Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle/Hourd

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HOURD, s. m. Hourt, hour, ourdeys, gourt. Échafaud fermé de planches ; appliqué à l’architecture militaire, est un ouvrage en bois, dressé au sommet des courtines ou des tours, destiné à recevoir des défenseurs, surplombant le pied de la maçonnerie et donnant un flanquement plus étendu, une saillie très-favorable à la défense. Nous avons expliqué, dans l’article Architecture Militaire (voy. fig. 14, 15, 16 et 32), les moyens de construction et l’utilité des hourds ; toutefois l’objet prend une si grande importance dans l’art de la défense des places du XIe au XIVe siècle, que nous devons entrer dans des développements.

Il y a tout lieu de croire que, dès l’époque romaine, les hourds étaient en usage, car il est question, dans les Commentaires de César, d’ouvrages en bois qui sont de véritables hourds. Nous en avons donné un exemple à l’article Fossé, fig. 1. Dans l’ouvrage en bois qui couronnait les fossés du camp de César devant les Bellovaques, les galeries réunissant les tours sont des hourds continus protégeant un parapet inférieur[1]. La nécessité pour les défenseurs de commander le pied des remparts, d’enfiler les fossés et de se mettre à l’abri des projectiles lancés par les assiégeants, dut faire adopter les hourds dès l’époque gallo-romaine. Les crénelages supérieurs ne pouvaient, en cas de siège, présenter une défense efficace, puisque en tirant, les archers ou arbalétriers étaient obligés de se découvrir. Si l’assiégeant se logeait au pied même des murs, il devenait de toute impossibilité aux assiégés non-seulement de lui décocher des traits, mais même de le voir, sans passer la moitié du corps en dehors des créneaux. À la fin du XIe siècle déjà et au commencement du XIIe, nous remarquons, au sommet des tours et remparts, des trous de hourds percés au niveau des chemins de ronde[2]. Souvent alors ces trous sont doubles, de manière à permettre de poser, sous la solive en bascule, un lien destiné à soulager sa portée.

