Essai sur la combinaison des acides avec les substances végétales et animales

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ESSAI

Sur la combinaison des acides avec les substances végétales et animales.

Par M. Thenard.

Mes recherches sur les éthers nitrique, muriatique, acétique, et sur ceux qu’on obtient en traitant l’alcool par le muriate d’étain et l’acide muriatique oxigéné[1], m’ayant naturellement conduit à examiner s’il étoit possible d’en former avec les autres acides, j’ai dû essayer l’action de ces acides sur l’alcool ; et c’est en faisant et variant ces essais, que je suis parvenu à un résultat très-singulier, que j’ai eu l’honneur de communiquer à l’Institut[2] ; savoir : que, quand les acides végétaux sont purs, il n’en est point, si l’on en excepte l’acide acétique, qui puisse, en se combinant avec l’alcool, perdre ses propriétés acides ; mais que, quand ils contiennent un acide minéral capable de condenser fortement l’alcool, tous forment au contraire avec ce corps une combinaison telle que leurs propriétés acides disparoissent, sans que pour cela l’acide minéral fasse partie de la combinaison.

Il résulte donc de là que, quel que soit le mode de combinaison de l’alcool avec l’acide minéral ou végétal, l’alcool produit dans ces sortes de composés l’effet d’une véritable base salifiable.

Maintenant il s’agit de savoir si la propriété de se combiner avec les acides, et même de les neutraliser, n’appartient pas à toutes les substances végétales et animales. Or, il est très-possible que cela soit ; car, puisque l’alcool jouit de cette propriété, toutes les substances peuvent en être douées. C’est dans la vue de résoudre cette question, qu’ont été faites les expériences qui suivent :

J’ai fait passer au travers de 500 grammes d’alcool l’acide muriatique oxigéné provenant d’un mélange de 1750 grammes de sel marin, de 450 grammes d’oxide noir de manganèse, de 800 grammes d’acide sulfurique concentré, et de 800 grammes d’eau.

Presque tout l’acide et une grande partie de l’alcool se sont décomposés réciproquement, et ont formé ou mis à nu beaucoup d’eau, beaucoup d’une matière ayant l’aspect huileux, beaucoup d’acide muriatique, et une petite quantité d’acide carbonique et de matière abondante en charbon : résultat qui s’accorde avec ce qui a déja été publié sur cette décomposition, soit par M. Berthollet dans les Mémoires de l’Académie, soit par moi-même dans le 1er  volume des Mémoires d’Arcueil. Tous ces produits ont été séparés avec soin, ainsi que je l’ai indiqué dans ces Mémoires : mais un seul a été examiné de nonveau ; c’est la matière huileuse.

Purifiée avec soin par des lavages d’eau et de potasse, cette matière m’a présenté les propriétés suivantes, dont quelques-unes ont déja été observées dans les Mémoires que je viens de citer. Elle ne rougit point le papier de tournesol ; elle est blanche ; elle a une saveur fraîche analogue à celle de la menthe, et une odeur toute particulière qui n’est point éthérée : elle est plus pesante, et cependant plus volatile que l’eau ; elle est très-soluble dans l’alcool, et très-peu soluble dans l’eau. Distillée avec l’acide nitrique, elle se volatilise et se décompose en partie ; mais les produits de cette décomposition varient selon la force de l’acide nitrique. Si l’acide nitrique est foible, on obtient beaucoup d’acide muriatique et peu d’acide muriatique oxigéné ; si, au contraire, l’acide nitrique est concentré, on obtient peu d’acide muriatique et beaucoup d’acide muriatique oxigéné : donc, cette matière contient de l’acide muriatique en quantité très-remarquable. Aussi lorsqu’on la fait passer à travers un tube rouge de feu, y a-t-il beaucoup d’acide mis à nu. Cependant elle n’est décomposée que très-lentement par les alcalis les plus fort, même lorsqu’on la dissout avec ces alcalis dans l’alcool ; d’où il faut conclure que l’acide muriatique qu’elle contient est intimement combiné avec une autre substance. Je n’ai point encore pu savoir quelle étoit cette substance, parce que jusqu’à présent je n’ai pas pu l’isoler. Quoi qu’il en soit, il est certain qu’elle est susceptible, de neutraliser les acides, à la manière des alcalis ; et il est permis de présumer qu’elle renferme beaucoup de carbone, puisque dans la décomposition de l’alcool et de l’acide muriatique oxigéné, il se fait beaucoup d’eau et très-peu d’acide carbonique.

