Félicia/III/19

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Félicia ou Mes Fredaines (1778)
Bibliothèque des curieux (p. 201-203).
Troisième partie


CHAPITRE XIX


Qu’on n’a pas pu rendre plus clair.


Sydney ajouta bientôt à mes plaisirs celui de me faire connaître les moyens secrets qui le mettaient à même de savoir tout ce qui se passait chez ses hôtes. Jadis le seigneur Cléophas-Léandre-Pérez-Zambulo vit de fort belles choses, à l’aide d’un diable, bon humain, qui le promenait de toit en toit. Moi, sans diablerie, et sans risquer de me rompre le cou, je devins maîtresse de pénétrer partout, de tout voir. C’était vraiment un plaisir de femme. Je tins le plus grand compte à sir Sydney de la complaisance avec laquelle il me le procurait.

— Je connais, dit-il, les arrangements de tous nos messieurs ; chacun d’eux a la clef du couloir qui conduit invisiblement de chez lui chez la femme avec laquelle il vit. Si par la suite il est à propos que je distribue assez de clefs pour que tout soit commun, je le ferai. Cependant, quand il n’y a ni père, ni mère, ni maris, il n’est pas fort nécessaire d’user de précautions.

Je lui demandai, en attendant que je prisse la peine de me mettre au fait par mes yeux, comment chaque homme pouvait ainsi se rendre de son appartement à ceux de toutes les femmes sans être vu ni rencontré ? — Rien de plus aisé, me répondit-il. De quatre points différents de chaque antichambre des appartements d’homme, on descend par une machine dans un entresol aveugle, ménagé entre les deux étages. Alors on suit un corridor serré, large de deux pieds et demi, sur six de hauteur et matelassé de toutes parts, qui conduit droit à une machine pareille à celle par laquelle on est sorti de chez soi. Vous en verrez tout à l’heure de semblables dans mon entresol, avec lesquelles je monte et descend facilement et sans bruit. Quand une femme a chez elle l’homme qui lui convient, elle est à même d’interdire l’entrée à ceux qui pourraient survenir par les autres routes. De cette façon il est impossible que rien ne se découvre. En vain une belle serait-elle enfermée à triple serrure, en vain le galant avec qui elle serait d’intelligence logerait-il à l’autre l’extrémité du pavillon, un jaloux ne pourrait ni les guetter ni les surprendre. On le ferait cocu sans qu’il pût seulement lui venir un soupçon. Quant à moi, tout m’est connu. J’ai dans mon entresol des moyens tout semblables à ceux d’en haut, moins compliqués seulement et dont personne ne peut se douter. Vous allez juger de l’excellence de ces inventions.

En effet, rien de plus simple. Des portes déguisées cachaient de petits enfoncements où était pratiquée une machine commode sur laquelle on se plaçait. Alors, la personne et le siège se trouvant à peu près en équilibre avec un poids de cent soixante livres qui se mouvait dans l’épaisseur du mur, on montait et redescendait sans peine à la faveur d’une corde perpendiculaire et fortement tendue ; Sydney n’avait que six pieds à monter pour voir ce qui se passait chez les femmes, par les trous des trumeaux dont j’ai parlé. La mécanique de tous ces suspensoirs était faite avec le plus grand soin. Les panneaux qui servaient d’issue s’ouvraient et se fermaient à coulisse et étaient de même parfaitement finis.

Rien n’eût été aussi perfide que ces machines ingénieuses si elles n’eussent pas eu le plaisir pour unique but. Je me proposais d’en donner les figures, de même que le plan de toute la maison qui m’appartient maintenant ; mais, outre que mon architecte m’a prié de n’en rien faire, de peur qu’on ne vînt à contrefaire ce qui lui a coûté tant de peine à imaginer, j’ai pensé qu’il était inutile de dévoiler ces secrets à gens qui pourraient en faire un mauvais usage et pour qui je n’ai pas intention d’écrire. Les voluptueux qui sont assez riches pour se procurer ces superfluités recherchées trouveront aisément des artistes qui rempliront le même objet, peut-être mieux qu’il ne l’est chez moi. (N’oublions cependant pas que la maison appartient encore à sir Sydney.)