Les merlons des tours et courtines du château de Carcassonne (1100 environ) sont hauts (1m,60 à 1m,80) ; les trous de hourds sont espacés régulièrement, autant que le permet la courbe des tours ou les dispositions intérieures ; sous leurs pieds-droits sont percés, tout à travers, quatre trous : deux un peu au-dessous de l’appui des créneaux, deux au niveau du chemin de ronde.
Du chemin de ronde (1), les charpentiers faisaient couler par le trou inférieur une première pièce A, puis une seconde pièce B, fortement en bascule. L’ouvrier passant par le créneau se mettait à cheval sur cette seconde pièce B, ainsi que l’indique le détail perspectif B′, puis faisait entrer le lien C dans son embrèvement. La tête de ce lien était réunie à la pièce B par une cheville ; un potelet D, entré de force par derrière, roidissait tout le système. Là-dessus, posant des plats-bords, il était facile de monter les doubles poteaux E, entre lesquels on glissait les madriers servant de garde antérieure, puis on assujettissait la toiture qui couvrait le hourdis et le chemin de ronde, afin de mettre les défenseurs à l’abri des projectiles lancés à toute volée. Des entailles G ménagées entre les madriers de face permettaient de viser. Ainsi des arbalétriers postés sur les hourds pouvaient envoyer des projectiles par des meurtrières multipliées et jeter des pierres par le mâchicoulis K sur les assaillants. Du chemin de ronde, d’autres arbalétriers ou archers avaient encore les meurtrières à demeure L, par lesquelles, au-dessous des hourds, ils envoyaient des traits aux assiégeants. La communication du chemin de ronde avec le hourd s’établissait de plain-pied par les crénelages, dont les merlons sont assez élevés pour permettre à un homme de passer. La couverture était faite de forts madriers sur lesquels on posait de la grande ardoise ou de la tuile, et si on craignait l’envoi de projectiles incendiaires, des peaux fraîches, de grosses étoffes de laine, du fumier ou du gazon. Ce blindage était fait au sommet des courtines et tours de toute place forte destinée à subir un siège en règle, le crénelage en maçonnerie ne servant qu’en temps de paix et pour la garde ordinaire. Par le fait, les créneaux étaient autant de portes qui mettaient les hourds en communication avec le chemin de ronde sur un grand nombre de points ; et si le hourdage venait à brûler ou à être détruit par les pierriers de l’assiégeant, il restait encore debout une défense de maçonnerie offrant une dernière protection aux soldats qui garnissaient les remparts. Ces sortes de hourds n’étaient pas généralement posés à demeure, mais seulement en temps de guerre. En temps de paix, ces charpentes étaient facilement démontées et rangées à couvert dans les tours et dans les nombreux réduits disposés le long des remparts, à l’intérieur. Aussi, pour faciliter la pose et pour éviter de numéroter les pièces, de les classer et de les chercher, les trous de hourds sont percés à des distances égales, sauf dans certains cas exceptionnels, de sorte que tous les madriers de garde, formant parement, coupés de longueur, glissaient indifféremment entre les montants doubles assemblés à l’extrémité des solives en bascule. On comprend dès lors comment la pose des hourds pouvait être rapidement exécutée. En effet, les montants doubles de face posés (2), et dont la section est tracée en A, le charpentier n’avait qu’à laisser couler entre eux les madriers de garde, ainsi qu’on le voit en B. Si des pierres d’un fort volume, lancées par les machines de l’assiégeant, avaient rompu quelques madriers, on pouvait de même les remplacer promptement et facilement du dedans des hourds pendant la nuit, sans avoir besoin ni de clous ni de chevilles.
Cependant, quelquefois, les hourds étaient à demeure, particulièrement au sommet des tours ; alors on les hourdait en maçonnerie comme des pans de bois, ou on les couvrait d’ardoises. Il existe encore, dans le château de Laval, une tour du XIIe siècle qui a conservé un hourdage supérieur dont la construction paraît remonter au XIIIe siècle. Ce hourdage fait partie du comble et se combine avec lui (3).
C’est un bel ouvrage de charpenterie exécuté en beau et fort bois de chêne. Suivant l’usage de cette époque, chaque chevron de la charpente est armé, porte ferme et repose sur les blochets A (voy. la coupe C), lesquels sont portés sur la tête des poteaux de face D recevant une sablière S, et maintenus par les grandes contre-fiches intérieures moisées E. Ces contre-fiches viennent en outre soulager ces chevrons vers le premier tiers de leur longueur. Sous chaque poteau de face et sous chaque contre-fiche est posé un patin P qui forme bascule et mâchicoulis. En G, on voit le système du hourdage de face, lequel est voligé et couvert d’ardoises comme le comble lui-même. De distance en distance, de petites ouvertures sont percées dans le hourdage pour permettre de tirer. L’enrayure basse est maintenue par des entraits comme dans toutes les charpentes de combles coniques. Nous reviendrons tout à l’heure sur ces hourds à demeure, très-fréquents dans les constructions militaires du XVe siècle qui ne sont point couronnées par des mâchicoulis avec murs de garde en pierre de taille.

Pendant le XIIIe siècle, on simplifia encore le système des hourdages en charpente au sommet des remparts. On renonça aux trous doubles, on se contenta d’un seul rang de larges trous carrés (0,30 c. 0,30 c. environ) percés au niveau des chemins de ronde ; et, en effet, une pièce de bois de chêne de 0,30 c. d’équarrissage, fût-elle de trois mètres en bascule, peut porter un poids énorme. Or les hourds avaient rarement plus de 1m,95 c. de saillie (une toise). Il n’est pas nécessaire de s’étendre ici sur ces hourds simples, dont nous avons suffisamment indiqué la construction dans l’article Architecture Militaire, fig. 32. Mais souvent, au XIIIe siècle, il est question de hourds doubles, notamment dans l’Histoire de la croisade contre les Albigeois[3].