Mais parmi les matières végétales, je n’en connois aucune qui jouisse de la propriété de se combiner avec les acides dans un degré plus marqué que quelques huiles essentielles ; peut-être même que toutes possèdent cette propriété. Celle de térébenthine absorbe près du tiers de son poids de gaz acide muriatique, et se convertit, en dégageant beaucoup de chaleur, presque toute entière en une substance cristalline découverte, il y a quelques années par Kind, étudiée depuis par Tromsdorff et quelques pharmaciens français, et en dernier lieu par Gehlen. Tous ces chimistes, excepté Gehlen, ont regardé cette substance comme du camphre artificiel, parce qu’elle a l’odeur, la volatilité, le brillant, la blancheur et plusieurs autres propriétés du camphre naturel ; et, comparant l’action de l’acide muriatique, sur l’huile de térébenthine à celle de l’acide sulfurique sur les substances végétales, ils ont pensé que la transformation de cette huile en camphre n’étoit due qu’à ce que l’acide muriatique la privoit d’une portion d’hydrogène et d’oxigène propre à faire de l’eau, et qu’à ce qu’il en séparoit en même tems un peu de charbon : en sorte que du camphre artificiel, plus un peu de charbon et une certaine quantité d’oxigène et d’hydrogène dans les proportions qui constituent l’eau, auroient formé de l’huile essentielle.

Gehlen a rejeté avec raison cette théorie[3]. Ayant observé qu’en faisant passer de l’acide muriatique au travers de l’huile essentielle de térébenthine, il ne se dégageoit aucun gaz ; qu’une portion de cette huile étoit seulement convertie en cristaux blancs ayant l’aspect du camphre, et que l’autre restoit sous la forme d’un liquide brun noir très-acide ; que ces cristaux ainsi que ce liquide contenoient de l’acide muriatique en combinaison intime, etc., il en a conclu que dans cette opération l’huile essentielle de térébenthine étoit décomposée ; que la plus grande partie de son hydrogène se combinoit avec une petite quantité de son carbone et avec une certaine quantité d’acide muriatique pour former la concrétion camphrée, tandis que le reste des principes de l’huile se combinoit avec une autre quantité d’acide muriatique pour former le liquide bron noir ; qu’ainsi ce liquide contenait plus de carbone et moins d’hydrogène que la concrétion camphrée ; et que, dans la formation de l’une et de l’autre, l’acide muriatique n’agissoit que par sa tendance à se combiner avec tous deux et non point, comme les chimistes précédemment cités l’ont dit, en formant une certaine quantité d’eau aux dépens des principes de l’huile essentielle.

J’ai répété et varié avec beaucoup de soins les expériences faites avec l’essence de térébenthine et l’acide muriatique par Kind, Tromsdorff, etc., et sur-tout par Gehlen ; voici les résultats que j’ai obtenus : 100 grammes d’essence de térébenthine purifiée par la distillation et plongée dans un mélange de glace et de sel, ont absorbé 30 grammes de gaz acide muriatique ; il ne s’est point dégagé d’autre gaz que de l’acide muriatique : encore a-t-il d’abord été entièrement absorbé, et n’a-t-il passé en partie à travers la liqueur que lorsque l’opération a été presque terminée. L’huile essentielle s’est prise en une masse cristalline et molle dont on a séparé, en la faisant égoutter pendant trois jours, 20 grammes d’un liquide chargé de beaucoup de cristaux, et près de 110 grammes d’une substance blanche, grenue, cristalline, volatile, et dont l’odeur sur-tout étoit sensiblement camphrée. Cette substance perdoit promptement, en l’exposant à l’air, la propriété qu’elle avoit de rougir foiblement la teinture de tournesol ; et alors on ne pouvoit en séparer que de très-petites quantités d’acide par les dissolutions alcalines même chaudes. Cependant, lorsqu’on la sublimoit, les vases où se faisoit la sublimation devenoient très-fortement acides ; et lorsqu’au lieu de la sublimer on la faisoit passer à travers un tube rouge de feu, on en retiroit encore une bien plus grande quantité d’acide : enfin, lorsqu’on la décomposoit par l’acide nitrique concentré et par l’acide nitrique foible, on obtenoit dans le premier cas beaucoup d’acide muriatique oxigéné, et dans le second beaucoup d’acide muriatique.

