Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle/Porche

La bibliothèque libre.
Pont <
Index alphabétique - P
> Port
Index par tome

PORCHE, s. m. Les plus anciennes églises chrétiennes possédaient, devant la nef réservée aux fidèles, un porche ouvert ou fermé, destiné à contenir les catéchumènes et les pénitents. Cette disposition avait été empruntée aux basiliques antiques, qui étaient généralement précédées d’un portique ouvert. Lorsqu’il n’y eut plus de catéchumènes en Occident, c’est-à-dire lorsque le baptême étant donné aux enfants, il ne fut plus nécessaire de préparer les nouveaux convertis avant de les introduire dans l’église, l’usage des porches n’en resta pas moins établi, et ceux-ci devinrent même, dans certains cas, des annexes très-importantes, de vastes vestibules souvent fermés, pouvant contenir un grand nombre de personnes et destinés à divers usages. Il faut reconnaître même que l’habitude de construire des porches devant les églises alla s’affaiblissant à dater du XIIIe siècle ; beaucoup de monuments religieux en sont dépourvus depuis cette époque, notamment la plupart de nos grandes cathédrales, tandis que jusque vers le milieu du XIIe siècle, on ne concevait pas une église cathédrale, conventuelle ou paroissiale, sans un porche au moins, devant l’entrée majeure.

Les porches paraissent avoir été adoptés dans nos plus anciennes églises du moyen âge. C’était, dans l’Église primitive, sous les porches ou vestibules des basiliques, que l’on enterrait les personnages marquants, les empereurs[1], les évêques. Aussi l’usage d’encenser ces lieux et d’y chanter des litanies s’était-il conservé dans quelques diocèses, car il faut observer qu’avant le XIIe siècle, les lois ecclésiastiques interdisaient d’enterrer les morts dans l’intérieur même des églises. Sous les porches étaient alors placés les fonts baptismaux, des fontaines dans lesquelles les fidèles faisaient leurs ablutions avant d’entrer dans la nef ; les exorcismes se pratiquaient aussi sous les porches. Il était défendu d’y tenir des plaids et de s’y rassembler pour affaires temporelles. On y exposait, à certaines occasions, des reliques et de saintes images. « Les porches des églises, dit Thiers, sont des lieux saints : 1o à cause des reliques ou des images qui y sont ; 2o à cause qu’ils sont le lieu de la sépulture des fidèles ; 3o à cause qu’ils sont destinés à de saints usages ; 4o à cause qu’ils font partie des églises ; 5o à cause qu’ils sont ainsi appelés par les conciles et par les auteurs ecclésiastiques[2]. »

Guillaume Durand observe « que le porche de l’église signifie le Christ par qui s’ouvre pour nous l’entrée de la Jérusalem céleste ; il est appelé aussi portique (porticus), de la porte (a porta), ou de ce qu’il est ouvert à tous comme un port (a portu)[3]. »

Toutefois les porches des églises ne conservèrent pas toujours, pendant le moyen âge, ce caractère sacré ; nous en avons la preuve dans les réclamations des chapitres ou des religieux au sujet des usages profanes auxquels on les faisait servir. Dans le recueil des arrêts du parlement de 1292, nous trouvons une plainte du doyen et du chapitre de Roye contre le châtelain, lequel tenait depuis longtemps ses plaids sous le porche de l’église. Il est enjoint au bailly de Vermandois de défendre audit châtelain de tenir à l’avenir ses assemblées dans ce lieu, nonobstant qu’il les y eût tenues depuis longtemps, s’il est bien constaté que ce porche fait partie de l’église et sert de cimetière[4].

C’est probablement pour prévenir ces abus que les grands établissements de Cluny et de Cîteaux élevèrent devant leurs églises des porches absolument fermés dès le commencement du XIIe siècle ; d’ailleurs ces porches devaient servir à des cérémonies ou à des usages qui nécessitaient une clôture, comme nous le verrons bientôt. Quantité de porches d’églises cathédrales et paroissiales servaient même de marchés, et les auteurs ecclésiastiques élèvent trop souvent contre cet abus pour qu’il n’ait pas été fréquent. Encore aujourd’hui voyons-nous qu’on y établit des boutiques volantes, en certains lieux, les jours de foire, et que des chapitres y tolèrent la vente d’objets de piété.

Les porches primitifs du moyen âge, en Occident, c’est-à-dire ceux bâtis du VIIIe au XIe siècle, se présentent généralement sous la forme d’un portique tenant toute la largeur de l’église et ayant peu de profondeur. Cependant certains porches d’églises dépendant de monastères ou même de collégiales sont disposés sous une tour plantée devant la nef. Tel était le porche de l’église abbatiale de Saint-Germain des Prés à Paris, dont il ne reste que bien peu de traces, et qui datait de l’époque carlovingienne ; tels sont encore ceux de l’église abbatiale de Saint-Savin près Poitiers, de la cathédrale de Limoges et de la collégiale de Poissy, qui tous trois appartiennent aux IXe et Xe siècles. Alors ces porches formaient une entrée défendue, et étaient quelquefois précédés d’un fossé, comme celui de Saint-Savin, par exemple. Les porches des églises de Notre-Dame du Port à Clermont, de Chamaillières (Puy-de-Dôme), de Saint-Étienne de Nevers, de la cathédrale de Clermont, sont bâtis sur plan barlong et sont fermés ; ils devaient être couronnés par deux tours. Quelques églises carlovingiennes, comme la basse œuvre de Beauvais, étaient précédées de porches non voûtés, de portiques couverts de charpentes apparentes, et sur lesquels la nef et ses bas côtés s’ouvraient largement. Vers la fin du XIIe siècle, la plupart de ces dispositions primitives furent profondément modifiées, et la tendance générale était de supprimer les porches plantés devant la façade principale pour les réunir aux nefs, ce qui ferait croire qu’alors les cérémonies auxquelles les porches étaient réservés tombèrent en désuétude. Un peu plus tard, vers le milieu du XIIIe siècle, on bâtit au contraire beaucoup de porches devant les entrées latérales des églises, et notamment des cathédrales, comme à Chartres, à Bourges, à Châlons-sur-Marne, puis on se mit, vers la fin de ce siècle et pendant le XIVe, à en élever devant les entrées majeures ; mais tous ces porches sont alors ouverts et ne sont que des abris destinés aux fidèles à l’entrée ou à la sortie de l’église. Ils n’ont plus le caractère sacré que l’on observe dans les porches primitifs et ne servent que rarement de lieux de sépulture.

Pour suivre un ordre méthodique, nous diviserons cet article en porches d’églises fermés, ant-églises ou narthex, porches ouverts sous des clochers, porches annexes ouverts, porches de constructions civiles.

Porches fermés. Nous ne pensons pas qu’il y ait en France de porches antérieurs à celui de l’église latine de Saint-Front de Périgueux, dont on reconnaît encore les traces. Ce porche, de forme carrée, avait 10m,30 de longueur sur 0m,65 de largeur. Il était couvert par une charpente à deux égouts, avec pignon en maçonnerie sur la face antérieure. Une large arcade plein cintre en formait l’entrée. De sa décoration extérieure, très-simple d’ailleurs, il ne reste que des fragments. Ce porche, antérieur au Xe siècle, est décrit et gravé dans l’ouvrage de M. Félix de Verneilh sur l’architecture byzantine en France[5]. Cette disposition de salle précédée d’un pignon sur la face, contraire à la forme adoptée pour les portiques des premières basiliques latines, indique une modification déjà fort ancienne dans le plan des porches sur le sol de la France, modification dont malheureusement nous ne pouvons connaître le point de départ, faute de monuments existants ; elle n’en est pas moins très-importante à constater, puisque nous voyons qu’à partir du Xe siècle, la plupart des églises abbatiales sont précédées de vastes porches fermés, présentant une véritable ant-église souvent à deux étages et devant répondre à des besoins nouveaux.

L’ordre de Cluny s’empara de cette disposition et en fit le motif de monuments remarquables à tous égards. L’un des porches fermés les plus anciens appartenant à cet ordre, est celui de l’église de Tournus ; il se compose (fig. 1) à rez-de-chaussée d’une nef centrale à trois travées avec bas côtés.


Cette nef centrale est fermée par des voûtes d’arête avec arcs-doubleaux ; les nefs latérales sont couvertes par des berceaux perpendiculaires aux murs latéraux, reposant sur les arcs-doubleaux A. On entrait dans ce narthex par une porte B, donnant sur une cour précédée d’une enceinte fortifiée. La façade elle-même du porche était défendue. Deux tours s’élèvent sur les deux premières travées C. Du narthex, on pénètre dans l’église par la porte D et les deux arcades E. De gros piliers cylindriques isolés et engagés reçoivent les sommiers des voûtes. Au premier étage, ce vaste narthex forme une église avec nef élevée, voûtée en berceau et collatéraux voûtés en demi-berceaux (fig. 2).
Des meurtrières s’ouvrent à la partie inférieure de cette salle éclairée, par des fenêtres percées dans les murs de la haute nef et dans le pignon antérieur. La coupe transversale que nous donnons ici est prise en regardant vers l’entrée. En A sont les souches des deux tours[6]. Toute la construction est élevée en moellon smillé ou enduit. Du côté de l’église, une arcade est percée dans le mur pignon, au niveau du sol du premier étage, et permet de voir ce qui se passe dans la nef. La même disposition se retrouve à Vézelay. Dans les églises abbatiales de l’ordre de Cluny, ces narthex supérieurs, ces chapelles placées au-dessus du grand porche fermé, étaient habituellement placés sous le vocable de l’archange saint Michel. Mais quelle était la destination de cette salle ou chapelle placée au-dessus des narthex ? Dans l’ancien pontifical de Châlon-sur-Saône, on lisait : « In quibusdam ecclesiis sacerdos in aliquo altari foribus proximiori celebrat missam, jussu episcopi, pœnitentibus ante fores ecclesiæ constitutis. » Cette chapelle supérieure était-elle destinée aux pénitents ? À Vézelay, le premier étage du porche ne règne qu’au fond et sur les collatéraux ; il était possible alors aux pénitents ou aux pèlerins placés sur l’aire du rez-de-chaussée d’entendre, sinon de voir l’office divin qui se disait sur la tribune ; à Tournus, il eût fallu que les pénitents montassent dans le narthex haut pour ouïr la messe. À Cluny, le porche ou l’ant-église, qui n’avait pas moins de 35 mètres de longueur sur 27 mètres de largeur, mais dont la construction ne remontait pas au delà du commencement du XIIIe siècle, ne possédait pas de premier étage ni de tribune, mais un autel et une chaire à prêcher se trouvaient placés près de la porte d’entrée de la basilique ; de cette chaire, comme de la tribune du narthex de Vézelay, ne préparait-on point les nombreux pèlerins qui remplissaient le porche, ou même les pénitents, à se pénétrer de la sainteté du lieu, avant de leur permettre d’entrer dans l’église ? L’affluence était telle au XIIe siècle dans les églises de l’ordre de Cluny, à certaines occasions, que l’on comprend assez comment les religieux n’ouvraient pas tout d’abord les portes du temple à la foule qui s’y rendait, afin d’éviter le désordre qui n’eut pas manqué de s’élever au milieu de pareilles cohues. Ces grands narthex nous paraissent être un lieu de préparation ; peut-être aussi servaient-ils à abriter les pèlerins qui, venus de loin, arrivaient avant l’ouverture des portes, et n’avaient ni les moyens ni la possibilité de se procurer un asile dans la ville. Ne voit-on pas, la nuit qui précède certaines grandes fêtes à Rome, les gens venus de la campagne passer la nuit sous les portiques de Saint-Pierre ?

