Le Chien à qui on a coupé les oreilles

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Fables choisies, mises en versDenys Thierry et Claude BarbinQuatrième partie : livres ix, x, xi (p. 128-130).


VIII.

Le Chien à qui on a coupé les oreilles.




QU’ay-je fait pour me voir ainſi
Mutilé par mon propre maiſtre ?
Le bel eſtat où me voicy !
Devant les autres Chiens oſeray-je parêtre ?

Ô Rois des animaux, ou plûtoſt leurs tyrans,
Qui vous feroit choſes pareilles ?
Ainſi crioit Mouflar jeune dogue ; & les gens
Peu touchez de ſes cris douloureux & perçans,
Venoient de luy couper ſans pitié les oreilles.
Mouflar y croyoit perdre : il vit avec le temps
Qu’il y gagnoit beaucoup ; car eſtant de nature
À piller ſes pareils, mainte meſaventure
L’auroit fait retourner chez luy
Avec cette partie en cent lieux alterée ;
Chien hargneux a toûjours l’oreille déchirée.
Le moins qu’on peut laiſſer de priſe aux dents d’autruy

C’eſt le mieux. Quand on n’a qu’un endroit à défendre,
On le munit de peur d’eſclandre :
Témoin maiſtre Mouflar armé d’un gorgerin ;
Du reſte ayant d’oreille autant que ſur ma main,
Un loup n’euſt ſceu par où le prendre.