Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle/Mortier

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MORTIER, s. m. Composé de sable et de chaux. Pour faire du bon mortier, le sable de rivière, le gravier, a été reconnu comme le meilleur. Quelle que soit la qualité du sable de plaine ou de carrière, ce sable étant toujours mêlé d’une certaine quantité d’argile, il ne remplit pas les conditions nécessaires à la façon du bon mortier.

Pendant le moyen âge, les mortiers sont de qualités très-différentes ; autant ils sont durs et compactes dans les constructions romaines, autant ils sont de qualité médiocre pendant les IXe, Xe, et XIe siècles. Il semble qu’alors on avait perdu les procédés de fabrication de la chaux, et ce n’est que par exception que l’on trouve, dans des édifices de cette époque, des mortiers offrant une certaine consistance. Au XIIe siècle, les mortiers commencent à reprendre de la force ; pendant les XIIIe, XIVe et XVe siècles, on en fit d’excellents.

La qualité des mortiers est donc un des moyens fournis aux architectes pour reconnaître la date d’un édifice, mais il est d’autres signes plus caractérisés. Le mortier employé dans les monuments romans antérieurs au XIIe siècle est quelquefois mélangé de débris de tuileaux, surtout pendant le Xe siècle et avant ; il est maigre, c’est-à-dire qu’il contient peu de chaux, et celle-ci est mal cuite. Au XIe siècle, on trouve dans l’Île-de-France, la Champagne et la Bourgogne, des mortiers composés de gravier fin (sable de plaine souvent) et de chaux en quantité, mais mal cuite et noyée, n’ayant plus de force. Les débris de tuileaux ont disparu. Au XIIe siècle, surtout à dater de la seconde moitié, les mortiers sont égaux, bien corroyés, le sable fin, choisi parfois avec soin ou tamisé. À dater de la fin du XIIe siècle, les mortiers deviennent généralement très-bons et sont de deux sortes. Le mortier des blocages est fait avec de très-gros gravier, celui des joints et lits avec du bon sable de rivière, fin et pur. La chaux employée pour les lits et joints est plus blanche que celle des blocages qui est très-mélangée de débris de charbon. Pendant les XIVe et XVe siècles , on emploie souvent le sable de plaine, très-rarement le gros gravier ; les mortiers sont parfaitement corroyés, la chaux bien cuite et bien éteinte. Mais alors le sable de plaine employé paraît avoir été lavé, car il ne contient pas d’argile. Il n’y a que dans certaines parties de la Picardie où le sable argileux de plaine ait été employé sans lavage pour faire du mortier, et bien que ces mortiers aient acquis de la dureté, ils sont toujours gercés dans les blocages et ne présentent pas une masse parfaitement compacte.

Les constructeurs ont employé la chaux telle que pouvaient la leur fournir les calcaires dont ils disposaient. Ces chaux sont hydrauliques dans les contrées où la pierre à chaux possède cette qualité, grasses dans les pays où la pierre à chaux ne contient que très-peu d’argile. Ils ne connaissaient pas, par conséquent, la chaux hydraulique factice. Mais leurs chaux grasses ont, à dater de la fin du XIIe siècle, acquis une très-grande dureté, même en fondation, ainsi que nous avons pu le reconnaître dans les substructions des cathédrales de Reims, d’Amiens, de Paris, de Sens, etc.

Il faut dire qu’à cette époque, c’est-à-dire au commencement du XIIIe siècle, des raisons d’économie forçaient quelquefois les constructeurs à n’employer que très-peu de chaux dans leur mortier et du sable comme on le trouvait. Les mortiers dans la construction des cathédrales de Laon, de Troyes, de Châlons-sur-Marne, de Séez sont très-mauvais. Mais nous avons donné ailleurs les raisons qui avaient fait élever ces édifices avec une extrême économie (voy. cathédrale, construction).