Le porche de l’église abbatiale de Tournus date du XIe siècle ; c’est le plus ancien parmi ceux appartenant à l’ordre de Cluny.

La nef de l’église clunisienne de Vézelay actuelle, bâtie vraisemblablement par l’abbé Artaud et consacrée en 1104, ne possédait primitivement qu’un porche bas, peu profond, dont on voit encore des traces du côté du nord. Cette nef fut restaurée et reconstruite même en grande partie par l’abbé Renaud de Semur, vers 1120[7]. Le porche dut être construit peu après la mort de cet abbé, soit par l’abbé Albéric, soit par l’abbé Ponce, de 1130 à 1140[8], car, à dater de cette époque, le monastère de Vézelay eut, jusqu’en 1160 environ, des luttes si cruelles à soutenir, soit contre les comtes de Nevers, soit contre ses propres vassaux, qu’il n’est pas possible d’admettre que, pendant ces temps calamiteux, les religieux aient eu le loisir d’entreprendre une aussi vaste construction. D’ailleurs les caractères archéologiques de l’architecture de ce porche lui assignent la date de 1130 à 1140.

La construction du porche de Vézelay est certainement une des œuvres les plus remarquables du moyen âge. Ce porche est fermé, et présente, comme celui de Tournus, une ant-église de 25 mètres de largeur sur 21 mètres de longueur dans œuvre.
Nous en donnons le plan (fig. 3) en A au niveau du rez-de-chaussée, en B au niveau des tribunes, car l’espace CD monte de fond ; seuls, les collatéraux E E E forment galeries et l’espace F, large tribune au-dessus de l’ancienne porte de la nef. On ne pouvait monter aux galeries et à la tribune que par deux escaliers G, partie de bois, partie pratiqués dans l’épaisseur du mur de face. Deux tours s’élèvent sur les deux premières travées des collatéraux H. À partir du niveau des galeries, vers 1240, on refit la grande claire-voie K (voy. Pignon, fig. 9), pour mieux éclairer probablement cette grande salle. Au niveau de la tribune, trois baies L s’ouvrent sur la nef de l’église (voy. Architecture Religieuse, fig. 21). Un autel était autrefois placé en O sur cette tribune. Les instructions aux pèlerins ou pénitents rassemblés à rez-de-chaussée pouvaient se faire du haut de la balustrade qui clôt la tribune en M[9]. Avant la construction du porche, les trois baies ouvertes sur la tribune étaient des fenêtres sans vitraux comme toutes les autres fenêtres de l’église ; celle du milieu se terminait en cul de four, et peut-être recevait-elle une statue. La porte principale C de ce porche est surmontée d’un grand bas-relief représentant : le Christ entouré des vingt-quatre vieillards et des élus dans le tympan, la Madeleine parfumant les pieds de Jésus, et la résurrection de Lazare dans le linteau. Les chapiteaux intérieurs sont très-richement sculptés et d’une finesse d’exécution remarquable. Autrefois les grandes voûtes ainsi que celles des tribunes étaient entièrement peintes. Nous présentons (fig. 4) une vue perspective de l’intérieur de ce porche, prise de la galerie qui traverse la façade.
On observera que la voûte sur la tribune possède des arcs ogives. C’est peut-être le premier exemple qu’il y ait en France de ce genre de structure, les autres voûtes du narthex étant d’arêtes très-surhaussées (voy. Ogive, fig. 3, 4 et 5). L’ensemble de cet intérieur est d’une proportion admirable et les travées étudiées par un maître consommé (voy. Travée). Il ne paraît pas qu’on ait jamais enseveli personne sous ce porche, et les fouilles que nous avons été à même d’y pratiquer n’ont laissé voir nulle trace de sépulture. Le vestibule, narthex ou porche fermé de l’église abbatiale mère de Cluny était plus vaste encore que celui de Vézelay, mais ne possédait ni tribune ni galeries voûtées supérieures. C’était une grande salle avec bas côtés à laquelle on arrivait par deux degrés de 13 mètres de largeur. Deux tours s’élevaient en avant des cinq travées que contenait le narthex, et laissaient entre elles un porche ouvert. Le porche fermé de Cluny avait 35 mètres de longueur sur 27 mètres de largeur dans œuvre ; des piliers cannelés, suivant la méthode de la haute Bourgogne, du Lyonnais et de la haute Marne, portaient les voûtes des collatéraux. Au-dessus s’élevait un triforium également à pilastres, puis les hautes voûtes en arcs ogives, avec fenêtres plein cintre dans les tympans. Les clefs de la haute voûte étaient à 33 mètres au-dessus du pavé. Ce fut le vingtième abbé de Cluny, Roland Ier, qui éleva en 1220[10] ce magnifique narthex dont notre vue perspective (fig. 5) ne peut donner qu’une faible idée.
Tous les arcs de cette construction sont en tiers-point, seules les fenêtres sont fermées par des plein cintres. Au fond, on voyait apparaître l’ancienne façade de l’église, avec sa porte principale et sa petite galerie aveugle supérieure, au milieu de laquelle étaient percées les baies qui éclairaient la chapelle de Saint-Michel, prise aux dépens de l’épaisseur du mur et portée sur un cul-de-lampe du côté de la nef. Quatre figures d’apôtres en bas-relief décoraient le tympan sous le formeret de la grande voûte du porche.

Pourquoi ce vaste porche ne fut-il élevé qu’en 1220 ? Doit-on voir ici l’exécution d’un nouveau programme, ou bien un ajournement d’un programme primitif ? Près d’un siècle auparavant, l’église abbatiale de Vézelay élève un narthex fermé dans des dimensions à peu près semblables à la place d’un porche bas et étroit. Ces grands porches fermés n’étaient donc pas prévus dans les dispositions premières des églises clunisiennes, et cependant, à Tournus, le narthex est de construction primitive ou peu s’en faut. Ce n’est que pendant la seconde moitié du XIIe siècle que les clunisiens de la Charité-sur-Loire élèvent de même un porche fermé sur des dimensions aussi vastes au moins que celui de l’église mère de Cluny. Il y a donc lieu de croire que ce programme ne fut adopté chez ces religieux que pendant le XIIe siècle, et qu’il était destiné à pourvoir à l’affluence extraordinaire des fidèles dans les églises de cet ordre ; ce qui n’a pas lieu de surprendre, lorsque l’on songe qu’à cette époque, les églises clunisiennes étaient les lieux les plus vénérés de toute la chrétienté, et, comme le dit le roi Louis VII, dans une charte donnée au monastère de Cluny, les membres les plus nobles de son royaume. L’étendue, la richesse des porches fermés des grandes églises clunisiennes ne furent dépassées ni même atteintes dans les autres églises cathédrales ou monastiques.

Les cisterciens établirent aussi des porches fermés devant leurs églises, mais ceux-ci sont peu étendus, bas, et affectent autant la simplicité que ceux de l’ordre de Cluny manifestent les goûts luxueux de leurs fondateurs. D’ailleurs les porches des églises cisterciennes ne sont pas absolument clos comme ceux des églises clunisiennes ; ils présentent généralement des ouvertures à l’air libre comme des arcades d’une galerie de cloître, et ressemblent plutôt à un portique profond qu’à une salle. Il paraîtrait ainsi que saint Bernard voulait revenir aux dispositions des églises primitives et retrouver le narthex des basiliques de l’antiquité chrétienne. Ces porches cisterciens sont écrasés, couverts en appentis et ne sont jamais flanqués de tours comme les porches des églises bénédictines (voy. Architecture Religieuse). Percés d’une seule porte en face de celle de la nef, ils sont ajourés sur la face antérieure par des arcades non vitrées et non fermées, s’ouvrant au-dessus d’un bahut assez élevé. Tel est encore le porche parfaitement conservé de l’église cistercienne de Pontigny (Yonne), dont nous donnons le plan fig. 6.
Ce porche, bâti pendant la seconde moitié du XIIe siècle[11], se compose de trois travées en largeur et de deux en profondeur ; il n’occupe que la largeur de la grande nef. Des deux côtés, en A, sont deux salles fermées qui étaient destinées aux besoins de l’abbaye. Des voûtes d’arête sans nervures couvrent ce porche et viennent reposer sur deux colonnes. Une porte extérieure B correspond à la porte principale C de la nef, et des deux côtés, en D, s’ouvrent, sur un large et haut bahut, deux arcades divisées par des colonnettes accouplées. Tout cet ensemble, y compris les deux salles, est couvert par un comble en appentis avec demi-croupes aux deux extrémités. Au-dessus du comble du porche est percée une énorme fenêtre dans le grand pignon ; elle éclaire la nef. À l’extérieur, la construction de ce porche est d’un aspect froid et triste. À l’intérieur, les chapiteaux des colonnes sont ornés de sculptures d’une simplicité toute puritaine, et le tympan de la porte de l’église n’est décoré que d’une croix en relief.
La figure 7 présente la coupe longitudinale du porche de l’église de Pontigny, et fait assez voir combien les moines de l’ordre de Cîteaux s’étaient, en plein XIIe siècle, éloignés des programmes splendides adoptés par les clunisiens. Dans le département de l’Aube, l’église du village de Moussey possède un porche complet établi sur les données cisterciennes. Il forme un appentis bas, non voûté, au milieu duquel s’ouvre la porte ; deux arcades à droite et à gauche, posées sur un bahut, éclairent cet appentis. Ces arcades sont plein cintre, jumelles, reposant sur une pilette ou une colonne. Une cinquième baie pareille s’ouvre du côté sud. La construction est d’une extrême simplicité, et paraît remonter à l’origine de l’ordre de Cîteaux[12]. Cependant la sécheresse et la froideur de ces exemples ne furent pas longtemps imitées, et dès le commencement du XIIIe siècle, les porches des églises élevées sous l’inspiration des moines de Cîteaux étaient déjà empreints d’un goût plus élégant. Il existe encore à Moutier (Yonne) un de ces porches fermés en manière de portique, élevé sur les données de porches cisterciens. Comme à Pontigny, le porche de l’église de Moutier, qui date du commencement du XIIIe siècle, s’ouvre extérieurement par une porte centrale accompagnée de quatre arcades, deux à droite, deux à gauche, posées sur un bahut. Ces arcades ont été fermées au XVe siècle par des claires-voies de pierre. Un joli porche offrant une disposition analogue précède encore aujourd’hui la façade de l’église de Toury (Loiret). Il date de 1230 environ.