À Toulouse, assiégée par le comte Simon de Montfort, les habitants augmentent sans cesse les défenses de la ville :

« E parec ben a lobra e als autres mestiers
Que de dins et de fora ac aitans del obriers
Que garniron la vila els portals els terriers
Els murs e las bertrescas els cadafales dobliers
Els fossatz e las lissas els pons els escaliers
E lains en Toloza ac aitans carpentiers.
..............[4] »

Ailleurs, au siège de Beaucaire :

« Mas primier fassam mur ses caus e ses sablo
Ab los cadafales dobles et ab ferm bescalo[5]. »

Nous avons dû chercher sur les monuments mêmes la trace de ces hourds à deux étages. Or, à la cité de Carcassonne, des deux côtés de la porte Narbonnaise, dont la construction remonte au règne de Philippe le Hardi, nous avons pu reconnaître les dispositions d’un de ces échafauds doubles, indiquées par la construction de merlons très-puissants et taillés d’une manière toute particulière.
Ces merlons (4) sont appareillés en fruit sur le chemin de ronde, ainsi que l’indique le profil A. Leur base est traversée au niveau du chemin de ronde, par des trous de hourds de 0,30  c. de côté, régulièrement espacés. Sur le parement du chemin de ronde du côté de la ville est une retraite continue B. Les hourds doubles étaient donc disposés ainsi : de cinq pieds en cinq pieds passaient par les trous de hourds les fortes solives C, sur l’extrémité desquelles, à l’extérieur, s’élevait le poteau incliné D, avec des contre-poteaux E formant la rainure pour le passage des madriers de garde. Des moises doubles J pinçaient ce poteau, se reposaient sur la longrine F, mordaient les trois poteaux GHI, celui G étant appuyé sur le parement incliné du merlon, et venaient saisir le poteau postérieur K également incliné. Un second rang de moises, posé en L, à 1m,80 du premier rang, formait l’enrayure des arbalétriers M du comble. En N, un mâchicoulis était réservé le long du parement extérieur de la courtine. Ce mâchicoulis était servi par des hommes placés en O, sur le chemin de ronde, au droit de chaque créneau muni d’une ventrière P. Les archers et arbalétriers du hourd inférieur étaient postés en R, et n’avaient pas à se préoccuper de servir ce premier mâchicoulis. Le second hourd possédait un mâchicoulis en S. Les approvisionnements de projectiles se faisaient au dedans de la ville par les guindes T. Des escaliers Q, disposés de distance en distance, mettaient les deux hourds en communication. De cette manière, il était possible d’amasser une quantité considérable de pierres en V, sans gêner la circulation sur les chemins de ronde ni les arbalétriers. En X, on voit de face, à l’extérieur, la charpente du hourdage dépourvue de ses madriers de garde, et, en Y, cette charpente garnie. Par les meurtrières et mâchicoulis, on pouvait lancer ainsi sur l’assaillant un nombre prodigieux de projectiles. Comme toujours, les meurtrières U, à demeure, percées dans les merlons, dégageaient au-dessous des hourds et permettaient à un second rang d’arbalétriers postés entre les fermes, sur le chemin de ronde, de viser l’ennemi. On conçoit que l’inclinaison des madriers de garde était très-favorable au tir. Elle permettait, de plus, de faire surplomber le second mâchicoulis S en dehors du hourdage inférieur. La dépense que nécessitaient des charpentes aussi considérables ne permettait guère de les établir que dans des circonstances exceptionnelles, sur des points mal défendus par la nature, et c’était précisément le cas des deux côtés de la porte Narbonnaise, particulièrement pour la courtine du nord (voy. Porte ), sur l’étendue de laquelle, entre cette porte et la tour du Trésau, ce système a été appliqué. Si les courtines étaient garnies de hourds, à plus forte raison le sommet des tours devait-il être muni de cette défense nécessaire, puisqu’on avait plus d’avantage à attaquer une tour qu’une courtine ; aussi les tours de la cité de Carcassonne sont-elles toutes percées, au niveau de leur plancher supérieur, de trous de hourds très-larges, bien dressés et également répartis sur la circonférence. Mais ces tours étant couvertes par des charpentes, il était indispensable de disposer celles-ci de telle sorte que l’on pût poser les toitures des hourds sans gâter celles des tours.
