Fables d’Ésope (trad. Chambry, 1927)/Notice/Vie d’Ésope

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FablesSociété d’édition « Les Belles Lettres » (p. ix-xvii).
NOTICE
SUR ÉSOPE ET LES FABLES ÉSOPIQUES



I
VIE D’ÉSOPE


Ésope a-t-il existé ?
Ésope a-t-il existé, ou n’est-ce qu’un nom légendaire, comme ceux d’Homère, de Linos et d’Orphée ? On sait que chez les Grecs tout genre littéraire devait avoir un inventeur, un εὑρετής. Il en fallait un à la fable comme aux autres genres : à défaut d’un inventeur authentique, n’en a-t-on pas imaginé un faux ? En tout cas, il s’est rencontré plus d’un savant pour soutenir qu’Ésope était un nom sans réalité, destiné à servir de patron à la fable. Ce qui a fait douter de l’existence d’Ésope, c’est d’une part la pénurie de documents authentiques, et d’autre part le fatras de racontars puérils et invraisemblables dont on a chargé sa biographie.


Les documents : Hérodote.
Essayons de nous faire une opinion en passant au crible les documents que l’antiquité nous a légués. Le premier en date est le témoignage d’Hérodote. Au livre II, chapitre 134 de ses Histoires, Hérodote, parlant de la pyramide construite par le roi Mycérinos, réfute l’opinion de ceux qui en attribuaient la construction à la courtisane Rhodopis, et il ajoute : « En outre ils ignorent que Rhodopis vivait sous le règne d’Amasis, et non sous celui de Mycérinos ; elle vécut en effet nombre d’années après les rois qui ont laissé ces pyramides. Elle était Thrace d’origine, esclave d’Iadmon, fils du samien Héphaestopolis ; elle fut compagne de servitude d’Ésope le fabuliste. En effet Ésope fut esclave d’Iadmon, comme le démontre surtout le fait suivant : lorsque les Delphiens, obéissant à un oracle, firent à plusieurs reprises demander par un héraut qui voulait recevoir le prix du sang d’Ésope, il ne se présenta personne, sauf un petit-fils d’Iadmon, nommé lui aussi Iadmon : cela prouve qu’Ésope avait appartenu à Iadmon. »


Discussion du témoignage d’Hérodote.
Tout n’est pas indiscutable dans ce texte. On peut y relever d’abord deux faits qui sont présentés comme notoires. Le premier est l’existence d’Ésope le fabuliste. Il apparaît que c’est un personnage bien connu, puisque son nom est pris comme point de repère pour fixer l’époque où vécut Rhodopis, Le deuxième est la rançon payée par les Delphiens pour le meurtre d’Ésope, Hérodote se contente de faire allusion à ce meurtre, comme s’il était de notoriété publique. Sur quoi s’appuie son assertion ? est-ce sur la tradition orale ? est-ce sur un document conservé à Delphes ? Quoi qu’il en soit, il nous faut décider ici entre Hérodote et ceux qui tiennent Ésope pour un nom supposé. Or que peuvent-ils opposer à l’autorité de l’historien ? Qu’il a été dupe d’une supercherie ? qu’il a cru à l’existence d’un homme imaginé pour être le héros éponyme de la fable, et que la mort d’Ésope à Delphes est le premier effort de l’imagination grecque pour assurer à ce prétendu créateur de la fable une existence réelle et une histoire ? Ces objections ne reposent en somme que sur des vraisemblances, tandis que l’assertion d’Hérodote est formelle et que nous n’avons ni fait ni témoignage à lui opposer. Le plus sûr est donc de nous ranger sous son autorité, et d’admettre qu’il y a eu un fabuliste du nom d’Ésope, et même que ce fabuliste périt à Delphes de mort violente.