Quant à la portion liquide provenant de la masse cristalline, et dont le poids étoit de 20 grammes, elle étoit blanche, répandoit des vapeurs acides, cessoit d’en répandre au bout de quelques jours d’exposition à l’air, et n’étoit presque plus acide ; se prenoit en masse cristalline à un froid de quelques degrés au-dessous de zéro, et contenoit en combinaison intime beaucoup d’acide muriatique

Ainsi toutes mes observations s’accordent avec celles de Gehlen, excepté une seule. Celle sur laquelle nous ne sommes point d’accord est relative au produit liquide de l’opération. Gehlen l’a obtenu brun noir, et moi je l’ai toujours obtenu blanc. Cette différence tient, je crois, à ce que Gehlen se sera servi d’essence du commerce, qui, lorsqu’on ne la distille point avec soin, contient de la résine, et alors a la propriété de noircir et de former un assez grand résidu incristallisable. Je ne tire point non plus de mes observations les mêmes conséquences théoriques que ce chimiste tire des siennes. Je crois que l’huile essentielle de térébenthine n’est point décomposée par l’acide muriatique, et que par conséquent ces deux corps, combinés ensemble dans de certaines proportions, forment la concrétion camphrée ; qu’il en est probablement de même de la petite portion du produit liquide qu’on obtient ; que pourtant il seroit possible que la différence qui existe entre la concrétion camphrée et le produit liquide, tînt à ce que l’essence de térébenthine renfermeroit un peu d’une huile étrangère susceptible de former, avec l’acide muriatique, un composé liquide. Enfin, ce qui me porte à croire que l’acide muriatique ne décompose pas l’essence, et qu’au contraire il se combine avec elle, c’est que ce même acide se combine évidemment avec tous les principes de l’alcool, sans qu’il en résulte plusieurs produits différens, et que l’alcool est un corps hydrogéné comme l’huile essentielle de térébenthine.

Néanmoins il n’en est pas moins certain que cette combinaison, quelle qu’elle soit, a les plus grands rapports avec le camphre naturel.

Peut-être que le camphre qu’on retire des huiles essentielles des plantes, et sur-tout de la grande lavande, n’est qu’une combinaison d’essence et d’acide ; peut-être aussi que le camphre du commerce ou du laurier-camphrier, qui ne paroît contenir aucun acide minéral (car on n’en retire pas en le décomposant par le feu), n’est formé lui-même que d’huile essentielle et d’un acide végétal. Ces vues méritent au moins quelqu’attention, puisqu’elles sont appuyées sur des faits, et que, si elles étoient confirmées par l’expérience, on pourroit probablement en tirer de grands avantages.

J’ai aussi essayé la combinaison de l’essence de citron et de lavande avec l’acide muriatique. 32 grammes d’essence de lavande en ont pris 22 d’acide ; le composé qui en est résulté étoit acide, noirâtre et liquide. 26 grammes d’essence de citron ont absorbé 22 grammes d’acide ; l’essence s’est colorée en brun et prise en masse. Ni l’une ni l’autre de ces essences n’avoient été purifiées ; on s’en est servi telles qu’elles sont dans le commerce.

Les huiles essentielles ne sont pas les seules huiles qui puissent se combiner avec les acides. Depuis longtems on a remarqué que les huiles grasses peuvent former, avec divers acides, des espèces de savons. L’acide sulfurique, lorsqu’il est concentré, jouit surtout de cette propriété : alors il forme, principalement avec l’huile d’olive, une matière savoneuse, verdâtre et épaisse ; qui prend peu-à-peu de la consistance ; qui, traitée par l’eau, devient blanche ; qui est acide, mais moins que si l’acide qu’elle contient étoit libre ; et qu’on peut ramener à l’état neutre, sans lui faire perdre de sa consistance, par une quantité convenable de potasse.

Le tannin est encore une matière végétale qui contracte, comme on le sait, une prompte et forte union avec les acides ; car l’acide sulfurique concentré le précipite tout-à-coup de sa dissolution aqueuse : et je me suis convaincu que ce précipité est toujours acide, quelque lavage qu’on lui fasse subir. La nature elle-même nous offre des composés de ce genre. En effet, j’ai traité 10 grammes de noix de galle bien, pulvérisés par 2 litres d’eau bouillante ; et quoique le résidu ait été lavé avec 2 autres litres d’eau très-chaude, il rougissait encore fortement la teinture de tournesol : donc, dans la noix de galle, l’acide gallique est retenu par une véritable affinité. Mais comme la quantité d’acide gallique qu’on en retire, par une décomposition spontanée, l’emporte de beaucoup sur la quantité d’acide libre qu’elle contient dans son état naturel, on doit en conclure que la majeure partie de cet acide y est neutralisée sans doute par le tannin. Aussi observe-t-on, en abandonnant une décoction de noix de galle à elle-même, que ce n’est qu’à mesure que le tannin est détruit que la liqueur devient de plus en plus acide. On pourroit, à la vérité, attribuer ce phénomène à ce que le tannin lui-même se transforme en acide gallique ; mais un grand nombre d’observations nous autorisent à croire que cela n’est pas.