À cet effet, on laissait au-dessus des corniches un espace vide entre les blochets, pour passer les chevrons du hourd (5), qui étaient calés sur les semelles du comble et arrêtés derrière les jambettes au moyen de clefs, ainsi que l’indique le profil A. Le hourdage d’une tour ronde se trouvait former un plan polygonal à plus ou moins de côtés, suivant que la circonférence de la tour était plus ou moins étendue, car les trous de hourds sont toujours, comme les créneaux et meurtrières, percés à distances égales. Le mâchicoulis continu était ouvert soit le long du parement de la tour, en B, soit le long des madriers de garde, en C, suivant le lieu et l’occasion ; voici pourquoi : les bases des tours (comme celles des courtines) sont montées en talus, sauf de rares exceptions. Le talus finissait ordinairement au niveau de la crête de la contrescarpe du fossé. Si l’assaillant parvenait à combler le fossé, il arrivait au sommet du talus, en G, comme l’indique le tracé M. Alors le mâchicoulis percé en C ne battait pas verticalement les mineurs attachés en G ; il était donc nécessaire d’avoir un mâchicoulis, en B, le long du parement même de la tour. Si, au contraire, le mineur s’attachait à la base de la tour, au fond du fossé en F, il fallait ouvrir un mâchicoulis en C, directement au-dessus de lui, car les projectiles tombant par le mâchicoulis B, ricochant sur le talus, devaient décrire une parabole ab par-dessus la tête des mineurs. Mais si l’assaillant se présentait en masse à la base d’une tour ou d’une courtine, garanti par une galerie roulante, une gate, le projectile tombant verticalement du mâchicoulis B lui causait plus de dommages en ricochant, car il pouvait entrer ainsi sous la gate. En P, nous donnons une vue perspective du sommet d’une tour de la fin du XIIIe siècle, faisant partie de l’enceinte de la cité de Carcassonne, avec ses hourds posés et en partie recouverts de peaux fraîches, afin d’éviter l’effet des projectiles incendiaires sur toutes les pièces saillantes du hourdage. Mais, dès la première moitié du XIIIe siècle, on avait déjà cherché à parer, au moins en partie, aux dangers d’incendie que présentaient ces hourds saillants posés sur des solives en bascule, et contre lesquels les assaillants lançaient une quantité de barillets de feux grégeois, de dards garnis d’étoupe, de résine ou de bitume enflammés, toutes matières qui, par leur nature, pouvaient s’attacher aux charpentes et produire un feu très-vif que l’eau ne pouvait éteindre. Nous voyons déjà, au sommet des tours élevées à Coucy par Enguerrand III de 1220 à 1230, des consoles en pierre destinées à la pose des hourds de bois. La combinaison de ces hourds est très-apparente et fort ingénieuse au sommet du donjon de Coucy (voy. Donjon, fig. 39). Le pied des hourds de ce donjon célèbre, le plus grand de tous ceux que possède l’Europe, est à 40 mètres au-dessus de la contrescarpe du fossé. Et bien qu’à cette hauteur les assiégés n’eussent pas à redouter les projectiles incendiaires, ils ont établi, tout autour de l’énorme cylindre, quarante-huit consoles de pierre de 1m,07 de saillie sur 0,30 c. d’épaisseur, pour asseoir le hourdage dont notre fig. 6 donne la coupe en A.
En B, on voit l’une des consoles formées de deux assises chacune. Sur ces consoles, en temps de guerre, reposait un patin C, recevant deux poteaux inclinés DE. Des moises F, posées un peu au-dessus du niveau de la ventrière des créneaux, servaient à porter un plancher destiné aux arbalétriers. En avant de ce plancher était ouvert un mâchicoulis G à l’aplomb de la base du talus du donjon au fond du fossé. Suivant le système précédemment expliqué, des madriers de garde entraient en rainure en avant des poteaux D, doublés d’un deuxième poteau pincé à sa base par les moises. Au sommet de la corniche H est élevé un talus double de pierre, sur lequel venait s’appuyer le double chevronnage II′, dont le glissement était maintenu par l’équerre J. Sur le banc continu K intérieur étaient posés d’autres poteaux inclinés L, pincés par les moises M et s’assemblant dans les chevrons I′. Sur ces moises M, des longrines recevaient un plancher O, qui, au droit de chaque créneau, se reposait sur la ventrière, mais de manière à laisser entre ces planchers et celui du hourdage un mâchicoulis N à l’aplomb du parement extérieur de la tour. Le plancher O, mis en communication avec la terrasse par quelques escaliers P, permettait d’arriver au plancher du hourdage, et de poster un second rang d’arbalétriers qui pouvaient tirer par les meurtrières en maçonnerie R (voy. la face intérieure T qui représente, en T′, le crénelage nu, et en T″ le crénelage avec les hourds). L’angle du tir est surtout disposé pour couvrir de projectiles le chemin de ronde de la chemise du donjon. Les mâchicoulis suffisaient amplement pour battre le fond du fossé dallé, creusé entre cette chemise et la tour. Les défenseurs postés soit sur le hourdage, soit à l’intérieur, étaient ainsi parfaitement à couvert. Des pierres amassées dans l’embrasure des créneaux sur le plancher O pouvaient être poussées du pied et être jetées rapidement par le mâchicoulis N. En S sont percées les conduites rejetant à l’extérieur les eaux de la terrasse ; ces conduites étaient autrefois garnies de plomb, comme la terrasse elle-même. Un fragment du plan du sommet du donjon de Coucy, avec les hourds posés supposés coupés au niveau ab (7), complète l’explication de la fig. 6.