Hérodote nous apprend un troisième fait qui n’est pas aussi simple que les deux précédents, c’est qu’Ésope fut le compagnon d’esclavage de Rhodopis, c’est-à-dire esclave d’Iadmon. Il fonde cette dernière assertion, non sur un témoignage, mais sur un raisonnement. C’est parce qu’un Iadmon, petit-fils du maîre de Rhodopis, vint à Delphes recevoir le prix du sang d’Ésope qu’Hérodote en conclut que le premier Iadmon était le maître de notre fabuliste. La déduction est inattaquable, s’il est avéré par ailleurs qu’Ésope était de condition servile ; elle ne l’est pas, si l’historien a cru qu’Ésope était esclave sur la seule foi de son raisonnement. Car qui empêche de croire qu’Ésope était un parent, non un esclave d’Iadmon ? Il serait dès lors un homme libre et un grand personnage. À ce titre il pouvait, comme nous le représente Aristote, intervenir, comme orateur public, dans l’assemblée des Samiens ; d’autre part on s’expliquerait plus facilement la célébrité que lui valut son talent de conter des apologues. Sur l’esclavage d’Ésope, le récit d’Hérodote laisse donc place à quelque scepticisme. Il faut dire cependant que l’antiquité n’a pas eu de scrupule sur ce point, qu’elle a docilement suivi Hérodote et qu’elle n’a jamais mis en doute que le sage Ésope eût été esclave.


Témoignage d’Héraclide.
L’allusion qu’Hérodote fait au meurtre d’Ésope suffisait à son dessein, qui était de prouver qu’Ésope avait été esclave d’Iadmon, et Rhodopis sa compagne d’esclavage ; elle ne suffisait pas à satisfaire ceux qui s’intéressaient à Ésope pour lui-même. Elle appelait naturellement des éclaircissements : écrivains et scholiastes n’ont pas manqué de nous les fournir. Le premier auteur chez qui nous trouvons l’explication du meurtre est Héraclide de Pont, disciple de Platon et d’Aristote. Dans un fragment d’un ouvrage qu’il avait écrit sur les Magnètes[1], il nous apprend qu’Ésope « fut mis à mort pour un vol sacrilège, une coupe d’or ayant été saisie dans ses bagages. »


Témoignage du scholiaste d’Aristophane.[modifier]

Plus explicite est le scholiaste d’Aristophane (Guêpes 1446) : « On dit qu’Ésope étant un jour venu à Delphes railla les Delphiens, parce qu’ils n’avaient pas de terre à cultiver pour en tirer leur subsistance et qu’ils attendaient pour vivre les offrandes faites au dieu. Les Delphiens irrités glissèrent une coupe sacrée dans les bagages d’Ésope. Celui-ci, qui ne s’en doutait pas, s’en alla par la route qui mène en Phocide. Ils se mirent à sa poursuite et, le prenant sur le fait, ils l’accusèrent d’avoir volé un objet sacré. Conduit à une roche peu éloignée du temple et de la ville, du haut de laquelle c’était l’usage de précipiter les sacrilèges, il leur conta l’apologue de l’escarbot, dont le poète fait aussi mention dans la Paix (v. 129), où il dit : « Dans les fables « d’Ésope, il s’est trouvé le seul volatile qui soit allé chez les « dieux. » On fera en cet endroit les remarques qu’il faut faire[2]. »

Nous tenons enfin, grâce au scholiaste des Guêpes, une explication claire et complète de l’allusion d’Hérodote.


Témoignage de Plutarque.
Plutarque[3] enchérit sur le scholiaste et présente une version quelque peu différente. En voici la traduction : « Ésope, dit-on, était venu à Delphes avec de l’or que Crésus lui avait remis, pour offrir au dieu un somptueux sacrifice et répartir à chaque Delphien quatre mines. Mais pour certain grief s’étant fâché et brouillé avec les habitants de Delphes, il s’acquitta bien du sacrifice, mais renvoya l’argent à Sardes, estimant que ces gens-là ne méritaient pas les grâces du roi. Mais eux combinèrent contre lui une accusation de sacrilège et le mirent à mort, en le précipitant de la fameuse roche qu’on appelle Hyampée. À la suite de ce meurtre, le dieu, dit-on, fit sentir son ressentiment en frappant la terre de stérilité et les gens de toute espèce de maladies extraordinaires. Alors ils se rendirent dans toutes les assemblées solennelles des Grecs, et, dans chacune, ils firent appel, par l’office du héraut, à quiconque voudrait recevoir justice de leur part pour le meurtre d’Ésope. À la troisième génération, le Samien Idmon se présenta, qui n’avait aucun lien de parenté avec Ésope, mais qui descendait de ceux qui l’avaient acheté à Samos ; il reçut des Delphiens certaines satisfactions, et ils furent délivrés de leurs maux. C’est depuis ce temps-là, dit-on, que le châtiment des sacrilèges fut transporté de la roche Hyampée à Nauplie. »


