Goethe et la Comtesse Stolberg

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GOETHE
ET
LA COMTESSE STOLBERG.

GOETHE’S BRIEFE AN DIE GRÄFIN AUGUSTE
ZU STOLBERG[1]

Il existait au XVIIIe siècle un sentiment que nous ne connaissons plus aujourd’hui : on avait alors avec une femme d’esprit une liaison tout intellectuelle, épistolaire, si je puis m’exprimer ainsi, et cela sans que personne songeât à le trouver mauvais, pas même le mari, qu’on admettait tout le premier dans les secrets de la correspondance. C’était un attachement qu’on ne définit guère, de l’amitié si l’on veut, mais plus tendre et plus chaleureuse, de l’amour qui prétendait n’être que de l’amitié, quelque chose enfin qui rappelait la chevalerie dans le monde de l’intelligence. On tenait journal l’un pour l’autre, on s’écrivait mille bagatelles qui nous font sourire aujourd’hui et qui charmaient. Du reste, tout cela n’empêchait pas d’aimer ailleurs ; si la pensée était prise, le cœur ne l’était qu’à demi, et les sens restaient libres ; et puis les vicissitudes de la passion formaient comme autant d’épisodes dont le roman s’embellissait. C’est à ce sentiment mixte, qui n’est après tout que le sentiment de Pétrarque pour Laure, dégagé du mysticisme du XVe siècle, que nous devons ces lettres de Goethe à la comtesse Auguste Stolberg, avec cette circonstance tout originale que Goethe et la comtesse Stolberg ne se connaissaient que par intermédiaires, et commencèrent, sans jamais s’être vus, une correspondance des plus intimes.

Goethe amoureux, il lui fallait nécessairement trouver quelque part une ame délicate et sympathique, toujours prête à recevoir les secrets de sa joie et de ses peines, ou plutôt l’aveu de cette alternative incessante où flottaient ses propres sentimens ballottés entre le doute et la foi en eux-mêmes. Sans un troisième personnage relégué en dehors de l’action, mais donnant son avis un peu à la manière des confidens de théâtre, le roman n’eût pas été complet. Or l’amour avec Goethe ne pouvait être autre chose qu’un roman, ayant son exposition, son intrigue plus ou moins compliquée, et son dénouement heureux ou malheureux, mais toujours prévu d’avance. La pauvrette assez faible pour se laisser prendre au piége mourra de douleur comme Frédérique, ou tentera de se consoler ailleurs par le mariage, comme cette Lili dont nous allons suivre l’histoire. Quant à lui, vous le verrez sortir de là frais et dispos, rapportant de son aventure un sujet de drame ou de poème. Goethe, en homme du XVIIIe siècle, n’a garde de perdre une si belle occasion de s’analyser lui-même ; dès le premier moment, il arrange toute chose pour que chez lui les facultés critiques soient tenues en éveil en même temps que les facultés sensitives. Pendant que le cœur agit, l’esprit observe, et l’observation, recueillie avec soin, est transmise ensuite à qui de droit. Voilà qui s’appelle procéder avec méthode et traiter la passion en philosophe. La sœur des deux Stolberg, la jeune comtesse Auguste, convenait à merveille au rôle que Goethe lui destinait dans son roman. Comme il ne s’agissait, après tout, ni de l’aimer ni de se faire aimer d’elle, l’ignorance parfaite dans laquelle ces deux êtres avaient vécu jusque-là l’un vis-à-vis de l’autre ne pouvait devenir un obstacle, et, le cas eût-il existé, l’imprévu, le curieux de l’aventure devait nécessairement tourner à l’avantage de Goethe. Qu’on se figure en effet ces témoignages d’attachement chevaleresque signés d’un nom déjà illustre, ces lettres qu’anime, à défaut de conviction, le souffle du génie (conviction du moment à laquelle on ne résiste pas), tout cela arrivant sous le couvert de deux frères bien-aimés, surprenant une jeune fille au milieu des paisibles et monotones occupations de la vie de province, et qu’on dise s’il n’y a point de quoi éveiller l’imagination qui dort, surtout quand on suppose que la jeune fille a la tête vive et romanesque. Il est tel de ces jeux d’esprit où les plus habiles ont fini par se laisser prendre. On oublie facilement la fiction et le mensonge, on aime à se dire tout bas qu’on a été devinée, et, dans ce crépuscule de l’ame où le faux et le vrai, l’idéal et le positif, l’abstraction et la réalité, se confondent, de nouveaux horizons s’ouvrent qu’on anime et qu’on peuple à son gré. On n’en conviendra pas, mais l’entreprise de Goethe, écrivant à une jeune femme qu’il n’avait jamais vue et ne connaissait que par ses frères, devait réussir par son audace même et son excentricité. La sympathie une fois admise, restait à savoir comment elle se traduirait. Une femme quelque peu folle et extravagante, une Bettina par exemple, n’eût pas manqué de se passionner à outrance. La comtesse Auguste, en personne bien élevée, en femme du monde sûre d’elle-même, accueillit ce défi du génie avec un sourire amical, et les relations qui s’établirent entre eux, à la faveur de cette correspondance, furent telles, qu’un attachement profond s’ensuivit, attachement qui ne parut s’éteindre, après des années, que pour se réveiller plus vif un jour dans l’ame de la comtesse sous le souffle de la religion.

Le recueil des lettres du jeune Goethe à la comtesse Auguste s’ouvre par une déclaration ex abrupto si chaleureuse, si passionnément désordonnée, qu’elle dépasse le but. Dès les premières lignes, la fantaisie de l’artiste se trahit par l’incontinence : « Chère, mais j’aime mieux ne pas vous donner de nom, que seraient les noms d’amie, de sœur, d’épouse ou de fiancée, que serait même un nom renfermant la substance de tous ces noms, auprès du sentiment immédiat que… ? » Ainsi écriraient Werther ou Saint-Preux ; évidemment il y a dans un pareil début une préoccupation de l’effet, un mouvement théâtral, qui change du premier coup en un intérêt de roman l’intérêt bien autrement sérieux qu’on se promettait. Dans quel but d’ailleurs ces brûlantes protestations à cette muse inconnue ? À cette divinité pour laquelle il ne trouve pas un nom dans le vocabulaire de l’amour, il va écrire, devinez quoi ? l’histoire de sa passion avec une belle jeune fille de Francfort. — Il convient, pour l’intelligence du sujet, que nous introduisions maintenant un personnage resté dans l’ombre, nous voulons parler de la véritable héroïne de ces lettres de Goethe à Mlle Stolberg, de cette Lili qu’il aima, et dont nous allons essayer de faire connaître le gracieux roman, en nous aidant tantôt de la correspondance en question, tantôt des souvenirs laissés par Goethe lui-même au quarante-troisième volume de ses œuvres complètes.

Pendant l’hiver de 1774, les amis de Goethe, jaloux de présenter à leurs connaissances le jeune homme déjà illustre, se disputaient chacune de ses soirées, et c’était à qui aurait l’honneur de le produire dans le monde, dont la curiosité s’agitait d’autant plus autour de lui qu’il avait jusque-là vécu fort retiré. Un soir, un de ses amis l’emmena au concert chez un M. Schönemann, dilettante par excellence, qui se mourait d’envie d’avoir chez lui l’auteur des Souffrances du jeune Werther. Comme Goethe entrait, la fille de la maison s’asseyait au piano. C’était Lili. Si elle joua ou si elle chanta pendant les quelques minutes qui suivirent, je doute que Goethe l’ait jamais su ; et lorsque Lili, quittant le piano, vint, à travers un nuage de complimens et d’adulations, retrouver sa mère, qui lui présenta M. de Goethe, le jeune vainqueur était amoureux. Lili avait en elle je ne sais quoi de merveilleux et d’enfantin qui la rendait irrésistible ; ses mouvemens étaient agiles, sa démarche leste ; on eût dit une fée mignonne, à voir la grace qu’elle mettait à ployer son joli cou de cygne, tandis que sa petite main s’étudiait à caresser les touffes vaporeuses de ses cheveux blonds. Fille unique de parens qui l’adoraient, recherchée pour sa fortune et sa beauté par tout ce qu’il y avait d’élégant et de noble à Francfort, elle exerça du premier coup sur Goethe cette influence attractive à laquelle nul n’échappait. J’ajouterai à la liste de ses qualités que ce devait être là une franche coquette, et je n’en veux d’autre preuve que ce ton de pieuse mansuétude et de bénévole conviction avec lequel Goethe s’évertue à la mettre à l’abri de tout soupçon qui pourrait l’atteindre de ce côté. Quoi qu’il en soit, la passion de Goethe fut bientôt partagée. À vingt-cinq ans, avec sa bonne mine et son élégance personnelle, Goethe, tout illustre qu’il fût déjà, pouvait se passer à merveille du secours de son nom pour enlever le cœur d’une jolie fille : d’où cependant on aurait tort de conclure qu’il n’entra point, dans les premiers motifs qui décidèrent le penchant de Lili pour le jeune auteur de Werther, un de ces petits sentimens de vanité qu’on ne s’avoue pas à soi-même.

Je trouve dans les poésies posthumes cette pièce inspirée par les premières inquiétudes de la passion naissante.

À BELINDE.

« Pourquoi m’attirer ainsi irrésistiblement au milieu de ce luxe ? Honnête jeune homme, n’étais-je donc pas heureux dans ma nuit solitaire ? Oublié dans ma chambrette, alors je rêvais au clair de lune les heures dorées d’une félicité sans mélange, déjà mon ame avait connu ton image chérie. Suis-je bien le même homme, moi que tu retiens désormais à la lueur des lustres, vis-à-vis d’une table de jeu, moi qui reste planté là, immobile devant des figures souvent insupportables ? Le printemps en fleur ne m’attire plus désormais dans la plaine ; où tu es, ange, est l’amour et la grace, où tu es, la nature ! »

Un besoin mutuel de se voir ne tarda pas à se déclarer. Chaque jour, Goethe venait en visite chez la mère, et, lorsque par hasard on se trouvait seuls, Lili se mettait à lui raconter l’histoire de ses peines et de ses joies d’enfance, et alors, dans ces gentils entretiens, se glissait l’aveu d’une faiblesse ; ainsi, par exemple, on convenait d’une certaine force d’attraction dont on se sentait comme naturellement douée, on allait jusqu’à s’avouer coupable d’en avoir usé tout récemment, aveu d’autant plus irrésistible, que l’excuse était toute prête. En effet, cette fois on avait été bien punie en se prenant soi-même au piége. Le soir, les deux amans se rencontraient au concert, au spectacle, dans les raouts. « Mes rapports avec elle, dit Goethe, étaient ceux d’un jeune homme avec une belle et aimable jeune fille du monde. Seulement, je m’aperçus que je n’avais pas réfléchi aux exigences sociales, à ce va et vient continuel auquel on ne peut se soustraire. Un invincible désir nous possédait l’un et l’autre, nous ne pouvions exister sans nous voir ; mais, hélas ! combien d’heures, combien de jours troublés et perdus par le seul fait des gens qui l’entouraient ! » Lorsque l’hiver eut épuisé ses plaisirs et ses ennuis, la belle saison amena les parties de campagne ; le printemps multiplia les entrevues, et, grace à lui, se renouèrent les liens qui unissaient déjà ces deux cœurs. Une charmante villa que l’oncle de Lili possédait aux portes de Francfort, à Offenbach, était la terre promise où l’on accourait. « Des jardins délicieux, des terrasses donnant sur le Mein, partout de libres échappées laissant voir le plus agréable paysage : il y avait là de quoi tenir dans le ravissement quiconque passait ou séjournait ; un amoureux n’eût pas rêvé un autre Éden pour y loger ses sentimens. » L’enchantement d’un pareil site, qu’une divine présence animait, ne pouvait manquer d’attirer Goethe. On le voyait alors passer des semaines entières à Offenbach, où il s’établissait chez un maître Jean-André, fabricant de soie et compositeur d’opéras comiques, industriel par état, artiste par goût, que la passion musicale de Lili rendait indispensable dans la maison de son oncle. Ce Jean-André, excellent homme au fond et compatissant du meilleur de son ame au langoureux martyre des jeunes gens, leur ménageait pendant ses séances de ravissantes entrevues. Dès qu’il arrivait le soir, on l’installait au piano, et, s’il commençait à jouer sa musique, Goethe et Lili en avaient pour jusqu’à minuit de mystérieuses causeries et d’étreintes furtives ! Goethe, en reconnaissance des services que cet excellent homme rendait à ses amours, composa pour lui un poème d’opéra. C’était à coup sûr le moins qu’il pouvait faire.