Ce porche (fig. 8) n’est qu’un portique étroit, rappelant assez une galerie de cloître ; il est percé de trois portes entre lesquelles s’ouvre une arcature posée sur un bahut. En A, nous donnons le plan de détail de cette arcature. Trois archivoltes en tiers-point reposent sur les piles B et les colonnettes jumelles C. De petits arcs plein cintre avec tympans forment la claire-voie et sont portés sur les colonnettes D simples. La figure 9 donne la moitié de l’élévation de ce porche, ainsi que sa coupe E faite sur la claire-voie[13].
Beaucoup de ces porches, en forme de portiques et en appentis, ont été établis pendant les XIIIe, XIVe et XVe siècles, devant des façades de petites églises paroissiales plus anciennes ; mais habituellement ils sont d’une extrême simplicité, ne se composent que de pilettes de pierre ou de poteaux posés sur un bahut et portant un comble à une seule pente. Ces églises étaient toujours entourées de cimetières, et les porches servaient alors à donner l’absoute et à mettre à l’abri les personnes qui assistaient aux enterrements. Ils ne formaient d’ailleurs, comme le montre le dernier exemple, qu’une clôture facile à franchir, d’autant que les portes ne paraissent pas, dans beaucoup de cas, avoir été jamais munies de vantaux. Un des plus vastes parmi ces sortes de porches clos, est certainement celui qui précède la façade de la petite église conventuelle de Saint-Père-sous-Vézelay, et qui fut élevé vers la fin du XIIIe siècle, remanié pendant les XIVe et XVe. Ce porche s’ouvre sur la face antérieure par trois baies qui ne paraissent pas disposées pour recevoir des grilles ou des vantaux de bois ; latéralement il était ajouré par des baies vitrées posées sur un bahut, de manière à garantir les fidèles contre le vent et la pluie.

Cette construction est couverte par six voûtes en arcs ogives reposant sur des piles engagées et sur deux piliers isolés. Un tombeau, qui date de l’époque la plus ancienne de sa construction, est placé à la gauche de la porte centrale de l’église. D’autres sépultures étaient disposées sous son dallage. Les figures en bas-relief des donateurs sont sculptées en dedans de l’entrée : c’est un noble personnage de la localité et sa femme. Malheureusement cette construction, qui, dans l’origine, devait être très-riche et très-gracieuse, a été fort mutilée et ne présente que des débris remaniés. Le porche de Saint-Père est comme une transition entre les porches absolument clos des clunisiens et les porches ouverts. Il participe plutôt de l’église que de l’extérieur : c’est évidemment encore un lieu sacré. Il nous amène à parler des porches franchement ouverts, bien qu’ayant encore une importance considérable par rapport aux édifices religieux qu’ils précèdent. Mais, avant de nous occuper des porches ouverts, nous ne devons pas omettre ici un monument d’un grand intérêt, quoique d’une date assez récente. Il s’agit du porche de l’église de Ry[14]. Cette église est totalement dépourvue de style, c’est un vaisseau barlong du XVe siècle, sans caractère. Latéralement à la nef, est bâti du côté sud un porche en bois, clos, richement sculpté et d’une conservation parfaite.


Nous en donnons le plan (fig. 10) et une vue perspective (fig. 11)[15].
Ce joli porche date de la première moitié du XVIe siècle ; il est entièrement construit en bois de chêne et repose sur un bahut de pierre. La charpente du comble est lambrissée en tiers-point avec entraits apparents seulement au droit de la croupe, ainsi que le fait voir le plan. La baie d’entrée ne paraît pas avoir jamais été munie de vantaux, ni les claires-voies de grilles. C’est donc un abri donnant sur le cimetière, et qui semble avoir été élevé par un seigneur du lieu, peut-être pour servir de sépulture. La sculpture en est très-délicate et des meilleures de l’époque de la renaissance normande. Ce petit monument, qui compte aujourd’hui plus de trois cents ans d’existence, et qui, bien entretenu, pourrait encore durer plus d’un siècle, fait assez voir combien les ouvrages de charpenterie établis avec soin et dans de bonnes conditions se conservent à l’air libre.

En examinant les vignettes des manuscrits du XVe siècle, il est facile de constater qu’il existait beaucoup de ces porches en charpente, principalement dans les villes du Nord. Ces porches en bois étaient toujours peints et rehaussés de dorures. Habituellement ils ne se composent que de deux bahuts latéraux portant des poteaux et une couverture lambrissée. Quelquefois aussi paraissent-ils suspendus au-dessus des portes comme des dais et soutenus seulement par des consoles.

Porches ouverts. — On sait les querelles qui, pendant le XIIe siècle, s’élevèrent entre les abbés de Vézelay, et les évêques d’Autun. Ces derniers construisaient alors la belle cathédrale que nous admirons encore aujourd’hui, et qui, par son caractère, son style particuliers, résume cette architecture religieuse de la haute Bourgogne, de la Haute-Marne et d’une partie du Lyonnais.

La cathédrale d’Autun était à peine achevée, vers 1140, que l’on élevait un porche vaste devant sa façade principale. Ce porche couvre un emmarchement comprenant la largeur de la nef et des collatéraux. Il est surmonté de deux tours et d’une salle au premier étage, couverte jadis par une charpente apparente. Clos latéralement, le porche de Saint-Lazare d’Autun s’ouvre devant l’entrée centrale de l’église par un énorme berceau qui enveloppe l’archivolte de la porte. Cette disposition est d’un effet grandiose, d’autant que les linteaux et le tympan de cette porte sont couverts de figures sculptées d’un style étrange, énergique et d’une exécution remarquable.


La figure 12 donne le plan de ce porche à rez-de-chaussée, en A, tel qu’il avait été conçu et très-probablement exécuté primitivement, et en B, tel qu’il fut reconstruit vers 1160. Actuellement le mur de clôture latéral faisant pendant au mur C est percé d’arcs en tiers-point avec arcature portée sur des colonnettes, surmontés de fenêtres non vitrées. Deux tours s’élèvent sur les deux premières travées des collatéraux. Dans l’origine (voy. le plan A), le porche ne devait pas s’étendre devant les portes latérales D, et le berceau qui le couvrait portait sur deux murs épais, ouverts latéralement par deux baies E. Aujourd’hui les travées des collatéraux sont couvertes par des voûtes d’arête.

Deux escaliers à vis, s’ouvrant sur la nef des deux côtés de la porte centrale, montent à la salle supérieure. La coupe transversale faite sur ab, cd (fig.13), indique, en A, la disposition primitive du porche, et en B, la disposition actuelle.
On remarquera la grande niche voûtée en cul-de-four réservée dans le pignon, au premier étage, et flanquée de deux portes.

Cette salle du premier étage mérite un examen attentif, car elle indique un programme particulier aux églises de cette partie de la France. Nous avons vu qu’à Vézelay il existe de même, au-dessus de la grande porte, une niche assez profonde pour recevoir une statue colossale assise, ou même un petit autel. À Cluny, il y avait au-dessus de la porte centrale une niche s’ouvrant à l’intérieur, avec cul-de-lampe en façon de balcon saillant, dans laquelle était un petit autel placé sous le vocable de saint Michel archange. À l’intérieur de la façade de l’église Saint-Andoche de Saulieu, on voit encore une disposition analogue, et cette église est contemporaine de la cathédrale d’Autun. Le soubassement de la grande niche de la façade de la cathédrale d’Autun est engagé aujourd’hui dans l’épaisseur de la voûte du porche, et les deux portes qui l’accompagnent à droite et à gauche, donnant la sortie des deux petits escaliers à vis, ont leurs seuils en contre-bas du sol de la salle. Évidemment ces deux portes ne pouvaient s’ouvrir dans le vide, elles devaient donner sur un sol ; donc, lors de la construction de la nef, on avait déjà projeté un porche plus ou moins profond avec premier étage. Cette hypothèse est d’autant plus admissible, qu’il existe encore au-dessus de la niche les rampants d’un comble bas qui devait couvrir la salle de ce porche projeté, non achevé, ou bientôt remplacé par le porche actuel. Le porche primitif, d’après la disposition du rampant du comble ancien, ne devait couvrir que la grande porte et ne s’étendait pas devant les collatéraux. Lorsqu’on se décida à construire le grand porche actuel, qui comprend la largeur totale de la façade, il fallut élever les rampants du comble et boucher la partie inférieure des trois fenêtres qui éclairent la voûte de la nef et qui sont percées dans le grand pignon. Notre coupe transversale (fig. 13) indique donc, en A, la disposition présumée du porche primitif, et en B, celle du porche actuel. Après cette modification, la grande niche, en partie engagée dans la voûte, perdant une partie de sa hauteur, ne paraît plus avoir été utilisée, car la partie supérieure du porche ne fut jamais achevée ; mais cette niche, décorée de jolis pilastres cannelés, percée d’une seule ouverture très-petite donnant sur la nef, accompagnée de ces deux portes communiquant aux deux escaliers à vis, avait certainement une destination. Devait-elle contenir un autel, comme la niche intérieure de la façade de Cluny, ou comme celle extérieure du porche de Vézelay ? Cela paraît probable. Mais à quelles cérémonies étaient réservés ces autels placés au premier étage au-dessus des porches, ou sur une tribune intérieure ? Voilà ce qu’aucun texte ne nous apprend jusqu’à ce jour.

Dans notre coupe, la ligne ponctuée C indique le niveau du sol extérieur en avant du porche ; on se rendra compte de l’effet grandiose que produit ce vaste emmarchement couvert, terminé par ce portail si largement composé. Le porche actuel est évidemment une œuvre d’imitation, inspirée peut-être du porche de Vézelay, mais qui altère le caractère primitif du monument, rappelant ces charmantes constructions romano-grecques du Ve siècle, découvertes par M. le comte Melchior de Vogué entre Antioche et Alep. Il n’est pas douteux que les maîtres du XIIe siècle, de certaines provinces de France, avaient vu ces monuments et qu’ils les imitaient non-seulement dans les profils et l’ornementation, mais aussi dans certaines dispositions générales. Quelques-unes de ces églises romano-grecques possèdent d’ailleurs des porches avec tribune au-dessus et clochers latéraux.

Nous croyons devoir donner (fig. 14) le plan de la salle supérieure du porche d’Autun, avec ses deux escaliers et portes. L’arcature aveugle portée sur des pilastres à l’intérieur, derrière la niche, et qui règne avec le triforium de la nef, est percée de deux baies A au droit des escaliers. Pourquoi ces baies ? Quant aux portes B, elles s’ouvrent sous les combles des bas côtés de la nef. Ces singularités nous prouvent que nous ignorons sous quelles données religieuses ont été érigés les porches de nos églises du XIIe siècle, qui subissaient plus ou moins l’influence de l’ordre de Cluny ; il y a là un sujet d’études que nous recommandons à nos archéologues et qui nous paraît digne de fixer leur attention. Évidemment, à cette époque, les porches ont eu une importance considérable, et l’on n’aurait pas construit devant un grand nombre d’églises conventuelles, cathédrales ou paroissiales, des appendices aussi importants, s’ils n’avaient pas dû répondre à un besoin sérieux. Observons d’ailleurs que ces porches s’élèvent, sauf de rares exceptions, dans un espace de temps assez limité, de 1130 à 1200.