1°. C’est que les substances végétales, en se décomposant spontanément, ne forment jamais que de l’acide acétique.

2°. C’est que la noix de galle contient évidemment de l’acide gallique, et que cet acide ayant une grande affinité pour le tannin, ces deux corps doivent nécessairement se neutraliser en partie.

3°. C’est qu’on a maintenant plusieurs exemples très-remarquables de substances végétales qui sont susceptibles de neutraliser les acides.

4°. Enfin, c’est que le tannin qu’on précipite par un alcali ou par le carbonate d’ammoniaque, d’une décoction de noix de galle, entraîne, selon moi, beaucoup d’acide gallique, outre une petite quantité de base salifiable : ce qui me le prouve, c’est qu’il produit avec presque toutes les dissolutions métalliques les mêmes effets que l’acide gallique ou le gallate de potasse. Ainsi, il précipite en rouge les dissolutions de mercure très-oxidé ; en gris noir, les dissolutions de fer très-oxidé ; en bleu, celles qui sont moyennement oxidées ; et en lie de vin, celles qui sont peu oxidées. Il suit donc de là qu’on ne connoît point encore dans toute sa pureté le tannin de la noix galle, et même de heaucoup d’autres substances, et que par conséquent on ignore sa manière d’agir sur les dissolutions métalliques, etc. Des recherches sur cet objet ne pourroient qu’être intéressantes ; et je me propose d’en faire, d’autant plus que ce sera pour moi le moyen de porter un nouveau jour sur la question que je viens de traiter.

Si, après avoir examiné les substances végétales qui se combinent facilement avec les acides, on recherche les substances animales douées des mêmes propriétés, on peut en compter évidemment cinq : la matière caseuse, l’albumine, le picromel, la gélatine et l’urée. Cette propriété est généralement connue dans la matière caseuse : aussi sait-on que les acides coagulent le lait, que le coagulum contient de l’acide, et que cet acide y est même sensible au papier de tournesol. Par conséquent l’affinité entre ces deux matières est bien marquée ; cependant elle n’est point assez forte, ainsi que je m’en suis assuré, pour qu’on ne puisse enlever l’excès et peut-être même la totalité de l’acide, au moyen d’une grande quantité d’eau.

Si l’eau seule suffit pour enlever un acide à la matière caseuse, il n’en est point de même lorsque c’est avec l’albumine qu’il est uni : alors on peut multiplier les lavages aqueux presqu’à l’infini, et toujours on trouvera acide ce qui n’aura point été dissous. Concluons donc de là que cette substance animale exerce sur les acides une plus grande action que la matière caseuse ; mais cette action varie elle-même en raison de la nature et de la concentration de l’acide. Que l’acide soit saturé d’eau, il en résultera des combinaisons plus ou moins insolubles, qui se dissoudront aussitôt qu’on en saturera l’acide par l’ammoniaque ou tout autre alcali, et dans lesquelles l’albumine ne sera nullement altérée. Que l’acide soit, au contraire, très-fort et concentré, les précipités qui seront formés seront toujours acides, mais contiendront l’albumine à l’état où elle se trouve lorsqu’on la concrète par le feu : c’est ce qu’on reconnoîtra en traitant ces précipités par une dissolution foible d’ammoniaque. Dans le premier cas, la dissolution s’en fera peu-à-peu et complètement ; dans le second, l’acide seul en sera enlevé, et l’albumine restera indissoute, sous la forme d’un magma épais.

La combinaison du picromel avec les acides a lieu tout aussi, facilement que les précédentes. À peine le contact a-t-il lieu entre ces matières, qu’il se forme un précipité acide qui disparoît lorsqu’on le neutralise. C’est principalement avec les acides sulfurique, nitrique et muriatique, que le picromel fait des composés peu solubles.