« J’arrivais toujours un peu tard dans la soirée, et, s’il y avait du monde là, je n’en observais pas moins l’impression que mon entrée produisait sur elle. Si peu que je restais, j’avais à cœur de me rendre utile, fût-ce le moins du monde, et je ne la quittais jamais sans qu’elle m’eût chargé de quelque commission. Cette espèce de servage m’a toujours semblé la meilleure fortune qui puisse arriver à un homme en pareille circonstance, et j’admire fort la manière puissante, bien qu’un peu obscure, dont s’expliquent sur ce point les vieux romans de chevalerie. Qu’elle exerçât sur moi une domination irrésistible, je ne cherche pas le moins du monde à le cacher, et certes elle pouvait très bien se permettre cette vanité-là ; en de telles rencontres, vainqueur et vaincu triomphent à la fois, et c’est le cas de se complaire l’un et l’autre en un égal sentiment d’orgueil. — Cette manière souvent trop rapide dont j’intervenais n’en avait que plus d’action. Je ne manquais jamais de trouver maître André avec une provision de musique toute prête ; de mon côté, j’apportais aussi du nouveau, soit de mon propre fond, soit de celui des autres, et les fleurs poétiques et musicales pleuvaient. Si, pendant le jour, diverses circonstances me retenaient loin d’elle, les belles soirées au grand air multipliaient pour nous les occasions d’être ensemble. Voici entre autres un souvenir que les cœurs amoureux recueilleront avec intérêt : — Un soir, par le plus beau clair de lune, nous nous étions promenés tard dans la campagne, et, après avoir reconduit sa société de porte en porte et fini par prendre congé d’elle, je me sentis si peu envie de dormir, que la fantaisie me vint de commencer une nouvelle promenade. Jaloux de me retrouver seul avec mes pensées et mes espérances, je m’en allai rejoindre la grande route de Francfort et m’assis sur un banc, dans le silence de la nuit la plus pure, sous l’éblouissante coupole du ciel étoilé, afin de n’appartenir qu’à elle et à moi-même.

À ces momens de rêverie heureuse, pendant lesquels il aime à se dire : « Je dors, mais mon cœur veille, » succèdent les réactions fougueuses, les heures d’impatience et de découragement. Alors le souvenir de sa chère Auguste lui revient, de cette ame élevée qu’il s’est choisie pour confidente, et il retourne à ses lettres. Que deviendrait-il, en effet, lui qui n’aime pas souffrir, sans ce vase d’élection toujours disposé à recevoir le trop plein des sentimens qui l’occupent et qui résonne avec tant de délicatesse au contre-coup de sa passion ? Goethe a dit quelque part qu’il n’avait écrit Werther que pour se délivrer d’une fièvre de sentimentalité qui s’était emparée de toute l’Allemagne. Si je ne me trompe, ses lettres à Auguste doivent être prises dans le même sens. Là aussi je vois une délivrance, la délivrance de l’amour qui le tient pour Lili, et dont il cherche à se débarrasser dans ces lettres, comme il se débarrasse dans un drame d’une idée absorbante et despotique. D’ailleurs, pour cette nature si essentiellement objective, l’amour pouvait-il être autre chose qu’une idée ? En vain il s’exalte jusqu’au délire, en vain son style brusque et saccadé trahit parfois l’émotion et l’inquiétude : sous l’amant éprouvé reparaît toujours le poète. À l’instant où vous voudriez le plus croire à ces tiraillemens du cœur, à ce trouble de la passion, une ligne imprévue, un mot oublié au tournant du feuillet, vous donnent l’éveil en ramenant tout à coup l’ordre dans le désordre. Ainsi vous le voyez s’arrêter au milieu d’une crise, et passer sans transition à un paragraphe du genre de celui-ci, par exemple : « N’oubliez pas de jeter les yeux sur le second volume de l’Iris, s’il vous tombe sous la main ; vous y trouverez mainte chose de moi. » Ce qui chez Goethe me gâte tout-à-fait le personnage du roman, c’est la sécurité absolue qu’il m’inspire de lui-même dès l’exposition. Si amoureux, si insensé, si consumé de doutes et de souffrances qu’il vous semble, croyez bien qu’il y aura toujours une crise décisive où, les intérêts de sa position et les intérêts de son cœur se trouvant en présence, la raison, la froide, l’impassible raison, finira par l’emporter.

L’attachement que Goethe et Lili nourrissaient l’un pour l’autre avait atteint son apogée : situation difficile où, comme on sait, les passions ne se maintiennent guère. Une fois qu’on a touché le faîte, il ne reste plus qu’à descendre, et les prosaïques préliminaires du mariage, les considérations et les arrangemens de famille devaient porter le premier coup à ces fraîches amours, jusque-là insouciantes de l’avenir. Lili aimait le monde ; partout recherchée pour sa distinction et ses talens, la jolie fille du banquier de Francfort s’était habituée à régner sur un cercle dont elle recevait volontiers les empressemens et l’hommage. Les goûts mondains de la jeune personne effrayèrent tout d’abord la famille de Goethe. Le vieux jurisconsulte et sa femme, élevés dans les traditions austères de l’antique patriciat germanique, se demandaient comment ferait cette jeune fille dissipée et frivole pour se conformer aux mœurs simples et régulières de leur maison. La sœur de Goethe surtout, Cornelia Schlosser, s’éleva contre cette union de toute l’influence qu’elle exerçait sur l’esprit de son frère. Du fond d’une petite ville où elle menait avec son mari une assez triste existence, cette femme, d’un naturel peu sympathique, ne cessait de battre en brèche le cœur de Goethe avec cet acharnement qu’apportent les sœurs en pareille occasion.

Sur ces entrefaites (avril 1775), les deux Stolberg arrivèrent à Francfort. Le jeune comte Frédéric Léopold, blessé au cœur par deux beaux yeux qu’il ne pouvait épouser, avait entrepris, en compagnie de son frère Christian et du comte Haugwitz, une de ces mélancoliques pérégrinations sans lesquelles, entre amoureux qui savent vivre, il n’y a pas de rupture complète. Il va sans dire que le jeune comte et ses fidèles acolytes s’en allaient chercher en Suisse le léthé miraculeux. Le petit groupe n’eut garde de laisser ignorer à Goethe son passage à Francfort. Bien avant cette entrevue, qui devait marquer de part et d’autre, on se convenait déjà, d’immatérielles sympathies avaient parlé. On s’était rencontré dans l’Almanach des Muses de Gottingue, terre commune où se donnait rendez-vous alors toute cette chaleureuse jeunesse, qui devait être un jour l’honneur et la gloire des lettres allemandes ; la fraternité poétique existait, sainte et noble fraternité qui, par malheur, ne dure guère, mais que d’illustres exemples consacrent à l’avènement de toutes les périodes littéraires : j’en appelle aux romantiques de 1825, aux enthousiastes virtuoses de la Muse française. Goethe reçut les jeunes comtes à bras ouverts (mit offener brust), comme il le dit lui-même. Non content de leur faire du matin au soir les honneurs de Francfort, il les introduisit dans la maison de son père, et là, tous les jours à table, il fallait, bon gré mal gré, que le jurisconsulte austère de la ville libre oubliât les questions de droit et les affaires de conseil pour tenir tête à ces trois folles imaginations, que la philosophie et la poésie enivraient. Un soir, on parlait politique au milieu d’amples libations de vin du Rhin ; à chaque coupe qu’on vidait, la haine des tyrans et de la tyrannie s’échauffait que c’était un plaisir de les voir. M. de Goethe, le père, souriait en hochant la tête, et Mme de Goethe, la même qui se vantait d’avoir servi de type à cette héroïque matrone de Goetz de Berlichingen, paraissait s’amuser fort de cette scène, qui commençait à tourner au vrai comique. On était sur le chapitre du roi Cambyse ; Léopold Stolberg venait de raconter comme quoi cet exécrable monstre avait eu l’atroce courage de percer d’une flèche le cœur d’un pauvre enfant sous les yeux même de son père, et cet acte de barbarie excitait toute la chaleureuse indignation du jeune groupe aviné. Tout à coup Mme de Goethe, qui s’était levée un moment pour descendre au cellier, rentre, apportant des provisions nouvelles, quelques-uns de ces rares échantillons des meilleures années qu’on réserve avec soin, et, déposant sur la table les flacons dont un vin empourpré colore la transparence : « Le vrai sang des tyrans, dit-elle, le voilà ; abreuvez-vous-en à votre aise, mais, pour Dieu ! ne me rompez pas davantage la cervelle avec vos harangues à la Brutus. — Oui, messieurs, s’écrie le jeune Goethe en levant son verre, ma mère a raison et vous pouvez l’en croire, le plus grand tyran qu’il y ait au monde est celui dont le sang vous est offert ; n’approchons de lui qu’avec prudence, car il a d’irrésistibles séductions, et son esprit vous ensorcelle. Flatteur, insinuant, despote, je défie qu’on me cite un plus redoutable tyran. Les premières gorgées de son sang vous allèchent ; plus on en boit, plus on devient avide ; une goutte suit l’autre inévitablement, et c’est comme un collier de rubis qu’on craindrait de voir s’interrompre. » On devine que, dans l’intimité de pareilles relations, nos jeunes gens ne devaient pas avoir de secret l’un pour l’autre. La jeunesse, la poésie et le vin vieux aidant, la confiance ne pouvait manquer de venir vite, et d’ailleurs, sur quatre, deux étaient amoureux, Léopold et Goethe ; Léopold, inquiet, ardent, exalté, dans cette crise de la passion où l’amour, chassé du cœur, monte au cerveau et de là s’exhale en fumée ; Goethe, moins turbulent, moins fougueux, s’étudiant lui-même dans les autres, et déjà aimant mieux écrire que parler.

Quelques jours avant de reprendre la poste, les Stolberg proposèrent à Goethe de les accompagner. Un pèlerinage romantique à travers les glaciers de la Suisse répondait à merveille aux sentimentales dispositions où l’amoureux poète se trouvait, et il se laissa facilement persuader. « Dans une ville comme Francfort, écrivait-il lui-même, ces allées et venues continuelles d’étrangers qui se croisent en tous sens et se dirigent sur tous les points du globe, éveillent de bonne heure le goût des voyages. Maintes fois déjà l’idée m’était venue de courir le monde, et je laisse à penser si, dans ce moment où il s’agissait pour moi d’une épreuve sérieuse, d’essayer si je pouvais, à la rigueur, me passer de Lili, où mon état de trouble et d’inquiétude m’interdisait toute œuvre importante, je laisse à penser si, dans un pareil moment de crise, la proposition des Stolberg fut acceptée. » Le père accueillit avec transport ces projets de voyage, qui devaient avoir pour résultat de soustraire Wolfgang aux enchantemens de la sirène ; il engagea même son fils à passer en Italie, et surtout à ne pas craindre de prolonger son absence, et Goethe quitta Francfort sans avoir dit adieu à Lili.