En F, est tracé le plan de la salle supérieure du porche primitif d’Autun, et en G, le plan de cette salle après la reconstruction du porche actuel ; construction qui, comme nous l’avons dit, ne fut point terminée. La cathédrale d’Autun n’est pas la seule qui ait été précédée de porches importants avec premier étage. Ce n’est qu’au XIIIe siècle, lors de la reconstruction de ces grands monuments de nos cités, que l’on a renoncé complètement à ces dépendances. La cathédrale du Puy en Velay possède un porche ouvert, du XIIe siècle, avec grand emmarchement, ou plutôt l’église elle-même n’était qu’un immense porche, dont le degré arrivait au pied de l’autel. La partie antérieure de la cathédrale de Chartres laisse voir encore le plan et la disposition d’un porche profond, avec salle supérieure, qui ne fut supprimé qu’au XIIIe siècle.

L’église abbatiale de Saint-Denis possédait un vaste narthex très-ouvert du côté de la nef, et fermé du côté extérieur, mais surmonté d’une salle voûtée. La petite église de Saint-Leu d’Esserent, conserve encore son porche fermé du XIIe siècle, avec salle supérieure ; or, ces constructions datent de 1140. Mais voici (fig. 15) un porche plus ancien que le porche actuel de la cathédrale d’Autun, et qui présente une disposition plus franche encore et non moins monumentale.

C’est le porche de l’église de Châtel-Montagne (Allier). La construction de ce porche est très-peu postérieure à celle de l’église ; elle date de 1130 environ[16], et conserve une apparence entièrement romane. Planté sur le sommet d’un escarpement, le porche de l’église de Châtel-Montagne est précédé d’un degré de 5 mètres de largeur, avec parvis ; il présente, au droit de la nef, une grande arcade, et au droit des collatéraux, deux arcades étroites ouvertes de côté pour donner plus de force, en a, à la maçonnerie qui reçoit la charge du pignon. Latéralement sont ouvertes deux autres arcades larges laissant entiers les contre-forts qui butent les constructions de la nef. Un escalier b, pris aux dépens du collatéral méridional de la nef, permet de monter à une salle élevée sur le porche, et qui s’ouvre sur l’intérieur en manière de tribune. La figure 16 présente l’élévation extérieure de ce porche, qui, avec ses constructions supérieures, forme la façade de l’édifice.


Le caractère de cette architecture est tout empreint d’un bon style dont nous retrouvons les éléments dans l’architecture romano-grecque des environs d’Antioche. Mais ici les matériaux (granit) sont petits, tandis que ceux qui ont servi à élever les monuments byzantins de Syrie sont grands et largement appareillés. Les fenêtres ouvertes dans les arcs supérieurs de cette façade éclairent la tribune ; l’arc milieu forme le tracé du berceau intérieur.
Nous donnons (fig. 17) la coupe longitudinale de ce porche, avec l’amorce de la nef, et (fig. 18) sa face latérale[17].
Si la construction est simple et bien ordonnée, on remarquera que les proportions sont des plus heureusement trouvées. On reconnaît, dans ce joli édifice, la trace d’un art très-avancé, délicat, étudié ; et cependant l’église de Châtel-Montagne est située au milieu d’une des contrées les plus sauvages de la France. Aujourd’hui, dans ces montagnes, on a peine à réunir quelques ouvriers capables d’exécuter la bâtisse la plus vulgaire. Mais les provinces du Centre, au XIIe siècle, étaient un foyer d’art, actif, développé, possédaient une école d’architectes qui nous ont laissé de charmantes compositions, des constructions bien entendues, solides et d’un excellent style.

Ces architectes étaient certainement alors des religieux, et leur école suivit la décadence à laquelle ne purent se soustraire les anciens ordres monastiques vers la fin du XIIe siècle.

La salle du premier étage du porche de Châtel-Montagne forme une tribune de laquelle on peut voir ce qui se passe dans la nef, tandis que dans les exemples précédemment donnés, ces salles supérieures sont presque entièrement closes du côté de la nef. À quel usage était destinée cette tribune ? Nous pensons qu’elle donnait, comme les salles fermées, une chapelle spéciale, et qu’un autel était disposé contre la balustrade, car nous voyons encore, sur la tribune de l’église de Montréale, en Bourgogne, un autel de la fin du XIIe siècle ainsi disposé (voy. Tribune ). Mais (au XIIe siècle) les orgues n’étaient pas des instruments d’une assez grande dimension pour occuper ces espaces ; les chantres se tenaient dans le chœur ou sur les jubés, mais non sur des tribunes élevées près de l’entrée. Quelques auteurs ont prétendu que ces tribunes étaient réservées aux femmes ; mais les femmes, en nombre relativement considérable à l’église, n’auraient pas trouvé là une place suffisante ; d’ailleurs tous les textes sont d’accord pour dire qu’elles occupaient un des côtés de la nef depuis les premiers temps du moyen âge. La tradition, dans quelques localités, affecte ces tribunes aux pénitents, et nous croyons que la tradition s’approche de la vérité. Nous admettons qu’un autel était habituellement placé dans ces salles ouvertes sur la nef ou sur le dehors, ou complètement fermées ; que ces autels étaient orientés comme l’est celui de la tribune de Montréale, et qu’il était réservé à des cérémonies spéciales auxquelles assistaient des pénitents ou des fidèles recevant une instruction préparatoire. Mais nous devons avouer que ce sont là des hypothèses, et que nous n’avons point de preuves positives à fournir pour les appuyer.

Non loin d’Autun est une église conventuelle du XIIe siècle, Paray-le-Monial, possédant un porche qui parait être antérieur à la construction de l’église actuelle.
Le plan de ce porche (fig. 19) est régulier ; il présente sur sa face, à rez-de-chaussée, trois arcades ouvertes, et sur ses côtés, deux arcades. Deux piliers composés chacun de quatre colonnes portent les six voûtes d’arête qui ferment ce rez-de-chaussée. Deux tours, comme à Autun, surmontent les deux premières travées B, et portent assez imprudemment sur ces deux faisceaux de colonnes[18]. On voit que ce porche n’est pas placé dans l’axe de la nef A, rebâtie sur un autre plan. Il est surmonté, au premier étage, d’une salle voûtée en berceaux reposant sur des archivoltes, ainsi que le fait voir la coupe (fig. 20).
Cette salle ne fait pas tribune sur la nef, elle est fermée et ne s’ouvre de ce côté que par une fenêtre G dont l’appui est posé à 2 mètres au-dessus du sol.

Les porches établis sur ce plan ont donc été adoptés assez fréquemment dans cette partie de la France, c’est-à-dire dans le voisinage de l’abbaye de Cluny ; nous voyons que ces plans persistent pendant le XIIIe siècle. Le beau porche de l’église de Notre-Dame de Dijon fut élevé vers 1230, sur ces données, c’est-à-dire avec trois arcades ouvertes sur la façade, deux piles isolées intérieures portant six voûtes d’arête, une salle supérieure et deux tours qui n’ont point été achevées.

La disposition de ce porche est remarquable. Bâti en bons matériaux, bien qu’avec économie, il est peut-être l’expression la plus franche de l’architecture bourguignonne de la première moitié du XIIIe siècle, si originale, si audacieusement combinée. Il n’a manqué aux architectes de cette école que de pouvoir mettre en œuvre des matériaux d’une rigidité absolue, comme le granit ou même la fonte de fer. Telle était la hardiesse de ces artistes, qu’ils osaient, avec des pierres calcaires, d’une grande résistance il est vrai, mais cependant susceptibles d’écrasement, parce qu’elles étaient basses entre lits, élever des maçonneries d’un poids considérable sur des piles très-grêles ; suppléant à l’insuffisance de ces matériaux par la combinaison savante des pressions et des résistances.

L’architecte du porche de Notre-Dame de Dijon s’était posé un problème nouveau. Ayant été à même, par les exemples précédents, d’observer le mauvais effet que produisaient les deux contre-forts séparant les trois arcades des façades de porches, il supprima ces contre-forts et les remplaça par un système de chevalement en pierre. L’idée était ingénieuse, hardie et sans précédents. De cette manière aucun obstacle ne séparait les trois arcades, la poussée des arcs-doubleaux intermédiaires était butée par le chevalement, et le poids des angles internes des deux tours reposait sur deux piles jumelles comme sur un chevalet. Quelques défauts dans l’exécution firent rondir ces piles vers les deux arcs latéraux ; et soit que ce mouvement se fût produit pendant la construction, soit que les ressources aient fait défaut, on n’acheva point les deux tours. Elles ne s’élèvent aujourd’hui que jusqu’à la hauteur de la nef. Quoi qu’il en soit, et laissant de côté les imperfections de détail qui produisirent ces mouvements, en théorie l’idée était neuve et féconde en résultats. Aussi ce porche est-il un des plus beaux qu’on ait élevés à cette époque et bien supérieur comme conception aux porches romans que nous avons donnés dans les exemples précédents. Telle se montre souvent cette architecture du XIIIe siècle à son origine, pleine de ressources, abondante en idées, mais parfois incomplète dans l’exécution. Aussi n’est-ce pas par une imitation irréfléchie que l’on doit en faire l’application de nos jours, mais par une recherche attentive des idées qui ont produit son développement si rapide et de ses théories fertiles en déduction. Du porche de Notre-Dame de Dijon il serait aisé, avec quelques modifications de détail et en employant des matériaux plus rigides que ceux mis en œuvre, de faire un édifice aussi gracieux d’aspect, aussi léger, mais irréprochable sous le rapport de la structure. Pour cela, il suffirait de baisser la naissance des archivoltes latérales et d’élever les piliers en hauts blocs de pierre très-résistante. Atteindre un résultat avec des moyens imparfaits, mais laisser deviner l’idée nouvelle, l’invention, c’est déjà beaucoup pour ceux qui observent et veulent mettre leurs observations à profit : car il est plus facile de perfectionner des moyens d’exécution en architecture que de trouver un principe neuf et fournissant des conséquences étendues.

La salle supérieure du porche de Notre-Dame de Dijon forme tribune sur la nef.