Nous avons tenu à nous rendre compte de la manière de poser ces hourds, à une hauteur de 46 mètres au-dessus du fond du fossé, sur des consoles isolées en contre-bas des crénelages. Ayant eu à poser un échafaudage à la hauteur de ces consoles, pour placer deux cercles en fer et pour réparer les couronnements profondément lézardés par l’explosion de 1652, nous avons dû chercher naturellement quels avaient été les moyens pratiques employés au XIIIe siècle pour assembler les hourds. Or tout est prévu et calculé dans ce remarquable couronnement de donjon pour faciliter ce travail en apparence si périlleux, et nous avons été conduit, par la disposition même des maçonneries, des pleins et des vides, à appliquer les procédés qu’employaient les charpentiers du XIIIe siècle, par la raison qu’on ne peut en employer d’autres. On se rappelle (voy. Donjon, fig. 38 et 39) comment est tracé le plan de la plate-forme du donjon de Coucy. Cette plate-forme se compose d’un large chemin de ronde circulaire, pourtournant une voûte à douze pans revêtue de plomb et formant un pavillon plat, au centre duquel est percé un œil. Ce chemin de ronde circulaire, et divisé par pentes et contre-pentes pour rejeter les eaux en dehors, pouvait être facilement nivelé au moyen de madriers posés sur cales.
Ces madriers (voy. fig. 8), sur deux rangs A et B, formaient deux chemins de bois sur lesquels étaient posée une grue dont les roues A, d’un plus grand diamètre que celles B, permettaient la manœuvre circulaire. Le nez C de cette grue dépassait l’aplomb de la grande corniche D à l’extérieur. Comme sur les talus de cette corniche s’élevaient quatre pinacles P, il fallait que la flèche de la grue pût se relever pour passer au droit de ces pinacles. Cette flèche pivotait donc sur un tourillon G, et était ramenée à son inclinaison, puis arrêtée à la queue par la traverse F et par un boulon I. Le détail K présente cette grue de face du côté du treuil. Mais il fallait que les charpentiers pussent, à l’extérieur, assembler les pièces que cette grue péchait et enlevait par les ouvertures des créneaux. Un échafaud en bascule, indiqué en L en profil et en L′ de face, permettait d’avoir un premier pont M au droit de chaque créneau et au niveau des moises basses du hourdage, et un second pont N, en contre-bas, pour pouvoir poser les patins sur les consoles et assembler les poteaux inclinés dans ces patins. Des ouvriers à cheval sur le sommet des talus de la corniche pouvaient facilement assembler les chevrons entre eux et régler le plan de chaque ferme. Ainsi, de l’intérieur du donjon, l’opération entière de la pose des hourds pouvait se faire en peu de temps et sans exiger d’autres échafauds que ces petits planchers en bascule établis en dehors de chaque créneau, d’autres engins que cette grue, manœuvrant circulairement par le moyen de ses roues de diamètres différents. L’échafaud L en bascule était fait seulement pour un créneau et transporté successivement par la grue elle-même[6]. En examinant cette dernière figure avec attention, on voit 1o que l’ouverture des créneaux est mise en rapport avec les écartements des consoles, pour que les moises pendantes O puissent passer juste le long de leurs parois ; 2o que la fermeture en tiers-point de ces créneaux est faite pour permettre d’étançonner convenablement les deux solives en bascule posant sur la ventrière V ; 3o qu’au moyen des deux traverses RR, des jambettes inclinées S et des chandelles également inclinées J, les solives en bascule M ne pouvaient ni branler ni s’en aller au vide ; 4o que les talus de la grande corniche, dont on ne pouvait s’expliquer l’utilité, sont parfaitement motivés par l’inclinaison des chevrons qui venaient se reposer franchement sur leurs faces ; 5o que la forte saillie intérieure et extérieure de cette corniche soulageait d’autant ces chevrons ; qu’enfin ce qu’il y a d’étrange au premier abord dans ce couronnement colossal, nullement motivé par la présence des créneaux et des meurtrières, s’explique du moment qu’on étudie la combinaison des hourds et la manière de les poser. Mais telle est cette architecture du moyen âge : il faut sans cesse chercher l’explication de toutes ses formes, car elles ont nécessairement, surtout dans les édifices militaires, une raison d’être, une utilité ; et cela contribue à l’effet saisissant de ces vastes constructions.
La fig. 9 donne en perspective les manœuvres des charpentiers posant les hourds du donjon de Coucy. On voit comment les petits ponts en bascule des créneaux suffisaient parfaitement pour assembler ces charpentes ferme par ferme ; car celles-ci placées, la circulation était de suite établie en dehors pour clouer les planches du chemin de ronde et les madriers de la couverture. Il faut bien admettre certainement que les charpentiers de cette époque étaient fort habiles au levage, et il suffit d’ailleurs, pour s’en convaincre, de voir les charpentes qu’ils ont dressées ; mais les moyens pratiques employés ici sont si bien expliqués par la disposition des lieux, et ces moyens sont si sûrs, si peu dangereux, comparativement à ce que nous voyons faire chaque jour, que le hourdage du donjon de Coucy ne devait présenter aucune difficulté sérieuse[7].