Une fois en route, Goethe ne tarda pas à changer d’idée sur le compte de ses compagnons de voyage. Jusqu’à l’arrivée à Darmstadt, les choses se passèrent à merveille ; là seulement d’imperceptibles symptômes d’incompatibilité commencèrent à se faire sentir. Sans être insolens ni dédaigneux le moins du monde, les jeunes comtes Stolberg, appartenant par leur naissance à l’une des plus hautes familles de l’Allemagne du nord, avaient dans le commerce intime je ne sais quelle liberté de manières, quelles intolérances d’opinion, qui devaient, à la longue, blesser un homme accoutumé, comme Goethe, à la politesse bourgeoise, à la méthodique réserve de la bonne ville impériale. Léopold surtout, qui, touchant l’incomparable supériorité de sa maîtresse et la profondeur du désespoir amoureux dont il souffrait, n’admettait pas de discussion, et repoussait avec emphase tout parallèle comme injurieux, Léopold irritait à chaque instant sa fibre sensible. Vainement, dans cette chaise qui roulait vers Manheim, Goethe s’efforçait de représenter à l’exalté jeune homme que d’autres pouvaient bien avoir l’expérience de semblables douleurs, Léopold ne voulait rien entendre, et son frère Christian, ainsi que le comte Haugwitz, intervenaient alors pour mettre fin à la querelle des deux amoureux. Ce thème plus ou moins varié reparaissait sans cesse. À la suite d’un dîner d’auberge où le vin n’avait pas été épargné, Léopold se lève au milieu d’un bachique hurrah, et propose un toast en l’honneur de sa belle maîtresse ; puis, quand tous ont bu : — Maintenant, s’écrie-t-il, des verres consacrés de la sorte ne sauraient plus servir, et ce serait les profaner que les emplir de nouveau. — À ces mots, il lance son verre par la fenêtre, et tous les autres font comme lui. « Nous obéîmes, ajoute Goethe ; mais, dans le moment où mon verre volait en éclats, il me sembla tout à coup sentir Merck me secouer par le collet de mon habit. » Cette espèce d’évocation méphistophélique de Merck en ce banquet est le meilleur indice que toute illusion sur les Stolberg s’évanouit chez Goethe dès ce moment. Au début du voyage, lui et Merck s’étaient rencontrés à Darmstadt, et le malin critique, qui le connaissait bien, le voyant s’embarquer avec ces jeunes fous, avait prédit ce qui arriva.

À Zurich, Goethe se sépara de ses compagnons de voyage pour aller rendre visite à Lavater. Déjà un an auparavant (1774), le philosophe suisse et le jeune chantre de Werther s’étaient vus sur les bords du Rhin, mais seulement en passant, et sans qu’il leur fût resté de ces relations toutes superficielles autre chose qu’un vif désir de se revoir. Goethe fait allusion dans une de ses poésies à cette rencontre de table d’hôte, et raconte comme quoi, placé entre Lavater et Basedow, il dévora une poularde, tandis que ses voisins de droite et de gauche se disputaient sur un point de théologie[2]. Quoi qu’il en soit, ses rapports avec Lavater ne datent que de cette visite. « Notre premier, notre unique sujet de conversation, dit Goethe, fut sa Physionomique. » À cette époque, Lavater mettait la dernière main à son fameux ouvrage. Voyant venir à lui un grand poète de si bonne volonté, il s’empressa de l’initier dans tous les mystères de son système, lui livra ses dessins et ses manuscrits, et l’enflamma si bien, que Goethe en contracta pour le reste de ses jours une véritable fièvre de silhouettes, qui finit à la longue par n’être plus qu’intermittente, mais qui ne le quitta jamais complètement.

Cependant une soif d’émotions romantiques, un besoin de s’oublier lui-même, ne tardent pas à l’entraîner dehors. À la place des Stolberg, qu’il a perdus en route, un nouveau compagnon se présente. Celui-ci, jeune homme de vingt ans, Allemand d’origine, vivant en Suisse à la source de cette doctrine réformée dont il doit devenir le ministre, amoureux de la nature et des beaux vers, conviendra mieux aux sentimens qui l’affectent. Dès-lors voilà les deux amis en campagne, les voilà escaladant les neiges éternelles, sillonnant les lacs, visitant les cantons, bien-venus partout, grace à l’hospitalité que les lettres de Lavater leur ont ménagée. Cela durait ainsi depuis un mois, quand un beau jour, sur le sommet du Saint-Gothard, l’idée vint à Goethe de descendre en Lombardie. Je ne sais si je me trompe, mais il me semble qu’on pourrait citer telle circonstance, où l’esprit de l’homme, après avoir pris un parti, se sent plus irrésolu que jamais. En ce moment, la force de décider ce qui va suivre n’est plus en nous, mais dans le passé, dont les impulsions se ravivent et nous forcent à leur obéir. Goethe ici me servira d’exemple. Placé entre l’Italie et l’Allemagne, près de franchir la limite qui sépare le sol poétique du sol natal, il hésite et reste comme suspendu. Ne vous semble-t-il pas voir la lutte de l’esprit et du sentiment, de l’imagination ardente à s’élancer vers l’Éden inconnu, et du cœur qui se sent changer d’élément ? Cette fois, au moins, le cœur l’emportera ; l’image de Lili, un moment effacée, se réveille tout à coup au milieu de cette âpre nature ; il se souvient d’un gage de tendresse donné aux jours heureux[3], et, pour la première fois depuis Francfort, il tire de son sein le talisman adoré, auquel il improvise ces beaux vers :

« Souvenir d’un bonheur évanoui, lacet fragile que je porte encore à mon col, devais-tu donc être entre nous un lien plus durable que celui de nos ames ? Viens-tu prolonger les jours rapides de l’amour ?

« J’ai beau te fuir, Lili, à travers les pays étrangers, à travers la forêt lointaine et les vallons, j’emporte après moi ton lien ! Oh ! si tôt de mon cœur ne devait pas tomber le cœur de Lili !

« Ainsi l’oiseau qui rompt sa chaîne et s’en retourne au bois traîne après lui toujours quelque lambeau de fil, signe honteux de sa captivité : quoi qu’il fasse désormais, il n’est plus l’oiseau du ciel, né libre, il a appartenu à quelqu’un. »

Après une si chaleureuse réaction, Goethe ne pouvait que prendre la poste et retourner en Allemagne.

À son retour à Francfort, les choses n’étaient plus comme il les avait laissées. La famille de Lili, naturellement assez peu portée à cette alliance, avait profité de l’avantage que Goethe lui livrait, en quittant si brusquement la place, pour faire entendre à la jeune fille qu’elle ne devait pas persister dans un engagement désormais rompu. La pauvre Lili ne voulait rien croire de ce qu’on lui disait et se contentait de pleurer. Loin de s’en fier aux apparences et d’accuser son amant, elle lui pardonnait du fond du cœur et s’efforçait de trouver des motifs légitimes à sa conduite, qu’elle avait fini par attribuer à quelque boutade d’un esprit inquiet, irrité par les mille ennuis qu’on lui suscitait, à quelqu’un de ces accès de folie qu’un grain de génie détermine si facilement dans la cervelle d’un amoureux de vingt ans. « Je l’aime, disait-elle toujours, et, s’il n’a pas cessé de m’aimer, je suis prête à le suivre jusqu’en Amérique. » On rapporta cette parole à Goethe, qui en fut touché, pas assez cependant pour se décider à être heureux une bonne fois. Cette excitation fiévreuse ne lui déplaisait pas trop ; il aimait à s’écouter souffrir. Le beau mouvement du Saint-Gothard n’avait pas laissé de traces ; ce n’était là qu’un éclair de la montagne, qu’un de ces feux follets que l’éloignement et l’absence ravivent. D’ailleurs, en passant par Heidelberg, il avait vu sa sœur, qui ne lui épargnait pas les remontrances, et, depuis son arrivée, les lettres de cette quinteuse personne, qui semble jouer dans ce petit roman le rôle d’une lady Ashton, ne faisaient que fomenter l’irrésolution dans son esprit. Aussi long-temps qu’avait duré l’absence, il avait cru plutôt à une séparation qu’à une rupture. Sur le lac de Zurich, parmi les neiges du Saint-Gothard, ses souvenirs, ses souhaits, ses espérances, avaient eu leur libre jeu. Au retour, tout changea ; et, si c’est le ciel pour deux amans que de se revoir sans contrainte après l’absence, il n’y a pas d’enfer comparable au supplice de deux êtres qui s’aiment, et qui sentent, en se retrouvant, qu’une force inexorable les sépare. En renouant avec Lili, Goethe devait retrouver dans son entourage les mêmes contraintes, plus irritantes désormais, plus insupportables, et dès le premier jour, en la revoyant, il sentit qu’elle était perdue pour lui.

À cette époque s’ouvre vraiment une période de trouble et d’anxiété, une de ces crises de jeunesse qu’on pourrait comparer à l’ébullition du vin qui fermente. Comme le nouveau vin, le sang généreux se dépouille alors des fumées qui l’embarrassent et s’apprête à vieillir ensuite noblement. Cette transition de la jeunesse à la maturité, espèce de fièvre morale à laquelle plus d’un esprit succombe, est ici d’autant plus intéressante à étudier, qu’on sait d’avance qu’elle va se résoudre dans le calme olympien de Weimar. Sans cesse ballotté entre l’idée de cet amour auquel il ne peut se décider de renoncer et le soin de son avenir qu’il tremble d’engager, il va de Lili à Egmont : il s’enferme huit jours avec résolution, écrit le premier acte qu’il lit à son père ; puis, n’y tenant plus, il court après un regard, et si au spectacle, au concert, au bal, ses yeux rencontrent les yeux de Lili, si cette blanche main si bien gantée effleure la sienne, son cœur déborde, et le voilà redevenu fou. Inquiet, tiraillé, malheureux au fond, la seule providence qui le dirige encore au milieu de tant de confusions et de dissonances, c’est la comtesse Stolberg, sa chère Auguste, qu’il aime de tous les amours, comme on aime une femme qu’on n’a jamais vue. Il lui écrit lettres sur lettres ; tantôt passionné comme Werther, tantôt affectueux et tendre comme un frère, tout ce que ce feu qui s’éteint laisse dans son ame de mélancolie, d’humeur, de découragement, se reflète dans ces petits billets tracés à la hâte sur un coin de table, sur ses genoux, comme cela se trouve. Et c’est ce qui fait que cette correspondance, sans grande valeur littéraire par elle-même, prend tout l’intérêt d’un roman, si vous la replacez au milieu des passions dont elle s’est inspirée.

25 juillet 1775.

« Je veux vous écrire, Auguste, chère sœur, bien qu’il me semble que, dans l’état où je suis, même auprès de vous, j’aurais peine à trouver quelque chose à dire. Je commence donc. Qu’il y a loin de moi jusqu’à vous ! Il faut espérer pourtant qu’un jour nous nous verrons.

« Lorsque tout m’accable ainsi, je me tourne vers le nord, où respire ma sœur chérie, là-bas, à deux cents milles de moi. Hier au soir, ange, j’aurais voulu être à vos pieds, serrer vos mains. Je me suis endormi avec cette idée, et ce matin je la retrouve encore à mon réveil. Belle ame pleine de mansuétude, vous qui avez le ciel dans le cœur, je serai encore ballotté cruellement. N’importe, pourvu que je me repose un instant sur votre cœur. C’est là mon rêve, mon seul but au milieu de tant de souffrances. — Je me suis si souvent trompé sur les femmes. — Chère Auguste, que ne puis-je lire un instant dans vos yeux ! — Je m’arrête ; — ne cessez pas de m’aimer. »

À mesure qu’il sent que Lili va lui échapper, il tend à se rapprocher davantage d’Auguste. Il faut à cette agitation fiévreuse un cœur de femme capable, sinon de remplacer complètement la divinité perdue, du moins de servir d’objet à l’évaporation confuse de tant de sentimens exaltés, et qui l’étoufferaient, s’ils n’avaient cours. Comme il sait très bien qu’il chercherait vainement un pareil cœur dans son entourage, il franchit la distance et s’adresse ailleurs. Du reste, l’éloignement ici, loin de nuire, ajoute un vague qui sied bien et tempère la crudité de certaines boutades un peu vives. Une femme qu’on n’a jamais vue, un être avec lequel des circonstances tout amicales et poétiques nous ont mis en relation, n’est-ce point là un idéal attrayant ? et, s’il est vrai de dire que chez un homme supérieur toute image que le souvenir garde s’épure insensiblement et se dégage avec le temps des moindres ombres, dans quel azur sans tache, dans quel éther fluide et transparent ne doit pas régner une apparition ainsi devinée et pressentie !

