Du diagnostic de la gestation chez les grandes femelles domestiques

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ÉCOLE NATIONALE VÉTÉRINAIRE DE TOULOUSE


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DU


DIAGNOSTIC DE LA GESTATION


CHEZ LES


GRANDES FEMELLES DOMESTIQUES


PAR


P.-Henri CHRÉTIEN


De Reyniès (Tarn-et-Garonne)


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THÈSE POUR LE DIPLOME DE MÉDECIN-VÉTÉRINAIRE


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MONTAUBAN


TYP. DE J. VIDALLET, RUE BESSIÈRES, 25


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1877



À LA MÉMOIRE DE MON GRAND’PÈRE
Regrets éternels


À MA GRAND’MÈRE ET À MA TANTE
Faible témoignage de reconnaissance et d’affection


À MON PÈRE & À MA MÈRE
Amour filial


À MES FRÈRES
Attachement sincère


À TOUS MES PARENTS


À MES PROFESSEURS


À MES AMIS


ÉCOLES NATIONALES VÉTÉRINAIRES




inspecteur-général :


M. H. BOULEY O. ❄, membre de l’Institut, président de l’Académie de Médecine, etc.




ÉCOLE DE TOULOUSE


directeur


M. LAVOCAT ❄ membre de l’Académie des Sciences de Toulouse, etc.


professeurs :


MM. LAVOCAT ❄, Tératologie.
Anatomie des régions chirurgicales.
LAFOSSE ❄, Pathologie spéciale.
Police sanitaire et Jurisprudence.
Clinique et consultations.
BIDAUD, Physique
Chimie.
Pharmacie et Matière médicale.
Toxicologie et Médecine légale.
N***, Hygiène générale et Agriculture.
Hygiène appliquée ou Zootechnie.
Botanique.
Extérieur des animaux domestiques.
N***, Pathologie et Thérapeutique générales.
Pathologie chirurgicale et obstétrique.
Manuel opératoire et Maréchalerie.
Direction des Exercices pratiques.
TOUSSAINT, Anatomie générale et Histologie
Anatomie descriptive.
Physiologie.


CHEFS DE SERVICE :


MM. MAURI, Clinique, Pathologie spéciale, Police sanitaire et Jurisprudence.
LAULANIÉ, Anatomie générale et descriptive, Histologie, Physiologie.
LABAT, Clinique, Thérapeutique, Extérieur et Zootechnie.
LIGNON, Clinique chirurgicale et Chirurgie, Pathologie générale, Histologie pathologique.
N***, Physique, Chimie et Pharmacie.


JURY D’EXAMEN

MM. BOULEY O. ❄, Inspecteur-général.
LAVOCAT ❄, Directeur.
LAFOSSE ❄, Professeurs.
TOUSSAINT,
BIDAUD,
MAURI, Chefs de Service.
LAULANIÉ,
LABAT,
LIGNON,


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PROGRAMME D’EXAMEN
Instruction ministérielle du 12 octobre 1866.


THÉORIE Épreuves
écrites
1o Dissertation sur une question de Pathologie spéciale dans ses rapports avec la Jurisprudence et la Police sanitaire, en la forme soit d’un procès-verbal, soit d’un rapport judiciaire, ou à l’autorité administrative ;
2o Dissertation sur une question complexe d’Anatomie, de Physiologie et d’Histologie.
Épreuves
orales
1o Pathologie spéciale ;
2o Pathologie générale ;
3o Pathologie chirurgicale ;
4o Maréchalerie, Chirurgie ;
5o Thérapeutique, Posologie, Toxicologie, Médecine légale ;
6o Police sanitaire et Jurisprudence ;
7o Agriculture, Hygiène, Zootechnie.
PRATIQUE Épreuves
pratiques
1o Opérations chirurgicales et Ferrure ;
2o Examen clinique d’un animal malade ;
3o Examen extérieur de l’animal en vente ;
4o Analyses chimiques ;
5o Pharmacie pratique ;
6o Examen pratique de Botanique médicale et fourragère.
DU DIAGNOSTIC DE LA GESTATION


CHEZ LES


GRANDES FEMELLES DOMESTIQUES


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On appelle gestation, portée, grossesse, l’état de la femelle qui porte dans la matrice le produit de la conception, et la fonction temporaire et naturelle qui en est la suite. Cet état commence après l’accouplement et se termine par la parturition, l’accouchement ou le part.

Les signes qui annoncent la gestation ou grossesse sont nombreux et variables, mais souvent trompeurs ; aucun ne peut être considéré comme certain dans tous les cas et l’on peut souvent s’y méprendre. Il est arrivé un grand nombre de fois que des femelles ont mis bas sans que, antérieurement, on ait pu acquérir la certitude qu’elles étaient pleines, quelquefois même sans qu’il y ait eu le moindre indice. Un grand nombre d’exemples de ce genre ont été recueillis, et beaucoup plus encore, probablement, ont passé sans être notés. On peut même dire que souvent dans les premiers temps de la gestation rien n’annonce cet état.

Il n’en est pas moins nécessaire de bien connaître les signes de la plénitude quelque équivoques qu’ils puissent être ; au contraire, pour cette même raison, ils doivent être mieux étudiés afin qu’on puisse arriver à réunir le plus de chances possible contre l’erreur.