Le plan de ce porche, dont la figure 21 donne la moitié, montre comment l’architecte a su éviter, en A, les contre-forts extérieurs. Les deux piles D forment le chevalement qui reçoit le mur de face de la tour plantée sur la travée B au droit du contre-fort C, et qui contrebute les voûtes du porche. En G, sont ouvertes de grandes fenêtres dont l’appui est très-relevé au-dessus du sol. Dans la hauteur du premier étage, une galerie (voy. Galerie, fig. 6) se dresse au devant du mur de la tour, de E en F, et vient aboutir à des tourelles H disposées en encorbellement sur les contre-forts C et contenant les escaliers qui permettent de monter aux étages supérieurs de ces tours. La disposition des voûtes de ce porche est très-savamment combinée. Nous en avons indiqué le système à l’article Construction (voy. fig. 52 et 53). Sur les extrados des archivoltes L et J portées par les piles isolées formant chevalement, sont bandés des berceaux M et N qui viennent retomber sur un linteau-sommier K. On remarquera que l’architecte a posé le mur de la tour, non pas à l’aplomb de ces berceaux, mais un peu en retraite, ainsi que l’indique la plantation du contre-fort C, afin de faire des piles A et P de véritables éperons. En effet, ces piles ne sont pas sorties de leur aplomb sur le nu de la façade ; les piles A et P se sont légèrement inclinées vers les travées latérales par suite de la poussée des grands arcs L, D, et parce que les naissances des arcs J n’étaient pas placées assez bas. Quant aux piles R, bien que chargées par les angles des tours, elles ont conservé leur aplomb, grâce à la disposition ingénieuse des arcs des voûtes.

L’effet extérieur et intérieur de ce porche est des plus heureux ; les profils, la sculpture sont du meilleur style.

Il faut citer aussi parmi les grands porches ouverts, bâtis en Bourgogne pendant le XIIIe siècle, celui de l’église Notre-Dame de Beaune. Ce porche est ouvert sur la face par trois arcades, et latéralement, de chaque côté, par deux autres. Deux colonnes isolées portent, comme à Notre-Dame de Dijon, les six voûtes. Le porche de Notre-Dame de Beaune n’a pas été achevé dans sa partie supérieure et ne devait pas être surmonté de tours. Sur la façade occidentale de l’église Notre-Dame de Semur en Auxois est planté un porche ouvert par trois arcades, mais ne possédant que trois voûtes en arcs ogives, et étant par conséquent dépourvu de colonnes isolées. Ce porche, fermé latéralement, date du commencement du XIVe siècle et n’a été achevé qu’au XVe siècle.

Le porche de la sainte Chapelle du Palais à Paris doit être classé parmi les grands porches ouverts. Comme le bâtiment auquel il est accolé, ce porche est à deux étages, et forme une sorte de vaste loge ouverte sur l’une des cours du Palais[19].

Porches ouverts sous clochers. — Il était assez naturel, lorsqu’on prétendait élever un clocher sur la façade principale d’une église, de pratiquer un porche à rez-de-chaussée. Dans les provinces de l’Ouest, du Centre et du Midi, dès le XIe siècle, on avait pour habitude de construire de grosses tours carrées devant l’entrée occidentale des églises ; la partie inférieure de ces tours servait de porche[20]. À l’article Clocher (fig. 41 et 42) nous donnons le grand porche élevé sur la façade occidentale de l’église abbatiale de Saint-Benoît-sur-Loire. Ce porche, qui date du XIe siècle, se compose d’un quinconce de piles épaisses, portant des voûtes d’arête romaines[21]. Il occupe une surface considérable et est surmonté d’une grande salle ouverte, comme le rez-de-chaussée, sur trois de ces faces et présentant de même un quinconce de piles. Le clocher devait s’élever sur les quatre piles centrales. Dans le même article (fig. 7), on voit aussi le plan du porche de la cathédrale de Limoges, qui date du XIe siècle, ouvert primitivement sur les faces et supportant un clocher. La partie inférieure du clocher de l’église de Lesterps (Charente) présente un porche dont la disposition rappelle le porche de Saint-Benoît-sur-Loire (voy. Clocher, fig. 43 et 44), mais qui date du XIIe siècle.

Ces programmes ne se retrouvent pas dans l’Île-de-France, dans la Normandie, dans la Bourgogne et la Champagne. Les porches sous clochers de l’Île-de-France sont généralement fermés latéralement, comme le porche occidental de l’église abbatiale de Saint-Germain des Prés, et comme celui de l’église de Créteil près Paris[22]. Le porche de l’église de Créteil était, il y a peu de temps, parfaitement conservé ; son aspect était monumental. Il était ouvert par une arcade sur sa face antérieure et voûté en berceau. Ce n’est qu’un abri devant l’entrée de l’église ; long, étroit, fermé latéralement, il tient lieu d’un de ces tambours que l’on érige de notre temps derrière les portes. Sa construction remonte à la seconde moitié du XIe siècle.


Nous en donnons le plan (fig. 22) et la coupe longitudinale (fig. 23).

Les arcades uniques de ces porches, ouvertes sur le dehors, étaient fermées par des voiles, si l’on s’en rapporte à d’anciennes peintures et à des bas-reliefs antérieurs au XIIIe siècle ; et l’on voit encore les corbelets saillants ou les trous qui servaient à poser la tringle de bois à laquelle étaient suspendues ces sortes de portières d’étoffes.

Sous le clocher de l’église de Saint-Savin, près de Poitiers, il existe un porche de la même époque, entièrement revêtu à l’intérieur de peintures remarquables. Ce porche, plus simple comme architecture que celui de Créteil, présente d’ailleurs une disposition analogue[23]. Le clocher occidental de l’église collégiale de Poissy s’élève sur un porche d’une date ancienne (commencement du XIe siècle) ; il s’ouvre de même sur la voie publique par une seule arcade et est voûté en berceau plein cintre[24].

Si l’on pénètre dans les provinces du centre, à Tulle, à la Châtre, on voit des porches sous clochers avec trois arcades ouvertes, l’une en face de l’entrée, deux latéralement. Ces porches datent de la fin du XIIe siècle et participent des dispositions admises pour les porches sous clochers du Limousin et du Périgord.

Parmi les porches les plus remarquables élevés sous l’influence de ces deux écoles, mais qui ne possèdent pas cependant les piles intérieures que nous voyons dans les porches de Limoges, de Lesterps et de Saint-Benoît-sur-Loire, il faut citer celui de l’église abbatiale de Moissac (Tarn-et-Garonne).

La structure de ce porche est d’un grand intérêt pour l’histoire de l’art. Elle date de deux époques assez rapprochées l’une de l’autre, du commencement et du milieu du XIIe siècle.

La figure 24 en retrace le plan à rez-de-chaussée. Primitivement, ce porche s’ouvrait du côté du midi, en C, par une large arcade en tiers-point. Du côté de l’ouest, en D, et du côté du nord, en E, il s’ouvrait sur des dépendances de l’abbaye, sur les cloîtres, et était fermé par des vantaux. Une troisième porte F, avec trumeau central, donnait accès dans la nef de l’église. Peu après sa construction, c’est-à-dire vers 1150, on ajouta, au grand porche portant un gros clocher, un second porche ou abri extérieur G, richement décoré de bas-reliefs et de sculptures d’un très-grand style (voy. Statuaire). On éleva les piliers H et les contreforts I. Ces constructions accolées servirent à porter un chemin de ronde crénelé qui défendait l’entrée de l’église.
La figure 25 donne le plan de la salle bâtie au-dessus du porche, et sur les piles de laquelle devait s’élever un clocher qui ne fut pas terminé. La différence des teintes du plan indique la construction première et les adjonctions faites au milieu du XIIe siècle pour recevoir les crénelages à deux étages sur le porche extérieur en K, et à un seul chemin de ronde sur les côtés L et M. C’était une tentative assez hardie, au commencement du XIIe siècle, que de couvrir une salle de 10 mètres de côté par une seule voûte qui ne fût pas une coupole, et l’architecte du porche de Moissac résolut ce problème en constructeur habile. La voûte du rez-de-chaussée est en arcs d’ogives, c’est-à-dire composée de formerets et de deux arcs diagonaux larges, à section rectangulaire, sur lesquels reposent les quatre triangles de la voûte maçonnés en moellons smillés. La voûte de la salle haute est composée de douze arcs tendant à un œil central réservé pour le passage des cloches. Notre coupe (fig. 26), faite sur la ligne AB du plan du rez-de-chaussée, explique cette structure
. Le détail N indique l’appareil des pierres composant la clef de la voûte du rez-de-chaussée (car les arcs diagonaux sont maçonnés en pierres d’un faible échantillon). Quant aux arcs de la voûte du premier étage, qui peut bien passer déjà pour une voûte dans le mode gothique, les diagonaux sont plein cintre, et les huit autres, partant des piles intermédiaires, sont des portions de cercle. On observera que ces huit arcs intermédiaires sont posés obliquement sur les chapiteaux des piles, tandis que les tailloirs de ces chapiteaux ont leurs faces parallèles aux côtés du carré. Déjà cependant les tailloirs des arcs diagonaux sont posés suivant la direction de ces arcs (voy. le plan, fig. 25). Ces deux salles basse et haute sont d’un effet monumental qui produit une vive impression. La construction, quoique rude, en est bien exécutée et n’a subi aucun mouvement. Les adjonctions faites au milieu du XIIe siècle, si intéressantes qu’elles soient, ont altéré la physionomie grandiose de l’extérieur de ce porche et ont assombri cette belle salle supérieure, dont nous ne connaissons pas la destination, et qui s’ouvrait si largement sur les dehors. La nef de l’église ayant été rebâtie au commencement du XVe siècle sur un plan analogue à celui de la cathédrale d’Alby, il est difficile aujourd’hui de savoir comment cette salle supérieure s’arrangeait avec la nef primitive. Toutefois les trois arcades P, bouchées en brique lors de la reconstruction du XVe siècle, s’ouvraient nécessairement sur la nef ancienne, et mettaient la salle haute en communication directe avec celle-ci sans interposition de vitraux. Mais nous avons déjà vu, par quelques-uns des exemples de porches surmontés de salles, donnés dans cet article, que les nefs n’étaient guère fermées par des vitraux, surtout dans les provinces du Centre et du Midi, avant la fin du XIIe siècle.

Les porches sous clochers sont rares à dater du commencement du XIIIe siècle dans l’architecture française. Cependant nous citerons celui de l’église de Larchant (Seine-et-Marne)[25]. La Normandie en présente quelques-uns qui datent des XIVe et XVe siècles ; nous mentionnerons comme l’un des plus remarquables celui de la tour de l’église Saint-Pierre, à Caen[26].

Sur les bords du Rhin et dans les contrées environnantes, cette disposition se continue assez tard. Le porche de la cathédrale de Fribourg ouvert sous le clocher occidental est fort beau. Intérieurement il est orné de bonnes figures représentant les arts libéraux, de grandeur naturelle, le Christ, les vierges sages, les vierges folles, le sacrifice d’Abraham, saint Jean-Baptiste, sainte Marie l’Égyptienne, etc. Ce porche n’est ouvert que par une arcade sur la face, les côtés sont clos et décorés par ces statues dont nous venons de citer les principales.

Parlant des porches sous clochers, on ne saurait passer sous silence les porches si bien disposés sous les tours projetées de la façade de l’église de Saint-Ouen, à Rouen.