L’acide nitrique concentré est le sel, d’après MM. Fourcroy et Vauquelin, qui précipite l’urée de sa dissolution dans l’eau ; cependant il est probable que les autres acides peuvent se combiner avec cette substance, et que, s’il ne les précipite point, c’est parce qu’il forme avec elle des composés solubles : j’ai observé que lorsque la température étoit au-dessus de 40 à 50°, ces combinaisons ne se formoient jamais, sur-tout avec les acides sulfurique et muriatique, et qu’alors il y avoit dégagement de acide carbonique, et production d’une grande quantité d’ammoniaque.

Enfin, la gélatine elle-même peut s’unit avec quelques acides, et principalement avec l’acide muriatique oxigéné. Pour opérer cette combinaison, il faut faire passer cet acide à l’état de gaz au travers d’une dissolution de gélatine. Dans cette opération, cette dissolution se trouble peu-à-peu, et il s’en sépare beaucoup de flocons qui se réunissent sous la forme de filamens : nacrés très-flexibles et très-élastiques. Ces flocons ont été regardés par M. Bouillon-Lagrange, dans un Mémoire sur le gésier de volaille, comme de la gélatine oxigénée[4] ; mais c’est une erreur : ils sont réellement formés de gélatine peut-être altérée, d’acide muriatique et d’acide muriatique oxigéné. Les propriétés qui les caractérisent sont d’être insipides, insolubles dans l’eau et dans l’alcool, imputrescibles, foiblement acides quoiqu’en contenant une assez grande quantité, de dégager spontanément pendant plusieurs jours du gaz acide muriatique oxigéné ; d’en dégager beaucoup plus par la chaleur ; enfin, d’être solubles dans les alcalis, et de former des muriates.

Ainsi, voilà donc cinq matières végétales et cinq matières animales qui peuvent se combiner intimement avec les acides. Trois d’entre elles, savoir, l’alcool, l’huile essentielle de térébenthine, et une substance abondante en charbon provenant de la décomposition de l’alcool par l’acide muriatique oxigéné, neutralisent les acides aussi bien que le font les alcalis les plus forts. Les sept autres forment avec ces acides des combinaisons, qui sont elles-mêmes acides, comme le sont les sels métalliques et plusieurs sels terreux.

Sans doute on parviendra par la suite à combiner toutes les autres substances végétales et animales avec les acides, et nous pouvons même déja tirer cette conséquence des expériences que nous venons de rapporter ; car s’il en est qui ne s’y combinent point directement, ce n’est point une preuve contre ce que j’avance. L’alcool, qui dans son état ordinaire n’a point la propriété de neutraliser les acides végétaux, ne l’acquiert-il pas par la présence d’un acide minéral ? Qu’on place donc ces substances dans diverses circonstances, et l’on trouvera probablement celle qui convient à leur union avec les acides. Ce sont, à la vérité, des recherches laborieuses, mais utiles et importantes, qui doivent nous faire connoître une longue série de composés d’un ordre particulier, et qui par cela même doivent jeter un grand jour sur l’analyse végétale et animale. En effet, n’est-il pas probable qu’on rencontrera dans les corps organiques des composés de ce genre ? La noix de galle n’en est-elle pas un exemple ? Ne seroit-il pas possible que l’acide acétique que nous donnent les matières végétales et animales, en les distillant, ne fût pas tout contenu dans quelques-unes ? Le succin, sur-tout, dont on retire de l’acide succinique par la distillation, ne seroit-il pas formé d’une matière grasse et d’acide succinique ? Les graisses, qui nous donnent de l’acide sébacique, ne seroient-elles point encore dans le même cas ? Enfin, l’amer qu’on forme en traitant les matières animales par l’acide nitrique et qui se comporte comme une substance très-oxigénée quoique non acide, et l’acide jaune qui d’après MM. Fourcroy et Vauquelin se forme dans la même opération, ne seroit-ce point une combinaison intime d’un acide et d’une autre matière ? Mais c’est sur-tout dans l’explication des phénomènes que nous offre la décomposition des matières végétales et animales par les acides, qu’il faudra tenir compte de leur tendance à se combiner avec ces matières.

Ainsi on voit donc que ce principe général est susceptible d’un grand nombre d’applications : on doit donc chercher à l’établir de plus en plus ; et c’est ce que j’essaierai de faire dans des Mémoires subséquens.




  1. Ier vol. des Mémoires d’Arcueil.
  2. Voy. le Mémoire précédent.
  3. Voy. Journal de Gehlen, tom. 6, pag. 458.
  4. Annales de chimie, tom. 56, pag. 24.