Offenbach, 9 août.

« Auguste, Auguste, un mot de toi qui me délivre, une étreinte de toi ! Que d’angoisses et de confusion ! Ici, dans la chambre de la jeune fille qui fait mon malheur sans que ce soit sa faute, de ce cœur d’ange dont je trouble les jours, ici, Auguste, je tiens dans mes mains ta lettre depuis un quart d’heure, et je la lis. — Elle est du 2 juin. Tu m’y demandais de te répondre un mot, un mot du cœur ; nous voici au 3 août, et je n’ai pas écrit encore. J’ai écrit, la lettre est sur ma table, commencée. Ô mon cœur ! faut-il donc que je l’ouvre pour t’envoyer, Auguste, à toi aussi, la lie amère qu’il contient ? Comment te parler de Frédéric, lorsque dans son malheur c’est le mien seul que je déplore ? Crois-moi, Auguste, il souffre moins que moi. Vainement j’ai couru trois mois le pays, vainement j’ai aspiré par tous mes sens mille sujets nouveaux, ange, me voici encore à Offenbach aussi simple qu’un enfant, aussi borné qu’un perroquet sur son perchoir, et vous, Auguste, si loin ! Que de fois je me suis tourné vers le nord ! La nuit, assis sur la terrasse au bord du Mein, je pense à toi. Si loin ! si loin ! Le vertige finit par me prendre, et je ne trouve pas le temps de t’écrire. — Mais, pour cette fois, je ne cesserai pas, jusqu’à ce qu’on frappe à ma porte, qu’on m’appelle. Et cependant, cher ange, bien souvent, dans les plus vives angoisses de mon cœur, bien-souvent je me suis écrié en t’appelant : Consolé ! consolé ! Patience, et nous y parviendrons, et tu seras heureuse dans tes frères, et nous en nous-mêmes. Cette passion sera pour nous le vent qui souffle l’incendie ; elle nous apprendra, dans cette extrémité, à nous tenir sur nos gardes, à être braves, énergiques et bons, et nous serons poussés où le sens qui dort n’atteint pas. — Ne souffre point à cause de nous, supporte-nous. — Donne-nous une larme, une étreinte de main, un regard sur tes genoux ; essuie ce front avec ta main chérie. Une parole énergique, et nous nous retrouverons sur nos pieds.

« Je change de dispositions cent fois par jour. Ah ! que j’étais bien avec tes frères ! Je paraissais calme et je souffrais pour Frédéric, plus à plaindre que moi, quoique mon mal fût plus cruel. Et maintenant, tout seul !

« Je vous avais en eux, chère Auguste, car vous ne faites qu’un en amour et en personne. Auguste était avec nous, et nous avec elle. — Et maintenant, rien que vos lettres. — Vos lettres ! elles me brûlent à travers ma poche. — Et cependant, si je les ouvre en un moment favorable, comme à présent, par exemple, elles me calment. Mais hélas ! trop souvent, lorsque mon cœur est sourd et aveugle, ces caractères, tracés par la plus douce amitié, ne sont plus pour moi que lettre morte. Ange, c’est un affreux état, l’insensibilité. Tâtonner dans la nuit, n’est-ce pas le ciel en comparaison d’être aveugle ? Pardonnez-moi cette confusion et tout le reste. — Je suis si heureux de pouvoir causer ainsi avec vous, si heureux de me dire : Elle va froisser ce papier dans ses mains, elle ! ce papier que je touche et noircis d’encre. — Adorable enfant ! — Je ne puis pourtant jamais être tout-à-fait malheureux. Encore deux mots. — Je ne resterai plus ici long-temps maintenant ; il faut que je me remette en route et que je m’en aille, — où ? —

Suivent quatre lignes de points, après quoi il reprend :

« Ce vide signifie que je suis resté absorbé dans mes idées un long quart d’heure pendant lequel mon esprit a fait le tour du monde. Triste destinée qui ne me permet pas un état moyen. Être fixé, cloué sur un point, ou servir de jouet aux quatre vents ! — Heureux vous êtes, voyageurs transfigurés qui dans une douce et complète satisfaction secouez chaque soir la poussière de vos pieds et vous réjouissez comme les dieux dans vos œuvres de la journée… Ici coule le Mein, juste de l’autre côté s’étend Bergen, sur une colline derrière Kornfeld. Vous avez ouï parler de la journée de Bergen[4]. À ma gauche, le gris, le déplaisant Francfort, vide pour moi désormais ; à ma droite, de jolis villages échelonnés sur la hauteur ; en bas, le jardin et la terrasse sur le Mein, et sur ma table un mouchoir, un panier, un fichu. Aujourd’hui nous montons à cheval ; ici pend une robe, là une montre, puis des boîtes, des cartons à bonnets, à chapeaux. — J’entends sa voix ! — Elle veut que j’attende pendant qu’elle s’habille. — Chère Auguste, je vous décris tout ce qui se passe autour de moi, afin d’échapper, s’il est possible, par ce coup d’œil des sens, aux esprits qui me harcellent. — Lili a été très étonnée de me trouver là. Elle m’a demandé à qui j’écrivais, je lui ai dit, à vous. Adieu, Auguste, écrivez-moi. Vos frères vous auront envoyé leur silhouette. — Au nom du ciel, ne montrez mes lettres à personne. »

Cette lettre est signée der Unruhige, l’inquiet. Ne rions pas trop de la sentimentalité quelque peu naïve ; au temps de Jean-Jacques et des Confessions, elle eût passé. D’ailleurs, au jeune étudiant qui vient d’écrire Werther, cette emphase du cœur ne messied pas ; elle est là, si l’on veut, comme un trait caractéristique du moment, comme un point du costume, et je l’aime presque autant que cet œil de poudre sur les cheveux cendrés de miss Harlowe, non qu’à tout prendre cette inquiétude doive effrayer. Au milieu de ces dissonances intérieures, à travers cet état de trouble et de confusion, une lucidité trop réelle apparaît pour qu’on puisse sérieusement être alarmé. Le patient lui-même n’ignore pas, et cela dans ses plus vives angoisses, que tôt ou tard il guérira. Ce n’est donc là qu’une crise, mais une crise qui, par l’importance du sujet dont elle a choisi le cœur pour théâtre, mérite qu’on l’observe et qu’on l’étudie. Après avoir tant de fois cherché à trouver Goethe dans Werther, ne sera-t-il pas facile, d’après les lettres qui vont suivre, de reconnaître Werther dans Goethe ?

14 septembre.

« Aujourd’hui je suis calme, ce qui n’empêche pas que le serpent ne dorme sous l’herbe. Écoutez-moi, Auguste, j’ai le pressentiment que vous me sauverez d’une affreuse peine, nulle autre femme que vous ne le peut. Merci pour la description que vous me faites de ce qui vous entoure. Si j’avais seulement une silhouette de vos traits ! Que ne puis-je aller à vous ! Dernièrement je faisais le voyage, je parcourais l’Allemagne en triste équipage sans regarder à gauche ni à droite. Je me dirigeais en toute hâte vers Copenhague ; j’arrivais, j’entrais dans votre chambre, je me précipitais à vos pieds, et je m’écriais tout en larmes : Auguste, c’est toi ! — C’était une heure fortunée, car tout cela se passait comme je vous le raconte, dans ma tête et dans mon cœur ! Ce que vous dites de Lili est très vrai. Malheureusement, plus je me retire, plus se resserre le lien magique qui m’attache à elle. Je ne puis ni ne veux tout vous dire, ce qui se passe est trop près de moi, je n’ai pas de souvenirs. Ange ! votre lettre retentit toujours dans mes oreilles comme la trompette au cœur du guerrier endormi. Plut à Dieu que vos yeux fussent pour moi le bouclier d’Ubald et m’éclairassent sur la profondeur de ma misère ! — Mais laissons cela, il n’est donné qu’au regard de feu du moment de sonder le cœur humain. — Je vous quitte pour aller à table.

« Après dîner. — Tes bonnes paroles ne me sortaient pas de l’esprit, et quelque chose en moi me disait : N’est-ce point un excès d’orgueil de prétendre que cette jeune fille te connaisse et qu’elle t’aime ; toi-même la connais-tu donc bien, et si elle est autre que toi, ne vaut-elle pas mieux ? — Auguste ! laisse mon silence te dire ce que nulle parole ne saurait exprimer.

« Bonne nuit, Auguste ! Aujourd’hui, l’après-midi a été bonne, chose rare ! d’autant plus rare, que j’avais à tenir compagnie à deux princesses. — Bonne nuit ! — Je veux t’envoyer ainsi mon journal, c’est ce qu’il y a de mieux. Fais de même pour moi, je hais les lettres, les explications et les discussions. Bonne nuit ! C’est pour la troisième fois que je te quitte et reviens sur mes pas ; je fais comme les amoureux qui prennent leur chapeau pour se rasseoir. Ah ! si tu pouvais huit jours seulement sentir mon cœur sur ton cœur, mon regard dans le tien ! Ce que nous voyons ici passe comme l’éclair, et toi seule peux le comprendre. »


Du 15. — « Bonjour ! — Vous ne devineriez jamais ce qui m’occupe ? Un masque pour le bal de mardi.

« Après-dîner. — Je quitte la table pour venir te dire ce qui me trottait par l’esprit dans l’autre pièce, à savoir que jamais aucune femme ne me fut aussi chère que Auguste. — Et mon costume ! Ce sera l’ancien costume allemand noir et jaune, haut-de-chausses, pourpoint, chapeau retroussé avec une plume. Combien je remercie le ciel de m’envoyer cette poupée pour deux jours, si toutefois cela dure autant !

« Trois heures et demie. — Tombé dans l’eau comme je le pressentais. Mon costume ne peut être prêt, et Lili ne va pas au bal. Je voudrais pouvoir me présenter à toi tel que je suis, seigneur Dieu ! En un pareil changement, toujours le même ! »


Du 16. — « Des songes presque funestes m’ont inquiété toute la nuit. Ce matin encore, en m’éveillant de bonne heure, j’avais peine à les secouer ; mais sitôt que j’ai vu le soleil, j’ai sauté à bas du lit et me suis promené de long en large dans la chambre ; j’ai caressé mon cœur si doucement, si doucement ! je me suis senti plus léger, et la conviction m’est venue que je guérirais, et que de moi sortirait encore quelque chose ! Bon courage ! donc, Auguste ! — Ne nous en remettons pas à la vie éternelle ; ici encore nous pouvons être heureux, ici encore il me reste à voir Auguste, la seule jeune fille dont le cœur batte vraiment dans mon sein.

« Trois heures et demie après-midi. — Matinée ouverte et bonne ; j’ai fait quelque chose pour Lili ; elle avait du monde, et, comme une espiègle qu’elle est, m’a joué le tour de me pousser, en sortant de table, au milieu d’un cercle d’étrangers et de connaissances. Je pars à l’instant pour Offenbach, afin de ne pas la rencontrer ce soir au spectacle, demain au concert. J’emporte ma lettre, que je continuerai là-bas.

« Offenbach, sept heures. — Chère Auguste ! — me voici encore à cette table où je vous écrivais avant d’aller en Suisse. Un jeune couple, marié seulement depuis huit jours, loge dans la chambre voisine, et j’entends soupirer sur son lit une jeune femme qui languit déjà dans l’espoir si doux d’être bientôt mère. Adieu pour ce soir ; il est nuit, et le Mein brille entre ses rives sombres.