Ces tours, qui devaient être d’une dimension colossale, ne furent élevées que jusqu’à la hauteur de 20 mètres environ au-dessus du sol. Lorsqu’il fut question d’achever la façade de l’église de Saint-Ouen en 1840, on n’osa continuer l’œuvre commencée sur des dimensions aussi considérables ; on rasa donc les souches des deux clochers, et l’on perdit ainsi une des dispositions des plus originales et des plus ingénieuses parmi toutes celles qu’avait conçues le moyen âge à son déclin, car ces tours dataient du XVe siècle.

Elles s’élevaient sur deux porches posés diagonalement et donnant entrée de biais dans les deux collatéraux. Le plan de ces porches est gravé dans l’ouvrage de Pugin sur les monuments de la Normandie, auquel nous renvoyons nos lecteurs[27]. La position oblique des porches de l’église de Saint-Ouen avait permis de les ouvrir sur l’extérieur par deux baies abritées, tendant au centre d’un large parvis formé par la saillie des tours. On évitait ainsi les courants d’air dans l’église, les portes extérieures des porches et celles donnant dans les collatéraux n’étant pas placées en face l’une de l’autre. La foule des fidèles, en sortant par les deux portes latérales et la porte centrale, se trouvait naturellement réunie sur l’aire de ce parvis, sans qu’il pût en résulter de l’encombrement. Il y a lieu de s’étonner que cette disposition si bien trouvée et d’un si heureux effet, n’ait pas été suivie dans la construction de quelques-unes de nos églises modernes, d’autant qu’elle peut s’accommoder à tous les styles d’architecture.

Porches d’églises annexes. C’est à dater de la fin du XIIe siècle que les porches accolés aux façades principales ou latérales des églises deviennent très-fréquents. Pourquoi ? Avant cette époque, les églises les plus importantes étaient celles qui dépendaient d’établissements monastiques. Ces églises, comme nous l’avons vu, possédaient des porches très-vastes si elles relevaient de l’ordre de Cluny, en forme de portiques si elles relevaient de l’ordre de Cîteaux, plus ou moins étendus si elles ne dépendaient ni de l’un ni de l’autre de ces deux ordres, mais faisant partie du plan primitif ou complété de l’édifice religieux. Lorsque ces porches avaient été annexés, ils achevaient, pour ainsi dire, un ensemble de constructions conçues d’après une idée dominante. Les églises paroissiales antérieures à 1150 étaient petites, pauvres, et copiaient plus ou moins les grandes églises monastiques. Avant cette époque, les cathédrales elles-mêmes avaient peu d’étendue, et s’élevaient également sous l’influence prédominante des édifices dus aux ordres religieux. Mais lorsque, vers 1160, les évêques surent recueillir ces immenses ressources qui leur permirent d’élever des églises qui pussent rivaliser avec celles des ordres religieux et même les dépasser en étendue et en richesse, ils adoptèrent des plans qui différaient sur bien des points de ceux admis par les moines. Plus de chapelles, plus de porches ou de narthex. Les cathédrales prirent généralement pour type un plan de basilique, avec nef centrale et bas côtés ; des portes largement ouvertes se présentaient sur la façade, sans vestibule. Il semblait que le monument de la cité, la cathédrale, voulût être surtout accessible à la foule, qu’elle évitât tout ce qui pouvait faire obstacle à son introduction. C’était un forum couvert, dans lequel chacun était appelé sans préparation, sans initiations. Mais bientôt, ainsi que nous l’expliquons ailleurs[28], l’espoir que les évêques avaient conçu de devenir les chefs politiques et religieux de la cité s’évanouit en face de l’attitude nouvelle prise par le pouvoir royal. Les cathédrales durent se renfermer dans leur rôle purement religieux : elles élevèrent des chapelles, des clôtures autour des chœurs ; elles crevèrent leurs longues nefs pour y installer des transsepts, et enfin elles ajoutèrent des porches devant les entrées. Mais cependant, comme si l’idée première qui les avait fait élever dût laisser une trace perpétuelle, ces porches se dressèrent principalement devant les entrées secondaires ou latérales ; et les façades principales, les portails, ouvrirent, comme dans les conceptions primitives de ces monuments, leurs larges portes sur un parvis sans porches ou vestibules extérieurs. Nous voyons même que certaines cathédrales dont le plan, au XIIe siècle, avait été conçu avec un porche antérieur, comme à Chartres par exemple, suppriment ce porche au commencement du XIIIe siècle pour ouvrir les portes directement sur la place publique. Si quelques cathédrales, ce qui est rare d’ailleurs, possèdent des porches devant leur façade principale, comme celle de Noyon, par exemple, ces porches datent de la fin du XIIIe siècle ou même du commencement du XIVe ; car nous ne pouvons considérer comme des porches les larges ébrasements qui précèdent les portes occidentales des cathédrales d’Amiens et même de Laon[29]. Ce sont là des portails, c’est-à-dire des portes abritées.

Vers le milieu du XIIIe siècle, nous voyons au contraire élever des porches bien caractérisés devant les portes secondaires des cathédrales. C’est à cette époque, vers 1245, que l’on bâtit les porches latéraux des cathédrales de Chartres, de Bourges, de Châlons-sur-Marne, du Mans, de Bayeux, et qu’on élève souvent ces porches devant des portes qui n’avaient pas été destinées à être abritées. Bientôt cet exemple est suivi dans les églises conventuelles. Pendant les XIVe et XVe siècles, on élève quantité de porches sur les flancs de ces édifices. Quant aux églises paroissiales, dès le XIIIe siècle, leurs portes principales comme leurs portes latérales s’ouvrent fréquemment sous des porches.

À la fin du XIIe siècle et au commencement du XIIIe siècle, deux porches, l’un du côté du nord et l’autre du côté méridional, s’implantent devant les portes secondaires de la cathédrale romane du Puy en Velay, et ces deux porches sont surmontés de salles ; mais ce sont des hors-d’œuvre, ne se raccordant en aucune façon avec l’édifice auquel ils se soudent, tandis qu’il faut voir dans les porches latéraux de la cathédrale de Chartres des conceptions mises en harmonie avec le monument déjà construit. Les porches nord et sud plantés devant les portes du transsept de la cathédrale de Chartres passent, à juste titre, pour des chefs-d’œuvre. Ils sont composés évidemment par des artistes du premier ordre et offrent l’un des plus beaux spécimens de l’architecture française du milieu du XIIIe siècle. Leur plan, leur structure, leur ornementation, la statuaire qui les couvre, sont des sujets d’étude inépuisables, et leur ensemble présente cette harmonie complète si rare dans les œuvres d’architecture. Celui du nord, plus riche de détails, plus complet comme entente de la sculpture, plus original peut-être comme composition, produirait plus d’effet, s’il était, ainsi que celui du sud, élevé sur un grand emmarchement et exposé tout le jour aux rayons du soleil. Dans l’origine, ces deux porches étaient peints et dorés ; leur aspect, alors, devait être merveilleux. C’est lorsqu’on examine dans leur ensemble et leurs détails ces compositions claires, profondément étudiées, d’une exécution irréprochable, qu’on peut se demander si depuis lors nous n’avons pas désappris au lieu d’apprendre ; si nous sommes les descendants de ces maîtres dont l’imagination féconde était soumise cependant à des règles aussi rigoureuses que sages ; et s’il n’y a pas plus d’art et de goût dans un de ces chefs-d’œuvre que dans la plupart des pâles et froids monuments élevés de nos jours.

La somme d’intelligence, de savoir, de connaissance des effets, d’expérience pratique, dépensée dans ces deux porches de Notre-Dame de Chartres, suffirait pour établir la gloire de toute une génération d’artistes ; et ce que l’on ne saurait trop admirer dans ces œuvres, c’est combien alors les arts de l’architecture et de la sculpture avaient su faire une alliance intime, combien ils se tenaient étroitement unis.