Il ne fallait pas moins, pour armer une fortification de ses hourds, des ouvriers, du bois en quantité, et encore risquait-on de laisser brûler ces galeries extérieures par l’ennemi ; aussi, vers le commencement du XIVe siècle, renonce-t-on généralement en France aux hourds de charpente pour les remplacer par des mâchicoulis avec mur de garde en pierre (voy. Architecture Militaire, fig. 33, 34, 36, 37 et 38, et l’article Mâchicoulis). Ce n’est que dans les provinces de l’Est que les architectes militaires continuent à employer les hourds. On en voit encore un grand nombre, qui datent des XIVe, XVe et XVIe siècles, en Suisse, en Allemagne ; mais ces hourds sont habituellement posés sur la tête des murs et ne se combinent plus avec les crénelages comme ceux des XIIe et XIIIe siècles.

Voici, par exemple, un hourdage posé au sommet d’un clocher du XIIe siècle, à Dugny près Verdun. Ce hourdage (10) est, bien entendu, d’une époque postérieure, du XIVe siècle, pensons-nous. Il se compose d’un pan de bois posé en encorbellement sur des solives et revêtu d’une chemise de planches verticales clouées sur les traverses hautes et basses de ce pan de bois. Le tout est recouvert d’un comble[8]. Beaucoup de tours des environs de Verdun sont encore garnies de ces hourds élevés pendant les guerres des XIVe et XVe siècles et qui, depuis lors, ont été laissés en place et servent de beffrois. À Constance, en Suisse, on voit encore un certain nombre de tours garnies de hourds qui datent du XVe siècle. Le bâtiment de la douane de cette ville, qui date de 1398, a conservé à sa partie supérieure une belle galerie de hourds de la même époque, galerie dont nous présentons (11) une coupe.
Ces hourds se combinent avec la charpente du comble et couronnent la tête des murs sur deux côtés du bâtiment faisant face aux quais (voy. Bretèche, fig. 3). Le tracé A fait voir le système de hourdage en planches verticales à l’extérieur, et le tracé B le détail de la découpure inférieure de ces planches en sapin d’une forte épaisseur, avec leurs couvre-joints C. Comme toujours, un mâchicoulis continu est réservé en D.