« Offenbach, dimanche, dix heures du soir. — Journée pénible et triste : en me levant, j’étais bien. J’ai écrit une scène de mon Faust ; ensuite j’ai perdu deux heures, après quoi je suis allé faire ma cour à une jolie fille dont tes frères t’auront parlé, et qui est bien la plus singulière créature que je connaisse. J’ai mangé, dans une compagnie où je dînais, une douzaine de petits oiseaux, aussi vrai que Dieu les a créés ; puis je me suis promené sur le fleuve en dirigeant moi-même le canot (j’ai la fureur d’apprendre à naviguer), puis j’ai joué deux heures au pharaon, et me suis attardé deux autres heures à converser avec de braves gens, et maintenant me voici à ma table pour te dire bonsoir. Et cependant que d’angoisses et de troubles ! Comment te dire ce que j’éprouvais au milieu de ces distractions. Je n’ai pas cessé de souffrir ; j’étais comme un rat qui a mangé de l’arsenic : il court dans tous les coins, absorbe toute humidité, dévore tout ce qu’il rencontre sur son passage, tandis qu’une flamme intérieure, qu’une ardeur mortelle, inextinguible, lui consume le sang[5]. Et dire qu’il y a huit jours Lili était ici, et que je m’oubliais à cette heure dans la plus affreuse, la plus solennelle, la plus douce crise où

« Lundi, 18. — Mon petit navire attend, nous allons descendre le fleuve. — Splendide matinée ! le brouillard est tombé, tout est frais et lumineux à la ronde. — Et moi je retourne à la ville, je vais reprendre le seau des Danaïdes ! Adieu !

« Je respire librement la fraîche matinée ! Chère Auguste, je le sens, mon cœur finira par s’ouvrir à la vraie volupté, à la vraie souffrance, et tôt ou tard cessera d’être ainsi ballotté, entre le ciel et l’enfer, sur les vagues de l’imagination et d’une sensibilité extravagante. Chère, écris-moi aussi un journal, il n’est que ce moyen de vaincre cette éternelle distance.

« Lundi, minuit, Francfort, à ma table. — Je rentre pour te dire bonsoir. J’ai erré, je me suis étourdi toute la journée. Ô chère, qu’est-ce donc que la vie de l’homme, et tant de biens qui s’amoncèlent à mes pieds, tant d’amour qui m’entoure ? — J’ai vu Lili aujourd’hui après dîner, je l’ai vue au spectacle, et je n’ai pas eu un mot à lui dire, nous ne nous sommes pas parlé ; ah ! fussé-je délivré de cette angoisse ! Et pourtant, Auguste, je tressaille à la seule idée qu’elle pourrait me devenir indifférente. En attendant, je reste fidèle à mon cœur et laisse faire.

« Mardi, sept heures du matin. — Dans les plaisirs et la dissipation ! Auguste, je me laisse entraîner et ne dirige le gouvernail que pour m’empêcher d’engraver, et cependant j’ai engravé et ne puis m’arracher à son influence. Ce matin, le vent souffle pour elle dans mon cœur ! — Grande et sévère leçon ! — Néanmoins je vais au bal, pour l’amour d’une gracieuse créature, mais simplement, en domino. Lili n’y vient pas.

« Trois heures et demie après midi. — Toujours le même train, poussé par l’oisiveté vers les dominos et les chiffons à travers mille niaiseries. J’ai pourtant bien des choses à te dire encore. Adieu ! je suis un pauvre homme égaré et perdu !

« Huit heures du soir. — Je rentre du spectacle, et viens m’habiller pour le bal. — Ah ! chère Auguste, lorsque je relis cette lettre ! quelle vie ! Persisterai-je, ou bien dois-je en finir pour toujours ? Et pourtant, chère, lorsque je sens tant de parcelles se détacher de mon cœur, lorsque je vois se détendre cet état convulsif dont ma chétive et folle organisation était la proie, se rasséréner mon coup d’œil, mes relations avec les hommes gagner en sûreté, en force, en étendue, et cela sans que mon être intérieur s’amoindrisse, sans que mon cœur cesse d’être voué pour jamais à l’empire sacré de l’amour, qui peu à peu refoule tout élément étranger par cet esprit de pureté qu’il est lui-même, oh ! alors, je me laisse aller. — Peut-être me trompé-je ? n’importe, je rends grace à Dieu. Bonne nuit, adieu !

Il n’y a pas à s’y méprendre : la guérison dès long-temps entrevue se déclare cette fois ouvertement. Voilà, nous pouvons le dire, une cure habilement conduite. Goethe, si on l’a remarqué, ne s’arrête pas aux expédiens en usage chez les poètes ordinaires ; dès le premier moment, il tranche dans le vif, il a recours aux grands moyens. La dissipation, les voyages, les galanteries faciles, et, çà et là, aux bons momens, l’étude et le travail ; un homme du monde, roué aux intrigues, ne s’en fût pas mieux tiré. Il y a, dans ce joli roman, des contradictions qui me ravissent. Avez-vous jamais vu tant d’exaltation sentimentale, de poésie expansive, se marier à plus d’expérience et de jugement ? Comme il calcule et prévoit tout, comme sa raison n’abdique jamais, et cela, même dans ses accès de délire ! Est-ce à dire qu’on doive accuser le poète de n’être pas de bonne foi ? Non, certes ; c’est un des rares priviléges de cette organisation puissante que l’homme et le poète, loin de s’exclure, s’aident l’un l’autre et se complètent. Et voilà pourquoi, dans certaines occasions difficiles, celle-ci par exemple, quand un poète ordinaire eût chanté, lui agit. La lettre qui suit constate un dernier progrès dans sa guérison, désormais radicale :

« J’ai passé la nuit au bal, et n’ai dansé que deux menuets, occupé que j’étais à tenir compagnie à une aimable personne qui toussait. Si je te disais mes relations nouvelles avec les plus douces, les plus nobles ames féminines, si je pouvais, de vive voix ; non, quand je le pourrais, je ne l’oserais, et tu n’y tiendrais pas. Moi aussi j’aurais succombé, si tout s’écroulait à la fois, et, si la nature, dans sa prévoyance économe, n’avait soin de nous administrer chaque jour quelque grain d’oubli. Il est maintenant huit heures, j’ai dormi jusqu’à une heure, j’ai dîné, pris quelques soins, je me suis habillé, présenté au prince de Meiningen, j’ai été à la promenade, au spectacle, dit sept mots à Lili et me voici. Addio ! »

Cette lettre est la dernière où le nom de Lili soit prononcé ; déjà sa résolution était prise de se rendre à Weimar, où le jeune couple grand-ducal devait l’emmener à son retour de Carlsbad. Lui-même a pris soin d’expliquer les raisons qui le déterminèrent à cette époque. « J’avais reçu de ce côté tant d’accueil et de prévenances, écrit-il dans ses mémoires, que je gardais à leurs altesses une reconnaissance qui tenait presque de la passion. L’attachement que j’avais conçu dès l’abord pour le grand-duc, mon culte pour la princesse, que je connaissais dès long-temps, bien que seulement de vue, mon désir de nouer des relations amicales avec Wieland, qui s’était conduit à mon égard d’une si noble manière, et de régulariser en temps et lieu mes désordres, moitié volontaires, moitié occasionnés par les circonstances, c’étaient là des motifs irrésistibles et faits pour agir même sur un jeune homme ayant le cœur libre. Mais, à cette époque, j’en étais venu à cette extrémité, qu’il me fallait fuir Lili d’une manière ou de l’autre, soit pour me diriger vers le sud, où les récits de mon père me représentaient chaque jour le plus beau ciel de la nature et des arts, soit pour me rendre dans le nord, où m’attirait un si glorieux cercle d’hommes éminens. » Ainsi s’éteignit cet amour, sans rien tenir de ce que le monde en attendait, bien qu’au sens de Goethe il eût donné peut-être davantage, puisqu’il en résulta pour lui un centre d’activité plus solide et plus invulnérable. On ne saurait nier que ce penchant de Goethe à s’appuyer sur la réalité ne lui ait considérablement profité dans ses œuvres, et c’est une folie de prétendre, comme l’ont fait en Allemagne certains coryphées d’une réaction avortée, que sans cette tendance pratique il eût été plus grand. C’est au contraire à cette tendance qu’il doit l’ordre de son esprit, la mesure de ses productions, et, comme il le dit lui-même, sans elle il risquait de se perdre. Qu’il eût touché au but atteint en épousant Lili ou qu’il l’eût dépassé, c’est ce qu’il ne nous appartient pas de discuter. Quoi qu’il en soit, il arriva à ces fraîches amours ce qui arrive à tant d’autres qui s’en vont, nobles tiges dispersées par les vents de l’existence, porter ici et là, celle-ci dans un poème ou dans un drame, celle-là dans les soins prosaïques du ménage, des germes chauffés au soleil d’une première passion. Lili se maria quelque temps après à M. de Turkheim, à Strasbourg, et mourut en 1815, le 6 mai. J’ai beau chercher dans les poésies de Goethe, je n’y trouve nul écho de cette mort. Il semble pourtant qu’une pensée mélancolique, une larme donnée à travers le temps à cette fraîche créature qu’il avait tant aimée ou cru aimer eût bien fait dans le cycle des poésies assez nombreuses qu’elle lui inspira ; mais Goethe, comme on sait, n’était pas l’homme des émotions rétrospectives : d’ailleurs, à l’époque où Lili mourut, la Suléika du Divan accaparait tous les trésors de son imagination.

Goethe arriva à Weimar en novembre 1775. Ici commence une vie nouvelle ; les amitiés illustres se le disputent ; on le visite, on l’entoure, on le choie, on l’accable d’honneurs et de prévenances ; Charles-Auguste surtout ne le quitte plus un seul instant[6] ; c’est un engouement, un fanatisme dont rien n’approche. Le nouveau Jupiter prend possession de son olympe, et dans cet inextinguible hurrah qui l’accueille à la table grand-ducale, transformée pour un jour en banquet des dieux, ses sensations antérieures s’émoussent et disparaissent. Lili, Auguste, il oublie tout et s’oublie lui-même ; à peine s’il trouve le temps, entre deux coupes de nectar, de laisser tomber de sa plume ces lignes empreintes de ce trouble divin assez commun aux mortels qui se transfigurent :

Weimar, 11 février 1776.

« Puisses-tu, chère Auguste, interpréter mon silence ! Je ne puis, je ne puis rien dire ! »

La crise fut si violente qu’elle faillit lui coûter la vie ; quelques jours après avoir écrit ce billet, il tomba malade, et peu s’en fallut que la céleste mue ne s’accomplît chez lui plus radicalement qu’il ne le souhaitait. Cette maladie fut le coup de tonnerre après l’orage ; elle changea la température, jusque-là inégale, et décida le beau, le calme, le ciel bleu sur lequel les nuages ne devaient plus que glisser. Une fois en convalescence, il songe à rentrer dans la vie, mais sous d’autres conditions. Aux désordres, aux vicissitudes d’une existence de jeune homme livrée à tous les vents qui passent, va succéder la méthode et l’économie domestique. Désormais le sentiment du bien-être et des relations commodes régnera dans son cœur à la place que les passions ont essayé d’occuper. C’est plaisir de le voir s’installer dans la jolie villa au bord de l’Ilm, qu’il tient de l’amitié de Charles-Auguste. Il dessine lui-même son jardin, arrange ses bancs de gazon pour que le repos y descende sur son ame, et le soir, assis devant sa porte, écoute les oiseaux lui chanter quelque chose. Peu à peu sa correspondance avec la comtesse Auguste se renoue, et l’homme heureux, l’homme qui a trouvé le chemin de la quiétude, vous apparaît à tout instant dans ces mille riens dont abonde ce journal, qui désormais raconte plus qu’il ne discute.

28 août 1776.