Nous ne croyons pas nécessaire de donner ici des figures de ces porches publiés dans maints ouvrages[30], gravés, lithographiés et photographiés bien des fois. Nous passerons à l’étude d’exemples non moins remarquables, mais peu connus. L’église de Saint-Nicaise de Reims avait été bâtie par l’architecte Libergier, mort en 1263[31] ; c’était un des plus beaux monuments religieux de la Champagne. D’une construction savante, l’église de Saint-Nicaise montrait ce qu’était devenue cette architecture champenoise au milieu du XIIIe siècle, un art mûr. Sur la façade de cette église s’ouvraient trois portes : l’une centrale, dans l’axe de la grande nef, les deux autres dans l’axe de chacun des bas côtés. Nous reviendrons tout à l’heure sur ces portes secondaires. La porte centrale était précédée d’un porche peu profond, élevé entre les deux contre-forts butant les archivoltes de la nef, et recevant le poids des angles des deux clochers.
La figure 27 nous montre en A le tracé du plan de ce porche, avec l’échelle en pieds. D’un axe d’un contre-fort à l’autre on comptait 40 pieds. Les contre-forts avaient 8 pieds de face ; on comptait également 8 pieds pour l’ouverture des arcades B, et 16 pieds pour l’ouverture de l’arcade centrale ; pour la profondeur du porche, qui n’était qu’un abri, 4 pieds. Ainsi les quatre colonnes isolées et engagées a, b, c, d, divisaient l’espace ad en trois parties égales, et ces quatre colonnes portaient trois archivoltes surmontées de gâbles (voy. l’élévation G). Chacune de ces archivoltes inscrivait un triangle équilatéral, et les gâbles eux-mêmes étaient tracés suivant les deux côtés d’un triangle équilatéral. Si l’arcade centrale était entièrement à jour, celles des deux côtés étaient à moitié occupées par l’épaisseur des contre-forts, ainsi que le montre notre plan en E et en E′. Quant à l’ébrasement de la porte, il était disposé de telle façon, qu’en K il existait une boiserie formant tambour ou double porte. En C, est tracée la coupe du porche sur l m.
La figure 28 donne la vue perspective du porche central de l’église de Saint-Nicaise de Reims. Si simple par son plan, cette composition était, en élévation, d’une grande richesse, mais sans que les détails nuisissent en rien à l’ensemble des lignes. D’abord l’architecte avait eu l’idée nouvelle de donner à ses porches l’aspect d’une de ces décorations que l’on dispose devant les façades d’églises les jours de grandes cérémonies. Sans contrarier la structure principale de l’architecture, ces arcades surmontées de gâbles forment une sorte de soubassement décoratif occupant toute la largeur de l’église et percé de baies au droit des portes. C’était comme un large échafaudage tout garni de tapisseries ; car on remarquera que les nus de ce soubassement sont ornés de fins reliefs fleurdelisés qui leur donnent l’aspect d’une tenture. Derrière cette architecture légère, et qui semble élevée pour une fête, se voyaient les portes richement décorées de bas-reliefs. Celle centrale, dont nous donnons la vue perspective (fig. 28), portait sur son trumeau la statue de saint Nicaise ; dans son tympan, le Christ assis sur le monde au jour du jugement, avec la Vierge et saint Jean à ses côtés et des anges adorateurs ; au-dessous, d’un côté, les élus ; de l’autre, les damnés, dont quelques-uns sont emmenés en enfer dans un chariot. Dans les écoinçons, deux anges sonnent de la trompette. Les douze apôtres étaient placés, non comme des statues dans des niches, mais comme des groupes de personnages dans les deux enfoncements pratiqués des deux côtés des pieds-droits de la porte. On voit comme, d’une disposition extrêmement simple comme plan, l’architecte Libergier avait su faire un ensemble très-décoratif et facile à suivre d’un coup d’œil[32]. Les deux porches donnant dans l’axe des collatéraux ne se composaient chacun que d’une seule arcade percée entre les deux gros contre-forts des clochers. Cette arcade, surmontée d’un gâble, comme celles du porche central, avait 12 pieds d’ouverture (2 toises). Mais comme ces portes latérales étaient celles qui servaient habituellement (la porte centrale n’étant ouverte que pour les processions ou pour laisser écouler la foule), leurs porches avaient plus de profondeur (1 toise), et à l’intérieur étaient disposés des tambours à demeure, très-ingénieusement combinés.
Le plan (fig. 29) fait voir la disposition de ces tambours en A, et l’entrée des escaliers des clochers, entrée qui se trouvait aussi en dehors de l’église, quoique garantie par la porte extérieure. Les espaces A, B, étaient couverts par des berceaux en tiers-point comme les archivoltes, et les tympans des portes décorés de bas-reliefs dans des quatre-feuilles et des lobes, comme celui de la porte centrale. Les nus D étaient couverts des mêmes semis fleurdelisés en petit relief. Libergier paraît être le premier qui ait eu l’idée de faire ainsi des porches, des hors-d’œuvre rappelant ces ouvrages provisoires que l’on élève devant les portails des églises à l’occasion de certaines solennités. Cette idée fut développée plus tard avec plus ou moins de bonheur, mais sans qu’on ait, nous semble-t-il, dépassé ce premier essai. Cependant à Troyes, dans la même province, il existe encore deux porches d’une disposition très-remarquable devant les portes du transsept de l’église de Saint-Urbain[33]. Ces porches sont de véritables dais soutenus par des arcs-boutants reportant la poussée et la charge de leurs voûtes sur des contre-forts extérieurs isolés.
Le plan de l’un de ces porches, en tout semblables entre eux (fig. 30), indique cette disposition. L’espace A, B, C, D est voûté. Ces deux voûtes reposent sur le mur du transsept et sur les trois piles B, E, C. Trois arcs-boutants G, E, H reportent la poussée extérieure de ces voûtes sur les trois contre-forts I, K, L. La légèreté de cette construction, élevée en liais de Tonnerre d’une excellente qualité, est surprenante. Ces deux voûtes ont réellement l’apparence d’un dais suspendu, car leur saillie laisse à peine voir les frêles colonnes qui les reçoivent. Quant aux contre-forts I, K, L, malgré leur importance relative, ils sont tellement hors-d’œuvre (les deux contre-forts I, L, étant d’ailleurs au droit de ceux de l’église O, M), qu’ils ne paraissent pas appartenir au porche et que l’œil ne s’y arrête pas. En P, nous avons tracé à l’échelle de 0m, 05 par mètre l’une des colonnes d’angle BC, et en R, le détail à la même échelle du pilier S avec sa niche T. Une coupe faite sur XV (fig. 31.)
rend compte de cette singulière structure dont le géométral ne peut donner qu’une idée très-incomplète. En perspective, les contre-forts et les arcs-boutants ne se projettent pas comme dans le géométral, ils se séparent du porche, le laissent indépendant. L’arc-boutant A, par exemple, à un plan éloigné et butant le premier contre-fort du chœur, ne participe pas de la construction du porche[34] ; les contre-forts marqués I et L dans le plan paraissent se rattacher eux-mêmes à l’église et non au porche. Il y a dans cette composition une entente de l’effet que ne peut rendre un géométral et qu’exprime difficilement même une vue perspective. Mais ce qui doit attirer l’attention des architectes dans les porches de l’église de Saint-Urbain, c’est la grandeur du parti. Malgré leur excessive légèreté et la ténuité des divers membres de l’architecture réduits à leur plus faible dimension, ces porches sont grands d’échelle et n’ont pas la maigreur que l’on reproche à beaucoup d’édifices élevés à la fin du XIIIe siècle et au commencement du XIVe.


L’élévation faite sur la ligne ab du plan (fig 32) fait assez voir combien cette composition est large, claire et comme les détails sont soumis aux masses. Sur les deux archivoltes latérales sont élevés des gâbles, comme sur la face ; et les combles en ardoises suivent les pentes de ces gâbles, de sorte que les eaux s’écoulent par des caniveaux posés sur les arcs-boutants et par les gargouilles posées au devant des contre-forts (voy. la coupe). Par derrière, ces combles forment croupe avec chéneau, afin de dégager les grandes fenêtres du transsept. Les gâbles indiquent donc la forme des combles, ce qui est rationnel. Au-dessus des deux portes percées sous le porche s’ouvrent deux fenêtres, ainsi que le fait voir la figure 32, fenêtres dont les meneaux se combinent adroitement avec les gâbles à jour qui surmontent ces deux portes.

La construction des porches de saint-Urbain est conçue comme celle de toutes les autres parties de cette jolie église ; c’est-à-dire qu’elle se compose de grands morceaux de pierre de Tonnerre formant une véritable devanture pour les archivoltes, gâbles, balustrades, claires-voies et clochetons, et d’assises basses pour les contre-forts. Quant aux remplissages des voûtes, ils sont faits en petits matériaux[35]. Ces porches, comme toute la construction de l’église de Saint-Urbain, élevée d’un seul jet, datent des dernières années du XIIIe siècle, et sont une des œuvres les plus hardies et les plus savantes du moyen âge. Le XIVe siècle n’atteignit pas cette légèreté, et surtout cette largeur de composition, dans les œuvres du même genre qu’il eut à élever. Ainsi le porche méridional de l’église Saint-Ouen de Rouen, bâti vers la fin du XIVe siècle, est loin d’avoir cet aspect ample et léger ; il est plus lourd et surchargé de détails, qui nuisent à l’ensemble. Le porche occidental de l’église de Saint-Maclou, à Rouen, est certainement un des plus riches qu’ait élevés le XVe siècle, mais il prend toute l’importance d’une façade, et ne semble pas avoir cette destination spéciale si bien indiquée à Saint-Urbain de Troyes[36]. La disposition du porche de Saint-Maclou a cela d’intéressant cependant, qu’elle se prête à la configuration des voies environnantes, et que les arcs latéraux forment en plan deux pans coupés très-obtus avec l’arc central, pour donner à la foule des fidèles un accès plus facile.

L’église de Saint-Germain l’Auxerrois, à Paris, possède un porche du commencement du XVe siècle, qui est parfaitement conçu. Il s’ouvre sur la face par trois arcades principales qui comprennent la largeur de la nef, et par deux arcades plus étroites et plus basses, au droit des collatéraux ; une arcade semblable de chaque côté, en retour, donne des issues latérales. Les voûtes fermées sur les deux travées extrêmes plus basses sont surmontées de deux chambres couvertes par des combles aigus et éclairées par de petites fenêtres percées dans les tympans rachetant la différence de hauteur entre les grands et les petits arcs. Une balustrade couronne cette construction couverte en terrasse, sous la rose, dans la partie centrale.

La sculpture et les détails de ce porche, bien des fois retouchés et depuis peu grattés à vif, manquent de caractère, sont mous et pauvres. Le porche de l’église de Saint-Germain l’Auxerrois n’est bon à étudier qu’au point de vue de l’ensemble et de ses heureuses proportions. La porte centrale qui s’ouvre sur la nef date en partie du XIIIe siècle, c’est le seul fragment de cette époque que l’on retrouve dans tout l’édifice rebâti pendant les XIVe, XVe et XVIe siècles. Le parti adopté dans la construction de ce porche nous paraît remplir assez bien les conditions imposées par les besoins d’une grande église paroissiale, pour que nous en présentions ici (fig. 33) l’aspect général.

On observera que les arcades d’extrémités, étant plus basses que celles centrales, les fidèles réunis sous ce vestibule extérieur, profond d’ailleurs, sont parfaitement abrités du vent et de la pluie, bien que la circulation soit facile. On n’en saurait dire autant des portiques, péristyles ou porches, prétendus classiques, établis au devant des églises bâties depuis deux siècles. Les péristyles de Saint-Sulpice, de la Madeleine, de Saint-Vincent de Paul, de Notre-Dame de Lorette, présentent peut-être une décoration majestueuse, mais ils sont, contre le vent, la pluie ou le soleil, un obstacle insuffisant.

Sur la face méridionale de l’église collégiale de Poissy, on remarque encore les restes d’un joli porche du XVIe siècle ; mais cet appendice, reconstruit vers 1821, a perdu son caractère. Un des plus beaux porches élevés à cette époque est sans contredit celui qui abrite la porte méridionale de la cathédrale d’Alby[37]. Ce porche est un véritable dais porté sur des piliers en avant de l’entrée de l’église. Il s’élève au sommet d’un grand emmarchement autrefois défendu, à sa partie inférieure, par un ouvrage fortifié dont on voit des restes assez importants.
Nous donnons (fig. 34) le plan du porche de la cathédrale d’Alby avec l’emmarchement qui le précède et la défense antérieure. Les arcades A et B s’ouvraient sur une vaste plate-forme entourée de murs crénelés. La figure 35 présente une vue perspective de ce porche prise du côté de l’emmarchement.

Le porche de la cathédrale d’Alby est une des compositions des dernières écoles du moyen âge, et produit un merveilleux effet : bâti de pierre blanche, il se détache sur le ton de brique de l’église et sur le ciel de la manière la plus pittoresque ; sa position, si bien choisie au sommet d’un long degré, en fait l’entrée la plus imposante qu’on puisse imaginer. Autrefois une longue et haute claire-voie vitrée s’ouvrait au-dessus de la porte, sous la voûte du porche, et donnait une grande lumière dans l’église, d’ailleurs très-sombre[38].

Nous n’avons pu, dans cet article, donner tous les exemples de porches d’églises qui méritent d’être mentionnés ; nous nous sommes bornés à reproduire ceux qui présentent un caractère bien franc, qui accusent clairement leur destination, et dont la composition offre cette originalité due à des artistes de talent. Les églises de France sont certainement celles qui présentent les exemples les plus variés, les mieux entendus et les plus grandioses de porches du moyen âge. En Allemagne, ils sont rares ; en Angleterre, habituellement bas et petits. Mais certainement, nulle part en Europe, ni en Italie, ni en Espagne, ni en Allemagne, ni en Angleterre, on ne voit des porches qui puissent être comparés, même de loin, à ceux de Chartres, de Saint-Urbain, de Saint-Maclou, de la cathédrale d’Alby, de Saint-Ouen de Rouen, et de Saint-Germain l’Auxerrois.