On établit encore des hourds contre l’artillerie à feu ; mais alors on prenait la précaution de remplacer les planches par un hourdis en maçonnerie entre les membrures. On voit des hourds de ce genre encore existants en Lorraine et en Suisse, notamment au-dessus de la tour qui termine le pont de Constance du côté de la ville. À Nuremberg, il existe encore des hourds du XVIe siècle sur les remparts élevés par Albert Dürer (voy. Créneau, fig. 18). Ces hourds sont maçonnés entre les membrures et couronnent les parapets des courtines par-dessus la grosse artillerie.

On donnait aussi le nom de hourd à des échafauds que l’on dressait soit dans des salles, soit sur l’un des côtés d’un champ, pour permettre à des personnes de distinction de voir certaines cérémonies, des ballets ou des combats en champ clos. Ces hourds étaient alors encourtinés, c’est-à-dire recouverts de riches étoffes, d’écussons armoyés, de peintures sur toile, de tapisseries. Leur intérieur était disposé en gradins et quelquefois divisé en loges séparées par des cloisons drapées. Les manuscrits du XVe siècle nous ont conservé un grand nombre de ces échafauds décorés, établis à l’occasion d’un tournois, d’un banquet ou d’une fête.

  1. De Bello Gallico, I. VIII, c. IX.
  2. Au château de Carcassonne, par exemple, où les trous de hourds sont partout conservés.
  3. Voy. Coll. des docum. inéd. sur l’hist. de France, 1re série ; Hist. polit. ; Hist. de la croisade contre les hérét. albigeois, en vers provençaux, par un poëte contemporain, trad. par M. C. Fauriel ; 1837.
  4. Vers 6 854 et suiv.

    « Il y parut bien à l’œuvre et aux autres métiers ;
    Dedans comme dehors on ne voit qu’ouvriers
    Qui garnissent la ville et les portes et les plates-formes,
    Les murs et les bretèches, les hourds doubles,
    Les fossés et les lices, les ponts, les escaliers,
    Et dans Toulouse ce ne sont que charpentiers.
    .................. »

  5. Vers 3 988 et suiv.

    « Mais auparavant faisons un mur sans chaux ni sable
    Avec un double hourd et escalier solide. »

  6. C’est là le procédé qui a été employé par nous lors de la restauration, sans qu’il y ait eu le moindre accident à déplorer. Trois ouvriers ont été tués pendant les reprises des lézardes, mais par suite d’une négligence dans la manœuvre. Ce malheur est arrivé, d’ailleurs, en dehors des ponts dont il est fait ici mention, et sur lesquels on a pu barder des pierres lourdes, des pièces de fer et de bois d’un poids considérable.
  7. Nous le répétons : une opération absolument semblable a été faite, par les mêmes moyens, en très-peu de temps et avec des bois légers, par quatre ouvriers charpentiers conduits par un ancien compagnon habile, M. La France ; ce ne sont donc pas là des hypothèses.
  8. Le dessin de ce clocher nous a été communiqué par M. Petitot-Bellovène, de Verdun.