« Bonjour, Auguste. Ma première pensée, en sautant du lit, est pour toi. Une belle et riche matinée, mais fraîche ; le soleil donne déjà sur mes prés. — La rosée flotte encore sur l’eau. Cher ange ! Pourquoi faut-il que nous vivions si éloignés l’un de l’autre ? Je m’en vais jusqu’à la rivière voir s’il y a moyen de tirer quelques canards sauvages.

« Vers midi. — Je me suis attardé à la chasse ; j’ai surpris un canard. Je ne suis rentré que tout à l’heure, dans le mouvement de la journée, et maintenant me voilà complètement désœuvré jusqu’à demain. Adieu, cependant.

« Quatre heures après-midi. — J’attends Wield, sa femme et ses enfans. J’ai pensé beaucoup à toi aujourd’hui.

« Sept heures du soir. — Ils me quittent à l’instant, — et maintenant plus rien. — Dieu soit loué ! un jour où je n’ai rien écrit, rien pensé, où je me suis laissé aller aux seules impressions de mes sens ! »

Ainsi se prolonge quelque temps encore cette correspondance, où Goethe continua d’enregistrer jour par jour, heure par heure, toutes les sensations, tous les accidens de cette existence dont il écoutait les moindres pulsations, comme on ferait du mécanisme d’une montre. Cependant, vers l’époque du second voyage en Suisse, qu’il entreprit dans la compagnie de Charles-Auguste, une ombre vint offusquer ces relations jusque-là tout idéales. La manière un peu dégagée dont Léopold Stolberg en usa avec le grand-duc de Weimar (sur le chapitre de son grand-duc Goethe n’admettait pas la plaisanterie) amena chez le poète, susceptible au dernier degré, une réserve qui devait dégénérer en froideur. Peu à peu la correspondance se ralentit, et les relations finirent par devenir si rares, qu’à dater du voyage dont nous parlons on en perd la trace ; quelques lignes en 78, quelques lignes encore en 80, un signe de vie en 82, puis plus rien. Là s’arrêtent les rapports de Goethe avec la comtesse Auguste, pour ne se renouer que quarante ans plus tard. Mais n’anticipons pas sur les évènemens, et tâchons d’éclaircir les motifs qui séparèrent, dans la maturité de l’âge et de la vie, ces deux grandes ames, instinctivement portées l’une vers l’autre, et dont les sympathies, refoulées, mais non mortes, avaient encore à dire leur dernier mot dans une occasion bien solennelle.

Et d’abord, sans trop creuser le fond des choses, les mille occupations nouvelles qui sollicitèrent tout à coup l’activité de Goethe, ne devaient plus beaucoup lui permettre de s’oublier ainsi à tout moment dans les aimables causeries d’une correspondance féminine. Au milieu de tant d’affaires hétérogènes auxquelles sa nature, à coup sûr, pouvait suffire, mais dont la vie qu’il menait à Francfort ne lui avait nullement donné l’expérience, c’en était assez pour lui que de se reconnaître. Quoi qu’il en soit, avec cette correspondance se relâchèrent tous les liens qui l’attachaient à la famille Stolberg. Un manque de parole de Frédéric-Léopold au grand-duc de Weimar commença, nous l’avons dit, à l’indisposer contre les deux frères, dont celui-ci, le plus jeune, était son favori. Le grand-duc Charles-Auguste, alors occupé à former autour de lui ce groupe d’esprits distingués dont son règne s’honore, avait offert au comte Léopold de prendre du service à sa cour. Léopold, flatté des avances du prince, s’engagea, puis, détourné par je ne sais quelles représentations acrimonieuses du vieux Klopstock, qui prétendait craindre pour son élève le séjour de Weimar, il changea brusquement d’opinion, et ne prit même pas la peine de motiver son refus. C’en était assez pour que Goethe, inexorable sur l’étiquette (et il y avait plus ici qu’un manque d’étiquette), ne lui pardonnât jamais. D’ailleurs, si on l’a remarqué, les relations qui existaient entre lui et les frères Stolberg n’avaient rien de bien sentimental. Nés aux deux extrémités de l’Allemagne, des affinités intellectuelles furent le seul mobile qui les rapprocha. Il n’y eut rien, dans cet attachement de passage, dans cette liaison de plaisir et de mode, rien de cette estime raisonnée, de cette habitude de vivre ensemble qui fondent la vraie amitié. Goethe et les Stolberg s’étaient rencontrés, non connus. Aussi s’explique-t-on sans peine comment, en les perdant de vue, Goethe les relégua au second plan de ses souvenirs, un peu dans le fond du tableau dont la jeune cour de Weimar occupait le devant. De leur côté, les Stolberg en firent autant. Christian, devenu bailli à Tremsbüttel, Frédéric-Léopold, aussi dans les emplois, l’un et l’autre avaient dit adieu aux rêves de jeunesse. Pour la comtesse Auguste, elle continua à vivre de la vie de famille, et, vers trente ans, épousa son beau-frère, le comte Andreas-Pierre de Bernstorf, alors veuf de sa sœur aînée. — En 1788, Léopold Stolberg perdit sa femme, après six ans de mariage, et cette mort porta toutes ses idées vers la dévotion. Après une jeunesse orageuse et quelque peu relâchée, Léopold avait trouvé le calme dans cette union avec une noble et excellente personne qu’il adorait ; cette alliance une fois rompue, la fougue inquiète de sa nature se réveilla, et, comme il arrive presque toujours, se tourna vers d’autres fins extrêmes. Ses idées devinrent dogmatiques, et peu à peu il inclina au catholicisme, qu’il finit par embrasser avec une ardeur de prosélyte dont toute l’Allemagne fut émue. Une pareille conduite ne pouvait que déplaire à tous ses amis, qui ne tardèrent pas d’accueillir avec toute sorte de sarcasmes les tendances ultramontaines de leur ancien compagnon de plaisir. Je trouve dans la correspondance de Goethe avec Schiller, ainsi que dans le Xenies, petit recueil de satires et de bons mots qu’ils décochèrent en commun, on le sait, contre les travers de leur temps, littéraires et autres, plus d’une allusion mordante aux circonstances, plus d’un grêlon perdu de cette averse épigrammatique. Goethe haïssait trop ouvertement le mysticisme pour ne pas condamner dans l’ame toute espèce de tentative faite de ce côté.

Cependant, autant qu’il le put, il se tint éloigné de la querelle. Quelques lignes égarées dans l’ensemble de ses poésies[7], et dont on ne saisit le sens qu’à la condition de se reporter vers les débats théologiques de cette époque, prouvent seulement à quel point lui répugnaient toutes ces controverses qui ne servent qu’à fomenter les animosités et la discorde. Du reste, il observa sa règle de conduite ordinaire, qui consistait à laisser faire et dire, et à méditer silencieusement sur ce qui se passait. Religion ou politique, il avait, à l’égard de toute polémique violente, une passivité dont il ne se départait pas. Alors comme aujourd’hui, les hommes du mouvement, de la presse quotidienne comme on dit, lui faisaient un crime de son indifférence. Lui, qui doutait de tout hormis de la raison humaine et de l’art, retournait en souriant à son œuvre, à cet Albambra merveilleux qu’il construisait à distance des orages du siècle, et s’occupait, tandis que les autres s’entredéchiraient, à creuser pour les mille sources jaillissantes de sa fantaisie des lits de cailloux fins sous des bosquets de myrtes et de lauriers-roses.

La famille Stolberg, originaire du Holstein, appartenait à ce protestantisme austère et rigoriste du nord de l’Allemagne ; on comprend dès-lors quel coup dut lui porter la conversion éclatante de l’un de ses principaux membres au catholicisme. Cependant, si cruelle que fût cette épreuve, dont le scandale s’était emparé, la famille en ressentit moins d’indignation que de tristesse ; on raconte même qu’une sœur de Frédéric-Léopold suivit l’impulsion donnée et se fit catholique, pensant, dans son fraternel entraînement, qu’une religion que son frère bien-aimé s’était choisie devait avoir pour elle des trésors de grace et de consolation que les autres ignorent. Mais le sens protestant du Holstein ne tarda pas à reprendre ses droits, et quinze jours s’étaient à peine écoulés depuis sa conversion que la catéchumène irrésolue revenait à son ancienne croyance. Il y eut un moment où les querelles de religion semblèrent revivre. Le vieux protestantisme, mis en émoi par de nombreuses et de solennelles défections, releva la tête pour se défendre, et plus grandissait chez les uns cette fièvre de conversion, plus les autres jetaient feu et flamme. Vainement Goethe essaya de rétablir la paix entre les deux partis en s’écriant que dans le royaume de l’autre monde il y avait plus d’une province. Ces belles paroles, que nous retrouverons tout à l’heure dans sa dernière lettre à la comtesse Auguste, loin de calmer les esprits suscitèrent chez les partisans de l’orthodoxie les réclamations les plus vives. L’impulsion était donnée, et pendant quelque temps les passions religieuses occupèrent à elles seules cet enthousiasme que les sentimens de nationalité devaient, avec plus de raison, enflammer peu après. Comme on pense, dans ce conflit universel, Goethe eut plus d’un assaut à soutenir ; sa répugnance insurmontable à se mêler à tous débats de ce genre, l’attitude froide et réservée qu’il affectait, son ironique indifférence, finirent par lui valoir les attaques des deux partis. Ce que voyant, il n’en devint que plus impassible et n’eut pas même l’air de s’en apercevoir, un peu semblable au commandant de cette forteresse construite au dernier pic du Iungfrau, et qui, tandis qu’on le bombardait de la vallée, laissait faire, bien certain que l’orage ne monterait pas jusqu’à lui. Plus d’une épigramme ayant trait à cette époque, et qu’il décochait d’en haut, comme on décharge par intervalles sa carabine sur un ennemi impuissant, prouve toutefois que, s’il se tint à l’écart des petites passions du moment, il n’en comprenait pas moins bien le fond de la question. Je citerai entre autres ce quatrain composé évidemment pour la circonstance :

« Attachez-vous à suivre la voix sacrée de la vérité, et vous ne tromperez jamais ni vous ni les autres. Certaine dévotion laisse vivre le faux, et voilà pourquoi je la hais.

Et celui-ci, où reparaît, sous le ton du badinage, cette espèce de culte qu’il professait partout pour la jeunesse et la santé :

« Si quelque jolie fillette veut bien prendre souci de mon salut, son tendre cœur est déjà voué à l’amour. Quant aux remontrances que la veuve d’un prêtre me débite du coin de son poële, je n’y vois que vanité et chaos. — Je n’ai que faire de vos recommandations auprès du Sauveur, et l’homme sain le connaît mieux que les malades.

Cependant, en présence de la démarche de Stolberg, son impassibilité ordinaire perdit un moment contenance. Il faut croire que cette conversion lui causa quelque douleur, qu’il en fut même affecté aussi vivement qu’il pouvait l’être. Un soir, dans une société d’Iéna, les dames, qui venaient de lire l’Histoire de l’église de Stolberg, lui demandèrent son opinion sur cet ouvrage, alors fort en vogue, et dont la grave Allemagne se préoccupait au moins aussi ardemment que nous pourrions le faire du roman du jour : Goethe, jusque-là d’une humeur enjouée, fronça le sourcil dès qu’on le mit sur ce chapitre, et finit par donner pour toute explication qu’il fallait se méfier de semblables livres, bons seulement à fausser le jugement en matière divine et humaine et à vous inspirer des préventions qui, le plus souvent, influaient sur les plus simples actes de l’existence ; que, du reste, pour lui, il en avait horreur. On raconte qu’après cette sortie, qui avait paru lui coûter beaucoup, il devint de plus en plus morose et taciturne, et que, bien qu’il se trouvât au milieu d’un cercle de femmes spirituelles et causant volontiers, il n’y eut plus moyen, tout le reste de la soirée, de tirer de lui autre chose que des monosyllabes.