Il peut être, en effet, d’une très haute importance qu’un vétérinaire soit en état d’affirmer, avec une certitude absolue, l’existence ou l’absence de la grossesse, surtout s’il est consulté pour des cas de jurisprudence.

Une classification généralement adoptée et devenue classique pour les signes de la gestation, c’est leur division en signes rationnels et signes sensibles.

Les premiers sont ceux qui résident dans les modifications apportées à l’état général de la femelle, et la connaissance qu’on en déduit pour le diagnostic ne vient que du raisonnement ; aucun d’eux n’est probant, et même quelquefois réunis ils ne peuvent que faire soupçonner l’état.

Les seconds se manifestent directement à nos sens ; ils annoncent par eux-mêmes, et sans qu’il soit besoin de les interpréter par le raisonnement, la présence du fœtus.

Nous allons procéder, avec le plus de soin possible, à la description de ces divers signes diagnostiques, en suivant l’ordre ci-dessus indiqué ; c’est-à-dire que nous commencerons par nous occuper des signes rationnels d’abord, et des signes sensibles ensuite.


A. SIGNES RATIONNELS DE LA GESTATION


Nous rangeons dans cette catégorie la cessation des chaleurs, le radoucissement du caractère, la disposition à l’engraissement, le ralentissement des allures, le développement du ventre et celui des mamelles.


1o Cessation des chaleurs. — La cessation des chaleurs est le premier, mais non le plus certain des signes de la gestation ; il est même souvent capable d’induire en erreur.

Lorsque, six à huit jours après un accouplement qui s’est opéré dans de bonnes conditions, on voit les chaleurs disparaître ; lorsque la femelle, présentée de nouveau au mâle, refuse de se laisser couvrir, on peut présumer que cette femelle a conçu. Cette présomption se fortifiera s’il s’écoule un mois, un mois et demi, sans qu’on voie reparaître le moindre signe d’excitation génésique, surtout si la femelle est en bon état, bien nourrie, et a l’habitude de porter tous les ans.

La cessation des chaleurs est indiquée, dans les jours immédiatement successifs à l’accouplement, par une tranquillité relative de la femelle qui ne cherche plus le mâle, cesse de se tourmenter à l’écurie, au travail ou au pâturage, de hennir, de beugler, etc., comme elle le faisait dans les jours précédents.

Chez quelques femelles, l’éréthisme des organes génitaux, la manifestation des chaleurs persiste encore, quelque temps après l’accouplement, quoique réellement ces femelles aient été fécondées. Il peut, même arriver, mais plus rarement, que les chaleurs reviennent après avoir disparu pendant un certain temps. Les femelles, dans cet état, peuvent encore recevoir le mâle et quelquefois être fécondées de nouveau, ainsi qu’en témoignent les cas nombreux de superfétation recueillis dans les annales de la science. Au lieu d’une superfétation, ce peut être, notamment quand la gestation est un peu avancée, un avortement qui soit déterminé par un nouvel accouplement. On rapporte, dit M. Magne, qu’une jument du haras de Saint-Léger, pleine depuis plusieurs mois, recherchait encore l’étalon. Louis XIV, s’en rapportant plutôt aux désirs de la jument qu’à Garsault qui la disait pleine, voulut qu’on lui donnât l’étalon ; on la fit couvrir, elle avorta.

L’étalon refuse assez souvent de couvrir les juments pleines chez lesquelles les chaleurs persistent ou reparaissent. M. Trasbot dit avoir constaté lui-même ce fait dans un dépôt d’étalons ; cependant il n’en est pas toujours ainsi. Si la jument est présentée à un étalon très ardent, et surtout si elle l’est à un cheval entier qui n’est pas employé habituellement à la reproduction, il la couvrira infailliblement une seconde fois.

Enfin, il est parfois des juments qui semblent n’entrer jamais en chaleur ; on les force quelquefois, néanmoins, à recevoir l’étalon ; il est rare à la vérité qu’elles soient fécondées en cet état ; il peut cependant arriver qu’elles le soient. Il est clair que pour elles, le signe tiré de l’absence des chaleurs ne saurait avoir aucune valeur.

Chez la vache les chaleurs pourront aussi persister ou se renouveler après la fécondation, mais dans l’espèce bovine le mâle refuse toujours de couvrir une seconde fois la femelle qui se trouve dans cet état.

« Bien plus souvent (dit Grognier) que la jument, la vache pleine manifeste des signes de chaleur ; beaucoup mieux que le cheval, le taureau reconnaît la gestation et s’abstient de saillir les femelles en cet état ; il les lèche, il les caresse, les console en quelque sorte, et calme ainsi leur ardeur. »

M. Magne ajoute que le mâle habitué à vivre avec elles les flaire comme d’autres bêtes qui viendraient à lui, mais sans être excité par leurs émanations. De sorte que, dans la majorité des cas, on peut être à peu près certain que les femelles sont pleines, lorsqu’elles manifestent des signes de chaleur et que néanmoins le taureau refuse de les couvrir.

En définitive, de ce qui précède, nous pouvons dire que la cessation des chaleurs indique, d’une manière générale, que la femelle est pleine, et que leur persistance ou leur réapparition ne prouve pas, d’une manière absolue, que la copulation a été infructueuse, même lorsque les mâles couvrent de nouveau les femelles. Si le rut se reproduit souvent il est évident que, non-seulement la femelle n’est pas pleine, mais encore qu’elle sera difficile à féconder, et que, par conséquent, elle est peu apte à la reproduction.