Témoignage de Suidas et d’autres auteurs.
Ajoutons enfin au témoignage de Plutarque celui de Suidas. À propos de l’expression Αἰσώπειον αἷμα, Suidas dit qu’elle s’emploie de ceux qu’on met à mort injustement, parce que c’est contre toute justice que les Delphiens avaient tué Ésope. Aussi applique-t-on le dicton Αἰσώπειον αἷμα, à ceux qui sont chargés d’opprobres et de crimes difficiles à expier : car il arriva que le dieu s’irrita contre les Delphiens qui avaient tué Ésope injustement. » Au mot Αἴσωπος, Suidas dit aussi qu’Ésope périt injustement à Delphes, précipité par les Delphiens des roches appelées Phédriades, dans la cinquante-quatrième olympiade.

Maints autres écrivains, Himérios, Libanios, etc. ont aussi parlé de la mort d’Ésope ; mais les informations qu’on peut en tirer ne sont pas plus précises que celles de Suidas ; l’on peut négliger et les unes et les autres, et s’en tenir aux trois témoignages d’Héraclide, du scholiaste et de Plutarque.


Discussion du témoignage d’Héraclide.
Le premier, celui d’Héraclide, est postérieur de deux siècles et demi à l’époque où vécut Ésope ; il est en outre d’un laconisme excessif ; à prendre le texte en lui-même, on pourrait croire qu’Héraclide accuse Ésope d’avoir dérobé la coupe d’or. Ce n’est certainement pas ce qu’il a voulu dire ; car il ne pouvait ignorer l’endroit d’Hérodote où il est question de l’expiation du meurtre d’Ésope, ni contredire la tradition universelle de l’innocence du fabuliste.


Discussion du témoignage du scholiaste.
Le scholiaste d’Aristophane complète Héraclide : il nous fait connaître la cause de la vengeance des Delphiens. Elle est, selon lui, dans les sarcasmes d’Ésope qui se moque de ces parasites d’Apollon. Mais il n’est pas, sur ce point, d’accord avec Plutarque. Plutarque reconnaît bien qu’Ésope eut des démêlés avec les Delphiens ; mais il n’en dit pas la cause ; il introduit dans l’affaire un personnage nouveau, Crésus, et il fait d’Ésope l’ambassadeur de ce monarque. C’est pour avoir renvoyé à Crésus les quatre mines qu’il devait répartir au nom du roi à chacun des Delphiens qu’Ésope excita leur colère et s’attira leur vengeance. L’explication du scholiaste a pour elle sa vraisemblance ; mais elle n’a pas d’autre support, et, comme elle supplée à un silence de plusieurs siècles, elle peut nous laisser sceptiques.
Discussion du témoignage de Plutarque.
Quant à celle de Plutarque, elle doit être rejetée délibérément. Plus que tout autre, Plutarque a cédé à ce penchant qu’avaient les Grecs de mettre en rapport les hommes illustres et de les faire converser ensemble. Dans le Banquet des sept Sages, il a fait d’Ésope l’ami de Solon ; dans la Vie de Solon il les représente tous les deux à la cour de Crésus. Le fait est impossible pour Solon qui mourut en 559, quand Crésus venait à peine de monter sur le trône (560) ; il est invraisemblable pour Ésope ; car il a contre lui le silence d’Hérodote. Cet historien parle de trois députations envoyées à Delphes par Crésus (I, 47 sqq.). Si Ésope avait été l’ambassadeur de Crésus, et si des incidents aussi tragiques avaient marqué son ambassade, Hérodote n’aurait pas manqué de le signaler.

