Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle/Filet

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FILET, s. m. Solin. On donne ce nom à une saillie de pierre destinée à empêcher l’eau pluviale glissant le long des parements de s’introduire entre les couvertures et les maçonneries. Une couverture en métal, en ardoise ou en tuiles, ne peut être adhérente à la pierre ; il existe toujours une solution de continuité entre cette couverture et la construction de pierre qui s’élève au-dessus d’elle. Si cette jonction, nécessairement imparfaite, n’est pas masquée par une saillie qui en éloigne les eaux, des infiltrations ont lieu sous les combles, pourrissent les planchers ou les voûtes. Aujourd’hui, on incruste une lame de zinc dans la pierre au-dessus de la couverture, ou, plus souvent encore, on calfeutre la jonction au moyen d’un solin de plâtre, qui se dégrade promptement ou qui se brise par suite du mouvement des charpentes sujettes à des gonflements et à des retraits successifs. Les architectes du moyen âge avaient sur nous l’avantage précieux de tout prévoir pendant la construction des édifices publics ou privés. Scellements des châssis, feuillures, emplacement des ferrures, les détails nombreux qui doivent concourir à l’ensemble d’une bâtisse simple ou compliquée, étaient calculés, prévus et exécutés au fur et à mesure de la construction. Mais c’était particulièrement dans le système d’écoulement des eaux que ces architectes nous surpassaient. Ils apportaient donc, dans l’établissement à demeure des filets propres à masquer la jonction des couvertures avec les parements verticaux, un soin minutieux, surtout à dater de la fin du XIIe siècle, moment où ils commençaient à élever de très-vastes édifices, sur lesquels, à cause même de leur grande surface, l’écoulement des eaux présentait des difficultés. Dans les églises romanes du XIe siècle, on voit déjà cependant que les architectes ont préservé la jonction du comble en appentis des bas-côtés avec le mur de la nef centrale, au moyen de filets prononcés (1).
Ces filets pourtournent les saillies des contre-forts, horizontalement d’abord (voy. le tracé A), puis bientôt suivant la pente donnée par le comble (voy. le tracé B), afin de ne laisser partout, entre ce filet et la couverture, qu’une distance égale, suffisante pour introduire le plomb, l’ardoise ou la tuile. Mais des difficultés se présentèrent lorsque, par exemple, des souches d’arcs-boutants ou de cheminées vinrent percer les pentes d’un comble (2).
Si le filet AB empêchait l’eau glissant le long du parement D de s’introduire entre la couverture et les parois de la pile, il fallait, en C, trouver un moyen de rejeter les eaux, coulant sur le comble, à droite et à gauche de l’épaisseur de cette pile. Là, le filet ne pouvait être bon à rien ; il fallait, en C, un caniveau pour recevoir les eaux du comble, et il fallait que ce caniveau renvoyât ses eaux soit sur le comble, soit dans un autre caniveau pratiqué suivant la pente de la couverture. C’est à ce dernier moyen que l’on songea d’abord. En effet, les souches des arcs-boutants du chœur de la cathédrale de Langres, qui date du milieu du XIIe siècle, nous présentent des caniveaux disposés ainsi que l’indique la fig. 3.
Le caniveau A reçoit les eaux de la pente supérieure de la couverture ; celui B, latéral, reçoit les eaux tombées dans le caniveau A et sur les extrémités des tuiles en contre-bas. Lorsque la couverture est posée autour de cette souche, elle affecte la disposition donnée dans le tracé T. Ainsi, pas de solins de plâtre ou de mortier, un caniveau supérieur rejetant ses eaux dans des caniveaux rampants se dégorgeant à la partie inférieure de la pile dans le chéneau C. À la cathédrale de Langres, les filets-caniveaux rampants sont taillés dans une seule grande pierre, ce que la pente faible des combles rendait possible. Ce moyen primitif présentait des inconvénients. Il fallait relever la tuile pour joindre le caniveau supérieur A, et laisser ainsi un intervalle entre ce relèvement et la pente continue du comble ; de plus, le long de la jouée D du caniveau supérieur, les eaux pluviales pouvaient encore passer entre la tuile et cette jouée. Plus tard, des pentes plus fortes étant données aux couvertures, on renonça aux caniveaux rampants qui ne pouvaient dès lors être taillés dans une seule assise ; on revint aux filets de recouvrement pour les parties inclinées, et on laissa des caniveaux seulement dans la partie supérieure, à l’arrivée des eaux sur l’épaisseur des souches de contre-forts et de cheminées (4).


De petites gargouilles, ménagées des deux côtés de l’épaisseur, rejetèrent les eaux de ce caniveau supérieur sur les pentes de la couverture. Le tracé A donne le géométral de cette disposition. Un faible relèvement de l’ardoise, de la tuile ou du métal, en C, jetait les eaux dans le caniveau, lesquelles, par suite de l’inclinaison du comble, pouvaient facilement être versées sur la couverture passant sous le filet rampant E. Le tracé B présente le caniveau et le filet rampant en perspective, le comble étant supposé enlevé.

Ces détails font assez ressortir le soin apporté par les architectes du moyen âge dans ces parties de la construction si fort négligées aujourd’hui, mais qui ont une grande importance, puisqu’elles contribuent à la conservation des édifices. C’est grâce à ce soin que la plupart de nos monuments des XIIe et XIIIe siècles sont encore debout aujourd’hui, malgré un abandon prolongé et souvent des réparations inintelligentes. Nous n’osons prédire une aussi longue durée à nos monuments modernes, s’ils ont à subir les mêmes négligences et la même incurie ; ils n’éviteront de profondes dégradations que si l’on ne cesse de les entretenir, leur structure ne portant pas en elle-même les moyens de conservation que nous voyons adoptés dans l’architecture antique comme dans celle du moyen âge.