2o Radoucissement du caractère. — Le second signe que l’on constate sur les femelles qui ont été fécondées, c’est le radoucissement de leur caractère, conséquence naturelle de la cessation du rut, car il est clair que l’orgasme vénérien diminuant, il doit en être de même de la plus grande irritabilité du sujet. C’est du moins ce que l’on observe dans la plupart des cas. Marchant de pair avec la cessation des chaleurs, ce phénomène suit ordinairement de très prés la conception.

Il est très fréquent de voir, en effet, chez les grandes femelles domestiques, surtout les juments, un changement notable de caractère après l’accouplement fructueux ; on voit les juments méchantes, se laissant difficilement approcher et panser, celles qu’on appelle pisseuses, devenir douces, maniables, tranquilles.

Ce signe à une assez grande valeur et ne peut guère induire en erreur ; il peut manquer cependant quelquefois, mais quand il se manifeste on a une donnée presque certaine.

Si, au contraire, la jument n’a pas été fécondée après un ou plusieurs accouplements, ce qui est assez fréquent chez elle, ses vices s’exagèrent, et telle jument qui, avant d’être saillie, était seulement ce qu’on appelle chatouilleuse, un peu irritable, devient complètement inabordable, pendant quelque temps, après une ou plusieurs saillies infructueuses.

La gestation produit chez la jument pendant quelque temps un effet identique à celui que produit, d’une manière durable, la castration, qu’elle soit pratiquée sur un mâle ou sur une femelle. Chez la vache un phénomène semblable peut aussi se faire remarquer, mais plus rarement et moins accentué ; la vache fécondée est plus tranquille, prudente, évite de se heurter aux autres vaches. Si elle est en troupeaux, elle est indolente, refuse le combat dans le pâturage.


3o Disposition à l’engraissement. — Chez les femelles qui ont été fécondées, on remarque peu de temps après l’accouplement un surcroît d’activité dans tous les actes de plasticité. Chez la jument et la vache, c’est vers la fin du premier ou deuxième mois que cette prédisposition à l’engraissement commence à se manifester. Ce fait est d’ailleurs très bien connu de tous les agriculteurs et nourrisseurs, attendu qu’ils savent en tirer un excellent parti en faisant saillir les vaches ou les brebis dont la dernière destination est pour la boucherie.

Pendant la dernière moitié de la durée de la gestation cette prédisposition diminue, et d’autant plus que l’époque du part se trouve plus rapprochée ; on remarque même, vers les deux ou trois derniers mois, une tendance à l’amaigrissement, et cela se comprend facilement car, à cette époque plus que jamais, la mère a besoin, non-seulement de fournir à son entretien, mais encore au développement de son produit. Les bouchers savent fort bien que les bêtes, dont la gestation est avancée, sont moins grasses intérieurement, et surtout moins lourdes qu’on ne pourrait le supposer d’après les signes extérieurs.

Quoi qu’il en soit, le signe qui nous occupe n’a de valeur réelle pour le diagnostic que par les circonstances dans lesquelles il se produit.

Si donc, on voit augmenter d’embonpoint une femelle dont le lait s’est tari accidentellement ou parce qu’elle cesse d’être nourrice, ou celle dont on a augmenté la nourriture, ou bien encore celle qu’on fait passer d’un travail fatigant à un repos absolu ou presque absolu, sans diminuer proportionnellement sa ration, il n’y aura rien à en conclure. Mais si le même effet s’observe chez une bête qui a été saillie un mois ou deux auparavant, sans que son travail ait été diminué ni sa ration augmentée, et si les chaleurs ne se sont plus montrées depuis lors, on pourra regarder la gestation comme au moins probable. Ces probabilités augmenteront et pourront même atteindre presque à la certitude dès qu’on pourra y joindre le développement du ventre dont nous allons parler bientôt.

On a souvent observé sur les femelles pleines, surtout chez la vache, des bizarreries de l’appétit ; elles mangent de la terre, boivent l’eau dégoûtante des mares, rongent les murs, mordillent le cuir, ont plus ou moins de pica.


4o Ralentissement des allures. — Le ralentissement des allures peut être constaté facilement chez les juments, plus employées comme forces motrices que les autres femelles. Après la conception, elles deviennent molles, lentes, peu sensibles au fouet, à l’éperon et aux autres instruments excitateurs ; elles trottent et surtout galopent ou sautent difficilement. Comme le dit M. Magne, « elles n’exécutent plus de mouvements désordonnés, soit que le fœtus les gêne, soit que le tempérament change, soit que l’instinct les avertisse qu’elles ont leur progéniture à conserver. » Cependant ces changements se manifestent très irrégulièrement et il est bon nombre de juments chez lesquelles ils ne sont nullement sensibles et qui continuent à faire des services rapides, avec la même vitesse et la même énergie que d’habitude, presque jusqu’au moment de la parturition. On en cite même qui, à une période très-avancée, ont pu, sans accidents, prendre part aux luttes extrêmement pénibles de l’hippodrome. Le plus généralement, du reste, le fait n’est bien marqué que pendant la dernière période de la grossesse, et lorsque beaucoup d’autres déjà ont pu éclairer sur le diagnostic.