Quant à la conduite des Delphiens, Plutarque se borne à dire qu’ils combinèrent contre Ésope une accusation de sacrilège. Le scholiaste nous donne, après Héraclide, une version plus circonstanciée et plus séduisante, celle de la coupe glissée dans les bagages d’Ésope. Malheureusement cette supercherie se retrouve dans d’autres littératures populaires, en particulier dans la Bible : c’est l’histoire de Joseph qui fait mettre sa coupe d’argent dans le sac de Benjamin. Dès lors on peut croire que cette ingénieuse histoire n’a d’autre fondement que le désir d’expliquer le meurtre d’Ésope et d’en faire un récit propre à piquer la curiosité. C’est pour compléter la satisfaction du lecteur que la tradition et Plutarque prêtent à Ésope cette fable de l’Aigle et de l’Escarbot, qui est d’une application si peu exacte à la situation du malheureux : Ésope fabuliste devait à sa réputation de mourir comme le cygne, en faisant entendre sa plus belle fable.

Nous n’accorderons pas plus de créance aux détails circonstanciés que Plutarque nous donne sur les fléaux dont Apollon frappa le pays de Delphes, la stérilité de la terre et les maladies extraordinaires. Plutarque lui-même semble n’y avoir qu’une foi mesurée. « Est-ce que tu prends tous ces détails pour des vérités ? » dit un des interlocuteurs du traité sur la Vengeance tardive des dieux. À quoi un autre répond : « S’ils ne sont pas tous vrais, mais quelques-uns seulement, ne crois-tu pas que la question offre la même difficulté ? » ; et un peu plus loin : « La plupart (de ces récits) ressemblent à des fables et à des inventions. » Il y avait déjà dans l’antiquité bien des sceptiques. Pour nous, comment ne le serions-nous pas après cette revue des principaux textes qui va d’Hérodote à Plutarque, du Ve siècle avant J.-C. au Ier siècle après. Sur deux mots d’Hérodote relatifs à la mort et à l’existence d’Ésope on voit se former peu à peu une histoire cohérente et vraisemblable en ses parties essentielles. Mais cette histoire, faite ainsi d’apports successifs, ne saurait nous inspirer confiance, parce que nous n’en connaissons pas les sources, et que nous pouvons y soupçonner l’industrie de commentateurs plus soucieux d’être complets que d’être vrais.


Patrie d’Ésope.
Tous les documents que nous venons d’examiner sont relatifs à la condition et surtout à la mort d’Ésope. Que savons-nous de sa patrie et de sa vie ? C’est ce qui nous reste à rechercher. Hérodote ne parle pas du pays d’origine d’Ésope, et il ne lui connaît d’autre maître que Iadmon. Mais Héraclide de Pont (Περὶ Σαμίων, X) nous affirme qu’il était Thrace de naissance, qu’il fut affranchi par Idmon[4] le sourd, et qu’il avait d’abord été esclave de Xanthos. Le scholiaste d’Aristophane (Oiseaux, 471) nous donne les mêmes informations à peu près dans les mêmes termes : il s’est borné à copier Héraclide. Où Héraclide a-t-il appris qu’Ésope avait d’abord servi Xanthos ? Nous n’en savons rien, et nous sommes en droit de nous défier d’un renseignement qui se produit deux cents ans après la mort d’Ésope. Sur la patrie d’Ésope, il y a quelque apparence qu’Héraclide l’ignorait et que, s’il en fait un Thrace, c’est parce qu’il fut le compagnon de Rhodopis qui était de Thrace (Hérod. I, 134). Cependant un certain Eugeiton, cité par Suidas, affirme qu’Ésope était de Mésembrie, ville des Cicones, sur la côte de Thrace. Si cet Eugeiton doit être identifié avec un certain Eugéion, qu’on a conjecturé être la source d’Hérodote, son témoignage aurait du poids, et notre fabuliste pourrait être tenu pour un Thrace. Mais la tradition la plus répandue faisait d’Ésope un Phrygien. Phèdre, Dion Chrysostome, Lucien, Aulu-Gelle, Maxime de Tyr, Elien, Himérios, Stobée, Suidas (expliquant le mot prêté à Crésus, μᾶλλον ὁ Φρύξ), s’accordent à lui assigner la Phrygie pour patrie. Quelques-uns précisaient même la ville de Phrygie où il était né : c’était, d’après Suidas et Constantin Porphyrogénète, Kotyaïum ; c’était Amorium, d’après la vie légendaire d’Ésope. Si l’on a cherché la patrie d’Ésope hors de la Grèce, en Phrygie, c’est que le nom Αἴσωπος ne semble pas être un nom grec ; on a cru y voir un nom phrygien, qu’on rapprochait du nom du fleuve phrygien Αἴσηπος, et peut-être du guerrier troyen Αἴσηπος dont il est question chez Homère, Z 21 ; on l’a rapproché aussi du mot Ἢσοπος qu’on lit sur un vase de Sigée C. J. G., I, 8. Une Vie d’Ésope le fait Lydien, sans doute parce que, d’après la tradition qui apparaît pour la première fois dans Héraclide, il fut esclave du Lydien Xanthos. En somme, toutes ces traditions ne reposant que sur des conjectures, il serait vain de s’arrêter à l’une d’elles : mieux vaut se résigner à ignorer ce qu’on ne peut savoir.


