construites la barbacane élevée en avant de la porte Narbonnaise à Carcassonne (voy. Porte), celle du château du côté de la cité, et celle qui protège la poterne sud de l’enceinte extérieure de la même ville. Cette dernière barbacane communique aux chemins de ronde des courtines de l’enceinte extérieure par deux portes qui peuvent être fermées. En s’emparant de la poterne ou des deux courtines, les assiégeants ne pouvaient se jeter immédiatement sur le chemin de ronde de l’ouvrage saillant, et se trouvaient battus en écharpe en pénétrant dans les lices. Étant ouverte à la gorge, cette barbacane était elle-même commandée par l’enceinte intérieure.
Nous donnons (2 A) les vues cavalières de l’extérieur et (2 B) de l’intérieur de cet ouvrage de défense.
Jusqu’à l’invention des bouches à feu, la forme donnée aux barbacanes dès le XIIe siècle ne fut guère modifiée, encore les établit-on même souvent sur un plan semi-circulaire ; cependant, vers le milieu du XVe siècle, on ne les regarda pas seulement comme un flanquement pour les portes extérieures ; on chercha à les flanquer elles-mêmes, soit par d’autres ouvrages élevés devant elles, soit par la configuration de leur plan, La barbacane qui défend la principale entrée du château de Bonaguil, élevé au XVe siècle, près Villeneuve d’Agen, est une première tentative en ce sens (voy. Château). Des pièces d’artillerie étaient disposées à rez-de-chaussée et les parties supérieures conservaient leurs crénelages destinés aux archers et arbalétriers. En perdant leur ancienne forme, à la fin du XVe siècle, avec l’adoption d’un nouveau système approprié aux bouches à feu, ces ouvrages perdirent leur ancien nom, pour prendre la dénomination de boulevard. Lorsque les barbacanes du moyen âge furent conservées, on les renforça extérieurement, pendant les XVIe et XVIIe siècles, par des ouvrages d’une grande importance. C’est ainsi que les dehors de la barbacane A (3) du faubourg Sachsenhausen de Francfort sur le Mein furent protégés au commencement du XVIIe siècle ; vers la même époque, la barbacane A du château de Cantimpré de Cambrai (4) devint l’occasion de la construction d’un ouvrage à couronne B très-étendu (voy. Boulevard).

  1. Roman du Renard, t. II, p. 327, vers 18495.
  2. Le Roman de Garin.
  3. Histoire du roy saint Loys, par J. sire de Joinvile. Édit. de Dufresne Du Cange, 1678. Paris, in-folio.