On remarque de même chez les vaches pleines que l’on conduit au pâturage, une plus grande tendance au repos et à la tranquillité. Elles se déplacent le moins qu’elles peuvent, et, si on les fait travailler, elles sont plus nonchalantes et moins sensibles à l’aiguillon. On ne les voit plus courir ou se battre comme avant la gestation.


5o Développement du ventre. — L’époque à laquelle le ventre commence à augmenter de volume n’a rien de bien fixe. Dans les cas les plus fréquents, c’est à trois mois chez la vache et à quatre mois chez la jument, que l’on commence à apercevoir une légère augmentation, qui ira dès lors s’accusant de plus en plus. Ce signe est certainement très important, et, lorsqu’il coïncide avec ceux que nous avons déjà étudiés, il a une grande valeur diagnostique. Il est bon toutefois de tenir grand compte, non-seulement de l’ampliation plus ou moins apparente de l’abdomen, mais encore de la forme spéciale de cette ampliation qui, quand elle est due à la présence d’un fœtus dans la matrice, fait accroître le ventre dans tous les sens, mais surtout par son tiers inférieur. Il s’élargit en ce point, de manière que la saillie qu’il forme déborde très sensiblement le plan de la région crurale.

Pour bien saisir ce caractère il faut se placer un peu en arrière de l’animal, et embrasser la région abdominale tout entière d’un coup d’œil oblique, en prenant pour point de repère le plan de la face externe de la cuisse. En outre, comme conséquence de l’élargissement du ventre dans sa partie inférieure, on voit que les flancs se creusent, que la colonne vertébrale s’infléchit dans la région des reins, que les parties latérales de la croupe s’affaissent un peu, ce qui fait paraître les hanches et le sacrum plus saillants.

Vers le cinquième ou le sixième mois, ce signe est, en général, très facile à constater ; toutefois, il n’a jamais, par lui-même et à lui seul, que la valeur d’un signe de probabilité.

Plusieurs maladies, l’hydropisie des ovaires, l’ascite entre autres, donnent lieu, en effet, tout aussi bien que la gestation elle-même, à l’ampliation de l’abdomen ; sans compter que chez certaines femelles douées d’un fort appétit et abondamment nourries, mais avec des aliments fibreux et peu nutritifs, le ventre a naturellement un volume si exagéré, qu’il peut facilement en imposer, si on se contente d’un examen superficiel.

D’un autre côté, il arrive parfois que l’accroissement du ventre est si peu marqué, surtout chez les femelles primipares, qu’on peut facilement le méconnaître. M. Saint-Cyr cite un fait à l’appui de cette assertion : « Nous nous rappelons, dit-il, avoir vu présenter à l’étalon, — parce que son ventre était si peu volumineux qu’on ne pouvait croire à une gestation, — une jument primipare qui, un mois ou cinq semaines plus tard, accouchait d’une pouliche parfaitement à terme. » Ces cas sont rares, à la vérité ; mais ils doivent être connus, afin qu’on se mette en garde contre des erreurs possibles.

Pour éviter ces erreurs, plusieurs examens successifs, à des intervalles qui ne doivent pas être trop rapprochés, — de quinze jours par exemple, — peuvent être nécessaires. On fera même bien de ne pas s’en tenir à la simple impression fournie par la vue, et d’y joindre la mensuration à l’aide d’une ficelle ou d’un ruban de fil, qui peut accuser une augmentation de volume inappréciable à la vue simple.

Il est à peine nécessaire de dire que, lorsqu’on aura besoin d’arriver à une certaine précision de diagnostic, il ne faudra jamais s’en tenir à ce seul caractère ; il faudra, dans tous les cas, y joindre ceux qui peuvent accuser directement la présence du fœtus dans la matrice.


6o Développement des mamelles. — Dans les vues de la nature, les fonctions des glandes mammaires se lient intimement à la fonction de la reproduction. Ces glandes entrent en activité au moment où il devient nécessaire qu’elles élaborent le premier aliment destiné à subvenir aux besoins du nouvel être ; elles cessent de fonctionner quand celui-ci est devenu assez fort pour trouver lui-même sa nourriture.

L’époque à laquelle le gonflement des mamelles se manifeste, varie suivant les conditions dans lesquelles se trouvent les femelles. Chez la jument et la vache primipares, les mamelles commencent à augmenter de volume environ deux mois ou deux mois et demi après la fécondation. Le pis est plus saillant, plus ferme au toucher, déridé à sa surface et ses mamelons sont mieux dessinés. Cette congestion n’est qu’éphémère et disparaît bientôt en partie, pour reparaître plus accusée, après quelques semaines, disparaître de nouveau et reparaître ainsi plusieurs fois pendant la gestation. Ce fait est tellement bien connu des cultivateurs qu’ils ont l’habitude de dire que les pouliches et les génisses font et défont plusieurs fois leur pis avant de mettre bas.

Outre ce gonflement qui peut fournir une donnée certaine chez les primipares, les mamelles, vers le dernier tiers de la gestation, contiennent un liquide visqueux, jaunâtre, transparent, analogue à du blanc d’œuf, que l’on extrait facilement par la traite. Dans les dernières semaines, ce liquide change de caractère ; il devient blanc, opaque, moins visqueux et constitue le lait.

