Félicia/I/28

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Félicia ou Mes Fredaines (1778)
Bibliothèque des curieux (p. 71-72).
Première partie


CHAPITRE XXVIII


Sacrifice. — Explication. — Plaisirs.


Je fus éveillée le plus agréablement du monde. Une voix qui me fit tressaillir de plaisir me disait sur la bouche : Vous dormez, belle Félicia ? Des mains angéliques pressaient avec amour deux demi-globes naissants… En un mot, c’était l’aimable chevalier qui, sortant de chez ma tante, venait savoir où il en était encore avec moi. J’eus beau m’armer d’indifférence, elle ne tint point contre le charme de ses caresses ; elles auraient triomphé du ressentiment le plus réel. J’étais bien éloignée d’en avoir contre cet aimable inconstant, qui ne l’était, en effet, devenu que par une fatale nécessité. — Que venez-vous chercher ici ? lui dis-je pourtant, ne voulant pas lui paraître assez résignée à son arrangement avec Sylvina, pour qu’il se crût dispensé de m’être fort attaché. « Venez-vous me raconter vos plaisirs et vous féliciter d’en avoir eu dans l’autre appartement de moins pénibles que ceux de la nuit dernière ? — Cher amour, me répondit-il, touché jusqu’aux larmes, peux-tu m’accabler aussi cruellement, quand j’ai besoin, au contraire, que tu daignes me consoler ? À quels plaisirs penses-tu que je puisse être sensible quand, devenu par toi le plus heureux des hommes, je vois troubler sitôt ma félicité ? Crois-tu que toute autre femme que Sylvina eût pu disposer d’un amant que tu venais d’agréer, qui ne vit que pour toi, qui met tout son honneur à conserver tes précieux sentiments ? Ô ma Félicia ! sois plus juste. Ne vois dans mon innocente infidélité qu’un sacrifice pénible, mais indispensable, dans la vue d’assurer ton repos et de me ménager, dans cette maison, un accès, qu’autrement je ne pouvais manquer de perdre. » Ensuite, il me conta qu’aussitôt que son oncle s’était retiré, Sylvina lui avait fait, sans façon, l’aveu de sa passion la plus vive ; qu’en conséquence, il n’y avait pas eu moyen d’éviter de passer la nuit avec elle. Qu’à la vérité, par la fraîcheur de ses caresses, elle mériterait un retour sincère de quiconque n’aurait pas de l’amour pour Félicia ; mais que sans les ressources infinies de son heureux âge et l’essor de sa voluptueuse imagination si fraîchement frappée des délices de ma jouissance, il aurait couru de grands risques avec une femme qui s’attendait à des prodiges. Que cependant il avait eu le bonheur de tenir un milieu difficile entre la honte de mal faire et le danger de faire trop bien. Qu’en un mot, il s’était beaucoup ménagé, tant pour pouvoir prendre sa revanche avec moi que pour ne pas accoutumer une femme, qui paraissait très exigeante, à une certaine tenue de complaisances qu’il ne se sentait en état d’avoir que pour moi seule. Tout cela était fort honnête et sans doute vrai ; d’avance, mon amour avait justifié mon aimable infidèle. Je fus transportée de voir que je lui étais toujours aussi chère. Je répondis à ses tendres caresses avec une vivacité qui dissipa toutes ses alarmes. Je me hâtai de lui faire place à mes côtés, et bientôt, épuisant dans mes bras ce dont il avait frustré sa nouvelle conquête, il me fit passer par tous les degrés imaginables du plaisir. Nous nous séparâmes accablés d’une fatigue délicieuse, après nous être promis mutuellement de mettre à profit les moindres moments pour nous livrer à de ravissantes folies dont je connaissais désormais tout le prix.