Du reste, cette amertume de cœur survécut chez lui aux évènemens. En 1820, l’impression subsistait encore assez vive pour lui dicter ces lignes, qu’il écrivait dans un de ses momens de retour sur le passé :

« La querelle entre Voss et Stolberg me toucha sensiblement, et donna lieu pour moi à plus d’une réflexion. — Il arrive dans la vie qu’après vingt ans de mariage, un couple, en secret désuni, demande la séparation, et chacun de s’écrier alors : « D’où vient que vous avez patienté si long-temps, et pourquoi ne point patienter encore jusqu’à la fin ? » Cependant un tel reproche est ce qu’il y a de plus injuste. Quiconque a pris la peine de peser dans toute sa valeur la condition grave et digne que le mariage constitue dans une société moralement organisée, avouera combien c’est une chose dangereuse de se démettre d’une semblable dignité, et se posera cette question, à savoir s’il ne vaut pas mieux se résigner aux désagrémens du jour, et prendre son parti sur des tribulations qu’on est, la plupart du temps, en état de supporter, que de brusquer un dénouement qui, après tout, s’offrira de lui-même en désespoir de cause. Il en est de même d’une amitié contractée dans la jeunesse. Ces liens formés dans les premiers beaux jours, dans ces jours qui se développent riches d’espérances, ces liens-là sont absolus. On n’entrevoit alors, ni pour le moment, ni pour l’éternité, aucun sujet possible de discorde. Ce premier engagement se place bien plus haut qu’une alliance contractée à l’autel entre deux amoureux, car elle est pure et ne se hausse sur aucun désir dont la satisfaction laisse craindre un pas en arrière ; et voilà ce qui fait qu’il semble impossible qu’on renonce jamais à une affection de jeunesse, même lorsque de menaçantes différences se déclarent et reviennent à la charge pour la battre la brèche.

« Quand on réfléchit à la situation de Voss vis-à-vis de Stolberg, il est impossible de ne pas être frappé d’une différence telle qu’elle ne permet pas d’espérer la moindre égalité dans les relations. Deux frères, jeunes patriciens qui se font remarquer au café des étudians par la recherche du service et de la bonne chère, derrière qui se meut en sens divers toute une lignée d’aïeux, comment imaginer qu’un brave et rude autochtone, isolé de toute coterie, puisse former avec eux une liaison durable ? Des deux côtés, les rapports sont précaires ; une certaine libéralité de jeunesse et de cœur, jointe à de mutuelles tendances esthétiques, les rassemble sans les unir ; car qu’est-ce qu’une communauté de poésie et de pensée contre des idiotismes innés, contre des différences dans la manière de vivre et la condition ? »

Voss n’est-il pas un peu mis ici pour Goethe lui-même ? Cette amitié de jeunesse, ces incompatibilités tardives, comme aussi la différence de rang et de fortune, tout cela ne rappelle-t-il pas la position du jeune Wolfgang vis-à-vis des comtes Stolberg lors du premier voyage en Suisse ? L’identité des circonstances est remarquable, d’autant plus que le passage en question coïncide parfaitement avec un autre écrit plus de quinze ans auparavant, et dans lequel il disait, en parlant cette fois de lui-même :

« La conversion publique de Stolberg au culte catholique brisa les plus beaux liens antérieurement noués. Quant à moi, je n’y perdis rien, mes rapports d’intimité avec lui ayant dès long-temps dégénéré en une bienveillance banale. Je m’étais senti de bonne heure, à son, égard, une de ces franches inclinations qu’on a pour un homme vaillant, aimant et digne d’être aimé. Cependant je ne tardai pas à m’apercevoir qu’il ne saurait jamais s’appuyer sur lui-même, et finis par être convaincu qu’il cherchait en dehors du centre de mon activité, son repos et son salut. Aussi l’évènement n’eut-il pas de quoi me surprendre : depuis long-temps je le regardais comme un véritable catholique, et en effet il l’était par ses idées, par ses démarches, par son entourage ; de la sorte j’envisageais d’avance avec calme le tumulte qui devait finir par jaillir de la manifestation ultérieure de nos secrets malentendus. »

Quant à la comtesse Auguste, il conserva d’elle, jusqu’à la fin, un souvenir plein de respect, mais trop intimement lié à certaines circonstances de jeunesse pour qu’il ne s’y mêlât point quelque amertume à mesure qu’il avançait en âge. Elle, de son côté, ne se démentit pas dans son affection. Elle était de ces ames pieuses pour lesquelles un premier sentiment reste sacré lors même qu’un développement ultérieur, qu’elles ne peuvent adopter, les éloigne dans la suite de l’ami d’autrefois. Nous avons vu dans Auguste l’espiègle jeune fille, l’aimable enfant inspirant, sans le vouloir, une passion tout idéale dont elle accepte gaiement l’hommage sans fol empressement ni pruderie, en personne d’esprit et de cœur ; je voudrais maintenant montrer chez elle la femme austère, la puritaine qu’un soin religieux préoccupe. Quelques passages d’une lettre de Mme de Binzer, que la comtesse Auguste devait plus tard instituer dépositaire de sa correspondance avec Goethe, indiqueront ici, mieux que nous ne pourrions le faire, certains reliefs de cette noble figure de matrone affable et souriante en son rigorisme.

« J’ai passé hier la soirée chez la vieille comtesse Bernstorf (Kiel, 28 mai 1830). Décidément je ne saurais voir cette femme sans éprouver un sentiment de respect et de vénération profonde. Quelle noblesse et quelle dignité sur ce visage que le temps a pu flétrir, mais dont il n’enlèvera jamais le caractère auguste ! Que de bienveillance et d’aimable résignation sur ce front couronné d’épaisses boucles de cheveux blancs ! La comtesse est petite ; mais tant de dignité, d’élévation respire dans son air ! Sa simplicité surtout, sa douceur angélique me ravissent. Je ne saurais dire combien j’ai en moi de sympathie pour ces natures délicatement pieuses qui, sous les dehors de la plus discrète tolérance, n’en conservent pas moins dans l’ame d’inébranlables convictions, qui mettraient plutôt en doute la renaissance des fleurs au printemps que la résurrection au dernier jour, et qui, laissant de côté toutes ces nuances frivoles dont nous nous payons, ne reconnaissent en fin de compte que deux choses, le bien et le mal, l’honnête et le déshonnête. Bien loin de blâmer à tout propos, elles travaillent à convertir chacun, car c’est pour elles une affaire de cœur de chercher à procurer aux autres la paix profonde dont elles jouissent. Nul malheur ne les abat, nulle perte ne les décourage. Ce que ce monde leur refuse, elles espèrent le retrouver dans l’autre, et n’aperçoivent au-delà des portes funèbres du tombeau qu’un royaume divin plein de joie infinie où il y a place pour tous, et où elles voudraient tous entraîner avec elles. La vieille comtesse a dans sa manière de s’exprimer une certaine solennité qu’on serait parfois tenté de prendre pour du pédantisme ; mais ce ton de réserve absolue, cette façon de se tenir en garde contre toute vivacité inopportune sont des particularités essentielles que je ne saurais oublier dans ce portrait. — J’aurai toujours devant les yeux ses beaux cheveux blancs argentés par l’âge et ce noble front qui semble déjà ne plus donner asile aux émotions terrestres… »

On conçoit, d’après cela, que de cruels mécomptes attendaient dans la vie cette femme, ardente amie, non moins que zélée protestante, et suivant, du fond de sa croyance austère et puritaine, Goethe pas à pas dans son développement intellectuel. Il suffit de parcourir l’œuvre de ce génie superbe, en lutte ouverte avec toute espèce d’autorité sacerdotale, et qui haïrait Dieu s’il le lui fallait voir sous le dogme d’une religion, pour sentir dans quelles perplexités, dans quelles angoisses dut tomber à son sujet une ame dévotement préoccupée du souci de l’éternité. Et sans aller chercher bien loin nos exemples, quel sens pouvaient avoir aux yeux de l’épouse fidèle les Affinités électives, de la protestante scrupuleusement attachée aux principes de la Bible, tant d’autres pièces qu’en dehors du point de vue philosophique on prendrait pour des défis jetés à l’impiété et à l’athéisme ? Se figure-t-on l’amertume que doit endurer une ame sincèrement vouée aux pratiques de la religion en voyant à ses côtés un être qu’elle affectionne se damner de gaieté de cœur ? À l’aspect de ce vieillard qui marchait ainsi vers l’éternité la tête haute et le cœur libre, gardant jusqu’à la fin son franc parler sur tout et ne reniant rien, la noble amie eut peur. Tant de raison aux portes du sépulcre l’épouvanta ; il est des momens où le calme d’un esprit fort peut être pris pour du vertige. Auguste tremblait pour l’ame de Wolfgang. Vingt fois elle fut tentée de lui venir en aide au bord de l’abîme, de lui jeter du fond de sa retraite une de ces paroles que la voix dit à Saul sur le chemin de Damas ; mais je ne sais quelle fausse honte, quelle crainte de voir sa démarche mal interprétée l’avait toujours retenue ! À la fin, cependant, son trouble augmente, elle songe au remords qui pèserait sur elle, si l’avertissement arrivait trop tard et sa conscience, assumant charge d’ame, lui dicte cette lettre qu’elle adresse à Goethe sur-le-champ.


LA COMTESSE BERNSTORF À GOETHE.
Bordesholm, 15 octobre 1822.