Chez les femelles déjà mères et qui fournissent encore du lait, soit que la sécrétion lactée est entretenue par la mulsion, comme chez la vache, soit qu’elle persiste parce que la femelle allaite en même temps qu’elle porte, cette sécrétion commence par se tarir, et cela à une époque plus ou moins éloignée de la parturition. Tout le monde sait qu’il est des vaches qui gardent leur lait plus longtemps que d’autres ; qu’il en est que l’on peut traire jusqu’à un mois avant la mise-bas, et même qu’il faut cesser de traire, si l’on veut qu’elles tarissent ; tandis qu’il en est d’autres qui perdent leur lait quatre, cinq et même six mois avant le vêlage. Dans tous les cas, quand celui-ci approche les choses se passent comme chez les primipares ; c’est-à-dire que les mamelles entrent de nouveau en activité.

Chez la jument pleine et suitée, le lait tarit également dans ses mamelles quelque temps avant le terme de la gestation pour reparaître aux approches de la parturition.

Chez les femelles déjà mères, mais non nourrices, les modifications que subissent les mamelles sont semblables à celles qui ont lieu chez les primipares, à cette différence près qu’elles commencent à grossir un peu plus tôt.

Avant de terminer ce qui a rapport au développement des mamelles comme signe rationnel de la grossesse, je crois devoir rapporter ici un procédé de diagnostic dû à M. Schmid, vétérinaire militaire, et qui a pour but de faire reconnaître la gestation chez la vache. Il consiste à prendre du lait fraîchement trait, et d’en verser quelques gouttes dans un verre contenant de l’eau de source ; si les gouttes disparaissent et se mélangent avec l’eau c’est un signe que la vache n’est pas pleine ; si, au contraire, elles se précipitent au fond du vase on peut considérer la bête comme en état de gestation. Ce moyen serait extrêmement simple et précieux si l’expérience le confirmait.


7o Changements dans la composition de l’urine. — À tous ces signes, il convient d’en ajouter un autre, indiqué par M. Kiener jeune, agronome et manufacturier à Gunsbach (Haut-Rhin), et tiré des changements qui surviennent dans la composition de l’urine.

On sait que l’urine contient normalement une assez forte proportion de chaux, à l’état d’hippurate et surtout de carbonate chez les herbivores. On sait aussi que la chaux entre dans la composition des os. Il faut donc, lorsque ces organes se forment chez le fœtus, que ce dernier puise dans le sang maternel une certaine dose de sels de chaux, nécessaires à la constitution de son système osseux. Si donc les aliments que prend la mère n’en contiennent toujours qu’une quantité à peu près invariable, on conçoit que l’élimination des sels calcaires par l’urine doit diminuer pendant la gestation, et l’on conçoit encore que cette élimination doit être d’autant moins abondante que le fœtus en utilise davantage.

C’est en partant de cette idée théorique, mais parfaitement rationnelle, que M. Kiener a cherché, dans l’inspection des urines, un nouveau signe de la gestation plus précis que les précédents.

Il a fait analyser par M. Chapelle, agrégé des sciences et professeur de chimie au Lycée de Colmar, l’urine d’une jument à différentes périodes de la gestation, et voici les résultats fournis par ces analyses :

100 gr. d’urine analysée à la moitié du 5e mois de la gestation ont fourni 0 gr. 183 de chaux.

100 gr. d’urine analysée à la fin du 6e mois de la gestation ont fourni 0 gr. 083 de chaux.

100 gr. d’urine analysée à la moitié du 9e mois de la gestation ont fourni 0 gr. 056 de chaux.


La chaux diminue donc dans l’urine, et dans une forte proportion à mesure que la gestation avance vers son terme.

Ces expériences sont certainement très intéressantes, mais malheureusement elles ne se trouvent pas à la portée de tout le monde. Il serait à désirer que M. Kiener indiquât un moyen facile, prompt et suffisamment exact de doser la chaux contenue dans une urine donnée.

Il est impossible actuellement de se prononcer sur la valeur de ce signe faute d’expérience suffisante.

Tous les signes que nous venons de passer successivement en revue sont, dans la plupart des cas, plus ou moins incertains ; et si, pour une raison ou pour l’autre, l’on veut acquérir une certitude plus complète sur l’état des femelles pour lesquelles on est consulté, on est obligé d’avoir recours aux divers moyens d’exploration ou de palpation que nous allons faire connaître immédiatement sous la dénomination de signes sensibles de la gestation.


B. SIGNES SENSIBLES DE LA GESTATION


Ce sont ceux, nous l’avons dit plus haut, par lesquels le fœtus accuse sa présence directement à nos sens. Nous comprenons sous ce titre les signes fournis par les mouvements actifs du fœtus, par l’exploration vaginale et par l’exploration rectale.


1o Mouvement du fœtus. — Vers le milieu du quatrième mois de la gestation chez nos grandes femelles, les muscles du fœtus sont déjà contractiles, et il commence à exécuter quelques mouvements dans le sein de sa mère. C’est le moment où la femme enceinte commence, comme on dit, à sentir remuer. Mais ces mouvements sont encore rares et peu énergiques ; la femelle seule en a conscience ; et comme les animaux ne peuvent pas nous traduire leurs impressions intérieures, ce signe passe facilement inaperçu pour nous.