Porches annexes à des constructions civiles. — Les articles Escalier, Perron, donnent quelques exemples de porches combinés avec les degrés principaux des palais et châteaux. Sur la voie publique, il n’était pas possible d’établir des porches en avant des maisons. Celles-ci possédaient parfois des portiques continus ou des saillies en encorbellement formant abri, ou encore de véritables auvents à demeure (voy. Auvent, Maison). Les porches proprement dits eussent gêné la circulation, surtout dans les villes du moyen âge, dont les rues sont généralement étroites. Quelquefois, dans les cours, un pavillon portant son angle saillant sur un seul pilier formait un petit porche devant une entrée ou à l’issue d’une allée, ainsi que le fait voir la figure 36[39].
À l’angle d’une place publique ou d’un carrefour, on laissait aussi, dans certains cas, sous une maison, un espace couvert et ajouré sur la voie publique ; mais ces abris étaient des loges plutôt que des porches, on en établissait près des marchés : c’étaient des parloirs, ce qu’on appelle aujourd’hui des bourses, sur une petite échelle[40].

Cependant les vignettes des manuscrits du XVe siècle présentent fréquemment des porches assez importants devant des hôtels, sur la voie publique ; et ces porches sont toujours figurés comme étant relativement très-ornés. Un beau manuscrit de cette époque, appartenant à la bibliothèque de Troyes (no 178), donne un porche d’hôtel dont voici en plan la disposition (fig. 37).

Le porche A est placé à l’angle du bâtiment et forme tambour dans l’intérieur. L’élévation perspective fournie par le manuscrit est reproduite par notre figure 38. Ce porche est très-petit d’échelle, ce n’est qu’un abri pouvant contenir quatre personnes.


C’était ce qui convenait à l’entrée d’une habitation. Au-dessus de la console portant la retombée du gâble de face, est placée une de ces statues de la sainte Vierge, si fréquentes dans les carrefours des villes du moyen âge et aux angles des rues.

Mais la forme des porches la plus habituellement adoptée devant les constructions civiles, telles que hospices, maladreries, maisons de réunion de bourgeois, habitations rurales, est celle que retrace notre figure 39.


Ces annexes se composaient d’un bahut avec pilettes de pierre sur lesquelles des sablières de bois portaient une charpente lambrissée dont l’écartement n’était maintenu que par des entraits retroussés. La légèreté de ces sortes de constructions n’a pas permis qu’elles arrivassent jusqu’à nous, et s’il en reste encore quelques débris, c’est qu’ils ont été engagés au milieu de bâtisses plus récentes. Dans les contrées du Nord, en Suède, en Angleterre même, on a continué fort tard à élever des porches suivant ce système ; aussi en trouve-t-on encore quelques-uns debout, d’autant que les charpentes mises en œuvre étaient, dans ces pays, beaucoup plus épaisses que celles adoptées en France. Il était d’usage aussi, dans la Flandre, d’élever des porches en bois en avant des ponts-levis des châteaux et manoirs, afin de mettre à couvert les gens qui attendaient qu’on leur permît d’entrer ; mais, chez nous, ces sortes d’ouvrages ont toujours l’apparence d’un châtelet, ou tout au moins d’un corps de garde défendu (voy. Porte ).

Nous n’avons donné qu’un petit nombre des exemples que fournissent les porches du moyen âge, relativement à leur abondance, car, ces annexes devant être élevées sur des programmes non uniformes, il était naturel de varier leur aspect, autant que leur structure et leur disposition générale. Il est beaucoup de porches importants que nous avons mentionnés, et qui demanderaient une étude toute spéciale : tels sont les porches de Notre-Dame de Chartres, ceux de la cathédrale de Bourges, ceux de Saint-Maclou de Rouen, de l’église de Louviers, et, parmi les porches beaucoup plus anciens, ceux de Saint-Front de Périgueux, des églises de l’Auvergne, celui de Notre-Dame des Doms à Avignon, etc. Quant aux annexes en dehors des portes, qui, pour nous, à cause de leur peu de saillie, ou plutôt à cause de leur liaison intime avec l’édifice auquel elles appartiennent, ne sauraient être considérées comme des porches, nous les classons dans les portails.

  1. Voy. Eusèbe, lib. IV, cap. lx, De vita Constantini.
  2. Dissert. sur les porches des églises…, chap. VII, p.67, sommaire.
  3. Rational, lib. I, cap. I, § xx.
  4. Les Olim, ann. mccxcii, arr. 2.
  5. Paris, 1851.
  6. Voyez, pour de plus amples détails, les gravures faites d’après les relevés de M. Questel, dans les Archives des monuments historiques, publiées sous les auspices de S. Exc. le Ministre d’État.
  7. Cet abbé était neveu de saint Hugues, abbé de Cluny ; il fut fait archevêque de Lyon vers 1126, et fut inhumé à Cluny. Sa tombe, placée près de la colonne la plus proche du maître autel, portait cette inscription : « Hic : requiescit : Renald : II : quondam : abbas : et : reparator Vezeliacencis : et : postea : archiepisc… »
  8. Voyez la notice de M. Chérest, Congrès scientif. d’Auxerre, 1859, t., II, p. 193. D’après cette notice, le porche de Vézelay aurait été consacré en 1132.
  9. Voyez les coupes transversale et longitudinale de ce porche dans les Archives des monuments historiques, publiées sous les auspices de S. Exc. le Ministre d’État. Voyez aussi la coupe transversale réduite du porche de Vézelay, dans l’article Architecture Religieuse, fig. 22.
  10. Voyez Mabillou, Annales ordin. S. Benedicti, t. V, p. 252.
  11. L’église de Pontigny fut en grande partie élevée aux dépens de Thibault le Grand, comte de Champagne, de 1150 à 1190.
  12. Le plan de cette église est donné dans l’ouvrage de M. Arnaud, voyage archéologique dans le département de l’Aube, 1837.
  13. Ces dessins nous ont été fournis par M. Sauvageot, l’un de nos plus habiles graveurs d’architecture. Ils ont été relevés avec une exactitude minutieuse.
  14. Ry est un village situé à 20 kilomètres de Rouen.
  15. C’est encore à l’obligeance de M. Sauvageot que nous devons les dessins de ce porche.
  16. Le style roman s’est conservé dans cette partie de la France beaucoup plus tard que dans les provinces du Nord et de l’Est. Arrivé rapidement, dès la fin du XIe siècle, à une très-grande perfection, il n’est pas mélangé d’influences gothiques vers le milieu du XIIe siècle, comme le roman de Bourgogne, de la Haute-Marne, de la Champagne et du Berry. Pendant la seconde moitié du XIIe siècle, les monuments de l’Auvergne retardent de cinquante ans.
  17. Les dessins de ce porche nous ont été fournis par M. Millet, chargé de la restauration de l’église de Châtel-Montagne.
  18. M. Millet, chargé de la restauration du charmant édifice, a dû remplacer les colonnes qui s’étaient écrasées; il a placé au milieu de leur groupe une colonne de granit, et a pu ainsi conserver à ce narthex toute son élégance. (Voyez les Archives des monuments historiques, publiées sous les auspices de Son Exc. le ministre d’État.)
  19. Voyez Chapelle, fig. 1 et 2 ; PALAIS, fig. 2 et 3.
  20. Voyez, à l’article Clocher, la carte des diverses écoles de clochers (fig. 61), dans laquelle il est démontré que deux prototypes de ces clochers, à Périgueux, à Brantôme, envoient des rameaux jusqu’à Cahors, Toulouse, le Puy, Loches, Saint-Benoit-sur-Loire, etc.
  21. Voyez les ensembles et les détails de ce porche dans l’Architecture du Ve au XVIe siècle, par Gailhabaud.
  22. Cet édifice a été fort altéré il y a peu d’années.
  23. Voyez Monographie de l’église de Saint-Savin, publiée par les soins du ministre de l’instruction publique.
  24. Il faut citer aussi un de ces porches conservé sous le clocher occidental de l’église Saint-Séverin de Bordeaux, et qui date du commencement du XIIe siècle.
  25. Voyez les Monuments de Seine-et-Marne, par MM. Aufauvre et Fichot.
  26. Voyez Pugin, Specimens of the architectural ant. of Normandy.
  27. Voyez, à l’article Architecture Religieuse, la figure 62.
  28. Voyez l’article Cathédrale, t. II, p. 280 et suiv. — Voyez aussi les Entretiens sur l’architecture, t. I, p. 263 et suiv.
  29. Il faut noter ici (voy. Cathédrale, fig, 19) que le portail de la cathédrale d’Amiens n’a pas été élevé conformément à son tracé primitif. Mais en admettant même ce plan primitif, nous ne pouvons voir, non plus qu’à la cathédrale de Laon, dans ces ébrasements prononcés des portes, ce qui constitue un porche, c’est-à-dire un vestibule ouvert ou fermé.
  30. Voyez la Monographie de la cathédrale de Chartres, par M. Lassus. — L’ouvrage de M. Gailhabaud, sur l’architecture du Ve au XVIe siècle. — Les exemples de décoration de M. Gaucherel.
  31. La tombe de l’architecte Libergier est aujourd’hui placée dans la cathédrale de Reims ; elle était, avant la démolition de l’église de Saint-Nicaise, placée dans ce monument.
  32. L’église de Saint-Nicaise a été démolie depuis la fin du dernier siècle. En ordonnant cette démolition, les gens de Reims ont privé leur ville et la France d’un des plus beaux monuments de l’art au XIIIe siècle. Heureusement les documents sur cet édifice ne font pas trop défaut ; on en possède des plans et quelques gravures, entre autres celle de la façade, qui est un véritable chef-d’œuvre et qui est due au graveur rémois De-Son. Cette pièce rare date de 1625.
  33. Nous avons très-souvent l’occasion de parler de cette jolie église, qui présente le développement le plus complet et le plus extraordinaire de cette architecture champenoise du XIIIe siècle (voy. Architecture Religieuse, Construction, fig. 102, 103, 104, 105, 106 ; Fenêtre, Pilier).
  34. C’est l’arc-boutant marqué Y sur le plan (fig. 30).
  35. Pour le système de construction adopté à Saint-Urbain de Troyes, voyez, à l’article Construction, les figures 103, 104, 105 et 106.
  36. Voyez les belles photographies que MM. Bisson frères ont faites de ce porche.
  37. Voyez Cathédrale, fig. 50.
  38. M. Daly, architecte diocésain d’Alby, a été depuis peu chargé de restaurer ce porche, et s’est acquitté de cette tâche difficile avec un talent remarquable.
  39. Voyez, à l’article Maison, le plan et l’élévation de l’hôtel de la Trémoille (fig. 36 et 37), la tourelle formant porche à rez-de-chaussée, à l’entrée de l’allée conduisant au jardin. Voyez aussi l’article Tourelle.
  40. Voyez Loge.