« Reconnaîtriez-vous, si je ne me nommais, les traits du temps passé, cette voix qui vous était jadis si bien venue ? Eh bien ! oui, c’est moi, Auguste, la sœur des deux Stolberg si tendrement chéris, si amèrement pleurés et regrettés. Ah ! que ne peuvent-ils, du sein de leur séjour de paix, de ce monde où il leur est donné de contempler celui auquel ils n’ont pas cessé de croire ici-bas, que ne peuvent-ils se joindre à moi pour vous dire : Cher, cher Goethe, tournez-vous enfin vers celui qui se laisse si volontiers trouver, croyez-en celui en qui nous avons cru tant que notre vie a duré ! Et ils ajouteraient encore, les bienheureux : « que nous contemplons désormais ; » et moi, je dis : qui est la vie de ma vie, la lumière de mes sombres jours, qui fut pour nous trois le sentier, la vérité, la vie, notre maître et notre Dieu ! Je laisse encore parler mes frères, qui exprimèrent ce vœu si souvent avec moi : « Cher, cher Goethe, l’ami de notre jeunesse, jouissez, vous aussi, de ces biens qui, déjà sur la terre, étaient notre partage, l’amour, l’espérance, la foi. » Et ils ajouteraient, les bienheureux : « la science et la paix éternelle vous attendent ici. » Pour moi, je ne vis encore que dans l’espérance de cet avenir, bienheureuse espérance, tellement passée chez moi à l’état de certitude, que j’ai peine à apaiser le désir immense qui m’y porte. — Je relisais, ces jours derniers, toutes vos lettres, the songs of other times, la harpe de Selma résonnait à mes oreilles, je vous retrouvais bon pour la petite Stolberg, et moi aussi je vous aimais du fond du cœur. — Non, tout cela ne doit pas périr, mais vivre dans l’éternité ; notre amitié, fleur de notre jeunesse, aura ses fruits dans l’éternité. Je l’ai souvent pensé, et cette idée m’est revenue en relisant la dernière de vos lettres. Dans une de vos lettres, vous me demandiez de vous sauver, je n’ignore pas aujourd’hui combien peu valent mes propres forces, mais je vous en supplie ingénument, vous-même sauvez-vous. N’est-il pas vrai que votre demande d’autrefois me donne quelque droit à cette demande ? Je vous en prie, entendez dans mes paroles la voix de mes frères qui vous aimaient si tendrement : il est un vœu qui me tient à cœur, un vœu dès long-temps exprimé et dont j’ai bien des fois voulu vous faire part, ô Goethe, cher Goethe : renoncez à tout ce que ce monde a de petit, de vain, d’insuffisant, tournez vers l’Éternel vos regards et votre ame ! Il vous a été beaucoup donné, beaucoup confié ; quel crève-cœur ç’a été pour moi bien souvent de vous voir si facilement nuire aux autres dans vos écrits ! — Oh ! revenez au bien tandis qu’il en est temps encore. Implorez une assistance plus haute, et je vous le dis, aussi vrai que Dieu existe, elle ne vous fera point défaut. — Il me semblait que je ne serais pas morte tranquille sans avoir répandu mon ame dans le sein de l’ami de ma jeunesse, et maintenant je crois que je m’endormirai plus doucement lorsque mon heure sonnera. — Ce ne sont pas les années seulement, mais aussi d’indicibles souffrances qui ont blanchi ma tête avant le temps. Cependant jamais n’a chancelé une minute ma confiance en Dieu, mon amour ardent pour mon Sauveur. — À chaque fléau qui m’atteignait, j’entendais une voix s’écrier du fond de mon être : Dieu fait tout pour le mieux. — Le Dieu de ma jeunesse est resté le Dieu de mes vieux jours. — Autrefois, quand nous nous écrivions, j’étais la plus heureuse créature qui fût sur la terre ! Riche par mes parens, adorée des meilleurs des frères, plus tard, la compagne bien-aimée de l’époux de mon cœur ! — Mais, hélas ! quelles épreuves m’attendaient ! le seul enfant auquel j’aie donné la vie, un garçon de quatre ans, mon amour, mon orgueil de mère, — puis-je dire que je le perdis ? Ce qui fut un gain pour lui, mon cœur maternel n’a jamais pu le regarder comme une perte, il gagna le ciel ; pour moi seule fut la douleur, et, dans l’excès de ma souffrance, je remerciai Dieu. — Plus tard, je perdis mon mari ; oh ! ce fut là un coup affreux, une douleur à laquelle rien ne se compare. Cependant mes frères me restaient. Oh ! mes nobles frères, chéris au-delà de toute expression, un torrent m’emporta le plus jeune et brisa pour l’avenir l’organisation jeune encore de l’aîné. Cette perte cruelle suivit l’autre de si près, que je me sentis comme veuve une seconde fois. Même en mon désespoir, je bénis Dieu qui me les rendra tous dans son royaume, frères, époux, amis, enfant. Goethe, cher Goethe, faites aussi que j’emporte avec moi l’espérance de vous y retrouver. Encore une fois, je vous en supplie, vous ne repousserez pas celle que vous nommiez jadis une amie, une sœur. Je vous en supplie, éprouvez à quel point le Seigneur est bon et miséricordieux, et quelle joie attend celui qui se confie à lui.

« Je désire que ceci reste entre vous et moi. — Me répondrez-vous ? Je voudrais bien savoir où vous êtes, ce que vous faites. Je vis pour la plupart du temps retirée à la campagne. Ma chère nièce, la fille de mon plus jeune frère, est auprès de moi. Elle a treize ans ; c’est mon amour et mon bonheur. Je vous tends la main ; votre souvenir ne s’est jamais éteint en moi, et mon intérêt pour vous reste le même. Je fais des vœux pour votre vrai bonheur, et, tant que je vivrai, ne cesserai de prier pour vous ; fasse le ciel que votre ame s’unisse à la mienne ! Mon Sauveur est aussi le vôtre ; en dehors de lui, il n’y a ni salut ni félicité. Vous souviendrez-vous encore de moi ? Je vous en prie, écrivez-moi deux mots. »

Puis en post-scriptum.

« Après être resté quelque temps sans m’écrire, vous me demandiez autrefois, dans une de vos lettres, de renouer le fil de notre amitié, ajoutant qu’il n’y avait qu’une femme pour s’acquitter d’un pareil emploi. Eh bien ! le voilà renoué, ce fil, ô Dieu ! et puisse-t-il s’étendre jusque dans l’éternité ! — Adieu donc, et ne méconnaissez pas mes intentions. »

Voici maintenant quelle fut la réponse de Goethe :

« J’ai été sensiblement ému de recevoir un si doux souvenir de l’ancienne amie de mon cœur, dont mes yeux n’ont jamais vu les traits, et cependant j’hésite et ne sais ce que je dois répondre. Permettez-moi de rester dans la généralité, puisque les conditions particulières nous sont réciproquement inconnues.

« Vivre longuement, c’est survivre à beaucoup, aux amis, aux ennemis, aux indifférens, survivre aux royaumes, aux cités, même aux bois, même aux arbres que nous avons semés et plantés dans notre enfance. Nous nous survivons à nous-mêmes et célébrons avec reconnaissance les moindres facultés qui nous restent du corps et de l’esprit. Tous ces biens périssables nous captivent, et, pour peu que nous ayons toujours devant les yeux l’élément éternel, le temps qui passe n’a plus prise sur nous. Vis-à-vis de moi-même et des autres mes intentions ont toujours été droites, et, dans tous les actes de mon existence, je n’ai jamais cessé de regarder là-haut. Vous et les vôtres en avez fait autant. Continuons de la sorte aussi long-temps que la clarté nous luit ; pour les autres, un soleil aussi se lèvera ; le jour viendra pour eux de s’y produire et de nous éclairer à leur tour.

« Croyez-moi, sur le chapitre de l’avenir restons sans inquiétude ! Dans le royaume de notre père, il y a plus d’une province, et lui, qui nous accorde sur la terre une hospitalité si douce, aura certainement pourvu à ce que là-bas tout soit bien. Peut-être alors nous sera-t-il donné, ce qui jusqu’à présent nous a manqué, de nous voir face à face, et par là de nous aimer plus foncièrement encore. Souvenez-vous de moi en pleine confiance.


« Ce qui précède était écrit peu de temps après la réception de votre chère lettre, mais je n’osais vous l’envoyer, me rappelant avoir jadis, par une manifestation semblable, offensé à mon insu, et bien contre mon gré, vos nobles et dignes frères. Cependant, comme je relève aujourd’hui d’une maladie mortelle et reviens à la vie, je vous l’adresse, afin qu’elle vous annonce directement que le Tout-Puissant m’accorde encore de contempler la lumière de son divin soleil. Je fais des vœux pour qu’à vous aussi le jour soit favorable, et que vous vous souveniez de moi avec tendresse, comme, de mon côté, je n’oublierai jamais ce temps dans lequel agissait encore réuni ce qui, plus tard, devait se séparer.

« Puisse tout se retrouver dans le sein du Père tout-aimant !

« Votre sincèrement affectionné,
« Goethe. »
Weimar, 17 avril 1823.

Cette réponse, d’une si haute modération, où la dignité humaine touche en certains endroits à l’onction religieuse, est sans contredit le plus bel hommage que Goethe pût rendre à la mémoire de ses relations avec la comtesse. En effet, quiconque a pénétré un peu avant dans les secrets de cette organisation indomptable, quiconque n’ignore pas à quel point lui répugnaient les professions de foi de toute espèce, s’étonnera de la déférence, je dirai presque de la grace avec laquelle il accepte la discussion. Évidemment un prêtre n’en eût jamais tant obtenu, et nous devons voir là un des miracles qu’il attribue quelque part à ce don de faiblesse divine dont le mysticisme fait honneur aux femmes. Cependant, on l’aura remarqué, la politesse n’exclut pas les réserves, et si d’un côté il veut bien imposer silence, en faveur des circonstances, à l’esprit de révolte, à ces rumeurs prométhéennes qui grondent en lui chaque fois que la question métaphysique est agitée, de l’autre il n’accorde rien. Point de réticence, point de sarcasme ni de blasphème, mais aussi point de concession. Sa lettre est un chef-d’œuvre de diplomatie et de goût, et le dernier trait, espérons qu’il nous sera donné de nous voir enfin là-bas, en ramenant par une allusion ingénieuse le ton de la plaisanterie en si grave sujet, éloigne adroitement toute prétention au dogmatisme, et laisse aux choses je ne sais quoi de superficiel qui maintient les positions respectives sans que les plus rigoureuses bienséances en aient à souffrir. Du reste, la lettre si touchante et si vraie de la comtesse ne demandait pas moins. Je ne sais si je me trompe, mais il me semble que ce dialogue aux portes du tombeau a de la grandeur et de la solennité. C’est en finir dignement. Cette amitié tout intellectuelle, contractée au matin d’une jeunesse poétique et chaleureuse, qui s’assoupit un moment sur le midi, puis reparaît unie et calme au seuil de l’éternité, vous rappelle involontairement ces eaux vives et bondissantes qu’on perd de vue au sortir de leur source, pour les retrouver ensuite, fleuves puissans et généreux, au moment où la mer va les engloutir. Quel que soit le jugement qu’on porte de cette correspondance, on ne saurait assister sans être ému à la crise suprême qui la dénoue. Je mets ici à part toute question d’opinion religieuse, et prétends n’envisager que la grandeur morale des personnes ; assurément deux êtres capables de se retrouver et de se quitter ainsi n’avaient pas commencé de la veille à prendre la vie sous son côté sérieux, et de pareils exemples de tenue et de dignité humaines sont bons à reproduire au temps où nous vivons.


Henri Blaze.
  1. Un vol.  in-18, Cotta, Stuttgard.
  2. Und er behaglich unterdessen
    Hatt einen Hahnen angefressen
    .

  3. Un petit cœur en or suspendu à un fil de cheveux.
  4. 13 avril 1759 ; journée mémorable, en effet, dans laquelle le maréchal de Broglie, à la tête des troupes françaises, battit l’armée des alliés que commandait le duc Ferdinand de Brunswick. C’est à cette action d’éclat que Mme la princesse Hélène, aujourd’hui duchesse d’Orléans, faisait allusion lorsqu’au moment d’entrer en France elle indiquait avec tant de grace et d’à-propos à M. le duc de Broglie, qui l’accompagnait, la place où son aïeul le maréchal s’était illustré. Cette journée de Bergen valut à la France une mode célèbre, la coiffure à la Bergen, que les femmes inventèrent en son honneur.
  5. Il parle, dans une des lettres précédentes, d’une scène de Faust qu’il vient d’écrire ; ne serait-ce pas la scène des joyeux compagnons dans la taverne d’Auerbach, je me sois trouvé de ma vie ! Ah ! chère Auguste, pourquoi ne puis-je t’en rien dire ? pourquoi ? Je contemplais la lune et le monde à travers les larmes embrasées de l’amour. Tout ce qui m’entourait avait une ame ! Aussi depuis la crise, Auguste, je suis taciturne, mais non calme ; — taciturne autant que je puis l’être. — Je tremble que pendant les jours paisibles un nouvel orage ne s’amasse, et que… — Bonne nuit, ange ! unique, unique jeune fille, et j’en connais beaucoup ! où cette idée se trouve reproduite mot pour mot dans la fameuse chanson du rat :

    Sie fuhr herum, sie fuhr heraus
    Und soff aüs allen Pfützen,
    Zernagt’s, zerkratzt das ganze Haus
    Wollte nichts ihr Wüthen nützen,
    Sie that gar manchen Aengstesprung,
    Bald hatte das arme Thier genüng
    Als hatte es Liebe im Leibe.

    Maintenant est-ce la prose de l’amant que le poète a rimée, ou l’amant aurait-il par hasard fait servir l’inspiration du poète à ses divagations sentimentales ? Il y a là plus qu’une question de date à éclaircir.

  6. Ce passage d’une lettre de Wieland à Merck (26 janvier 1775) donnera une idée de cet empressement : « Goethe est fixé ici à tout jamais ; Charles-Auguste ne peut plus faire un pas sans lui. La cour, ou plutôt sa liaison avec le grand-duc, lui fait perdre un temps regrettable ; et cependant, avec ce merveilleux homme de Dieu, rien n’est perdu ! »
  7. Voir la pièce intitulée : Voss contra Stolberg.