Vers le cinquième mois chez la vache, le septième chez la jument, les déplacements du petit sujet sont assez prononcés pour être perceptibles à la main de l’observateur à travers l’épaisseur des parois abdominales. Ils acquièrent une telle énergie dans les derniers mois de la gestation, qu’ils deviennent facilement appréciables, non-seulement au toucher, mais encore à la vue.

Pour les constater on doit procéder à l’exploration du côté où la matrice est le plus facilement accessible ; c’est-à-dire du côté gauche chez la jument et du côté droit chez la vache. On posera la main exploratrice à plat sur les parois du ventre, un peu en avant et au-dessus de la mamelle ; on déprimera ces parois par une pression modérée, et l’on tiendra la main ainsi appliquée, immobile pendant quelques instants, tandis que l’autre main, prenant un point d’appui sur la région lombaire, facilitera l’exploration en la rendant moins fatigante. Si, pendant cet examen, le fœtus vient à remuer, ses mouvements seront facilement perçus par la main de l’observateur. Ces mouvements sont d’ailleurs de telle nature, qu’il est difficile d’en donner une description suffisamment exacte pour être bien comprise de celui qui ne les aurait jamais sentis ; mais il suffit de les avoir nettement constatés une seule fois pour ne plus les confondre avec aucun de ceux qui peuvent se produire dans la cavité abdominale. Disons seulement qu’ils se produisent avec une sorte de brusquerie et sur une assez grande surface ; qu’ils donnent la sensation d’un corps ferme et même dur, lequel soulève avec une certaine force la main de l’explorateur.

Ces mouvements sont plus fréquents et plus énergiques le matin, pendant que la femelle mange, et plus encore quand elle boit, surtout si l’eau ingérée est un peu froide. — La sensation du froid paraît être, en effet, particulièrement stimulante pour le fœtus, si bien que, pour l’exciter à se mouvoir il suffit souvent de tremper pendant quelque temps sa main dans l’eau froide et de l’appliquer ensuite, comme nous l’avons dit, sur les parois abdominales ; ou bien d’y appliquer un corps froid, une pierre par exemple.

L’exercice, et en particulier l’exercice au trot, produit souvent le même effet. Aussi Bourgelat, dans son Traité de l’extérieur, conseille-t-il de faire trotter la mère pour rendre plus évidents les mouvements du fœtus.

« Faites trotter quelques moments la cavale, mettez-là à l’écurie, présentez-lui à manger sur le champ en plaçant votre main sous le ventre, vous sentirez et vous reconnaîtrez le poulain si elle est pleine. »

Les mouvements actifs du fœtus ont, au point de vue du diagnostic de la gestation, une très grande valeur ; bien constatés, ils donnent la certitude, non-seulement qu’un fœtus existe dans la matrice, mais encore que ce fœtus est vivant. Mais leur absence n’implique pas une conclusion contraire, car il arrive assez souvent que le fœtus, quoique vivant, se montre insensible à tous les moyens d’excitation.

Rainard fait remarquer avec raison qu’il y a beaucoup d’exemples de petits qui avaient parus presque immobiles et qui sont venus au monde pleins de force et de vie.

On ne doit donc pas se hâter de conclure à la non-existence de la grossesse après un premier examen infructueux ; il faut examiner la femelle plusieurs fois et à des intervalles d’une quinzaine de jours. Si, après ces quelques examens successifs, on n’a obtenu que des résultats douteux, on doit essayer l’exploration rectale dont nous allons parler bientôt.

Un autre moyen d’exploration abdominale que l’on met souvent en usage chez la vache et qui donne d’excellents résultats, c’est celui qui consiste à appliquer le poing sur le bas du flanc et à exercer une compression brusque, énergique sur ses parois. Cette compression chasse momentanément la matrice et la laisse revenir à l’instant même où elle cesse. On perçoit alors, en laissant le poing au contact des parois abdominales, une masse dure et volumineuse, qui n’est autre chose que le fœtus, venant frapper la face interne du flanc. On peut arriver par ce moyen à constater la présence du fœtus, alors que la simple application de la main ne donnait aucune indication. Il est surtout facilement praticable lorsque les bêtes ont l’estomac et l’intestin peu remplis d’aliments. Lorsque, au contraire, le ventre est distendu par un repas copieux, on n’obtient pas des indications aussi nettes, parce qu’il est difficile de faire subir à la matrice et à son contenu le même déplacement.

À une période plus avancée, pendant les deux derniers mois de la gestation, dit Bourgelat, il ne faut avoir que des yeux pour s’assurer des mouvements du fœtus et avoir un signe certain de la grossesse.


2o Exploration vaginale. — Ce moyen d’exploration, fort important en médecine humaine, est peu utile, peu employé et mérite peu de l’être en médecine vétérinaire. Il permet, il est vrai, de constater le raccourcissement, le ramollissement et la perméabilité plus ou moins facile du col utérin, tous phénomènes liés à l’état de gestation et qui se produisent chez nos femelles domestiques aussi bien que chez la femme. Mais chez cette dernière, il permet de constater, en outre, le ballottement, phénomène extrêmement important, qui donne la certitude de la grossesse dès le quatrième mois, mais qu’on ne peut pas obtenir chez nos grandes femelles domestiques en raison de la position horizontale du vagin et de l’utérus.