Époque d’Ésope.
Hérodote, on l’a vu, fait d’Ésope un comtemporain de Rhodopis, qui vécut sous le règne d’Amasis, 570-526. Héraclide de Pont le place au temps de Phérécyde de Scyros, olympiade 59, c’est-à-dire vers 540 ; Hermippos chez Diogène Laërce (in Chilone) dans la 52e olympiade, Eusèbe dans la 54e, Suidas dans la 40e ; mais le chiffre de Suidas est évidemment tronqué, et un peu plus loin Suidas lui-même parle de la 54e olympiade. Phèdre et d’autres le font vivre au temps de Pisistrate 612-527. Évidemment tous ces renseignements sont approximatifs et reposent sur l’assertion d’Hérodote.


Conclusions.
En somme tout ce que nous savons d’à peu près certain sur Ésope repose sur le témoignage de cet historien. Il était, par le temps, assez rapproché d’Ésope pour que son information fondée sur la tradition orale ou les écrits d’un devancier – Eugéion ou tout autre – puisse nous inspirer confiance, et il était assez scrupuleux sur la vérité historique pour que son témoignage paraisse recevable même à la critique moderne. Retenons donc d’après Hérodote qu’il y eut en Grèce au cours du sixième siècle un certain Ésope qui acquit de la réputation en composant ou récitant des fables ; qu’il fut peut-être, avec la célèbre Rhodopis, esclave du Samien Iadmon, qu’il mourut à Delphes de mort violente, et que les Delphiens payèrent au petit-fils d’Iadmon le prix de son sang. Tous les renseignements qui s’ajoutent à ceux-là sont d’une époque trop tardive pour ne pas éveiller la défiance de ceux qui connaissent les habitudes des biographes grecs. Non contents des faits authentiques et avérés, ils embellissent l’histoire des hommes illustres des prestiges de leur imagination, ils inventent des présages ou des prodiges qui annoncent leur grandeur future, ils les mettent en rapport entre eux en dépit des temps et des distances. Si l’histoire ne dit rien d’eux, ils suppléent à son silence, comblent les lacunes et recomposent une biographie de toutes pièces. C’est ce qu’ils ont fait pour Ésope ; et ce personnage, dont la vie était restée inconnue, a été le héros d’une foule d’aventures et même d’une résurrection miraculeuse ; et l’on a fait vivre deux fois un homme dont l’existence a été révoquée en doute. Suivons le développement de sa légende.

  1. Fragm. Hist. Graec., II (Didot).
  2. Cette promesse, le scholiaste ne l’a pas tenue, ou la scholie s’est perdue.
  3. De sera numinis vindicta, 12.
  4. Idmon est également la forme donnée par Plutarque dans son traité de la Vengeance tardive des dieux.