La manœuvre employée pour provoquer le ballottement du fœtus chez la femme, consiste, le doigt explorateur étant introduit dans le vagin, à repousser brusquement l’utérus en haut et à le laisser ensuite retomber. Dans ce mouvement, le fœtus est d’abord chassé en haut par le choc, puis retombe par son propre poids, et vient frapper le doigt comme tout corps pesant.

L’exploration vaginale ayant beaucoup moins d’importance pour nous qu’elle n’en a pour les médecins, il est donc inutile de nous arrêter plus longtemps sur ce procédé qui fournit si peu de renseignements, et dont l’emploi pourrait bien ne pas être toujours sans dangers.


3o Exploration rectale. — L’exploration rectale est un moyen de beaucoup préférable au précédent pour s’assurer de la plénitude ou de la vacuité de la matrice. On la pratique de la manière suivante : On commence par vider le rectum des excréments qu’il peut contenir ; on introduit la main, puis le bras, préalablements huilés, dans cet intestin ; puis en déprimant doucement sa paroi inférieure, on porte la main à plat dans les diverses régions circonvoisines.

Nos grandes femelles se prêtent sans beaucoup de difficultés à cette manœuvre ; il suffit, en général, de fixer la vache en lui saisissant les naseaux d’une main et une corne de l’autre, de maintenir la jument avec un tord-nez. Si pourtant cette dernière était méchante ou très irritable on pourrait lui entraver les membres postérieurs ; mais dans tous les cas l’opération doit se faire sur l’animal debout.

Quand la bête a le ventre gros et avalé, il est bon de la placer sur un terrain un peu incliné d’avant en arrière et de faire soulever la paroi inférieure de l’abdomen par un drap plié en quatre. On rapproche ainsi de la main de l’opérateur les parties qu’il doit explorer.

On a beaucoup discuté sur l’utilité et les dangers de ce moyen de diagnostic. D’Arboval, dans son Dictionnaire de médecine et de chirurgie, le repousse absolument et dit à ce sujet :

« Beaucoup de femelles ne s’y prêtent pas et celles qui sont bien portantes s’y refusent toujours. Il ne peut donc être toléré que dans un cas maladif qui indique un grand intérêt à s’assurer si la gestation est réelle ou non. » Demoussy est du même avis ; il estime que ce procédé ne peut être mis en usage que sur la poulinière massive et peu irritable ; mais qu’il excite dans la jument fine et nerveuse, des mouvements violents et presque convulsifs, pouvant devenir la cause de l’avortement. Aussi déclare-t-il qu’il ne conseillera jamais aux propriétaires d’en faire usage. Rainard dit qu’il ne doit être employé qu’avec beaucoup de ménagements et dans certains cas déterminés. Huzard le considère comme un moyen certain de reconnaître la plénitude de la jument même au troisième mois de la gestation ; mais il ne croit pas aussi qu’il soit d’une innocuité parfaite, car il dit qu’il ne faut y avoir recours que dans quelques cas particuliers, par exemple, lorsqu’il s’agit de se prononcer judiciairement, sur l’état de plénitude ou de viduité d’une jument.

M. Boiteux, ancien vétérinaire militaire et ancien chef de service à l’École vétérinaire de Lyon, a expérimenté ce mode d’exploration sur plus de cinquante juments, dont un certain nombre ont été examinées plusieurs fois ; il a publié sur ce sujet un travail très intéressant, auquel nous empruntons tout ce qui va suivre.

« En général, dit-il, dans les derniers temps de la grossesse, quand la main, après avoir évacué les matières stercorales du rectum, s’engage librement dans cet intestin, elle tombe d’emblée, en s’abaissant dans le plan médian du corps, sur une masse insolite, dure, de forme irrégulière, susceptible d’être ébranlée par un léger effort, quelquefois notablement engagée dans la cavité pelvienne, où on la rencontre dans les derniers jours. Dans ce cas, il est impossible de ne pas reconnaître de prime abord la tête du jeune sujet, malgré le peu de netteté avec lequel il se dessine dans l’empâtement de ses épaisses enveloppes.

« Mais quand la gestation n’a guère dépassé le sixième mois, le produit de la conception, moins volumineux, situé plus profondément dans une corne utérine, déjeté à droite ou à gauche, ou abaissé vers la paroi inférieure de l’abdomen, échappe quelquefois à un sondage mal dirigé. Il nous est arrivé de ne reconnaître qu’à une seconde exploration un état de gestation accusé par le volume et la forme du ventre ; celui qui attend de cette épreuve une donnée décisive doit être en garde contre l’erreur, et ne peut conclure à la négative qu’après avoir passé en revue successivement tous les parages de la cavité abdominale que la laxité du rectum lui permet d’atteindre. »

Quant aux dangers de l’opération, voici comment cet auteur les apprécie :

« Lorsque, ainsi qu’il arrivera très souvent, la masse fœtale se présentera si spontanément qu’il suffira, pour qu’on acquière la certitude de son existence, d’introduire la main dans l’intestin et de la retirer aussitôt, sans exercer aucune violence, il est impossible que l’on doive redouter les effets de cet attouchement instantané. »

Mais la manœuvre exploratrice ne peut pas être toujours aussi discrète ; pour être sûr que c’est bien le fœtus qu’on touche, il faut parfois le sentir remuer. Or, « dans toutes les explorations que nous avons exécutées, dit M. Boiteux, nous avons sollicité les mouvements propres du fœtus, les soubresauts des jeunes sujets. Plusieurs se sont trouvés si peu sensibles, qu’il a fallu les pousser assez rudement, les tourmenter avec insistance, pour susciter leur réaction. Parfois nous nous sommes plu, en leur imprimant de nouvelles secousses, à prolonger leur agitation bien au-delà de ce qui était nécessaire pour la percevoir nettement, et, malgré cette provocation presque intentionnée, nous n’avons jamais observé le moindre trouble qui en ait été la conséquence : nous n’avons jamais occasionné d’avortement. »

M. Trasbot, s’inspirant des expériences de M. Boiteux, dit :

« C’est à tort qu’on a considéré ce moyen (l’exploration rectale) comme éminemment dangereux. S’il a pu occasionner quelques accidents, ce qui, du reste, n’est signalé nulle part, ce n’est que dans des circonstances exceptionnelles : lorsqu’il était pratiqué sur des bêtes extrêmement irritables et se livrant à des mouvements désordonnés pendant l’exploration. Dans l’immense majorité des cas, il n’a aucun inconvénient et il a l’avantage de faire reconnaître, à partir du troisième mois, d’après Rainard, la plénitude des femelles. »

On peut voir, d’après ce qui précède, combien sont exagérées les craintes qu’inspire encore à beaucoup de praticiens ce procédé d’investigation. D’après M. Saint-Cyr, il n’a qu’un seul tort : c’est que, à l’époque où il se trouve le plus souvent indiqué, c’est-à-dire quand la gestation est encore loin du terme, on n’en tire pas toujours aussi aisément qu’on pourrait le croire, le renseignement certain qu’on en attend.

Cependant nous croyons qu’un peu d’habitude peut ajouter beaucoup à la netteté des sensations perçues, et par conséquent diminuer, dans une certaine mesure, le seul tort que l’on reconnaît aujourd’hui à ce procédé d’exploration.


4o Auscultation. — L’auscultation, qui, en médecine humaine, fournit de si bons renseignements non-seulement pour diagnostiquer la grossesse, mais encore pour faire connaître si le fœtus est vivant, est à peu près sans valeur en médecine vétérinaire. Cependant M. Lafosse, professeur de clinique de notre école, assure que chez les vaches arrivées au sixième mois de la gestation, il a plusieurs fois perçu très distinctement les battements du cœur du fœtus ; mais il ajoute que ces bruits ne se font pas entendre toutes les fois qu’on veut les ausculter. M. Hollmann prétend aussi les avoir entendus souvent dans la même espèce.

Enfin, Saake, vétérinaire allemand, en se servant du stéthoscope, qu’il applique à la région iliaque droite, en avant et un peu au-dessus de l’arcade crurale, a également trouvé les battements du cœur du fœtus dès la vingt-cinquième semaine de la gestation chez la vache ; il ne les a pas cherchés avant ; mais la précision avec laquelle ils se font sentir à cette époque lui fait croire qu’ils doivent être perceptibles plus tôt.

MM. Saint-Cyr, Rainard et Trasbot, qui se sont aussi occupés de ce sujet, disent n’avoir pas pu réussir à entendre les battements du cœur du fœtus à aucune époque de la gestation.

Quoi qu’il en soit, les résultats intéressants qui ont été obtenus doivent engager les praticiens à faire des recherches sur ce point.

L’auscultation intra-vaginale qui vient d’être récemment préconisée en France, chez la femme, par M. Nanche, pourrait, appliquée chez nos grandes femelles domestiques, d’après M. Trasbot, donner d’excellents résultats. Elle se pratique à l’aide d’un stéthoscope dont l’extrémité évasée, introduite dans le vagin, vient s’appliquer sur le col utérin. Cet instrument transmet à l’oreille, par l’intermédiaire du tube qui réunit ses deux extrémités, les doubles battements produits par le cœur du fœtus.

Ce moyen mérite d’être essayé.



Des considérations dans lesquelles nous sommes entrés, à propos des signes de la gestation, il en résulte que, dans bien des cas, le diagnostic est difficile, malgré un examen attentif. Cependant les difficultés ne sont pas égales à toutes les périodes. Dans la première moitié de la durée de la grossesse, on ne peut presque jamais en affirmer l’existence. La cessation des chaleurs, les modifications dans le caractère et les aptitudes, peuvent bien établir de fortes présomptions, mais jamais une certitude complète. Ce n’est que dans la dernière moitié, alors que l’augmentation de volume du ventre, l’accroissement des mamelles ont été bien constatés, et qu’à l’aide des différents moyens d’exploration que nous avons passés en revue on a pour ainsi dire saisi le fœtus au sein de la matrice, qu’on peut affirmer que la femelle est pleine.

Pour être à même de tirer un bon parti de tous les signes et moyens de diagnostic que nous venons de faire connaître, il est indispensable de joindre l’expérience à leur étude théorique.


P-H. CHRÉTIEN.